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      Géopolitique de l’Islam d’aujourd’hui

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 2 February, 2023 - 03:30 · 12 minutes

    Cet article est le troisième d’une série consacrée aux origines, à l’histoire et à la géopolitique actuelle de l’Islam, le « I » majuscule du mot « Islam » indiquant qu’il est question du monde musulman et non de la religion, qui s’écrit avec un « i » minuscule.

    Le premier traitait des interrogations sur l’origine de l’islam , le second de l’histoire du monde musulman jusqu’au XX e siècle , et c’est en nous appuyant sur ces deux articles que nous allons aborder dans ce troisième article la situation géopolitique de l’Islam contemporain.

    1. Première partie : Grandeur et décadence de l’Islam
    2. Deuxième partie : Les nouvelles technologies bousculent l’histoire de l’islam

    Rappelons les conclusions de ces deux articles : une démographie forte , une victoire des traditionalistes sur des modernistes et un ressentiment envers l’ Occident suite à l’époque coloniale. Précisons également que :

    –  la colonisation n’a été possible que par la décadence du monde musulman, elle-même conséquence de ce que j’ai appelé « la première réaction islamiste ».

    –  le réveil démographique de ce monde musulman provient largement de la colonisation et plus généralement des progrès médicaux importés d’Occident.

    Une démographie forte mais en voie de ralentissement

    L’explosion démographique que nous avons décrite précédemment a créé une légende selon laquelle les musulmans seraient prolifiques.

    Nous avons vu qu’en fait cette explosion était une conséquence de la colonisation et nous pouvons ajouter qu’elle a eu lieu également dans des pays colonisés non musulmans. Donc rien de spécifiquement arabe ni musulman.

    D’ailleurs, aujourd’hui, les taux de fécondité des pays musulmans du Maghreb et d’Asie sont intermédiaires entre ceux, très élevés, de l’Afrique subsaharienne et ceux très bas des pays développés et de la Chine.

    Ces taux de fécondité sont en général de deux à trois enfants par femme au lieu de six en Afrique subsaharienne, et entre un et deux dans les pays développés. Il s’agit d’ordres de grandeur très variables d’un pays à l’autre et qui reflètent le développement de ces pays, lequel est intermédiaire entre l’Afrique subsaharienne et l’Occident. Bref, le taux de fécondité est une variable nationale et non religieuse.

    Néanmoins la légende d’une forte fécondité musulmane perdure, tant chez les Occidentaux que chez les islamistes qui proclament à toute occasion : « nous conquerrons le monde grâce au ventre de nos femmes ».

    Cette légende est entretenue par le nombre d’enfants des maris polygames. Alors que ce qui compte pour la croissance ou la décroissance d’une population, c’est le nombre d’enfants par femme : tout mari polygame condamne d’autres hommes au célibat.

    La population musulmane du monde est évaluée à 1,8 milliard d’habitants, chiffre probablement surévalué car il suppose que toute la population des pays dits musulmans soit croyante, ce qui est de moins en moins vrai comme nous le verrons plus loin.

    Une « deuxième réaction islamiste » qui s’organise politiquement

    La victoire des traditionalistes sur les réformistes a pris une forme politique, non seulement dans les sentiments populaires du fait de l’humiliation face à l’Occident et aux élites « collaborationnistes » souvent chrétiennes.

    En témoigne la création d’organisations politiques islamistes : « les Frères musulmans », de nombreux partis salafistes, l’international terroriste Al Qaïda et l’État islamique.

    Disons deux mots des Frères Musulmans, parti politique organisé à l’occidentale.

    Créée en 1928 par Hassan El Banna, sous le nom d’« Association pour commander le bien et pourchasser le mal », la confrérie des Frères musulmans naît dans une Égypte sous mandat britannique, donc sous la domination militaire et économique d’une puissance étrangère.

    Hassan El Banna est d’abord instituteur. Il prêche dans les cafés et répète que la colonisation provient de ce que les croyants se sont écartés du message divin.

    Pour lui, le retour aux sources de l’islam, le salafisme, s’impose donc et cela sous le pouvoir temporel et spirituel du guide (lui-même), qui sert de liaison entre le divin et le terrestre pour la prédication et le combat contre la domination étrangère : le djihad.

    Il reproduit le modèle des partis politiques des années 1920 et 1930, communistes, fascistes et nazis, partis de masse avec des sections dans chaque métier et par catégories sociales et une section chargée de l’action auprès des musulmans des autres pays, ainsi qu’une branche militaire qui combat pendant la première guerre israélo-arabe en 1947.

    Les Frères ont également une action sociale scolaire et sanitaire qui est pour beaucoup dans leur popularité. Ils veulent établir « une société modèle se référant à la loi islamique ».

    Ils mettent en place « l’islamisation par le bas » :

    « Nous voulons l’individu musulman, puis la famille musulmane, la société musulmane, l’État musulman, la nation musulmane ».

    Les musulmans du monde entier sont une même  nation. Ils s’opposent ainsi aux nationalistes de chaque pays et les combattent en édifiant une « contre-société » islamique qui échappe aux États.

    Et comme les gouvernements des pays musulmans vont d’échec en échec sur tous les plans (défaites militaires, économiques, sociales, intellectuelles), l’opposition islamiste apparaît comme un recours… Ils prennent alors le pouvoir et déçoivent à leur tour.

    Les islamistes au XXI e siècle

    Ce nouveau siècle est celui des désillusions de l’indépendance, avec ou sans participation islamiste.

    Les humiliations économiques et militaires que subit un monde musulman se multiplient et nourrissent le ressentiment qui est un des moteurs de l’islamisme radical, par ailleurs financé par le pétrole (les salafistes) et le gaz (Qatar, au bénéfice des Frères musulmans).

    Finalement les seules « victoires » des islamistes sont des attentats spectaculaires tant en Islam, tels l’assassinat de Sadate et d’innombrables « faux musulmans », qu’à l’extérieur (World Trade Center, Londres, Madrid…). Malgré sa cruauté même l’État islamique a fini par être détruit.

    Notons le cas particulier de l’Afghanistan où les islamistes ont battu l’armée soviétique avec l’appui américain puis ont lassé l’armée américaine elle-même.

    L’argent du pétrole et la puissance qu’il donne aux nouveaux médias donnent aux islamistes de nouveaux moyens et une caisse de résonance, voire, dans le cas d’Al Qaïda et des restes de l’État islamique notamment en Afrique, celui d’inspirer et de franchiser l’action terroriste ou militaire sans avoir à mettre en place une organisation hiérarchique et opérationnelle.

    Remarquons au passage à quel point le ressort « anti humiliation » reste un fondement de l’islamisme et du nationalisme.

    La bonne tenue de l’équipe marocaine lors du Mondial de football au Qatar a engendré un grand sentiment de fierté dans le monde musulman, car ressentie comme compensation à cette humiliation.. Fierté renforcée par l’efficacité et la richesse du pays hôte de cet évènement. Bref « on peut enfin être fier d’être Arabe ».

    Les divisions permanentes du monde musulman

    L’Islam est depuis toujours fragmentée par de violentes querelles intérieures et se désole de la fitna (division, tribalisme, querelles théologiques, guerres civiles…).

    Un exemple extrême est celui de tribus combattant aux côtés de non musulmans contre d’autres musulmans. Cela s’est vu pendant les croisades ou pendant la conquête de l’Algérie. L’histoire algérienne officielle oublie par exemple qu’Abdelkader, héros national, a longtemps combattu avec les Français.

    Outre cet aspect politique, la division est aussi religieuse. On ne peut pas parler de l’islam comme un tout .

    Quelques éléments communs comme l’appel à la prière en arabe ne compensent pas les différences de langue, de nationalité – un peu partout, le nationalisme concurrence la religion – et surtout les différences de tradition : l’islam wahhabite d’Arabie est loin de l’islam soufi sénégalais ou de celui imprégné de bouddhisme au fond de l’Indonésie.

    En réaction à la fitna , il y a régulièrement des appels à l’unité mondiale des croyants, qui devrait selon certains pour former une seule nation. Le terme oumma est alors utilisé ou d’un point de vue politico-militaire « le califat mondial », comme a tenté de le mettre en place l’État islamique. Remarquons que la masse de militaires qui l’ont combattu et vaincu étaient eux-mêmes des musulmans.

    Les divisions sont si profondes que beaucoup considèrent que le terme « monde musulman » n’a pas de sens précis et induit en erreur. D’où ma formule : « l’ Islam ça n’existe pas ».

    L’islam n’a pas l’unité géographique où civilisationnelle

    Dans cette carte du Pew Reasearch Center , la surface de chaque pays est proportionnelle à sa population musulmane.

    Attention ! Si cette carte est restée en gros pertinente pour les surfaces, elle ne l’est plus pour les populations. Les chiffres datent de 2009 et donnent le nombre de musulmans par pays et non leur population totale : en Inde, il est probable que le nombre de musulmans est d’environ 200 millions, les Algériens sont 45 millions. Par contre la population de l’Iran, de la Turquie, du Maroc a nettement moins augmenté.

    Cette carte nous rappelle que les musulmans sont d’abord installés en Asie et ne sont que très minoritairement arabes. Ce sont d’abord en effet les géants asiatiques qui dominent : Indonésie, Bangladesh, Inde et Pakistan.

    Le premier pays arabe, l’Égypte, est loin derrière avec peut-être 90 ou 95 millions de musulmans, auxquels il faut ajouter 10 à 13 millions de coptes.

    Et la diaspora qui fait tant parler d’elle en Allemagne et en France est encore très faible, notamment aux États-Unis. Son action se limite donc aujourd’hui à la vie associative et à des actions individuelles de provocation ou d’attentats, qui ont un effet psychologique important mais ne changent pas grand-chose à la vie économique et sociale des pays concernés.

    Il y a des islamistes, des salafistes et des djihadistes dans tous les pays, notamment grâce à l’argent du pétrole : j’ai vu au fond du Vietnam, pays dans lequel l’islam est extrêmement minoritaire, un minuscule village musulman avoir une belle et grande mosquée financée par l’Arabie.

    Il faut néanmoins préciser que les activistes sont nettement moins puissants en Asie du sud et du sud-est (Inde, Bangladesh, Indonésie… ) où les élections, en général de bonne qualité, ont montré qu’ils étaient très minoritaires.

    Et l’avenir ? Il n’y a pas de « gène de l’islam »

    Comme dans le reste du monde, Internet et la télévision ont un rôle très important mais de sens opposés puisqu’ils peuvent aussi bien pousser vers la radicalisation que vers l’occidentalisation, voire l’athéisme.

    C’est en s’appuyant sur les réseaux sociaux que sont nés les « printemps arabes », mais aussi que se diffuse le djihadisme. Et c’est sans doute aussi par eux qu’une frange non négligeable de musulmans quittent plus ou moins discrètement leur religion. Au fil du temps la bourgeoisie anglophone ou francophone des pays musulmans est devenue ainsi discrètement déiste, agnostique ou athée.

    En France, il y a une croyance tenace commune aux islamophobes virulents et aux musulmans pieux : ils sont persuadés que l’islam est adopté pour la vie et pour les générations à venir, donc qu’il y aurait une sorte de « gène » de l’islam. L’expérience montre le contraire, et que si l’islam gagne quelques convertis, il perd sans arrêt des croyants .

    De multiples sources le confirment, dont des sondages internationaux, dont ceux de Pew Research Center et de l’Arab Center for Research and Policy Studies .

    En témoigne également l’organisation internationale « conseil des ex- musulmans », dont le Conseil des ex-musulmans de France ( CEMF) en France.

    Dans notre pays, Houssame Bentabet estime à 15 % des musulmans français le nombre des « ex », soit 600 à 700 000 personnes. Je pense que le chiffre est beaucoup plus important .

    L’avenir des islamistes

    Je pense que cette conscience d’un abandon de l’islam explique la virulence des islamistes qui se sentent menacés, raison qui s’ajoute à toutes celles accumulées au cours de l’histoire comme nous l’avons vu.

    Dans  les pays musulmans, la diffusion de l’islamisme se heurte au discrédit des gouvernements en place. L’échec de ces derniers, soit purement islamistes comme en Iran, soit qui en appellent à l’islam pour asseoir leur pouvoir comme en Turquie et de nombreuses autres pays, rejaillit sur les autorités religieuses musulmanes considérées à juste titre comme « complices » de l’autoritarisme, de l’échec économique et des violences.

    Et dans les pays occidentaux, l’intégration des femmes sape également leurs bases : plutôt que de s’effrayer devant le nombre de femmes voilées, on devrait regarder celles qui ne le sont pas !

    En sens inverse, je suis navré de voir que l’islamophobie d’une partie de l’opinion occidentale est contre-productive, car elle pousse certains musulmans dans les bras des islamistes.

    En conclusion

    L’Islam est éclaté géographiquement, nationalement et religieusement. Les islamistes essayent d’en rétablir l’unité. À mon avis, ils n’y arriveront pas, notamment du fait de la multiplication des contacts des croyants avec le reste du monde.

    On peut imaginer un éclatement de l’Oumma (la communauté mondiale des musulmans) en trois grands groupes compliquant encore plus ses divisions actuelles : les ex–musulmans, qui suivront ainsi l’évolution des chrétiens et des juifs, un deuxième groupe qui se recentrera sur la morale de base largement commune à toutes les religions et un troisième que j’appelle islamiste par commodité, qui essaiera de freiner l’évolution par un redoublement de violence.

    Sur le web

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      Grandeur et décadence de l’Islam

      Yves Montenay · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 15 January, 2023 - 04:00 · 11 minutes

    Poursuite de mon dossier consacré à l’Islam, avec un I majuscule c’est-à-dire le monde ou la civilisation musulmane et non pas seulement la religion qui s’écrit « islam » avec un i minuscule, avec la deuxième partie historique, des origines au courant du XX e siècle.

    Pourquoi ce dossier ?

    L’islam est une religion pratiquée par un peu moins d’un quart des habitants de la planète. C’est donc une réalité importante. Or elle est mal connue, même par les musulmans. Et cette méconnaissance tourne bien souvent à l’hostilité réciproque du fait de la violence de certains de ses courants.

    Les fidèles sont pénétrés de leur foi et le dialogue est difficile alors que d’autres religions, soit par nature, soit du fait de gouvernements laïques, ont l’habitude d’un examen critique.

    Toutes ces raisons font qu’il me semble qu’un état des lieux est utile tant pour les musulmans que pour les non musulmans.

    J’ai eu l’occasion de le faire dans une grande école française pour un groupe d’une trentaine d’élèves composée de Maghrébins, de musulmans grandis en France, de chrétiens arabes et de Français non musulmans curieux.

    Cet article est le deuxième d’une série, le premier traitant de la controverse sur les origines de l’islam , et le troisième, à paraître bientôt, traitera des problèmes contemporains.

    Je commencerai par évoquer des origines de cette religion notamment parce que les musulmans abordent leur religion par les textes décrivant cette époque, généralement dans l’enseignement public de leur pays.
    Il en résulte des convictions profondément ancrées pour une partie importante des croyants. Ils sont donc heurtés par les analyses historiques dubitatives que nous avons vu dans l’article précédent .

    Les débuts de l’islam vu par les musulmans

    Selon la tradition, Mahomet a reçu la parole de Dieu et l’a transmise oralement à ses disciples à partir de l’année 610. Il meurt en 632. Le relevé de sa parole, le Coran, n’a été écrit qu’en 647 en rassemblant, à la demande du calife Othman, des témoignages verbaux et parfois écrits.

    Les croyants insistent sur le fait que la perfection de cette parole montre bien qu’elle est d’origine divine. Le texte lui-même est souvent construit comme une sorte de poème destiné à être psalmodié. De nombreuses allusions au contexte de l’époque sont obscures aujourd’hui et font l’objet de controverses entre spécialistes.

    Au Coran s’ajoutent deux textes et l’ensemble des trois constitue « la Sunna », que l’on traduit en général par « tradition ». Il s’agit de la Sira et des hadiths. Le premier est le récit de la vie du prophète et le second des témoignages écrits transmis par une chaîne de témoins et très difficiles à authentifier. Néanmoins un énorme travail fut accompli dans ce domaine et une petite minorité de ces témoignages furent officialisées.

    Contrairement à d’autres leaders religieux tels que Jésus ou Bouddha, Mahomet fut aussi (et peut-être avant tout) un commerçant, un homme politique et un chef de guerre. Il était donc profondément impliqué dans la vie civile autant que dans la vie religieuse.

    Pour certains problèmes concrets, il eut une révélation sur la façon de les régler qu’il transmit verbalement à ses compagnons.

    Une partie du Coran comprend donc des règles à appliquer à la vie économique et politique, par la guerre si nécessaire, instituant une unicité du temporel et du spirituel : la vie civile doit suivre les principes de la religion révélée.

    Cette partie du Coran est appelée « les sourates médinoises » qui contrastent avec « les sourates mecquoises » plus axées sur les grands principes religieux et révélées à une époque où Mahomet vivant à la Mecque et marié à une femme riche, n’était pas impliqué dans les problèmes concrets. Remarquons que c’est un classement « intellectuel », ces deux types de sourates étant mélangées dans le texte actuel.

    Cette vision traditionaliste et très largement enseignée des débuts de l’Islam n’est aujourd’hui plus la seule, comme je l’exposais dans l’article précité.

    L’apparition d’une « civilisation islamique »

    Dès la fin du VII e siècle, après la mort de Mahomet, les Arabes prirent le contrôle du sud et de l’est de l’empire byzantin de culture gréco-latine, ainsi que de la Perse, aujourd’hui l’Iran, pays de très ancienne culture.

    Ce dernier pays se distingua rapidement du monde arabe en choisissant une variante de l’islam, le chiisme, dont l’organisation et la théologie ressemblent davantage à celle de l’Église catholique. Mais cette branche de l’islam étant très minoritaire (de l’ordre de 3 % des croyants), je n’en parlerai pas davantage.

    « Les Arabes » – terme qui désignait à l’époque les peuples d’Arabie considérés comme des guerriers incultes – encadrèrent donc des populations non arabes ayant les savoirs et pratiques politiques, scientifiques et architecturales de ces civilisations.

    Ces populations soumises s’arabisèrent et se convertirent peu à peu, notamment pour des raisons sociales et fiscales, tout en gardant leurs savoirs. Il en résulta ce que certains appellent « la civilisation islamique » à forte teinture grecque et perse, notamment en mathématiques et en médecine.

    Il en découla notamment deux positions sur la question de l’unicité du temporel et du spirituel :

    1. La « tradition longue » qui distingue le politique du religieux et permet à ce dernier de se séparer (jusqu’à un certain point) du religieux.
    2. La « tradition courte » qui considère qu’en tant que réceptacle de la parole de Dieu, le religieux doit diriger l’État. Elle est à l’origine des partis islamistes.

    Dans le premier cas, le Palais est prépondérant sur la Mosquée pour ce qui concerne l’organisation de la vie civile ; dans le deuxième cas, la Mosquée a la mainmise sur le Palais.

    Je laisse aux exégètes le soin de dire si l’opposition entre ces deux tendances recoupe plus ou moins celle entre les mutazilites, plutôt rationalistes, et les hanbalites dont une partie des partisans ont donné les islamistes d’aujourd’hui.

    Cet « Âge d’or de la civilisation islamique » fut caractérisé par une fécondité intellectuelle qui dura jusqu’aux alentours de l’an 1000 et est toujours célébrée aujourd’hui.

    Certains musulmans vont même jusqu’à dire que la transmission des œuvres antiques prolongées par des travaux arabes sont à la source du développement de l’Occident. Ce contre quoi s’élèvent d’autres historiens qui privilégient l’apport direct des Byzantins et les échanges entre monastères chrétiens occidentaux et orientaux.

    Mon objet ici n’est pas d’entrer dans cette querelle, que je trouve un peu abstraite.

    Je remarque simplement que le tournant musulman dont je vais parler plus bas fit que l’Occident fut ensuite le seul à se développer à partir de la deuxième partie du Moyen Âge.

    L’extension du monde musulman pendant le Moyen Âge

    Les musulmans allèrent rapidement au-delà de cette partie de l’empire byzantin et de la Perse.

    Ils conquirent le Maghreb malgré une longue résistance des Berbères, puis plus facilement l’Espagne et remontèrent jusqu’à Poitiers où il furent arrêtés par Charles Martel en 732. Son fils Pépin le Bref reprit Narbonne en 759. Cette contre-offensive occidentale culmina avec les croisades au IX e et X e siècle.

    Cet épisode qui nous paraît maintenant lointain a durablement marqué l’imaginaire musulman et est encore utilisé aujourd’hui comme argument anti-occidental.

    En Orient, les musulmans convertirent des peuples mongols dont les Turcs qui prirent finalement Byzance en 1453 et soumirent l’Europe centrale et balkanique jusqu’à Vienne. D’autres Mongols islamisés conquirent l’Asie centrale puis le nord-ouest de l’Inde, ancêtre du Pakistan actuel.

    Beaucoup plus loin à l’est, hors de portée des armées arabes ou mongoles, les « commerçants–missionnaires » arabes convertirent l’actuel Bangladesh et le monde malais : Malaisie, Indonésie, une partie des Philippines et une petite minorité de Chinois, soit environ le tiers des musulmans d’aujourd’hui.

    Ce fut une avancée pacifique, peu connue en Occident où l’on se souvient plutôt d’invasions.

    La « première réaction islamiste »

    Je baptise ainsi ce retour aux sources et à une vision radicale de l’islam. Il fut assorti d’autodafés des livres non musulmans, de violences et d’assassinats d’hommes politiques non conformes à la nouvelle position de l’islam, notamment par la secte des ashashins, littéralement « drogués au hashich pour aller au bout de leur mission », d’où est tiré le mot français « assassin ».

    On pourrait résumer cette réaction islamiste par :

    « Les ennemis ne pouvant triompher que si Dieu en décide ainsi c’est qu’il veut nous punir de nous être écartés du véritable islam. Revenons à la source, à l’époque des anciens ( salafiya , d’où salafiste) et à la volonté de Dieu (par opposition au raisonnement) », ce qui revenait souvent à nier toute causalité et donc toute démarche scientifique ou tentative d’innovation, considérées comme hérétiques. Attitude résumée par la formule « bila kayf » (il n’y a pas de pourquoi).

    Ce retour à une vision fondamentaliste explique probablement les déboires économiques et militaires des peuples arabes pendant la seconde moitié du Moyen Âge face aux Mongols et aux Turcs. Puis ceux de l’ensemble du monde musulman face aux Occidentaux dans un contexte de stagnation économique et donc démographique.

    L’irruption de l’Occident au XIX e siècle

    Le XIX e siècle représenta un nouveau tournant pour le monde musulman.

    Il fut préparé par deux chocs psychologiques importants : la déroute turque après le siège de Vienne en 1683 et surtout l’arrivée de Napoléon Bonaparte en Égypte en 1798.

    Ces évènements engendrèrent deux types de réactions : celle des modernistes et celle des futurs islamistes.

    Les modernistes imitèrent les institutions occidentales et firent appel aux Européens à titre privé. Ces derniers prirent alors conscience de leur formidable supériorité technique, organisationnelle et (alors) démographique.

    Le Japon fit de même mais à la différence des pays musulmans les modernistes gardèrent le pouvoir et rattrapèrent le niveau occidental par imitation dans un premier temps, par leurs propres forces ensuite. La Chine est lancée dans une évolution analogue mais beaucoup plus tardive. Le « communisme féodal » de Mao, que l’on pourrait qualifier d’équivalent lointain des islamistes reprenant actuellement du poids.

    Finalement, les réformes des musulmans modernistes échouèrent face à ce que j’appelle la deuxième réaction islamiste, notamment en Égypte où elles avaient été lancées à la suite du passage de Napoléon.

    Ce non-développement permit aux Européens de s’implanter par le colonialisme direct (Algérie, Indonésie, futur Pakistan…) ou indirect (Égypte et dans une moindre mesure le reste du Maghreb et du Moyen-Orient).

    Le XX e siècle, l’inversion démographique et la réaction anticoloniale

    Il n’y a qu’en Turquie que le kémalisme s’opposa à l’islam dogmatique et réussit à le mettre sous tutelle dans les années 1920, jusqu’à la contre-révolution islamiste conduite aujourd’hui par le président Erdogan.

    Cet échec des modernistes musulmans et la colonisation qui suivit firent que les contacts avec les Occidentaux eurent lieu dans des situations d’infériorité et souvent d’humiliation pour les populations locales.

    Un formidable ressentiment mâtiné d’impuissance s’accumula tant envers les Européens qu’envers les élites occidentalisées souvent chrétiennes au Moyen-Orient parce que scolarisées à l’occidentale.

    C’est dans ce ressentiment que les islamistes puisent leur force.

    Les islamistes s’allièrent aux nationalistes pour lancer la lutte anticoloniale qui se termina par des indépendances dans l’ensemble pacifiques (Maroc, Liban et bien d’autres) mais parfois à la suite de véritables guerres (Algérie, Indonésie…).

    Un exemple emblématique de cette union fut la prise de pouvoir par le président Nasser en Égypte qui se fit avec l’appui des Frères musulmans contre lesquels il se retourna dans un deuxième temps. Nasser fut un temps le grand espoir du monde arabe, même si avec le recul actuel sa réputation est plus nuancée aujourd’hui.

    Le succès de cette lutte anticoloniale découla en grande partie du renversement de la situation démographique par la colonisation.

    Cette dernière a largement diminué la mortalité en diffusant le progrès médical mais aussi en apportant de la nourriture pendant les périodes de famine qui étaient dévastatrices auparavant. Mais parallèlement la fécondité traditionnelle s’est maintenue du fait de la coupure culturelle elle-même cultivée par le religieux.

    Il en est résulté une explosion démographique, avec par exemple le passage de la population égyptienne de deux à trois millions sous Napoléon à 103 millions aujourd’hui, ou celle de la population musulmane d’Algérie , de deux à trois millions en 1830 à 45 millions aujourd’hui.

    Et maintenant, passons au XXI e siècle

    Vous connaissez maintenant les principales données : la démographie, les indépendances, la rivalité entre islamistes (au sens large) et modernistes. Dans mon tout prochain article, je vous dirai comment ces éléments se combinent et interfèrent avec reste du monde et notre actualité.

    C’est-à-dire que nous passerons de l’histoire à la géopolitique.

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      Fin de la police des mœurs en Iran : une manœuvre plutôt qu’une victoire

      Hamid Enayat · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 9 December, 2022 - 03:40 · 2 minutes

    Ce que le procureur général a implicitement dit au sujet de la suppression de la police des mœurs en Iran a été considéré par certains comme une manœuvre et par d’autres comme une retraite, quoique tactique.

    Mais ce qui se passe en Iran depuis près de trois mois montre qu’il ne s’agit ni de l’une ni l’autre.

    La dictature religieuse édifiée sur des dogmes religieux du Moyen-Âge s’est imposée à l’histoire iranienne et au monde moderne. Elle a été enfantée par la répression brutale des organisations et institutions démocratiques iraniennes par la Savak (police secrète) et l’armée du chah qui a créé un vide politique. Profitant de ce vide, les mollahs se sont hissés au pouvoir sur la base du système du guide suprême religieux.

    Cette dictature est imperméable à toute réforme

    Car toute réforme conduit inévitablement à changer sa structure. La répression et les exécutions sont inhérentes à ce régime puisqu’il est incapable de répondre aux besoins économiques, culturels et politiques des Iraniennes et des Iraniens. Il a de ce fait recours à la répression à grande échelle et pour couvrir cette répression à l’intérieur il se tourne vers le terrorisme débridé et l’incitation à la guerre dans la région et dans le monde. La société iranienne demeure comme un ressort comprimé sur lequel le régime exerce une pression de tous les instants afin de rester au pouvoir.

    On peut donc dire avec certitude que le régime iranien n’a pas la capacité de reculer ou même de manœuvrer. Compte tenu des vagues de protestations aussi fortes qu’étendues en Iran, un pas en arrière rendra le peuple iranien plus désireux encore d’écraser ce régime.

    Par ailleurs, le guide suprême sait bien que chaque pas en arrière accélèrera sa chute. C’est pourquoi il rejette toute idée de recul, même tactique.

    Hossein Jalali , député de la commission des affaires culturelle du parlement des mollahs, a déclaré hier dans la ville sainte de Qom qu’ils allaient s’attaquer à la question du « voile ». Il est certain qu’ils ne reculeront pas sur ce point.

    La mort de Mahsa Amini , l’étincelle dans le baril de poudre, a enflammé le mécontentement des Iraniens. Il s’est étendu à 280 villes et plus de 700 personnes sont mortes pour la liberté. Ce soulèvement ne se limite pas à l’annulation les lois misogynes et de la police de mœurs. Au contraire, il vise l’ensemble de la tyrannie religieuse. Le slogan principal répété chaque jour reste « à bas le dictateur » et « à bas le tyran, qu’il soit chah ou mollah ».

    Par conséquent, même s’il la suppression de la police de mœurs est avérée, elle n’aura pas d’impact sur la révolution en Iran visant à instaurer une démocratie fondée sur la séparation de la religion de l’État et l’égalité des femmes et des hommes.

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      Mort du cheikh Khalifa ben Zayed Al-Nahyane, président des Émirats arabes unis

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Friday, 13 May, 2022 - 10:55 · 1 minute

    L'ex-président des Émirats arabes unis, le cheikh Khalifa bin Zayed al-Nahayan, à l'Elysée en juillet 2007 (photo d'archives). L'ex-président des Émirats arabes unis, le cheikh Khalifa bin Zayed al-Nahayan, à l'Elysée en juillet 2007 (photo d'archives).

    MOYEN-ORIENT - Le président des Émirats arabes unis , le cheikh Khalifa ben Zayed Al-Nahyane est mort à l’âge de 73 ans, ont annoncé ce vendredi 13 mai les autorités du pays. ​“Le ministère des Affaires présidentielles présente ses condoléances au peuple des Émirats arabes unis, à la nation arabe et islamique et au monde pour le décès de Son Altesse Cheikh Khalifa ben Zayed Al Nahyan, président des Émirats arabes unis”, indiquent-elles dans un communiqué.

    Le gouvernement a décrété “un deuil officiel et les drapeaux mis en berne” pour une durée de 40 jours, a indiqué l’agence de presse officielle WAM. Le chef de l’État, arrivé au pouvoir en 2004, s’était fait rare en public depuis un AVC en janvier 2014. Il avait accompagné ces deux dernières décennies l’ascension fulgurante de son pays sur la scène internationale.

    Mais depuis son AVC, son célèbre demi-frère, Mohammed ben Zayed, prince héritier d’Abou Dhabi surnommé “MBZ”, conduit les affaires du pays et reste considéré comme le dirigeant de facto de la monarchie pétrolière à l’influence grandissante.

    Après l’établissement en 1971 de la fédération, qui comprend Abou Dhabi et Dubaï, cheikh Khalifa a été désigné vice-Premier ministre du nouvel État. Il a présidé ensuite le Conseil supérieur du pétrole, organisme doté de larges pouvoirs dans le domaine énergétique.

    Joe Biden a salué “sa mémoire” du président des Émirats arabes unis cheikh Khalifa ben Zayed Al-Nahyane, “un vrai partenaire et ami des États-Unis”. “Nous allons honorer sa mémoire en continuant à renforcer les relations anciennes entre les gouvernements et les peuples des Etats-Unis et des Émirats arabes unis”, a déclaré le président américain dans un communiqué en présentant ses “condoléances” après le décès du dirigeant.

    À voir également sur Le HuffPost: Aux Émirats, cette “montagne russe” va vous donner le vertige

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      Les vaccins interdits d’entrer en Iran

      Hamid Enayat · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 16 January, 2021 - 04:20 · 5 minutes

    Par Hamid Enayat.

    Le 8 janvier 2021, Khamenei a annoncé à la télévision officielle l’interdiction d’importer des vaccins américains, britanniques et français.

    Si les Américains ont pu produire le vaccin, ce scandale du coronavirus ne se serait pas produit dans leur pays avec la mort d’environ 4000 personnes en un seul jour. En même temps, il faut fondamentalement s’en méfier, et parfois ces vaccins sont destinés à être testés sur des nations.

    Les chiffres officiels en Iran font état de 60 000 victimes du Covid-19. Le président du conseil de Téhéran a déclaré que les chiffres avancés par les autorités ne sont que ceux du cimetière de Behesht-Zahra à Téhéran. De son côté, l’opposition iranienne a annoncé que le nombre de décès dans seulement la moitié des villes d’Iran est proche de 200 000, selon les informations des hôpitaux et des cimetières. Une catastrophe se produit dans le silence le plus complet.

    Le monde entier commande, obtient et inocule à la population des vaccins fiables et approuvés par l’Organisation mondiale de la santé. Le très officiel quotidien Jahan-e-Sanat a déclaré le 22 décembre 2020 que « 80 pays ont fourni gratuitement au public 7 millions de doses de vaccin Pfizer. »

    Mais selon Khamenei, « si leur usine Pfizer peut fabriquer le vaccin, pourquoi veulent-ils nous le donner ? »

    Khamenei tire le rideau

    Apparemment, Khamenei est à l’origine des « excuses des dirigeants du régime pour ne pas avoir acheté le vaccin Covid-19 » et du « retard des autorités dans cet achat » , écrivait Jahan-e-Sanat le 17 décembre.

    Selon Zafar Ghandi, le chef du Conseil médical en Iran, le 2 décembre 2020, « le coût de la fourniture du vaccin (étranger) Covid-19 en Iran est inférieur à 200 millions de dollars, et ce n’est pas une somme que le gouvernement peut avancer ».

    Pourquoi Khamenei est-il opposé à l’importation de vaccins fiables, alors que Pfizer prétend être efficace même contre le nouveau virus Covid-19, hautement contagieux et mutant ?

    Les objectifs de Khamenei en Iran

    L’interdiction d’importer un vaccin fiable par Khamenei montre que c’est pour lui d’une importance stratégique. Le régime iranien avait auparavant adopté une stratégie d’immunité collective . L’Association iranienne d’immunologie a averti le président iranien Hassan Rohani que sur la base de cette stratégie 70 % de la population serait infectée, faisant entre un et deux millions de morts.

    On comprend maintenant pourquoi le régime refuse de prendre des mesures sérieuses comme le confinement. S’il parvient à maintenir la population iranienne concentrée sur la pandémie de Covid-19, cela détournera son attention des autres plaintes qui alimentent un soulèvement potentiel.

    Pourquoi une immunité collective ?

    Tant que la Covid-19 est présente et touche 70 % de la population, les pauvres, qui représentent plus des sept dixièmes de la société, ne peuvent plus recourir aux protestations de masse ou formuler d’autres revendications. Selon le régime, ces protestations, comme le soulèvement de novembre 2019 où Khamenei et ses dirigeants ont senti le vent du boulet, pourraient conduire au renversement du pouvoir clérical.

    Selon Khamenei, le coronavirus est une bénédiction qu’il faut transformer en opportunité. Il agit comme un bouclier contre un soulèvement populaire, retardant l’inévitable.

    Une vague d’exécutions et de répression en Iran

    Le jeudi 31 décembre, le commandant adjoint de la police nationale, le général Qassem Rezaï, a donné un ordre ignoble aux forces sous son commandement :

    Si vous avez arrêté quelqu’un dans un affrontement et que je le vois se tenir debout ici sain et sauf, vous aurez à expliquer pourquoi.  S’il avait un couteau à la main, il fallait lui briser la main […] Les droits de l’accusé sont pour après son arrestation.

    Il a tenu ces propos délibérément devant la caméra et le public.

    Rien que durant la deuxième semaine de décembre, du 12 au 19, douze personnes ont été exécutées dans les prisons iraniennes . Le 31 décembre, trois sunnites ont été pendus à Machhad. Le 3 janvier, trois Baloutches ont été exécutés après de longues années de détention. Mohammad Hassan Rezaï, qui n’avait que 16 ans au moment de son arrestation, a été pendu le 31 décembre, dans un acte cruel violant toutes les normes internationales.

    Ces exécutions hâtives ne visent qu’à contrôler une société en ébullition. Et le régime, qui pensait pouvoir le contenir avec la Covid-19, utilise à nouveau l’arme rouillée des exécutions pour contenir les exigences de la population iranienne.

    « Le volcan des affamés »

    Un expert officiel avait précédemment déclaré qu’ « il faut avoir peur du moment où le volcan des affamés ne sera plus retenu » . Ces derniers mois, des jeunes ont pris pour cibles des centaines de centres des gardiens de la révolution, de la milice du Bassidj et des centres de torture, pour briser le statu quo. Les attaques contre les tribunaux qui prononcent des condamnations à mort ou ordonnent la démolition des masures des pauvres gens font partie des centres visés par les jeunes insurgés.

    Le feu mis aux portraits de Khamenei et de Soleimani dans diverses villes symbolise la colère de la jeunesse qui se révolte contre l’oppression et la répression. Bien sûr, c’est un message clair envoyé à Khamenei et au régime iranien.

    Quelques mois avant le soulèvement de novembre 2019, le ministre du Renseignement Mahmoud Alavi avait affirmé que 116 de ces équipes d’insurgés avaient été arrêtées en quelques mois et qu’elles étaient affiliées aux Moudjahidine du peuple (OMPI), l’ennemi juré du régime clérical. Khamenei survivra-t-il au volcan des affamés malgré le bouclier du Covid-19 et des exécutions ?

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      Liban : la tentation chinoise

      The Conversation · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 15 November, 2020 - 04:30 · 8 minutes

    Liban

    Par Emmanuel Véron 1 et Emmanuel Lincot 2 .
    Un article de The Conversation

    Plus de trois mois après la double explosion dans le port de Beyrouth, la tentation est grande pour le Liban et, surtout, pour le parti pro-iranien du Hezbollah de se tourner vers Pékin.

    Ce serait un camouflet pour Emmanuel Macron, premier chef d’État étranger à s’être rendu (par deux fois) après le drame dans ce pays sinistré : selon lui, l’aide apportée par l’ancienne puissance mandataire (1918-1946) et celle de la communauté internationale doivent être conditionnées à une lutte active contre la corruption et à un changement de système .

    Il est vrai que cette exhortation française, aussitôt dénoncée par le chef du Hezbollah Sayed Nasrallah au nom de la communauté chiite (27 % d’une population totale de 6,8 millions d’habitants), allait à l’encontre d’un projet d’infrastructures de vaste ampleur financé par la Chine .

    Les potentialités pour Pékin y sont gigantesques, y compris dans la Syrie voisine , elle-même amenée à se reconstruire. L’enjeu est évidemment considérable pour le pays du Cèdre que les quinze années de la guerre civile (1975-1990), conjuguées aux effets de la guerre de 2006 et de la crise économique ont durablement pénalisé.

    Complexes rapports des forces au Liban

    Le Liban traverse la pire crise économique de son histoire, marquée par une dépréciation inédite de sa monnaie , une explosion de l’inflation et des restrictions bancaires draconiennes sur les retraits et les transferts à l’étranger.

    Près de la moitié de la population libanaise vit dans la pauvreté et près de 40 % des actifs sont au chômage. La situation s’est aggravée avec la venue massive de réfugiés syriens fuyant depuis 2011 le conflit que subit leur pays. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies, ils seraient aujourd’hui plus de 1,5 million, dont 500 000 jeunes entre 3 et 14 ans .

    Ce qui fait du Liban (4,1 millions de Libanais résidant dans le pays), le pays avec le plus fort taux de réfugiés au monde – puisqu’un habitant sur quatre y a le statut de réfugié.

    Cette question constitue à la fois un enjeu politique majeur et un drame humanitaire sans précédent. La situation perturbe de nombreux Libanais – du petit commerçant aux élites, en passant par les politiques et les humanitaires.

    Par ailleurs, l’entrée en application d’un nouvel arsenal de sanctions dirigées contre le pouvoir syrien et décidées par le Congrès américain en juin dernier ne peut guère arranger la situation régionale désormais au bord de l’asphyxie. Cet ensemble de sanctions – surnommé « la loi César » – vise à exercer « une pression maximale » sur le régime de Damas et sur son principal allié, Téhéran.

    La vindicte du Hezbollah à l’encontre de la France et des États-Unis s’explique d’autant mieux que son principal pourvoyeur iranien est confronté à de très grandes difficultés. Le plan de lutte du Hezbollah contre la Covid-19 , qui se voulait une démonstration de force, a d’ailleurs aussi exposé ses faiblesses (logistiques et moyens).

    Pour autant, le Hezbollah est assuré d’une victoire de Bachar Al-Assad en Syrie. Il mise donc plus que jamais sur l’axe Téhéran-Moscou, qui se renforce au fur et à mesure que les États-Unis s’opposent à lui.

    La Chine n’est pas en reste puisqu’elle assure déjà 40 % des importations du Liban . Plus symboliquement encore, la fameuse route reliant Beyrouth à Alep – via Damas –, autrement appelée M 5, que Bachar Al-Assad a reprise aux trois quarts aux rebelles dès 2015 avec l’aide de son allié russe, pourrait être parachevée sur son tronçon libanais grâce à des investissements chinois.

    Comme leurs alliés américains, qui ont abreuvé le Liban de dollars, l’Arabie saoudite et les monarchies du Golfe ont pris des distances. Ils accusent les dirigeants libanais de laisser le Hezbollah former les rebelles houthis contre lesquels ils sont en guerre au Yémen. Réciproquement, les Houthis financeraient, avec le soutien de Téhéran, les activités du Hezbollah .

    L’enjeu stratégique du port de Beyrouth

    Au-delà de ses propres besoins nationaux, le Liban demeure un point d’entrée essentiel pour l’ensemble de la région . Les pays du Levant tels la Jordanie, la Syrie ou l’Irak, ou encore les pays du Golfe, dépendent aussi de leurs relations commerciales avec le Liban. 73 % de ses propres importations se faisant par la voie maritime, le lien du Liban à la mer est essentiel. Il repose sur le dynamisme d’une infrastructure clé, le port maritime.

    Un appel d’offres met actuellement en concurrence la France et la Chine pour la reconstruction du port. Sans surprise, le Hezbollah s’oppose aux initiatives françaises et a par ailleurs recours à tous les leviers possibles pour attiser et relayer la haine fomentée par le président turc Recep Tayyip Erdogan dans l’affaire des caricatures l’opposant à la France d’Emmanuel Macron.

    Cet attrait singulier exprimé par des géants mondiaux de la logistique portuaire suggère la valeur de la place libanaise dans le commerce international. Il laisse aussi supposer les jeux d’influence affichés ou dissimulés derrière ces investisseurs. Contrôler un port n’est pas anodin : cela constitue un message envoyé à des acteurs internationaux privés comme étatiques.

    Ainsi les efforts déployés par les opérateurs chinois à l’égard du port du Pirée, en Grèce, donc dans l’Union européenne, illustrent une politique commerciale offensive au cœur de l’Europe, parfaitement intégrée dans le projet de la Nouvelle route de la Soie . Beyrouth sera-t-il la prochaine prise chinoise en Méditerranée ?

    Pékin sait pouvoir compter sur le soutien de Moscou et d’Ankara. Car en Europe de l’est comme au Proche-Orient se cristallise chaque jour un peu plus l’alliance sino-russe, renforcée par les ambivalences turques dans son rapport à l’OTAN .

    L’unilatéralisme de Washington, articulé à la seule prévalence des intérêts américains, a créé une béance dans toute la partie orientale de la Méditerranée où, à l’instar du sud de la mer de Chine, de très importants contentieux maritimes opposent les acteurs régionaux (Turquie, Grèce, Liban, Libye, Chypre et Israël) dans leur course à l’exploitation des ressources pétrolières.

    On ne sera non plus surpris de voir les flottes russe et turque de plus en plus présentes à l’embouchure de Suez tandis que la Chine, dans une répartition tacite des tâches, se charge de renforcer son dispositif sécuritaire au large de Malacca.

    La Chine peut-elle venir au secours du Liban ?

    Le quotidien libanais Al-Akhbar (considéré comme proche du Hezbollah), relayé sur le site officiel iranien Parstoday , soutient que le Liban, dans une logique d’axe pro-iranien, doit se tourner vers Pékin, notamment en matière financière et de reconstruction du pays après la double explosion dans le port de Beyrouth l’été dernier.

    Ce mouvement s’inscrit dans le sillon des recompositions de l’ordre international fortement polarisé par, d’un côté, la puissance américaine sous l’administration Trump, et de l’autre, le pôle chinois comme alternative à l’Occident.

    Le Proche et le Moyen-Orient semblent plus que jamais contraints par cette dualité, autant que par ses crises intestines durables. L’accord économique et militaire entre Téhéran et Pékin (évalué à 400 milliards de dollars sur 25 ans) illustre bien la symétrie des relations entre le retrait américain et l’affirmation chinoise.

    La Chine est aujourd’hui le second partenaire commercial du Liban. A titre d’exemple, la Chine fournit un volume de 1,6 milliards de dollars d’exportation en 2019 .

    Pékin maintient sa présence au Liban, notamment via un fonds ( Pinglan ) consacré à la reconstruction et à la rénovation de l’habitat, notamment dans le contexte post-explosion. La RPC est également présente au niveau militaire dans le cadre de la FINUL . Une unité des forces médicales chinoises a notamment fourni son aide après l’accident industriel portuaire, faisant écho à une livraison en 2016 de matériel militaire à l’armée libanaise.

    De plus, l’influence sur la jeunesse libanaise se poursuit à travers l’Institut Confucius (dans la capitale libanaise), les programmes d’échanges universitaires entre Beyrouth et des universités chinoises, et les réseaux d’affaires entre les deux pays, via les diasporas.

    Alors que les pourparlers avec le FMI pour un plan de sauvetage du Liban n’ont pas abouti, les principaux pays pétroliers du monde arabe n’ont pas apporté d’aide à Beyrouth. Les donateurs internationaux se refusent d’apporter des dons conséquents en raison de la forte corruption.

    Cette situation pousse un peu plus le Liban dans l’orbite de Pékin et de Téhéran. Dans une logique de politique internationale, la Chine peut engager des prêts au Liban, avec comme contrepartie, un soutien – ou du moins, un silence – du Liban sur des dossiers internationaux tels que Taïwan, la mer de Chine du Sud ou la répression des Ouïghours.

    Georges Corm, grand spécialiste libanais du Proche et Moyen-Orient, constatait récemment que « les élites politiques locales échouent à édifier un État solide capable de répondre aux défis économiques et sociaux ».

    Alors que le niveau de corruption reste une composante essentielle dans un pays en crise , le rapprochement de la Chine avec le Liban à travers plusieurs projets d’investissements et le développement de zones économiques spéciales potentielles (port de Tripoli, reconstruction du port de Beyrouth voie ferroviaire, agriculture…) ne fera qu’accentuer le décrochage entre le peuple et les élites. Parmi lesquelles et d’entre toutes, les élites francophones tiraillées entre leur attrait pour l’Occident et ce nouvel appel de l’Orient.

    Sur le web
    The Conversation

    1. Enseignant-chercheur – Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).
    2. Spécialiste de l’histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut Catholique de Paris.
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      Haut-Karabagh : cessez-le-feu sur une ligne de faille géopolitique

      The Conversation · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 14 November, 2020 - 04:35 · 11 minutes

    Haut-Karabagh

    Par Taline Ter Minassian 1
    Un article de The Conversation

    9 novembre 2020. Le message est tombé à 23 h 57 heure de Paris. De la part du frantsouski narkozist , un anesthésiste réanimateur français d’origine arménienne, engagé volontaire depuis plusieurs semaines dans l’hôpital civil de la capitale de la république du Haut-Karabagh.

    À Stepanakert, trois jours auparavant, l’équipe médicale et les blessés encore sur les tables d’opération ont été évacués dans une panique indescriptible vers le nord. Est-ce la débâcle annoncée ?

    L’ennemi arrive par le sud aux portes de Stepanakert et assiège la citadelle de Chouchi, verrou stratégique et haut-lieu culturel arménien. De Martakert au nord où elle s’est réfugiée dans une fermette à moitié défoncée et où un coq chante sur son tas de bois, dans un décor digne d’E. P. Jacobs – mélange de bâtisses ruinées et d’équipements futuristes –, l’équipe est ensuite revenue sur ses pas vers Khodjalu, se rapprochant du théâtre des opérations pour récupérer des blessés et avec l’espoir, peut-être, de retourner à Stepanakert. Si toutefois, Stepanakert n’est pas déjà aux mains de l’ennemi.

    « Donne-moi des détails en urgence. On est quasiment en première ligne et l’incertitude est plus insupportable que le canon. » Tel Fabrice Del Dongo, l’anti-héros de La Chartreuse de Parme à Waterloo, mon correspondant est confronté à la question du point de vue dans la guerre. Et plus particulièrement à la question du point de vue du terrain dans la défaite militaire.

    À fourrager dans les corps de jeunes conscrits odieusement déchiquetés par les armes à sous-munitions, à voir les tubages des missiles à moitié plantés dans le sol, à s’endormir au son régulier et reconnaissable des canons amis, ou bien ennemis, l’acteur de terrain est atteint de presbytie.

    Mon correspondant aperçoit la citadelle au loin dans les montagnes, Chouchi, dont nul ne sait depuis 48 heures si elle est aux mains des Arméniens ou des Azéris. Mon correspondant ne sait qu’une chose : à minuit heure locale, une fusée rouge a été tirée et le bruit du canon a cessé.

    Ilham Aliev l’avait promis pour le Jour du Drapeau de l’Azerbaïdjan : le 9 novembre. Chouchi (Choucha) tombera, au terme d’affrontements acharnés qui s’achèvent en combats de rue.

    Le discours d’un Premier ministre vaincu

    Un cessez-le-feu vient d’être signé. Il consacre la victoire militaire de l’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie , membre de l’OTAN, qui a pourvu son petit allié caucasien en stratégies militaires, en matériel (et notamment en drones , l’atout indispensable dans ce « conflit post-moderne de cinquième génération »), et en supplétifs djihadistes acheminés par voie aérienne de la région d’Idlib (Syrie).

    Au soir du 9 novembre, au terme de presque six semaines d’un conflit très asymétrique , Nikol Pachinian, Premier ministre toujours en exercice malgré des rumeurs de démission qui se répandent depuis l’avant-veille, s’adresse à la nation. Une adresse en forme de soliloque sur Facebook, à faible teneur « communicante ».

    Comment expliquer au peuple qu’on a signé la défaite, alors qu’on lui répète depuis des semaines « Haghtelou Enk » (nous devons gagner), et qu’on enterre les morts à la file au cimetière des Héros de Yerablour (Erevan) ?

    À quoi aura servi le sacrifice de la jeunesse arménienne, celle-là même qui deux ans plus tôt a porté Nikol Pachinian au pouvoir lors de la « révolution de velours » (mars-mai 2018) en une vague irrésistible ?

    Du fond de ses montagnes au milieu de la nuit étoilée, mon correspondant a vu une fusée rouge s’élever dans le ciel. Puis le silence.

    « Mes chers compatriotes, sœurs et frères, j’ai pris pour moi et pour nous tous, une décision lourde, incroyablement douloureuse. Je viens de signer avec les présidents de la Russie et de l’Azerbaïdjan une déclaration mettant fin à la guerre du Karabagh à partir d’une heure ce matin. Le texte officiel de la déclaration est déjà publié. Je ne peux pas dire à quel point son contenu est douloureux, pour moi et pour notre peuple.

    J’ai pris cette décision à la suite d’une analyse approfondie de la situation militaire et avec des experts qui connaissent au mieux la situation. En ayant la conviction que c’est la meilleure solution possible dans le contexte actuel. Je donnerai des détails sur tout cela dans les prochains jours.

    Ce n’est pas une victoire, mais il n’y a pas de défaite tant que vous ne vous reconnaissez pas comme perdants. Nous ne nous reconnaîtrons jamais comme des perdants et cela devrait être le début de notre ère d’unité nationale et de renaissance.

    Nous devons analyser les années de notre indépendance pour projeter notre avenir et ne pas répéter les erreurs du passé.

    Devant tous nos martyrs, je me mets à genoux. Je m’incline devant tous nos soldats, officiers, généraux, volontaires qui ont défendu et défendent la patrie en sacrifiant leur vie. Ils ont sauvé de manière désintéressée les Arméniens de l’Artsakh.

    Nous nous sommes battus jusqu’au bout. Et nous gagnerons. L’Artsakh est debout.

    Vive l’Arménie ! Vive l’Artsakh ! »

    La guerre de l’information

    Cette guerre, on l’a suivie au rythme des communiqués officiels et quotidiens du ministère de la Défense qui, de « replis tactiques » de vallées en vallées, nous ont fait explorer la carte de la vallée de l’Araxe, où s’est engouffrée l’armée azérie, puis nous a fait remonter vers le nord, jusqu’à la vallée du Vorotan.

    Les Azéris ne sont pas des combattants des montagnes, dit-on, mais qu’importe : la Turquie a mis à la disposition de son allié des commandos spéciaux surentraînés , les mêmes qui sont venus à bout de la guérilla kurde en Anatolie orientale.

    On l’aura vécue au rythme des articles des correspondants de guerre infiltrés dans la nasse, au péril de leur vie – deux journalistes du Monde ont été grièvement blessés à Martouni – et d’éditoriaux à teneur performative.

    Au rythme, aussi, des rumeurs et des fake news de la guerre de l’information. Suivie massivement en Arménie, la chaîne YouTube de WarGonzo restitue la guerre en direct : fort de son expérience dans le Donbass, Semyon Pegov est embarqué avec son équipe de cameramen aux côtés de l’Armée d’auto-défense de l’Artsakh.

    Sous le signe de la « vérité extrême », du regard subjectif et de l’« humanisme militaire »… il restitue ce fameux point de vue de terrain et laisse espérer, côté arménien, la possibilité d’une guerre hybride à laquelle la Russie apporterait si ce n’est un soutien militaire, du moins un consentement tacite. Mais rien de tel ne se produit.

    Le pragmatisme russe vis-à-vis de la Turquie

    Que fera la Russie ? Que fera Poutine ? La question est dans tous les esprits.

    Dans la « nouvelle société arménienne » démocratique et ouverte de Nikol Pachinian, au vocabulaire emprunté au répertoire occidental, l’anti-russisme était devenu de bon ton. Le Kremlin est irrité par ce Premier ministre qui entend conserver son amitié ancienne avec la Russie tout en ayant les yeux de Chimène pour l’Occident.

    C’est pourtant lui qui appelle Poutine au secours, à trois reprises, au début du conflit. Mais la Russie, certes alliée de l’Arménie dans le cadre du traité OTSC , n’entend pas quitter sa position d’arbitre dans un conflit du Haut-Karabagh qui ne se déroule pas sur le territoire de l’Arménie proprement dite.

    Posée en arbitre entre deux républiques anciennement soviétiques (ce sont « nos gens », « nachi lioudi » , comme l’a dit Vladimir Poutine lors du forum de Valdaï le 22 octobre dernier ) dont l’une – l’Azerbaïdjan – possède d’indiscutables atouts dans le domaine des hydrocarbures, la Russie doit également se conduire de manière pragmatique à l’égard de la Turquie, dont les ambitions néo-ottomanistes doivent être comprises et maitrisées, tant sur le flanc sud du Caucase qu’en Syrie.

    Car l’autre nouveauté de cette nouvelle guerre du Haut-Karabagh est son interaction directe avec le théâtre de la guerre syrienne. L’envoi par les Turcs de mercenaires djihadistes syriens sur le front du Haut-Karabagh obéit à cette configuration qui rappelle terriblement les porosités qui existaient entre l’Empire russe et l’Empire ottoman durant la Première Guerre mondiale.

    Un choc frontal des deux Empires , qui ouvre la voie, en 1918, dans le sillage de l’Armée de l’Islam de Nouri Pacha marchant sur Bakou, à de nouveaux massacres, mais qui crée la vacuité nécessaire à l’indépendance miraculeuse de la Géorgie, de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan (1918-1920).

    À un siècle de distance, la ligne de faille géopolitique du Caucase du Sud, pris en étau entre Russes et Turcs, dicte de nouveau l’histoire.

    Les termes de la défaite arménienne et du cessez-le-feu du 10 novembre 2020, probablement discutés point par point par Poutine et Erdogan lors d’une conversation téléphonique, répondent donc à la nécessité de ramener la résolution de ce conflit dans le giron des puissances régionales limitrophes, ce que certains commentateurs, notamment lors d’une récente table ronde organisée à l’Inalco , ont décrit comme une tentative d’« astanisation » du règlement du conflit.

    Tout comme Moscou a imposé le « format Astana » (Russie, Turquie, Iran, Kazakhstan) contre le « format Genève » sur le dossier syrien, le Kremlin impose, au Karabagh, un nouveau format de négociation évinçant l’Occident et associant sans doute, à terme, la Turquie et l’Iran – lequel a d’ailleurs déplacé des troupes à sa frontière septentrionale .

    Une manière de rappeler ses intérêts au cas fort probable où le règlement diplomatique, encore à venir, inclurait la mise en place de nouvelles infrastructures, le long de la vallée de l’Araxe.

    Haut-Karabagh : et maintenant ?

    Pour l’heure, l’accord de cessez-le-feu du 10 novembre signé par l’Azerbaïdjan, l’Arménie et la Russie prévoit la restitution à l’Azerbaïdjan des districts occupés jusqu’ici par l’Arménie au titre du « périmètre de sécurité » : le district d’Agdam doit être restitué avant le 20 novembre 2020, celui de Kelbadjar avant le 15 novembre et celui de Latchine avant le 1 er décembre.

    Les articles 3 et 4 prévoient, en même temps que le retrait des troupes arméniennes, le déploiement pour une durée de cinq ans de forces de maintien de la paix sous l’égide de la Fédération de Russie, le long de la ligne de contact du Haut-Karabagh et le long du corridor de Latchine.

    L’article 6 prévoit que ce corridor stratégique, qui relie le territoire du Haut-Karabagh à celui de l’Arménie, sera établi sur une bande de 5 kilomètres de large et sécurisé par les forces russes de maintien de la paix.

    Toutefois, il ne desservira pas Chouchi (Choucha), la deuxième ville du Karabagh après la capitale Stepanakert, et l’article 6 prévoit à cet égard la construction d’une nouvelle route dans le corridor de Latchine sous la protection de la Russie.

    Outre les dispositions humanitaires (retour des réfugiés, échange des prisonniers de guerre), l’article 9 est le plus important. Il prévoit en effet le déblocage des moyens de communication et de transport de la région, entre la partie ouest de l’Azerbaïdjan et l’exclave du Nakhitchevan « afin d’établir le mouvement non entravé des personnes, des véhicules et du fret dans les deux directions » – et cela sous la surveillance des garde-frontières de la Fédération de Russie.

    La construction de nouvelles infrastructures reliant l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan est expressément mentionnée dans les termes de cet accord « corridor contre corridor ».

    Si l’Arménie défaite doit panser ses plaies, elle doit également affronter la cartographie irrévocable de cet accord et trouver un dirigeant apte à négocier dans ce contexte contraignant, l’unification à son propre territoire d’un Haut-Karabagh ramené, dans le meilleur des cas, à l’Oblast autonome de 1988. C’est à cette condition que la jeunesse du pays n’aura pas été sacrifiée en vain.

    Sur le web The Conversation

    1. Historienne, professeure des universités. Directrice de l’Observatoire des États post-soviétiques (équipe CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).