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      My Country, the New Age : le pouvoir à nu

      Gérard-Michel Thermeau · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 7 January, 2023 - 04:00 · 11 minutes

    My Country the New Age est une série coréenne en 16 épisodes réalisée par Kim Jin-Won diffusée en 2019 sur Netflix mais avec des épisodes deux fois plus longs que les épisodes des séries chinoises.
    Tous les codes des séries asiatiques sont au rendez-vous : ralentis, flash-back désaturés, scènes filmées sous 75 angles différents sans aucune nécessité, longues séquences lacrymales. La musique offre la versatilité habituelle de ce type de production passant du trivial à l’élégiaque, de la guimauve à l’incongru. Mais bon autant souligner d’emblée les points faibles de cette série.

    Pour le reste, My Country se situe un cran au-dessus des séries diffusées sur Netflix. Sa dimension tragique et son message pessimiste ne sont guère monnaie commune. Sur le plan politique, le mythe du bon prince y est clairement mis en pièces.

    My Country : un contexte historique très précis

    A la différence de Rise of Phoenixes , cette série coréenne s’inscrit dans un contexte historique très précis. Elle évoque les débuts chaotiques de la dynastie Yi de la période Joseon, la plus prestigieuse de l’histoire coréenne, à en croire du moins le nombre de séries qui la choisissent pour cadre.

    Selon une formule éprouvée My Country mêle donc personnages imaginaires et personnages historiques. Mais l’intrigue politique y est très proche de celle de la série chinoise ; le roi a plusieurs fils adultes d’un premier mariage et deux fils issus d’un second mariage. Que croyez-vous qu’il arriva ?

    Avec des retours en arrière, l’intrigue s’étend sur douze années avec quatre ancrages :

    1. 1388, année de la retraite de Wihwado qui marque la rébellion du général Yi
    2. 1392, première année du règne de Taejo, l’ancien général Yi
    3. 1398, premier conflit des princes
    4. 1400, deuxième conflit des princes

    Ajoutons-y des flash-back renvoyant à l’enfance ou à la jeunesse des principaux protagonistes.

    Une distribution homogène

    L’intrigue repose sur trois personnages principaux dont le destin croise celui du prince Yi Bang-won, prince rebelle qui finira par s’imposer comme le premier grand monarque de Joseon. Le couple vedette est quelque peu fade. Visage poupin et inexpressif, air ahuri, Yan Se-jong a bien du mal à rendre son personnage de Seo Hwi charismatique. La belle Kim Seol-hyun, qui joue l’amoureuse Han Hui-jae, n’a guère que son physique pour atout.

    En revanche, le reste de la distribution de My Country est très homogène, dominée plus particulièrement par l’excellent Ahn Nae-sang (Nam Jeon), le non moins bon Woo Do-hwan (Nam Seon-ho) et surtout l’étourdissant Jang Hyuk (Yi Bang-Won). Même Jang Youn-nam réussit à rendre émouvant un personnage de tenancière de maison de plaisir, tuberculeuse au grand cœur, cliché romanesque un peu usé.

    Au cœur du récit de My Country, l’ascension du prince Yi Bang-won

    Cinquième fils du premier roi de Joseon, Bang-won est un homme séduisant et théâtral, ne se séparant jamais de son éventail, mais pouvant se révéler à l’occasion un redoutable épéiste. Connu comme le prince Jeongan, Yi Bang-won est le seul des fils du roi à révéler un talent politique.

    Personnage shakespearien, ce prince incarne toutes les vertus et toutes les tares de l’aristocratie. Flamboyant, parfois chevaleresque, capable de générosité mais tout autant brutal, méprisant, imbu de sa naissance, cette figure fascinante se révèle un monstre froid dévoré d’ambition. My Country évoque son irrésistible ascension vers le pouvoir. Mais la sympathie que le spectateur peut éprouver pour cette figure fantasque et anticonformiste va peu à peu s’effilocher.

    Deux amis, Hwi et Seon-ho

    Si Seo Hwi est un personnage fruste et d’une pièce qui va de désillusion en désillusion. Son ami Nam Seon-ho est plus complexe, déchiré entre un amour impossible pour la sœur de son ami, son affection pour Hwi et sa soumission teintée de révolte à un père impitoyable, Nam Jeon. Figure la plus tragique de My Country , il s’efforce tout au long de cette histoire de « faire au mieux » mais ce mieux ne contribue qu’à le faire souffrir davantage.

    Ils sont tous deux des parias mais des parias paradoxaux. Seon-ho est le fils d’un haut personnage mais aussi d’une esclave. « Bâtard » méprisé, il n’a été accepté par son père qu’à la suite de la mort accidentelle du fils légitime. Hwi est le fils d’un général de l’ancien régime victime d’une fausse accusation et qui a connu une mort ignominieuse (ébouillanté !) ce qui en a fait un orphelin déclassé.

    Le premier est donc riche et distingué, le second un rustre mal dégrossi au talent de forgeron (mais également archer incomparable).

    Des personnages en marge de la société

    Autour d’eux gravitent d’autres bannis à l’image de madame Seol, la patronne d’une maison de Gisaeng, Iwharu, ou du guerrier jürchen qui s’attache aux pas de Seon-ho et surtout des inséparables compagnons de Hwi. En effet, notre humble forgeron devenu guerrier est bientôt rejoint par « trois mousquetaires » : un guerrier (noble comme Athos), un ancien esclave devenu voleur qui rêve de noblesse (colosse à la Porthos) et un croque-mort devenu « docteur » (sensible au charme féminin comme Aramis). Ces deux derniers personnages fournissent la majeure partie des épisodes d’un comique parfois lourdingue.

    Loin d’une opposition entre gentils et méchants, My Country repose sur des ambitions contrariées et des désirs de vengeance dont nul ne sort indemne. Foin du manichéisme, le jugement sur les personnages varie en fonction du point de vue des uns et des autres. « Pour toi c’est un ami, pour nous c’est un assassin » comme le déclare l’un des « trois mousquetaires » au héros en lui parlant de Seon-ho.

    « En quoi êtes-vous mieux que mon père ? » jette Seon-ho au prince rebelle, soulignant l’identité entre Bang-won et Nam Jeon. Ici pas de « gentil » prince s’opposant au « méchant » ministre.

    Une amitié héroïque et fusionnelle

    Le lien incroyablement fort qui, en dépit de tout, rapproche Hwi et Seon-ho repose, comme toujours dans ces séries, sur l’enfance. Abandonné de tous après la mort de son père, Hwi n’a trouvé de soutien et de réconfort qu’auprès de Seon-ho.

    Nos deux « héros » ne cessent de mourir et de renaître, de se blesser et de se sauver réciproquement la vie. N’importe laquelle de ces blessures aurait tué n’importe qui et notamment la masse des figurants qu’une pichenette suffit à envoyer ad patres . Mais insensibles à la gangrène, nos deux vaillants combattants survivent à tout, même aux nécessités matérielles. « Il ne fait donc jamais caca » s’étonne le « docteur » en voyant Hwi veiller sans interruption deux jours durant Seon-ho.

    Nous trouvons donc dans My Country cette amitié héroïque et fusionnelle que le public féminin réduit au qualificatif réducteur de « bromance ». « Je sens l’amour jusque dans ton coup d’épée » soupire Seon-ho en s’adressant à Hwi qui vient de le blesser. Ils ne cesseront de se rapprocher et de s’opposer, de s’affonter et de se sauver, de se blesser et de s’aimer. En effet, pendant la plus grande partie de la série, nos deux amis se battent dans des camps opposés ce qui complexifie d’autant plus leurs rapports.

    Une intrigue sentimentale dispensable

    En comparaison, l’intrigue sentimentale paraît très banale même si quelques séquences au bord de l’eau sont très joliment photographiées (mais affligées de chansonnettes sucrées).

    Le personnage de Han Hui-jae est d’ailleurs au fond assez peu indispensable à l’intrigue. On s’attache davantage au personnage plus épisodique de Yeon (l’émouvante Cho Yi-hyun), la sœur de Hwi , victime innocente du jeu politique.

    D’ailleurs, la piste d’une rivalité amoureuse entre Hwi et Seon-ho se révèle une impasse, le jeune ambitieux se révélant en réalité amoureux de Yeon et non de Hui-jae.

    Des figures paternelles écrasantes dans My Country

    Les figures paternelles dominent, écrasantes et insupportables pour leurs fils. Au premier chef, Nam Jeon, dignitaire frustré et ambitieux qui devient grâce au changement dynastique l’homme fort du nouveau régime, le « roi au gat ». Le gat est ce chapeau noir traditionnel qui donne leur allure si particulière aux aristocrates des films historiques coréens.

    Le général Yi, accédant au trône sous le nom de Taejo à un âge déjà avancé, soudard couronné, ne se résout pas à lâcher le pouvoir et prétend régner en s’abritant derrière un de ses fils enfant. Cet hypocrite pleurnichard reproche à son cinquième fils trop doué le meurtre de ses frères alors que lui-même rêve d’en finir avec lui.

    Ajoutons pour faire bonne mesure l’ombre écrasante d’un père disparu, Seo Gom, le meilleur épéiste du royaume, qui a formé à la fois son fils Hwi et le prince rebelle. Sa mort ignominieuse, « passé dans le chaudron », ne sera éclairée qu’à la toute fin de My Country .

    Des figures maternelles effacées ou impuissantes

    En revanche les figures maternelles sont effacées, disparues si l’on excepte madame Seol, mère de substitution de notre héroïne ou Dame Kang, reine soucieuse de placer son fils sur le trône. Mais, et c’est significatif, toutes deux sont vouées à la maladie et à la mort.

    Le « genrisme » ne sévit guère ici. Point d’amazones ni de farouches guerrières. Les femmes ne jouent un rôle qu’en usant d’armes « féminines », fidèle en cela au contexte historique. Dans cette société patriarcale dominée par les principes confucéens, leur place est d’ailleurs réduite.

    La société aristocratique dépeinte dans My Country , douce pour les puissants et dure pour les faibles, cause l’entrée en révolte de Hwi. Affrontant son ami Seon-ho lors d’un concours, il est éliminé car il n’a pas de père influent. Mais ce révolté n’a guère de sens politique contrairement à son ami Seon-ho qui pense pouvoir changer les choses en jouant sur la rivalité entre les deux clans qui se disputent le pouvoir.

    De beaux discours trompeurs

    L’un des clans est dirigé par Nam Jeon, l’aristocrate méprisant. « Le bien commun justifie le sacrifice d’autrui » déclare Nam Jeon à Hwi. L’ancien ministre des écuries devenu président du conseil privé rêve d’une « nation pour les sujets et non pour le roi ». Il faut comprendre par là un régime oligarchique où le roi serait la marionnette du ministre.

    L’autre est menée par le fils du roi. Mais les propos du prince Bang-won qui se veut « la clé de jours plus radieux » et prétend instaurer le « pays des laissés-pour-compte » sont tout aussi trompeurs. D’une certaine façon, le prince annonce clairement la couleur dès le 5e épisode : le changement dynastique n’entraîne aucun changement fondamental de la société.

    Écarté du pouvoir par la volonté de son père de favoriser ses plus jeunes fils « illégitimes », il éprouve une profonde répulsion pour les « bâtards » à l’image de Seon-ho, qu’il humilie à plusieurs reprises.

    Orgie de sang et pessimisme de My Country

    La tension ne cesse de monter jusqu’au douzième épisode de My Country . La mort de l’antagoniste principal, Nam Jeon, entraîne une baisse de régime dans les quatre derniers épisodes. Nous sommes en 1400 et le prince désormais tout-puissant a placé sur le trône un des frères aînés, souverain fantoche. L’ancien roi, confiné dans ses appartements, complote toujours. Bang-won se heurte au seul de ses frères qui ait des ambitions, Bang-gan, qui sous des dehors bouffons, rêve du trône. Mais ce prince Hoean, qui porte la duplicité sur son visage, ne fait pas vraiment le poids. Les situations se répètent donc mais en mode mineur et en accéléré.

    Les deux derniers épisodes réunissent enfin les deux amis dont le lien se révèle plus fort que tout. Hwi et Seon-ho ont du être le soleil et la lune dans une vie antérieure commente le facétieux médecin. L’histoire commencée sous le signe de leur amitié indéfectible s’achève par leur mort commune. Ayant compris la vanité de vouloir changer le monde, Seon-ho a sombré dans le nihilisme, ne songeant plus qu’à détruire le monde en faisant périr les princes et les deux rois. Cette sombre histoire de trahisons multiples s’achève ainsi dans une orgie de sang et un climat pessimiste.

    Des pions au service des puissants

    À vouloir jouer avec le feu du pouvoir, tous se sont brûlés. Hwi s’imaginait utiliser la rivalité entre les deux clans pour assouvir sa vengeance. Il mettra beaucoup de temps à réaliser qu’il n’était qu’une arme entre les mains du Prince. En poursuivant ses objectifs, obsédé par sa haine, il a provoqué par là-même la mort de nombreux innocents.

    À la fin des fins, nos héros n’auront été que les pions d’un jeu de go qui les dépasse où des monstres froids préoccupés uniquement par le pouvoir les auront manipulés et utilisés à loisir. À ce jeu, le plus habile et chanceux l’a emporté, voilà tout.

    Comme dans Rise of Phoenixes , le prince qui n’a jamais fait confiance à qui que ce soit est arrivé à ses fins et s’apprête à occuper le trône. Mais autour de lui règnent désormais le vide et le silence.

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      14 signes de totalitarisme

      Foundation for Economic Education · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 29 December, 2022 - 03:50 · 3 minutes

    Par Jon Miltimore.

    Nous connaissons tous les inconvénients de Twitter , mais l’un de ses avantages est qu’il permet la découverte de personnes intéressantes.

    L’un de mes nouveaux followers préférés est Benjamin Carlson , un gourou des relations publiques et ancien rédacteur en chef de The Atlantic . Ses tweets sont parmi les meilleurs que l’on puisse trouver sur Twitter et il a manifestement une compréhension aiguë des intersections entre les médias et le gouvernement, le pouvoir et la propagande (à la fois actuels et historiques).

    L’un de ses récents tweets a attiré mon attention et j’en partage une adaptation ci-dessous.

    1. La dissidence est assimilée à la violence.
    2. Les médias sont contrôlés.
    3. Le système juridique est coopté par l’État.
    4. Le pouvoir est exercé pour étouffer la dissidence.
    5. La police d’État protège le régime, pas le peuple.
    6. Les droits – financiers, juridiques et civils – sont subordonnés à la conformité.
    7. La conformité massive des croyances et des comportements est exigée.
    8. Le pouvoir est concentré dans un cercle restreint d’institutions et d’élites.
    9. La violence semi-organisée est autorisée (dans certains cas).
    10. La propagande cible les ennemis du régime d’État.
    11. Des classes entières sont persécutées.
    12. Des actions extralégales sont tolérées contre les opposants internes au régime.
    13. Application stricte de la loi contre les classes défavorisées.
    14. Les leviers de pouvoir privés et publics sont utilisés pour imposer l’adhésion aux dogmes de l’État.

    Une liste troublante sur le totalitarisme

    La liste est un peu troublante. À tout le moins, certaines de ces techniques se déroulent sous nos yeux. Cependant, cela ne signifie certainement pas que les États-Unis sont un État totalitaire.

    Il existe de nombreuses définitions du totalitarisme et je ne crois pas que l’on puisse sérieusement affirmer que les États-Unis en sont arrivés là. Mais l’autoritarisme est certainement dans l’air et il émane plus fortement de la capitale de notre pays.

    Alors que la droite et la gauche politiques s’accusent mutuellement de nourrir des ambitions tyranniques, le philosophe Karl Popper a donné une idée du moment où un gouvernement légitime franchit la ligne et devient tyrannique.

    Popper a écrit :

    « Vous pouvez choisir le nom que vous voulez pour les deux types de gouvernement. Personnellement, j’appelle « démocratie » le gouvernement qui peut être supprimé sans violence et l’autre « tyrannie. »

    La citation de Popper est un rappel important : le peuple a finalement le droit de choisir son gouvernement.

    Dans son ouvrage fondamental Two Treatises of Government, John Locke a défini ce qui allait devenir la base de la philosophie fondatrice de l’Amérique, comme l’a récemment expliqué Dan Sanchez de FEE.

    « L’égalité, au sens premier du terme, non pas l’égalité des capacités ou des richesses, mais la non-soumission ;

    Les droits inaliénables, non pas aux droits du gouvernement, mais à la vie, à la liberté et à la propriété ;

    La démocratie, au sens premier du terme, non pas le simple vote majoritaire, mais la souveraineté populaire : l’idée que les gouvernements ne doivent pas être des maîtres mais des serviteurs du peuple ;

    Consentement des gouvernés : l’idée que les gouvernements ne peuvent légitimement gouverner que par le consentement des gouvernés, c’est-à-dire du peuple souverain ;

    Gouvernement limité : l’idée que le seul but et la portée appropriée d’un gouvernement légitime est uniquement de garantir les droits du peuple ;

    Droit de révolution : l’idée que tout gouvernement qui outrepasse ses limites et piétine les droits mêmes qu’il était chargé de garantir est une tyrannie, et que le peuple a le droit de résister, de modifier, voire d’abolir les gouvernements tyranniques. »

    Au fur et à mesure que l’État s’éloigne de son objectif moral, il devient de plus en plus important de comprendre les droits de l’Homme et les limites du gouvernement.

    Traduction Contrepoints

    Sur le web

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      Violence du pouvoir : faut-il désespérer de l’homme ?

      Patrick Aulnas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 28 November, 2022 - 04:15 · 5 minutes

    Des trois grandes passions humaines, le pouvoir, l’argent et l’amour, c’est la passion du pouvoir et de la puissance qui provoque le plus de ravages : conflits sociaux, révolutions, guerres, génocides.

    La politique apparaît ainsi comme le mal nécessaire permettant de cantonner cette passion , de l’empêcher de virer à la folie. Elle y parvient médiocrement puisque les autocraties prolifèrent, les démocraties doutent d’elles-mêmes et la guerre est une constante. La paix n’a jamais régné sur l’ humanité entière. Ici ou là, les hommes se sont toujours battus et exterminés.

    De la pureté initiale aux compromis politiques

    Le destin des hommes relève du tragique par leur incapacité à atteindre collectivement la sagesse.

    Il existe des sages dans l’humanité mais l’humanité elle-même n’est pas sage. Il lui faut des défis et des performances, des conflits et des victoires. Après une première phase d’aspiration à la pureté, les religions dérivent vers la complaisance envers le pouvoir. Le christianisme en est un exemple. La figure de Jésus-Christ parcourant la Judée avec ses apôtres, demandant la justice et cherchant à faire le bien, est celle d’un sage charismatique qui dérange le pouvoir romain. « Un anarchiste qui a réussi » disait de lui André Malraux.

    Malheureusement, cette réussite conduit à l’institutionnalisation d’une religion et à des compromis parfois inavouables avec le pouvoir politique. L’unité n’est même pas possible au sein d’une religion. Catholiques et protestants, chiites et sunnites en sont souvent arrivés à se haïr et à s’entretuer.

    Dominer par la violence

    Quant au pouvoir lui-même, il n’est qu’une aspiration à la domination toujours plus complète sur autrui.

    Pouvoir politique obtenu par la violence, la ruse ou l’élection, pouvoir économique obtenu par l’accumulation de capitaux, pouvoir des hommes sur les femmes obtenu par la tradition ancestrale du patriarcat, pouvoir des humains sur les animaux, qu’ils assimilent juridiquement à des choses alors qu’il suffit de côtoyer quotidiennement un chien ou un chat pour comprendre qu’il est pétri d’émotions semblables à celles que nous ressentons nous-mêmes.

    La croissance du pouvoir détermine la croissance des violences. La Shoah, le Goulag, l’Holodomor sont les exterminations les plus féroces de notre histoire car le pouvoir politique a accumulé au XX e siècle une puissance jamais atteinte auparavant. Les guerres anciennes s’accompagnaient de pillages, de viols, de tortures et de massacres mais les moyens disponibles ne permettaient pas d’exterminer en peu de temps des millions d’êtres humains. Notre technologie est aujourd’hui capable de déclencher l’apocalypse nucléaire et d’altérer peu à peu le milieu naturel terrestre en le rendant impropre à notre survie. La violence à l’égard de notre environnement est la plus sournoise car elle est justifiée par l’amélioration de nos conditions de vie. Nous avons volontairement oublié que la Terre est notre royaume et notre prison. Nous ne pouvons atteindre aucun autre lieu nous permettant de vivre dans l’univers.

    Dominer par le contrôle généralisé

    La croissance du pouvoir est concomitante du développement scientifique et technologique.

    La technologie nous offre une vie plus confortable et plus longue, l’espérance de vie à la naissance ne cessant d’augmenter. Mais elle est aussi au service du pouvoir et lui permet de disposer de bases de données gigantesques et donc d’une capacité de contrôle jamais atteinte auparavant. Les individus eux-mêmes collaborent désormais activement à la surveillance des tous leurs faits et gestes. L’exemple le plus saisissant est fourni par la fiscalité. Les professionnels doivent saisir eux-mêmes ou par l’intermédiaire d’un expert-comptable toutes les données concernant leur activité afin de permettre les contrôles administratifs. Cette évolution est aussi largement amorcée pour les particuliers qui sont désormais nombreux à établir leur déclaration de revenus sur le site internet du gouvernement.

    Il n’est pas anodin que l’on soit parvenu à faire admettre que le chemin de la démocratie véritable passe par la route de la servitude. Les recettes fiscales et sociales sont nécessaires au fonctionnement de l’État-providence et par conséquent des contrôles efficaces doivent exister. Moins arbitraire par la mise en œuvre du principe de la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif, judicaire), l’État devient omniscient par les informations dont il dispose et donc presque omnipotent face à un individu isolé ne maîtrisant pas une telle complexité. L’État a renforcé son pouvoir à un degré inédit et accru la dépendance de la personne humaine à son égard. Big Brother est en construction.

    Défiance envers le pouvoir, confiance en l’Homme

    La passion du pouvoir et son incessante croissance pourraient nous faire désespérer des Hommes.

    Il ne le faut pas. Il suffit d’observer leur histoire à grandes enjambées pour s’en convaincre. En partant de leurs grottes paléolithiques, les Hommes ont conquis la Terre entière, construit des royaumes et des empires, créé des modèles dits scientifiques pour tenter de comprendre leur univers et s’analyser eux-mêmes. Ils ont utilisé leur savoir pour améliorer leur condition. Ils sont capables d’idéaliser pour espérer et ils ont inventé le bonheur et l’amour qui n’existent que dans leur esprit et leur cœur, mais qui existent.

    Leur violence est le stigmate de leur faiblesse. S’ils ne peuvent se départir de la tentation du mal, ils aspirent à se diriger vers le bien. L’art et la spiritualité, qui n’est pas nécessairement associée à une religion instituée, permettent de s’en convaincre. N’oubliez jamais les Vierges sublimes de Raphaël, les paysages idylliques de Claude Lorrain, n’oubliez ni la flèche des églises qui pointe vers le ciel ni la sérénité parfaite des monastères. N’oubliez pas de retrouver parfois votre regard d’enfant : « Je vous le dis en vérité, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera point » (Évangile selon Marc 10:15,29)

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      Mathias Poujol-Rost ✅ · Monday, 6 December, 2021 - 15:29

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    Egypt Papers : l’embarras du pouvoir politique