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      Au Mali, la France a capturé un haut cadre de l'État islamique

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Wednesday, 15 June, 2022 - 09:57 · 5 minutes

    La force Barkhane va bientôt quitter le Mali en raison de relations dégradées avec la junte au pouvoir. La force Barkhane va bientôt quitter le Mali en raison de relations dégradées avec la junte au pouvoir.

    MALI - Un succès au Mali pour la force Barkhane . Alors que les Français sont en pleine opération de retrait du pays, les soldats ont capturé dimanche un important chef jihadiste en zone frontalière, a annoncé dans un communiqué l’état-major français ce mercredi 15 juin.

    “Dans la nuit du 11 au 12 juin 2022, une opération de la force Barkhane (...) a permis la capture d’Oumeya Ould Albakaye, haut responsable de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS)”, l’antenne sahélienne de la nébuleuse mondiale, de même source.

    Le jihadiste, “un temps pressenti pour succéder à l’ancien émir” Adnan Abou Walid Al-Sahraoui , neutralisé par les Français en août 2021, “avait des compétences en termes de maniement d’explosifs”, a commenté à l’AFP une source sécuritaire.

    La zone des trois frontières théâtre de violences

    Albakaye était le chef de l’EIGS pour le Gourma, au Mali, et pour l’Oudalan, au nord du Burkina Faso, selon l’état-major. “Il a organisé plusieurs attaques contre différentes emprises militaires au Mali, dont celle de Gao. Il dirigeait des réseaux de mise en œuvre d’engins explosifs improvisés. Il visait directement les axes de circulation empruntés par la force Barkhane pour conduire sa réarticulation en dehors du Mali”, est-il précisé.

    “Il est par ailleurs responsable d’un grand nombre d’exactions et d’actions de représailles menées par l’EIGS contre les populations maliennes et burkinabé”, ajoute le communiqué de l’état-major des armées.

    Un élu local a confirmé sa capture “au cours d’une intervention d’un hélicoptère dans un campement” du secteur de Tessit, du côté malien de la zone dite des trois frontières, aux confins du Burkina Faso et du Niger.

    “Ils l’ont pris après des combats dans la zone entre l’EIGS et le JNIM”, acronyme arabe du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, affilié à Al-Qaïda, a-t-il ajouté sous couvert d’anonymat pour des raisons de sécurité. Un habitant de Tessit joint par téléphone a également confirmé la capture auprès de l’AFP.

    La zone des trois frontières est un des foyers les plus actifs de la violence polymorphe qui sévit au Sahel. C’est un théâtre d’opérations pour les groupes jihadistes, différents groupes armés, les armées des trois pays frontaliers et les soldats de la force antijihadiste française Barkhane.

    Les relations avec le Mali dégradées

    L’armée se félicité de cette capture, qui “constitue un succès pour la force Barkhane”. Elle permet de “déstabiliser à nouveau le haut commandement de l’EIGS dans la zone, qui avait été significativement affaibli (...) en particulier avec la neutralisation d’Adnan Abou Walid Al-Sahraoui”.

    Cela s’inscrit dans un contexte où la France est en passe de boucler son retrait militaire du Mali après neuf ans d’engagement, poussée vers la sortie par la junte au pouvoir à Bamako depuis août 2020. La dégradation des relations s’est aggravée ces derniers mois avec le recours par la junte à ce qu’elle présente comme des instructeurs russes, des mercenaires de la société russe Wagner aux agissements controversés en Afrique et ailleurs selon la France et ses alliés.

    L’armée française a remis lundi les clés de la base de Ménaka dans la même vaste région militaire de Ménaka, et aura quitté le Mali pour de bon ”à la fin de l’été” avec le transfert aux forces maliennes (FAMa) de leur principale emprise de Gao, selon l’état-major français.

    Le ministre malien des Affaires étrangères Abdoulaye Diop a de nouveau signifié lundi à l’ONU que les soldats n’étaient plus les bienvenus en refusant catégoriquement que les avions français continuent à apporter leur soutien à la mission de l’ONU au Mali (Minusma).

    Les Français ont ces derniers mois annoncé avoir tué nombre de cadres de l’EIGS dans la zone frontalière, au premier rang desquels son chef Al-Sahraoui en août.

    EIGS, dissident d’Al-Qaida au Maghreb Islamique

    Les maigres informations remontant de cette immense zone reculée et difficilement accessible font état de centaines de civils tués et de milliers de déplacés ces derniers mois dans les régions de Ménaka et Gao plus à l’ouest. Des combats y ont mis aux prises ces dernières semaines l’EIGS et une coalition de l’armée malienne et de groupes armés soutenus par Bamako.

    Plusieurs massacres ont été imputés à ce même groupe jihadiste au cours de l’année écoulée sans que l’organisation ne les revendique toujours. La dernière attaque d’envergure - non revendiquée - est survenue dimanche soir à Seytenga, au Burkina Faso, faisant 79 morts selon un bilan officiel encore provisoire.

    Avant Seytenga, c’était Tamalat (au Mali, une centaine de morts en mars 2022), Ouatagouna (au Mali, une cinquantaine de morts en août 2021), Tillia (au Niger, 141 morts en mars 2021)... “Notre frontière avec le Mali est aujourd’hui sous la coupe de l’Etat islamique au Grand Sahara”, déclarait mi-mai le président du Niger Mohamed Bazoum.

    Le groupe EIGS est né en 2015 d’une dissidence d’Abou Walid Sahraoui vis-à-vis du groupe jihadiste Al-Qaida au Maghreb Islamique (Aqmi) auquel il appartenait. Désavouée par Aqmi après avoir fait allégeance à l’EI, sa “katiba” a été reconnue par l’EI un an plus tard.

    À voir également aussi sur le Huffpost: En patrouille avec les militaires de Barkhane au Mali

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      La France dans la tourmente au Sahel

      The Conversation · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 16 January, 2021 - 04:25 · 7 minutes

    France au Sahel

    Par Marc-Antoine Pérouse de Montclos 1 .
    Un article de The Conversation

    L’Élysée n’a annoncé aucun calendrier de retrait et certains posent la question très crûment : l’ancienne puissance coloniale est-elle vraiment la mieux placée pour stabiliser la zone ?

    Défiance des populations locales

    À l’international, en l’occurrence, on estime souvent que la France a la capacité d’agir en Afrique car elle connaît bien le terrain et pourrait donc mieux répondre aux attentes de ses alliés au sein de l’Union européenne et du G5 Sahel, le « Groupe des Cinq » que forment le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad. Le problème est que ses atouts sont aussi des faiblesses.

    Sur le plan tactique, d’abord, la France a effectivement maintenu au Tchad et au Niger des coopérations militaires de façon quasiment ininterrompue depuis la période des indépendances. Mais les relations ont été beaucoup plus erratiques avec la République islamique de Mauritanie, ou encore avec le Mali et le Burkina Faso, qui étaient proches de Moscou et de Tripoli du temps de la guerre froide. C’est en fait la « guerre globale contre le terrorisme » qui a amené l’armée française à renouer des contacts et à rebâtir des relations de partenariat dans ces trois pays.

    Le statut d’ancienne puissance coloniale nourrit par ailleurs de nombreux procès d’intention au Sahel. Toujours suspectée de faire et défaire les gouvernements de la région, la France n’est pas perçue comme neutre. Au contraire, elle est régulièrement accusée de chercher à promouvoir un agenda caché, par exemple pour mettre la main sur des ressources naturelles plus ou moins imaginaires.

    Historiquement marqués par une forte tradition anti-impérialiste, le Mali et le Burkina Faso le montrent bien. Les opinions exprimées sur les réseaux sociaux et par certains de leurs dirigeants laissent en effet entendre que la France soutiendrait les groupes djihadistes afin de déstabiliser des États souverains et de profiter de leur faiblesse pour recoloniser le Sahel. Au Mali, en particulier, la population ne cache pas sa défiance à l’égard de la force Barkhane. En revanche, elle a une très bonne opinion de son armée. Si l’on en croit de récents sondages réalisés auprès de 1200 adultes, plus de quatre Maliens sur cinq font confiance à leurs soldats pour défendre le pays.

    Un tel résultat paraît assez surprenant car les militaires qui se sont récemment emparés du pouvoir à Bamako se sont révélés incapables d’endiguer la menace djihadiste au nord. De plus, ils se sont surtout fait connaître pour leurs exactions et par des putschs qui ont profondément déstabilisé la région en 2012 puis 2020. En réalité, le capital de sympathie dont bénéficie l’armée malienne témoigne surtout de l’impopularité du régime précédent et du nationalisme exacerbé de Sahéliens profondément humiliés de devoir s’en remettre à l’ancienne puissance coloniale pour assurer leur sécurité, plus d’un demi-siècle après les indépendances – à moins qu’il faille plutôt y voir la crainte de déplaire aux autorités, sachant qu’un tiers des sondés pensaient que les enquêteurs étaient envoyés par le gouvernement.

    Des contentieux anciens

    Au Mali, il est vrai que la suspicion à l’égard de la France puise aussi ses racines dans des contentieux plus anciens liés à l’expulsion de migrants clandestins et d’un supposé soutien aux rebelles touarègues dans le nord.

    Deux ans avant son départ en 1960, le colonisateur avait en effet tenté, en vain, de créer une sorte d’État tampon sous la forme d’une « Organisation commune aux régions du Sahara » qui aurait soustrait les zones septentrionales du Soudan français et les puits de pétrole du sud de l’Algérie à l’influence, respectivement, de Bamako et des indépendantistes du FLN. Les Maliens ne l’ont pas oublié et, depuis lors, Paris a souvent été suspecté d’appuyer en sous-main les séparatistes touarègues afin de modifier une frontière qui paraissait d’autant plus artificielle qu’elle avait été tirée au cordeau.

    Qui plus est, quand les djihadistes venus d’Algérie sont montés en puissance dans le nord du Mali, les services secrets français ont effectivement armé les mouvements indépendantistes « laïques » pour combattre les groupes terroristes. Ils ont ainsi reproduit les erreurs commises à la même époque en Libye, où Paris a soutenu le soulèvement contre la dictature de Kadhafi en livrant des cargaisons d’armes qui, pour certaines d’entre elles, sont réputées avoir échoué entre les mains d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) en juin 2011. Dans le nord du Mali, la proclamation d’indépendance de l’Azawad en mai 2012 a certes respecté le tracé des frontières héritées de la colonisation, sans doute pour ménager les susceptibilités de la communauté internationale. Mais elle a aussi permis aux djihadistes de s’emparer du pouvoir à Gao et Tombouctou, situation qui devait finalement conduire au débarquement des troupes françaises en janvier 2013.

    La suite des événements a alors révélé toute l’étendue des désaccords possibles sur les priorités stratégiques de l’action militaire. Pour Bamako, les séparatistes touarègues constituaient le principal ennemi à abattre ; pour Paris, en revanche, il s’agissait d’abord des djihadistes venus d’Algérie. Jusqu’en 2020, plus précisément, l’armée française a surtout ciblé AQMI. Dans le même temps, le Burkina Faso, le Mali et le Niger se sont davantage préoccupés de la montée en puissance de l’État islamique dans la zone dite des « trois frontières ».

    Il est certes fréquent que des alliés ne parviennent pas à se mettre d’accord sur les priorités des cibles à éliminer et sur les listes des groupes désignés comme terroristes. Mais, en pratique, le G5 Sahel peine à être opérationnel et ses dysfonctionnements interrogent directement le rôle de leadership et de coordination de la France. Le contraste est particulièrement saisissant avec l’autre coalition antiterroriste de la région, la Force multinationale conjointe , qui fonctionne quasiment sans soutien extérieur et qui regroupe le Nigeria, le Cameroun, le Niger et le Tchad pour combattre Boko Haram.

    Quel rôle pour la France dans la recherche d’une solution politique ?

    À y regarder de plus près, les ratés de la lutte contre les groupes djihadistes au Sahel mettent en évidence les limites de coopérations militaires que les décideurs apprécient au nombre d’heures dispensées au lieu de les évaluer en termes de performance au combat et de respect du droit humanitaire. Le fond du problème est pourtant bien là. Indisciplinées et très corrompues, les armées africaines de la région entretiennent les conflits par leurs rackets incessants et leurs violations massives des droits de l’Homme . Dans les zones de combat, notamment, elles ont perdu la confiance de bon nombre de civils qu’elles sont incapables de protéger. Par contrecoup, leurs exactions ont aussi légitimé des djihadistes qui se présentent maintenant comme des hérauts de la résistance face à des troupes impies au service de l’impérialisme occidental.

    Ainsi, il y a peu de chances de gagner la « guerre contre le terrorisme » si les forces de sécurité continuent de commettre des abus en toute impunité. La solution à la crise du Sahel est d’abord politique et nécessite une profonde réforme des États de la région, entre autres pour répondre aux exigences de justice de la population. Il n’est pas évident que la France puisse jouer un rôle déterminant à cet égard, sachant qu’elle serait aussitôt accusée de néocolonialisme si elle s’avisait de critiquer publiquement les errements de ses alliés africains au Sahel…

    Sur le web The Conversation

    1. Directeur de recherches, Institut de recherche pour le développement (IRD).