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      Réforme des prix de l’électricité : tout changer pour ne rien changer

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Wednesday, 10 January - 16:02 · 13 minutes

    « Nous avons réussi à trouver un équilibre vital entre la compétitivité de notre industrie, la stabilité pour les ménages et le développement d’EDF ». A la mi-novembre 2023, après deux ans de crise sur le marché de l’électricité, Bruno Le Maire était fier d’annoncer un accord entre l’Etat et EDF . A l’entendre, tous les problèmes constatés ces dernières années ont été résolus. Le tout en restant pourtant dans le cadre de marché imposé par l’Union européenne. En somme, la France aurait réussi l’impossible : garantir des prix stables tout en permettant une concurrence… qui implique une fluctuation des prix.

    Alors que la crise énergétique n’est toujours pas vraiment derrière nous et que les investissements pour la maintenance et le renouvellement des centrales électriques dans les années à venir sont considérables, cet accord mérite une attention particulière. Devant la technicité du sujet, la plupart des médias ont pourtant renoncé à se plonger dans les détails de la réforme et se sont contentés de reprendre les déclarations officielles. Cet accord comporte pourtant de grandes zones d’ombre, qui invitent à relativiser les propos optimistes du ministre de l’Économie. Alors qu’en est-il vraiment ?

    Une réforme qui n’a que trop tardé

    D’abord, il faut rappeler à quel point une réforme des prix de l’électricité était urgente. Depuis l’ouverture à la concurrence du secteur imposée par l’Union Européenne (UE) à la fin des années 90, le système est devenu de plus en plus complexe, EDF s’est retrouvée de plus en plus fragilisée et les prix pour les consommateurs ont explosé, contrairement aux promesses des apôtres du marché. En transformant l’électricité d’un bien public au tarif garanti en un bien de marché échangé sur les places boursières, son prix a été largement corrélé à celui du gaz, correspondant au coût marginal de production, c’est-à-dire au coût pour produire un MWh supplémentaire. Une absurdité alors que nos électrons proviennent largement du nucléaire et des renouvelables, notamment l’hydroélectricité.

    Complexification du système électrique français depuis la libéralisation européenne. © Elucid

    Dès la fin 2021, l’envolée des prix du gaz entraîne de fortes hausses des prix de marché de l’électricité, qui se répercutent ensuite sur les consommateurs. Pour la plupart des entreprises et les collectivités, qui ne bénéficient pas du tarif réglementé, l’augmentation a été brutale : +21% en 2022 et +84% en 2023 en moyenne selon l’INSEE ., soit un doublement des factures en à peine deux ans ! Et cette moyenne cache de fortes disparités : les exemples d’entreprises ou communes ayant vu leur facture tripler ou quadrupler, voire multipliée par 10, sont légion . Les conséquences de telles hausses sont catastrophiques : faillites, délocalisations, gel des investissements, dégradation des services publics, hausse de l’inflation… Pour les particuliers, la hausse a été moins brutale, mais tout de même historique : après +4% en 2022, le tarif réglementé a connu une hausse de 15% en février 2023 et une autre de 10% en août. Soit presque +30% en deux ans, avant une nouvelle hausse de 10% prévue pour cette année.

    Face aux effets dévastateurs de cette envolée des prix, l’Etat a bricolé un « bouclier tarifaire»  pour les particuliers et divers amortisseurs et aides ciblées pour les collectivités et les entreprises. Un empilement de dispositifs considéré comme une « usine à gaz » par un rapport sénatorial et qui aura coûté 50 milliards d’euros entre 2021 et 2023 rien que pour l’électricité. L’Etat français a ainsi préféré payer une part des factures lui-même pour acheter la paix sociale plutôt que de taxer les superprofits des spéculateurs ou de reprendre le contrôle sur l’énergie. Privatisation des profits et socialisation des pertes.

    Le bilan des deux dernières années est accablant : les factures des ménages et des entreprises ont flambé, l’Etat a dépensé sans compter pour les aider et l’endettement d’EDF a explosé. Les seuls bénéficiaires de cette période sont les spéculateurs du marché, qui ont engrangé des profits indécents.

    De manière absurde, alors que les prix étaient au plus haut, EDF a enregistré des pertes historiques en 2022 (18 milliards d’euros). Une situation qui s’explique par des erreurs stratégiques et une faible disponibilité du parc nucléaire, qui l’a obligée à racheter à ses concurrents les volumes vendus dans le cadre de l’Accès Régulé à l’Énergie Nucléaire Historique (ARENH). Concession de la France aux fanatiques européens de la concurrence, ce système force EDF à vendre 120 TWh par an, soit environ un tiers de sa production nucléaire, à ses concurrents à un prix trop faible de 42€/MWh. Si la situation de l’énergéticien s’est depuis améliorée , le bilan des deux dernières années est accablant : les factures des ménages et des entreprises ont flambé, l’Etat a dépensé sans compter pour les aider et l’endettement d’EDF a explosé. Les seuls bénéficiaires de cette période sont les spéculateurs du marché, qui ont engrangé des profits indécents.

    Un « tarif cible » encore très flou

    Après un tel échec du marché et alors que le mécanisme de l’ARENH doit prendre fin au 1er janvier 2026, une réforme devenait indispensable. Suite à des mois de négociations, un accord a finalement été trouvé entre l’Etat et EDF pour la période 2026-2040 pour « garantir un niveau de prix autour de 70€ le MWh pour l’électricité nucléaire » selon Bruno Le Maire. Si certains ont jugé la hausse trop forte par rapport aux 42€/MWh de l’ARENH, il convient de relativiser. D’une part, l’ARENH ne concernait qu’une part de la production nucléaire, le reste étant vendu bien plus cher. D’autre part, le tarif de l’ARENH était devenu trop faible par rapport aux coûts de production du nucléaire, estimés autour de 60€/MWh dans les années à venir , et aux besoins d’investissement d’EDF. Une hausse conséquente était donc inéluctable.

    Le nouveau tarif paraît donc élevé, mais pas délirant. Mais voilà : ces 70€/MWh ne sont en fait pas un tarif garanti mais un « tarif cible » que se fixe le gouvernement, « en moyenne sur 15 ans et sur l’ensemble des consommateurs ». Cette cible repose sur des prévisions d’évolution des prix de marché absolument impossibles à valider et sur un mécanisme de taxation progressive des prix de vente d’EDF aux fournisseurs, qui démarre à 78 €/MWh. A partir de ce seuil, les gains supplémentaires seront taxés à 50%, puis à 90% au-delà de 110€/MWh. Rien qui permette de garantir un prix de 70 €/MWh aux fournisseurs… et encore moins aux consommateurs puisque la marge des fournisseurs n’est pas encadrée. Si l’Etat promet que les recettes de ces taxes seront ensuite reversées aux consommateurs, le mécanisme envisagé n’est pas encore connu. S’agira-t-il d’un crédit d’impôt ? D’une remise sur les factures suivantes ? Sans doute les cabinets de conseil se penchent-ils déjà sur la question pour concevoir un nouveau système bureaucratique.

    Ce système bricolé reste vulnérable aux injonctions européennes.

    En attendant, une chose est sûre : les factures vont continuer à osciller fortement, pénalisant fortement les ménages, les entreprises et les communes, à l’image de la situation actuelle. On est donc loin de la « stabilité » vantée par le gouvernement. Enfin, ce système bricolé reste vulnérable aux injonctions européennes : si les tarifs français sont plus attractifs que ceux d’autres pays européens – par exemple, ceux d’une Allemagne désormais largement dépendante du gaz américain particulièrement cher – rien ne garantit que ceux-ci ne portent pas plainte auprès de l’UE pour distorsion de concurrence. Quelle nouvelle concession la France fera-t-elle alors aux gourous du marché ?

    En revanche, le fait que les fournisseurs et producteurs privés continuent à engranger des superprofits sur le dos des usagers ne semble gêner personne. Imaginons par exemple une nouvelle période de flambée des prix durant laquelle TotalEnergies, Eni, Engie ou d’autres vendent de l’électricité à 100 ou 150€/MWh : si les consommateurs ne percevront pas la différence – le mécanisme de taxation prévoyant une redistribution indépendamment de leur fournisseur – les profits supplémentaires n’iront pas dans les mêmes poches suivant qui les réalisent. Chez EDF, d’éventuels dividendes iront directement dans les caisses de l’Etat, désormais actionnaire à 100%. Chez ses concurrents, ces profits sur un bien public enrichiront des investisseurs privés.

    EDF, gagnant de la réforme ?

    Pour l’opérateur historique, la réforme ouvre donc une nouvelle ère incertaine. Certes, en apparence, EDF semble plutôt sortir gagnante des négociations. Son PDG Luc Rémont n’a d’ailleurs pas hésité à menacer de démissionner s’il n’obtenait pas un tarif cible suffisant. Une fermeté qui doit moins à son attachement au service public qu’à sa volonté de gouverner EDF comme une multinationale privée, en vendant l’électricité à des prix plus hauts. Or, EDF doit faire face à des défis immenses dans les prochaines décennies : il faut non seulement assurer le prolongement du parc existant, notamment le « grand carénage » des centrales nucléaires vieillissantes, mais également investir pour répondre à une demande amenée à augmenter fortement avec l’électrification de nouveaux usages (procédés industriels et véhicules notamment). Le tout en essayant de rembourser une dette de 65 milliards d’euros, directement causée par les décisions désastreuses prises depuis 20 ans et en essayant de se développer à l’international.

    A première vue, le tarif cible de 70€/MWh devrait permettre de remplir ces différents objectifs. D’après la Commission de Régulation de l’Énergie , le coût de production du nucléaire sur la période 2026-2030 devrait être de 60,7€/MWh. La dizaine d’euros supplémentaires ponctionnés sur chaque MWh devrait servir à financer la « politique d’investissement d’EDF, notamment dans le nouveau nucléaire français et à l’export », indique le gouvernement. Selon les calculs d’ Alternatives Economiques , cette différence par rapport aux coûts de production permettrait de financer un réacteur EPR tous les deux ans. Que l’on soit pour ou contre la relance du programme nucléaire, cet apport financier supplémentaire pour EDF reste une bonne nouvelle, les énergies renouvelables nécessitant elles aussi de gros investissements.

    Les factures d’électricité des Français serviront-elles à payer les réacteurs EPR britanniques ?

    Cependant, l’usage exact de ces milliards par EDF reste entouré d’un grand flou. L’entreprise est en effet le bras armé de la France pour exporter son nucléaire dans le reste du monde. Or, les coûts des centrales atomiques construites à l’étranger ont eu tendance à exploser. C’est notamment le cas au Royaume-Uni, où EDF construit la centrale d’Hinkley Point C. Un projet dont le coût est passé de 18 milliards de livres au début de sa construction en 2016 à presque 33 milliards de livres aujourd’hui . Des surcoûts que le partenaire chinois d’EDF sur ce projet, China General Nuclear Power Group (CGN), refuse d’assumer. EDF risque donc de devoir assumer seule cette facture extrêmement salée, ainsi que celle de la future centrale de Sizewell C , également en « partenariat » avec CGN. Les factures d’électricité des Français serviront-elles à payer les réacteurs EPR britanniques ? Si rien n’est encore décidé, le risque existe bel et bien.

    La France osera-t-elle s’opposer à l’Union Européenne ?

    Enfin, EDF fait toujours figure d’ennemi à abattre pour la Commission Européenne. Étant donné la position ultra-dominante de l’opérateur national, les technocrates bruxellois cherchent depuis longtemps des moyens d’affaiblir ses parts de marché. Le nucléaire intéresse peu le secteur privé : il pose de trop grands enjeux de sécurité et est trop peu rentable. Les concurrents d’EDF espèrent donc surtout mettre la main sur le reste des activités du groupe, c’est-à-dire les énergies renouvelables et les barrages hydroélectriques, amortis depuis longtemps et qui garantissent une rente confortable. Si un pays européen venait à se plaindre de la concurrence « déloyale » d’EDF, la Commission européenne pourrait alors ressortir des cartons le « projet Hercule », qui prévoit le démembrement de l’entreprise et la vente de ses activités non-nucléaires. Bien qu’ils disent le contraire, les macronistes ne semblent pas avoir renoncé à ce scénario. En témoignent la réorganisation actuelle du groupe EDF, qui ressemble fortement aux plans prévus par Hercule, et leur opposition intense à la proposition de loi du député Philippe Brun (PS) qui vise, entre autres, à garantir l’incessibilité des actifs d’EDF.

    EDF fait toujours figure d’ennemi à abattre pour la Commission Européenne.

    Etant donné la docilité habituelle de Paris face aux injonctions européennes, le retour de ce « projet Hercule » est donc une possibilité réelle. La France pourrait pourtant faire d’autres choix et désobéir à Bruxelles pour pouvoir appliquer sa propre politique énergétique. L’exemple de l’Espagne et du Portugal montre que des alternatives existent : en dérogeant temporairement aux règles européennes pour plafonner le prix du gaz utilisé pour la production électrique, les deux pays ibériques ont divisé par deux les factures des consommateurs bénéficiant de tarifs réglementés . Quand le Parti Communiste Français et la France Insoumise, inspirés par le travail du syndicat Sud Energie , ont proposé que la France revienne à une gestion publique de l’électricité, les macronistes ont agité la peur d’un « Frexit énergétique », estimant que la sortie de la concurrence reviendrait à cesser tout échange énergétique avec les pays voisins. Un mensonge qui témoigne soit de leur mauvaise foi, soit de leur méconnaissance complète du sujet, les échanges d’électricité ne nécessitant ni la privatisation des centrales, ni la mise en concurrence d’EDF avec des fournisseurs nuisibles.

    Si cette réforme s’apparente donc à un vaste bricolage pour faire perdurer l’hérésie du marché, l’insistance sur la « stabilité » des prix dans le discours de Bruno Le Maire s’apparente à une reconnaissance implicite du fait que le marché n’est pas la solution. Les consommateurs, qu’il s’agisse des particuliers, des entreprises ou des collectivités et organismes publics, souhaitent tous de la visibilité sur leurs factures pour ne pas tomber dans le rouge. De l’autre côté, les investissements menés sur le système électrique, tant pour la production que pour le réseau, ne sont amortis que sur le temps long. Ainsi, tout le monde a intérêt à des tarifs réglementés, fixés sur le long terme. Un objectif qui ne peut être atteint que par un retour à un monopole public et une forte planification. Exactement l’inverse du chaos et de la voracité des marchés.

    Note : L’auteur remercie la syndicaliste Anne Debrégeas (Sud Energie) pour ses retours précis et ses analyses sur la réforme en cours.

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      Tabac, transports, SMIC… voici tout ce qui augmente au 1er janvier 2024

      news.movim.eu / JournalDuGeek · Tuesday, 2 January - 08:45

    La hausse des prix des abonnements est nécessaire

    Les prix s'envolent en ce début d'année, on fait le point sur ce qui va changer.
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      Après Disney+ et Netflix, c’est au tour d’Apple TV+ d’augmenter ses prix

      news.movim.eu / JournalDuGeek · Wednesday, 25 October - 14:16

    apple-tv-plus-prix-augmentation-158x105.jpg Apple TV+ augmente ses prix

    Si son catalogue est encore assez restreint, la plateforme est persuadée que l'heure est venue pour elle d'augmenter ses prix.

    Après Disney+ et Netflix, c’est au tour d’Apple TV+ d’augmenter ses prix

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      Comment est déterminée la valeur des choses ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 14 February, 2023 - 03:30 · 6 minutes

    En ce qui concerne la valeur des choses, faites l’essai de demander à votre entourage comment se déterminent les prix ? On vous répondra soit qu’on n’en sait rien, soit que c’est par l’offre et la demande, soit que ce sont les marges que prennent les différents intervenants y compris les fabricants. Si vous cherchez à savoir quelle est la différence entre la valeur et le prix, la plupart du temps on vous dira que c’est la même chose. Qu’en est-il réellement ?

    Il a été posé que le travail représente la valeur absolue d’un bien. Il est également de toute évidence que la concurrence et la négociation, aussi appelées « l’offre et la demande », interviennent dans son prix.

    Le propos serait alors contradictoire puisqu’il existerait deux moyens d’évaluer un même objet :

    • d’une part le travail pour le fabriquer,
    • d’autre part l’intensité avec laquelle on négocie son prix.

    Pour être plus près du réel, on peut illustrer la question de la façon suivante : lorsqu’une mauvaise récolte provoque une pénurie, un cultivateur vendra plus cher sa marchandise alors qu’il aura travaillé le même temps. Si à l’inverse la récolte est abondante, il se trouvera contraint de vendre moins cher pour un même travail. Comment dans ce cas prétendre que le travail en est la mesure, puisque la force du marché va en modifier le prix ?

    Ce fut David Ricardo qui formula la réponse définitivement :

    « C’est le coût de production qui détermine en définitive le prix des marchandises, et non, comme on l’a souvent dit, le rapport entre l’offre et la demande . »

    On pourra être surpris, douter même de la réalité d’une telle assertion. Mais alors où est le bon sens, que penser ?

    Si dans le cas évoqué le paysan ne peut plus subvenir à ses besoins faute d’une récolte suffisante, il est évident qu’il va en hausser le prix, sous peine d’être contraint de devoir mettre un terme à son activité. Mais que doit-on voir dans cette hausse ? Rien d’autre que la modification de son coût de production qui détermine la valeur de sa récolte. Autrement dit, lorsque l’on parle de pénurie ou de surproduction influant sur les prix, on ne doit pas mettre en cause un marché dont le besoin moyen reste à peu près stable, mais les variations dues aux aléas de la fabrication. Ceci n’est évidemment valable que dans un marché libre, c’est-à-dire sans intervention de l’État. Si des contraintes règlementaires ou des quotas interviennent, ce sont eux qu’il faudra considérer pour comprendre les mouvements du marché. Les modifications opérées par ces quotas seront directement proportionnelles à leurs rigueurs et influenceront du même coup les prix.

    Dans le cas où l’État est en charge lui-même de la production, cette organisation centralisée utilisera également le meilleur des moyens dont elle dispose afin de servir les consommateurs. Quel que soit le système choisi, les coûts des produits resteront essentiellement déterminés par les contraintes liées à leur fabrication.

    Suite à ce qui vient d’être dit sur les prix de production, que se passe-t-il en aval, juste après que les distributeurs se sont approvisionnés chez les producteurs ?

    Dans un marché libre, ces commerçants ont fait leurs achats à certains prix, ils ne peuvent plus modifier ce qu’ils proposent ou très peu. Ils débutent les ventes avec un résultat dont la limite leur est déjà connue, calculée sur des coûts de revient déjà payés. S’ils peuvent vendre plus cher c’est une aubaine, mais dans la plupart des cas un marché ouvert ne le permet pas, ou seulement pendant un laps de temps court. En deçà d’un certain prix ils perdront de l’argent et ne maintiendront pas cette offre. Ils se retourneront alors vers les fournisseurs, seuls capables de modifier réellement la donne. Pour cette raison, ceux-ci revoient en permanence leurs moyens de production, en bref ils améliorent constamment la division du travail . Tout cela doit être planifié sur plusieurs mois ou plusieurs années en fonction des biens considérés. C’est pour cette raison qu’ils n’attendent pas qu’on leur demande quoi que ce soit et anticipent continuellement les évolutions possibles du marché. Les meilleurs sont évidemment ceux qui arrivent à voir clair avant les autres. Observateurs méticuleux de la demande, ils investissent vers de nouveaux horizons, on peut même affirmer que leur métier trouve dans cette fonction créatrice sa plus belle expression.

    En bout de chaîne, les utilisateurs ne font que réagir à une offre déjà entièrement construite, assortie de prix fermement établis, même s’ils engagent parfois la discussion afin d’obtenir quelques avantages. Il s’agit d’une relation constante entre un marché avide des meilleures conditions possibles, face à une production lente à se modifier. Cette dernière possède cependant une portée définitive quant au résultat. David Ricardo prend l’exemple d’une fabrique de chapeaux où l’on a réussi à diminuer fortement les coûts de fabrication. Il affirme que, même si la demande devait doubler ou tripler, leurs prix baisseraient nécessairement sur le marché. Il avait parfaitement raison, la suite de l’histoire vérifiera ses dires. En condensé, on peut dire que le marché ajuste les prix mais ne les détermine pas.

    Il existe toutefois deux exceptions au fait que le prix de production détermine la valeur.

    Une première famille est celle des marchandises non reproductibles. Elle est constituée par les œuvres d’art et les objets de collection. Il est certain qu’une bague datant de l’époque romaine ne sera pas évaluée par le seul travail qu’il faudrait pour la fabriquer à nouveau. Elle est en réalité non reproductible quelle que soit la qualité envisagée. L’explication est en fait une tautologie, ces biens échappent aux mécanismes de production tout simplement parce qu’ils ne peuvent plus être produits.

    Une seconde famille de marchandises n’est pas non plus directement liée au travail quant à son coût. Elle est définie d’après un critère simple : la rareté permanente. Cette contrainte empêche définitivement toute fabrication en quantité. Les pierres précieuses ainsi que toutes les matières premières peu courantes ou celles en train de le devenir constituent cette catégorie.

    En définitive, que tout ceci ne vous empêche surtout pas d’être satisfaits d’obtenir de bonnes remises quand vous faites vos emplettes. Trouver les meilleurs prix reste efficace pour gérer son propre budget. Par contre, en ce qui concerne l’évolution d’une société, voire d’une civilisation, ce critère n’est en rien déterminant. Les comparaisons à long terme livrent une vision très différente de ce que l’on perçoit immédiatement avec facilité.

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      Le système kafkaïen de fixation du prix de l’électricité

      Claude Sicard · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 14 January, 2023 - 04:30 · 11 minutes

    En 1997 la France est entrée tout naturellement dans le marché européen de l’énergie via son appartenance à l’Union européenne.

    Il semble qu’on le regrette amèrement aujourd’hui du fait qu’avec la crise actuelle, le système de fixation des prix de gros de l’électricité instauré par la Commission européenne conduit à des aberrations.

    Pour l’électricité il y avait en France un système de fixation du prix aux données complètement maîtrisées. À présent, il existe un dispositif qui subordonne le prix de cette énergie à des éléments sur lesquels nous n’avons aucune prise, en l’occurrence les prix du gaz et du CO 2 . Aussi, un expert comme Loïk Le Floch-Prigent ancien président de GDF énonce sans hésiter qu’il faudrait quitter ce marché. Et Bruno Le Maire s’interroge. Sur Public Senat , en  septembre dernier, il n’a pas hésité à qualifier ce système « d’aberrant, obsolète », et il en souhaite vivement la réforme.

    En attendant de voir réformé ce marché, ou d’en sortir, les petites et moyennes entreprises souffrent. Des boulangeries, grandes consommatrices d’électricité, sont conduites à la faillite. Le Figaro du 10 janvier alerte sur le fait que la consommation électrique des industriels a diminué de 14,1 % au dernier trimestre 2022 en comparaison avec la moyenne 2018-2021. Le gouvernement ne cesse donc pas d’intervenir pour tenter de protéger tant les consommateurs privés que les  entreprises des effets de ces prix atteignant des sommets. Un article du journal Le Monde du 28 âout 2022 rappelle qu’en 10 ans, les tarifs sont passés de 120 à 190 euros et que les coûts pour livraison en 2023 culminent à près de 1100 euros le MWh, soit dix fois plus qu’il y a un an.

    Quelle est exactement la situation de la France ? Comment fonctionne le marché européen de l’électricité ?

    La situation de la France

    La France est un pays au mix énergétique particulièrement apte à fournir les prix les plus compétitifs de l’électricité :

    La France a la particularité de disposer d’un parc très important de centrales nucléaires. Sa géographie a permis la mise en œuvre de très nombreux barrage hydro-électriques. Aussi, chaque année, sa production d’électricité est-elle supérieure à sa consommation : en 2021 elle s’est élevée à 522,9 TWh, et la consommation à 456 TWH.

    Le pays est donc structurellement exportateur d’électricité. Mais dans l’année, des pointes de consommation particulièrement élevées obligent pendant quelques jours à importater l’électricité de pays voisins interconnectés par des réseaux à haute tension. En 2021, notre pays a exporté 81,0 TWh d’électricité et en a importé 44,0. Au total, cette année-là, les importations ont représenté 9,4 % des besoins du pays.

    En 2021, la production (en TW) était constituée de la façon suivante :

    • Nucléaire………………. 360,7
    • Hydraulique…………..    62,5
    • Thermique fossile…..    38,6
    • Éolien……………………    36,8
    • Solaire…………………..    14,3
    • Autres thermiques….    10,0

    Total……………………………..  522,9

    En coûts de production (par MWh), les rapports des experts citent les chiffres suivants :

    • Énergie nucléaire………. 32 à 33 euros
    • Hydraulique……………… 15 à 20 euros
    • Éolien terrestre………….. 90 euros
    • Solaire………………………. 142 euros
    • Thermique………………..  70 à 100 euros

    On en arrive ainsi à un coût pondéré de production de 46 euros/MWh. C’est bien l’estimation donnée par Loïk Le Floch-Prigent interrogé sur RMC le 7 décembre dernier :

    « Les industriels baissent leur production : je ne vois pas ce qu’il y a de réjouissant. À cause de l’augmentation du coût de l’électricité on a des entreprises qui vont devoir payer 5 à 6 fois plus que d’habitude le prix de leur électricité… Pourquoi est-ce qu’un produit que l’on fait à 50 euros se retrouve dans l’industrie à 600 euros ? »

    Autre avantage du système français : le nucléaire intervenant pour près de 70 % dans le mix énergétique et les renouvelables pour 22,5 %, les émissions de CO 2 sont limitées à 18,8 Mt seulement en 2021..

    La France est contrainte de mettre un terme aux monopoles de l’EDF et de Gaz de France :

    À partir de 1996 la destruction des monopoles publics a été menée tambour battant par la Commission européenne au nom de la politique de la concurrence de l’Union européenne.

    Il a donc été mis un terme au monopole de EDF : la loi NOME (Nouvelle organisation des marchés de l’électricité) du 7 décembre 2010 contraint la grande entreprise nationale à vendre chaque année 100 TWh d’électricité à des « fournisseurs alternatifs » qui n’en produisent pas, au prix de 42 euros le MWh. Ce mécanisme baptisé l’ ARENH (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique). Ces nouvelles entreprises soudain apparues achètent donc à EDF de l’électricité à 42 euros pour la revendre ensuite au public ou aux entreprises en faisant concurrence à leur fournisseur, c’est-à-dire à EDF. En complément elles vont s’approvisionner sur le marché de gros européen (EPEX Spot SE ) à mesure qu’augmente leur clientèle. Elles sont une trentaine actuellement une trentaine : Total Énergie, Planète Oui, ENI, Ekwateur, Happ-e, Cdiscount Energie, etc. En 2022 le quota de 100 TWh a été revu à la hausse, passant à 120 TWh avec un prix de cession porté à 46,5 euros.

    Et ces différents fournisseurs alternatifs se sont à leur tour dotés de moyens de production, s’équipant en centrales photovoltaïques et en parcs d’éoliennes.

    Le marché européen de l’électricité

    Le marché européen de l’électricité a été créé avec pour objectif de mettre en place le même mécanisme de formation des prix de gros de l’électricité dans tous les pays européens.

    On a voulu créer un prix de gros commun quels que soient les coûts de production nationaux. Le prix de gros est donné par le coût de la dernière centrale appelée pour produire l’électricité dont le marché a besoin, une centrale qui va fonctionner au gaz. Ainsi le prix de gros de l’électricité se trouve déterminé par le prix du gaz, un prix considérablement variable dans le temps. Il y a eu le choc gazier de l’après covid, puis à partir du 24 février 2022 le choc de la guerre en Ukraine.

    Les prix du gaz naturel ont ainsi connu des variations considérables : de 17,9 euros/MWh en janvier 2021 à 103,2 en fin d’année ; puis une pointe à 272,6 euros le 22 août 2022 ; pour revenir ensuite à des prix plus normaux : 134,7 euros en fin d’année. Actuellement, les niveaux sont plus raisonnables, soit par exemple 74,3 euros le 9 janvier 2023. Et vient s’ajouter dans le coût de fonctionnement d’une centrale alimentée au gaz le prix du CO 2 émis qui va régulièrement en croissant.

    On a ainsi vu le prix de gros de l’électricité varie donc considérablement et atteint des sommets astronomiques comme indiqué ci-dessous :

    Prix spot de l’électricité : marché de gros en euro/MWh

    • décembre 2020…   49,2311
    • août 2021………….   99,1721
    • décembre 2021…. 442,888
    • mars 2022………..  540,6630
    • août 2022…………  743,8427
    • octobre 2022…….  121,6713
    • décembre 2022…. 463,4610
    • janvier 2023……… 128,08

    Les niveaux d’avant crise n’ont donc pas été atteints.

    Les entreprises ont vu ainsi les prix de l’électricité multipliés par 7 ou 8 et parfois davantage encore. Le prix de l’énergie représente près de la moitié de leur facture, les autres charges étant constituées par le coût de l’acheminement et la fiscalité, c’est-à-dire des taxes diverses et la TVA. Les contrats sont passés pour des périodes annuelles voire biannuelles et les fournisseurs ne manquent pas de prendre leurs précautions au moment où leurs clients doivent renouveler leur contrat.

    Du fait de ces variations de prix à partir du nucléaire ou des énergies renouvelables les producteurs réalisent à certains moments des profits importants et les États interviennent alors pour les taxer à partir d’un cours convenu, fixé à 180 euros. Ces superprofits sont reversés ensuite aux particuliers et aux entreprises.

    Quelle solution demain pour la France ?

    L’Europe a créé un marché unique de l’électricité au niveau européen pour faire baisser les prix et orienter les mix énergétiques des États membres vers les énergies renouvelables.

    Elle a mis fin aux monopoles : EDF en France, ENEC en Italie, EnBW en Allemagne.

    Trois bourses de marché de gros ont été créées : Nord Pool pour les pays du nord, European Energy Exchange (EEX) en Allemagne et Power Next en France.

    En 2008 les bourses allemande et française ont fusionné pour donner EPEX Spot.

    Aujourd’hui, il y a une zone de prix unique constituée par l’Allemagne, la France et l’Autriche. La CRE (Commission de régulation de l’énergie) veille au bon fonctionnement de ces marchés en cohérence avec les objectifs de la politique énergétique de l’Union européenne. Sur ces marchés de gros les prix sont fixés pour des livraisons instantanées ou à terme. Le système actuel se fonde donc sur le coût de production de la dernière centrale appelée à être mise en marche pour satisfaire les besoins du marché. Il s’agit d’un coût marginal, le coût de production de la centrale venant en dernier sur la liste des centrales classées par ordre croissant de coût : en plaçant les prix de gros de l’électricité à ce niveau la Commission européenne a estimé que tous les producteurs d’électricité seraient satisfaits.

    Du fait des inconvénients résultant du fonctionnement de ce marché de gros on s’interroge, aujourd’hui sur la validité de ce système de fixation des prix de l’électricité, et on réfléchit à la façon de le réformer.

    En France plusieurs experts, dont Loïk Le Floch-Prigent sont partisans d’en sortir.

    Dans un communiqué du Groupement des Industries sans Frontières en date du 9 janvier 2023 Loïc Le Floch-Prigent nous dit :

    « Il faut casser cette spirale infernale qui va tuer l’essentiel de notre tissu d’entreprises : il nous faut revenir aux relations directes entre les producteurs et les clients avec une politique tarifaire tenant compte de l’offre et de la demande et pour cela affirmer notre position à l’égard des instances européennes. Les entreprises n’ont pas besoin d’aides, de subventions, de rustines aléatoires ».

    En effet, la France n’est pas dans la situation des autres pays européens pour lesquels le gaz et le  charbon interviennent à 28 % dans la production d’électricité, le mix ne faisant intervenir le gaz que pour 2,25 % seulement et le charbon pour 0,9 %, tout au plus.

    Le professeur Jacques Percebois, directeur du CREDEN à Montpellier , propose de ne plus respecter les directives européennes :

    « On pourrait faire un marché national où le prix dépendrait de notre propre mix énergétique, et limiter le marché de gros aux interconnexions ».

    Il propose éventuellement une autre solution : se baser sur une moyenne pondérée des coûts marginaux.

    Un autre expert, Nicolas Goldberg du cabinet Colombus Consulting avance l’idée qu’il faudrait imposer aux fournisseurs d’électricité des règles prudentielles pour qu’ils se couvrent à long terme et soient ainsi moins sujets aux soubresauts du marché.

    De leur côté les européanistes plaident pour que la France demeure dans le système européen mais cen le réformant : « Si on remet en cause le marché de l’électricité, on remet en cause tous les marchés européens » ( Anna Creti ).

    Sous la pression de la France Ursula van der Leyen a finalement annoncé début avril 2022 que l’Union européenne allait plancher sur une reforme structurelle de ce marché.

    Un colloque intitulé « Beyond the crisis : rethinking the design of power-markets » a été organisé par la présidente de la CRE le 15 décembre dernier à Paris à la maison de la Chimie pour tenter de trouver une solution. Mais si elle devait se faire, cette réforme demanderait beaucoup de temps, tant les processus de décision européens sont lourds et complexes.

    La France a la chance de disposer d’un mix énergétique exceptionnel permettant de produire de l’électricité à 50 euros le MWh, une production extrêmement basse en émissions de CO 2 .

    Pourquoi devrait-elle donc entrer dans un système de fixation des prix fondé sur le cours mondial du gaz naturel alors qu’elle même n’en utilise pratiquement pas pour produire de l’électricité ?

    Il est peu probable que nos gouvernants aient la volonté de cesser de nous soumettre aux hautes autorités de Bruxelles en faisant bande à part : ce n’est pas dans le tropisme européen de notre Président.

    La nécessité de réindustrialiser le pays aujourd’hui le plus désindustrialisé de tous les pays européens, la Grèce mise à part, devrait nous permettre de quitter le système kafkaïen de fixation du prix de cette énergie dans lequel nous sommes enfermés sans que Bruxelles s’en émeuve : il s’agit d’une énergie vitale dont la France est capable de maitriser le coût pour le bien-être des consommateurs et le bon fonctionnement des entreprises. L’Espagne a trouvé une solution pour échapper au système européen, et il est à espérer que nos dirigeants soient assez rusés pour trouver la notre.

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      Le retour en grâce du contrôle des prix

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Thursday, 1 December, 2022 - 17:13 · 8 minutes

    Le maintien de la stabilité des prix constitue le cœur du mandat des banques centrales. Mais les caractéristiques de l’inflation actuelle, causée par la hausse des prix l’énergie, place les autorités monétaires dans l’inconfort . Celles-ci sont en effet moins bien outillées pour faire face à des chocs d’offre qu’à des chocs de demande. À l’image du bouclier tarifaire français, du Inflation Reduction Act de l’administration Biden et des débats en cours au niveau européen pour plafonner le prix de l’énergie, les incursions des autorités budgétaires dans le domaine réservé des banques centrales se multiplient, jusqu’à réhabiliter une notion que d’aucuns qualifieraient de désuète : le contrôle des prix. Pourtant honni par les modèles micro-économiques classiques et jugé inefficace pour lutter contre l’hyperinflation des années 1970, le contrôle des prix retrouve aujourd’hui ses lettres de noblesse. Un retour qui fait écho à un autre épisode de l’histoire économique : le « Emergency Price Control Act » de 1942, par lequel l’administration Roosevelt a bloqué les prix des produits de première nécessité pour accompagner l’effort de guerre. Article du think-tank Hémisphère Gauche, publié sur Alternatives Economique s.

    Une inflation par l’offre qui alimente le risque de récession

    L’inflation que connaît actuellement la zone euro est tirée par des facteurs d’offre. Contrairement à une inflation par la demande (c’est-à-dire une augmentation des salaires nominaux ou une politique de crédit expansionniste à volume de production égal), l’inflation actuelle a pour origine l’augmentation du coût des intrants, en particulier celui de l’énergie.

    Selon Eurostat, en glissement annuel, l’inflation s’établit à 9,1 % en zone euro en août. Mais sa décomposition reflète des différences importantes entre items : l’augmentation de l’indice des prix atteint 38,3 % pour l’énergie contre seulement 3,8 % pour les services. L’affaiblissement de l’euro face au dollar à un point bas historique renforce cette dynamique : les biens importés en dollar, dont l’énergie, voient leurs prix augmenter.

    Source : Eurostat

    Malgré l’augmentation des salaires nominaux, ceux-ci peinent à suivre l’inflation. Ainsi, les revenus réels s’effondrent en zone euro, laissant présager une chute de la demande adressée aux entreprises. La survenance d’une récession paraît dorénavant inévitable : l’agence de notation Fitch Ratings prévoit une diminution de 0,1 % du PIB de la zone euro en 2023.

    Dans l’UE, conformément à l’article 127 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), l’objectif principal de la Banque centrale européenne (BCE) est de maintenir la stabilité des prix. C’est seulement sans préjudice de cet objectif que la BCE peut également apporter son soutien aux politiques économiques générales de l’Union, dont le « plein emploi » (article 3 du TUE).

    L’inflation que connaît actuellement la zone euro et qui perdure depuis le début de la guerre en Ukraine incite la BCE à agir. L’objectif de 2 % contenu dans sa stratégie de politique monétaire doit rester le point d’ancrage des anticipations d’inflation. Or, il existerait un risque de désencrage, y compris parmi les « financially litterate people ». Selon Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE , cela oblige l’autorité monétaire à prendre ses responsabilités, au risque sinon d’être discréditée dans son objectif de stabilité des prix et d’enclencher un cycle d’inflation auto-entretenu. C’est en ce sens que la BCE a relevé ses taux directeurs de 0,75 point le 27 octobre, puis à nouveau de 0,75 point le 2 novembre ; des niveaux inédits depuis 2008.

    Des banques centrales en zugzwang

    En renchérissant le loyer de la monnaie, la banque centrale retire un soutien important à l’économie européenne alors qu’une récession approche probablement. D’où l’expression de « zugzwang » employée par l’économiste Daniela Gabor dans une tribune dans le Financial Times , qui se rapporte à une situation aux échecs, où un joueur est obligé de jouer un coup qui le fera nécessairement perdre ou dégradera sa position.

    C’est finalement la situation peu enviable dans laquelle se trouve la BCE, obligée d’augmenter les taux pour répondre à son mandat, au risque de provoquer ou d’aggraver la récession. Se pose alors la question du contrôle des prix, en particulier des biens de première nécessité, pour lutter contre l’inflation tout en préservant l’activité économique. Une manière pour les gouvernements de venir en appui à la banque centrale, en s’attribuant un objectif de stabilité des prix sans assécher l’accès au crédit.

    Le contrôle des prix : une mesure hasardeuse ?

    Pour quiconque dispose de notions basiques de microéconomie, le contrôle des prix inspire peu confiance. En fixant un prix au-dessous du prix du marché, le contrôle des prix éloigne des producteurs du marché. Cela se traduit au global par une perte sèche pour l’économie, malgré un effet redistributif a priori favorable aux consommateurs, qui affecte les producteurs (moins de ventes signifie moins de revenus pour les offreurs), mais également les consommateurs (une partie de la demande, à savoir les consommateurs prêts à accepter un prix supérieur au prix fixé, devient non-satisfaite).

    Courbes d’offre (S) et de demande (D) sur un marché avec une demande inélastique et une offre contrainte.

    Outre l’approche théorique, des expériences historiques tendent à discréditer le recours au contrôle des prix. C’est le cas du gel du prix de l’essence instauré aux États-Unis sous l’administration Nixon en 1971, lors de l’abandon des accords de Bretton-Woods. Cette mesure est vue comme un échec , tant elle est associée à des pénuries et de multiples déboires bureaucratiques. En France, le contrôle des prix défendu par Jean-Luc Mélenchon lors de l’élection présidentielle 2022, et aujourd’hui par la NUPES, est parfois décrit comme une proposition irréaliste, une sorte de fantasme d’extrême-gauche inapplicable en réalité.

    Il apparaît cependant que le marché des biens de première nécessité présente des caractéristiques particulières, qui justifie dans certaines circonstances de recourir au contrôle des prix. Comme le montre l’économiste Sam Levey , dans le cas du marché de l’énergie, la demande (D) est plus pentue que sur un marché classique. L’énergie constitue en effet le bien de consommation inélastique par excellence : une forte variation du prix n’a qu’un impact négligeable sur la variation de la consommation d’énergie, car celle-ci répond à des besoins de première nécessité. Côté offre (S), la quantité produite n’augmente pas fonction du prix, car la production est techniquement contrainte à court terme. Les hausses de prix reflètent en revanche la position de rente des producteurs, si bien que le blocage des prix peut conduire à une redistribution du surplus très largement favorable aux consommateurs, pour une perte sèche globale limitée.

    Les conditions d’un contrôle des prix réussi

    Face au dilemme des banques centrales, des économistes et chercheurs de renom se sont interrogés publiquement sur le recours au contrôle des prix. La guerre en Ukraine, et ses effets sur le prix du gaz en Europe, a rebattu profondément les cartes d’un débat qui jusque-là donnait très peu de crédit aux partisans d’une intervention directe sur les prix.

    Ainsi même Paul Krugman (prix Nobel d’économie 2008, ndlr), au départ très critique, se montre dorénavant plus ouvert à l’idée d’un contrôle des prix dans le contexte européen. Laisser les forces du marché opérer l’ajustement par les quantités lui paraît « grotesquement inéquitable », au sens où, pendant ce temps, les profits colossaux engrangés par les producteurs d’énergie se font sur le dos des familles et des entreprises. Si reverser des chèques ciblés aux ménages paraît tentant sur le papier, Krugman souligne qu’à revenu égal, des ménages peuvent avoir des besoins énergétiques diamétralement différents – rendant cette solution complexe à mettre en œuvre. D’où le recours nécessaire des démocraties au contrôle des prix en temps de guerre.

    Isabella M. Weber et Meg Jacobs ont quant à elles publié une tribune dans le Washington Post en août 2022 explicitement favorable au contrôle des prix. Elles reviennent sur l’expérience du « Emergency Price Control Act » de l’administration Roosevelt pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour les auteures, l’efficacité du contrôle des prix dépend d’une mobilisation entière de l’économie autour d’un discours politique clair et cohérent. Ceci expliquerait la réussite de la méthode Roosevelt dans la lutte contre l’inflation, à rebours du contrôle des prix opportuniste à la Nixon qui n’y aurait eu recours qu’à des fins électorales. Or le choc inflationniste actuel provoquerait selon elles un momentum rooseveltinen susceptible de coaliser des groupes sociaux hétérogènes – les ménages modestes et les entreprises puissantes fondées sur un modèle low-cost – autour de la lutte contre l’inflation.

    L’argumentation dans cet éditorial paraît pour le moins légère : difficile de croire que l’échec ou la réussite d’un contrôle des prix ne tienne qu’à des considérations d’économie politique ou à la personnalité des décideurs. En ce sens, le texte ne rend pas hommage à la profondeur du travail mené par Isabella M. Weber sur le modèle de développement chinois, qui a reposé sur une ouverture lente et progressive de ses marchés, à l’opposé de la « thérapie de choc » appliquée dans les pays d’ex-URSS.

    Cette contribution a néanmoins le mérite de mettre en lumière un épisode méconnu de l’histoire américaine – le contrôle des prix de Roosevelt – qui nous invite à comparer les bénéfices et coûts engendrés par les outils classiquement recommandés face à l’inflation comme la hausse des taux directeurs et la baisse de la dépense publique, par rapport à des mesures alternatives mais plus efficaces dans certaines circonstances.

    Une ode à l’ouverture intellectuelle, en somme : le débat académique doit toujours montrer aux citoyens et décideurs politiques l’étendue des choix possibles.

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      Le prix des mangas va augmenter, voici les séries concernées

      news.movim.eu / JournalDuGeek · Wednesday, 21 September, 2022 - 10:00

    template-jdg-67-1-158x105.jpg one piece manga

    Le prix des mangas va augmenter dans les mois à venir. Prix, séries concernées et dates butoirs, on vous dit tout.

    Le prix des mangas va augmenter, voici les séries concernées