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      Isabelle Rome, ministre de l'Egalité entre les femmes et les hommes face au "HuffPost"

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Wednesday, 13 July, 2022 - 04:45 · 8 minutes

    POLITIQUE - Qui est Isabelle Rome, la nouvelle ministre déléguée à l’Egalité entre les femmes et les hommes? Nommée le 20 mai dernier dans le gouvernement d’ Elisabeth Borne , cette magistrate de 59 ans livre au HuffPost ses priorités dans le mandat qui s’ouvre et dont la grande cause est à nouveau l’ égalité entre les femmes et les hommes .

    Plus jeune juge de France à 23 ans, Isabelle Rome a un long parcours de juge (aux affaires familiales, de l’application des peines, d’instruction) et a été présidente de cour d’assises. Elle a publié six livres, dont le dernier porte sur l’emprise et les violences au sein du couple (Dalloz, 2021). En 2018, elle est nommée haute fonctionnaire en charge de l’Égalité entre les hommes et femmes au ministère de la Justice où elle est aussi chargée du Grenelle des violences conjugales.

    Désormais au gouvernement, elle affirme au cours d’un long entretien qu’elle nous a accordé ce mardi 12 juillet qu’elle mettra “toutes (s)es forces” pour inscrire l’ IVG dans la constitution et “faire baisser le chiffre morbide des féminicides”. Si le milliard d’euros réclamé par les associations pour réduire les violences faites aux femmes ne verra pas le jour sous ce quinquennat, la ministre déléguée loue le bilan du précédent mandat. Elle affirme même avoir eu “une conversation très positive avec Gabriel Attal”, le ministre des Comptes publics, pour augmenter son budget.

    Comme le demande en titre de son dernier livre votre prédécesseure Marlène Schiappa, C’est une bonne situation, ça ministre? (L’Observatoire)

    C’est avant tout pour moi une mission pour la République qui dépasse ma personne. Et un don que je fais à la République pour me dédier à la grande cause du quinquennat.

    Vous aviez déjà imaginé être ministre?

    Je n’ai jamais pensé être un jour ministre, mais je suis très heureuse de l’être et finalement c’est très cohérent par rapport à mon parcours de professionnelle comme magistrate. Toute ma vie, j’ai lutté pour la dignité humaine. J’ai jugé de nombreux viols et féminicides. J’ai été engagée pour l’égalité des chances et l’égalité entre les femmes et les hommes. Je lutterai contre les discriminations, le racisme, l’antisémitisme et les haines anti-LGBT.

    Avez-vous vécu du sexisme, des agressions ou du harcèlement dans votre vie professionnelle passée?

    Je ne m’estime pas avoir été vraiment victime de sexisme, mais, avec le recul, je me dis que j’ai dû en vivre. J’ai d’ailleurs écrit un livre “ Vous êtes naïve, Madame la juge ” (Editions du moment). C’est un commissaire de police qui me l’avait dit alors que j’étais jeune magistrate à propos d’un détenu récidiviste. Je suis sûre aujourd’hui qu’il n’aurait pas dit ça à un collègue masculin.

    Le féminisme est un beau terme, éminemment républicain.

    Depuis quand êtes-vous féministe?

    Je porte le féminisme en moi depuis longtemps, peut-être sans en avoir pris conscience: dans ma jeunesse, j’étais féministe sans le savoir. Je suis formée à l’école de la République, avec les notions d’humanisme et des droits de l’Homme: le féminisme entre tout droit dans cette conception-là. Je le suis devenu, je le revendique et je n’ai pas peur de le dire. Je suis triste de voir que certains n’osent plus l’employer. C’est un beau terme, c’est une notion éminemment républicaine et c’est toute la noblesse de notre République que de le porter.

    Vous êtes 19e dans l’ordre protocolaire du gouvernement, n’est-ce pas un peu inquiétant pour la “grande cause du quinquennat?”

    C’est un ministère délégué et je pense qu’il a sa raison d’être en étant rattaché à la Première ministre, car c’est une politique transversale. Il n’aurait pas sa raison d’être s’il n’était pas interministériel. Être rattaché à Matignon montre que c’est une priorité gouvernementale.

    Emmanuel Macron avait promis qu’il serait de plein exercice, vous regrettez qu’il n’ait pas tenu cette promesse?

    Je ne la connaissais pas. C’est tout à fait normal que ce soit un ministère délégué, car c’est une grande cause gouvernementale et je travaille avec toutes les autres administrations. Hier, j’étais dans un comité de suivi des mesures du Grenelle des violences conjugales avec une dizaine d’administrations centrales. C’est comme ça qu’on agit. Je ne vais pas agir à la place des ministères de la Police, de la Justice, du Logement. Nous agissons ensemble.

    C’est tout à fait normal que ce soit un ministère délégué rattaché à Matignon car c'est une grande cause gouvernementale. Je travaille avec toutes les autres administrations.

    Beaucoup disent que ce gouvernement est une “parité de façade”, avec seulement 5 femmes sur les 16 ministres et 9 femmes secrétaires d’État pour un seul homme...

    C’est facile de dire “façade”. Il est paritaire sur le plan des effectifs et la Première ministre a le poste le plus élevé. Nous avons une femme à la présidence du groupe LREM et de l’Assemblée nationale. Les femmes font leur entrée massivement dans ce quinquennat.

    On est le 12 juillet, à la moitié de l’année on recense déjà près de 60 féminicides. 57 exactement au 10 juillet. Ça ne baisse pas. Comment faire?

    Faire baisser le chiffre morbide des féminicides est une priorité. Peut-être même la première des priorités. Nous avons pu baisser ce chiffre en 2020, car les policiers faisaient des interventions, la justice fonctionnait, les associations et les pharmacies ont inventé des dispositifs de plainte pour éviter le pire pendant les confinements. On ne peut jamais se satisfaire de ces chiffres, mais la volonté est là.

    Faire baisser le chiffre morbide des féminicides est une priorité.

    Les associations réclament 1 milliard d’euros, comme en Espagne pour lutter contre les violences faites aux femmes. L’obtiendront-elles?

    On a 157.000 policiers et gendarmes formés, 417 intervenants sociaux pour accompagner les femmes quand elles portent plainte. 9000 places soit 80% de places d’hébergement d’urgences supplémentaires... On voit qu’il y a eu une explosion positive de la volonté et des moyens. Tous les ministères se sont engagés.

    20 milliards d’euros pour le pouvoir d’achat, 15 milliards d’euros pour la police... C’est si compliqué de trouver 1 milliard pour le droit des femmes?

    C’est une politique interministérielle. Il faut regarder ce que chaque ministère met dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Je prends les précautions d’usage, je suis en train de vérifier les chiffres, mais le milliard il y est si on fait la totalité. J’ai déjà eu une discussion avec Gabriel Attal plutôt positive, on peut espérer une augmentation du budget, mais il faut raisonner en interministérialité.

    Isabelle Rome accompagnait la Première ministre Elisabeth Borne lors de son déplacement en juin dernier au siège du Planning Familial. Isabelle Rome accompagnait la Première ministre Elisabeth Borne lors de son déplacement en juin dernier au siège du Planning Familial.

    Élisabeth Borne a fait de l’égalité salariale sa priorité. Toutes les lois existent, comment réduire l’écart de salaire de 20% entre les femmes et les hommes tous postes confondus?

    La loi booste les mœurs. On a vu l’impact positif des lois qui féminisent les conseils d’administration, l’index Pénicaud, etc. Mais la loi ne peut pas tout. Il n’y a pas de remède miracle. Il y a l’éducation et la lutte contre les stéréotypes: pourquoi une fille sera attirée par une profession moins rémunératrice? Il faut agir très tôt et j’entends travailler avec le monde de l’entreprise pour agir sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.

    À ce sujet, le congé de paternité a été doublé par Emmanuel Macron. Il est de 28 jours, dont une semaine obligatoire. Faut-il aller plus loin?

    Je pense qu’il n’est pas suffisamment pris. C’est un sujet que nous devons revoir en partant de l’existant. Je suis prête à rediscuter de cela avec les entreprises et les partenaires sociaux. Je suis pour la concertation.

    Vous pourriez le rendre obligatoire dans une loi?

    Je n’exclus rien.

    De quelle mesure voulez-vous qu’on se souvienne après votre passage?

    La mesure criante est la constitutionnalisation du droit à l’avortement. Il faut mettre le verrou de la Constitution pour garantir ce droit fondamental des femmes à disposer de leur corps. Je mettrai toutes mes forces à porter cette réforme constitutionnelle.

    Je pense que le congé paternité n'est pas suffisamment pris. C'est un sujet que nous devons revoir en partant de l'existant.

    Damien Abad a été écarté du gouvernement Borne 2. On ne vous a pas entendu quand il était maintenu dans la première équipe. Vous étiez mal à l’aise?

    Non, c’était plutôt lié à mon arrivée et à la feuille de route que je devais dessiner. La Première ministre a parlé d’exemplarité pour expliquer son choix. Je suis en phase avec sa décision.

    Votre collègue Chrysoula Zacharopoulou , gynécologue de formation est visée par trois plaintes pour viol dans le cadre de ses fonctions. Elle a été maintenue au gouvernement. Est-ce un deux poids deux mesures?

    Il faut être extrêmement prudent, il y a une enquête ouverte par le parquet, je ne souhaite pas m’exprimer sur le sujet.

    Vous avez vu Emmanuel Macron en tête-à-tête depuis votre nomination?

    Je l’ai vu au Conseil des ministres. Il a pu s’exprimer sur cette grande cause et sa priorité est de faire baisser les féminicides.

    Élisabeth Borne a dédié sa nomination à Matignon à “toutes les petites filles”. Qu’avez-vous envie de leur dire?

    Osez, ne vous résignez jamais et nous vaincrons

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