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      L’innovation dans l’éducation : vers le développement des compétences

      Kaoutar Zaidane · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 8 January, 2023 - 04:00 · 4 minutes

    Les nations changent et évoluent à travers l’enseignement, ce dernier est au cœur des civilisations. Selon Le Robert , dictionnaire en ligne, l’enseignement est « l’action, l’art d’enseigner, de transmettre des connaissances ».

    L’enseignement se distingue de l’apprentissage qui est l’activité de l’étudiant lorsqu’il s’accommode des connaissances et l’éducation dont le but est l’acquisition globale des connaissances d’un individu à différents niveaux : intellectuel,  moral, social, culturel et scientifique. Nous pouvons donc dire que l’enseignement est l’une des composantes de l’éducation.

    Actuellement, les revendications des apprenants évoluent et certaines découvertes de la recherche sur l’apprentissage invitent à une nouvelle méthodologie pédagogique appliquée à l’ensemble de l’environnement éducatif. Dans le même sens, le philosophe et publiciste allemand, Richard David Precht demande davantage de souplesse du système traditionnel dans les écoles et les universités.

    En tant qu’enseignants nous avons cette responsabilité du développement de nos nations à travers l’inculquation de valeurs, de messages positifs et surtout de savoirs, ce qui favorise sans aucun doute le niveau de compétence des lauréats et futurs employés ou porteurs de projets. La compétence, cette notion complexe et primordiale dans toute réussite professionnelle, peut être développée. Personne n’est compétent de nature.

    L’enseignement au service du développement des compétences

    La compétence peut très bien être expliquée à travers le savoir, le savoir-faire et le savoir-être de l’individu. Pour les professionnels du recrutement, on ne cherche plus les majors de promotion, ni ceux ayant un nombre important d’années d’expérience, un mix entre les trois constituants de la compétence est le reflet du meilleur profil pour les chasseurs de têtes.

    À cette cause, l’enseignant de nos jours devra changer les méthodes qui se limitent à la simple transmission du savoir par une innovation pédagogique qui servira l’étudiant à être le candidat recherché par les firmes.

    Les courants actuels en éducation, inspirés des pédagogies dites alternatives , telles celle de Célestin Freinet et de Maria Montessori ainsi que des théories de l’apprentissage du constructivisme de Jean Piaget et le socioconstructivisme de Lev Vygotski , tendent de plus en plus à demander aux apprenants des productions concrètes plutôt que de mémoriser un certain contenu.

    Ici, une première méthode vers un meilleur apprentissage, à savoir : « l’enseignement par projet », une manière pour faire vivre une expérience bien déterminée à l’étudiant, une occasion pour développer son savoir à travers un encadrement et un enseignement des bases théoriques, son savoir-faire par le biais de la mise en pratique de ces mêmes instructions théoriques sous forme de projets palpables, et enfin son savoir-être en évaluant ses compétences agiles ( soft skills ) tel que la gestion du temps (les projets sont souvent limités dans le temps, la gestion du stress engendré par l’idée du projet elle-même, le délais…) ou même le travail d’équipe (dans le cadre d’un travail collectif).

    Une expérience de plus de dix années m’a permis de conclure que nos méthodes doivent se concentrer sur l’étudiant, ses préférences, ses capacités et surtout son réel besoin pour mieux lui transmettre la connaissance par différentes méthodes.

    En seconde position, nous proposons aux professeurs pour qui l’intérêt de l’étudiant vient en premier lieu de participer à la professionnalisation de l’enseignement à l’aide de l’animation de séminaires métiers lors de leurs séances de cours en invitant des professionnels exterieurs qui vont partager leurs expériences, parler du profil réel demandé par les entreprises, de permettre à l’étudiant de donner davantage de valeur aux matières de son programme et de renforcer son réseau de connaissances. Une manière pour permettre aux étudiants de travailler leurs lacunes et de développer ainsi leurs compétences.

    En troisième lieu nous voudrions mettre les projecteurs sur l’importance d’une relation de proximité avec les étudiants. Une écoute active et une approche d’échange bilatérale vont renforcer leur taux d’engagement et donc leur capacité à suivre le cours et en tirer profit. Et là j’emprunte les paroles de Jules Michelet pour qui l’enseignement est une amitié.

    Donner des exemples concrets est toujours un plus pour renforcer les apports théoriques dans un cours académique, le favoriser par des visites aux entreprises sera bienveny pour compléter l’idée que peut se faire un étudiant du milieu professionnel, étant donné que nous avons tendance à oublier les paroles et à nous rappeler des preuves. Ces visites constituent donc la quatrième méthode dans notre quête d’une innovation éducative.

    « Tout être humain est un amalgame complexe formé de l’enseignement reçu, des  événements vécus et des prédispositions génétiques particulières à son clan, sa famille, son  pays, leurs traditions et leurs ancêtres » Alice Parizeau – 1930-1990 – Une Femme, 1991

    En conclusion, et comme j’ai l’habitude de dire, l’enseignement n’est pas un simple métier, il s’agit d’une vocation.

    Kaoutar Zaidane est professeure à l’ISGA.

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      Pourquoi ChatGPT n’est pas qu’une intéressante curiosité

      h16 · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 7 January, 2023 - 04:40 · 5 minutes

    Le 30 novembre 2022 est une date à garder en mémoire : c’est ce jour que ChatGPT est officiellement devenu accessible à tous.

    ChatGPT a été produit par OpenAI, une société créée en 2015 et qui s’est lancée dans l’intelligence artificielle. En janvier 2021, elle proposait déjà Dall-E , un modèle de traitement du langage entraîné sur un corpus de textes issus d’internet et capable de générer des images à partir de descriptions textuelles. À sa sortie, Dall-E a suscité beaucoup d’intérêt dans les médias et a été salué comme une avancée importante dans le domaine de la génération de contenu par ordinateur. Depuis, Dall-E a été rejoint par MidJourney ou StableDiffusion que j’ai déjà évoqués dans ces colonnes.

    Avec ChatGPT, la société fait là encore un bond en avant : basé sur un moteur précédent (GPT3.0) dont l’entraînement a été réalisé avec des millions de documents en ligne, cette nouvelle version (aussi appelée GPT3.5) est, elle, entraînée sur un corpus de conversations – avec évaluation active des réponses par des humains – et elle est maintenant capable de générer du texte de manière fluide et naturelle à même de simuler une conversation humaine. Le modèle est utilisé dans un certain nombre d’applications, notamment la génération de réponses automatiques pour les chatbots et la création de contenu pour les réseaux sociaux.

    Une application d’une puissance stupéfiante

    Ceux qui ont testé l’application ( en s’inscrivant ici par exemple ) ne pourront qu’admettre l’écart maintenant stupéfiant qu’il y a entre ChatGPT et les précédents robots d’interaction fournis par certaines entreprises pour s’éviter un service clientèle coûteux. Non seulement la conversation semble fluide mais les réponses sont pertinentes et à l’occasion le robot peut même faire preuve d’humour :

    Pour le moment, l’application n’est pas en réseau ouvert : les connaissances se basent sur des textes récupérés jusqu’en 2021 et le moteur n’a pas la possibilité d’aller directement sur internet pour accroître son savoir. On comprend qu’il s’agit d’une limitation arbitraire, même si les coûts de fonctionnement de cette application rendent impossible pour le moment une mise à l’échelle comme pour Google (qui offre une recherche pour des milliards d’utilisateurs tous les jours) ; on estime en effet que pour concurrencer Google de façon réaliste, ChatGPT devrait mobiliser des ressources informatiques avoisinant les 400 millions de dollars… par jour.

    Ceci posé, compte tenu du rythme actuel de développement de l’intelligence artificielle (rappelez-vous qu’une conversation cohérente et pertinente avec un programme informatique n’était pas envisageable il y a seulement 5 ans), il est raisonnable d’imaginer que peu d’années (moins d’une poignée) seront nécessaires pour atteindre ce niveau d’efficacité et d’optimisation : il est probable qu’en 2025, la classe moyenne dispose, au travers de son téléphone portable par exemple, d’un assistant personnel autrement plus malin qu’Alexa ou Siri, dans des proportions qui imposent la réflexion.

    Et 2025 arrive très vite. À tel point que peu mesurent la vitesse et l’impact de cette technologie sur notre vie quotidienne.

    Le précédent billet sur la réalisation d’images à partir d’une description sommaire avait déjà mentionné l’inquiétude grandissante des artistes devant ce qui apparaît maintenant comme un changement tectonique majeur. L’étape suivante, la production de vidéos à la volée, est déjà en cours de réalisation.

    Couplée avec d’autres techniques comme le deep-fake qui permettent de recréer intégralement des acteurs connus (attitude, jeu, intonation, visage), il ne fait aucun doute que le Hollywood des années 2030 n’aura absolument rien à voir avec l’actuel dont on sent qu’il vit ses derniers mois : les acteurs célèbres vont de moins en moins tourner et de plus en plus se contenter de négocier des droits sur leur visage, leur voix, leur personnalité s’ils en ont une et ce jusqu’au moment où ils seront retirés de l’équation. Après tout, à quoi bon payer des fortunes et supporter parfois les caprices de celui qui peut être remplacé avantageusement par quelques grappes de serveurs loués à tarif fixe en fonction des besoins ?

    Au-delà de cet aspect, d’autres professions vont devoir furieusement se remettre en question : comme on l’a vu, les modèles de traitement du langage actuels peuvent être utilisés de manière efficace pour générer du contenu de base ou pour effectuer certaines tâches de rédaction répétitives, mais ils ont encore du mal à comprendre le contexte et à produire du contenu original et créatif.

    Cela ne va pas durer et le journalisme actuel majoritairement fait de dépêches recrachées par les médias de grand chemin n’aura bientôt plus aucune valeur tant la production de ce genre d’articulets comme des saucisses industrielles est simple pour un moteur comme chatGPT (au passage, certains paragraphes de ce billet ont d’ailleurs été générés par le moteur).

    Que peut-on attendre de cette technologie ?

    Petit à petit, des sociétés vont proposer de gros moteurs fournissant une base capable de comprendre 95 % des requêtes des utilisateurs, le contexte humain indispensable (la plupart des concepts que nous utilisons quotidiennement de façon naturelle et qui permettent à nos conversations et nos besoins de s’exprimer de façon efficace), et d’autres entreprises se chargeront de fournir des briques adaptées à des traitements spécifiques : actualité, droit, mathématique, physique, médecine, biologie, etc. Ces briques seront probablement spécialisées à des niveaux plus fins encore pour correspondre à des besoins toujours plus pointus (depuis le droit civil ou le droit commercial en passant par la médecine nucléaire ou la médecine du sport, jusqu’aux différents domaines de mathématiques).

    Vraisemblablement, certaines professions (très nombreuses, surtout intellectuelles au début) vont avoir du souci à se faire très rapidement (et on parle ici d’un horizon à cinq ans, peut-être dix mais pas plus) et il n’y a aucun doute que les gouvernements seront de toute façon bien trop lents pour comprendre et réagir à ce qui va arriver.

    Le 30 novembre dernier, le monde a complètement changé.

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      La notion de « génération Z » entrave l’intégration des jeunes sur le marché du travail

      The Conversation · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 28 October, 2022 - 02:40 · 8 minutes

    Par Marc Loriol.

    Classer les salariés en « générations X, Y, ou Z » pose question. On s’aperçoit bien vite qu’il n’y a pas d’accord sur les limites chronologiques ou sur les qualités et défauts supposés de chaque génération : vivre à une même époque ne suffit pas à définir une expérience commune à toute une classe d’âge et les enquêtes empiriques vont à l’encontre des clichés sur une supposée spécificité des jeunes générations. Les boomers se sont, par exemple, vus reprocher dans les années 1970 certains traits communs avec ceux attribués aujourd’hui aux générations Y ou Z.

    Des travaux sociologiques ont déjà tenté de rendre compte des conflits entre générations sur un lieu de travail, comme ceux de Stéphane Beaud et Michel Pialoux dans les usines de Sochaux-Montbéliard. Dans l’industrie, une partie des ouvriers nés après la Deuxième Guerre avaient tenté en leur temps d’autres expériences de travail et la plupart n’ont pas voulu que leurs enfants deviennent ouvriers. Le contexte culturel post 1968 et, localement, les changements organisationnels et les fermetures d’usines, expliquent en partie leur déception face au travail et des relations difficiles avec les plus jeunes générations, parfois plus diplômées que leurs pairs avec la création du baccalauréat professionnel.

    Ces travaux, à la suite desquels nous inscrivons les nôtres , montrent aussi que les conflits entre générations découlent souvent des politiques de ressources humaines. Alterner des phases sans embauches de jeunes , puis de recrutements précaires, traiter différemment jeunes et anciens, les séparer voire les opposer, penser que le diplôme peut remplacer l’expérience et tout un tas d’autres pratiques conduisent à la méfiance, une moindre transmission du métier et à un accroissement des divergences.

    Si enfermer tous les jeunes sous une même étiquette peut, certes, fournir un outil de gestion pratique, cela reflète mal la diversité des situations ni la complexité des processus qui façonnent le rapport au travail . Il ne faudrait pas oublier de prendre en compte les parcours individuels ainsi que l’importance de la transmission d’un métier et de l’intégration au sein du collectif de travail pour donner un sens aux efforts consentis au quotidien.

    Effet de parcours ou de génération ?

    Le rapport au travail est notamment structuré par la position sociale. Les jeunes peu diplômés des régions touchées par le chômage soulignent plus que les autres l’importance d’avoir un emploi , et cela vaut aussi bien pour les générations X, Y ou Z. Les plus diplômés ont, eux, davantage de marges de manœuvre pour expérimenter et trouver l’activité qui leur convient.

    Des études longitudinales (qui suivent les mêmes personnes dans le temps) montrent, en outre, que les priorités peuvent évoluer avec les premières confrontations au monde du travail. Lors de la recherche d’un premier emploi beaucoup souhaitent trouver un travail qui a du sens à leurs yeux, qui correspond à un domaine qui les passionne ou qui offre de bonnes rémunérations. Au bout de 3 à 5 ans ils mettront plutôt en avant la bonne ambiance de travail ou la recherche d’un équilibre, comme premier critère d’un emploi satisfaisant. C’est là plus un effet de trajectoire que de génération.

    La socialisation professionnelle plus ou moins aboutie au sein d’un collectif de travail doit permettre de justifier ou non les efforts consentis et de construire puis d’entretenir l’intérêt pour une activité particulière. Deux illustrations issues d’entretiens informels pour une enquête en préparation sur le rapport au travail dans les entreprises des technologies de l’information et de la communication en témoignent.

    Moments de changements

    Un jeune ingénieur UX designer (il a pour mission de diminuer au maximum les questions que peut se poser l’utilisateur d’un site Internet) a fait plusieurs stages dans des start-up. S’il en a apprécié l’ambiance, il déplorait l’absence de contacts avec d’autres personnes exerçant la même activité ainsi qu’un manque d’organisation. Des appels d’offre sur lesquels l’équipe avait beaucoup travaillé ont, par exemple, été manqués suite à un dépôt trop tardif.

    Pour son premier poste, il a ensuite choisi une entreprise qui propose des services numériques aux amateurs et collectionneurs de bandes dessinées. Pourtant lui-même passionné par le neuvième art, il découvre que là encore son travail reste peu reconnu. Ses projets sont systématiquement critiqués par le créateur de l’entreprise qui finit cependant par les adopter, faute d’alternatives techniques viables. D’autres tâches (de marketing, de saisie) occupent une part croissante de son temps. L’absence de progression dans son métier le conduit à douter de ses choix de carrière.

    Il démissionne alors pour intégrer la filiale spécialisée en UX design d’un grand groupe. Le travail sur de gros projets, avec d’autres UX designers ayant des expériences et formations différentes, lui permet de renouer avec son intérêt initial pour la spécialité. Il n’envisage plus de changer de travail.

    L’autre exemple est celui d’un Français parti à 19 ans étudier dans une capitale étrangère. À cause de l’épidémie liée au coronavirus, il n’a pas pu faire de stage dans son cursus. Après sa licence, pour connaître le monde du travail et gagner un peu d’argent, il se fait embaucher par une plate-forme de livraison de repas pour laquelle il doit gérer, depuis l’étranger, les livreurs français. Pris en charge par une collègue expérimentée il apprend vite et est bien noté.

    La capacité de ses collègues plus âgés à jongler avec plusieurs écrans d’ordinateurs tout en maintenant une bonne ambiance dans l’équipe et avec les livreurs l’enthousiasme. Il peut donner du sens à son travail en trouvant des moyens d’arranger la vie et le travail des livreurs qu’il apprécie.

    Toutefois, arrive le moment ou pour augmenter la rentabilité, l’entreprise restructure le service et les algorithmes. Ses collègues les plus expérimentées trouvent d’autres emplois et les marges de manœuvre avec les livreurs disparaissent. Plusieurs salariés du service se mettent en arrêt pour burn-out. La reprise d’un master devient alors un moyen de fuir cet emploi devenu sans intérêt.

    Un âge de transition

    La jeunesse comme âge spécifique entre l’adolescence et l’âge adulte est une construction récente comme l’expliquent les travaux du sociologue Olivier Galland. Elle a d’abord concerné les hommes de la bourgeoisie qui, au XIX e siècle, quittaient leur famille pour les études. Ce temps de liberté, d’expérimentation des idées, du mode de vie, de la sexualité, questionnait peu le futur travail, déterminé par les études et l’origine familiale.

    À partir des années 1960, ce modèle va peu à peu se démocratiser avec l’extension des études supérieures. Les transformations structurelles du marché du travail (moins d’ouvriers, plus de professions intermédiaires et de cadres), l’apparition de nouvelles filières et de nouveaux métiers et, à partir de la fin des années 1970, la montée du chômage, font que la recherche de soi et l’interrogation sur l’avenir se portent de plus en plus sur la carrière envisagée. La plupart des jeunes salariés doivent passer par une période de précarité plus ou moins longue suivant le diplôme.

    La promesse d’un emploi stable et d’une progression de carrière en contrepartie de la docilité et d’un fort investissement au départ se révèle de plus en plus illusoire. La situation que vivent les nouveaux entrants sur le marché du travail est paradoxale : avec moins de repères que leurs aînés ils doivent trouver leur voie et faire leur place, alors même que la stabilité professionnelle et les collectifs de travail capables de transmettre un métier font plus souvent défaut .

    En réaction, certains jeunes peuvent développer un rapport au temps paradoxal. Alors qu’ils savent par expérience, notamment les plus modestes, qu’un CDI reste indispensable pour faire des projets à long terme (développer un métier, fonder une famille), certains craignent de s’enfermer trop précocement dans une voie dont ils ne perçoivent pas l’intérêt .

    Ceux qui en ont les moyens peuvent alors multiplier les expériences d’emploi et de formation. D’autres, à qui ne sont proposés que des emplois sans intérêt et mal payés, finissent par concevoir l’intérim comme un moyen de gagner un petit peu plus d’argent et de temps pour des activités plus valorisantes. Cette période reste toutefois vécue comme transitoire , jusqu’au moment où l’on pourra enfin trouver sa place.

    Catégoriser et traiter chaque âge en fonction de clichés pas toujours validés par l’observation peut ainsi opposer les salariés, empêcher la coopération entre les âges et finalement rendre l’intégration des jeunes plus difficile. Il semble que ce ne soit pas un baby-foot ou des journées de bénévolat offertes à des associations qui vont fidéliser les jeunes entrants, mais la transmission d’un métier et la construction collective d’un sens positif au travail .

    Marc Loriol , Directeur de recherche CNRS, sociologue, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

    Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’ article original .

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      Comment mesurer le chômage et le travail au XXIe siècle ?

      Didier Cozin · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 23 February, 2021 - 03:40 · 10 minutes

    le chômage

    Par Didier Cozin.

    « Quand ton voisin perd son emploi, c’est une récession. Quand tu perds le tien c’est une dépression ». Harry Truman, 1884-1972, ancien président des États-Unis

    La société industrielle a tout catégorisé et figé

    La société industrielle a tout catégorisé et figé : le travail, les travailleurs comme le chômage. Depuis des dizaines d’années les politiques économiques prétendent faire de l’emploi et du PIB les indicateurs principaux de la santé économique du pays.

    Les partis politiques tout comme les médias s’affrontent sur la question des chiffres du chômage : y a-t-il en France 3 ou 6 millions de chômeurs, la France a-t-elle perdu des emplois ou « gagné » des chômeurs en 2020 ? Faut-il encore se référer aux indicateurs traditionnels que ceux-ci soit produits par l’ INSEE , la DARES ou le BIT (Bureau International du Travail) ?

    Ces questions clivantes orientaient jadis les programmes et les choix politiques : les keynésiens estimaient que l’intervention de l’État était majeure dans la création d’emploi (de là le « quoi qu’il en coûte » présidentiel de mars 2020) et les libéraux qui pensaient que le marché faisait la différence (entre les entreprises comme entre les travailleurs).

    Ces anciens baromètres de l’emploi (sous-entendu salarié) pourraient désormais être bornés, et dépassés au sein d’une économie devenue celle de l’information, de la connaissance mais aussi celle des disruptions et des bouleversements de l’ancien monde.

    Aujourd’hui le travail est changeant

    Dans notre nouveau monde post-industriel le travail change sans cesse de formes, de lieux, de nature, d’acteurs ou de modes de réalisation.

    Désormais le travail est tout à la fois fortement dématérialisé (même le déménageur qui transporte des meubles trouve ses clients, son matériel et ses personnels sur le réseau) et très coûteux (il est moins cher d’acheter des robots ou un service sur Internet que d’employer des salariés mensualisés).

    Il est aussi complexe (300 000 textes de lois et codes encadrent et enserrent la totalité des actions et du travail de nos concitoyens) et furtif (le travail change et mute, les travailleurs n’ont plus un emploi pour la vie, la plupart des startups disparaissent avant leur troisième anniversaire, une petite entreprise (sur)vit en moyenne 7 ans, les grandes entreprises sont sans cesse challengées ; tous les constructeurs automobiles réunis, souvent centenaires, valent moins en bourse que l’unique entreprise TESLA.

    Dans cette économie nerveuse, exigeante, mobile et furtive la carrière d’un salarié pèse très peu. Le travailleur du futur changera 10 ou 20 fois d’entreprise, de métier ou de statut et dans ces conditions nos anciens répertoires, classifications et qualifications n’ont plus guère de sens.

    Le travail traditionnel pourrait fuir à mesure que notre modèle social prendra l’eau.

    Les internautes, des milliards de nouveaux travailleurs cachés… et très rentables

    Autrefois les hommes chassaient, cultivaient, extrayaient ou transformaient la matière, puis ils apprirent à manipuler des formulaires-papier. Désormais l’information est numérique (image, son, textes, interactions sociales) et l’humain surfe, achète, revend, échange, polémique, traduit, collabore, spécule ou se distrait.

    Sur Internet chacun d’entre nous laisse des traces, ces empreintes numériques (encore nommées identité numérique) les GAFAM et de nombreuses licornes trop rarement européennes les collectent, les organisent et les commercialisent et nous œuvrons tous à leur prospérité.

    Ces milliards d’heures passées dans la galaxie Internet sont du travail, elles créent de la richesse, de l’information, des données exploitables grace à l’intelligence artificielle.

    L’internaute, que celui-ci soit simple badaud-consommateur, professionnel de la communication ou utilisateur compulsif, contribue à la production de données massives, appelées big data .

    Ces données constituent un travail qui n’est pas directement rémunéré mais qui crée de la richesse sans que les États soient capables de le comptabiliser, de le chiffrer ni évidemment de le taxer.

    Une législation et une organisation qui n’ont pas évolué

    Notre travail a muté au XXIe siècle mais ni son organisation ni sa législation ni sa comptabilisation n’ont évolué en France.

    Le « modèle social » français est d’abord un retardant (un retardataire) ; il ne vise pas tant à l’adaptation permanente au monde actuel qu’à en ralentir le rythme. En France il faut de longs mois, voire des années, avant qu’un projet de loi soit élaboré, discuté, voté puis appliqué, cette vitesse (acquise au temps de la vapeur) n’est plus celle des électrons et du village planétaire.

    À peine une règlementation, une loi ou un programme est-il imaginé et conçu qu’il ou qu’elle est déjà dépassé, obsolète, impossible à appliquer ou même à améliorer.

    Le travail est devenu furtif, notre modèle administratif et social est captif.

    Le travail désormais peut être réalisé par tous (des amateurs comme des professionnels) en tout lieu (à l’autre bout de la rue comme à l’autre bout du monde) et à tout instant (le jour, la nuit, le dimanche…) mais ce travail qui mute comme jamais, plus encore que pendant la Révolution industrielle du XIXe siècle, reste en France à la fois enserré dans un carcan (le contrat de travail, le lien de subordination, le Code du travail avec ses 2000 pages) et conventionnel : le travail reste en France vécu comme pénible, réalisé dans des lieux spécialisés, entraînant douleurs et plaintes face à un temps libre promu au rang de paradis sur Terre.

    Le chômage de masse a démarré il y a 50 ans en France

    La productivité de la maison France s’est affaissée à chaque crise depuis l’après-68

    • Après les accords de Grenelle de 1968 (augmentation des salaires de 10 % et du SMIG de 30 %) de nombreuses entreprises furent déstabilisées et de nombreux emplois furent définitivement perdus,
    • En 1977, quatre ans après le premier choc pétrolier, le pays atteint un million de chômeurs,
    • En 1982 la France socialiste comptabilisa son deuxième million de chômeurs,
    • En 1993 sous le gouvernement Bérégovoy le troisième million de chômeurs fut atteint,
    • En 2020 en fonction des indicateurs ou des catégorisations la France oscillerait entre 3 et 6 millions de chômeurs avec près de 10 millions d’adultes insuffisamment occupés (temps partiel subi, contrats précaires, études à rallonge, stagiaires perpétuel de la formation continue, les préretraités (des retraites maison dès 60 ou 62 ans).
    • Fin 2021, sous le coup d’une crise (que personne ne veut encore définir comme une dépression) nous pourrions compter de 1 à 1,5 million de chômeurs supplémentaires.

    Pour réduire ou plutôt cacher ce chômage bien plus structurel que conjoncturel, la France inventa dans les années 1980 le traitement social du chômage
    Plutôt que de développer ou au moins de conserver notre compétitivité, le socialisme des années 80 offrit du temps libre, il torpilla la productivité et l’attractivité du pays  : retraite à 60 ans, cinquième semaine de congés payés, 35 heures… Pour masquer notre faible productivité on inventa le traitement social du chômage :

    • Des études généralisées et à rallonge, même sans débouchés, des universités transformées en asiles pour jeunes dilettantes,
    • Des stages parkings (occupationnels) longs pour les chômeurs (un chômeur en formation ne cherche plus officiellement un travail),
    • Des retraites prématurées et des pré-retraites (laissons la place aux jeunes) pour les seniors dès 55 ou 60 ans (une vie active désormais dure à peine 30 années).

    Notre pays n’est plus compétitif ni attractif

    En développant sans mesure ni réflexion globale notre droit social et le temps libre nous avons réduit la compétitivité de notre pays et son attractivité.

    Durant des siècles (depuis Colbert au moins) notre pays s’était protégé des productions étrangères et donc de la concurrence en fermant ses marchés, en protégeant ses productions quitte à les subventionner, ou en instituant des quotas ; jusqu’en 1971 les appareils électroniques made in Japan étaient presque interdits d’importation.

    L’art de vivre à la française pouvait attirer les touristes du monde entier mais au temps du Covid et du réchauffement climatique les choses pourraient durablement changer.

    Il faut cesser de surprotéger

    Au XXIe siècle pour bâtir une résilience collective et individuelle il faut cesser de surprotéger.

    L’Europe construite depuis le traité de Maastricht est libérale et ouverte. Elle a fait du marché libre et non faussé et des compétences (sommet de Lisbonne) ses moteurs et son axe majeur de développement.

    Les Français, trop protégés et refermés dans leurs frontières culturelles et sociales se sont pris les pieds dans les tapis européens et de la mondialisation : exposés à la concurrence ils réclament sans cesse de nouvelles aides et subventions (23 milliards d’Euros pour la seule PAC française) car ils ont mis tous leurs œufs dans un même panier : celui de l’État et d’institution éducative comme l’école publique.

    Nous n’arrivons pas à fournir les efforts de plus en plus considérables pour nous remettre à niveau, apprendre tout au long de notre vie ; la formation continue reste et restera marginale tant que nous ne travaillerons que sur l’indemnisation et la réparation plutôt que sur la prévention des déclassements professionnels.

    La concurrence améliore les produits et les services mais déstabilise les chasses gardées. En refusant pendant des décennies de se confronter aux marchés internationaux et à ce concept de concurrence honni par certains, de changer leurs modèles éducatifs, économiques et sociaux les travailleurs et entreprises français sont désormais déstabilisés par la vitesse et la profondeur du changement.

    À quoi bon comptabiliser le taux de chômage si le travail n’est plus salarié ?

    Les concepts de main-d’œuvre, de plein emploi, datent de l’après-guerre. L’ANPE, devenue pôle emploi en 2008 n’a plus guère de sens ni d’intérêt aujourd’hui, tout en étant très coûteux.

    Aujourd’hui le travail comme l’emploi ont muté. Il n’y a plus guère de cases vides à remplir (un employé en face de chaque emploi), l’adéquationnisme ne peut plus fonctionner car le monde change trop vite et c’est à chacun de créer les conditions de son (ses) activité(s), de son développement économique, de son employabilité, bien loin des concepts classiques de qualifications ou de statuts.

    Changer ou s’effondrer

    La France et les Français vont devoir opérer des choix douloureux pour épouser le siècle, les bouleversements induits sur une planète aux ressources limitées, surpeuplée et chavirée par le réchauffement climatique, les pandémies (liées en partie à ce réchauffement) ou à la fin de la suprématie occidentale.

    Notre société ne pourra plus faire reposer tout son social sur les entreprises et l’emploi (à vie) salarié. Il va falloir tout à la fois augmenter les impôts des particuliers, baisser nos frais généraux, mieux traiter les entreprises, réduire l’emprise et les périmètres des administrations, libérer les métiers, les études, les carcans professionnels tout en faisant évoluer les concepts de contrats de travail, de cotisations sociales, de reversements ou de redistribution.

    Sans cette remise à plat, notre « modèle » social pourrait se dissoudre à très brève échéance, n’être plus que des créances douteuses dans un pays musée des traditions ouvrières des XIXe et XXe siècle.