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      Dans un monde complexe, la centralisation politique est inefficace

      Jean-Philippe Feldman · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 12 February, 2021 - 04:20 · 3 minutes

    centralisation

    Par Jean-Philippe Feldman 1 .

    Droite, gauche, centre, peu importe : nos gouvernants sont fréquemment accusés d’être plus ou moins déconnectés de la réalité. Leurs analyses semblent hors-sol, les normes qu’ils prennent dépassées ou inefficaces.

    La planification comme panacée ?

    Pourtant, à partir du milieu du XXe siècle, le développement des ordinateurs avait laissé croire à certains que la planification centralisée serait la panacée et que, conséquemment, les pays du socialisme… réel, dont nos intellectuels ne manquaient de chanter si souvent les louanges, écraseraient de leurs performances les contrées où l’ignoble capitalisme subsistait encore.

    Hormis quelques attardés, plus personne ne défend officiellement ce type de position, mais notre nation s’enorgueillit encore de l’existence d’ un Haut commissaire au Plan

    La centralisation, puissance ou impuissance de l’État ?

    La gestion calamiteuse de la pandémie actuelle par nos gouvernants amène à s’interroger sur les raisons de l’inefficacité, parfois de l’incompétence, des hommes politiques français au pouvoir depuis quelques décennies.

    Valéry Giscard d’Estaing n’a ainsi jamais réussi à surmonter les deux crises pétrolières, François Mitterrand a fait en 1981 le contraire de ce qu’il fallait faire et leurs successeurs ont été dans l’incapacité de répondre aux crises financières successives.

    Pourtant, la centralisation, la puissance procurée par les prélèvements obligatoires les plus élevés qui soient au monde , la règlementation foisonnante et l’armée des sept millions de fonctionnaires devraient nous permettre de gérer avec brio, d’anticiper les crises, sinon de les résoudre au mieux.

    Les leçons de l’épistémologie

    Malheureusement, les leçons que l’on peut tirer d’une épistémologie bien entendue nous montrent que plus le monde est complexe, moins une autorité centralisée est en phase pour le gérer.

    Cependant, l’excuse habituelle des hommes au pouvoir est de dire, non que les politiques menées étaient une ineptie, mais qu’ils ont mal expliqué leur politique aux Français, décidément trop stupides pour l’avoir comprise.

    C’est ce que l’on avait entendu de la bouche des ministres sarkozystes, puis hollandais, et c’est ce qui ne manquera pas de survenir dans les derniers mois de l’actuelle présidence.

    La difficulté provient du fait que nos gouvernants en restent trop souvent, et paresseusement, aux idées du passé. Or, plus les frontières s’estompent, n’en déplaise à certains, plus la puissance des États se dilue. Le simplisme de nos hommes politiques ne résiste plus à la pensée complexe.

    Prétendre régir la société avec quelques normes centrales comme sous Napoléon est de plus en plus voué à l’échec car les actions et les interactions des individus se mêlent d’un bout à l’autre de l’univers, et non plus seulement dans une aire limitée.

    Ce qui est simple est faux, ce qui est compliqué est incompréhensible. Cette boutade, comme toute boutade, recèle au moins un fond de vérité : contrairement à quelques apophtegmes, gouverner n’est ni simple ni facile.

    Gouverner est complexe et c’est justement ce qui devrait inciter nos gouvernants à faire preuve d’un peu plus d’humilité. Cette humilité à l’égard du processus social si chère à Friedrich Hayek .

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      Commissariat au Plan : les conseils de Bayrou aux entreprises

      Michel Albouy · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 27 December, 2020 - 04:45 · 7 minutes

    plan bayrou

    Par Michel Albouy, professeur émérite des universités.

    François Bayrou a été nommé le 3 septembre 2020 Haut-Commissaire au Plan par le Président Macron. Avec cette nomination, le Président de la République jouait coup double : il occupait l’emploi du temps de l’ombrageux Béarnais et en même temps il relançait la nostalgie de la planification à la française.

    Selon Wikipédia, François Bayrou après son baccalauréat en lettres classiques a poursuivi des études dans une classe préparatoire littéraire à Bordeaux puis à l’université Bordeaux-III. Il obtient l’agrégation de lettres classiques en 1974. Voilà pour la formation qui n’a rien à voir avec les entreprises ou l’économie.

    Depuis l’âge de 30 ans (il en a bientôt 70) il n’a fait que de la politique, enchaînant tous les postes que la République pouvait offrir (ministre, député européen, président de Conseil général, maire, président de parti politique, etc.) à l’exception de celui de la présidence de la République. Il a quand même réussi à être nommé ministre d’État, garde des Sceaux, ministre de la Justice, mais il n’y est resté qu’un mois et 4 jours (17 mai-21 juin 2017), grâce à son ralliement à celui qui allait devenir président de la République, Emmanuel Macron.

    Ce petit rappel est juste là pour montrer que notre nouveau Commissaire au Plan n’a vraiment rien à voir avec son illustre prédécesseur : Pierre Massé. En effet, Pierre Massé appartient à cette génération de grands serviteurs de l’État qui a conduit au lendemain de la Seconde Guerre mondiale la reconstruction de la France et favorisé l’expansion des Trente glorieuses.

    La foi dans le progrès et dans la science, une rigueur au service de l’État ou des grandes entreprises publiques, constituent les fils directeurs de son existence. Nommé Commissaire Général du Plan par le Général de Gaulle en 1959 il a marqué durablement de son empreinte la planification à la française. Président d’Électricité de France de 1965 à 1969 il a contribué à moderniser le management de cette grande entreprise publique.

    Mais Pierre Massé, ingénieur de l’École polytechnique et scientifique, n’était pas qu’un homme d’action au service de l’État et de ses grandes entreprises mais également un intellectuel et un chercheur ayant exercé une influence considérable dans la gestion publique.

    Il a du reste publié des ouvrages scientifiques d’économie. Bref, rien à voir avec monsieur Bayrou qui n’a publié que des ouvrages historiques dont son best-seller Henry IV, le roi libre .

    Retour sur la planification à la française

    Le premier Plan de modernisation et d’équipement, élaboré au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, fut un plan de renaissance économique. Il s’agissait de remettre en marche l’appareil productif du pays et de combler les retards techniques de la France.

    Au lieu d’opter pour un développement modéré (saupoudrage) de l’ensemble des branches économiques il a été décidé d’investir massivement dans six activités de base : charbon, électricité, acier, ciment, machinisme agricole, et transports.

    Avec le deuxième Plan, de 1954 à 1957 inclus s’est étendu cette fois à l’ensemble des activités économiques de façon à favoriser une croissance harmonisée et à produire mieux en augmentant la qualité. Les objectifs du deuxième plan ont été dans l’ensemble dépassés.

    Le troisième Plan (1958-1961) visait essentiellement à réaliser la stabilité monétaire et l’équilibre des paiements extérieurs. Il visait également à préparer l’économie française à s’ouvrir dans le cadre du marché commun. C’est au cours de ce plan qu’une dévaluation du franc a été opérée de façon à rendre plus compétitive notre économie.

    Avec le quatrième Plan (1962-1965) l’accent est mis davantage sur les conditions de vie liées notamment à l’éducation, à la santé, à la culture et à l’urbanisation. Il apparaît à cette époque que la poursuite des réalisations sociales serait facilitée par la mise en œuvre progressive d’une politique des revenus dont l’étude sera accélérée avec l’amplification de la redistribution.

    Les choix effectués ont permis, à l’époque, de faire en sorte que la France participe largement à la seconde révolution industrielle symbolisée par la conquête de l’atome, l’essor de l’électronique, la construction de grands barrages et d’aciéries modernes, la fabrication d’un avion à réaction innovant comme La Caravelle, la réalisation d’ouvrages d’arts remarquables comme le pont de Tancarville, etc.

    C’est cette période heureuse qui reste dans les mémoires des Français et dont beaucoup ont la nostalgie en ce début de XXIe siècle.

    Mais la France de 2020 n’est pas celle de 1950 et le Commissariat général au plan non plus

    Ce qu’il était possible et nécessaire de faire dans les années 1950, n’est plus de mise en 2020. Tout a changé. La France, ses entreprises et ses industries, sont insérées dans la concurrence internationale et il ne s’agit plus de reconstruire des routes et des ponts sur notre territoire, une tâche qui ne dépendait que de nous.

    La tâche aujourd’hui est beaucoup plus complexe, sauf à vouloir isoler notre pays et son économie de la mondialisation ; bref à se replier sur lui-même. Aujourd’hui, les vrais acteurs de l’économie ne sont plus les États, sauf dans les pays communistes comme la Chine, mais les entreprises privées cotées sur les marchés financiers et soumises à la concurrence internationale.

    Dans ces conditions, que peut faire notre Haut-Commissaire au Plan ? Passons sur le fait que ses collaborateurs sont bien moins nombreux que ceux des entreprises de conseil stratégique et qu’il n’a aucun levier opérationnel, sauf sa force de persuasion, pour influencer les politiques publiques.

    Alors, que lui reste-t-il ? Le verbe. Ça tombe bien car c’est sa formation académique.

    C’est ainsi qu’il entonne, à sa sauce, les poncifs du genre : « Il faudra mettre fin au court-termisme des gouvernements depuis plusieurs décennies ».

    Ah le court-termisme, s’il n’existait pas il faudrait l’inventer. C’est commode le court-termisme, il permet de critiquer avec un soupçon d’intellectualisme économique les pratiques des autres décideurs.

    Car lui, monsieur Bayrou, n’a jamais fait de court-termisme… Il a toujours eu une vision à long terme (on la cherche encore à l’Éducation nationale avec les résultats de nos élèves) et il va dire maintenant aux entreprises ce qu’il faut faire pour échapper à la tyrannie des marchés financiers (un monde qu’il ne connait pas) et pour se projeter à long terme.

    Ce faisant, l’élu du Béarn assume un discours bien loin de l’esprit « start-up nation » de la campagne du candidat Macron 2017, appelant au retour déjà plusieurs fois annoncé, mais jamais réalisé, de « l’État stratège ».

    Pour Bayrou , « les responsables d’entreprises pensent seulement à leur entreprise, et c’est normal. On a abandonné l’idée de les regrouper autour d’un projet national, collectif, de reconquête industrielle » .

    Eh oui, penser à son entreprise ce n’est pas suffisant, il faut que l’État aide à les regrouper pour reconquérir nos marchés perdus et réfléchir à 30 ans. Quand on sait que l’État est lui-même incapable de gérer des stocks de masques à un an, on ne peut que se pincer en entendant de telles déclaration tonitruantes.

    À défaut de penser le futur, notre Haut-Commissaire a promis avec des accents dignes de l’ancien ministre socialiste Arnaud Montebourg, de nouvelles études sur la stratégie de reconquête de l’appareil productif français dans le monde de l’après-Covid.

    Il faut donc « qu’ un organisme d’État identifie les domaines de reconquête et fédère les acteurs autour des efforts partagés nécessaires ».

    Attendons de voir ce qui sortira du laboratoire d’idées de François Bayrou, mais on peut raisonnablement douter d’une nouveauté. Pour être vraiment moderne il faudrait qu’il ose faire un vrai bilan des freins et des charges qui plombent nos entreprises, et puis surtout qu’il propose et que le gouvernement mette en œuvre des mesures qui seront difficiles à prendre car impopulaires pour véritablement redresser notre industrie.

    Ce n’est pas d’aides nouvelles ou de conseils à 30 ans dont ont besoin nos entreprises mais de plus de libertés.

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      Le monde d’après : décentralisation ou encore plus d’État ?

      Marius Amiel · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 26 April, 2020 - 03:45 · 4 minutes

    État

    Par Marius Amiel.

    La crise sanitaire actuelle met aux prises le dévouement et la ténacité des acteurs de terrain avec la lenteur et l’inefficacité bureaucratiques. Elle devrait nous offrir l’occasion de renverser entièrement notre modèle de gouvernement , d’administration, en proclamant un vrai principe de subsidiarité .

    Concrètement, il s’agirait de faire de l’acteur local (individu, corps de métier, association, entreprise) l’échelon compétent par défaut, de lui accorder une véritable autonomie de décision.

    Ce mode d’organisation permettrait de restaurer un climat de confiance, d’identifier les bonnes pratiques et de limiter la centralisation à leur diffusion, plutôt que d’imposer des inepties déconnectées depuis Paris – que ce soit dans le domaine économique, sanitaire ou tout autre champ d’action.

    Malheureusement, les récentes déclarations du gouvernement, les décisions de l’administration, les réactions des oppositions, les tribunes de presse signées par divers acteurs de la société civile montrent que nous prenons le chemin exactement inverse , tant dans la gestion de crise que pour l’après : restrictions des libertés individuelles, suradministration qui va de moins en moins se cacher en prenant le prétexte de la crise, planification centrale considérée comme seule à même de répondre aux défis du siècle, planche à billets et taux négatifs qui vont financer une politique énergétique idiote, gonfler les gros patrimoines et spolier les épargnants.

    Santé : l’État doit planifier encore plus !

    Peu importe que les pays les plus bureaucratiques et centralisés (France, Italie, Espagne, Belgique) fassent l’étalage de la plus grande impréparation et connaissent des taux de mortalité bien plus élevés que leurs voisins, peu importe que les États-Unis aient perdu trois fois moins de vies humaines que les cinq grands pays d’Europe occidentale pour une population quasi identique, peu importe que la France n’ait toujours pas de tests et de masques en quantité suffisante malgré des dépenses de santé très élevées et le poids de l’hôpital public dans son système de soins : c’est le marché qui a échoué ; l’État doit reprendre la main et planifier la santé et l’économie de manière autoritaire.

    Épargne : encore plus de keynésianisme !

    Au sujet de l’épargne, le consensus politique actuel revient à décourager l’épargne dite « dormante », c’est-à-dire forcer à la consommation immédiate de ressources permettant de préparer l’investissement futur.

    Au lieu de laisser les acteurs économiques se mettre en ordre de bataille pour surmonter le choc économique, les pouvoirs publics européens et particulièrement français vont approfondir la récession par une série de distorsions et de découragement à l’investissement de long terme.

    Le monde d’après n’est rien d’autre que le retour aux vieilles lunes keynésiennes (« euthanasier les rentiers »), repeintes en vert avec un parfum de moraline (comme vous êtes vilain de ne pas dépenser votre argent alors que meurent les personnes âgées et les petits oiseaux).

    Souvent laissée à l’arrière-plan du débat économique, l’épargne est pourtant le nerf de la guerre. Forcer à son usage immédiat pose un problème d’efficacité, mais aussi de liberté : l’épargne peut servir à préparer un investissement immobilier ou dans une entreprise, à financer les études de ses enfants, ou tout simplement à se constituer un matelas pour ses vieux jours.

    Elle est le reflet dans la vie économique de choix qui n’appartiennent qu’aux individus. Elle n’a pas vocation à être employée de manière court-termiste et contrainte pour financer l’endettement public ou des projets à l’utilité très discutable.

    Un discours politique idéologique

    Plus généralement, les hérauts du monde d’après ont complètement évincé les notions de liberté, de responsabilité et d’initiative individuelle de leur programme. Il y a quelque chose d’indécent à plaquer ses obsessions idéologiques, à appeler à un changement de système économique (qui n’est en réalité que la radicalisation du modèle centralisé actuel), à s’enivrer de prescriptions adressées à l’Humanité, quand l’unique préoccupation des politiques et des économistes devrait se porter sur le terrain très concret des faillites de PME, des problèmes de trésorerie des entreprises, de la vague de chômage à venir et des problèmes sociaux que cela va engendrer.

    Tant que le cours normal de l’économie ne sera pas rétabli, les élans lyriques sur la transition écologique, les inégalités et l’impôt mondial, ou la relocalisation planifiée des activités, ne resteront que des propos d’estrade et des effets de manche médiatiques.

    Un surcroît d’interventionnisme public dans un cadre réglementaire et fiscal inchangé mettrait de toute manière le dernier clou sur le cercueil de l’emploi, et la mise en œuvre d’une planification social-écologique reviendrait à réanimer un cadavre avec de la ciguë.

    Lorsqu’on mesure le fossé entre les grandes déclarations de politique économique et la réalité des cascades de défaillances et de destructions d’emplois qui viennent, on peut difficilement ne pas voir dans les premières une forme d’indifférence et de mépris social derrière une façade progressiste propre sur elle.

    Le caractère tragique de la situation devrait plutôt appeler à une forme de patience et d’humilité pour résoudre les problèmes très concrets que l’économie va devoir affronter.