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      Beyrouth : face au vide étatique, la reconstruction par le bas

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Thursday, 20 April, 2023 - 14:34 · 14 minutes

    Pouvoir exsangue, institutions engluées dans des divisions politiques et confessionnelles exacerbées par le conflit syrien, élections remises aux calendes grecques, crise économique parmi les plus violentes de l’Histoire avec une inflation à quatre chiffres : le Liban traverse ses heures les plus sombres depuis la guerre civile (1975-1990). Pourtant, au milieu du chaos souffle un vent d’espoir. Après l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, une mobilisation collective sans précédent, soutenue par la diaspora et les organisations non gouvernementales (ONG), a permis de réparer une grande partie des dégâts causés dans les quartiers les plus impactés. Une reconstruction « par le bas », sans la moindre aide publique, qui a donné des idées au monde intellectuel pour bâtir une société plus juste. Un reportage de Nicolas Guillon .

    C’est leur 11 septembre. Mais un 11 septembre qui serait intervenu dans la foulée d’un 24 octobre 1929 et dans un contexte pandémique. « Le 4 août 2020 a été l’explosion ultime venue clore une série », explique Alexis Abdallah, de l’ONG Live Love Beirut 1 . Comme un Jugement dernier s’abattant sur ce Liban miné par ses sempiternelles luttes confessionnelles et une corruption politique à la limite de l’imaginable qui l’a plongé dans l’une des plus importantes crises économiques que l’on ait vues depuis deux siècles, au point de mettre son existence en péril. Car, comme le rappelle Fadlallah Dagher, le doyen de l’Académie libanaise des beaux-arts (Alba) 2 , « le Liban est une idée plus qu’une réalité ».

    Lorsque ce jeudi noir, à 18h08 heure locale, presque cent ans jour pour jour après le tracé officiel par la puissance mandataire française des frontières de l’Etat du Grand Liban, se produit dans le port de Beyrouth l’une des plus importantes explosions non-nucléaires de l’Histoire 3 , le pays, reconfiné depuis quelques jours suite à une résurgence de cas de Covid-19, traverse une terrible récession. Durant le seul mois de juillet, la livre libanaise a perdu deux tiers de sa valeur et c’est tout un pays qui est en train de basculer dans la pauvreté. Alexis pointe une tour luxueuse en premier rideau du blast : « Tout le monde a été impacté, les plus pauvres comme les plus aisés, car comment voulez-vous réparer des dégâts lorsque votre argent est inaccessible ? »

    En déambulant dans les rues pentues de la colline d’Achrafieh sur laquelle l’onde de choc s’est propagée, le jeune homme raconte l’indescriptible : « la forte chaleur ressentie, le souffle qui vous envoie dans la pièce d’à-côté, la déflagration que vous entendez de façon sourde ». Et puis, en sortant de chez soi, les premières images du désastre : les immeubles sans ouvertures voire sans façade, dont bon nombre menacent de s’effondrer, les habitants qui n’ont plus que leur voiture pour abri, les médecins de l’hôpital Geitaoui qui traitent les blessés dans la rue à la lumière de leur smartphone, les jeunes accourus pour balayer les innombrables débris, les livreurs qui, dans une ville pétrifiée, mettent spontanément leurs deux-roues à la disposition des secours : « Trois cents mobylettes ont sauvé trois cents vies », résume Alexis. À l’écoute de ce récit apocalyptique, le bilan officiel faisant état de 215 morts et 6 500 blessés apparaît presque miraculeux.

    Pourtant, s’il ne persistait quelques stigmates du traumatisme, ici une structure métallique maintenant un édifice debout, là une bâche recouvrant un échafaudage, difficile, trois ans plus tard, de s’imaginer l’ampleur de la catastrophe. En effet, à Mar Mikhael comme à Gemmayzé, secteurs entièrement dévastés par l’explosion, la vie semble avoir repris son cours, même si en soirée le faible nombre de fenêtres éclairées trahit un certain exode. « Welcome to Lebanon ! », lance de sa voix tonitruante Charbel aux clients franchissant le seuil du restaurant Le Chef , une institution de la rue Gouraud, qui a survécu à la guerre civile. Ici s’entassent joyeusement, dans une salle ne dépassant pas les vingt-cinq couverts, familles du quartier, expatriés et touristes en recherche d’authenticité. Comme l’indique le nom du lieu, chez Le Chef on parle français, bien que la devise de la maison s’affiche en anglais au comptoir : « A generous hand in a broken land ». Une formule en parfaite adéquation avec l’esprit et l’énergie qui ont prévalu dans la ville depuis la « nuit du 4 août ».

    Macron et l’espoir déçu

    Certes, faute de puissance publique, la reconstruction du port n’a toujours pas débuté et l’enquête piétine. Présent sur zone dès le 6 août 2020, Emmanuel Macron avait pourtant suscité un grand espoir parmi la population. Mais depuis, rien, si ce n’est un jeu dangereux comme l’écrivait, le 3 avril dernier, Anthony Samrani, dans le quotidien libanais L’Orient-Le Jour : « Emmanuel Macron a mené ici une politique parfois incohérente, souvent illisible. (…) Près de trois ans plus tard, aucune réforme n’a été mise en œuvre, le Liban continue de se déliter et rien ne permet de penser que la situation va s’améliorer à court et moyen terme. » En arrière-plan, une élection présidentielle qui n’en finit pas d’être reportée et pour laquelle Paris soutient la candidature de Sleiman Frangié 4 . « Mais comment Emmanuel Macron, qui appelait encore en décembre dernier les Libanais à « changer de leadership » et à « dégager les responsables politiques qui bloquent les réformes », a pu se retrouver dans la situation de celui qui doit « vendre » le candidat du Hezbollah aux Saoudiens ? », s’interroge l’éditorialiste.

    De fait, Le Liban est aujourd’hui coincé entre deux veto. Mais la nature ayant horreur du vide, la société civile n’a pas tardé à remplir la case laissée vacante par le pouvoir. Engagés depuis octobre 2019 dans un mouvement de manifestation ayant conduit à la chute du gouvernement, les activistes étaient sur le pied de guerre, les ONG déjà à l’œuvre sur le terrain et les universitaires au chevet de leur ville martyrisée ; alors la mobilisation collective fut instantanée pour réparer ce qui pouvait l’être sans nécessiter une intervention d’en haut. « Les gens étaient dépassés par l’ampleur des dégâts, il fallait dans un premier temps répondre aux besoins urgents, explique Bachir Moujaes, architecte, enseignant à l’Alba et alors habitant d’Achrafieh. Il faut bien comprendre que sitôt la sidération passée on est confronté à l’ingérable : il n’y a plus de compteurs d’électricité, de réservoirs d’eau. » À l’initiative de l’Ordre des ingénieurs et architectes de Beyrouth 5 , un état des lieux est immédiatement engagé. La zone impactée est divisée en cinquante-deux super îlots et autant d’équipes sont constituées qui vont œuvrer durant deux mois sur la seule base du volontariat. Considéré comme le « Monsieur Patrimoine » de Beyrouth, Fadlallah Dagher appelle le Service des Antiquités pour offrir les services de son agence, puisqu’il s’avère que la pierre a davantage souffert que le béton. C’est l’acte de naissance de l’association Beirut Heritage Initiative (BHI) 6 , dont le logo apparaît aujourd’hui sur de nombreux panneaux de chantier : « Toutes les bonnes volontés se sont retrouvées et nous nous sommes réparti le travail. Nous avons établi des cartes, un plan d’actions. Ce fut un moment de grâce. »

    Puis très vite vient le temps de travaux. Les ONG parent à la première urgence, remettent compteurs et réservoirs en état de marche : il faut encourager les habitants qui le peuvent à revenir au plus vite chez eux et permettre à ceux qui ont refusé de quitter les lieux de revivre le plus rapidement possible dans des conditions décentes. Les donations affluent : sommes consistantes mais également modestes. À sa création en 2012, Live Love Beirut se limitait à une équipe de quatre personnes ; elles sont désormais plus de cinquante à travailler pour elle. « Suite à l’explosion, nous avons commencé par monter des opérations de l’ordre de 3 000 USD (ndlr, 2 738 EUR), aujourd’hui certaines atteignent 2,5 millions USD (ndlr, 2,28 millions EUR) », annonce fièrement Alexis Abdallah. Les opérations en question s’organisent par cluster, c’est-à-dire par groupe de quatre, cinq, six, voire une dizaine de bâtiments, comme dans celle qu’Alexis nous fait visiter. Concrètement, une fois les dégâts inventoriés, un partenariat est engagé avec les propriétaires, langue est prise avec le gouverneur de la ville, l’ONG sollicitée débloque les fonds et les appels d’offres aux entreprises sont lancés. Là encore, étape après étape, chacun apporte son écot : un cabinet d’avocats se met en disponibilité pour rédiger les contrats, des entreprises acceptent de travailler à marge réduite sans pour autant transiger sur la qualité – une gageure au Liban où l’exception a toujours fait office de règle. Dans la continuité de l’état de grâce, une confiance s’est installée. « Nous avions le budget pour rénover douze bâtiments, finalement nous avons pu en faire vingt-deux », s’étonne encore Fadlallah Dagher. Du côté de Live Love Beirut, le bilan des rénovations dressé en mars dernier est spectaculaire : 385 appartements, 45 immeubles patrimoniaux, 55 magasins pour un total de plus d’un millier de bénéficiaires. On serait tenté de vanter pour la énième fois la résilience du peuple libanais mais celui-ci ne veut plus entendre ce mot qui semble servir de prétexte à toujours alourdir un peu plus son fardeau. La résilience ne saurait être durable.

    « Nous avons surtout le sentiment d’avoir inventé un processus nouveau parce que les grandes opérations de reconstruction sont généralement dirigées par la puissance publique ou déléguées à une société privée d’aménagement, comme cela fut le cas pour le centre-ville de Beyrouth après la guerre civile », précise l’architecte franco-libanais Jad Tabet, président de l’Ordre au moment du recensement des dégâts 7 . Deux modèles bien évidemment inadaptés au Liban tant que la vacance du pouvoir perdurera et qu’un équilibre économique et financier n’aura pas été recouvré. Mais c’est peut-être, paradoxalement, une chance pour Beyrouth qui, en l’absence d’institutions fonctionnant démocratiquement, est parvenue à imaginer un autre mode de faire, non plus top down mais bottom up , c’est-à-dire partant de la base, une méthode, qui correspond finalement assez bien à ce pays si singulier. Un adage libanais ne dit-il pas : « Si tu as compris le Liban c’est qu’on te l’a mal expliqué ».

    Centre-ville fantôme

    Car force est de constater qu’il fait meilleur se promener dans les quartiers bordant le port, même après l’explosion, même sur des trottoirs étroits et défoncés, au milieu de la jungle des voitures et de l’odeur des ordures, que dans les rues gentrifiées du downtown , certaines aujourd’hui barrées de rouleaux de barbelés pour protéger quelque dignitaire n’ayant pas la conscience tranquille. Depuis les manifestations de 2019, il est, en effet, impossible d’accéder à la place de l’Étoile où trône la tour de l’Horloge. Autour, un centre-ville fantôme que la crise a vidé de ses occupants privilégiés. Le grand œuvre de Rafiq Hariri, assassiné en ces lieux-mêmes, ne ressemble plus qu’à un décor de cinéma dont même les enfants de réfugiés ont disparu. Pour une fois qu’un projet ne reste pas au fond d’un tiroir, celui-ci apparaît aujourd’hui totalement anachronique. Ce qui se voulait être un centre du monde, avec ses malls luxueux, est devenu une impasse, illustration d’un libéralisme poussé au bout de sa logique, qui, à force de mensonge et d’immoralité, en vient à nier toute humanité.

    Avec ses cafés tous plus accueillants les uns que les autres, ses souks alimentaires et ses ateliers d’artiste, la vitalité sociale et créative des quartiers de Gemmayzié et Mar Mikhael offre un contraste saisissant, dont les enseignements à tirer dépassent le contexte libanais. En contrepoint des habituelles démarches capitalistes aboutissant bien souvent à la confiscation de la vie par le béton, s’épanouit ici une urbanité organique et inclusive qui commence au seuil de son domicile et s’étend jusqu’à la rue, pour donner la priorité aux liens. Après l’apocalypse, l’arbre a repoussé. Cet « urbanisme du possible », comme l’a joliment défini Bachir Moujaes, apparaît dès lors comme un motif d’espérance dans les cas les plus désespérés. L’architecte mène avec ses étudiants des travaux sur cet urbanisme « tactique » qui s’affranchit de la planification. En parallèle de l’action sur le terrain, cinq des sept écoles d’architecture du pays ont planché sur les grands principes qui pourraient demain présider à la construction d’un écosystème pour une ville plus juste, tant sur le plan spatial que social. Un travail qui a abouti à la publication d’un document référence : la « Déclaration de Beyrouth » 8 . Selon Mona Fawaz, de l’Université américaine de Beyrouth (AUB) 9 , cette régénération hors portage politique de sa capitale offrirait deux opportunités au Liban : « d’une part l’invention d’un nouveau modèle économique, plus redistributif et moins spéculatif, d’autre part le dépassement des confessions par le vivre-ensemble ».

    Mona Fawaz était de la liste « indépendante, non confessionnelle et paritaire » Beirut Madinati (ndlr, en arabe, Beyrouth est ma ville) qui osa défier les partis traditionnels lors des élections municipales de 2016. Beirut Madinati récolta 30 % des suffrages mais… aucun siège au conseil, la loi attribuant la totalité de la représentation à la liste arrivée en tête du suffrage. Qui plus est, au Liban, on ne vote pas dans son lieu de résidence mais dans la commune de ses racines familiales, ce qui fait qu’à peine 200 000 personnes ont leur mot à dire sur la gestion d’une ville qui compte deux millions d’habitants. « Cette situation traduit bien le divorce qui existe entre le pays légal et le pays réel, développe sa collègue et colistière Mona Harb. Cela fait plus de vingt ans que nous travaillons à la construction d’une ville plus juste, qui rejaillirait bien entendu sur l’ensemble du pays. Nous nous battons contre les projets les plus insensés, nous faisons du bruit. Depuis les relevés post-explosion, nous sommes en possession d’une importante somme de données, nous savons précisément quelle propriété appartient à quel propriétaire (la moitié des immeubles du front de mer au seul clan Hariri). Il serait parfaitement envisageable d’instaurer une taxe sur les plus-values immobilières pour financer un autre projet de société. C’est très frustrant parce que nous sommes prêts et qu’il y a actuellement, de par la faiblesse du pouvoir, une fenêtre pour agir, pour insuffler une dynamique nouvelle. » Fadlallah Dagher mise, lui, sur le fait inéluctable que « les vieux chefs de guerre qui ont installé un esprit tribal au sein de l’Etat finiront par disparaître ».

    Le 13 avril 1986, le poète libanais Antoine Boulad écrivait ces lignes dans L’Orient-Le jour : « Un pays vole en éclats lorsque sa capitale est atteinte. Une capitale se désintègre lorsque son centre est détruit. Ces deux cercles concentriques qui font une nation, les hommes politiques de demain n’auront dansé que sur leurs débris. Ainsi, il n’y aura plus de politique au Liban. J’ai peine à croire qu’il y aura des hommes. » 10 Trente-sept ans plus tard, constatons que l’oracle s’est trompé sur au moins un point.

    Remerciements à Ariella Masboungi, Grand Prix de l’urbanisme 2016, pour son aide précieuse dans la construction de ce reportage.

    Notes :

    1. Live Love Beirut

    2. Alba: Université De Balamand – Académie Libanaise Des Beaux-Arts

    3. Selon des spécialistes de l’Université de Sheffield, au Royaume-Uni, l’explosion du port de Beyrouth aurait atteint 1/10 ème de la puissance de la bombe atomique ayant détruit Hiroshima.

    4. Entre Riyad et Paris, le fossé se creuse , article de Mounir Rabih in L’Orient-Le Jour, 20 mars 2023.

    5. www.oea.org.lb

    6. https ://beirutheritageinitiative.com

    7. Beyrouth, un processus innovant de reconstruction , Jad Tabet et Ariella Masboungi : entretien croisé in revue Urbanisme, novembre 2021.

    8. Déclaration urbaine de Beyrouth – FRAN FINAL.pdf (oea.org.lb)

    9. www.aub.edu.lb

    10. Les franges incendiées du ciel , Antoine Boulad in Le goût du Liban, p. 89-91, texte choisis par Georgia Makhlouf, coll. Le petit mercure, Editions Mercure de France, août 2021.

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      C’est la confusion au Liban, où l’heure d’hiver et l’heure d’été cohabitent

      news.movim.eu / Numerama · Monday, 27 March, 2023 - 09:59

    Alors que le pays devait passer à l'heure d'été, le gouvernement libanais a décidé de conserver l'heure d'hiver pendant un mois. Le problème, c'est que cette décision a été prise en dernière minute, créant un certain chaos dans le pays, temporairement divisé entre deux fuseaux horaires. [Lire la suite]

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      Des bouquets de billets plutôt que de fleurs au Liban face à la crise financière

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Tuesday, 19 July, 2022 - 15:19 · 2 minutes

    LIBAN - “Billets sentent comme un bouquet” chantait N.O.S de PNL dans le titre Béné . Au Liban , une entrepreneuse a fait de ces mots une réalité. Trois ans après l’ effondrement financier qui a touché le pays , Tamara Hariri vend désormais des bouquets constitués de billets de banque , comme vous pouvez le voir dans la vidéo en tête d’article.

    L’entrepreneuse de 30 ans a lancé ce concept en mai dernier. Le but est d’offrir une alternative aux fleurs qui sont désormais très chères dans le pays du Cèdre . Selon la Banque mondiale, une des pires crises économiques jamais enregistrées s’est abattue sur le Liban. La monnaie a chuté de plus de 90% et trois quarts de la population a plongé dans la pauvreté.

    Il faut entre trente minutes et une heure pour réaliser un petit bouquet. Les plus complexes nécessitent plus de temps. L’entreprise vend une cinquantaine de ses créations par mois, soit deux par jour en général.

    Les confections sont montées à partir de livres libanaises ou de dollars américains. Pour ces derniers, c’est aux clients d’envoyer leurs propres billets, car l’entreprise craint la contrefaçon et traite ces billets avec minutie, car leur valeur du dollar américain augmente par rapport à celle de la livre libanaise.

    Les prix pour un bouquet de billets varient selon deux facteurs principaux: sa taille, mais aussi la quantité d’argent liquide qu’il contient. Celui coûte 30 dollars américains.

    Et ce bouquet en vaut 50.

    Ces bouquets de billets permettent d’offrir de l’argent d’une différente façon. “Je crois que c’est très important au Liban, c’est peut-être de là que vient l’idée, de s’entraider, de commencer à avoir des cadeaux, de l’argent qui peut aider les gens, explique Tamara Hariri à l’agence de presse Reuters. Les gens peuvent parfois être blessés en prenant de l’argent, ils n’aiment pas ça. Mais lorsqu’il est présenté de cette belle manière, ils l’apprécient.”

    Tamara Hariri a rapporté à Reuters que son entreprise réalise généralement un bénéfice allant de quatre à dix dollars américains par bouquet.

    À voir également sur Le HuffPost : Biden relance le billet de 20 dollars avec Harriet Tubman, que Trump avait bloqué

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      Liban : la tentation chinoise

      The Conversation · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 15 November, 2020 - 04:30 · 8 minutes

    Liban

    Par Emmanuel Véron 1 et Emmanuel Lincot 2 .
    Un article de The Conversation

    Plus de trois mois après la double explosion dans le port de Beyrouth, la tentation est grande pour le Liban et, surtout, pour le parti pro-iranien du Hezbollah de se tourner vers Pékin.

    Ce serait un camouflet pour Emmanuel Macron, premier chef d’État étranger à s’être rendu (par deux fois) après le drame dans ce pays sinistré : selon lui, l’aide apportée par l’ancienne puissance mandataire (1918-1946) et celle de la communauté internationale doivent être conditionnées à une lutte active contre la corruption et à un changement de système .

    Il est vrai que cette exhortation française, aussitôt dénoncée par le chef du Hezbollah Sayed Nasrallah au nom de la communauté chiite (27 % d’une population totale de 6,8 millions d’habitants), allait à l’encontre d’un projet d’infrastructures de vaste ampleur financé par la Chine .

    Les potentialités pour Pékin y sont gigantesques, y compris dans la Syrie voisine , elle-même amenée à se reconstruire. L’enjeu est évidemment considérable pour le pays du Cèdre que les quinze années de la guerre civile (1975-1990), conjuguées aux effets de la guerre de 2006 et de la crise économique ont durablement pénalisé.

    Complexes rapports des forces au Liban

    Le Liban traverse la pire crise économique de son histoire, marquée par une dépréciation inédite de sa monnaie , une explosion de l’inflation et des restrictions bancaires draconiennes sur les retraits et les transferts à l’étranger.

    Près de la moitié de la population libanaise vit dans la pauvreté et près de 40 % des actifs sont au chômage. La situation s’est aggravée avec la venue massive de réfugiés syriens fuyant depuis 2011 le conflit que subit leur pays. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies, ils seraient aujourd’hui plus de 1,5 million, dont 500 000 jeunes entre 3 et 14 ans .

    Ce qui fait du Liban (4,1 millions de Libanais résidant dans le pays), le pays avec le plus fort taux de réfugiés au monde – puisqu’un habitant sur quatre y a le statut de réfugié.

    Cette question constitue à la fois un enjeu politique majeur et un drame humanitaire sans précédent. La situation perturbe de nombreux Libanais – du petit commerçant aux élites, en passant par les politiques et les humanitaires.

    Par ailleurs, l’entrée en application d’un nouvel arsenal de sanctions dirigées contre le pouvoir syrien et décidées par le Congrès américain en juin dernier ne peut guère arranger la situation régionale désormais au bord de l’asphyxie. Cet ensemble de sanctions – surnommé « la loi César » – vise à exercer « une pression maximale » sur le régime de Damas et sur son principal allié, Téhéran.

    La vindicte du Hezbollah à l’encontre de la France et des États-Unis s’explique d’autant mieux que son principal pourvoyeur iranien est confronté à de très grandes difficultés. Le plan de lutte du Hezbollah contre la Covid-19 , qui se voulait une démonstration de force, a d’ailleurs aussi exposé ses faiblesses (logistiques et moyens).

    Pour autant, le Hezbollah est assuré d’une victoire de Bachar Al-Assad en Syrie. Il mise donc plus que jamais sur l’axe Téhéran-Moscou, qui se renforce au fur et à mesure que les États-Unis s’opposent à lui.

    La Chine n’est pas en reste puisqu’elle assure déjà 40 % des importations du Liban . Plus symboliquement encore, la fameuse route reliant Beyrouth à Alep – via Damas –, autrement appelée M 5, que Bachar Al-Assad a reprise aux trois quarts aux rebelles dès 2015 avec l’aide de son allié russe, pourrait être parachevée sur son tronçon libanais grâce à des investissements chinois.

    Comme leurs alliés américains, qui ont abreuvé le Liban de dollars, l’Arabie saoudite et les monarchies du Golfe ont pris des distances. Ils accusent les dirigeants libanais de laisser le Hezbollah former les rebelles houthis contre lesquels ils sont en guerre au Yémen. Réciproquement, les Houthis financeraient, avec le soutien de Téhéran, les activités du Hezbollah .

    L’enjeu stratégique du port de Beyrouth

    Au-delà de ses propres besoins nationaux, le Liban demeure un point d’entrée essentiel pour l’ensemble de la région . Les pays du Levant tels la Jordanie, la Syrie ou l’Irak, ou encore les pays du Golfe, dépendent aussi de leurs relations commerciales avec le Liban. 73 % de ses propres importations se faisant par la voie maritime, le lien du Liban à la mer est essentiel. Il repose sur le dynamisme d’une infrastructure clé, le port maritime.

    Un appel d’offres met actuellement en concurrence la France et la Chine pour la reconstruction du port. Sans surprise, le Hezbollah s’oppose aux initiatives françaises et a par ailleurs recours à tous les leviers possibles pour attiser et relayer la haine fomentée par le président turc Recep Tayyip Erdogan dans l’affaire des caricatures l’opposant à la France d’Emmanuel Macron.

    Cet attrait singulier exprimé par des géants mondiaux de la logistique portuaire suggère la valeur de la place libanaise dans le commerce international. Il laisse aussi supposer les jeux d’influence affichés ou dissimulés derrière ces investisseurs. Contrôler un port n’est pas anodin : cela constitue un message envoyé à des acteurs internationaux privés comme étatiques.

    Ainsi les efforts déployés par les opérateurs chinois à l’égard du port du Pirée, en Grèce, donc dans l’Union européenne, illustrent une politique commerciale offensive au cœur de l’Europe, parfaitement intégrée dans le projet de la Nouvelle route de la Soie . Beyrouth sera-t-il la prochaine prise chinoise en Méditerranée ?

    Pékin sait pouvoir compter sur le soutien de Moscou et d’Ankara. Car en Europe de l’est comme au Proche-Orient se cristallise chaque jour un peu plus l’alliance sino-russe, renforcée par les ambivalences turques dans son rapport à l’OTAN .

    L’unilatéralisme de Washington, articulé à la seule prévalence des intérêts américains, a créé une béance dans toute la partie orientale de la Méditerranée où, à l’instar du sud de la mer de Chine, de très importants contentieux maritimes opposent les acteurs régionaux (Turquie, Grèce, Liban, Libye, Chypre et Israël) dans leur course à l’exploitation des ressources pétrolières.

    On ne sera non plus surpris de voir les flottes russe et turque de plus en plus présentes à l’embouchure de Suez tandis que la Chine, dans une répartition tacite des tâches, se charge de renforcer son dispositif sécuritaire au large de Malacca.

    La Chine peut-elle venir au secours du Liban ?

    Le quotidien libanais Al-Akhbar (considéré comme proche du Hezbollah), relayé sur le site officiel iranien Parstoday , soutient que le Liban, dans une logique d’axe pro-iranien, doit se tourner vers Pékin, notamment en matière financière et de reconstruction du pays après la double explosion dans le port de Beyrouth l’été dernier.

    Ce mouvement s’inscrit dans le sillon des recompositions de l’ordre international fortement polarisé par, d’un côté, la puissance américaine sous l’administration Trump, et de l’autre, le pôle chinois comme alternative à l’Occident.

    Le Proche et le Moyen-Orient semblent plus que jamais contraints par cette dualité, autant que par ses crises intestines durables. L’accord économique et militaire entre Téhéran et Pékin (évalué à 400 milliards de dollars sur 25 ans) illustre bien la symétrie des relations entre le retrait américain et l’affirmation chinoise.

    La Chine est aujourd’hui le second partenaire commercial du Liban. A titre d’exemple, la Chine fournit un volume de 1,6 milliards de dollars d’exportation en 2019 .

    Pékin maintient sa présence au Liban, notamment via un fonds ( Pinglan ) consacré à la reconstruction et à la rénovation de l’habitat, notamment dans le contexte post-explosion. La RPC est également présente au niveau militaire dans le cadre de la FINUL . Une unité des forces médicales chinoises a notamment fourni son aide après l’accident industriel portuaire, faisant écho à une livraison en 2016 de matériel militaire à l’armée libanaise.

    De plus, l’influence sur la jeunesse libanaise se poursuit à travers l’Institut Confucius (dans la capitale libanaise), les programmes d’échanges universitaires entre Beyrouth et des universités chinoises, et les réseaux d’affaires entre les deux pays, via les diasporas.

    Alors que les pourparlers avec le FMI pour un plan de sauvetage du Liban n’ont pas abouti, les principaux pays pétroliers du monde arabe n’ont pas apporté d’aide à Beyrouth. Les donateurs internationaux se refusent d’apporter des dons conséquents en raison de la forte corruption.

    Cette situation pousse un peu plus le Liban dans l’orbite de Pékin et de Téhéran. Dans une logique de politique internationale, la Chine peut engager des prêts au Liban, avec comme contrepartie, un soutien – ou du moins, un silence – du Liban sur des dossiers internationaux tels que Taïwan, la mer de Chine du Sud ou la répression des Ouïghours.

    Georges Corm, grand spécialiste libanais du Proche et Moyen-Orient, constatait récemment que « les élites politiques locales échouent à édifier un État solide capable de répondre aux défis économiques et sociaux ».

    Alors que le niveau de corruption reste une composante essentielle dans un pays en crise , le rapprochement de la Chine avec le Liban à travers plusieurs projets d’investissements et le développement de zones économiques spéciales potentielles (port de Tripoli, reconstruction du port de Beyrouth voie ferroviaire, agriculture…) ne fera qu’accentuer le décrochage entre le peuple et les élites. Parmi lesquelles et d’entre toutes, les élites francophones tiraillées entre leur attrait pour l’Occident et ce nouvel appel de l’Orient.

    Sur le web
    The Conversation

    1. Enseignant-chercheur – Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).
    2. Spécialiste de l’histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut Catholique de Paris.