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      Finance : des remontées du marché étonnantes

      Karl Eychenne · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 6 December, 2022 - 03:40 · 2 minutes

    Je ne sais pas si c’est encore la peine d’écrire à ce sujet.

    Que les marchés montent ou baissent, puis remontent, etc., ne surprend plus personne. Mais moi je reste surpris. Qui s’étonne encore que les marchés s’étonnent n’a décidemment rien compris à la finance. Je n’ai donc rien compris à la finance .

    L’investisseur s’étonnera toujours de ce qu’il voit ou entend, ânerie ou pas. L’investisseur c’est un peu Richard Anconina dans Itinéraire d’un enfant gâté . Jean-Paul Belmondo a beau le prévenir qu’il va lui balancer une absurdité, Richard ne peut s’empêcher de s’étonner : « C’est étonnant, mais cela ne doit pas t’étonner ». Sauf que ça l’étonne quand même. C’est plus fort que lui. L’investisseur s’étonne du moindre chiffre, mot, ou geste. L’hystérie n’est jamais très loin, le rut ou le désespoir sont aussi convoqués parfois.

    Pourtant, je ne me résous pas à l’hébétude des marchés. Je récuse l’éternel émerveillement de l’investisseur face à l’évènement. Je n’accepte pas ce statut d’éternel innocent. Comme inapte à la sagesse, il échouerait invariablement à apprendre de ses errements passés, condamné à l’acte manqué ? Impossible.

    Et pourtant et pourtant, il faut vraiment que je me fasse une raison. J’ai tout essayé, la rationalité limitée , la théorie des perspectives , les narrative economics , l’ exubérance irrationnelle , voire même de variations rationnelles des primes de risque … Après tant d’années, la seule conclusion qui me semble évidente c’est qu’il n’y en a pas. Les conditions de possibilité d’un discours cohérent sont quasi-nulles en vérité. Les théoriciens de la finance sont réduits à garder le temple, juste des vestales qui tentent de justifier le son par du sens. Il ne faut pas chercher à percer le mystère car il n’y a rien derrière le rideau.

    Nulle critique complotiste envers un scientisme excessif, juste une tentative de remettre les choses à leur place. La science éclaire ce qui est obscur, pas l’invisible. Or, il se pourrait bien que la finance de marché fasse davantage preuve d’absence d’intelligibilité que de manque d’éclaircissement.

    Et c’est peut-être tant mieux pour qui est à la recherche de sensations fortes comme l’ investisseur ! En effet , « On ne répètera jamais assez, après monsieur Homais, que la science est décidément admirable bien qu’elle n’ait guère inventé de jouissances nouvelles ». Que la science échoue à produire un discours intelligent sur le sujet autorise alors tous les errements en termes de mouvements de marché. L’investisseur est déclaré débile, sauvage, incalculable.

    Ainsi donc, la morale de mon histoire de la finance est donc qu’il ne faut surtout pas s’étonner.

    Ne pas s’étonner de ces investisseurs qui s’étonnent puisque c’est dans leur nature. Il ne faut pas nous étonner du spectacle qu’ils nous donnent à voir.

    Il ne faut pas tomber dans le même piège que Fouquet :

    « Le Roi fut étonné, et Fouquet le fut de remarquer que le Roi l’était », récit de madame de La Fayette . Que le Roi s’étonne n’aurait jamais dû étonner Fouquet puisque le Roi s’étonnait de tout.

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      Robinhood, vraiment un Robin des bois ?

      Philippe Alezard · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 20 February, 2021 - 03:50 · 12 minutes

    Par Philippe Alezard.

    Robin des Bois est de retour, et avec lui, une armée de petits porteurs qui va s’en prendre aux usurpateurs du pouvoir financier, au Jean Sans Terre des marchés, les fonds d’investissement vendeurs à découvert. Robinhood et son armée de hors-la-loi, les WallStreetBets , WBS, vont ridiculiser le nouveau shérif de Nottingham, à savoir WallStreet. C’est MainStreet contre WallStreet.

    Robinhood créée en 2013 est une plateforme de trading qui souhaite démocratiser l’accès aux produits financiers par le biais d’un outil extrêmement simple, gratuit, et accessible via un téléphone portable. On reviendra plus loin sur ladite gratuité du service. L’objectif est de réunir un maximum de petits porteurs. Ceux-ci pourront se voir offrir l’opportunité d’acheter tout type d’action ou d’option grâce au trading on margin.

    Pour le client, le trading sur marge consiste en l’ouverture d’un compte de marge avec lequel il va payer seulement un pourcentage de l’actif qu’il souhaite acheter. Il emprunte la différence à son broker , en l’occurrence Robinhood, qui de fait, agit comme un préteur et l’actif détenu agit comme le collatéral de sécurité. C’est l’effet de levier qui permet de multiplier les gains mais également les pertes.

    C’est la qu’interviennent les fameux appels de marge quand l’actif prend le sens contraire de votre « pari ». Dans ce cas, pas d’autres choix que de créditer à nouveau le compte de marge ou de sortir à perte son achat.

    Robinhood sur Reddit

    Reddit est un site web communautaire partageant tout type d’actualité par le biais de forum, des subreddits , dont l’un des plus actifs actuellement, visant à lutter contre des marché financiers et leurs spéculateurs, est WallStreetBets (WSB).

    Avec la pandémie du covid et les confinements, Robinhood et WallStreetBets ont connu une progression en miroir avec chacun plus de trois millions d’utilisateurs supplémentaires. Selon une étude de Envestnet Yodlee une grande partie du fameux Stimmy Check, chèque de stimulus de 1200 dollars versé par le gouvernement américain, s’est retrouvée massivement investie sur les marchés financiers et en grande partie par le biais de Robinhood, qui est devenu le bras armé de WSB.

    Sur la base des derniers chiffres publiés en juin 2020, Robinhood comptait 13 millions de clients, et était devenu le premier broker américain, loin devant les anciens leaders, avec une moyenne journalière de 4,3 millions de trades . MainStreet va pouvoir prendre sa revanche sur WallStreet. Les 99 % vont enfin pouvoir prendre le pouvoir des fameux 1 %. La communauté WSB a une cible, les fonds vendeurs à découvert et s’est donné un objectif noble : sauver Gamestop .

    L’action Gamestop s’envole

    Gamestop, fin 2020, ce sont un peu plus de 5500 magasins de ventes de jeux-vidéo, contre 7535 fin 2017, dont 413 en France sous l’enseigne Micromania. Pour la petite histoire, la France est le pays le plus important en nombre de magasins pour la société, hors États-Unis.

    L’enseigne passe de 23 000 employés en 2017 à 14 000 en 2020. Le chiffre d’affaires est en baisse chaque année et le résultat d’exploitation négatif. Le business model souffre face aux plateformes de jeux en ligne et face aux ventes en lignes et semble, si ce n’est voué à l’échec, bien mal en point. Donc logiquement, un certain nombre d’acteurs, dont c’est le métier, s’était positionné à la vente sur le titre. Parmi eux, Citron Capital et Melvin.

    Les risques du short selling , la vente à découvert, sont infinis contrairement à un achat. Un titre que vous achetez 20 dollars, ne peut perdre au maximum que 20 dollars, mais a contrario, peut monter, en théorie, à l’infini. Ce risque impose aux vendeurs à découvert de couvrir ce risque en rachetant leur position à un niveau défini ou en en achetant des options d’achats. J’ai déjà eu l’occasion de définir les bénéfices et inconvénients de la vente à découvert ainsi que l’intérêt pour le marché.

    La communauté WSB veut forcer ces vendeurs à découvert à perdre beaucoup d’argent en les forçant à se racheter. Par le biais de Robinhood, elle se met à acheter massivement le titre Gamestop, notamment par le biais d’option d’achat, ce qui amplifie d’autant plus les achats sur le titre Gamestop. Le 22 janvier, ce sont plusieurs millions d’acheteurs qui entrent simultanément dans le casino avec l’argent public distribué par le gouvernement américain. L’action Gamestop s’envole de 42 dollars à 150 dollars en deux séances.

    Elon Musk à la rescousse

    Le mercredi 27 janvier, les WSB trouvent un soutien de poids, Elon Musk , dont la haine envers les vendeurs à découvert n’est plus à démontrer. Par un simple tweet, Gamestonk, il fait exploser le titre qui va coter un plus haut à 483 dollars le jeudi 28 janvier. Il faut dire que l’excentrique patron de Tesla est un grand spécialiste du genre, s’amusant à faire exploser les cours du dogecoin, du bitcoin et malgré lui de Signal.

    Dès le 21 janvier Citron Capital a jeté l’éponge dans la bataille, laissant au passage quelques belles plumes. Autres acteurs fortement impactés, Robinhood lui-même qui s’est trouvé pris à son propre piège. Car l’histoire est bien plus complexe que ce que pouvaient imaginer les militants de WSB. Robinhood est une plateforme de trading mais pas un market maker. Pour accéder à la place boursière du NYSE, New York Stock Exchange, Robinhood doit passer par un market maker.

    Robinhood et Citadel

    En l’occurrence il s’appuie sur Citadel, un des principaux market maker mondiaux et actionnaires de Melvin. Ce même Melvin, vendeur à découvert de Gamestop, qui devra être recapitalisé par Citadel, à hauteur de 2,5 milliards de dollars.

    Robinhood, comme toute société a besoin de revenus pour vivre. Or le trading sur sa plateforme est dit gratuit. Tout le monde sait que lorsque un service est gratuit c’est que l’utilisateur du service est le produit. Rappelons nous que le service « offert » est le trade sur marge. Les sources de revenu pour Robinhood sont directement liées à ce type de trading .

    La première de ces sources est le taux d’intérêt appliqué aux emprunts pour acheter l’actif. C’est un écart qui est appliqué entre le vrai prix de l’action coté sur le marché et le prix auquel va l’acheter le client Robinhood. Ce que l’on appelle le spread .

    Ensuite, puisque le client ne possède qu’une partie de l’actif, l’actif lui-même est détenu par Robinhood qui peut le prêter, moyennant un intérêt, aux hedge funds ou toute autre investisseur qui souhaite le vendre à découvert, drôle d’ironie.

    Robinhood offre un abonnement premium, qui constitue une source supplémentaire de revenu.

    Et enfin, nous sommes dans le monde du numérique et du big data. Les millions d’utilisateurs de la plateforme passent des millions d’ordres d’achats et de vente d’action et d’options. Robinhood vend ce flux aux market makers , comme Citadel et autres fonds de trading haute fréquence.

    Les robots de ceux-ci vont l’analyser, le décrypter afin d’en extraire un comportement et ces mêmes robots vont se placer quelques millièmes de seconde avant afin de tenter d’anticiper la demande. Ces millions d’aller-retour de quelques centimes par jours font des milliards de dollars à la fin du mois.

    Selon le Wall Street Journal , Citadel aura été le principal gagnant de l’affaire Gamestop. 30 % des flux de trading sur Gamestop ont été traités par Citadel. Autant dire que la société pouvait facilement recapitaliser Melvin.

    En apportant sur le marché ces millions d’ordres, les WSB vont faire s’envoler la volatilité intraday et implicite. Et là, vont entrer en jeu tous les fonds spécialisés dans l’arbitrage et la gestion de cette volatilité. D’un autre coté ces mêmes WSB achetant des millions d’actions ou d’options Gamestop vont par ailleurs créer un risque de contrepartie. Il n’y aura peut-être pas assez de vendeurs au moment de la livraison des actions.

    Robinhood doit se protéger quand il perd de l’argent

    C’est là qu’interviennent les appels de marges. Les volumes d’actions mis en jeu pour la livraison quotidienne ainsi que la volatilité de celles-ci, font que Robinhood fait face à un manque de liquidité le soir lors de la compensation. Alors Robinhood veut bien être Robin des Bois tant qu’il gagne de l’argent, mais quand cela risque de le mettre en péril, l’histoire est tout autre.

    Il doit se protéger, et pour cela pas d’autre solution que de limiter les achats de ses clients. Le 28 janvier, la communauté est informée que l’accès aux titres Gamestop est suspendu. Dès le 21 janvier l’action passe dans la journée de 483 dollars à 161 dollars.

    Une fois encore, les premiers gagnants, et surtout les gagnants à coup sûr, sont le market maker , Robinhood et les fonds qui étaient investis sur le titre Gamestop, qui eux, connaissent et maitrisent les règles de WallStreet. Certes de nombreux WSB ont gagné dans cette opération, mais d’autres ont perdu beaucoup d’argent ou vont en perdre encore beaucoup. À l’heure où j’écris cet article, l’action Gamestop vaut 50 dollars. Que vont devenir tout ceux qui, dans l’euphorie ont acheté à 200, 250 ou 400 dollars ?

    Comme son nom l’indique l’industrie financière est une industrie, avec ses règles, ses codes, sa régulation. C’est avec le nucléaire et le domaine de l’aérien probablement l’industrie parmi les plus réglementées au monde. Elle n’est ni bonne ni mauvaise, il n’y a pas, d’un côté les gentils et de l’autre les méchants. Ce n’est pas le lieu pour des insurrections ou autre révolutions.

    Vouloir à tout prix, faire s’envoler Gamestop, Balckberry, Nokia et quelques autres sociétés cibles de WBS, n’a strictement aucun intérêt pour lesdites sociétés. L’intérêt est purement spéculatif pour WBS et par conséquent bien singulier comme démarche pour dénoncer cette même spéculation.

    Gare aux pompiers pyromanes

    Il y a des régulateurs, des faiseurs de lois que nous élisons démocratiquement. C’est à ce niveau que la finance doit être règlementée et jugulée si nécessaire. Mais gare aux pompiers pyromanes. C’est le politique qui fait l’économique, et c’est l’économie qui influe sur la finance et non l’inverse. Or, depuis des années le politique a démissionné de sa fonction en choisissant la facilité du whatever it takes ou du quoiqu’il en coûte.

    Certes, la pandémie méritait un traitement économique et financier spécifique, du fait de la mise en confinement de toutes les activités, mais les torrents de liquidités viennent hypertrophier des actifs qui lévitent déjà dangereusement en bulles. Les marchés financiers ont perdu toute notion de valeur, toute rationalité. La théorie de l’efficience du marché, chère à Eugène Fama , est définitivement obsolète.

    C’est devenu un immense casino ouvert à tout type de pari, pris en fonction de tels ou tels tweets. Les transactions sont déconnectées de la valeur sur laquelle portent ces transactions. Alors que l’économie mondiale connaît son plus fort ralentissement, le cours de toutes les matières premières explosent par rapport à leurs prix d’avant crise : le pétrole, l’or, l’argent, le cuivre, mais également le coton, le café, le soja, le blé. Tous les indices boursiers battent records sur records.

    L’effet Cantillon confirmé

    L’hélicoptère monnaie budgétaire américain a permis une fois de plus de confirmer l’effet Cantillon . L’inflation se loge au plus près de l’injection monétaire.

    Cette affaire Robinhood, Reddit, est très révélatrice de l’ère dans laquelle nous sommes projetés. Une ère où Darwin et Schumpeter n’ont plus de place. Les économies de tous les grands pays se sont figées il y a maintenant plus d’un an.  Depuis 2008, elles étaient déjà sous respirateur monétaire.

    La pandémie a pérennisé cet état végétatif. Personne n’osera débrancher les perfusions. Pire, chaque jour on augmente les doses de dollars ou d’euros.

    Madame Lagarde, d’un coté, parle de bazooka monétaire, et du coté du président Biden, fraichement élu, les enchères sont ouvertes. Ce n’est pas 3 %, 5 % ou 7 % mais c’est l’équivalent de 9 % du PIB qui se déversera sur les États-Unis avec toujours les mêmes effets, le creusement des inégalités.

    Ce creusement des inégalités, cette ségrégation entre ceux ayant accès aux richesses et les autres se cristallisent sur les réseaux sociaux. Les institutions, les gouvernements, les démocraties ont déjà été mis à mal, les garde-fous ont tous sauté les uns après les autres. Malheureusement, les femmes et hommes politiques usent et abusent de ces réseaux.

    Durant les quatre dernières  années, Donald Trump a répandu ses fake news à longueur de journée. Quand Robinhood suspend l’accès au marché, Elisabeth Warren et Bernie Sanders sautent sur l’occasion traitant le marche et l’économie de rigged game . Le domaine de la finance qui se pensait peut-être à l’abri ne l’est plus. Une communauté, un influenceur peuvent déstabiliser un système dont l’équilibre est déjà plus que précaire.

    La science, la raison doivent reprendre la place qui est la leur. Celle de pilier du développement. Elles ont montré qu’elles pouvaient vaincre en quelques mois un ennemi planétaire qui s’en prenait à toute notre espèce. Elles devront être accompagnées et encadrées par le politique qui devra également retrouver la raison et le courage de mettre fin à des années d’errements économiques afin de donner l’impulsion nécessaire à une juste répartition des richesses.

    Cet article a été publié une première fois sur le site de l’Institut Sapiens .

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      GameStop ou GameOver ?

      Jean-Jacques Handali · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 17 February, 2021 - 04:00 · 4 minutes

    finance

    Par Jean-Jacques Handali.

    Depuis qu’un groupe de petits investisseurs a fait perdre plusieurs milliards de dollars à des Hedge Funds , certains se demandent si une nouvelle force n’est pas en train d’émerger à Wall Street. La presse financière loue leurs prouesses, et il est désormais impossible pour ces communautés de particuliers d’échapper à leur quart d’heure de célébrité.

    Leur cible ? GameStop dont le prix a été multiplié par 26 en un mois, passant de 18 à 480 dollars ! La presse est toujours friande de ces occurrences disruptives qui rompent avec l’ordinaire de ses articles, et qui la rendent moins modérée dans ses comptes-rendus.

    Un tour de force financier

    Félicitons d’abord ces nouveaux joueurs de leur tour de force, de leurs gains substantiels. Beaucoup les dépeignent comme des Gilets jaunes de la finance, des individus sans connaissances ni fortune.

    C’est bien connu, n’importe quel particulier sait décortiquer les arcanes d’un butterfly spread , d’une vente à découvert ou d’une représentation en chandeliers japonais ! Les leaders de cette communauté sont des spécialistes roués qui connaissent le système de l’intérieur, pratiquent son langage et maîtrisent les techniques les plus en pointe.

    Leurs motivations sont multiples. Certains sont animés par une sorte de croisade. La crise de 2008 a frappé leurs proches, leurs amis, leurs voisins… On les dit révoltés contre l’ establishment . Ils souhaitent secouer le système et sont soutenus dans leur quête par une armée d’agitateurs qui n’aspirent qu’à donner des coups de pied dans la fourmilière.

    Le reste de la communauté est composé d’accros aux réseaux sociaux . Ceux-là aussi préfèrent les batailles rangées et les conquêtes de villages, mais dans une ambiance plus proche des jeux-vidéo. Ils veulent surtout gagner des dollars comme ils gagnent des vies derrière leurs écrans.

    Cette communauté sera-t-elle pérenne ? Va-t-elle réellement changer l’idiome et les façons de Wall Street ? Rien n’est moins sûr. D’abord, parce que ce groupe de boursicoteurs imite en tout point les spéculateurs professionnels. Or, le cimetière des Hedge Funds est plein de vocations contrariées.

    Les indices qui servent de référence à cette catégorie d’actifs sont profondément révisés chaque année. Ce n’est pas tant que certains gestionnaires collent mieux au profil, c’est que beaucoup d’entre eux  explosent en vol. On reconstitue l’indice avec les rescapés ! Cette communauté de Robins des Bois est promise aux mêmes déboires.

    De plus, ce regroupement ouvert risque d’être noyauté par les fonds spéculatifs eux-mêmes. Nul doute que ces derniers cherchent déjà leur revanche. Rien de plus facile que de faire partie de la bande, de connaître les prochains coups de l’adversaire et de faire échouer ses desseins. Combien de temps ces petits investisseurs pourront-ils tenir avec un cheval de Troie dans la place ?

    Qu’adviendra-t-il lorsque les tendances du marché auront changé ? Bien sûr, on peut toujours vendre à découvert, que le marché soit haussier ou baissier. Mais lorsque le climat boursier se dégrade, les ambiances ne sont plus les mêmes, les audaces se font moins insolentes, les intérêts particuliers prennent le dessus sur ceux de la communauté…

    Face aux autorités

    Autre point crucial : la réaction des autorités. Pour l’heure, ces dernières observent les éruptions de marché, sans sévir. Or, cette façon de spéculer en meute a tous les composants d’une manipulation des cours. Amasser un titre pour forcer les vendeurs à découvert à racheter leurs positions s’est déjà produit dans le passé, et n’a pas plu au régulateur. Ce dernier a simplement augmenté les appels de marge, obligeant les instigateurs à réduire leurs prétentions.

    Sommes-nous parvenus à la fin d’un cycle ? Lorsque n’importe quel actif fait l’objet de spéculations sans lien avec ses fondamentaux, lorsque certains banquiers commencent à parler d’un nouveau paradigme, lorsque les petits porteurs participent à la danse sans restriction, on peut se demander si les marchés ne sont pas sujets à une exubérance irrationnelle. Greenspan avait utilisé cette formule en 1996. L’éclatement de la bulle internet eut lieu quatre ans plus tard, suivi d’une purge historique en 2008.

    Les boursicoteurs 2.0 ont réussi un coup d’éclat. Au départ, un coup d’éclat n’est rien d’autre qu’un plan prétentieux, aux ingrédients incertains, dont les probabilités de réussite demeurent hasardeuses. Toutefois, c’est par le mélange d’un enchaînement de gestes fluides, d’un dépassement des obstacles, de chance aussi, que le pari se gagne. Or, il ne saurait y avoir de coup d’éclat permanent.

    Vient un jour où la magie n’opère plus et l’exploit d’hier est remplacé par l’éclipse. En 1969, Woody Allen avait imaginé une comédie intitulée Prends l’oseille et tire-toi . Si j’étais à la place de ces petits investisseurs, je m’inspirerais de ce conseil.

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      Les opérations de split d’actions : optimisme ou opportunisme ?

      Sébastien Thiboumery · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 21 October, 2020 - 02:30 · 3 minutes

    Par Sébastien Thiboumery.

    Que vous découpiez une pizza en deux ou en six parts, sa taille restera identique. Il en est de même pour la valeur d’une société en bourse. Lors d’un split, elle décide simplement d’augmenter le nombre d’actions en circulation via la division du nominal de son action.

    Par exemple, une division du nominal par 2 conduit à une multiplication du nombre d’actions par 2 et à une réduction de la valeur de l’action par 2. L’opération est supposée être neutre en termes de création de valeur. Dans ce cas, pourquoi de plus en plus de sociétés réalisent des splits, et pourquoi les investisseurs réagissent de manière positive à ce qui est censé être un non-événement ?

    Combien vaut une part de pizza ?

    En d’autres termes, pourquoi une pizza découpée en six parts vaut plus qu’une pizza découpée en deux parts ?

    La recherche académique est partagée sur les raisons du split. Louis et Robinson [2005] considèrent celui-ci comme un signal optimiste du management, annonciateur de bonnes nouvelles devant faire progresser le cours de bourse. De même, pour Ikenberry et al. [1996], les managers conditionnent le split à des attentes favorables sur les performances futures de l’entreprise.

    En revanche, Lakonishok et Lev [1987] puis Byun et Rozeff [2003] ont montré que les entreprises ont tendance à effectuer un split après une période de croissance substantielle, et performent moins bien par la suite. Enfin, Guo, Liu, et Song [2008] considèrent que le management soutient son cours de bourse, déjà inflaté par une comptabilité agressive, avec l’annonce d’un split.

    Les autres raisons sont d’ordres psychologique et pratique. En effet, pour de nombreux particuliers, une action cotant à un prix élevé paraît chère, alors qu’elle paraît abordable si elle cote à un prix plus bas. Warren Buffet, l’un des plus grands investisseurs, a même succombé à la mode du split en 2009.

    Il est vrai que peu de particuliers peuvent s’offrir une action Berkshire classe A à 300 000 dollars, contrairement à la classe B à 200 dollars. Un split favorise ainsi l’acquisition d’action par les petits actionnaires qui représentent une part grandissante de l’activité boursière (environ 20 % des transactions à Wall Street).

    Tesla ne s’y est pas trompé : près de 30 % de son actionnariat est représenté par des particuliers, et l’action est l’une des plus populaires sur les plateformes de trading . En effectuant un split, la volonté de Tesla est de rester populaire auprès de ces particuliers. L’annonce d’un split permet également pour une entreprise de rester sur les radars des investisseurs et de capter leur attention.

    Alors comment interpréter un split d’action ? Signal optimiste ou bien opportunisme du management ? Apple et Tesla ont annoncé cet été des splits avec des niveaux de fractionnement élevés (Apple : 4 pour 1 et Tesla : 5 pour 1) reflets de parcours boursiers exceptionnels.

    Les dates de splits effectives (fin août) correspondent aux plus hauts boursiers jamais atteints pour les deux titres, qui ont depuis reflué. Le lendemain de son split, Tesla en a même profité pour annoncer une augmentation de capital de 5 milliards de dollars. Les actionnaires entrés à cette occasion sont donc en perte, pour le moment.

    Les opérations de split sont des éléments de frustration pour les tenants de l’efficience des marchés financiers, car lorsque la logique dit 1+1 = 2, la psychologie dit 1+1 = 2 et plus. Et si la psychologie de l’investisseur évolue en fonction du cours des actions dont les prix ne sont plus soutenus par les fondamentaux, alors le risque de perte n’est pas seulement psychologique, il est matériel. Question de logique. Alors split ou pas, investissez de manière rationnelle et prudente.