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      Molière, mort il y a 350 ans et toujours vivant

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 17 February, 2023 - 04:15 · 7 minutes

    Le 17 février 1673, il y a 350 ans, Molière succombait peu après la quatrième représentation du Malade imaginaire . L’an dernier, la Comédie-Française célébrait le 400e anniversaire de sa naissance. Mais on ne se débarrasse pas si facilement de Jean-Baptiste Poquelin. À peine né, le voici enterré mais c’est pour mieux renaître.

    Pour ceux de ma génération, Molière c’est Philippe Caubère dans la flamboyante fresque d’Ariane Mouchkine sortie en 1978. Pour d’autres c’est Tcheky Karyo dans Le Roi Danse de Gérard Corbiau : un critique, levé du pied gauche, lui reprochait d’être un « Molière de proximité ». L’auteur de Tartuffe a de toute façon pris bien des visages au cinéma et à la télévision. Statue du Commandeur de la Comédie-Française, il est devenu ce classique qui a ennuyé et ennuie toujours des générations d’élèves, comme tout ce qui est enseigné à l’école. Et c’est bien dommage comme nous le rappelait Nathalie MP Meyer .

    Molière, tapissier du roi

    Molière avait le sens du décorum et pour cause, il était un des huit tapissiers du roi comme l’avait été son père avant lui. C’était le plus grand des honneurs auquel pouvait aspirer un tapissier du Grand Siècle. Pourvu du titre de valet de chambre du roi, le tapissier du roi aidait lesdits valets de chambre à faire le lit royal. Molière n’a jamais exercé sa fonction mais il en conservait soigneusement le titre. Peut-être est-ce de là que vient cette réputation de s’être couché devant le pouvoir royal : Ariane Mnouchkine, dans une scène de son film qui met toujours mal à l’aise, nous le montre mimant un chien faisant le beau et tirant la langue devant Louis XIV.

    Avant tout, Molière était un bourgeois. Fils et petit-fils de bourgeois, il a toujours eu le souci de comptes bien tenus. Il avait connu la prison pour dettes suite à la faillite de l’Illustre Théâtre et devait sa vie durant s’efforcer de régler tout ce qu’il devait. C’est à ses capacités de gestionnaire que devait d’ailleurs se fier Dufresne plus qu’à ses talents de tragédien. L’argent, il le connaissait donc bien et il n’eut pas beaucoup de peine à écrire certaines tirades de l’ Avare . De même, M. Jourdain, bourgeois avant d’être gentilhomme, tient-il le compte précis de ce que lui doit Dorante. Molière fut, dans ses débuts de façon malheureuse, puis ensuite avec davantage de succès, un entrepreneur de théâtre tout autant qu’un auteur et un comédien.

    Un bourgeois écrivant pour les gentilshommes

    Cela n’est peut-être pas conforme à la légende de l’artiste bohème et en rupture insoucieux de ces tristes questions d’argent. Nos bohèmes modernes ont aujourd’hui trop l’habitude de compter uniquement sur l’argent public. Bien sûr, Molière avait compris que pour prospérer en France il était nécessaire de trouver un puissant protecteur. Ce furent successivement le prince de Conti, Monsieur frère du roi et enfin le Roi-Soleil lui-même. Mais il écrivait avant tout pour le public et comptait chaque soir sur les recettes qui faisaient vivre sa troupe.

    Et si, dans Le Bourgeois gentilhomme , il fait rire la Cour en ridiculisant un bourgeois, Molière le fait d’autant plus que ce bourgeois a honte de ses origines. Ce n’était pas son cas. Il n’a jamais renié son milieu tout en se révélant un remarquable portraitiste de la société de son temps. Son échec parisien et sa longue période de pérégrinations provinciales lui ont permis d’entrer en contact avec toutes les couches de la population française. Son théâtre en porte la marque avec ses pauvres et ses enrichis, ses paysans, ses bourgeois et ses nobles.

    Il avait par ailleurs reçu une excellente éducation chez les jésuites du collège de Clermont, l’actuel lycée Louis-le-Grand. Disciple de Gassendi, il aurait même traduit en français le De rerum Naturum de Lucrèce. Marqué ainsi par l’épicurisme, il manifeste un esprit libre et sans doute peu religieux. L’Église de France avait de son côté raidi son attitude vis-à-vis des comédiens : gens de mauvaise vie, ils se voyaient exclus de plus en plus des sacrements.

    Le « bas comique » de Molière

    Même si les constipés de l’Art officiel et subventionné tentent d’imposer l’image d’un Molière soporifique, tragique et anémique, nous sommes loin du compte. Ces rebelles financés par le contribuable confondent profondeur et vacuité, sérieux et ennuyeux. Molière comédien jouait comme les comédiens du théâtre de Boulevard et comme les acteurs comiques de l’époque où il existait encore un cinéma comique en France. Lors de la sortie de L’ Avare avec Louis de Funès, Jean-François Revel avait été un des rares critiques à applaudir son interprétation qu’il trouvait fidèle à Molière.

    Nourri à l’école des spectacles de rue et de la Comedia dell’Arte , Molière s’est longtemps fourvoyé en se croyant tragédien sur le modèle de ces messieurs de l’Hôtel de Bourgogne. Ceux-ci, de leur côté, au nom de leur art noble, méprisaient le « bas comique » de leur grand concurrent. Le talent sur scène de Molière était tout en gestes et en grimaces, certainement plus proche de Louis de Funès que du Théâtre-Français. On est loin aussi de ces troupes financées par l’argent public qui ne s’adressent qu’au public des profs et autres représentants des classes moyennes abonnées à Télérama pour des spectacles « conscientisées » et ennuyeux comme la pluie.

    Auteur de farces et de divertissements royaux

    Bien sûr, les pièces de Molière ne sont pas simplement des farces ou ne sont pas seulement des farces pour certaines d’entre elles. Mais nous infliger un Misanthrope lugubre c’est vraiment ne rien comprendre à Molière. Certes, on parle de choses sérieuses chez Molière, de l’amour et de la mort entre autres et surtout d’hypocrisie, mais sous une forme comique. Molière n’est pas Racine et moins encore Corneille, dont il n’était pas le porte-plume. Il a cependant beaucoup joué d’œuvres de Corneille, sans guère de succès d’ailleurs. S’il l’admirait profondément, il écrivait dans un style très différent.

    Pour sa part, Louis XIV ignorait à peu près les « grandes pièces » de son auteur favori, tel Dom Juan ou Le Misanthrope . Il aimait avant tout chez Molière le concepteur des grands divertissements royaux, des comédies ballets, une partie de son œuvre quelque peu tombée dans l’oubli. À l’époque, ce théâtre subventionné par le pouvoir visait à éblouir et à charmer. La prose mais aussi les vers de Poquelin s’y unissaient à la musique de Lully dans des spectacles visuellement impressionnants utilisant machineries et costumes éblouissants, mêlant danse, chant et théâtre.

    Droit d’auteur et réseaux sociaux

    Par ailleurs Molière était un plagieur selon les critères actuels du prétendu droit d’auteur et des tenants de la propriété intellectuelle (ou plutôt de la copie commerciale). Ce grand lecteur prenait son miel chez Plaute comme chez Apulée, l’Arétin, Tirso de Molina ou tant d’obscurs auteurs italiens, voire chez Cyrano de Bergerac. De même que j’écris cet article signé de mon nom en puisant la matière chez ceux qui connaissent le sujet mieux que moi. La différence, bien sûr, c’est le génie qu’y met Molière. Il prenait, disait-il, son bien où il le trouvait et son œuvre, en tout cas, s’en trouve fort bien.

    Mais à la fin des fins, Molière a été écrasé par une terrible campagne menée par les « réseaux sociaux » du temps, ceux des milieux dévots qui réussirent à faire interdire Tartuffe et Dom Juan et le contraignirent à adopter un profil bas dans ses dernières œuvres pour cesser de « blesser les sentiments » des croyants ou de remettre en question les « valeurs » de son époque. Le roi lui-même, tout absolu qu’il était, préféra ne pas affronter des ennemis aussi redoutables.

    Molière et les médecins

    Alors, tombé malade, bientôt abandonné par Louis XIV, Molière dut se résoudre à viser des adversaires moins dangereux. Il prit donc pour cibles les médecins. Ils vont lui inspirer de nombreuses œuvres dont le très méconnu Amour médecin , sa charge la plus violente sur le sujet. J’y avais d’ailleurs puisé des éléments de mon pastiche à l’époque du délire covidien .

    Comme le déclare l’un des personnages de la pièce, M. Filerin : « N’allons point, dis-je détruire sottement les heureuses préventions d’une erreur qui donne du pain à tant de personnes. »

    Et les erreurs qui donnent du pain à beaucoup de monde pullulent aujourd’hui. Molière, tu nous manques vraiment.

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      Covid-19 : Macronus à Versailles, le retour de Molière

      Gérard-Michel Thermeau · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 12 January, 2021 - 03:50 · 6 minutes

    macronus

    Par Gérard-Michel Thermeau.

    La scène se passe à Versailles dans la salle du Bon Plaisir. Le roi Macronus est entouré à sa droite de Castanus, son Contrôleur général des Bourdes publiques et, à sa gauche, de Veranus, son secrétaire d’État aux Petites Maisons. Divers médecins sont installés de part et d’autre de la table.

    MACRONUS : Nous voilà assemblés en Conseil de guerre, cette guerre que nous menons depuis si longtemps contre un ennemi aussi impitoyable qu’invisible. Nous connaissons notre ennemi, l’abominable Coronavirus pandemicus . Il est de votre devoir de bons sujets de nous apporter les lumières de vos avis éclairés puisés à la source de la science la plus pure et de l’entendement le plus aiguisé. Savants docteurs, professeurs de médecine, chirurgiens et apothicaires, vous êtes les meilleurs, tirés au sort parmi tous les innombrables disciples d’Hippocrate. Voyons, quel est votre avis monsieur Théophraste ?

    THEOPHRASTE : Hippocrate nous enseigne que l’expérience est périlleuse et le jugement difficile. Parfois le mal est plus fort que l’art docte. Aussi…

    MACRONUS : Aussi nous en resterons là, merci de cette intervention. (Tout bas à Castanus) La peste soit de cet animal. Encore une de vos bourdes, Castanus. (Tout haut) Eh bien, votre avis, monsieur Bahys ?

    BAHYS : La pandémie résulte d’un excès d’activité économique. La saignée me paraît tout indiquée. Il faut saigner l’économie.

    MACRONUS : N’est-ce pas là une mesure un peu extrême ?

    BAHYS : Extrême, point du tout. Qu’est-ce qu’une pandémie ? Aristote nous dit qu’il s’agit d’une épidémie qui touche tout le monde. Et pourquoi je vous prie ? Par la circulation, les vapeurs malignes se propagent en toute liberté. Or qu’est-ce que l’économie ? Une circulation continue des biens, des services, des idées. Seule l’immobilité la plus absolue peut donc nous garantir de ce terrible fléau.

    L’idéal serait de ne plus respirer du tout. Certes, tout le monde mourrait mais du moins en bonne santé. La perfection n’étant pas de ce monde, je préconise pour le moins de suspendre tout mouvement économique. Une bonne médecine corroborative vaut mieux qu’une économie florissante. Devons-nous privilégier les profits de messieurs les financiers, gens d’affaires et autres négociants ? La santé n’est-elle pas le bien le plus précieux ?

    CASTANUS : (à part) Ce que c’est tout de même que la robe et le bonnet. L’on n’a qu’à parler avec ces attributs et toute sottise devient raison.

    DIAFOIRUS : Une saignée sera inutile. Les symptômes du mal qui nous frappe sont indicatifs d’une vapeur limpide et mordicante. M’est avis qu’une bonne purge conviendrait davantage. Purgeons, purgeons encore, purgeons toujours, il en restera bien quelque chose. Purgeons et pour cela masquons. Cette vapeur nous l’appelons en grec atmos , ce qui souligne combien elle flotte dans l’atmosphère. Aussi convient-il d’obliger vos sujets à porter un masque en toute circonstance, et plus particulièrement en extérieur.

    BAHYS : Une mascarade, cher confrère, est-ce bien sérieux ? Purgez et le mal prospérera.

    DIAFOIRUS : Saignez et la pandémie triomphera.

    MACRONUS : Qu’en pensez-vous, Veranus ?

    VERANUS : Saigner l’économie ne peut faire de mal. Purger serait un bien supplémentaire. J’ajouterais cependant un couvre-feu.

    MACRONUS : Un couvre-feu et pourquoi ?

    VERANUS : Aristote a démontré que les corps lourds retombent vers le sol et les corps légers s’élèvent vers le ciel. Comme chacun sait, le froid de la nuit favorise l’évaporation. Or qu’est-ce qu’une vapeur, sinon un corps léger. Les vapeurs malignes sont donc particulièrement dangereuses la nuit.

    MACRONUS : Voilà qui est fort bien raisonné. Mais quelle heure vous semble la plus propice ?

    BAHYS : La sixième heure assure Hippocrate.

    DIAFOIRUS : La huitième heure affirme Gallien.

    MACRONUS : Eh bien, nous fixerons en même temps le couvre-feu à la sixième heure pour les uns et à la huitième pour les autres.

    MACRONUS : Et vous, monsieur Sganarelle, opinez-vous à l’opinion de vos confrères ?

    SGANARELLE : Sire, aux grands rois, les grands remèdes.

    MACRONUS : (tout bas) Voilà un homme selon mon cœur.

    SGANARELLE : Sire, saignée et purgation ont leurs vertus reconnues mais ne sont rien sans le remède suprême, la raison ultime des rois, le confinement.

    MACRONUS : Le confinement ?

    SGANARELLE : Confinez, sire, confinez. La santé ne dépend ni des remèdes, ni du savoir des médecins. Elle relève du Prince. Qu’est-ce que la pandémie ? La manifestation du mal-être dans le corps social. Or le médecin du corps social est le Prince. Confiner est faire acte de majesté. C’est dire au mal : tu ne passeras pas. C’est manifester votre puissance. Sire, vos sujets se sont trop longtemps crus des hommes libres. Ils doivent comprendre qu’ils sont soumis à votre volonté bienfaisante, souveraine et solidaire.

    MACRONUS : Voilà la médecine comme je la comprends.

    SGANARELLE : Le confinement offre un autre avantage. Il rend les hommes tristes et moroses. Vous le remarquerez, la mélancolie est ennemie de la joie et la bile qui se répand dans le corps est le meilleur vaccin contre le mal qui nous frappe. Un homme de bonne humeur nous paraît bien-portant. Or que sont les gens bien-portants ?

    MACRONUS : Des malades qui s’ignorent ?

    SGANARELLE : Votre Majesté est trop savante.

    MACRONUS : Cela m’est venu tout seul, sans y penser.

    BAHYS : Votre Majesté serait digne de porter le bonnet et la robe.

    SGANARELLE : La bonne humeur est contagieuse. Or la bonne humeur est une humeur. Si nous laissons les humeurs s’accumuler, elles deviendront putrides, tenaces et malignes. Ne permettons pas à la bonne humeur de se répandre. Hippocrate dit, et Gallien par vives raisons persuade, qu’une personne qui se porte trop bien est malade. Or, quelles sont les foyers infectieux par essence ? Les lieux propices à la bonne humeur, tavernes, auberges et cabarets où la joie se communique trop aisément. Tout rassemblement festif doit ainsi être absolument prohibé. L’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice. Vos sujets pourront ainsi méditer leurs malheurs.

    MACRONUS : Et votre conclusion, Doctissimae Facultatis ?

    Les médecins se concertent.

    SGANARELLE  : Après avoir bien consulté…

    BAHYS : Primo Saignare.

    DIAFOIRUS : Postea Purgare.

    SGANARELLE : Ensuitta Confinerare.

    MACRONUS : Et si le mal persiste, s’opiniâtre et ne veut point se laisser faire ?

    SGANARELLE : Re-Saignare, Re-Purgare, Re-confinerare !

    MACRONUS : Que voilà de savants médecins. Ce qui me plait surtout est de pouvoir faire tout cela en même temps .

    VERANUS : Et mon couvre-feu, Sire ?

    MACRONUS : Nous y songerons entre deux confinements.

    BALLET FINAL

    CHŒUR DES JOURNALISTES :

    Publions en tous lieux

    Du plus grand des héros la valeur triomphante.

    Que la terre et les Cieux

    Retentissent du bruit de sa gloire éclatante.

    EMMANUEL, par ses faits inouïs, exauce nos vœux

    Du récit de ses exploits assurons nos ventes.

    La comédie se termine par le ballet des Trivelins, Scaramouches, valets et autres journalistes.