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      Les errements de « l’intersectionnalité »

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Tuesday, 5 September, 2023 - 09:43 · 21 minutes

    « Bien souvent, ce qui s’affirme sous le mot “intersectionnalité” dit le contraire de ce que le terme signifie : non pas la multiplicité et l’imbrication mais la domination d’une variable et la hiérarchie des luttes. » C’est la thèse que défend Florian Gulli, auteur de L’antiracisme trahi (Presses universitaires de France, 2022). Selon lui, la proclamation de l’« intersectionnalité » a fréquemment pour effet de consacrer la prévalence des catégories du genre et de la « race » – et d’imposer celle-ci comme une évidence. Il analyse ce dernier phénomène dans cet article (issu de son ouvrage), et revient sur l’anti-racisme dominant tel qu’il s’est imposé aux États-Unis et a percolé en Europe. Il rappelle qu’il s’est construit par « le refoulement massif de la voix de nombreux intellectuels américains et afro-américains qui contestent la pertinence de la catégorie de “race” ».

    « Race » et intersectionnalité

    Ce qu’on appelle aujourd’hui « intersectionnalité » n’est-il pas un rempart contre cette tendance à privilégier de façon unilatérale une seule variable d’analyse ? L’intersectionnalité refuse en effet les « perspectives monistes », celles « postulant l’existence d’une domination fondamentale dont découleraient les autres dominations » 1 . Néanmoins, si le programme intersectionnel est clairement pluraliste, certaines analyses s’en réclamant posent problème en ce qu’elles sont elles-mêmes victimes de l’hégémonie de la catégorie de « race ».

    Dans son livre Marxism and Intersectionnality , Ashel J. Bohrer défend le paradigme de l’intersectionnalité tout en dénonçant certaines de ses appropriations frauduleuses qui privilégient implicitement et de façon injustifiée certaines variables, en particulier la « race ». Ainsi par exemple, note-t-elle, « dans de nombreux usages et appropriations contemporains de l’intersectionnalité, celle-ci est utilisée pour désigner le racisme sexiste […] d’une manière qui occulte l’engagement de l’intersectionnalité envers une matrice de domination beaucoup plus large et nuancée » 2 . Les variables « sexe » et « race » sont privilégiées au détriment des nombreuses autres qu’une analyse intersectionnelle devrait pourtant prendre en charge : la classe et la nationalité par exemple.

    Un exemple parmi d’autres : dans un entretien pour la revue Le Portique , Maboula Soumahoro, universitaire et militante, affirme que « les aspirations à l’intersectionnalité dans l’engagement féministe, LGBT ou antiraciste nous viennent aussi d’un débat de campus et d’intellectuel(le)s étasuniens autour d’une intrication des questions culturelles avec les problèmes de la race, du sexe ( gender ) et des minorités sexuelles » 3 . Les questions de classe ou de nationalité ne sont pas mentionnées. Elles ne le sont pas davantage dans cette autre interview : « L’intersectionnalité permet enfin de mettre en avant la complexité. Toutes les catégories raciales, de genre, d’orientation sexuelle, de validisme s’imbriquent entre elles 4 . »

    En France notamment, et depuis des années, se développent des réflexions croisant « race » et genre, mais sans la classe ou la nation. Un « féminisme décolonial » apparaît par exemple sous la plume de Françoise Vergès ou de Houria Bentouhami. De même, le « féminisme intersectionnel » veut répondre aux instrumentalisations du féminisme par l’extrême droite. Mais nul n’a vu l’émergence d’un féminisme « lutte de classe », dont on a pu constater au contraire l’histoire oubliée 5 . Aucun « antiracisme de classe », aucun « classisme décolonial » ou « décolonialisme de classe » n’a, semble-t-il, vu le jour.

    Il en est de même sur le terrain des pratiques militantes qui gravitent autour de la thématique intersectionnelle. Lorsqu’il est notamment question d’espaces non-mixtes (réunion, manifestation), c’est de non-mixité raciale dont il s’agit. Par exemple, lors de la marche des fiertés de 2021, il était question de cortèges « racisés » et jamais de cortèges de classe.

    Rigoureusement parlant, on ne saurait écrire que la catégorie de « race » est « admise » dans les sciences sociales aux États-Unis. C’est ignorer tout une partie du champ académique […] Racecraft ou l’esprit de l’inégalité aux États-Unis (2012) propose une vive critique de l’usage de ce concept

    Dans un article de 2011, la sociologue et féministe Danièle Kergoat constate cet effacement de la classe au profit de la « race » : « L’impasse sur les classes sociales continue dans la période actuelle alors même qu’en France (et ailleurs), les rapports de classe vont en s’exacerbant. Certes, les études féministes invoquent régulièrement le croisement nécessaire entre genre, « race » et classe. Mais le croisement privilégié est celui entre race et genre tandis que la classe sociale ne reste le plus souvent qu’une citation obligée. Et il est intéressant de noter que cette euphémisation se vérifie, dans les mêmes formes, aux États-Unis. En témoigne cette interview récente de Toni Morrison, peu suspecte d’indifférence aux problèmes de “race” et de genre, où elle explique que “derrière les tensions raciales aux États-Unis, se cache, en réalité, un conflit entre classes sociales. Et [que] c’est un tabou beaucoup plus grand que le racisme” 6 . »

    Ainsi, si le modèle théorique de l’intersectionnalité peut être utile pour lutter contre la tendance d’une variable à devenir hégémonique, il est nécessaire cependant de bien garder à l’esprit que « ce qui fait qu’une analyse est intersectionnelle n’est pas son utilisation du terme “intersectionnalité” » 7 . Bien souvent, ce qui s’affirme sous le mot d’« intersectionnalité » dit paradoxalement le contraire de ce que le terme signifie : non pas la multiplicité et l’imbrication mais la domination d’une variable et la hiérarchie des luttes.

    Ces quelques mots ne sont pas une remise en question de la notion d’intersectionnalité en tant que telle, mais une critique de perspectives focalisées sur l’idée de « race » avançant sous le masque de l’intersectionnalité, une critique de l’instrumentalisation de l’intersectionnalité par un projet politique de construction d’un sujet politique de type racial.

    Prendre le mot « race » ?

    Il faut passer maintenant de l’analyse de certains usages de la catégorie à la catégorie elle-même. Le débat consiste à savoir si la « race » est un terme dont les sciences sociales doivent s’emparer pour comprendre le réel ou si elles doivent au contraire s’en démarquer absolument. Comment les chercheurs voulant mobiliser la catégorie justifient-ils son emploi ? Le premier argument qu’ils mobilisent n’est pas véritablement un argument. Le refus d’utiliser le mot « race » serait le symptôme d’un retard français en matière de théorie. Retard par rapport à quoi ? Par rapport aux États-Unis. « Par contraste avec les États-Unis, écrit Pap Ndiaye, la notion de “race” est encore mal admise dans les sciences sociales françaises 8 . »

    Sauf à considérer que les productions théoriques américaines, par le fait même qu’elles sont américaines, entretiennent un rapport particulier à la vérité, sauf à postuler que le progrès consiste nécessairement à s’aligner sur les productions américaines, pointer des différences d’approches théoriques entre deux pays ne prouve absolument rien. En outre, l’argument ne mentionne pas le fait que la « race » aux États-Unis n’est pas seulement un concept des sciences sociales ; elle est d’abord, et depuis 1790 – ce qui n’est pas rien – une catégorie administrative, un indicateur du Bureau du recensement.

    À intervalle régulier, les citoyens du pays sont interpellés par l’État. Hier, ce dernier définissait la « race » à laquelle les individus appartenaient, aujourd’hui, l’injonction étatique s’est déplacée : les individus peuvent désormais déclarer la « race » de leur choix, même s’ils demeurent sommés de se définir en terme racial. On peut raisonnablement estimer qu’une telle institutionnalisation administrative de la « race » aux États-Unis – à côté des multiples formes institutionnalisées de ségrégation au cours du siècle – explique que les chercheurs américains (mais pas tous) aient ressenti le besoin de mobiliser une telle catégorie. On peut comprendre qu’elle fasse moins sens, ailleurs, pour cette raison.

    Mais surtout, cet argument repose sur le refoulement massif de la voix de nombreux intellectuels américains et afro-américains qui contestent la pertinence de la catégorie de « race ». Rigoureusement parlant, on ne saurait écrire que cette catégorie est « admise » dans les sciences sociales aux États-Unis 9 . C’est ignorer tout une partie du champ académique et notamment par exemple le livre Racecraft ou l’esprit de l’inégalité aux États-Unis (2012) écrit par Barbara J. Fields et Karen E. Fields, livre qui propose une vive critique de l’usage du concept de « race ».

    Barbara J. Fields est pourtant une historienne renommée : « Première femme afro-américaine nommée professeure à Columbia, elle a reçu de nombreux prix pour ses travaux sur l’histoire de l’esclavage et des Afro-Américains, notamment le prix John H. Dunning de l’American Historical Association (1986) et le Lincoln Prize attribué par le Lincoln and Soldiers Institute du Gettysburg College (1994), en passant par le prix des fondateurs de la Confederate Memorial Literary Society, et le prix Thomas Jefferson de la Society for the History of the Federal Government 10 ». Pourquoi ses travaux sont-ils si peu discutés en France ?

    En Angleterre, le sociologue Paul Gilroy 11 , figure centrale de la réflexion sur le racisme, renonce lui-aussi, à partir des années 2000, à l’emploi du terme « race », qu’il juge finalement irrécupérable. De même, Robert Miles et Annie Phizacklea, dont toute l’œuvre et toutes les enquêtes sont consacrées aux travailleurs immigrés et au racisme ; ils refusent le mot au motif qu’il ne profiterait en dernière instance qu’à l’extrême droite 12 . Ces Américains, ces Britanniques sont-ils, eux aussi, victime du retard français ou du modèle républicain ? À moins qu’il ne faille se résoudre à reconnaître que nulle part l’usage de la notion de « race » en sciences humaines ne fait consensus.

    « L’ethnocentrisme scolastique » consiste ici à croire que l’usage savant du mot « race » présenté dans un colloque, lorsqu’il va se diffuser hors du monde académique, va pouvoir imposer sa signification contre le sens commun du mot « race ».

    Le second argument est négatif. Il ne justifie pas l’adoption du mot « race » mais affirme que le refus du mot est problématique. Car à la source de ce refus, il ne pourrait y avoir que deux, et seulement deux choses : le racisme ou une forme de naïveté idéaliste. Au pire, donc, ne pas vouloir employer le mot serait le fait d’une volonté de masquer la réalité des discriminations. Le refus du mot serait déni raciste de la réalité du racisme. Mais la portée de cet argument est en fait très limitée. Il n’atteint pas un discours antiraciste qui refuse de faire circuler la catégorie de « race », mais qui reconnaît volontiers la réalité des processus de catégorisation raciale.

    Mais un tel antiracisme saurait-il être autre chose qu’une forme de naïveté ? Pap Ndiaye écrit par exemple : « Il s’agit de dire à nos amis antiracistes que le rejet de la catégorie de “race” n’a pas éradiqué le racisme 13 . » Sarah Mazouz va dans le même sens : « On souligne alors l’idéalisme qu’il y a à croire que le problème peut être réglé par la seule suppression du mot et le déni qui consiste à considérer l’évitement comme la solution 14 . » Le refus du mot serait une forme de pensée magique, la croyance en la toute-puissance du langage.

    On pourrait souligner d’abord que si, en effet, la suppression du mot ne supprime pas le racisme, l’utilisation du mot ne le fait pas davantage reculer. Aux États-Unis, où la catégorie est utilisée par l’État et une partie des sciences humaines, la situation des minorités ne semble pas meilleure qu’ailleurs, qu’on s’intéresse aux interactions avec la police, à la discrimination à l’embauche ou encore à l’accès au logement ou à une école de qualité. Mais, en réalité, personne n’a jamais soutenu l’idée saugrenue qu’il suffi rait de bannir un mot pour supprimer la réalité du racisme. La critique de l’idée de « race » et le refus de l’utiliser sont envisagés comme une condition nécessaire mais non suffisante de la lutte antiraciste. La critique des idéologies n’est jamais le tout d’un combat, mais elle en est toujours un moment essentiel.

    Essentialisation, réification

    Bien sûr, le théoricien jurera que « blanc » ne désigne pas de réelles couleurs de peau, ni même des individus concrets, qu’il s’agit d’un « rapport social ». Mais ces rappels savants seront vite écrasés par l’usage courant du mot « Blanc » qui renvoie avant tout à des phénotypes et à des individus. Un tel antiracisme, loin de lutter contre les méfaits des catégorisations, ne fait donc que reproduire les simplifications les plus massives des catégorisations raciales.

    Les risques précédents – l’essentialisation et la réification – ne sont pas propres à la catégorie de « race », mais sont des écueils de la catégorisation en général. Il n’en reste pas moins que la catégorie de « race » soulève une difficulté supplémentaire, plus gênante que les précédentes. Paul Gilroy, après avoir longtemps été l’avocat d’une appropriation progressiste du mot « race », a fini par y renoncer, pour la raison suivante : le mot « race » « ne peut pas être facilement re-signifié ou dé-signifié, et imaginer que ses significations dangereuses peuvent être facilement réarticulées dans des formes bénignes et démocratiques serait exagérer le pouvoir des intérêts critiques et oppositionnels ».

    Le mot « race » est pris dans une histoire longue – celle de la raciologie, de l’anthropologie raciale et des disciplines afférentes –, il est encastré, qu’on le veuille ou non, dans des réseaux de signifiants dont on ne peut l’abstraire à volonté. Sur la question de l’usage du mot « race », nous sommes manifestement confrontés à l’ignorance ou au refoulement « de la différence entre le monde commun et les mondes savants 15 ».

    Il s’agit de ce que Bourdieu nomme « l’ethnocentrisme scolastique » et qui consiste en « l’universalisation inconsciente de la vision du monde associée à la condition scolastique 16 ». Sans s’en rendre compte, le chercheur prête aux agents du monde social son propre rapport au monde. Il imagine par exemple que des formules théoriques bien définies, où les mots sont pesés avec soin, sont entendues dans toute leur complexité, sans perte, lorsqu’elles se diffusent dans le monde social. Appliqué à notre question, l’ethnocentrisme scolastique consiste à croire que l’usage savant du mot « race » présenté dans un colloque, lorsqu’il va se diffuser hors du monde académique, va pouvoir imposer sa signification contre le sens commun du mot « race ».

    Il consiste à croire que l’ajout savant de guillemets autour du mot ou la précision « la race est une construction sociale » seront en mesure de contrebalancer efficacement la compréhension spontanée du terme. Les précisions développées dans les articles et les colloques risquent en réalité de se perdre dès lors que le mot circulera dans le monde ordinaire. Dans la lutte pour l’hégémonie culturelle, il est préférable de travailler les ambiguïtés du sens commun plutôt que de vouloir y introduire de façon forcée des mots savants forgés dans le monde académique. […]

    « La “race” ne doit pas être entendue comme une réalité biologique, mais comme une construction sociale. » […] Mais ici, l’idée de « construction sociale » ne conduit pas à souligner la contingence des catégories héritées d’une histoire ; elle sert bien souvent à réaffirmer des nécessités lourdes, transformant la Société en une seconde Nature

    Aucun sociologue, aucun militant, n’est donc coupable de naturaliser les faits sociaux. Mais ce qu’on peut leur reprocher, à l’instar de Gilroy, c’est leur optimisme, quant à la réception de leur discours, leur certitude que la répétition rituelle de la formule « la race est une construction sociale » suffi ra à empêcher le mot « race » de revenir à ses affinités conceptuelles premières, sitôt passés les murs de l’université ou des milieux les plus militants. […]

    Il ne suffit pas de répéter que la « race » est une « construction sociale »

    Pour justifier l’emploi de la catégorie de « race » en sciences humaines, la proposition suivante est souvent mise en avant : « La “race” ne doit pas être entendue comme une réalité biologique, mais comme une construction sociale. » Pourtant, ceux qui usent de la catégorie de « race » aujourd’hui reproduisent bien souvent l’un des schèmes centraux de l’idée de race biologique : la croyance en la « fatalité de la race 17 ». De la « race biologique », disait hier le discours raciste, on ne peut s’échapper : l’éducation des Noirs ne changera rien à leur infériorité, la conversion des Juifs ne protégera pas de leur malignité. La Nature, comme destin, pesait sur les épaules des hommes, déterminant en profondeur leur existence quoiqu’ils fassent.

    Or il semble qu’une telle « fatalité de la race », mais visant cette fois les Blancs, imprègne désormais une partie du discours antiraciste. De nombreux textes expliquent en effet que le racisme est inconscient, qu’il est invisible, qu’il régit donc l’action des Blancs à leur insu, y compris de ceux qui se déclarent antiracistes. Difficile, voire impossible, dans ces conditions, d’échapper au racisme : l’engagement antiraciste pouvant aisément être interprété comme un moyen égoïste de soulager sa conscience ou comme la volonté paternaliste de sauver les Non-Blancs.

    Le Blanc semble donc soumis à la « fatalité de la race », à un déterminisme, qui n’est certes plus celui de la Nature, mais celui de la Société. L’idée de « construction sociale » ne conduit donc pas, comme on aurait pu s’y attendre, à souligner la contingence des catégories héritées d’une histoire ; elle sert bien souvent à réaffirmer des nécessités lourdes, transformant la Société en une seconde Nature, dont le déterminisme est tout aussi implacable. On n’échappe pas à la naturalisation en se contentant de parler de « construction ».

    Mais revenons à la formule : « la “race” ne doit pas être entendue comme une réalité biologique, mais comme une construction sociale. » Cette formule ne permet absolument pas de justifier la pertinence théorique de la catégorie de « race » en sciences humaines. L’ouvrage de Barbara J. Fields et Karen E. Fields ne cesse de rappeler, non sans ironie, le caractère confus d’une telle expression. « Le métro londonien et les États-Unis d’Amérique, écrivent les deux auteurs, sont des constructions sociales ; c’est également le cas du mauvais œil et des appels lancés aux esprits de l’au-delà ; mais aussi du génocide et du meurtre 18 . » D’une certaine façon, tout est construction sociale dans le monde humain (y compris le berger allemand et le golden retriever 19 ).

    Ainsi, on peut dire que le mauvais œil, la sorcellerie ou encore le géocentrisme sont des constructions sociales. Or personne n’irait en conclure qu’il s’agit de concepts pertinents pour comprendre les mécanismes du réel : expliquera-t-on une mauvaise récolte en invoquant le mauvais œil ? Étudier comment les hommes en sont venus à penser l’existence d’un « mauvais œil » est une chose ; s’imaginer que le mauvais œil est un facteur explicatif, c’en est une autre, qui n’a rien de scientifique. Ainsi, dire que la « race » est une « construction sociale », c’est s’arrêter au milieu du gué ; cela ne signifie pas que nous avons affaire à un concept opératoire en sciences humaines.

    La seule manière de justifier l’usage théorique de la catégorie de « race » serait de montrer qu’elle apporte quelque chose de plus que les catégories de « racialisation » ou de « racisme ». Or, loin d’éclairer mieux la réalité, elle introduit de la confusion.

    « Race » ou racisme ?

    Lorsque Colette Guillaumin écrit : « La race n’existe pas. Mais elle tue des gens », il faut entendre en toute rigueur ceci : « La race n’existe pas. Mais le racisme tue des gens ». Un concept en effet n’a jamais tué personne. Celui de « race » ne tue pas, pas plus que le concept de « chien » n’aboie ni ne mord. Passer de racisme à « race », non seulement ne procure aucun gain de compréhension, mais contribue à obscurcir les choses. En passant de « racisme » à « race », on transforme magiquement « ce qu’un agresseur fait en ce que la victime est 20 ».

    Dans une interview, Barbara J. Fields et Karen E. Fields écrivent : « La noyade ou le bûcher de personnes accusées d’être des sorcières n’était pas la conséquence de la sorcellerie, mais de la persécution – tout comme le lynchage de Noirs résulte d’actions de foules de lyncheurs et de fonctionnaires en connivence avec ces derniers, et non de la race des victimes. En d’autres termes, on n’utilise pas une fiction – la race – pour combattre un fait 21 . » Il convient donc, si l’on suit cette ligne argumentative, de ne pas passer du racisme à la « race ».

    La notion de « race » peut donc aisément, et sans perte théorique, être partout remplacée par celle de « racisme ». Par exemple, le champ d’étude consacré au racisme n’a aucune raison de se nommer « théorie critique de la race », sauf à vouloir imiter à tout prix la formule américaine Critical Race Theory . Si l’on tient à nommer ce champ d’études par son objet, « théorie critique du racisme » est une expression parfaitement adéquate.

    La catégorie de « race » ne présente donc aucun intérêt théorique dès lors que l’on dispose des concepts de « racisme » ou de « catégorisation raciale ». Inutile, la notion de « race » est par ailleurs dangereuse : elle renforce dans le sens commun l’idée que le phénotype est une réalité politique pertinente. Ce danger, « l’ethnocentrisme savant » ne l’aperçoit pas. La parole sociologique croit pouvoir imposer sa loi à la parole populaire. Mais le mot « race » est enserré dans une histoire séculaire d’explications naturalisantes (même quand elles prennent une tournure culturelle) qui écrase toutes les précautions théoriques avancées par les savants. Cette indifférence au sens commun affaiblit la lutte antiraciste. Une partie de la sociologie, à l’opposé de ses intentions, va donc contribue à la mise en circulation d’explications naturalisantes des faits sociaux.

    Notes :

    1 Sirma Bilge, « De l’analogie à l’articulation : théoriser la différenciation sociale et l’inégalité complexe » , L’Homme & la Société , 2010/2-3 (no 176-177), p. 43-64. p. 51.

    2 Ashely J. Bohrer, Marxism and Intersectionality. Race, Gender, Class and Sexuality under Contemporary Capitalism , Transcript Publishing, 2020, p. 99

    3 Maboula Soumahoro, « Les nouvelles frontières de la question raciale : de l’Amérique à la France », Le Portique [En ligne], 39-40 | 2017, document 3, mis en ligne le 20 janvier 2019, consulté le 19 mars 2021.

    4 Maboula Soumahoro : « Nier ses privilèges blancs, c’est participer au système raciste », interview disponible à cette adresse : https://www.terrafemina. com/article/maboula-soumahoro-nier-ses-privileges-blancs-c-est-participerau-systeme-raciste_a354004/1

    5 Josette Trat, « L’Histoire oubliée du courant “féministe luttes de classe” », in Femmes, Genre, Féminisme , Les Cahiers de Critique Communiste, Paris, Syllepse, 2007

    6 Danièle Kergoat, « Comprendre les rapports sociaux », Raison présente , année 2011, 178, p. 15.

    7 Patricia Hill Collins, Sirma Bilge, Intersectionnality , Cambridge, Polity Press, 2016, p. 4.

    8 Pap Ndiaye, La Condition noire. Essai sur une minorité française , Paris, Gallimard, 2011, p. 40.

    9 Ibid .

    10 Gérard Noiriel, « “Race”, sorcellerie, racisme. Réflexions sur un livre récent », 2022, article disponible à cette adresse : https://noiriel.wordpress. com/2022/02/03/race-sorcellerie-racisme-reflexions-sur-un-livre-recent/

    11 Paul Gilroy, Against race. Imagining Political Culture Beyond the Color Line , The Belknap Press of Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts, 2000.

    12 Stephen Duncan Ashe et Brendan Francis McGeever, « Marxism, racism and the construction of’race as a social and political relation : an interview with Professor Robert Miles », Ethnic and Racial Studies , Taylor & Francis (Routledge), 2011, 34 (12), p.1.

    13 Pap Ndiaye, La Condition noire , op. cit ., p. 41.

    14 Sarah Mazouz, Race , Paris, Anamosa, 2020, p. 57.

    15 Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes , Paris, Seuil, 2003, p. 76.

    16 Ibid .

    17 On retrouve cette expression notamment dans l’article « La conception génétique de la race dans l’espèce humaine » de Cyril Darlington, Bulletin international des sciences sociales , II, 4, 1950, p. 501-511.

    18 Barbara J. Fields et Karen E. Fields, Racecraft, ou l’esprit de l’inégalité aux États-Unis , op. cit ., p. 110.

    19 Ibid .

    20 Barbara J. Fields et Karen E. Fields, Racecraft ou l’esprit de l’inégalité aux États-Unis , op. cit., p. 38.

    21 Barbara J. Fields et Karen E. Fields, « On n’utilise pas une fiction, la race, pour combattre un fait, le racisme », 25/11/2021, article disponible à cette adresse : https://www.marianne.net/agora/entretiens-et-debats/on-nutilise-pasune-fiction-la-race-pour-combattre-un-fait-le-racisme.

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      L’actualité des marxismes chinois

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Sunday, 25 June, 2023 - 20:19 · 12 minutes

    À la manière d’une mise en abyme, le numéro 73 d’ Actuel Marx porte sur les « marxismes chinois ». Il s’agit d’étudier une question trop souvent balayée d’un revers de main : l’importance véritable de la pensée marxiste en Chine depuis le début du XX e du siècle à nos jours, tant pour les autorités, les milieux universitaires que les courants d’opposition. Ainsi, la revue offre des clés précieuses pour comprendre les dynamiques à l’œuvre dans la seconde puissance économique mondiale.

    Il est courant d’évoquer la République populaire de Chine (RPC) sur le mode de la démonologie. Si la nature répressive du régime est indéniable – que l’on pense à la gestion autoritaire du Covid-19, à l’internement de millions d’Ouïghours dans le Xinjiang ou aux multiples répressions de conflits ouvriers –, une telle perspective n’aide aucunement à le comprendre. Pas davantage qu’il ne permet d’éclaircir son paradoxe central : si la pensée marxiste se veut émancipatrice, comment interpréter son omniprésence dans une Chine bien peu socialiste ?

    Le parti dirige tout

    Conformément au rôle que lui conféraient déjà Marx et Engels dans leur Manifeste , le Parti communiste est dans le marxisme officiel chinois l’organisation qui doit conduire le pays vers le communisme. Nathan Sperber 1 analyse les ressorts concrets de cette fonction dirigeante à l’aune du précédent soviétique. Tout comme en Union soviétique, ce que les marxistes appellent l’ appareil d’État n’est pas supprimé mais doit servir d’instrument d’exécution au service du Parti communiste qui, lui, décide.

    Dès lors, le Parti communiste et l’État restent deux entités bien distinctes, mais structurées de manière homologique de sorte à assurer la domination du premier sur le second. À chaque échelon étatique correspond un échelon partidaire, ce qui permet un contrôle à tous les niveaux. Une autre similitude tient dans la concentration du pouvoir par les instances dirigeantes. En dépit de l’affirmation du principe de centralisme démocratique 2 par le Parti communiste d’Union soviétique (PCUS) et le Parti communiste chinois (PCC), les échelons supérieurs exercent un contrôle sur la nomination des membres des organisations inférieures.

    Tous ne considèrent pas ainsi la Chine comme capitaliste, à l’image de Remy Herrera et Zhimming Long pour qui le système chinois est un régime « avec capitalistes mais non capitaliste ».

    Nathan Sperber note néanmoins plusieurs différences significatives qui permettent de prendre la mesure du caractère inédit de la domination partidaire en Chine. Il est singulier que l’Armée populaire de libération (chinoise), contrairement à l’Armée rouge (soviétique), soit entre les mains du Parti et non de l’État. Ensuite, les dangzu ne connaissent pas d’équivalent en Union soviétique. Aussi appelés groupes du parti, on les trouve partout (ministères, administrations territoriales, entreprises publiques, grandes institutions éducatives, sanitaires, sportives, etc.) et leur autorité y est souveraine.

    Enfin, le système servant à nommer aux postes de responsabilités au sein du PCC (la nomenclature) est centralisé horizontalement autour de zuzhibu ou « départements de l’organisation » présents à chaque échelon du parti – ce qui est censé restreindre le développement d’une « bureaucratie » comme en URSS, et participerait à assurer la domination concrète du Parti sur l’appareil d’État.

    Le tournant opéré sous Xi Jinping à partir de 2012 ne fait qu’accroître cette domination du parti. Alors que toute réduction du périmètre d’intervention du PCC est rejetée depuis le mouvement de Tiananmen et l’effondrement de l’URSS, Xi Jinping estime néanmoins que la direction de l’État par le parti pourrait être plus systématique et rigoureuse. Il s’ensuit alors une « suractivité réglementaire, des réagencements bureaucratiques majeurs et une hausse des moyens à la disposition du Comité central et de ses instances ». En parallèle, émerge du discours officiel une conception absolutiste du Parti. Ainsi Xi Jinping affirme-t-il, dans son rapport au 19 e Congrès du PCC, que « le parti dirige tout ». Mais dans quelle direction ?

    Le modèle chinois, une alternative au néolibéralisme ?

    Si d’aucuns peuvent légitimement douter de la nature communiste du régime chinois, Jean-Numa Ducange et Nathan Sperber 3 rappellent que la question du mode de production chinois fait l’objet de vives discussions dans la communauté scientifique, dont ils présentent les grandes contributions. Tous ne considèrent pas ainsi la Chine comme capitaliste, à l’image de Remy Herrera et Zhimming Long pour qui le système chinois est un régime « avec capitalistes mais non capitaliste ».

    Selon Wu Xiaoming et Qi Tao 4 , le « le socialisme aux caractéristiques chinoises » offre au monde l’exemple d’un « projet de civilisation post-néolibérale ». Depuis l’ouverture du pays à l’économie de marché et aux capitaux étrangers sous Deng Xiaoping, les problèmes structurels de bulles économiques, de dégradation écologique, et de l’inégale répartition des richesses perdurent en Chine. Pour autant, l’horizon de la « prospérité commune » fixé par Xi Jinping, ainsi que la politique de lutte contre l’extrême pauvreté 5 permettent aux auteurs d’affirmer que la Chine est entrée dans une nouvelle ère de son développement. Après être restée pendant des décennies au « stade primaire du socialisme », la Chine aurait atteint un nouveau stade de développement dont la portée dépasse la politique intérieure. Wu Xiaoming et Qi Tao vont jusqu’à voir dans cette nouvelle orientation une source d’espoir pour le socialisme mondial.

    Nous regrettons toutefois que les auteurs ne se soient pas davantage attardés sur les parts d’ombres de ce « défi à l’ordre néolibéral occidental », et qu’ils se soient contentés de les évoquer par la formule de « contradictions inhérentes à la crise ». Une analyse de l’état de la lutte des classes en Chine, et de l’attitude active des autorités chinoises dans la répression des contestations ouvrières, aurait été de quelque utilité. D’autant plus que Wu Xiaoming et Qi Tao reconnaissent eux-mêmes que ce sont précisément ces « contradictions » qui empêchent une grande partie des chercheurs occidentaux – et donc plus largement de la population occidentale – de ne voir en la Chine autre chose qu’une menace.

    Vers la domination ou l’harmonie universelle ?

    Dans l’esprit d’un certain nombre de commentateurs occidentaux, la Chine, de l’ Empire du milieu, est devenue l’ Empire du mal . C’est pour lutter contre l’idée reçue d’une Chine expansionniste et dangereuse pour l’ordre international que Viren Murthy 6 revient sur la notion de tianxia chez Zhao Tingyang. À l’origine, le tianxia est un concept confucéen qui signifie littéralement « tout ce qui est sous le ciel ». Zhao Tingyang l’analyse d’un point de vue cosmologique, en ce que le Tianxia mènerait à « l’idée de l’un comme unité harmonieuse de la multiplicité », et est ainsi vecteur d’universalisme.

    On regrettera l’absence d’analyse des pratiques auxquelles s’adonne la Chine en matière de politique internationale. Que l’on parle d’asservissement par la dette ou de rachat d’actifs stratégiques, on voit mal en quoi elle se distingue des États-Unis

    Zhao Tingyang formule à partir de là un projet normatif de communauté universelle libérée de l’impérialisme et gouverné pour le bien commun. Il n’est pas inintéressant de relever que pour certains penseurs chinois cités par l’auteur, les institutions internationales comme les Nations-Unies constituent un tremplin dans la réalisation de l’ordre global auquel appelle le tianxia .

    Cette notion est également brandie par Xi Jinping, qui bute néanmoins sur deux obstacles selon Viren Murthy. Sur le plan intérieur, les exemples du Tibet et du Xinjiang démontrent « incontestablement l’échec du “multiple” en même temps que de l'”Un” ». À propos de l’ordre international, si Xi Jinping, conformément à l’idéal du tianxia , parle fréquemment de « communauté de destin pour l’humanité », il résout néanmoins la tension entre l’un et le multiple en faisant primer le premier sur le second lorsqu’il considère que la question de la démocratie est une affaire interne à chaque État.

    On voit ainsi que le concept de tianxia , profondément ancré dans la culture chinoise, assure à celle-ci un idéal régulateur opposé à l’ordre mondial impérialiste et guerrier actuel. En bon dialecticien, Viren Murthy souligne, avec la marxiste Lin Chun, que « jusqu’à présent ce discours s’est gardé de prendre en compte […] la question du capitalisme », tout en reconnaissant que le souci qu’a Zhao Tingyang de « remodeler l’ordre mondial dans le sens de l’épanouissement humain et de l’égalité entre les nations » porte une charge révolutionnaire compatible avec la perspective marxiste d’abolition du capitalisme.

    On regrettera ici l’absence de mise en perspective de cette notion philosophique avec les pratiques réelles auxquelles s’adonne la Chine en matière de politique internationale. Que l’on parle d’asservissement par la dette – du Sri Lanka à divers pays d’Asie centrale – au rachat d’actifs stratégiques, on voit mal en quoi la Chine se distingue des États-Unis en matière de contrats financiers.

    La question de l’échange inégal

    Plus fréquent encore que la critique de son interventionnisme extérieur, on reproche souvent à la Chine sa politique commerciale agressive. Celle-ci profiterait de la sous-évaluation de sa monnaie – et des faibles salaires – pour doper ses exportations. De même, les subventions aux entreprises nationales et le poids des contraintes réglementaires constitueraient des freins à l’importation de marchandises, ce qui renforcerait l’endogénéité de la production du pays. En outre, la Chine est accusée de pratiquer le vol de propriété intellectuelle. C’est en portant ces accusations que les États-Unis (dirigés par Donald Trump mais avec le soutien du Parti démocrate) ont enclenché en 2018 une « guerre commerciale » contre l’Empire du milieu.

    Si le creusement du solde de la balance commerciale entre les États-Unis et la RPC constitue une preuve indéniable de « l’avantage » commercial chinois, le véritable bénéficiaire n’est pas nécessairement celui auquel on pense. C’est la thèse que défendent les économistes Rémy Herrera, Zhiming Long, Zhixuan Feng et Bangxi Li 7 en s’appuyant sur le concept d’« échange inégal ». Forgé par Arghiri Emmanuel puis approfondi par Samir Amin, l’« échange inégal » désigne le transfert de valeur qui s’opère des pays en développement vers les pays « développés » à travers le commerce de biens et de services dont la production nécessite un nombre d’heures de travail humain sensiblement différent. L’échange d’un tracteur contre une certaine quantité de café est certes égal en terme nominal, le prix des deux termes est le même, mais la quantité de travail qu’il aura fallu pour les produire ne l’est pas.

    À mesure que le transfert de valeur des États-Unis vers la Chine se réduit, c’est l’exploitation économique du premier pays par le second qui est remise en cause.

    À partir de deux méthodes de calculs différentes, les auteurs tentent une démonstration économétrique visant à établir l’inégalité de l’échange entre les États-Unis et la Chine. Ils concluent ainsi qu’« entre 1978 et 2018, en moyenne, une heure de travail aux États-Unis a été échangé contre près de 40h de travail chinois ».

    Néanmoins, on observe une baisse considérable de l’échange inégal entre les deux pays sur cette même période. En 2018, 6,4h de travail chinois étaient en moyenne échangées contre une heure de travail des États-Unis. Une explication à cela tient dans la stratégie de développement chinoise grâce à laquelle les biens et les services de haute technologie représentent aujourd’hui plus de la moitié des exportations du pays 8 .

    À mesure que le transfert de valeur des États-Unis vers la Chine se réduit, c’est l’exploitation économique du premier pays par le second qui est remise en cause. Or, si les Chinois ne peuvent accepter plus longtemps la domination économique américaine, les États-Unis ne sauraient abandonner un des fondements de leur prospérité sans livrer bataille.

    Cette contribution a selon nous le grand mérite de poser la question de l’actualité de la théorie marxiste de la valeur pour l’analyse de l’économie mondiale, à l’heure où celle-ci est pratiquement oubliée – ou ignorée – par une gauche française, qui tend à faire du débat sur la « valeur-travail » une question morale.

    Le numéro 73 d’ Actuel Marx offre de précieux éclairages sur les liens entre parti et État, le régime économique intérieur et les relations commerciales entre la Chine et le reste du monde – autant de questions sur lesquelles la grille de lecture marxiste s’avère féconde. C’est tout juste si l’on regrettera que le paradoxe central qui vient à l’esprit de tout observateur – l’omniprésence de la pensée marxiste dans un régime caractérisé par de fortes inégalités et une répression des conflits ouvriers – ne soit qu’effleuré…

    Notes :

    1 Sperber, Nathan. « Les rapports entre parti et État en Chine aujourd’hui : une clé de lecture soviétique », Actuel Marx , vol. 73, no. 1, 2023, pp. 21-39.

    2 Le centralisme démocratique, tel qu’établi par Lénine, consiste dans le devoir qu’a la minorité de respecter la majorité, et l’organe inférieur de suivre l’organe supérieur, en échange du fait que toutes les institutions du Parti soient gouvernées par des élections démocratiques.

    3 Ducange, Jean-Numa, et Nathan Sperber. « Marxismes chinois et analyses marxistes de la Chine : les défis du XXIe siècle », Actuel Marx , vol. 73, no. 1, 2023, pp. 10-20.

    4 Xiaoming, WU, et Qi Tao. « Modernisation à la chinoise et possibilités d’une nouvelle forme de civilisation », Actuel Marx , vol. 73, no. 1, 2023, pp. 78-93.

    5 Il est estimé que, depuis les quarante dernières années, le nombre de Chinois vivant sous le seuil de pauvreté tel que défini par la Banque mondiale (1,9 $ par jour et par personne) a diminué de 800 millions.

    6 Murthy, Viren. « Le « tianxia » selon Zhao Tingyang : l’ordre du monde de Confucius à Mao », Actuel Marx , vol. 73, no. 1, 2023, pp. 64-77.

    7 Herrera, Rémy, et al. « Qui perd gagne. La guerre commerciale sino-étasunienne en perspective », Actuel Marx , vol. 73, no. 1, 2023, pp. 40-63.

    8 La hausse du niveau des salaires en Chine est aussi un facteur explicatif. La rémunération du travail dans les pays du Sud et la « mauvaise » spécialisation sont débattues comme causes de l’échange inégal entre Samir Amin et Arghiri Emmanuel. Voir : http://partageonsleco.com/2022/06/13/lechange-inegal-fiche-concept/.

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      5 choses que Marx voulait abolir (outre la propriété privée)

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 14 March, 2023 - 10:43 · 4 minutes

    Par Jon Miltimore.

    L’une des choses remarquables du Manifeste communiste est son honnêteté.

    Karl Marx n’était peut-être pas un type très bien, mais il était d’une franchise rafraîchissante sur les objectifs du communisme . Cette franchise, pourrait-on dire, fait partie intégrante de la psyché communiste.

    Il déclare dans son célèbre manifeste :

    « Les communistes dédaignent de dissimuler leurs vues et leurs objectifs. Ils déclarent ouvertement que leurs fins ne peuvent être atteintes que par le renversement forcé de toutes les conditions sociales existantes. Que les classes dirigeantes tremblent devant une révolution communiste . »

    À l’instar de Mein Kampf , le lecteur se voit présenter une vision pure et non diluée de l’idéologie de l’auteur (aussi sombre soit-elle).

    Le manifeste de Marx est célèbre pour avoir résumé sa théorie du communisme en une seule phrase : « Abolition de la propriété privée. »

    Mais ce n’était guère la seule chose que le philosophe croyait devoir abolir de la société bourgeoise dans la marche du prolétariat vers l’utopie. Dans son manifeste, Marx a mis en évidence cinq autres idées et institutions à éradiquer.

    1. La famille

    Marx admet que la destruction de la famille est un sujet épineux, même pour les révolutionnaires.

    « L’abolition de la famille ! Même les plus radicaux s’enflamment devant cette proposition infâme des communiste s ».

    Mais selon lui, les opposants à cette idée ne comprennent pas un fait essentiel concernant la famille.

    « S ur quelle base la famille actuelle, la famille bourgeoise, repose-t-elle ? Sur le capital, sur le gain privé. Dans sa forme complètement développée, cette famille n’existe que chez les bourgeois « .

    Mieux encore, l’abolition de la famille serait relativement facile une fois la propriété bourgeoise abolie.

    « La famille bourgeoise disparaîtra comme une évidence lorsque son complément disparaîtra, et les deux disparaîtront avec la disparition du capital. »

    2. L’individualité

    Marx pensait que l’individualité était contraire à l’égalitarisme qu’il envisageait. Par conséquent, l' » individu » doit « être écarté et rendu impossible « .

    L’individualité était une construction sociale d’une société capitaliste et était profondément imbriquée avec le capital lui-même.

    « Dans la société bourgeoise, le capital est indépendant et a une individualité, tandis que la personne vivante est dépendante et n’a pas d’individualité . Et l’abolition de cet état de choses est appelée par les bourgeois, abolition de l’individualité et de la liberté ! Et à juste titre. C’est sans aucun doute l’abolition de l’individualité bourgeoise, de l’indépendance bourgeoise et de la liberté bourgeoise qui est visée. »

    3. Les vérités éternelles

    Marx ne semblait pas croire qu’une quelconque vérité existait au-delà de la lutte des classes.

    « Les idées dominantes de chaque époque ont toujours été les idées de sa classe dominante. Lorsque le monde antique était à son dernier souffle, les anciennes religions ont été vaincues par le christianisme. Lorsque les idées chrétiennes ont succombé au XVIIIe siècle aux idées rationalistes, la société féodale a livré son combat à mort contre la bourgeoisie alors révolutionnaire. »

    Il reconnaissait combien cette idée semblerait radicale à ses lecteurs, d’autant plus que le communisme ne cherche pas à modifier la vérité, mais à la renverser. Mais il soutenait que ces personnes ne voyaient pas le tableau d’ensemble.

    « ‘ Sans aucun doute, dira-t-on, les idées religieuses, morales, philosophiques et juridiques ont été modifiées au cours du développement historique. Mais la religion, la morale, la philosophie, la science politique, le droit, ont constamment survécu à ce changement.

    Il existe, en outre, des vérités éternelles, telles que la liberté, la justice, etc. qui sont communes à tous les états de la société. Mais le communisme abolit les vérités éternelles, il abolit toute religion, et toute morale, au lieu de les constituer sur une base nouvelle ; il agit donc en contradiction avec toute l’expérience historique passée .

    A quoi se réduit cette accusation ? L’histoire de toutes les sociétés passées a consisté dans le développement des antagonismes de classe, antagonismes qui ont pris des formes différentes selon les époques. »

    4. Les nations

    Marx énonce qu’on reproche aux communistes de vouloir abolir les pays. Selon lui, ces gens ne comprennent pas la nature du prolétariat.

    « Les travailleurs n’ont pas de pays. Nous ne pouvons pas leur prendre ce qu’ils n’ont pas. Puisque le prolétariat doit d’abord acquérir la suprématie politique, qu’il doit s’élever au rang de classe dirigeante de la nation, qu’il doit se constituer lui-même la nation, il est jusqu’ici, lui-même national, quoique pas dans le sens bourgeois du mot. »

    En outre, en grande partie grâce au capitalisme, il a vu reculer les hostilités entre personnes d’origines différentes. Selon lui, avec la montée en puissance du prolétariat, il n’y aurait bientôt plus besoin de nations.

    « Les différences nationales et l’antagonisme entre les peuples disparaissent chaque jour davantage, en raison du développement de la bourgeoisie, de la liberté du commerce, du marché mondial, de l’uniformité du mode de production et des conditions de vie qui lui correspondent. »

    5. Le passé

    Marx considérait la tradition comme un outil de la bourgeoisie. L’adhésion au passé servait de simple distraction dans la quête d’émancipation et de suprématie du prolétariat.

    « Dans la société bourgeoise le passé domine le présent ; dans la société communiste, le présent domine le passé. »

    Traduction Contrepoints

    Sur le web

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      La dégringolade idéologique de la nouvelle gauche woke

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 25 January, 2023 - 04:00 · 11 minutes

    La gauche a besoin d’une idéologie, contrairement à la droite. Elle prétend en effet penser le devenir des sociétés et instaurer la justice, principalement par l’égalité. La droite agit avec pragmatisme, en tenant compte rationnellement des contraintes du réel mais elle n’éprouve pas le besoin de dessiner un idéal à atteindre. La gauche est plutôt idéaliste, la droite plutôt réaliste.

    Un idéal à atteindre suppose une construction intellectuelle plus ou moins ambitieuse qui détermine la voie à suivre. C’est là que les difficultés commencent. Les véritables idéologies se prétendant conception générale du monde ( weltanschauung ) ont disparu depuis longtemps et ne réapparaîtront pas. Nous avons appris la modestie et savons que notre approche de l’univers est très partielle et très évolutive. Nous pouvons construire des modèles (physiques, biologiques, sociologiques, économiques, etc.) mais ils ne constituent qu’un cadre d’analyse imparfait et constamment remis en cause.

    La gauche d’antan, idéaliste et sûre de ses valeurs reposant sur une idéologie, a donc disparu. Le cadre conceptuel rappelé ci-dessus ne permet plus de croire en des valeurs intangibles déterminant le futur. Nous essayons de faire au mieux en nous adaptant. Voilà la définition même du pragmatisme. Il en résulte une déliquescence de la pensée de gauche qui débouche aujourd’hui sur des concepts faibles connus sous les vocables de wokisme ou intersectionnalité.

    Examinons à grandes envolées la genèse de la décadence de la pensée de la gauche socialiste.

    La chute : du marxisme à la démagogie redistributive

    Les idéologies envisageaient au XIX e siècle de prendre le relais des religions.

    Ce fut un échec complet, comme on le constate aujourd’hui. Les religions ne fournissent pas une explication plus cohérente de l’humanité et de son rapport à l’univers mais elles sont à la portée du plus grand nombre par un métarécit accessible et illustré par des légendes rapportées par de vieux livres (Torah, Bible, Coran) et abondamment utilisées par l’art. L’aspect purement rationnel des idéologies a entraîné leur échec et leur disparition. L’ambition naïve de leurs fondateurs, en particulier celle de Marx, consistait à proposer une conception générale du monde fondée sur une analyse rationnelle.

    L’une des premières phrases du Manifeste du parti communiste (1848) l’illustre bien : « L’histoire des sociétés n’a été que l’histoire des luttes de classes ».

    Cette phrase trace le cadre : une interprétation globale de l’histoire des sociétés humaines, une authentique weltanschauung . L’autre texte majeur du marxisme, Le Capital, Critique de l’économie politique (1867), analyse en profondeur le fonctionnement du capitalisme. Selon Marx ce dernier repose sur l’appropriation par les détenteurs du capital (la bourgeoisie) de la plus-value générée par le travail des ouvriers (le prolétariat). Seul le travail crée de la valeur mais les propriétaires des moyens de production captent cette valeur et décident de son affectation (salaires, profits, investissements). Il en résulte une lutte des classes , moteur de l’histoire.

    Les partis communistes et socialistes se sont construits à partir du cette vision du monde. Les communistes pensaient que seule une dictature du prolétariat pourrait éliminer la domination de la bourgeoisie. Une révolution était nécessaire pour prendre le pouvoir. Les socialistes considéraient au contraire qu’il était possible d’utiliser les institutions politiques des démocraties pour accéder au pouvoir par les élections et instaurer ensuite le socialisme.

    Qu’est-ce que le socialisme dans la première moitié du XX e siècle ?

    Une pensée dérivée du marxisme qui propose la nationalisation de tous les principaux moyens de productions (énergie, transports, sidérurgie, mines mais aussi banques, etc.). C’est de cette façon que les socialistes pensent confisquer à la bourgeoisie sa position de domination sur l’économie d’un  pays. Un deuxième aspect du socialisme consiste à mettre en place des structures publiques de solidarité financées par prélèvements obligatoires, dans les domaines de la santé, des retraites, du chômage.

    Les communistes vont échouer partout dans le monde . Il reste aujourd’hui la Chine , dont on peut prédire sans grand risque qu’elle se heurtera aux mêmes difficultés que toutes les autocraties (rigidité des structures, tétanisation des initiatives). Par contre, les socialistes vont réussir au-delà de leurs plus folles espérances. Nous le vivons chaque jour. La France est une démocratie sociale-démocrate avec des dépenses publiques de 59 % du PIB en 2021. Mais tous les pays occidentaux, y compris les États-Unis (dépenses publiques 44,9 % du PIB selon l’OCDE ), peuvent être considérés comme tels si on compare leur situation actuelle à celle qui prévalait un siècle plus tôt.

    La réussite des socialistes résulte de la capacité d’adaptation dont ils ont fait preuve. L’échec des communistes provient de l’extrême rigidité de leur doctrine et de leur fascination pour le totalitarisme. C’est la fable du chêne et du roseau de Jean de la Fontaine : le chêne se brise sous la tempête alors que les feuilles du roseau ploient mais résistent.

    Un seul exemple : le programme de nationalisations massives a été abandonné partout lorsqu’on s’est aperçu que les entreprises nationalisées étaient peu compétitives et attendaient systématiquement des apports de capitaux de l’État au lieu d’attirer les investisseurs. La France a été la dernière à nationaliser des secteurs entiers de l’économie en 1981-82 avec l’ accession au pouvoir de François Mitterrand . Mais la plupart des socialistes savaient parfaitement qu’ils commettaient une erreur majeure d’un point de vue économique. Le programme de nationalisations provenait de la nécessité de l’alliance avec le Parti communiste pour accéder au pouvoir. Les communistes n’avaient strictement rien compris au monde dans lequel ils vivaient et, adorateurs de l’URSS, ils en étaient restés au culte des nationalisations d’entreprises.

    Que proposer encore lorsque la mission historique que l’on s’était fixée a été accomplie ?

    Les partis socialistes n’ont rien trouvé car il n’y a pas d’idéologie de substitution au marxisme. Ils ont donc persisté dans ce qui avait fait leur réussite : la redistribution par la manipulation de l’argent public (prélèvements obligatoires et dépenses publiques). Mais la chute de croissance économique en Occident à la fin du XX e siècle a rendu cette redistribution beaucoup plus périlleuse politiquement. Il fallait déshabiller Pierre pour habiller Paul. La classe ouvrière elle-même s’est sentie abandonnée par les socialistes lorsque le capitalisme n’a plus été en mesure de financer par la croissance une redistribution socialiste frôlant bien souvent l’absurde.

    La démagogie redistributive a conduit une grande partie des électeurs socialistes vers d’autres horizons. Certains leaders socialistes ont alors sombré dans le populisme.

    Le délabrement : de la démagogie au populisme tous azimuts

    Les tribuns de la plèbe n’ont jamais manqué dans l’histoire. Il suffit d’avoir un certain charisme, un solide talent oratoire et de faire rêver à un futur édénique par la magie du politique. En France, Jean-Luc Mélenchon possède exactement ce profil, d’où son succès électoral. Mais fort heureusement cela n’a pas débouché sur une prise du pouvoir qui aurait amené un déclin rapide du pays et une évolution vers l’autoritarisme.

    D’un point de vue conceptuel, rien de vraiment nouveau à gauche. Quelques petits partis trotskystes survivent avec la notion de lutte des classes. Quant aux populistes, ils prétendent avoir modernisé la pensée de gauche avec l’intersectionnalité. Le conflit entre dominants et dominés, conceptualisé par Marx (bourgeois et prolétaires), reste cependant le seul et unique élément de cette analyse. Nos grands penseurs contemporains ont tout juste ajouté quelques petits cailloux à la grande architecture marxiste. La bourgeoisie capitaliste est encore l’ennemi majeur. Les dominés restent les travailleurs du monde entier et non plus seulement les ouvriers européens du XIX e siècle.

    La bourgeoisie n’existant plus au sens ancien (propriété des moyens de production) l’analyse se révèle particulièrement médiocre. Les fonds de pension, les divers OPCVM drainent l’épargne de la classe moyenne occidentale et acquièrent des participations dans le capital des grandes sociétés capitalistes ou leur prêtent des fonds par l’intermédiaire du marché obligataire. Les dépôts sur les livrets d’épargne eux-mêmes sont utilisés pour financer des entreprises (par l’intermédiaire de la Caisse des Dépôts en France). Au sens marxiste, 80 % des Occidentaux sont donc des bourgeois. L’ouvrier de 1850 ne possédait rien et pouvait tout juste survivre. Le salarié d’aujourd’hui détient au moins un livret A et parfois beaucoup plus. Le capitalisme n’a pas enrichi que les bourgeois. L’augmentation phénoménale de la production depuis deux siècles implique nécessairement une augmentation massive de la consommation et de l’épargne. Une classe moyenne patrimoniale est née.

    Mais pour des raisons politiques, voire purement électoralistes, il s’agit de valoriser le conflit et de se focaliser sur un phénomène de domination plus ou moins fantasmé. À cet égard, il est de bon ton aujourd’hui, dans certains milieux, de voir des dominants et des dominés partout. En s’inspirant de façon assez pitoyable de Karl Marx, le wokisme occidental prétend généraliser le conflit entre dominants et dominés. Les Blancs dominent les « racisés ». Les hommes dominent les femmes. Les ex-colonisateurs occidentaux dominent toujours les peuples colonisés. Les hétérosexuels sont considérés comme des dominants par rapport aux homosexuels, transgenres et autres sous-catégories. L’Homme lui-même est un prédateur qui domine la nature et l’exploite au-delà de toute mesure, mais c’est l’homme occidental, initiateur du développement économique qui est le coupable désigné.

    Il y aurait des relations systémiques, c’est-à-dire des interrelations complexes entre tous ces phénomènes de domination. Les dominants se confortent mutuellement, non pas par choix mais eu égard au fonctionnement objectif d’un véritable système de domination. L’homme blanc hétérosexuel est l’individu qui rassemble les caractéristiques du dominant dans tous les domaines. Pour peu qu’il détienne une fonction de responsabilité, il représente donc l’ennemi à abattre.

    Trois remarques générales peuvent être faites à propos de cette approche de la société par la gauche occidentale.

    Il s’agit de rassembler des minorités insatisfaites pour tenter de constituer un électorat de mécontents sur la base de promesses totalement irréalistes. Voilà la définition même du populisme . Dans chaque catégorie, il est évidemment possible de trouver des individus subissant ou ayant subi un véritable assujettissement à autrui : femmes victimes de violences masculines, personnes humiliées pour la couleur de leur peau, homosexuels se heurtant à des primates rattachés à l’espèce humaine, etc. Rassembler tout ce ressentiment en promettant la justice permet de créer des partis politiques comportant des victimes, des idéalistes et évidemment des démagogues cherchant uniquement à exploiter un filon. Ces derniers deviendront les dirigeants. En politique, ce sont toujours les réalistes amoraux qui l’emportent.

    Le culte de l’État-providence subsiste plus que jamais et atteint un niveau quasiment pathologique. Cette nouvelle gauche joue systématiquement sur l’envie , la convoitise haineuse pour proposer des prestations financées sur prélèvements obligatoires. On en arrive donc par exemple à subventionner l’essence et le gaz naturel tout en exigeant l’abandon des énergies fossiles. L’aspect le plus significatif provient de l’ écologisme militant qui préconise un changement complet de mode de vie sous forte contrainte publique et avec une prise en charge financière étatique de cette transition (isolation thermique des bâtiments, voitures électriques, protectionnisme sélectif et donc hausse des prix, etc.). Bien évidemment, une telle politique conduirait à une baisse générale du niveau de vie extrêmement rapide et totalement ingérable politiquement. On ignore toujours quel niveau de dépenses publiques (déjà 60 % du PIB en France), est considéré comme incompatible avec la démocratie pour cette gauche écologisante. Si toute initiative économique individuelle devient impossible sans recours financier à la puissance publique, le concept actuel de démocratie est abandonné au profit d’un socialisme généralisé, c’est-à-dire une forme de totalitarisme.

    L’éclectisme du propos idéologique et l’hétérogénéité du public ciblé ne permettent pas d’élaborer un programme politique cohérent. La nouvelle gauche est donc une gauche d’opposition et non une gauche de gouvernement. Elle est très éloignée de l’ancienne social-démocratie qui avait choisi un modus vivendi avec le capitalisme sur une base non explicite mais claire : « Vous, capitalistes, créez de la richesse et laissez-nous l’utiliser en partie pour améliorer le sort de nos électeurs. » Rien de tel aujourd’hui car l’ennemi est partout. Il faut détruire, « déconstruire » la démocratie occidentale qui a failli historiquement. Une telle profession de foi mène toujours soit à l’échec des populistes, soit à la dictature de ceux qui n’entendent pas se laisser annihiler. Mais jamais un programme fondé sur la seule négativité ne pourra être mis en œuvre. Il faut un espoir à terme raisonnable. Le regard infiniment pessimiste que porte cette gauche sur le monde dans lequel elle vit est à des années-lumière des promesses optimistes des sociaux-démocrates d’antan. Ils avaient réussi. Elle échouera.

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      Comment le marxisme abuse de l’éthique et de la science pour tromper ses adeptes

      Mises Institute · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 3 January, 2023 - 04:00 · 7 minutes

    Par Antony P. Mueller.

    Dans son livre de 1922 sur le socialisme, Die Gemeinwirtschaft , Ludwig von Mises attribue l’attrait du socialisme à l’affirmation selon laquelle la doctrine de Marx serait à la fois éthique et scientifique. En vérité, cependant, le marxisme représente un dogme métaphysique qui promet un paradis terrestre mais menace la civilisation elle-même.

    La thèse de l’inéluctabilité du socialisme

    Le marxisme explique que les économies capitalistes immorales seront nécessairement remplacées par des systèmes socialistes répondant à des normes morales plus élevées. Le socialisme promet de supprimer l’ordre économique privé irrationnel et d’instaurer une économie rationnelle et planifiée. Les socialistes proclament que la production capitaliste hiérarchique fera place à un ordre coopératif sans subordination :

    Le socialisme apparaît comme un but vers lequel il faut tendre parce qu’il est moral et parce qu’il est raisonnable. Il s’agit de vaincre la résistance que l’ignorance et la mauvaise volonté opposent à son avènement.

    Cette combinaison perfide d’éthique et de science s’accompagne de l’affirmation que le socialisme est inévitable. Marx déclare que l’arrivée du communisme représente la fin de l’histoire et la récompense de toutes les luttes historiques. Les socialistes croient qu' »une puissance obscure, à laquelle nous ne pouvons échapper, conduit progressivement l’humanité vers des formes supérieures d’existence sociale et morale. L’histoire est un processus progressif de purification, au terme duquel se dresse le socialisme comme perfection. »

    Karl Marx a appelé son approche la « conception matérialiste de l’histoire ». Sa théorie affirme que le socialisme est le résultat inéluctable des forces naturelles.

    Le matérialisme historique de Marx comporte plusieurs éléments significatifs.

    Premièrement, il fait référence à une méthodologie spécifique de recherche historico-sociologique qui vise à déterminer la structure sociale globale des époques historiques.

    Ensuite, en tant que doctrine sociologique, le matérialisme historique inclut la thèse selon laquelle la lutte des classes est la force historique déterminante.

    Enfin, la perspective historique marxiste est une théorie du progrès qui englobe le but et l’objectif de la vie humaine.

    En affirmant l’inéluctabilité scientifique d’un système socialiste à venir, l’efficacité pratique du matérialisme historique se déploie. Si le socialisme est le résultat positif de la civilisation humaine, tous les critiques réels ou imaginaires du socialisme sont des réactionnaires. Par conséquent, la lutte contre les adversaires du socialisme est une lutte éthique. Les critiques du socialisme doivent être qualifiés de réactionnaires parce qu’ils bloquent le chemin du paradis. Aux yeux de Marx et de ses partisans, la lutte contre le socialisme est particulièrement mauvaise en raison de sa nature superflue. Le socialisme gagnera de toute façon ; par conséquent, toute opposition à la victoire finale ne ferait que prolonger la privation de la classe ouvrière sous le capitalisme et retarder l’avènement du paradis socialiste.

    Comme l’ explique Mises, peu d’affirmations ont favorisé la propagation des idées socialistes plus que la croyance en l’inévitabilité du socialisme. Même les adversaires du socialisme sont tombés sous le charme de cette doctrine. Ils se sentent souvent paralysés par l’inutilité perçue de la résistance. Les « instruits », en particulier, ont tendance à craindre d’être perçus comme vieux jeu lorsqu’ils ne défendent pas le progrès social et politique que le socialisme prétend représenter.

    Mises a observé cela en son temps et peu de choses ont changé depuis. L’opinion publique qualifie de plus en plus les libéraux classiques (ceux qui favorisent la propriété privée et la liberté individuelle) de réactionnaires et suppose que davantage de socialisme signifie davantage de progrès.

    L’attente du salut

    Bien que l’idée que certains développements historiques soient inévitables est clairement métaphysique, elle fascine les gens jusqu’à aujourd’hui.

    Rares sont ceux qui peuvent échapper au charme du chiliasme et de sa promesse religieuse de salut. Pourtant, coupée de ses racines religieuses, la promesse marxiste de paix et de prospérité sous le socialisme devient une incitation à la révolution politique. Avec ce tournant politique, Marx réinterprète l’attente eschatologique judéo-chrétienne du salut. En accord avec les rationalistes du XVIII e siècle et les matérialistes du XIX e siècle, le marxisme sécularise l’événement du salut comme une révolution sociopolitique globale. Dans le marxisme, la métaphysique philosophique et anthropocentrique du développement historique est essentiellement la même que la métaphysique religieuse. L’étrange mélange d’imagination extatiquement extravagante et de sobriété quotidienne, ainsi que le contenu grossièrement matérialiste de sa proclamation du salut, ont ceci de commun avec les plus anciennes prophéties messianiques.

    Tant que le socialisme sera perçu comme étant à la fois scientifique et métaphysique, sa prétention chiliastique au salut restera à l’abri de toute critique rationnelle. Par conséquent, il est inutile de traiter le marxisme de manière rationnelle ou scientifique. Les critiques du socialisme tentent en vain de lutter contre les croyances mystiques du socialisme : « On ne peut pas enseigner aux fanatiques », écrit Mises.

    Le socialisme comme utopie ratée

    La propagande politique marxiste concerne les croyances selon lesquelles le socialisme est plus productif, moralement supérieur et inévitable.

    En tant que tel, le marxisme va au-delà du chiliasme et justifie ses enseignements comme une « science ». Le marxisme s’oppose au libre-échange et à la propriété privée. Les socialistes prétendent que l’économie de marché est individualiste et donc antisociale. Or rien n’est plus faux. Le marxisme prétend faussement que le capitalisme atomise le corps social. Comme le souligne Mises, c’est le contraire qui est vrai car les marchés sont des phénomènes sociaux par nature :

    C’est seulement la division du travail qui crée des liens sociaux, c’est la chose sociale par excellence. Ceux qui défendent les économies nationales et étatiques cherchent à subvertir la société universelle. Quiconque cherche à détruire la division sociale du travail parmi le peuple par la lutte des classes est antisocial.

    Le marxisme prétend être une philosophie sociale mais il s’oppose à la compréhension de la nature coopérative du capitalisme libéral. Au contraire, le marxisme est antisocial.

    Mises nous avertit que « la disparition de la société libérale basée sur la division du travail en marché libre représenterait une catastrophe mondiale ne pouvant même pas être comparée de loin à quoi que ce soit dans l’histoire connue. Aucune nation n’en serait épargnée ». Malgré l’absurdité de réduire l’histoire à la lutte des classes, le marxisme a eu un impact énorme sur la politique qui se poursuit encore aujourd’hui.

    Mises a publié Die Gemeinwirtschaft il y a plus de cent ans et les échecs du socialisme sont encore plus évidents aujourd’hui. L’effondrement de l’Union soviétique a déjà montré que le communisme apporte le contraire de ce qu’il promet. Alors que les premiers socialistes croyaient que la productivité serait plus élevée dans une société sans classes que dans une société fondée sur la propriété privée, le leader révolutionnaire soviétique, Vladimir Lénine , a dû admettre peu après la création de la Russie soviétique que la dictature du prolétariat avait apporté une souffrance plus grande que celle jamais connue dans l’histoire et que la tâche à venir serait la juste répartition de la misère.

    Le socialisme n’a pas tenu ses promesses. Cette doctrine a été réfutée tant en pratique qu’en théorie. Si les socialistes avaient tenu compte des arguments de Mises, ils auraient également été épargnés par les conséquences de la collectivisation agricole. Avec ses millions de morts l’ Holodomor ou Grande Famine du début des années 1930 a été la conséquence de cette erreur socialiste. Ils croyaient pouvoir augmenter la productivité tout en abolissant les droits de propriété et en collectivisant l’agriculture. Ils se sont lourdement trompés.

    Malgré l’horrible héritage du socialisme, les mouvements anticapitalistes se manifestent encore et encore. Ainsi, prévient Mises, la division hautement productive du travail qui a connu sa plus grande réussite dans le capitalisme restera toujours en danger. Les tendances anticulturelles se développent au sein même de la société capitaliste. Il faut être conscient que toute civilisation risque de succomber à l’esprit de décomposition qui s’abat sur les sociétés où les mouvements socialistes réussissent.

    Traduction Contrepoints

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