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      « Liberté et égalité » de Raymond Aron

      Johan Rivalland · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 5 December, 2022 - 03:50 · 7 minutes

    La liberté et l’égalité sont deux concepts dont on sait à quel point ils sont difficiles à définir et, au-delà, simplement même à appréhender. Les désaccords de fond sont importants. Il s’agit de deux notions très débattues depuis de très nombreux siècles donnant lieu à de très vives oppositions, d’où l’intérêt de s’intéresser à ce que pouvait en dire l’un des grands philosophes français du XX e siècle, Raymond Aron .

    « Des » libertés

    La toute première précision d’importance amenée par le philosophe lors de ce cours dispensé au Collège de France en 1978 est qu’il préfère parler de « libertés », et non de « liberté ». Tout au moins si nous raisonnons en état de société, non plus en état de nature comme le faisaient les philosophes aux XVII e et XVIII e siècles (dont il rappelle quelques-uns des fondements, la liberté politique étant associée par exemple chez Montesquieu à la sûreté mais aussi à la propriété).

    Nous jouissons tous en effet de certaines libertés, pas de toutes les libertés. La célèbre formule de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 qui commence par « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui… » suscite certes spontanément l’adhésion, mais quelle en est sa portée pratique ? Quelques exemples simples lui suffisent à en montrer les limites.

    « Par conséquent, en fait, il me paraît toujours difficile de définir de manière précise ou significative le contenu de la liberté ou des libertés. Selon les sociétés certaines libertés sont considérées comme légitimes et nécessaires et d’autres sont inconnues. Certaines des libertés dont nous jouissons et qui pour nous sont fondamentales ont été considérées comme indifférentes ou étaient inconnues dans d’autres sociétés. Donc, sans prétendre faire une théorie générale des libertés pour toutes les sociétés, j’essaierai ici maintenant de préciser quel est le contenu de nos libertés, dans nos pays démocratiques, prospères et libéraux… qui sont tout cela ou qui voudraient l’être. »

    Les libertés dans les démocraties libérales

    Ce sont celles qui sont reconnues et garanties par les pouvoirs publics, ceux-ci étant chargés d’interdire à ceux qui voudraient nous empêcher de les exercer de le faire. Raymond Aron en distingue quatre catégories (qui se différencient de l’approche alors traditionnelle entre des libertés qualifiées de réelles et des libertés qualifiées de formelles ) :

    Les libertés personnelles

    • la protection des individus, y compris contre les abus de la police et de la justice,
    • la liberté de circulation,
    • les libertés économiques (choix de l’emploi, choix du consommateur, liberté d’entreprise),
    • liberté religieuse, d’opinion, d’expression, de communication.

    Il ne nie évidemment pas le caractère imparfait de ces libertés, dont il montre à la fois les fondements, l’intérêt et les limites. Cependant, il insiste bien sur le fait que non seulement elles ne vont pas de soi, mais elles n’ont pas toujours été reconnues ni ne le sont dans d’autres pays. Par exemple, la liberté de critiquer l’État est possible dès lors que l’on se trouve bien dans un État démocratique, non partisan , c’est-à-dire non perverti par la religion ou l’idéologie.

    Les libertés politiques

    Quoi qu’on puisse en penser, là encore, la possibilité de voter, de protester et de se rassembler sont  tolérablement assurées, ce qui n’est pas non plus le cas en tout temps ou en tout lieu. Autrement dit, même si par exemple la possibilité de voter est davantage symbolique que véritablement réelle du point de vue d’un individu (si on reprend la distinction traditionnelle évoquée plus haut), elle n’en constitue pas moins une forme de rempart potentiel contre le despotisme.

    Les libertés sociales

    Ce sont les libertés d’être soigné, de s’instruire, se syndiquer, former des comités d’entreprise. Il ajoute que le sentiment de liberté pourrait aussi être considéré. Ceci dans la mesure où par exemple beaucoup d’individus ne se sentent pas libres dans un régime qu’ils détestent et dans lequel ils se jugent opprimés et qu’ils estiment injuste. Mais ce sentiment est moins systématique que ne peuvent être les catégories de libertés précédentes. Il dépend généralement des circonstances matérielles et de la représentation de la société des individus concernés. Ce qui a à voir avec l’idéologie de chacun.

    Enjeux philosophiques

    C’est parce qu’il refuse l’établissement d’une hiérarchie entre ces libertés que Raymond Aron préfère parler de libertés que de la Liberté. Ainsi, cette hiérarchisation s’opérait avec le développement du socialisme, au profit notamment des libertés sociales. Et les théories qui en résultaient, à l’image par exemple de la dictature du prolétariat de Karl Marx , dont les dérives soviétiques et la nomenklatura opéraient une remise en cause d’autre formes de libertés , en particulier personnelles, à l’encontre de ce que souhaitait Marx lui-même. À tel point qu’une plaisanterie connue dans le monde soviétique était :

    « La différence entre le capitalisme et le socialisme ? Dans un cas c’est l’exploitation de l’homme par l’homme, dans l’autre, c’est l’inverse. »

    En somme, « les sociétés dans lesquelles nous vivons ne garantissent pas toute la liberté souhaitable, mais évitent les formes extrêmes de privation de libertés que nous avons connues à travers ce siècle » .

    De plus, en conformité avec les principes libéraux, la garantie de la légalité du pouvoir peut conduire le pouvoir judiciaire à écarter un membre du pouvoir exécutif, comme dans le cas de Richard Nixon aux États-Unis, même si Raymond Aron se dit bien conscient que cette légalité n’est pas toujours maintenue dans nos régimes.

    La confusion entre liberté et égalité

    Malgré cette relative reconnaissance des libertés, le débat n’en reste pas moins ouvert :

    « Plus nous sommes amenés à définir la liberté par la capacité ou le pouvoir de faire, plus l’inégalité nous paraît inacceptable. Ou encore, dans la mesure où l’on tend à confondre de plus en plus liberté et égalité, toute forme d’inégalité devient une violation de la liberté. »

    Ainsi, beaucoup considèrent que ceux qui ont davantage de moyens ou sont en haut de la hiérarchie sociale sont plus libres que les autres. Ce qui s’écarte du sens strict et rigoureux de la liberté, fondée sur l’égalité des droits .

    De même, nous dit-il au moment où il prononce ce discours, le libéralisme et la société existante semblent rejetés radicalement par une partie de la jeune génération et des jeunes philosophes de l’époque qui rejettent le pouvoir sous toutes ses formes, se réclamant de l’autogestion ou de l’anarchie, ou encore de communautés fraternelles et pacifiques , à l’image des hippies refusant la compétition ou la solitude .

    Il écrit ensuite qu’il existe une tradition philosophique selon laquelle la liberté authentique est la maîtrise de la raison ou de la volonté sur les passions. En ce sens, la liberté politique aurait pour objectif de créer des hommes libres , ce qui ne pourrait se concevoir qu’en acceptant les lois de la société . Le civisme est une partie de la moralité et donc de la formation d’hommes libres.

    Or, selon lui, les démocraties libérales connaissent une crise morale, la société hédoniste de recherche des désirs ayant remplacé l’idéal de recherche des vertus et le sens des devoirs. Pour autant, Raymond Aron dit qu’il n’oublie pas que ces discussions sont étroitement occidentales , celles de sociétés privilégiées et que quelles que soient leurs imperfections et les critiques que l’on peut émettre à leur endroit, l’existence d’un débat permanent et d’un conflit pacifique demeurent une exception heureuse au regard de l’histoire.

    Raymond Aron, Liberté et égalité – Cours au Collège de France , éditions de l’EHESS, octobre 2013, 61 pages.

    #Ségrégation territoriale et #restrictions de déplacement, saisies massives de #biens fonciers et immobiliers, #expulsions forcées, #détentions arbitraires, #tortures, #homicides illégaux…

    Après un long travail de #recherche, notre nouveau rapport démontre que les #lois, #politiques et pratiques mises en place par les #autorités israéliennes ont progressivement créé un système d’apartheid à l’encontre du #peuple #palestinien dans son ensemble.

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      Et tous seront égaux, de gré ou de force

      Christophe Didier · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 21 February, 2021 - 04:30 · 6 minutes

    lois

    Par Christophe Didier.

    Dans l’éternelle guerre française opposant libéralisme et étatisme , c’est ce dernier qui semblait avoir remporté la dernière bataille. L’improbable Covid est tombé du ciel pour redonner l’avantage à la machine étatique française.

    Il était en effet vital en 2020 :

    1. Que chaque Français soit traité avec équité.
    2. Que la méchante hydre ultralibéralequivousveutdumal ne s’empare pas de ces nouveaux marchés juteux pour escroquer les pauvres consommateurs et/ou malades et/ou usagers français.
    3. Que, quoi qu’il en coûte, nous laissions notre pays dans l’état dans lequel nous l’avons trouvé en arrivant.

    Un an après, il semble que le libéralisme reprenne du poil de la bête au vu des multiples errements, hésitations et autres incompétences dont la machine étatique semble avoir fait preuve ces douze derniers mois. En tout cas, mais je suis peut-être influencé par mon biais de confirmation, il semble que l’on entend moins fort les voix qui chuchotent à l’oreille de l’État et hurlent leur amour du collectivisme dans les médias.

    Mais finalement, tout cela est-il bien le sujet de la discussion ? Trop ou pas assez d’État, c’est un peu comme trop ou pas assez de tests, trop ou pas assez de malades, de contraventions, de dette…

    Le problème que l’on pose habituellement, à savoir : un État pour tous ou un État pour s’occuper de ceux qui en ont vraiment besoin, n’est peut-être pas le bon problème. Et si le problème est mal posé, la réponse ne peut être bonne.

    Anecdote personnelle

    Pour illustrer, voici une petite aventure personnelle du quotidien, autrement baptisée anecdote.

    Je suis membre d’un club de théâtre. Comme toute association, nous devons faire preuve d’une transparence complète vis-à-vis de la préfecture, notamment en déposant notre procès-verbal d’assemblée générale sur le site ad hoc . Je dépose donc le document et me dit que l’affaire est pliée… Mais non.

    Je reçois quelques semaines plus tard un courrier indiquant que la demande est refusée pour cause de cases non cochées. Je retourne cocher la bonne case qui permettra à un préposé assermenté de vérifier si notre association très petite et très amateure n’est pas en train de préparer… je ne sais quoi de dangereux.

    Cette aventure passionnante soulève un certain nombre de questions.

    Quelqu’un est-il VRAIMENT chargé de lire tous les procès verbaux de toutes les assemblées générales de France pour traquer les déviants ? Est-ce fait ? Dans quelles conditions ? Dans quel but ?

    Et puis que cherche-t-il exactement ? Quel est le risque de laisser une association comme la nôtre gérer sa vie en toute autonomie ? Que mettons-nous en péril au point d’être contrôlés ainsi ?

    La seule réponse crédible est que, parmi le maquis ahurissant qui compose l’asso-sphère française, ces millions d’organisations plus ou moins grosses, plus ou moins amicales, ont pu émerger quelques brebis galeuses : entreprise maquillée en association, détournement d’argent à des fins personnelles ou diffusion d’idées pas très républicaines. Certes.

    Mais alors est-ce par le moyen qui nous est proposé, ce contrôle tatillon de toute modification, que nous allons remédier à cela ?

    Ne serait-il pas plus efficace de mettre en place une vraie politique d’enquête et de traçage des contrevenants ? Vous savez : tester, tracer, isoler. Hein ? Ça vous parle ?

    Ce qui m’amène à ma réflexion de départ : trop/pas assez d’État, est-ce le problème ?

    La solution de la punition collective

    Le problème n’est-il pas plutôt que nous traitons toujours des situations particulières de manière générale ? Autrement dit, plutôt que de trouver et condamner les fautifs, nous préférons faire subir à l’ensemble de la population une loi contraignante en espérant que le nombre de déviants restera limité.

    Poussé par la curiosité et un peu de mauvaise foi, je vous propose ma liste des cas généraux censés traiter les cas particuliers.

    Des foufous prennent la route pour un circuit ? C’est vrai. La réponse : le 80 km/h. Ou les ralentisseurs tous les 100 mètres ou les ronds-points à chaque carrefour même quand ce n’est pas un carrefour.

    Il y a des malades ? Confinons toute la population .

    Un problème d’emploi ou de stratégie industrielle ? Refabriquons un commissariat au plan et planifions sur dix ans l’ensemble de l’économie française.

    Un problème de trafic de drogue dans les quartiers ? Jetons quelques milliards sur les tours.

    Des élus peu scrupuleux s’en mettent plein les poches grâce à des marchés truqués ? Pas de problème : pourrissons la vie de l’ensemble des entreprises françaises qui voudraient commercer avec les administrations en les obligeant à remplir des dossiers épais, complexes et illisibles pour qu’au final seules les plus grosses d’entre elles aient les moyens et le temps nécessaires de s’y consacrer.

    Certains abusent de la Sécurité sociale ? Ça roule : un parcours de soin général et global que tout le monde doit suivre sous peine de sanction financière.

    Un problème de pollution en ville : supprimons les voitures.

    Toutes ces décisions globales évidemment agrémentées de taxes, impôts et contraventions mitonnées aux petits oignons par nos énarques en liberté, eux.

    Trop de lois tuent la loi

    Quand je discute avec tout un chacun de libéralisme, la remarque qui m’est généralement faite est que l’on ne peut pas laisser les gens faire ce qu’il veulent .

    Je suis d’accord, et d’ailleurs personne n’a jamais dit que le libéralisme consistait à supprimer toutes les lois pour laisser s’installer le laisser-faire généralisé.

    Au contraire, l’un des objectifs du libéralisme étant de laisser aussi peu de lois que possible pour encadrer efficacement la vie en société, il est impératif que ces lois soient appliquées à la lettre. Et que le contrôle soit efficace.

    Rêver à une instauration du libéralisme en France passe d’abord et avant tout par le recentrage de l’action de l’État sur l’application des règles telles qu’elles ont été décidées. Donc de déployer les moyens humains et techniques pour faire respecter ces règles. Et de sanctionner les contrevenants individuellement et systématiquement.

    Ceci devrait éviter à l’avenir de créer des lois systémiques dont l’efficacité ne semble pas toujours la qualité première. Et de laisser le citoyen moyen penser qu’il n’en a pas pour son argent.