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      Guerre culturelle : la droite américaine tentée par un « divorce national »

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 24 February, 2023 - 04:10 · 8 minutes

    « Nous avons besoin d’un divorce national.

    Nous devons séparer les États rouges des États bleus 1 et réduire le gouvernement fédéral.

    Tous ceux à qui je parle disent ça.

    Depuis les questions de culture woke malades et dégoûtantes qu’on nous enfonce dans la gorge jusqu’à la politique traîtresse des Démocrates « America Last », nous sommes finis. »

    Ce tweet publié lundi par la sulfureuse élue républicaine tendance Trump Marjorie Taylor Greene a fait le tour de la twittosphère politique américaine, suscitant stupéfaction et indignation, à droite comme à gauche. Pour Robert Garcia, également élu au Congrès sous l’étiquette Démocrate, cet appel à la sécession fait de Me Greene une traîtresse et une insurgée.

    De son côté l’élue républicaine Liz Cheney dénonce un manque de loyauté : « Vous avez prêté le serment de soutenir et de défendre la Constitution. La sécession est inconstitutionnelle. Aucun membre du Congrès ne devrait prôner la sécession, Marjorie. »

    Pour Luc Laliberté du Journal du Québec , le tweet est dangereux et irresponsable : « […] qu’une élue propose ce « divorce », le jour même où on honore les présidents américains ( Presidents’s day ), marque une radicalisation déjà perceptible lors de la contestation des résultats de l’élection 2020 et de l’assaut sur le Capitole le 6 janvier 2021. »

    La polarisation politique mine le débat public américain et la surenchère aux radicalités vient autant de la droite que de la gauche.

    Selon une analyse du Pew Research Center de 2022, le fossé idéologique qui s’est creusé entre la droite et la gauche aux États-Unis n’a jamais été aussi profond depuis 50 ans : « Les Démocrates étant devenus plus progressistes au fil du temps et les Républicains beaucoup plus conservateurs, le « milieu » – où les Républicains modérés à libéraux pouvaient parfois trouver un terrain d’entente avec les Démocrates modérés à conservateurs sur des questions litigieuses – a disparu. »

    Une crise de régime

    Pour E. J. Dionne Jr , de cette intensification de la guerre culturelle, qu’il attribue à la radicalisation du mouvement conservateur depuis les années 1950, découle une crise de régime.

    L’aiguillon anti- establishment d’une partie de la droite aurait enfermé le Parti républicain dans une logique d’opposition systématique débouchant sur l’affaiblissement du travail parlementaire, nécessairement bipartisan.

    Seulement, cette logique d’obstruction systématique s’est également retrouvée avec l’élection de Donald Trump en 2016, cette fois-ci de la part d’un establishment politico-médiatique progressiste prêt à tout pour discréditer le leader populiste. Pire encore, le discours sécessionniste réprouvé aujourd’hui était célébré dans les colonnes des médias de gauche les plus en vue.

    On pouvait lire par exemple dans The New Republic en 2017 une apologie du « Bluexit », c’est-à-dire une déclaration d’indépendance de l’Amérique de Trump :

    « Vous voulez organiser la nation autour de votre principe cher des droits des États – l’idée que presque tout, sauf l’armée américaine, la monnaie fiduciaire et l’hymne national, devrait être décidé au niveau local ? Très bien. Nous ne ferons pas officiellement sécession, au sens où l’entend la guerre de Sécession. Nous ferons toujours partie des États-Unis, au moins sur le papier. Mais nous tournerons le dos au gouvernement fédéral de toutes les manières possibles, comme vous nous y incitez depuis des années, et nous consacrerons nos ressources durement gagnées à la construction de nos propres villes et États. »

    Dans le Daily Beast Bonnie Kristian rappelle également qu’un sondage de 2021 relevait qu’environ quatre électeurs de Joe Biden sur dix étaient d’accord avec ceux de Donald Trump pour dire que les États rouges ou bleus devraient partir, et près d’un tiers ont déclaré l’année dernière que leur État se porterait aussi bien ou mieux en dehors de l’Union.

    Les esprits ne cessent donc de s’échauffer, et on connaît tous la suite de l’histoire tragicomique : Joe Biden est élu dans un climat que guerre civile au sein d’un Capitol Hill submergé par des trumpistes persuadés d’avoir été floués.

    Pessimisme radical à droite

    Après la défaite retentissante de Donald Trump, une partie de la droite américaine a adopté un ton pessimiste radical sur l’avenir de l’Amérique. Cela s’est traduit par un engouement à sa marge pour les stratégies de sortie d’une société jugée sous domination totale des élites progressistes de Big Tech ou encore de l’idéologie « globaliste ».

    En cela, le discours sur la partition du pays fait partie d’une galaxie d’autres discours droitiers sur l’exit, comme l’explique James Pogue dans un article récent de Vanity Fair :

    « Des survivalistes riches et bien connectés, ainsi que des habitants de l’arrière-pays, se sont déplacés vers l’ouest, beaucoup d’entre eux étant au moins indirectement impliqués dans le domaine de pensée en ligne connu sous le nom de droite dissidente. Des cadres de la technologie et des investisseurs en cryptomonnaies créent des groupes secrets pour aider les gens à « sortir » (exit) – un terme qui a pris une signification presque mystique dans certains cercles récemment – de notre société libérale, de nos vies dominées par la technologie et de notre système fragile. Et il y a des plans plus ambitieux pour des mouvements sécessionnistes entiers utilisant la cryptographie et des organisations autonomes décentralisées pour construire des mini sociétés entières, souvent sur le modèle de ce que Balaji Srinivasan, l’ancien associé d’Andreessen Horowitz, appelle un État réseau. »

    Décentraliser et dématérialiser jusqu’à la partition pour protéger les libertés individuelles, faire vivre de nouveaux micro-États pour contrebalancer la puissance d’un État fédéral jugé aliénant, tous les chemins de la droite américaine ramènent donc à une idée libertarienne ancienne, celle de la sécession-libération.

    La sécession libertarienne

    Le Parti libertarien s’est emparé du débat sur le divorce national pour rappeler que selon lui, la sécession comme droit opposable à un gouvernement tyrannique est directement inspirée de la déclaration d’indépendance des États-Unis.

    Pour ces défenseurs américains intransigeants de la liberté individuelle, les États fédérés peuvent tout à fait reprendre leur indépendance du gouvernement fédéral, si celui-ci n’assure plus les buts que l’Union se proposait de défendre, à savoir les droits naturels « à la vie, à la liberté, et à la poursuite du bonheur », pour reprendre les termes mêmes de la déclaration.

    Murray Rothbard (1926-1995), le théoricien anarchocapitaliste qui inspire directement l’actuelle direction du parti, va plus loin encore.

    Dans un texte publié dans un ouvrage collectif de 1998 intitulé Secession, State and Liberty (sous la direction de David Gordon), il explique que chaque groupe ou chaque nationalité devrait avoir le droit de se séparer de n’importe quel État-nation ou de joindre n’importe quel autre s’il accepte :

    « Un des buts des libertariens devrait être de transformer tous les États-nations en entités nationales dont les liens peuvent être qualifiés de juste, dans le même sens que la propriété privée peut être qualifiée de juste, ce qui revient à décomposer les États-nations coercitifs pour en faire d’authentiques nations, c’est-à-dire des nations consenties ».

    En résumé la sécession est d’abord individuelle, c’est une mesure protectrice des droits, et elle consacre la liberté de choisir ses loyautés sociales et politiques.

    Les défenseurs libertariens de la sécession aujourd’hui se veulent rassurants. Leur idéal n’est pas de provoquer la guerre civile mais au contraire de la prévenir. La séparation est une réponse pacifique à une Union qui enchaîne ensemble des populations qui ne se supportent plus.

    Reste à savoir si à l’extrême droite, les différentes sectes apocalyptiques, milices antigouvernementales, groupes suprémacistes et à gauche, les fédéralistes, c’est-à-dire les nationalistes les plus lincolniens pourront se satisfaire d’un simple divorce par consentement mutuel… Marjorie Taylor Greene ne nous le dit pas.

    1. Le rouge renvoie aux États gouvernés par les Républicains, le bleu aux Démocrates.
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      Le libertarianisme pour les nuls

      Sabine Lula · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 13 June, 2021 - 02:30 · 15 minutes

    libertarianisme

    Par Sabine Lula.

    Lorsqu’on arrive dans un Institut d’Études Politiques, il est normal de se trouver confronté aux sciences politiques sous toutes leurs formes. Que ce soit par les cours, des rencontres avec des politiciens, des conférences, ou plus simplement par la culture générale ou un engagement militant très actif, on se doit dans un tel milieu d’acquérir une conscience – ou a minima une connaissance – de la vie politique française.

    Or l’on peut observer que pour l’écrasante majorité de la population, la politique se définit presque exclusivement par la sacro-sainte distinction entre la droite et la gauche . Même les personnes qui se disent apolitiques se retrouvent forcément projetées dans l’une ou l’autre de ces catégories. Cela entre dans la suite logique du renforcement des gros partis avec l’avènement de la Cinquième République, autour desquels gravitent une multitude de petits partis, plus ou moins à gauche, plus ou moins à droite, aux idéaux écologistes, aux idéaux presque trotskystes, aux velléités indépendantistes ou aux discours eurosceptiques…

    Il devient alors difficile de s’y retrouver dans cette jungle politicienne, mais l’aventure peut valoir le coup : non seulement notre culture générale en ressortira forcément enrichie, mais en plus, on peut découvrir des pensées très marginales et pourtant déjà relativement construites, diverses et complexes. On se découvre intéressé, en proie à la curiosité, et avant d’avoir eu le temps de réaliser, nous voilà à nous renseigner entre deux insomnies à propos du libertarianisme.

    Libertarianisme ? Mais quelle est donc cette diablerie ?! Il est très probable que ce concept vous soit inconnu au bataillon, idem pour le mot lui-même. La définir précisément devient alors une tâche des plus ardues. Comme tout bon étudiant qui se respecte, le premier réflexe est de regarder sur le Net (ne mentez pas, c’est ce que nous faisons tous). Mais on peut vite déchanter, seul face aux milliers d’informations sur lesquelles on tombe. Résumer une pensée construite sur près de deux cents ans, ça fait peur. On craint de laisser des plumes en étudiant ce drôle d’oiseau politique… mais en mettant du cœur à l’ouvrage, il est possible de faire le tri et de réaliser un portrait, qu’on espère le plus fidèle possible, de cette étonnante philosophie du droit.

    Quelle définition donner au libertarianisme ?

    Tout d’abord, on tombe sur des définitions que nous donnent des dictionnaires en ligne ou des sites scolaires.

    Ainsi, pour Wikipedia le libertarianisme est « une philosophie pour laquelle une société juste est une société dont les institutions respectent et protègent la liberté de chaque individu d’exercer son plein droit de propriété sur lui-même ainsi que les droits de propriété qu’il a légitimement acquis sur des objets extérieurs ».

    Pour Wikibéral il est « une philosophie politique et économique (principalement répandue dans les pays anglo-saxons) qui repose sur la liberté individuelle comme fin et moyen. »

    Pour Larousse, il est « une philosophie tendant à favoriser au maximum la liberté individuelle, que celle-ci soit conçue comme un droit naturel ou comme le résultat du principe de non-agression. De ce fait, ses partisans, les libertariens, s’opposent à l’étatisme en tant que système fondé sur la coercition, au profit d’une coopération libre et volontaire entre individus. »

    Croiser trois définitions différentes peut suffire pour dégager les grandes lignes d’une idée. On pouvait s’y attendre au vu de son nom, la liberté – individuelle – y prend une place capitale, accompagnée d’une notion particulière de droit naturel , autrement dit les droits de libertés et de propriétés légitimes. L’État apparait alors comme un danger planant au-dessus de ces libertés. Il convient de relever également le fait que les définitions précisent bien qu’il s’agit d’une philosophie, presque une éthique, voire un mode de vie, plutôt qu’un véritable mouvement politique comme on l’entend en France. On pourrait alors résumer tout cela par une phrase : « Fais ce que tu veux de ce que tu as avec ceux qui sont d’accord ».

    Une fois cette définition simplifiée posée, nous pouvons nous intéresser aux sites à tendance libertarienne, mais aussi aux sources journalistiques. Nous nous trouvons alors confrontés ou bien à des informations très détaillées (car réservées aux initiés), ou bien à des articles très peu exhaustifs, parfois au point de ne pas fournir le travail d’investigation attendu de la part d’un journaliste formé dans une grande école. Faire un travail de fond devient nécessaire, pour être sûr de saisir tous les tenants et aboutissants de ce drôle d’oiseau idéologique.

    Le libertarianisme, une marotte anglo-saxonne ?

    Comme le précise la définition de Larousse, on remarque que ce schéma de pensée libertarien est particulièrement bien implanté dans les pays du Commonwealth. Et pour cause : l’ utilitarisme et le pragmatisme, si chers à nos amis anglo-saxons, se reflètent en partie dans le libertarianisme. L’Éthique de la Liberté , rédigé par Murray Rothbard , en est un exemple assez parlant. « Œuvre de toute une vie », ce livre de philosophie politique fut l’un des premiers à proposer une étude purement praxéologique de la liberté, avec une démarche se voulant raisonnée et logique. Les questions du droit naturel y sont soulevées, ainsi qu’une théorie de la liberté, et une dénonciation d’une influence trop forte de l’État, qui par définition est un obstacle aux libertés individuelles.

    Outre l’influence de grands intellectuels, parmi lesquels, en plus de Rothbard, nous pouvons citer Charles Murray , Robert Nozick ou encore Ayn Rand , le libertarianisme est également porté dans la sphère anglo-saxonne par la pop culture, l’exemple le plus connu étant la série américaine South Park . Ce Soft Power libertarien se traduit par une vague de plus en plus forte de phobie de l’État global, visible dans la multiplication de fictions dystopiques présentant un gouvernement central comme l’ennemi absolu, mais aussi dans l’influence des Anonymous ou de Wikileaks , ou encore dans la méfiance que le citoyen moyen éprouve vis-à-vis des médias (seulement 6 % des Américains auraient confiance dans les médias, selon un sondage de 2016). D’un point de vue économique, le libertarianisme privilégie l’approche de l’ École autrichienne , avec un rejet de l’État-providence et de l’interventionnisme économique, ce qui une nouvelle fois le rend naturellement compatible avec la mentalité anglo-saxonne. Et pour preuve, un sondage du Cato Institute estime dans une étude de 2017 qu’entre 20 et 22 % de la population américaine se considère comme libertarienne.

    Existe-t-il un libertarianisme made in France ?

    La philosophie libertarienne semble donc particulièrement présente chez l’Oncle Sam. Mais qu’en est-il de son implantation en France ? Force est de constater que les idées libertariennes sont très méconnues dans le pays des droits de l’Homme, et pour cause : la mentalité française est davantage dans la persuasion que dans la conviction. On accorde davantage d’importance aux affects et aux sentiments que nos amis Yankees relaient plutôt au second plan lorsqu’il s’agit de se lancer dans une démarche intellectuelle.

    La factualité et le pragmatisme s’importent mal dans un pays où l’on aime avoir des opinions très tranchées et où on rejette la nuance. L’exemple de La Grève d’Ayn Rand est assez parlant : publié en 1957, ce livre écrit par une Américaine d’origine russe ne fut officiellement traduit en France… qu’en 2011. Et ce alors que selon une étude de la bibliothèque du Congrès américain et du Book of the month club menée dans les années 1990, il s’agirait, après la Bible, du livre le plus influent aux États-Unis.

    À cela s’ajoute la très forte conscience politique en France : il existe un grand amour de l’État , ainsi que de la législation, découlant directement du droit romain dont nous sommes encore aujourd’hui les héritiers. Là où la jurisprudence fait bien plus souvent office de loi dans ces systèmes voisins.

    Si le bilan dressé en France apparaît de prime abord négatif, on réalise que certaines fondations majeures du libertarianisme moderne viennent tout droit de notre beau pays : la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 jette les bases de ce que l’on nomme aujourd’hui le droit naturel, et Frédéric Bastiat (1801-1850) bénéficie encore aujourd’hui d’une influence certaine et d’une renommée internationale. Mais ses thèses libérales ont tendances à être mal comprises, et donc rejetées par les économistes français modernes .

    La méconnaissance du libertarianisme en France peut donc s’expliquer par cette véritable fracture de mentalité : elle illustre à quel point la culture intellectuelle saxonne peut être incompatible avec la française. Mais cela n’est pas une surprise. Après tout n’est pas pour rien que nous avons passé 800 ans à faire la guerre à nos voisins anglois.

    D’accord, mais concrètement ? Quelles sont les valeurs libertariennes ?

    Pour le libertarien, l’individu lambda est comme Mélenchon : même s’il n’est pas parlementaire, sa personne n’en demeure pas moins sacrée. La société n’a en aucun cas à lui imposer quelque chose, surtout de façon coercitive, du moins tant qu’il ne contrevient pas lui-même au droit naturel d’autrui. Rappelez-vous : « Fais ce que tu veux de ce que tu as avec ceux qui sont d’accord ».

    Ainsi, il est le seul décisionnaire de ses mœurs ou de ses actions, et la société n’a pas à le considérer comme étant un être à part pour cela. Il est régi par le principe de non-agression , et n’a le droit de faire preuve de violence qu’en cas de légitime défense, c’est-à-dire quand ses libertés ou ses propriétés légitimes sont menacées par quelqu’un d’autre.

    Car oui, le libertarien considère, au même titre que la liberté, le droit de propriété comme étant sacré : les objets extérieurs, c’est-à-dire autres que son propre corps, (de l’argent, une maison, un vélo, des vêtements…) obtenus de façon juste, notamment par la vente, l’échange, le troc ou la donation, sont une véritable partie de son être, et ne doivent en aucun cas faire l’objet de dégradations gratuites ou de spoliations. Le libertarien va donc sur ce point s’opposer au libertaire, son très lointain cousin anarchiste qui, lui, prône le partage égalitaire des richesses et des ressources naturelles, tout comme au liberal (terme utilisé en anglais pour désigner un individu aux valeurs socialistes).

    Hormis ces constantes qui définissent le libertarianisme, il est particulièrement difficile de dresser un « tableau des valeurs moyennes » des individus libertariens. Tout simplement car leur individualité passe avant le groupe dans lequel on les classe.

    Le libertarien apparaît donc dans la majorité des cas un « anti-communautaire », considérant que les particularités d’un individu (sa couleur de peau, son sexe, ses convictions morales et/ou religieuses, etc.) ne doivent en aucun cas ni le priver de ses droits naturels, ni servir de prétexte pour le déresponsabiliser de ses actions, ni à obtenir des privilèges par rapport aux autres. En d’autres termes ? « Le plus grand bonheur de toute minorité : être considérée comme tout le monde, par l’absence d’attention particulière et le plein respect de sa normalité » (Stéphane Geyres).

    L’épisode « L’inqualifiable crime de haine de Cartman » de South Park (saison 4 épisode 2), série réalisée par les libertariens Trey Parker et Matt Stone, démontre dans une séquence l’absurdité des Hate Crime Laws , et en quoi elles limitent la véritable égalité entre les individus.

    Certes, tout ceci reste encore relativement abstrait, surtout pour quelqu’un de non-initié. Mais heureusement, on peut facilement retrouver des documents mis en ligne par les Partis libertariens américains. Celui de la branche californienne a par exemple rendu disponible un schéma qui illustre les valeurs sociétales qu’ils prônent au quotidien.

    Source : https://iepress.net/2019/01/08/le-libertarianisme-pour-les-nuls-une-approche-non-exhaustive-dun-drole-doiseau-politique/?fbclid=IwAR3SHyJqsX1VjIuuzhg0a1jkQBm80o9uL1MlEDReRC_IKyhL238EFgbGt34

    On observe alors rapidement que le libertarianisme serait une fusion (au sens dragonballien du terme) entre des idéaux économiques abusivement classés à droite (économie de libre-échange, absence d’interventionnisme économique…) et des idéaux sociétaux abusivement classés à gauche ( liberté totale d’expression , de culte, liberté sexuelle…).

    On peut donc à tort penser qu’il s’agit là d’un « extrême centre », que résume d’ailleurs assez bien le slogan de campagne de Tim Moen (candidat libertarien aux législatives canadiennes 2014) : « Je veux que les couples mariés gays puissent défendre leurs plants de marijuana avec leurs fusils » (d’où le détournement graphique en bandeau de l’article). Or, ce serait faire abstraction de la volonté très forte, quasi viscérale, de se débarrasser du Big Gov et de l’État. C’est oublier qu’il s’agit, du moins en partie, d’un anarchisme, ayant pour volonté première la liberté individuelle : « Ni Dieu ni Maître, sauf si on veut en choisir un nous-mêmes ».

    Une philosophie anti-étatiste ? Mais alors, pourquoi des partis ?

    Les velléités anarchistes (ou minarchistes ) du mouvement peuvent en effet rendre paradoxale la simple existence de partis libertariens. Cependant, nos anti-étatistes préférés savent la justifier : le but premier n’est pas tant de se réunir en organisation politique pour satisfaire des volontés interventionnistes, mais plutôt de pouvoir se regrouper, obtenir une certaine force du nombre afin de pouvoir revendiquer le respect de ses droits naturels.

    C’est donc en partie sous le principe de « l’Union fait la force » que l’on a vu dès les années 1970 se former des Partis libertariens aux États-Unis, puis en Nouvelle-Zélande et en Pologne dans les années 1990. Il faudra attendre les années 2000-2010 pour que le phénomène s’implante en Europe continentale, avec des partis créés en Suède en 2004, en Allemagne en 2009, en Belgique en 2012 et en Suisse en 2014. La France n’est cependant pas en reste, avec la fondation très récente d’un Parti libertarien français en avril 2017.

    Ces partis singuliers se font principalement connaître sur Internet, par leurs sites officiels, ou encore des sites parallèles dont l’ambition première est de partager le point de vue des libertariens sur l’actualité (comme le Magazine Reason , qui a près de 450 000 abonnés sur sa page Facebook). Comme ils se plaisent à le dire, leur but est moins de contrôler les gens que de réclamer pour eux-mêmes une plus grande liberté, et donc une réduction de l’État centralisé. Il s’agit là de mener un « combat contre l’ennemi » , les étatistes, mais en leur faisant face avec leurs propres armes.

    D’ailleurs, comme tout mouvement, c’est autour de divers symboles que se réunissent les sympathisants libertariens. L’un des plus célèbres d’entre eux, le Gadsden Flag , présente un serpent à sonnette noir sur un fond jaune, les deux couleurs associées aux mouvements libertariens. Ce drapeau très ancien, qui remonte à Benjamin Franklin , porte la mention « Don’t tread on me », que l’on pourrait traduire par « Ne me marche pas dessus », ou encore « Bas les pattes ». Le choix du serpent à sonnette n’est pas anodin : animal inoffensif pour l’homme, il n’initie jamais le combat et se montre agressif uniquement si on l’attaque. Il semble donc bien représenter les valeurs libertariennes de droits naturels et de principe de non-agression.

    D’autres animaux ont été choisis à travers le globe pour représenter les mouvements libertariens : si le serpent a été conservé en Belgique, nos amis Yankees lui ont préféré le hérisson, qui tente comme il peut de faire face à l’âne démocrate et l’éléphant républicain.

    C’est cependant un oiseau qui décore le logo du tout récent Parti libertarien français, ou encore le drapeau officiel du Liberland , micro-Nation autoproclamée entre les frontières serbes et croates. Malgré sa non-reconnaissance par l’ONU, le Liberland, « un État avec le moins d’État possible » fondé le 13 avril 2015, a enregistré plus de 300 000 candidatures à la citoyenneté dès juin 2015. Ce projet ambitieux et farfelu de créer des nations libertariennes ouvertes à tous est également un symbole qui peut rassembler, parfois avec plus de force que les partis eux-mêmes, des libertariens du monde entier.

    Mais s’ils sont déjà aussi nombreux, comment ça se fait qu’on n’en entende pas parler ?

    Il est vrai que ce que l’on pourrait abusivement appeler un Homo Libertarianicus n’est pas une espèce très répandue, du moins dans la sphère publique française. Plusieurs raisons peuvent être soulevées : tout d’abord, et vous vous en êtes sûrement rendu compte à la lecture de cet article laborieux, la philosophie libertarienne est d’une complexité singulière, dont les premiers fondements dateraient de la toute fin du XVIIIe et des Lumières. Or, s’il est très difficile d’appréhender une pensée qui s’est continuellement construite depuis plus de 200 ans, il l’est encore davantage de réussir à bien la vulgariser et à la rendre accessible au citoyen lambda.

    De plus, le libertarien, en accord avec sa philosophie, n’est pas du genre à la partager avec ceux qui ne le souhaitent pas. Il n’est pas constamment à évangéliser comme le feraient d’autres groupes militants, bien qu’il soit tout à fait disposé à expliquer son opinion lorsque c’est nécessaire ou que ça lui est demandé. Cela est d’autant plus vrai en France où le mouvement reste encore marginal, et où la faible diffusion de cette philosophie rend sa compréhension difficile.

    Si l’on veut saisir tous les tenants et les aboutissants de ce schéma de pensée, il devient donc nécessaire d’entreprendre un travail de recherches et de lectures personnels

    Article initialement publié en janvier 2019.

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