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      Quand la politique identitaire pousse à la fraude

      Frédéric Mas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 26 October, 2022 - 02:50 · 3 minutes

    Il y a de cela 50 ans, Sacheen Littlefeather s’était présentée à la cérémonie des Oscars en lieu et place de Marlon Brando pour refuser le prix du meilleur acteur en signe de contestation face au « mauvais traitement des Indiens d’Amérique dans l’industrie du cinéma » . Habillée en costume traditionnel apache, elle qui se présentait volontiers comme indienne, tout en consacrant toute son existence à la défense des droits de la minorité amérindienne, se fit à la fois applaudir et huer.

    Dans un entretien pour Variety sorti en septembre elle explique :

    « Lorsque je suis descendue de cette scène, je l’ai fait avec courage, honneur, dignité et authenticité. Je l’ai fait à la manière de mes ancêtres et des femmes indigènes. […] J’ai continué à marcher tout droit avec des gardes à mes côtés, et j’ai gardé la tête haute, fière d’être la première femme indigène dans l’histoire des Oscars à prendre la parole sur ce sujet. »

    La soirée de 1973 marqua les esprits, et près de 50 ans plus tard, peu de temps avant le décès de la militante politique, l’organisation des Oscars lui présenta des excuses le 15 août 2022.

    Fake Identity ?

    Seulement voilà : Sacheen Littlefeather n’aurait, selon sa famille, aucune origine amérindienne.

    Dans un article du San Francisco Chronicle , ses sœurs affirment que ses origines apaches ou yaquis ne seraient en fait qu’un « fantasme » : « C’est un mensonge. Mon père était qui il était. Sa famille est venue du Mexique. Et mon père est né à Oxnard [Californie] . » assure l’une d’entre elles.

    L’accusation est forte, et si elle est avérée, porte une lumière crue sur un engagement politique gauchiste assumé au cœur du système médiatique américain. Son rôle modèle de femme issue des minorités opprimées lui a ouvert les micros des médias les plus progressistes, et des opportunités de carrière dans le monde associatif consacré à la culture amérindienne qui rappelle une autre affaire qui a défrayé la chronique, cette fois-ci au sein de la communauté noire, celle de Rachel Dolezal.

    Rachel Dolezal a fait carrière dans le milieu associatif antiraciste en se présentant comme noire. Engagée dans le mouvement des droits civiques, ancienne présidente d’une antenne locale du NAACP, elle enseigne à la Eastern Washington University au sein du département d’études sur l’Afrique. Et puis en 2015, coup de théâtre, un média révèle le pot aux roses : loin d’être métisse comme elle prétendait l’être, ses parents sont blancs, et elle aussi, malgré ses déguisements afrocompatibles.

    Quand la polémique sur l’identité raciale de Rachel Dolezal éclate, plusieurs questions vont se poser, d’abord sur son état mental, ensuite sur son opportunisme. Selon ses soutiens, elle s’identifiait réellement à une personne noire, ce qui a relancé les débats sans fin sur l’identité dont la culture woke a le secret. A-t-elle joué la carte raciale pour bénéficier de postes et d’un statut social particulier au sein de la communauté noire qu’elle n’aurait pas eu en jouant le jeu sans tricher sur ses origines ethniques ? Selon elle, bien que née de parents blancs, elle était noire, étant donné que la race ne se résume à ses yeux qu’à une « construction sociale » .

    Dans tous les cas, une nouvelle fois, c’est le petit monde médiatique qui s’est trouvé empêtré dans ses propres contradictions. Comment justifier un tel aveuglement aussi longtemps alors qu’une simple vérification auprès des parents aurait suffi à débusquer la fraude ? Le virtue signalling est un puissant anesthésiant contre la réalité.

    Business as usual

    La passion identitaire est un business politique comme un autre, avec ses entrepreneurs politiques, ses postes, ses carrières, mais aussi ses fraudeurs.

    Le monde politique est un théâtre où tout le monde joue un rôle, et ce rôle correspond rarement aux convictions et aux positions des individus dans la vie de tous les jours. Prendre conscience que la politique est un théâtre qui joue sur les émotions pour s’étendre sur nos vies devrait nous inviter à la circonscrire à la portion congrue.

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      Kamala Harris, le paon et Charles Darwin

      Thomas Viain · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 12 November, 2020 - 04:22 · 4 minutes

    Par Florent Mathieu.

    À peine Kamala Harris était-elle confirmée comme vice-présidente élue qu’un concert de louanges et de félicitations s’élevait des rangs de la gauche démocrate, célébrant avec tambour et trompette les qualités de la colistière de Joe Biden . Le tweet de l’ex-première dame Michelle Obama brossait un portrait éloquent de Harris : c’est une femme, noire et qui plus est d’origine amérindienne.

    De l’autre côté de l’Atlantique, dans notre France de la Déclaration de 1789 où seules comptent les différences fondées sur la distinction des vertus et des talents (article 6), le malaise était quelque peu palpable. Ce n’était pas un programme, des compétences ou un combat politique qui étaient mis en exergue, mais une couleur de peau, une origine et un genre.

    La compétence plus que l’identité

    Une chronique brillante d’Olivier Babeau sur Le Figaro Vox , fidèle à la tradition hexagonale, n’a pas manqué d’égratigner ces emballements incongrus : « chacun est encouragé à célébrer la victoire, non d’une personne capable, mais d’une personne de telle couleur de peau ou de tel sexe » . Sa conclusion se voulait une exhortation : ne jugeons plus les individus qu’à la même aulne, « celle de la compétence » .

    Et pourtant cette critique libérale, refusant qu’un individu soit réduit à une origine ou à un groupe d’appartenance, passait à côté d’une partie du sujet. Si le fond de l’affaire était si simple, un argumentaire rationnel et méthodique n’aurait-il pas depuis longtemps ramené à la raison les partisans des identity politics ?

    En vérité, derrière l’opposition caricaturale entre partisans d’un tribalisme de groupe et défenseurs des mérites individuels, se cache peut-être une réalité plus complexe et moins binaire. Pour mieux la saisir, faisons un bref détour par la théorie de l’évolution et notre vénérable Charles Darwin .

    En 1975, le biologiste israélien Amotz Zahavi émet une hypothèse aussi géniale qu’audacieuse afin d’expliquer certaines bizarreries de la nature.

    Comment se faisait-il, par exemple, que des attributs comme la queue du paon, particulièrement malvenue et gênante face à un prédateur, aient été sélectionnés par la nature, puisqu’ils ne présentaient aucun avantage évolutif ? Naît alors dans l’esprit de Zahavi la « théorie du handicap ».

    Ces attributs saillants seraient une manière d’envoyer aux éventuels prédateurs le message suivant : si j’ai pu arriver où j’en suis, toujours vivant dans une nature qui ne fait pas de cadeau, avec ce handicap évident, vous imaginez bien que j’ai par conséquent des ressources et des capacités au-dessus de la moyenne… ne vous fatiguez pas à m’attraper.

    Au-delà du tribalisme

    Revenons maintenant à notre histoire de politique.

    Il se pourrait bien que l’on ait affaire à un mécanisme cognitif analogue dans le cas des minorités discriminées. Contrairement à ce que certains ont pu affirmer, il ne s’agit pas simplement d’un plafond de verre qui aurait été brisé pour une catégorie de personnes, ce qui nous renverrait encore à un mécanisme tribal d’identité de groupe. En l’occurrence, la théorie du handicap de Zahavi a toute sa pertinence.

    Une couleur, une identité de genre, une origine peuvent activer dans nos esprits le signal du handicap : regardez où j’en suis, dans un monde qui ne fait pas de cadeau, alors que je suis une femme noire et d’origine amérindienne… cela vous donne une idée de mes talents, au-dessus de la moyenne, pour obtenir ce poste.

    La question n’est pas de savoir si Kamala Harris a réellement connu un parcours difficile (en l’occurrence, il semblerait qu’elle soit plutôt issue d’une classe privilégiée). Il s’agit de savoir si un signal extérieur de genre, d’origine ou de couleur de peau évoque forcément une identité tribale ou s’il ne peut pas également renvoyer parfois à une valorisation, d’inspiration toute libérale pour le coup, des talents et des vertus individuels.

    Quelle serait alors une attitude authentiquement libérale face à des discours vantant des qualités extérieures comme l’origine, le sexe ou la couleur de peau ? Tout simplement prendre le temps de distinguer s’il s’agit d’un signe d’identification tribale ou au contraire d’un signal mettant en valeur des talents individuels. Le premier ramène l’individu au groupe, quand le second au contraire l’en extirpe, tel un Rastignac fier de s’être construit dans la difficulté et l’adversité !