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      Politisation du sport : l’étonnante cécité historique d’Emmanuel Macron

      Jonathan Frickert · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 22 November, 2022 - 04:00 · 6 minutes

    Après le capitaine des Bleus , c’est au tour du chef de l’État d’aller de son avis sur la polémique entourant la Coupe du monde de football au Qatar. En marge d’un déplacement au Forum de coopération Asie-Pacifique en Thaïlande, Emmanuel Macron a estimé qu’il ne fallait pas « politiser le sport » .

    Lui-même frappé par une polémique sur sa potentielle venue à Doha en cas d’accession de l’équipe de France en demi-finale de la compétition, Emmanuel Macron a purement et simplement refusé de participer aux discussions sur les conditions de travail et les droits LGBT dans le premier pays exportateur mondial de gaz naturel liquéfié.

    Un idylle avec le ballon rond

    Pourtant, cette position n’a pas toujours été celle du chef de l’État.

    Emmanuel Macron joue depuis longtemps sur l’image du football pour servir sa propre communication, qu’il s’agisse de l’OM, de Kylian Mbappé ou d’évoquer le ballon rond afin d’arrondir les angles lors d’un déplacement en Algérie.

    Mais outre cet aspect de pure communication bien connu en Macronie, en bon chef d’État français le président de la République aime mettre son nez partout, y compris lorsqu’il s’agit de la réforme de la Ligue des champions en 2019, à laquelle il s’est opposé , allant jusqu’à recevoir longuement le secrétaire général de la FIFA.

    Cette contradiction montre ce qui n’est rien d’autre qu’une réalité historique : le sport a toujours été politique.

    Un jeu de pouvoir

    Le sport est d’abord politique au sens de rapports de pouvoir.

    L’exemple le plus connu est évidemment la question de l’attribution des grandes compétitions mondiales. Paris 2024 n’y a pas fait exception puisque l’ attribution des Jeux olympiques à la capitale française s’est faite à grands coups de négociations entre Paris, le CIO et la ville concurrente de Los Angeles.

    Le cas du Mondial est naturellement sur la même lancée. À quelques jours de l’ouverture de la Coupe du monde de football, ce sont près de 12 années de polémiques qui refont surface.

    L’affaire commence le 10 décembre 2010. Un petit pays, dont nous entendrons beaucoup parler dans les années à venir, avec peu d’infrastructures sportives et qui interroge sur sa capacité à loger les joueurs et supporters du monde entier ainsi que sur ses étés caniculaires, obtient l’organisation du mondial 2022. Si les événements sportifs sont souvent l’occasion pour une nation de moderniser ses infrastructures et que la compétition est finalement organisée à l’automne, l’éviction de son puissant concurrent, les États-Unis, interroge.

    En 2012, les premiers soupçons de corruption amènent l’ouverture d’une enquête interne à la FIFA concernant l’attribution de la compétition à la Russie et au Qatar en 2018 et 2022.

    En 2010, une semaine seulement avant l’attribution de la compétition au Qatar, une réunion se serait tenue à l’Élysée entre le président de la République de l’époque, Nicolas Sarkozy, le président de l’UEFA Michel Platini et deux émissaires qataris. Ce qui s’apparente à une grande opération de lobbying aurait inclus la question de la vente du PSG et d’avions Rafale et aurait permis de retourner quatre votes décisifs en faveur de l’émirat. Faute de preuves, l’enquête s’arrête là.

    Idéologie et politisation du sport

    Mais la politisation du sport n’est pas qu’une affaire de pouvoir. Elle est également une affaire idéologique.

    À partir de 2014, la question idéologique fait la Une, entre conditions de travail des ouvriers sur les chantiers , discrimination des personnes LGBT et, depuis 2021, celle de l’ impact environnemental .

    C’est aussi l’occasion de nous souvenir que le sport a toujours été l’occasion de controverses politiques.

    Si on peut parler de l’usage du football par certaines municipalités, au niveau mondial plusieurs sports ont été l’objet d’une politisation.

    On peut évoquer la boxe avec l’engagement de Mohamed Ali contre la guerre du Vietnam , ou encore la diplomatie du ping-pong lancée par la Chine en 1971 afin de sortir de son isolement. Mais les grandes compétitions mondiales n’y font évidement pas exception.

    C’est notamment le cas des Jeux olympiques.

    L’exemple le plus récent est sans doute l’annonce de la mascotte des Jeux de Paris . Ces derniers ne sont autre que… des bonnets phrygiens.

    On peut penser aux JO de Berlin lorsque le sprinteur Jesse Owens défia chez lui Adolf Hitler .

    Trente six ans après, les JO de Munich sont devenus malgré eux un symbole du conflit israélo-palestinien après avoir été frappés par des attentats.

    Huit et 12 ans plus tard, les JO de Moscou puis de Los Angeles ont été boycottés dans un contexte de guerre froide.

    En 2008, les Jeux de Pékin ont également été l’objet de polémiques vis-à-vis notamment de la liberté de la presse.

    Autre événement : la Coupe du monde de Rugby 1995 . Cette dernière s’est déroulée dans une Afrique du Sud en proie à l’apartheid et sera un symbole de la lutte contre le racisme avec une photographie historique entre Nelson Mandela et le capitaine de l’équipe locale.

    En 2016, de l’autre côté de l’Atlantique, le football américain a lancé, par l’intermédiaire du quaterback de San Francisco Colin Kaepernick, le symbole du genou à terre en hommage au mouvement Black Lives Matter.

    Le football européen, ou soccer , est également politisé.

    Pensons au slogan « Black-Blanc-Beur » popularisé après la victoire des Bleus à la Coupe du monde 1998 et qui a servi politiquement un Jacques Chirac en perte de vitesse dans un contexte de cohabitation.

    Plus récemment, c’est la cause LGBT qui a largement tenu à cœur le ballon rond. On pensera notamment à la capitaine de l’équipe américaine féminine Megan Rapinoe, militante assumée de la cause arc-en-ciel.

    L’année dernière, à l’occasion de l’Euro et en particulier d’un match entre l’Allemagne et la Hongrie, la municipalité hôte de Munich avait souhaité illuminer le stade aux couleurs du drapeau LGBT pour dénoncer la condition des personnes de ces orientations au pays de Viktor Orbàn.

    Le pays de tous les scandales

    Le 13 novembre dernier, une enquête du Sunday Times révélait que le Qatar espionnait plusieurs personnalités , qu’il s’agisse d’avocats, d’élus ou même de l’ancien président de l’UEFA Michel Platini.

    Une décennie après les premiers soupçons de financement du terrorisme, notamment au Mali et au Niger où la France a justement envoyé des troupes, les scandales se succèdent et se ressemblent pour la monarchie du Golfe.

    Ces scandales s’ajoutent à un tableau peu reluisant s’agissant des conditions de travail, des droits des personnes LGBT ou encore du climat.

    À trois jours de l’ouverture du mondial de toutes les polémiques, le président de la République fait donc preuve d’une opportune cécité historique.

    Une cécité qui ne dépendra, malheureusement, que des résultats des Bleus dans la compétition.