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      Javier Gerardo Milei : diable ou sauveur du libéralisme ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 21 April, 2023 - 03:20 · 3 minutes

    Tel un diable sorti d’une boîte, Javier Gerardo Milei surgit sur la scène politique argentine sous le drapeau du libéralisme. Une très bonne nouvelle dans un pays dominé par les péronistes, une mafia politique vaguement keynesienne et franchement calamiteuse associée à des syndicats puissants.

    S’il était élu à l’élection présidentielle du 22 octobre prochain, hypothèse incertaine mais pas impossible, Milei introduirait un choc libéral inédit dans un pays de tradition autoritaire.

    Cet homme de 52 ans dont le parti s’appelle La Libertad Avanza ( « La liberté avance » ) rassemble actuellement 17 % des intentions de vote et se trouve en troisième position derrière Frente de Todos, (« Le Front de tout le monde »), l’organisation péroniste qui n’a toujours pas désigné son candidat en raison des bisbilles habituelles entre Cristina Kirchner et le président Alberto Fernández (25 %), et Juntos por el Cambio (« Ensemble pour le changement »), une coalition qui rassemble les fidèles, mais aussi les déçus de l’ancien président Mauricio Macri (27 %).

    Face à ces adversaires, Milei tranche non seulement par ses idées, mais aussi par son comportement. Très demandé sur les chaînes de télévision et soutenu principalement par de jeunes électeurs de moins de trente ans, le candidat libéral (que la gauche qualifie d’extrême droite) apparait sur les plateaux tout de cuir vêtu, un regard perçant et une masse de cheveux bruns coiffée comme un casque. Il dénonce les politiciens qu’il traite de « rats » formant « une caste de parasites » et insulte tout interlocuteur qui n’est pas d’accord avec lui. « Zurdos de mierda », leur dit-il, « gauchistes de merde ».

    Son programme est radical

    Suppression de la Banque centrale, privatisation des monnaies (et espérance déclarée du retour du dollar américain), mais aussi un tantinet complotiste. Il croit à la théorie du « marxisme culturel » qui prétend qu’un complot d’intellectuels marxistes venu de « l’école de Francfort » s’active à saper les sociétés occidentales, leurs valeurs chrétiennes et leur conservatisme traditionnel.

    Pour lui, le réchauffement climatique, le féminisme et le mouvement LGTB sont au cœur de ce « marxisme culturel ». Cette théorie n’est cependant pas exempte de relents antisémites totalement étrangers au libéralisme.

    D’où la question de savoir si Milei est un vrai libéral ou s’il raconte n’importe quoi. Pour un libéral, il est toujours difficile de questionner le libéralisme des autres. Mais Milei démontre dans ses choix un certain autoritarisme et des erreurs de jugement.

    Par exemple, il considère que Carlos Menem a été le meilleur président de l’Argentine. Or ce dernier, au pouvoir de 1989 à 1999, était un politicien notoirement corrompu et condamné en 2015 à quatre ans et demi de prison auxquelles il échappera grâce à son immunité parlementaire. Par ailleurs, au début de son premier mandat, Menem a autorisé la parité entre le peso argentin et le dollar américain, une tragique illusion qui a fait baisser l’inflation et a attiré des capitaux étrangers, mais ce faisant a créé une énorme « bulle » financière qui éclatera en l’an 2000 et que l’Argentine continue à payer très cher. Dans une tribune dans El Pais , Mario Vargas Llosas avait écrit que les réformes de Menem « étaient un rideau de fumée cachant la corruption ».

    Milei s’égare donc avec Menem mais avance tout de même des propositions libérales. Ce célibataire ne pense rien de bon du mariage, mais ne s’oppose pas au mariage gay. Il se montre libéral également face à la prostitution qu’il considère « un service comme un autre ». Mais il condamne l’avortement par un raisonnement spécieux affirmant que si la femme est propriétaire de son corps, celui de son futur enfant est un « autre corps » qui ne lui appartient pas. Il est par ailleurs en faveur du port d’armes, sujet délicat pour les libéraux.

    Il est jugé essentiel par certains libertariens, mais le libéralisme classique peut l’estimer contraire au contrat social qui réserve à l’État le monopole de la force. Le libre usage des armes aux États-Unis induit des massacres réguliers commis dans des collèges ou des supermarchés pour de sombres raisons n’ayant rien à voir avec la défense de nos libertés.

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      Elon Musk contre le paternalisme numérique

      Frédéric Mas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 8 November, 2022 - 03:50 · 4 minutes

    En affichant son attachement à la liberté d’expression , Elon Musk a réveillé tous les censeurs progressistes et les régulateurs étatistes ou para-étatistes qui estiment que les médias doivent demeurer leur chasse gardée, préservée d’un grand public toujours perçu comme une menace.

    Depuis le rachat chaotique de Twitter, régulateurs, politiciens et influenceurs se bousculent dans les médias pour mettre en garde contre le « dangereux libertarien » Elon Musk qui menace l’ordre moral numérique des élites progressistes.

    Les nouveaux modérateurs de Twitter

    En Allemagne, le SPD d’Olaf Scholz a déclaré vouloir un encadrement plus strict de Twitter suite à sa reprise par Musk.

    Samedi dernier, c’était au tour du haut-commissaire aux droits de l’Homme Volker Turk de s’inquiéter de la reprise de Twitter par Elon Musk, cette fois-ci au nom des « droits humains » :

    « Je vous demande instamment de faire en sorte que les droits humains soient au centre du management de Twitter sous votre direction » .

    Son inquiétude porte notamment sur le rôle central de Twitter dans ce qu’il désigne par la « place publique numérique (sic) » .

    Le jour précédent, Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, recadrait paternellement Elon Musk sur ses velléités « libertariennes » dans le domaine de la liberté d’expression (en lui donnant au passage quelques conseils business…) : en Europe, la modération de Twitter devra se conforter aux règles communes de l’Union, beaucoup plus restrictives que celles défendues en Amérique du Nord.

    Tout le monde a en effet les yeux fixés sur la nouvelle politique de modération d’Elon Musk et s’agace de la liberté de ton, à la limite de la frivolité, du nouveau boss de Twitter. Tout indique, autant pour des questions de convictions personnelles que pour des raisons économiques, que tout va changer radicalement : fini le safe space pour les cinquante nuances de gauchisme woke , bonjour le pluralisme idéologique élargi.

    Fini les bots , bienvenue à la certification payante pour éviter le trolling intempestif. Bien entendu, ce ne sont encore que des promesses, mais l’effet d’annonce de Musk a aussi agi comme un révélateur des intentions liberticides de ses concurrents et de ses ennemis. Ou de ses « nouveaux amis », c’est-à-dire ceux qui proposent de cogérer son entreprise pour lui faire retrouver le droit chemin du cléricalisme idéologique progressiste, pour reprendre une expression imagée de Joel Kotkin 1 .

    Conservatisme numérique

    Si Elon Musk concentre aujourd’hui toutes les attaques sur lui, c’est qu’il est en train de dissocier Twitter du bloc clérical progressiste qui impose son point de vue sur tous les sujets dominants en Occident.

    Sur la classe médiatique, la liberté individuelle, la crise sanitaire ou la crise en Ukraine, son point de vue choque et détonne. Et le fait que cette liberté de ton déplait aux élites technocratiques au point de vouloir la voir disparaître nous donne une bonne indication sur le degré d’illibéralisme qui pétrifie nos démocraties « libérales » en oligarchies bureaucratiques.

    Rappelons une nouvelle fois l’évidence pour pointer la dérive liberticide d’aujourd’hui : Elon Musk n’est pas libertarien, même si, selon Jeffrey Tucker , il semble s’être radicalisé avec les confinements.

    Il ne voit pas l’État comme un ennemi mortel , et n’a jamais vraiment craché sur les subventions quand il s’agissait de construire ses Tesla ou quand il s’agit de collaborer avec l’État américain via SpaceX.

    Son seul crime est d’être un « absolutiste » de la liberté d’expression, ce qui faisait partie, il y a encore quelques années, du patrimoine politique commun, des libéraux classiques à la gauche démocratique, en passant bien entendu par les libertariens. Aujourd’hui, dans un monde où l’ on bâillonne Julian Assange et on rétablit la censure préalable, défendre la liberté d’expression est devenu quelque chose d’exotique. Il est temps de voir renaître la liberté comme principe, en Occident comme ailleurs.

    1. Joel Kotkin, The Coming of Neo-Feudalism: A Warning to the Global Middle Class , 2020.
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      La premier libertarien de l’histoire est chinois

      Foundation for Economic Education · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 1 November, 2022 - 03:50 · 4 minutes

    Le Livre de L Ecclésiaste nous dit : « il n’y a rien de nouveau sous le soleil » . Cette citation nous rappelle que peu de choses que nous considérons comme nouvelles le sont réellement, et la philosophie économique ne fait pas exception.

    Si Karl Marx est considéré comme le père du communisme, ses idées n’étaient pas aussi originales que beaucoup le pensent. Son précurseur intellectuel était François-Noël Babeuf (1760-1797), un proto-socialiste de la Révolution française qui a été exécuté pour avoir participé à un coup d’État manqué visant à renverser le Directoire. Des décennies avant la naissance de Marx, Babeuf réclamait l’équité absolue et l’interdiction de la propriété privée.

    Adam Smith , l’homologue libéral classique de Marx, a son propre sosie intellectuel. Anders Chydenius est né quelques années seulement après Smith (la date de naissance exacte de Smith est inconnue). Comme le plus célèbre des Écossais, Chydenius était un champion du libre-échange, de la liberté de la presse et de l’égalité des droits devant la loi. Dix ans avant que Smith ne publie La richesse des nations , Chydenius décrivait un processus économique similaire à la main invisible de Smith.

    Dans Le Gain national (1765) Chydénius écrit :

    « Chaque individu cherche spontanément à trouver le lieu et le métier où il peut le mieux augmenter le gain national, si les lois ne l’en empêchent pas. La richesse d’une nation consiste dans la multitude des produits ou plutôt dans leur valeur ; mais la multitude des produits dépend de deux causes principales, savoir, le nombre des ouvriers et leur diligence. La nature produira l’une et l’autre, si on la laisse libre de toute entrave… ».

    Bien que ni Smith ni Chydenius n’aient utilisé le terme ordre spontané – il n’est apparu qu’au XXe siècle – le phénomène est clairement ce que les deux philosophes décrivent. C’est l’idée que l’ordre et l’harmonie sociale émergent des actions volontaires des individus, et non d’une planification centrale.

    Pourtant, aucun de ces deux grands philosophes n’a été le premier à formuler cette idée. Cette distinction revient à Zhuang Zhou (alias Zhuangzi), un philosophe et poète chinois qui a vécu au IVe siècle avant Jésus-Christ.

    Zhuang Zhou a rejeté le confucianisme de l’époque, qui mettait l’accent sur l’obéissance à l’autorité nationale en plus de ses enseignements éthiques plus généraux, et a adopté et développé les enseignements de Lao-Tseu, un contemporain de Confucius qui s’opposait à la domination de l’État et mettait l’accent sur le laissez-faire économique.

    Zhuang Zhou, que l’on pourrait considérer comme le premier libertarien de l’histoire, écrivait :

    « Le bon ordre résulte spontanément de l’abandon des choses. »

    Il est difficile de trouver une définition plus distillée de l’ordre spontané que celle-ci, et l’économiste Murray Rothbard attribue à Zhuang Zhou (qu’il appelle Chuang-tzu) le mérite d’être le premier penseur à en avoir rendu compte. Et bien que le concept soit assez simple, Zhuang Zhou précise que la pratique de l’ordre spontané est loin d’être simple et extrêmement rare.

    Zhuang Zhou écrit :

    « Il y a eu une chose telle que laisser l’humanité seule. Il n’y a jamais eu une chose telle que gouverner l’humanité [avec succès] ».

    La raison pour laquelle l’ordre spontané est si difficile à pratiquer était la même dans la Chine ancienne qu’aujourd’hui : la présence de la force.

    La force est une constante dans les pages de l’Histoire. Qu’il s’agisse de Plutarque, de la Bible ou de Zhuang Zhou, l’histoire est à bien des égards une chronique d’humains s’agressant les uns les autres. C’est probablement la raison pour laquelle Zhuang Zhou suggère que les humains ne se laisseront jamais tranquilles, et que le mieux que nous puissions faire est de créer un ordre social qui limite l’agression.

    Comme tout étudiant de philosophie 101 peut vous le dire, c’est la raison pour laquelle les humains concluent un contrat social . La présence de la force incite à la création d’une autorité pour tenir en échec les agresseurs. Comme l’a noté l’économiste du XIXe siècle Frédéric Bastiat , le problème est que l’État s’écarte rapidement de sa mission et devient lui-même un agent d’agression, souvent sous couvert de faire le bien.

    Dans La loi , Bastiat écrit :

    « La mission de la loi n’est pas d’opprimer les personnes et de les dépouiller de leurs biens, même si la loi peut agir dans un esprit philanthropique. Sa mission est de protéger la propriété ».

    Une grande partie de la dysharmonie que nous observons dans le monde d’aujourd’hui découle de points de vue différents sur l’objectif de la loi. Le gouvernement existe-t-il pour protéger la propriété privée ou pour la redistribuer, voire l’abolir ?

    Les gens ont des opinions différentes sur la question, tout comme Adam Smith et Karl Marx. Mais il est clair que la discussion n’a rien de nouveau.

    Il est également clair que Zhuang Zhou vous dirait que la vision d’Adam Smith est la voie vers une société pacifique, prospère et harmonieuse, et non celle de Karl Marx. Parce que les bonnes choses ont tendance à suivre toutes seules quand on laisse les choses tranquilles.

    Sur le web

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      Gloria Alvarez : « Trouvez le candidat qui s’aligne le mieux sur les libertés ! »

      Raphaël Krivine · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 4 March, 2022 - 04:00 · 18 minutes

    La première partie de l’entretien avec Gloria Alvarez (dirigé par Raphael Krivine) est ici /The first part of the interview with Gloria Alvarez is here

    En France, il y a un débat sur le protectionnisme . Dans les années 1990, au siècle dernier, nous étions en faveur du marché libre, de la loi de Ricardo . Mais aujourd’hui, notre industrie ne représente plus que 12 % de l’économie. Sommes-nous allés trop loin, en faisant le choix d’acheter des produits industriels à des pays qui n’utilisent pas les mêmes règles ? Quelle est votre position ?

    Permettez-moi de faire une comparaison avec les femmes. Si je voulais être une femme libérée qui parle de ses idées, devrais-je attendre que chaque femme musulmane se libère d’un mari abusif ou qu’une fille indigène au Guatemala n’aille pas à l’école parce que sa famille dit que les femmes ne devraient pas être éduquées ? Si toutes les femmes du monde doivent attendre que chaque femme de la planète se libère et coupe ses chaînes, aucune d’entre nous ne serait libérée.

    Il n’y aurait jamais eu d’Amelia Earhart ou n’importe quelle femme à laquelle je peux penser qui a brisé ses chaînes. Donc je ne crois pas à l’argument selon lequel je dois attendre que chaque pays soit libre pour que mon pays le soit. Comme par exemple Venise, qui était une région libre, un havre de paix pour les scientifiques alors que le reste de l’Europe connaissait des guerres de religion. Si vous continuez à octroyer des aides sociales, vous aurez toujours des immigrants qui, au lieu d’avoir la mentalité de travailler et de s’adapter à une culture libre, créeront une niche de leur propre culture oppressive en Occident.

    Et j’ai eu cette discussion, par exemple, avec des adhérents du Parti populaire d’Espagne. À ceux qui s’inquiètent des immigrés africains et des musulmans qui viennent avec ces idées horribles de charia pour les femmes et de privation de liberté, j’ai répondu : mais si vous vous débarrassiez de l’aide sociale ? Dans ce cas ces personnes n’auraient aucun intérêt à se déplacer en Europe. C’est la différence majeure avec les migrations du XIXe siècle…

    Ce n’est pas qu’il s’agissait de personnes blanches qui savaient mieux se comporter, c’est juste qu’il n’y avait aucune forme d’aide sociale. Ainsi les Polonais qui ont migré aux États-Unis se sont adaptés. Les Italiens, les Juifs, peu importe. Mais le problème aujourd’hui avec l’immigration, c’est que vous migrez vers des pays qui vous disent « nous offrons cette aide sociale, nous vous acceptons tels que vous êtes, et si vous commencez à mettre en œuvre une idéologie anti-liberté, nous serons d’accord avec cela et vous n’aurez aucune répercussion » .

    La dame du Parti Populaire m’a rétorqué : « Mais nous, en tant que parti de droite, nous ne pouvons pas proposer de nous débarrasser de l’aide sociale parce que nous perdrions des voix » et j’ai répondu : Le problème, c’est que les partis sont davantage intéressés par le pouvoir que par les mesures correctes qui permettraient de résoudre les problèmes. Parce que même la droite, surtout en Europe, ne veut pas de marché libre, de frontières ouvertes. Elle soutient le protectionnisme, les tarifs douaniers, davantage de barrières pour le tiers-monde et elle ne veut pas se débarrasser de son bien-être. C’est ce qui crée ce problème d’immigration.

    Contrepoints : In France there is a debate about protectionism. In the 90’, we were in favor of free market, of the Ricardo law. But now our industry represents only 12 % of the economy. Have we gone too far, making the choice to buy industrial products to countries that don’t use the same rules? What is your position?

    Gloria Alvarez : I compare it with women. If I would to be a liberated woman that talks about their ideas, I would have to wait for every single Muslim woman to liberate herself from an abusive husband or an indigenous girl in Guatemala who doesn’t go to school because her family says that women shouldn’t be educated? If all the women in the world will have to wait for every single woman in this planet to empower themselves and cut their chains free, none of us would be liberated.

    There wouldn’t have never been an Amelia Earhart or any woman that I can think of that has cut those chains. So the argument that I have to wait until every single country is free for my country to be free. I don’t buy it. Especially because whenever you liberate a region in the planet like for example, Venice that became a safe haven for scientists, when the rest of Europe was having religious wars. So I don’t buy the argument that we all have to wait for every single person.

    Of course, I do believe that if you keep having welfare, you will still have immigrants that instead of going with the mentality of working and adapting to a free culture, will create a niche of their own oppressive culture in the West. And I have had this discussion for example, with people of Partido Popular from Spain who are worried about the African immigrants and the Muslims. And they come with this horrible ideas of the Sharia for women and taking freedom away. And I was like, well, but if you get rid of welfare and these people have no incentive to move to Europe in those scenarios, they are focused on working and adapting themselves.

    That is the major difference between migration in the 19th century… It is not that they were white people who knew how to behave better. It’s just that there was no welfare whatsoever. So Polish migrating to the United States, they adapted. Italians, Jewish, whoever. But the problem nowadays with migration is that you migrate to countries that are saying, like “we have this welfare, we will accept you as you are, and if you start implementing an anti freedom ideology, we will be OK with it and you won’t have any repercussions about it”.

    So the lady from the Partido Popular answered me “But we as a right wing party, we cannot propose getting rid of welfare because we will lose votes” and I’m like “the problem is that the parties are more interested in Spain in power than in do the right thing that would actually solve the issues. Because also the right wing especially in Europe there are no free market. There are no open borders. They support protectionism, they support tariffs, they support more barriers for the third world and they don’t want to get rid of their welfare. So I think that creates that migration problem”.

    Quels sont vos arguments pour convaincre les jeunes séduits par l’État-providence ?

    La liberté ne garantit pas que vous prendrez toujours la meilleure décision, elle garantit simplement que personne d’autre ne prendra cette décision pour vous. Et je pense que les jeunes apprécient la liberté de choisir et même de faire des erreurs, car ce n’est qu’à partir d’erreurs et d’échecs que l’on peut avoir du succès. De plus en plus de jeunes y attachent de l’importance.

    La pandémie a également frappé durement les jeunes, notamment sur le plan psychologique. Le taux de suicide a augmenté. C’est la première cause de décès dans la population de moins de 30 ans et tout cela a été vendu à travers un faux sentiment de sûreté et de sécurité. Non seulement les gens disent « donnez-moi de la sécurité et je vous donnerai ma liberté » , mais ils ont aussi acheté le discours de la sécurité. Ils sont malheureux et ils décident de mettre fin à leur vie.

    Elon Musk , il y a quelques jours, a tweeté en disant « vendre la peur aux gens est le chemin de la tyrannie… » . Et ce que je dirais aux jeunes, c’est que les discours conservateur et socialiste vous vendent tous deux de la peur. Les conservateurs disent que « si nous ouvrons les frontières et que nous avons des marchés libres, vous allez être envahis par des mentalités et des idées horribles » et les socialistes vous disent que si vous laissez tout au marché libre, tout va être un désastre et que les pauvres vont rester pauvres. Alors que ma proposition est le contraire ! Je ne vous vends pas la peur, je vous dis juste qu’au moins la liberté garantit que personne d’autre ne prend les décisions pour vous, mais je n’ai pas besoin que vous soyez en mode peur pour fonctionner.

    Elon Musk Sheyene Gerardi spacex ELon Musk BY Telenovela Foro (CC BY-NC-ND 2.0)

    La liberté a besoin de vous dans un mode inspirant, dans un mode audacieux face à ses erreurs, et tout ira bien. Alors, que voulez-vous choisir ? Voulez-vous choisir l’option de la peur ou voulez-vous choisir l’option de la liberté, des chances ? C’est un bon début pour les jeunes, d’autant plus que tout le monde en a assez de la politique en général. Tout est comme un pendule. Nous repartons comme il y a 100 ans. La vieille droite devient davantage la vieille droite et la gauche devient plus extrême. Et quand il y a des extrêmes, il y a aussi une opportunité pour un peu de bon sens.

    Je crois aussi, et je le dis aux jeunes, qu’il n’est pas nécessaire d’avoir tout le monde à bord pour faire des changements. Les majorités ne changent rien. Margaret Mead dit que ce sont toujours les petits groupes qui changent le monde. C’est vrai. Nous vivons grâce à des géants comme Isaac Newton ou Elon Musk ou Steve Jobs, beaucoup de génies qui avaient la liberté de penser, de commettre des erreurs, d’expérimenter et de faire de la science, alors que la majorité de la planète n’a jamais rien créé mais profite de la liberté qu’elle a obtenue.

    La dernière chose que j’ai à dire aux jeunes, c’est que parce qu’ils ne lisent pas l’histoire, ils imaginent qu’ils vivent dans la pire des époques, que l’humanité n’a jamais été aussi mauvaise. Non, allez voir les prédictions des jeunes qui condamnent le monde et qui ont toujours existé dans la Grèce antique ou à Rome. Partout dans l’histoire, vous allez trouver ce pessimisme. Lorsque vous donnez cette perspective aux jeunes, ils commencent à apprécier la liberté, au-delà des marchés libres et des données économiques et peuvent tendre vers un sentiment d’intelligence émotionnelle et d’estime de soi que la liberté procure.

    How do you convince young people seduced by the welfare state ?

    Freedom doesn’t guarantee that you will always make the best decision, it just guarantees that nobody else makes that decision for you. Young person value the freedom of choosing and even making mistakes because only out of mistakes and only out of failures, you can have success. More and more young people value that.

    Also the pandemic has hit hard psychologically, especially young people. The suicide rates has come up. It is the number one reason of death in the population below 30 years old and it has all been sold through a false sense of safety and security. Not only people are saying like “give me safety and I’ll give you my freedom”, but also they have bought the safety speech. They are miserable and they decide to end their lives. Elon Musk, a few days ago, tweeted in saying like “selling fear to people is the path to tyranny…”. And what I would say to young people “the conservative speech and the Socialist speech are both selling you fear.

    The Conservatives say that “if we open borders and we have free markets, you are going to be invaded by this horrible mentalities and ideas” and the socialist tell you that if you leave everything to free market, everything is going to be a disaster and poor people are going to be poor. Whereas my proposal is like “I’m not selling you fear”, I’m just telling you that at least freedom guarantees that nobody else makes the decisions for you, but I don’t need you in a fearful mode for you to operate. Freedom needs you in an inspirational mode, in a daring mode of making mistakes, and it is going to be OK.

    So what do you want to choose? Do you want to choose the option of fear or do you want to choose the option of freedom, of chances? That’s a good start with young people, especially because everybody now is fed up with politics in general. Everything is like a pendulum. We are leaving again like 100 years ago. The old right is becoming more old right and the left wing is becoming more extreme. And when there are extremes, there is also an opportunity for some common sense. I also believe, and I say this to young people, that you don’t need everybody on board to make changes. Majorities don’t change anything. Margaret Mead says that you don’t deposit your faith in majorities that don’t change anything. It’s always small groups that change the world. It is true.

    We live from the benefit of giants like Isaac Newton or Elon Musk or Steve Jobs, a lot of geniuses that were individuals working, because there was freedom for them to think and to commit mistakes, to experiment and to do science. Thanks to them versus the majority in the planet who have never created anything but benefit from that freedom. So why would you wait for everybody? No, I always say to young people, you only need an organized minority that is willing to defend the principles that make sense in order not to fall in these disastrous situations.

    My last thing with young people is that because they don’t read history, they believe that they live in the worst of times, that humanity has never been this bad. No, go and see predictions of young people dooming the world that has existed since ancient Greece and Rome and the Hammurabi code. Everywhere in history, you are going to find this pessimism that everything is doomed. When you put that perspective into young people, they start appreciating freedom, beyond free markets because I wish that economic data would be enough, but I think that there has to be a sentiment of emotional intelligence, self-esteem benefits that freedom gives you.

    Quelle est votre conception du féminisme ? Par exemple, êtes-vous en faveur des quotas ?

    Pas du tout. Beaucoup de femmes socialistes ont gouverné l’Amérique latine et cela a été un désastre. Je préfère que des hommes transgenres, des hommes gays ou des hommes hétérosexuels libéraux ou libertaires gouvernent plutôt qu’une femme socialiste. Alors, quelqu’un comme Margaret Thatcher ? Oui, bien sûr ! Je ne vous soutiens pas à cause de vos organes génitaux… Je vous soutiens si vous avez des idées libertariennes ou libérales.

    Margaret Thatcher Margaret Thatcher By: Rachel Chapman CC BY 2.0

    What is your conception of feminism? For example, are you in favor or quotas?

    Not at all. A lot of socialist women have been governing Latin America and it has been a disaster. I rather have transgender men, gay men, or straight men that are liberal or libertarian governing than one socialist woman. With someone like Margaret Thatcher, yes of course! I support you not because of your genitals. I support you if you have libertarian or liberal ideas.

    Si vous étiez présidente, quelles seraient vos décisions durant vos 100 premiers jours ?

    En bref, les cinq points non négociables de ma campagne présidentielle sont : 1) la décentralisation fiscale, 2) l’anéantissement du syndicat de l’éducation et de celui de la santé. Et à la place de cela, la mise en place d’un système de chèques éducation et le système de retraite individuelle pour les travailleurs. 3) Je mettrais également en place un impôt unique et 4) je supprimerais les 14 secrétaires et les 15 ministères que compte actuellement le Guatemala et les regrouperais en quatre. 5) Enfin je consacrerais 50 % des taxes à la justice et à la sécurité.

    If you were President, what would be your decisions during your first 100 days ?

    Basically the non-negotiable five points of my presidential campaign are: 1) tax decentralization, 2) annihilation of the Union of Education and the Union of Health. And instead of that implementing the voucher system and the individual pension system for workers. 3) I would also implement one flat tax and 4) I will cut the 14 secretaries and the 15 ministries that Guatemala has right now. And I would just join them in four. 5) And I will divert 50% of the taxes to the line of justice and security. Those would be my first 100 days.

    En France, nous aurons une élection présidentielle dans 10 semaines. Que diriez-vous aux Français qui vont bientôt voter ?

    Essayez de trouver le candidat qui s’aligne le mieux sur les libertés que vous voulez préserver et défendre. Certaines personnes se disent « qu’est-ce que le candidat m’offre » . Non. Si vous avez des principes et des opinions bien trempés, la question est de savoir qui s’aligne le mieux sur ce que vous défendez… au lieu de vous interroger pour savoir qui est le plus charismatique ou le plus convaincant.

    In France, we’ll have a presidential election in 10 weeks ? What would you say to the French people who will soon vote or note vote in the presidential elections?

    Try to find whoever aligns better with the freedoms that you want to preserve and defend. Some people are like well, “what is the candidate offering me”. No. If you are strong willed in your principles and your opinions, the question becomes who aligns better with what I defend. Instead of being like let’s see who is more charismatic and who convinces me better.

    Portrait chinois

    Vos modèles féminins parmi les penseurs de la liberté ou les politiciens ? Pour des raisons pragmatiques, j’aime Margaret Thatcher ; pour des raisons philosophiques, j’aime Ayn Rand (qui manquait d’intelligence émotionnelle au-delà de sa philosophie). Mais je pense que pour le XXIe siècle, nous devons moderniser ces deux modèles.

    Vos modèles masculins parmi les penseurs de la liberté ou les politiciens ? J’aime beaucoup Frédéric Bastiat. J’aime le travail de John Stossel. J’admire également le travail de Ron Paul et de Spike Cohen, le vice-président du parti libertarien.

    Les livres que vous emporteriez sur une île déserte ? Sur une île déserte ? J’aurais besoin de la Loi de Bastiat, car on a toujours besoin d’une loi ! Je combinerais la philosophie du libertarianisme avec des notions plus futuristes. Par exemple, si nous créons la vie sur Mars ou d’autres planètes, quels seraient les principes à mettre en œuvre en tant que société humaine ? Je prendrais donc Cosmos de Carl Sagan. Je prendrais aussi des ouvrages sur les neurosciences.

    Les derniers livres que vous avez lus. Une brève histoire des drogues d’Antonio Escohotado, l’un des plus importants penseurs classiques libéraux et libertaires d’Espagne, récemment décédé. Et je lis aussi 21 leçons pour le XXIe siècle de Yuval Noah Harari.

    Les applications que vous consultez le plus souvent sur votre téléphone : Twitter et Instagram

    Votre chanson préférée du moment sur votre playlist : Politik de Coldplay

    Vos sports préférés : le yoga tous les jours + beaucoup de vélo et j’aime tout ce qui touche à la nature comme la randonnée ou l’escalade…

    Chinese portrait

    Your female role models among freedom thinkers or politicians? For pragmatic reasons I like Margaret Thatcher; for philosophical reasons, I like Rand (who lacked some emotional intelligence beyond her philosophy). But I think that for the 21st century we need to modernize both those models.

    Your male role models among freedom thinkers or politicians? I like a lot Frederic Bastiat. I like the work of John Stossel. I also admire the work of Ron Paul and Spike Cohen the vice president of the Libertarian Party.

    The books you would take with you to a desert island? I will need the Law of Bastiat because you always need a law!  I would combine the philosophy of libertarianism with something more futuristic. Like if we make life on Mars or other planets, what would be the principles that we will take as a human society to implement? So I will take Cosmos from Carl Sagan. I would take I would take something about neuroscience.

    The last books you have read. A brief history of drugs by Antonio Escohotado one of the most important classical liberal libertarian thinkers of Spain who recently passed away. And I’m also reading 21 lessons for the 21st century from Yuval Noah Harari

    The apps you check the most on your phone: Twitter and Instagram

    Your current favorite song on your playlist : Politik from Coldplay

    Your favorite sports :  yoga everyday + a lot of bicycle and I love anything involving nature like hiking or climbing…

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      Le libertarianisme pour les nuls

      Sabine Lula · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 13 June, 2021 - 02:30 · 15 minutes

    libertarianisme

    Par Sabine Lula.

    Lorsqu’on arrive dans un Institut d’Études Politiques, il est normal de se trouver confronté aux sciences politiques sous toutes leurs formes. Que ce soit par les cours, des rencontres avec des politiciens, des conférences, ou plus simplement par la culture générale ou un engagement militant très actif, on se doit dans un tel milieu d’acquérir une conscience – ou a minima une connaissance – de la vie politique française.

    Or l’on peut observer que pour l’écrasante majorité de la population, la politique se définit presque exclusivement par la sacro-sainte distinction entre la droite et la gauche . Même les personnes qui se disent apolitiques se retrouvent forcément projetées dans l’une ou l’autre de ces catégories. Cela entre dans la suite logique du renforcement des gros partis avec l’avènement de la Cinquième République, autour desquels gravitent une multitude de petits partis, plus ou moins à gauche, plus ou moins à droite, aux idéaux écologistes, aux idéaux presque trotskystes, aux velléités indépendantistes ou aux discours eurosceptiques…

    Il devient alors difficile de s’y retrouver dans cette jungle politicienne, mais l’aventure peut valoir le coup : non seulement notre culture générale en ressortira forcément enrichie, mais en plus, on peut découvrir des pensées très marginales et pourtant déjà relativement construites, diverses et complexes. On se découvre intéressé, en proie à la curiosité, et avant d’avoir eu le temps de réaliser, nous voilà à nous renseigner entre deux insomnies à propos du libertarianisme.

    Libertarianisme ? Mais quelle est donc cette diablerie ?! Il est très probable que ce concept vous soit inconnu au bataillon, idem pour le mot lui-même. La définir précisément devient alors une tâche des plus ardues. Comme tout bon étudiant qui se respecte, le premier réflexe est de regarder sur le Net (ne mentez pas, c’est ce que nous faisons tous). Mais on peut vite déchanter, seul face aux milliers d’informations sur lesquelles on tombe. Résumer une pensée construite sur près de deux cents ans, ça fait peur. On craint de laisser des plumes en étudiant ce drôle d’oiseau politique… mais en mettant du cœur à l’ouvrage, il est possible de faire le tri et de réaliser un portrait, qu’on espère le plus fidèle possible, de cette étonnante philosophie du droit.

    Quelle définition donner au libertarianisme ?

    Tout d’abord, on tombe sur des définitions que nous donnent des dictionnaires en ligne ou des sites scolaires.

    Ainsi, pour Wikipedia le libertarianisme est « une philosophie pour laquelle une société juste est une société dont les institutions respectent et protègent la liberté de chaque individu d’exercer son plein droit de propriété sur lui-même ainsi que les droits de propriété qu’il a légitimement acquis sur des objets extérieurs ».

    Pour Wikibéral il est « une philosophie politique et économique (principalement répandue dans les pays anglo-saxons) qui repose sur la liberté individuelle comme fin et moyen. »

    Pour Larousse, il est « une philosophie tendant à favoriser au maximum la liberté individuelle, que celle-ci soit conçue comme un droit naturel ou comme le résultat du principe de non-agression. De ce fait, ses partisans, les libertariens, s’opposent à l’étatisme en tant que système fondé sur la coercition, au profit d’une coopération libre et volontaire entre individus. »

    Croiser trois définitions différentes peut suffire pour dégager les grandes lignes d’une idée. On pouvait s’y attendre au vu de son nom, la liberté – individuelle – y prend une place capitale, accompagnée d’une notion particulière de droit naturel , autrement dit les droits de libertés et de propriétés légitimes. L’État apparait alors comme un danger planant au-dessus de ces libertés. Il convient de relever également le fait que les définitions précisent bien qu’il s’agit d’une philosophie, presque une éthique, voire un mode de vie, plutôt qu’un véritable mouvement politique comme on l’entend en France. On pourrait alors résumer tout cela par une phrase : « Fais ce que tu veux de ce que tu as avec ceux qui sont d’accord ».

    Une fois cette définition simplifiée posée, nous pouvons nous intéresser aux sites à tendance libertarienne, mais aussi aux sources journalistiques. Nous nous trouvons alors confrontés ou bien à des informations très détaillées (car réservées aux initiés), ou bien à des articles très peu exhaustifs, parfois au point de ne pas fournir le travail d’investigation attendu de la part d’un journaliste formé dans une grande école. Faire un travail de fond devient nécessaire, pour être sûr de saisir tous les tenants et aboutissants de ce drôle d’oiseau idéologique.

    Le libertarianisme, une marotte anglo-saxonne ?

    Comme le précise la définition de Larousse, on remarque que ce schéma de pensée libertarien est particulièrement bien implanté dans les pays du Commonwealth. Et pour cause : l’ utilitarisme et le pragmatisme, si chers à nos amis anglo-saxons, se reflètent en partie dans le libertarianisme. L’Éthique de la Liberté , rédigé par Murray Rothbard , en est un exemple assez parlant. « Œuvre de toute une vie », ce livre de philosophie politique fut l’un des premiers à proposer une étude purement praxéologique de la liberté, avec une démarche se voulant raisonnée et logique. Les questions du droit naturel y sont soulevées, ainsi qu’une théorie de la liberté, et une dénonciation d’une influence trop forte de l’État, qui par définition est un obstacle aux libertés individuelles.

    Outre l’influence de grands intellectuels, parmi lesquels, en plus de Rothbard, nous pouvons citer Charles Murray , Robert Nozick ou encore Ayn Rand , le libertarianisme est également porté dans la sphère anglo-saxonne par la pop culture, l’exemple le plus connu étant la série américaine South Park . Ce Soft Power libertarien se traduit par une vague de plus en plus forte de phobie de l’État global, visible dans la multiplication de fictions dystopiques présentant un gouvernement central comme l’ennemi absolu, mais aussi dans l’influence des Anonymous ou de Wikileaks , ou encore dans la méfiance que le citoyen moyen éprouve vis-à-vis des médias (seulement 6 % des Américains auraient confiance dans les médias, selon un sondage de 2016). D’un point de vue économique, le libertarianisme privilégie l’approche de l’ École autrichienne , avec un rejet de l’État-providence et de l’interventionnisme économique, ce qui une nouvelle fois le rend naturellement compatible avec la mentalité anglo-saxonne. Et pour preuve, un sondage du Cato Institute estime dans une étude de 2017 qu’entre 20 et 22 % de la population américaine se considère comme libertarienne.

    Existe-t-il un libertarianisme made in France ?

    La philosophie libertarienne semble donc particulièrement présente chez l’Oncle Sam. Mais qu’en est-il de son implantation en France ? Force est de constater que les idées libertariennes sont très méconnues dans le pays des droits de l’Homme, et pour cause : la mentalité française est davantage dans la persuasion que dans la conviction. On accorde davantage d’importance aux affects et aux sentiments que nos amis Yankees relaient plutôt au second plan lorsqu’il s’agit de se lancer dans une démarche intellectuelle.

    La factualité et le pragmatisme s’importent mal dans un pays où l’on aime avoir des opinions très tranchées et où on rejette la nuance. L’exemple de La Grève d’Ayn Rand est assez parlant : publié en 1957, ce livre écrit par une Américaine d’origine russe ne fut officiellement traduit en France… qu’en 2011. Et ce alors que selon une étude de la bibliothèque du Congrès américain et du Book of the month club menée dans les années 1990, il s’agirait, après la Bible, du livre le plus influent aux États-Unis.

    À cela s’ajoute la très forte conscience politique en France : il existe un grand amour de l’État , ainsi que de la législation, découlant directement du droit romain dont nous sommes encore aujourd’hui les héritiers. Là où la jurisprudence fait bien plus souvent office de loi dans ces systèmes voisins.

    Si le bilan dressé en France apparaît de prime abord négatif, on réalise que certaines fondations majeures du libertarianisme moderne viennent tout droit de notre beau pays : la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 jette les bases de ce que l’on nomme aujourd’hui le droit naturel, et Frédéric Bastiat (1801-1850) bénéficie encore aujourd’hui d’une influence certaine et d’une renommée internationale. Mais ses thèses libérales ont tendances à être mal comprises, et donc rejetées par les économistes français modernes .

    La méconnaissance du libertarianisme en France peut donc s’expliquer par cette véritable fracture de mentalité : elle illustre à quel point la culture intellectuelle saxonne peut être incompatible avec la française. Mais cela n’est pas une surprise. Après tout n’est pas pour rien que nous avons passé 800 ans à faire la guerre à nos voisins anglois.

    D’accord, mais concrètement ? Quelles sont les valeurs libertariennes ?

    Pour le libertarien, l’individu lambda est comme Mélenchon : même s’il n’est pas parlementaire, sa personne n’en demeure pas moins sacrée. La société n’a en aucun cas à lui imposer quelque chose, surtout de façon coercitive, du moins tant qu’il ne contrevient pas lui-même au droit naturel d’autrui. Rappelez-vous : « Fais ce que tu veux de ce que tu as avec ceux qui sont d’accord ».

    Ainsi, il est le seul décisionnaire de ses mœurs ou de ses actions, et la société n’a pas à le considérer comme étant un être à part pour cela. Il est régi par le principe de non-agression , et n’a le droit de faire preuve de violence qu’en cas de légitime défense, c’est-à-dire quand ses libertés ou ses propriétés légitimes sont menacées par quelqu’un d’autre.

    Car oui, le libertarien considère, au même titre que la liberté, le droit de propriété comme étant sacré : les objets extérieurs, c’est-à-dire autres que son propre corps, (de l’argent, une maison, un vélo, des vêtements…) obtenus de façon juste, notamment par la vente, l’échange, le troc ou la donation, sont une véritable partie de son être, et ne doivent en aucun cas faire l’objet de dégradations gratuites ou de spoliations. Le libertarien va donc sur ce point s’opposer au libertaire, son très lointain cousin anarchiste qui, lui, prône le partage égalitaire des richesses et des ressources naturelles, tout comme au liberal (terme utilisé en anglais pour désigner un individu aux valeurs socialistes).

    Hormis ces constantes qui définissent le libertarianisme, il est particulièrement difficile de dresser un « tableau des valeurs moyennes » des individus libertariens. Tout simplement car leur individualité passe avant le groupe dans lequel on les classe.

    Le libertarien apparaît donc dans la majorité des cas un « anti-communautaire », considérant que les particularités d’un individu (sa couleur de peau, son sexe, ses convictions morales et/ou religieuses, etc.) ne doivent en aucun cas ni le priver de ses droits naturels, ni servir de prétexte pour le déresponsabiliser de ses actions, ni à obtenir des privilèges par rapport aux autres. En d’autres termes ? « Le plus grand bonheur de toute minorité : être considérée comme tout le monde, par l’absence d’attention particulière et le plein respect de sa normalité » (Stéphane Geyres).

    L’épisode « L’inqualifiable crime de haine de Cartman » de South Park (saison 4 épisode 2), série réalisée par les libertariens Trey Parker et Matt Stone, démontre dans une séquence l’absurdité des Hate Crime Laws , et en quoi elles limitent la véritable égalité entre les individus.

    Certes, tout ceci reste encore relativement abstrait, surtout pour quelqu’un de non-initié. Mais heureusement, on peut facilement retrouver des documents mis en ligne par les Partis libertariens américains. Celui de la branche californienne a par exemple rendu disponible un schéma qui illustre les valeurs sociétales qu’ils prônent au quotidien.

    Source : https://iepress.net/2019/01/08/le-libertarianisme-pour-les-nuls-une-approche-non-exhaustive-dun-drole-doiseau-politique/?fbclid=IwAR3SHyJqsX1VjIuuzhg0a1jkQBm80o9uL1MlEDReRC_IKyhL238EFgbGt34

    On observe alors rapidement que le libertarianisme serait une fusion (au sens dragonballien du terme) entre des idéaux économiques abusivement classés à droite (économie de libre-échange, absence d’interventionnisme économique…) et des idéaux sociétaux abusivement classés à gauche ( liberté totale d’expression , de culte, liberté sexuelle…).

    On peut donc à tort penser qu’il s’agit là d’un « extrême centre », que résume d’ailleurs assez bien le slogan de campagne de Tim Moen (candidat libertarien aux législatives canadiennes 2014) : « Je veux que les couples mariés gays puissent défendre leurs plants de marijuana avec leurs fusils » (d’où le détournement graphique en bandeau de l’article). Or, ce serait faire abstraction de la volonté très forte, quasi viscérale, de se débarrasser du Big Gov et de l’État. C’est oublier qu’il s’agit, du moins en partie, d’un anarchisme, ayant pour volonté première la liberté individuelle : « Ni Dieu ni Maître, sauf si on veut en choisir un nous-mêmes ».

    Une philosophie anti-étatiste ? Mais alors, pourquoi des partis ?

    Les velléités anarchistes (ou minarchistes ) du mouvement peuvent en effet rendre paradoxale la simple existence de partis libertariens. Cependant, nos anti-étatistes préférés savent la justifier : le but premier n’est pas tant de se réunir en organisation politique pour satisfaire des volontés interventionnistes, mais plutôt de pouvoir se regrouper, obtenir une certaine force du nombre afin de pouvoir revendiquer le respect de ses droits naturels.

    C’est donc en partie sous le principe de « l’Union fait la force » que l’on a vu dès les années 1970 se former des Partis libertariens aux États-Unis, puis en Nouvelle-Zélande et en Pologne dans les années 1990. Il faudra attendre les années 2000-2010 pour que le phénomène s’implante en Europe continentale, avec des partis créés en Suède en 2004, en Allemagne en 2009, en Belgique en 2012 et en Suisse en 2014. La France n’est cependant pas en reste, avec la fondation très récente d’un Parti libertarien français en avril 2017.

    Ces partis singuliers se font principalement connaître sur Internet, par leurs sites officiels, ou encore des sites parallèles dont l’ambition première est de partager le point de vue des libertariens sur l’actualité (comme le Magazine Reason , qui a près de 450 000 abonnés sur sa page Facebook). Comme ils se plaisent à le dire, leur but est moins de contrôler les gens que de réclamer pour eux-mêmes une plus grande liberté, et donc une réduction de l’État centralisé. Il s’agit là de mener un « combat contre l’ennemi » , les étatistes, mais en leur faisant face avec leurs propres armes.

    D’ailleurs, comme tout mouvement, c’est autour de divers symboles que se réunissent les sympathisants libertariens. L’un des plus célèbres d’entre eux, le Gadsden Flag , présente un serpent à sonnette noir sur un fond jaune, les deux couleurs associées aux mouvements libertariens. Ce drapeau très ancien, qui remonte à Benjamin Franklin , porte la mention « Don’t tread on me », que l’on pourrait traduire par « Ne me marche pas dessus », ou encore « Bas les pattes ». Le choix du serpent à sonnette n’est pas anodin : animal inoffensif pour l’homme, il n’initie jamais le combat et se montre agressif uniquement si on l’attaque. Il semble donc bien représenter les valeurs libertariennes de droits naturels et de principe de non-agression.

    D’autres animaux ont été choisis à travers le globe pour représenter les mouvements libertariens : si le serpent a été conservé en Belgique, nos amis Yankees lui ont préféré le hérisson, qui tente comme il peut de faire face à l’âne démocrate et l’éléphant républicain.

    C’est cependant un oiseau qui décore le logo du tout récent Parti libertarien français, ou encore le drapeau officiel du Liberland , micro-Nation autoproclamée entre les frontières serbes et croates. Malgré sa non-reconnaissance par l’ONU, le Liberland, « un État avec le moins d’État possible » fondé le 13 avril 2015, a enregistré plus de 300 000 candidatures à la citoyenneté dès juin 2015. Ce projet ambitieux et farfelu de créer des nations libertariennes ouvertes à tous est également un symbole qui peut rassembler, parfois avec plus de force que les partis eux-mêmes, des libertariens du monde entier.

    Mais s’ils sont déjà aussi nombreux, comment ça se fait qu’on n’en entende pas parler ?

    Il est vrai que ce que l’on pourrait abusivement appeler un Homo Libertarianicus n’est pas une espèce très répandue, du moins dans la sphère publique française. Plusieurs raisons peuvent être soulevées : tout d’abord, et vous vous en êtes sûrement rendu compte à la lecture de cet article laborieux, la philosophie libertarienne est d’une complexité singulière, dont les premiers fondements dateraient de la toute fin du XVIIIe et des Lumières. Or, s’il est très difficile d’appréhender une pensée qui s’est continuellement construite depuis plus de 200 ans, il l’est encore davantage de réussir à bien la vulgariser et à la rendre accessible au citoyen lambda.

    De plus, le libertarien, en accord avec sa philosophie, n’est pas du genre à la partager avec ceux qui ne le souhaitent pas. Il n’est pas constamment à évangéliser comme le feraient d’autres groupes militants, bien qu’il soit tout à fait disposé à expliquer son opinion lorsque c’est nécessaire ou que ça lui est demandé. Cela est d’autant plus vrai en France où le mouvement reste encore marginal, et où la faible diffusion de cette philosophie rend sa compréhension difficile.

    Si l’on veut saisir tous les tenants et les aboutissants de ce schéma de pensée, il devient donc nécessaire d’entreprendre un travail de recherches et de lectures personnels

    Article initialement publié en janvier 2019.

    Sur le web

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      Twitter devait-il bannir Donald Trump ? Le débat entre libéraux

      Frédéric Mas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 20 January, 2021 - 04:00 · 6 minutes

    Par Frédéric Mas.

    Dans un billet en date du 12 janvier dernier paru sur le site Marginal Revolution , l’économiste Tyler Cowen revient sur l’éjection de Donald Trump de Twitter. Non seulement il approuve la politique de modération du célèbre réseau, mais il pose plusieurs questions à ceux qui se scandalisent de cette « censure ». Certaines d’entre elles s’adressent aux libéraux et aux libertariens :

    « Robert Nozick a appelé à la création d’un archipel d’organisations politiques, chacune fixant ses propres règles de manière autonome. L’action de Twitter n’est-elle pas tout à fait conforme à cette vision ? L’équilibre libertarien optimal est-il vraiment celui qui ajoute une réglementation gouvernementale centralisée des codes de parole des plateformes technologiques ?  Si oui, cela vous incite-t-il à rejeter les doctrines libertariennes de manière plus générale ? »

    Tyler Cowen fait ici référence à un passage du livre du philosophe libertarien Robert Nozick Anarchie, État et Utopie (1974). Dans le dernier chapitre, Nozick propose un modèle libertarien idéal, dans lequel l’individu rationnel choisit parmi une multitude d’associations politiques celle la plus conforme à ses propres aspirations, sur le modèle de n’importe quel marché concurrentiel :

    « Si une association m’offre moins que ce qu’elle gagnerait à ma présence, une autre association qui apprécie aussi ma présence aura tout intérêt à m’offrir quelque chose de plus que la première […] afin que je la rejoigne elle plutôt que la première. De même pour une troisième association en comparaison avec la seconde, etc. Il ne peut y avoir de collusion entre les différentes associations en vue de réduire mon versement, puisque je peux imaginer n’importe quel nombre d’autres candidats sur le marché pour que je les rejoigne, aussi les associations feront-elles monter les enchères pour que je m’affilie à elles. »

    Le modèle de théories proposé par le philosophe et logicien en s’appliquant au monde devient un « canevas » de groupes et d’associations :

    « Dans notre monde véritable, ce qui correspond au modèle des mondes possibles est un vaste éventail diversifié de communautés que les gens peuvent pénétrer s’ils y sont admis, abandonner s’ils le désirent, façonner selon leurs désirs ; c’est une société dans laquelle l’expérimentation utopique peut être essayée, différents styles de vie vécus, et des visions différentes du bien peuvent être recherchées individuellement ou en groupe. »

    Pour Cowen, la souveraineté de Twitter sur ses terres numériques s’apparente à celle d’une de ces multiples associations volontaires à laquelle s’agrègent les individus en fonction de leurs convenances. Demander à l’État d’intervenir pour mettre de l’ordre dans les réseaux sociaux reviendrait à consolider son monopole coercitif au détriment de la liberté individuelle.

    La gauche de la gauche ne s’y est pas trompée, quand elle compare les plateformes technologiques à de nouvelles féodalités que l’État central doit briser pour transformer les services proposés en droits offerts aux citoyens 1 .

    Les géants de la tech libertariens ?

    Seulement, il est possible de formuler trois réserves -libérales- à la position de Tyler Cowen.

    Le modèle d’utopie proposé par Nozick est-il le plus pertinent pour décrire l’écosystème des réseaux sociaux et des plateformes réellement existant ? L’oligopole des GAFA n’est pas le produit d’un marché de concurrence pure et parfaite. Sa position dominante ne s’explique pas uniquement, contrairement à une légende qu’elle entretient sur ses propres origines, par la qualité intrinsèque de ses biens et de ses services.

    Les géants de la tech se sont toujours appuyés sur les commandes de l’État américain, avec lequel ils ont développé une relation symbiotique, en particulier en matière de surveillance, depuis le début pour prospérer et asseoir leur pouvoir 2 .

    S’ajoute à cela la tendance monopolistique des géants du secteur, qui pour garder la main dans un système économique reposant sur l’information, ont fait pression sur les États pour durcir les conditions d’accès aux droits de propriété intellectuelle 3 . Comme le note l’économiste italien Ugo Pagano, avec les droits de propriété intellectuelle :

    « le monopole n’est plus seulement fondé sur un pouvoir de marché dû à la concentration de compétences dans les machines et le management ; il devient également un monopole légal sur les connaissances 4 . »

    La cartellisation d’une partie du débat public par les GAFA n’est-il pas une menace directe sur sa bonne tenue, et donc le bon fonctionnement de la démocratie libérale ? Réapparait ici une différence essentielle entre la position libérale classique et celle libertarienne.

    Si la parcellisation du monde politique et du débat public ne pose théoriquement aucun problème au libertarien, ses effets sur le gouvernement représentatif interroge le libéral plus classique.

    Le débat public en démocratie libérale

    Qui tient les rênes du débat public oriente la discussion et la délibération politique qui font vivre les institutions démocratiques modernes. Est-ce aux réseaux sociaux d’en modérer les termes ou d’en formater le contenu ? La question s’est posée dès 2016, quand l’essentiel du débat sur l’élection présidentielle américaine s’est déplacé des médias traditionnels vers les plateformes technologiques, les réseaux et les forums du net.

    Faudra-t-il une loi antitrust pour protéger le bon fonctionnement de la démocratie représentative ou plus simplement réviser la règlementation pour permettre l’émergence de concurrents face aux géants d’aujourd’hui ? Les avis divergent sur la solution à apporter à un phénomène économique sans précédent dans l’Histoire. C’est d’ailleurs cette nouveauté absolue qui prend au dépourvu libéraux et libertariens sur la question.

    Enfin, l’inquiétude concernant le renforcement de la position centrale de l’État est légitime, mais est-elle vraiment compatible avec la propre conception « libertarienne » proposée par Tyler Cowen lui-même ? Tyler Cowen a créé la polémique parmi les libéraux en proposant sa propre version du libertarianisme, le State Capacity Libertarianism .

    Elle offre selon lui une porte de sortie aux apories contemporaines du libéralisme en réhabilitant le rôle d’un État fort dans la défense et la promotion du capitalisme. S’inquiéter de voir l’État prendre un rôle d’arbitre dans le domaine des GAFA tout en lui donnant un rôle central dans l’édification totale du système économique capitaliste n’est-il pas un peu contradictoire, ou du moins myope ?

    Dans le cas libertarien, la liberté d’expression est donc subordonnée à la propriété privée. Dans celui libéral classique, la liberté d’expression est un bien public à protéger pour faire vivre la démocratie libérale.

    Alors, l’économie de l’information est-il un eldorado libertarien ou le paradis des nouveaux monopoleurs ? Le débat ne fait que commencer.

    1. Sur le sujet, voir par exemple Cédric Durand, Techno-féodalisme. Critique de l’économie numérique , La découverte, 2020 ou Shoshana Zuboff, L’âge d’or du capitalisme de surveillance , Zulma Essais, 2019.
    2. Felix Treguer, L’utopie déchue : une contre-histoire d’Internet , éditions Fayard, 2019.
    3. La propriété intellectuelle est au centre des critiques formulées par les libertariens. Voir par exemple Comment rémunérer les productions intellectuelles dans un marché libre ? in Contrepoints .
    4. Cité par Cédric Durant, op.cit., p. 163.
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      Comment est né le mouvement libertarien ? (1)

      Fabrice Copeau · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 15 November, 2020 - 04:25 · 11 minutes

    mouvement libertarien

    Par Fabrice Copeau.

    Durant les années 1960, le mouvement libertarien est marqué par un rejet de l’impérialisme conservateur, la condamnation de la violation des principes libéraux et le refus de la confusion du droit et de la morale religieuse.

    À travers l’héritage des trois traditions anti-étatistes américaines classiques (Old Right, isolationnisme, libéralisme classique), une avant-garde libertarienne, au début coupée de ses partisans, émerge et quitte le Grand Old Party.

    À partir du début des années 1950, les nouveaux conservateurs 1 dotent la droite américaine d’une idéologie englobante qui lui fait défaut. Des revues comme Modern Age et la National Review en sont le fer de lance. La seconde, fondée par William Buckley, est le véritable centre de gravité de ce nouveau traditionalisme.

    La résistance du libertarianisme : une synthèse réactive

    Dans le cadre de la lutte contre le communisme et l’URSS, Buckley distingue clairement entre ce qu’il appelle les « conservateurs de l’endiguement » et les « conservateurs de la libération », pour finalement prendre position en faveur des seconds.

    Une querelle l’oppose ainsi au libertarien Chodorov, pour qui la guerre a créé une dette colossale, entraînant une augmentation continuelle des impôts, la conscription militaire et un accroissement de la bureaucratie. C’est la revue The Freeman qui abrite ces échanges musclés.

    « Pendant la guerre , écrit Chodorov, l’État acquiert toujours du pouvoir au détriment de la liberté » . Schlamm lui répond dans la livraison suivante de la revue que la menace soviétique est telle qu’elle ne saurait être contenue par l’indifférence.

    Ce à quoi Chodorov répond, toujours dans le Freeman , qu’il n’est pas convaincu « de la capacité du gang de Moscou à envahir le monde » . « La suggestion que la dictature américaine serait « temporaire » , ajoute-t-il, rend suspect l’ensemble de l’argument, car aucune dictature ne s’est jamais donné de limite dans la durée de son office » . La guerre, termine-t-il, « quels que soient les résultats militaires, est certaine de rendre notre pays communiste » .

    Une deuxième ligne de rupture est constituée par la politique économique. Au début des années cinquante, la crainte de voir les nouveaux conservateurs sacrifier les dogmes du libéralisme classique à la satisfaction d’un impérialisme messianique catalyse les premières réactions libertariennes.

    C’est du reste à cette occasion que Dean Russell invente le mot même de « libertarien ».

    L’émergence d’un double leadership

    Depuis le début des années 1950, Murray Rothbard trace les contours de la doctrine libertarienne à travers différents articles, en prenant presque systématiquement comme repoussoir les principes conservateurs.

    Toujours dans The Freeman , Schlamm doit en découdre avec Rothbard cette fois, qui avait présenté la célèbre thèse de Mises selon laquelle le communisme s’effondrerait de lui-même et qu’il n’était pas besoin de gaspiller des efforts inutiles pour faire advenir une chute imminente.

    Schlamm s’en prend pour la première fois nommément aux « libertariens », qui, selon lui, « ont raison en tant qu’économistes, mais fatalement tort comme théologiens : ils ne voient pas que le diable est réel et qu’il est toujours là pour satisfaire la soif insatiable des hommes pour le pouvoir » .

    À l’élection présidentielle de 1956, Rothbard soutint le candidat indépendant T.C. Andrews, tout en précisant que parmi les deux principaux candidats, le républicain D. Eisenhower et le démocrate A. Stevenson, le second lui paraissait préférable.

    Pour la première fois, le mouvement libertarien se positionne donc à gauche de l’échiquier politique. Cela a marqué une rupture intellectuelle avec le mouvement conservateur, en attendant la rupture organisationnelle.

    Ayn Rand joue également, durant cette période, un rôle déterminant dans les préparatifs à la constitution du mouvement libertarien. Le cercle de ses adeptes, qui se réunit dans le salon de la romancière, s’agrandit sans cesse, et écoute l’initiatrice lire les épreuves de son nouveau roman, Atlas Shrugged .

    Parmi eux 2 , le futur président de la Fed, Alan Greenspan, est des plus assidus, tout comme Barbara et Nathaniel Branden.

    Comme dans La source vive , son précédent roman, on trouve dans Atlas Shrugged une opposition manichéenne entre des créateurs égoïstes et des parasites étatistes. Parmi les premiers, Dagny Taggart et Hank Rearden sont les principaux protagonistes du roman. Respectivement directrice d’une compagnie ferroviaire et magnat de l’acier, ils s’efforcent l’un et l’autre de résister tant bien que mal aux ingérences du gouvernement et de faire vivre leurs affaires dans le contexte d’une crise sans précédent.

    À mesure que l’État se montre de plus en plus intrusif dans l’économie, les membres du cercle très fermé des créateurs égoïstes disparaissent un à un. On apprend au milieu du roman qu’ils se sont tous réunis dans les montagnes du Colorado, au sein d’une communauté capitaliste utopique, appelée Galt’s Gulch, le « ravin de Galt ». John Galt , dont la recherche de l’identité est martelée tout au long du roman par la question « Who is John Galt ? », est un ingénieur surdoué à l’initiative de la grève.

    Inventeur d’un moteur révolutionnaire alimenté à l’énergie statique, il refuse d’en offrir l’usage à la masse ignorante. « Les victimes sont en grève […] Nous sommes en grève contre ceux qui croient qu’un homme doit exister dans l’intérêt d’un autre. Nous sommes en grève contre la moralité des cannibales, qu’ils pratiquent le corps ou sur l’esprit. »

    Hank Rearden et Dagny Taggart sont tellement attachés à leurs propres commerces qu’ils déclinent toutes les sollicitations de John Galt. Mais la retraite des principaux acteurs de l’économie rend leur situation de plus en plus insupportable. La société américaine traverse des crises de plus en plus préoccupantes, et imputées conjointement aux ingérences des gouvernants et à la forfaiture des créateurs.

    La fin du roman décrit avec emphase une situation apocalyptique. Les hommes d’État, désœuvrés, reprennent tour à tour l’aphorisme éculé de Keynes : « Dans le long terme, nous sommes tous morts. »

    John Galt interrompt soudainement les programmes radiophoniques pour expliquer les causes du déclin. Son discours, comparable à celui de Howard Roark lors de son procès, tient lieu de prolégomènes à la philosophie objectiviste randienne. Galt commence par énumérer les perversions morales sous-tendant l’étatisme ambiant.

    De là le dédain de la masse pour les créateurs égoïstes qui lui apportaient pourtant la plus grande richesse. À la fin, John Galt annonce leur retour à la condition que l’État se retire. Les hommes du gouvernement abdiquent. Ainsi s’achève le roman : « La voie est libre, dit John Galt, nous voici de retour au monde. Il leva la main puis, sur la terre immaculée, traça le signe du dollar. »

    Atlas Shrugged a été désigné comme le deuxième livre le plus influent pour les Américains, juste après la bible, par la Library of Congress en 1991.

    À peine eut-il lu le livre que Murray Rothbard adressa à Ayn Rand une lettre élogieuse dans laquelle il alla jusqu’à reconnaître avoir auprès d’elle une dette intellectuelle majeure.

    Rand accueillit chez elle les membres du Cercle Bastiat, et en particulier Rothbard. Le rapprochement fut cependant de courte durée. Pour soigner sa phobie des voyages, Rothbard fit appel aux services de Nathaniel Branden, qui diagnostiqua qu’il avait fait un « choix irrationnel d’épouse ».

    Rand et Branden invitèrent donc Rothbard à quitter sa femme, et lui offrirent leurs services matrimoniaux pour lui substituer une compagnie plus conforme aux canons randiens.

    Rothbard déclina l’invitation, ce qui mit Rand dans une rage folle ; elle orchestra un procès en excommunication contre Rothbard, ce qui marqua la fin définitive de leur collaboration.

    Les ténors libertariens exclus des instances conservatrices

    Les conservateurs s’employèrent alors à écarter l’avant-garde libertarienne sans toutefois rejeter le mot « libertarien ». Pour faire profiter les militants de ce que la pensée libertarienne était susceptible d’apporter, sans toutefois lui permettre de s’exprimer et de corrompre leurs propres idéaux, les conservateurs ont ainsi œuvré pour priver les principaux leaders libertariens d’expression, en les écartant de la National Review .

    Bien que seul représentant des libertariens parmi les contributeurs de la National Review , Chodorov se désolidarisa rapidement des positions prises par la revue. Dès 1956, celle-ci commença à refuser des articles contestant la légitimité et l’utilité d’une intervention des États-Unis à l’extérieur.

    Rothbard contribua quelques années encore à contribuer à cette revue, mais, comme Justin Raimondo l’explique 3 , les idées économiques exposées par Rothbard étaient purement ornementales, et promettaient de disparaître à la première occasion.

    En 1959, il soumit à la revue conservatrice un article dans lequel il préconisa un désarmement nucléaire mutuel pour mettre un terme à la guerre froide. Le refus, pourtant attendu, de Buckley de publier l’article marqua définitivement la fin de leur impossible collaboration.

    L’exclusion la plus retentissante du mouvement conservateur reste toutefois celle d’Ayn Rand. La condamnation virulente d’ Atlas Shrugged par les éminences du nouveau conservatisme la conduisit à prendre ses distances d’avec le mouvement conservateur en voie d’institutionnalisation.

    Whittaker Chambers va jusqu’à qualifier la perspective de Rand de « totalitaire » en comparant cette dernière au dictateur omniscient du roman de Orwell. Par ailleurs, Rand condamnait sans préavis toute forme de religion. Pour Buckley et les nouveaux conservateurs, un athéisme aussi agressif ne pouvait faire bon ménage avec la composante traditionaliste et religieuse de la coalition en formation.

    Rand présenta même une critique structurée du nouveau conservatisme, en dénonçant ce qu’elle identifiait comme ses trois piliers : la religion, la tradition et la dépravation humaine.

    Comme elle le dit : « Aujourd’hui, il n’y a plus rien à conserver : la philosophie politique établie, l’orthodoxie intellectuelle et le statu quo sont le collectivisme. Ceux qui rejettent toutes les prémisses du collectivisme sont des radicaux. » 4

    À leur corps défendant, les conservateurs se brouillent aussi avec des auteurs qu’ils auraient pourtant aimé conserver dans leur giron. C’est tout particulièrement vrai de Friedrich Hayek. Dans un article célèbre, intitulé « Pourquoi je ne suis pas conservateur » 5 , il regrette que le contexte de l’époque associe les libéraux aux conservateurs.

    Il congédie l’axe gauche-droite qui insinue que le libéralisme se trouverait à mi-chemin entre le conservatisme et le socialisme, et propose de lui substituer une disposition « en triangle, dont les conservateurs occuperaient l’un des angles, les socialistes tireraient vers un deuxième et les libéraux vers un troisième ».

    La « peur du changement », typique de la pensée conservatrice, se traduit chez eux par un refus de laisser se déployer librement les forces d’ajustement spontanées, et par un désir de contrôler l’ensemble du fonctionnement de la société. De là « la complaisance typique du conservateur vis-à-vis de l’action de l’autorité établie » .

    « Comme le socialiste, le conservateur se considère autorisé à imposer aux autres par la force les valeurs auxquelles il adhère. » L’un comme l’autre se révèlent ainsi incapables de croire en des valeurs qu’ils ne projettent pas d’imposer aux autres. « Les conservateurs s’opposent habituellement aux mesures collectivistes et dirigistes ; mais dans le même temps, ils sont en général protectionnistes, et ont fréquemment appuyé des mesures socialistes dans le secteur agricole. »

    Hayek condamne aussi l’impérialisme conservateur, emprunt d’un nationalisme et d’un autoritarisme des plus délétères.

    Enfin, il convient de noter qu’Hayek ne rejette pas le terme « libertarien », comme on le lit souvent. Il lui reproche simplement son irrévérence à l’endroit d’une tradition qu’il entend pourtant perpétuer, mais ne rejette en rien ce qu’il recouvre, et encore moins l’inspiration qui l’a fait naître. Toutes ces ruptures intellectuelles ne font que précéder la rupture partisane, qui ne tarda pas à intervenir.

    Article initialement publié en décembre 2010.

    1. Il convient de distinguer ces nouveaux conservateurs des néoconservateurs. Ces derniers interviendront un peu plus tard, à la fin des années 1960 autour de journaux comme Public Interest et Commentary , et derrière des personnalités comme Daniel Bell, Irving Kristol, Patrick Moynihan et Norman Podhorez. Pour simplifier, on peut décrire les nouveaux conservateurs comme des traditionnalistes anticommunistes, qui se réfèrent à l’histoire et s’autorisent de Burke ; les néoconservateurs comme d’anciens démocrates hostiles à l’évolution progressiste de la gauche, ayant pour code le droit naturel et se réclamant de Tocqueville. Les deux mouvements conservateurs se coalisèrent dans les années 1970 pour préparer la victoire de Reagan en 1980.
    2. Le groupe se baptise ironiquement The Collective.
    3. Justin Raimondo, Reclaiming the American Right , p. 189.
    4. A. Rand, « Conservatism : An Obituary » (1960), in Capitalism : The Unknown Ideal , New York, Signet, 1967, p. 197.
    5. F. A. Hayek, « Pourquoi je ne suis pas conservateur », in La Constitution de la liberté , 1960.
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      Le libertarien, nouveau bouc émissaire du complotisme

      Frédéric Mas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 13 November, 2020 - 04:40 · 6 minutes

    Par Frédéric Mas.

    Confinement , crise économique, incertitude sur l’avenir. L’époque est anxiogène, et le niveau de pessimisme collectif au maximum. La situation est donc idéale pour que se développent complotismes et autres manifestations paranoïaques. Tenter de coller des explications simples sur des phénomènes complexes est humain, trop humain sans doute, et dans la France de 2020, ces explications prennent presque nécessairement une tonalité antilibérale et anticapitaliste.

    La raison peut être résumée succinctement : l’effondrement de notre modèle social, qui s’appuie sur un système d’économie de moins en moins mixte et de plus en plus socialiste, ne peut mourir de ses faiblesses internes. Comme par réflexe, pour beaucoup, son génie ne peut être remis en question et son épuisement ne peut trouver sa source que dans le travail de sape de quelque agent extérieur malintentionné.

    Il y a quelques années, le néolibéralisme ou le modèle anglo-américain étaient désignés par tous les décideurs politiques et tous les intellectuels en vue pour endosser le rôle de bouc émissaire. Mais les temps changent et l’argument s’use.

    Le saboteur libertarien

    Aujourd’hui, c’est le saboteur libertarien qui a pris la place de la World company dans le rôle du grand méchant qui complote pour faire vaciller la vertu française et encourager le vice cosmopolite. Et ce nouvel ennemi du peuple fait l’unanimité contre lui de la base au sommet.

    « Hold-up », un documentaire polémique sorti mercredi grâce à un financement participatif sur la crise de la covid-19 fait du libertarien le principal bénéficiaire d’une crise sanitaire dont il aurait capté les effets à son profit. En cause, l’économie numérique en général et Amazon en particulier.

    La fortune contemporaine de l’entreprise américaine ne serait pas le produit du hasard – ou de l’incompétence économique légendaire de nos élites – nous suggère-t-on. Et d’ailleurs, comme le dit avec assurance un intervenant, Jeff Bezos serait libertarien, ce qui, dans sa bouche, est peu ou prou synonyme d’égoïste radical.

    Si on en croit le dernier essai de Stéphane Foucart, Stéphane Morel et Sylvain Laurens, Les Gardiens de la Raison , les libertariens sont encore à la manœuvre pour saboter les fondements progressistes de la science et du rationalisme français.

    Le petit cercle des « zététiciens » et autres vulgarisateurs de la pensée scientifique, autrefois univers harmonieux et largement lesté des conflits d’intérêts qui traversent le monde des hommes ordinaires, serait depuis quelques années infiltré par la propagande anti-écolo et pro-business des libertariens.

    Parce qu’ils défendent les OGM , les pesticides , la psychologie évolutionniste ou encore, c’est un comble, la liberté d’expression absolue , le libertarianisme menacerait la pensée rationnelle locale.

    Ici les libertariens, ce sont les lobbies industriels qui cherchent à manipuler la science et les marchés pour placer leurs produits nuisibles et/ou défectueux ou des chercheurs qui pensent qu’on peut s’appuyer sur la biologie pour dire des choses nouvelles dans le champ de la psychologie.

    Le libertarien, ennemi d’État

    Mais les libertariens ne cherchent pas seulement à enrichir Amazon ou l’industrie des pesticides toute honte bue. Ils sont aussi ces égoïstes inconscients et anonymes qui cherchent à saper l’autorité des pouvoirs publics pour endiguer la crise sanitaire en s’appuyant sur les thèses les complotistes en vogue aux États-Unis.

    Une étude de la Fondation Jean Jaurès expliquait ainsi que la sociologie des « anti-masques » français pointait aussi dans la direction des libertariens ou, plus vaguement, « théories libertaires combinées à une défiance structurelle envers les institutions politiques » . Ici, nous avons une nouvelle définition de libertarien, assimilé plus ou moins, en France, à la pensée libertaire.

    Tour à tour représentant diabolique des multinationales, du capitalisme apatride et de l’individualisme radical, le libertarien fait peur. Mais c’est quoi, au juste, un libertarien ?

    Derrière les fantasmes marxisant de patrons à gros cigares, il y a d’abord une théorie éthique déduite généralement d’une analyse économique que ses adversaires complotistes ne sont pas toujours en mesure de bien comprendre. Le terme  libertarien lui-même, par son étrangeté, et sa relative nouveauté dans le vocabulaire politique français, invite à la défiance et au soupçon.

    Libéralisme utopique

    Pour Sébastien Caré, auteur de Les libertariens aux États-Unis (2010), le libertarianisme est une mutation utopique et subversive du libéralisme classique :

    « L’utopie libertarienne projette d’une part la logique du marché sur toutes les sphères du vivre-ensemble, et mue, d’autre part, la défense des libertés individuelles en une lutte contre l’État. »

    Ses origines sont avant tout intellectuelles, avant d’être militantes. Le libertarianisme est un courant d’idées à la fois philosophique, juridique et économique.

    Gerard Casey, professeur de philosophie à l’University College de Dublin, et libertarien de tendance anarchiste, affirme de son côté que la position libertarienne est une philosophie individualiste 1 .

    Elle repose sur l’idée que les individus ont le droit de vivre leur vie comme ils l’entendent, à partir du moment où ils n’agressent personne. Ses sources diverses remontent aux travaux de l’ école autrichienne d’économie , aux idées de Ludwig von Mises , Murray Rothbard , Henry Hazlitt, Walter Block, Hans-Hermann Hoppe ou Stephen Kinsella. Plus loin dans le temps, on retrouve la trace de J. S. Mill, Adam Smith, des libéraux classiques des XVIIIe et XIXe siècle, ou encore de Gustave de Molinari, Frédéric Bastiat ou Lysander Spooner.

    La formulation des idées libertariennes varie d’une école philosophique à l’autre. Son plus grand promoteur, l’économiste Murray Rothbard, parlait le langage du droit naturel. Robert Nozick , qui fut le principal philosophe libertarien dans le monde universitaire américain, le fondait sur la propriété de soi. David Friedman dans The Machinery of Freedom en proposait de son côté une version utilitariste.

    Tous ont en commun de prendre au sérieux l’économie politique, comme en témoigne l’influence séminale des travaux de Ludwig von Mises et Friedrich Hayek sur les esprits libertariens à partir de l’après-guerre. Aujourd’hui, on retrouve les théoriciens libertariens essentiellement dans les universités, dans les départements de philosophie, d’économie ou de droit.

    Certains libertariens cherchent à limiter le rôle de l’État à ses fonctions essentielles, d’autres affirment qu’il est possible de s’en passer totalement pour que se développe une société de droit privé totale. Ces questions restent disputées entre les différentes nuances de libertarianisme.

    Politiquement, ils représentent quelques millions aux États-Unis, réunis derrière les figures de Rand Paul, Gary Johnson ou plus récemment Jo Jorgensen . En France, ils sont beaucoup moins nombreux et surtout moins organisés. Loin de défendre les intérêts organisés des grands patrons ou de justifier les prises de position des complotistes trumpistes type Qanon, les libertariens cherchent avant tout à radicaliser l’expérience capitaliste pour en extraire les aspects les plus protecteurs de la liberté individuelle.

    Faire d’un courant philosophique individualiste et protecteur radical des libertés individuelles le nouvel ennemi public fantasmatique de la France et des Français devrait nous interroger sur l’évolution socialiste de notre pays. Après tout, c’est Emmanuel Macron lui-même qui affirmait que le citoyen solidaire devait désormais enterrer l’individu libre .

    1. Gerard Casey, Libertarian Anarchy. Against the State , Bloomsbury, 2012.