• Co chevron_right

      La trahison politique en démocratie

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 24 January, 2023 - 03:40 · 5 minutes

    Comment en sommes-nous arrivés à des théories aussi étranges que le wokisme , le féminisme radical , la théorie de la continuité sexuelle, l’ antispécisme , le véganisme … ? À considérer comme normal le choix par un enfant de son prénom, de son genre ?… À accepter que les parents ne soient plus père et mère mais « parent 1 et parent 2 » ?

    Ces théories sont en pleine contradiction avec les principes de l’analyse scientifique établis progressivement par les sociologues, philosophes, médecins. Le rejet des traditions immémoriales est celui de la théorie des ethnologues des XIX e et XX e siècles qui expliquent le progrès de l’humanité  par l’ évolution spontanée des mœurs et des règles de justice des sociétés humaines au cours des millénaires.

    Le rôle des États-Unis dans l’extrémisme politique

    Cette folie née dans les universités d’Amérique du nord il y a plus de vingt-cinq ans conquiert maintenant l’Europe des Lumières et la France de Montaigne, Descartes, Voltaire…

    En l’espace de quelques années, l’Union européenne a été atteinte par cette déferlante et par un discours pseudo-rationnel dont les contradictions sont pour le moins surprenantes et même inquiétantes : c’est au nom de l’égalité des cultures que l’on accepte le communautarisme en France , de la lutte contre le racisme qu’on exclut de certaines réunions les Français de race blanche dans leur propre pays, de la liberté d’expression qu’on diffuse dans les collèges des caricatures grossières de Mahomet, de l’histoire officielle que l’on condamne des écrivains, des philosophes, des historiens qui en discutent, de la justice que l’on recherche une mauvaise intention dans « l’impensé de l’inconscient » de l’accusé et que l’on croit sur parole les femmes qui prétendent avoir été violées il y a trente ans ou plus…

    Ce sont des étudiants pétris de certitudes qui dénoncent publiquement leurs enseignants au lieu de débattre avec eux des sujets qui les heurtent. La « résistance civile » destinée à lutter contre les totalitarismes justifie maintenant le refus d’obéir à la loi de la démocratie, mais c’est au nom de la démocratie qu’elle est revendiquée et même subventionnée.

    Les États-Unis connaissent de temps à autre des mouvements sociaux excessifs : la prohibition née des mouvements féministes américains du début du XX e siècle, le maccarthysme provoqué par la guerre froide à partir de 1950 en sont des exemples récents. Les objectifs initiaux de ces mouvements (la lutte contre l’alcoolisme et l’anticommunisme) ont provoqué les abus que l’on connaît : explosion de la délinquance et des trafics d’alcool plus ou moins frelatés, chasse à l’homme au moindre soupçon de sympathie pour le communisme ou à la suite d’une simple dénonciation. Les mouvements actuels sont de même nature : leurs objectifs initiaux sont raisonnables, compréhensibles, justifiés, mais la passion qui s’est emparée d’une frange de la population américaine provoque des réactions et comportements tout autant excessifs que les mouvements évoqués précédemment.

    La puissance économique et culturelle des États-Unis favorise l’exportation de ces mouvements en Europe. Une frange de la population européenne sous leur influence exerce une forte pression sur les journalistes, écrivains, responsables politiques et sociaux, enseignants, chercheurs, magistrats… pour faire triompher ses revendications copiées sur celles de la frange américaine. Elle néglige les différences culturelles, historiques, religieuses, démographiques et sociales entre les deux continents.

    Que pensent les Français du mariage pour tous ? De l’enseignement de la sexualité à l’école ? Des limites de la liberté d’expression ? De la parité homme femme ?

    Toutes ces mesures ont été imposées par le pouvoir politique sous la pression de cette minorité très active. C’est là peut-être une cause de l’abstention massive des électeurs quand on leur demande de s’exprimer, ou du vote pour des candidats accusés d’être extrémistes par les partis qui se prétendent modérés mais qui ne sont que faibles devant ces revendications. Extrémistes, des parents qui refusent que leurs enfants soient incités à changer de sexe, à suivre des régimes alimentaires dangereux, ou qui exercent chacun leur rôle de père et de mère ? Des croyants outrés que leur foi soit tournée en dérision devant leurs enfants en collège ? Des historiens qui manifestent contre les lois mémorielles limitant leurs débats ? Des philosophes qui défendent l’humanisme et la culture chrétienne ? Des académiciens qui protestent contre l’écriture inclusive ? Ce texte même est-il extrémiste ?

    La fin de la rationalité ?

    Ce détournement de la rationalité est renforcé par les réseaux sociaux qui diffusent des statistiques utilisées sans la moindre rigueur scientifique et des raisonnements qui sont au mieux des paralogismes mais bien plus souvent des sophismes.

    En donnant satisfaction aux désirs inavoués de leurs lecteurs et auditeurs, ils exploitent leur faiblesse, leur donnent l’impression de détenir la vérité, de vivre intensément, mais les privent de tout réalisme et esprit critique. Le succès de ces revendications s’explique par l’excitation, la passion qu’elles donnent aux individus.

    Les chiffres ne donnent pas la juste vérité même s’ils sont exacts. Les jugements ne sont pas non plus définitifs, incontestables. Les progrès de la connaissance humaine sont indéniables, mais montrent en même temps l’incommensurabilité de la nature devant laquelle l’intelligence de l’Homme est impuissante.

    Pascal l’a déjà dit : « Notre intelligence tient dans l’ordre des choses intelligibles le même rang que notre corps dans l’étendue de la nature. »

    Les franges de population dont il est question ne l’ont pas compris (si elles l’ont lu) et jouent à l’apprenti sorcier. Mais leurs certitudes sont passionnelles, infondées et par suite dangereuses. Elles contraignent les élus à accepter leurs exigences sans se préoccuper de l’avis des sociétés savantes, ni respecter les règles de la dialectique et de l’analyse critique.

    L’évolution actuelle est un crime contre la Raison commis par des personnes qui s’en réclament aux dépens d’une population trahie par l’aveuglement et la faiblesse de ses représentants. Les sophistes ont eu raison de Socrate : arrêtons-les avant qu’il ne soit trop tard.

    • Co chevron_right

      Test politique : êtes-vous progressiste, conservateur ou libéral ?

      Damien Theillier · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 19 December, 2022 - 03:30 · 21 minutes

    Par Damien Theillier.

    Un test politique facile pour se positionner Question By: Ryan CC BY 2.0

    En politique, certains penchent vers ceux pour qui l’ordre doit être imposé à tout prix, ce sont les conservateurs. Certains penchent vers ceux pour qui l’égalité doit être appliquée à tout prix, ce sont les progressistes. Les libéraux se retrouvent parfois avec les conservateurs et d’autres fois avec les progressistes, mais la plupart du temps ils sont isolés et peu représentés dans le paysage politique. Et vous ? Dans quelle famille politique vous situez-vous ?

    Dans un article déjà ancien (Test politique : existe-t-il un autre choix que la droite ou la gauche ?), j’avais repris et exposé le diagramme de Nolan. J’expliquais que le problème principal de l’axe gauche-droite est qu’il ne laisse aucune place à la pensée libérale, celle-ci ne pouvant être rangée ni avec l’égalitarisme de la gauche (le progressisme), ni avec le nationalisme de la droite (le conservatisme). Par ailleurs, il y a des conservateurs à gauche et des progressistes à droite. Donc l’axe gauche-droite n’est pas le plus pertinent pour penser la politique.

    La thèse que je voudrais exposer cette fois est celle du sociologue et économiste américain Arnold Kling , dans un petit livre intitulé The Three Languages of Politics ( Les trois langues de la politique ). Selon Kling, trois grandes familles divisent le paysage politique contemporain : les progressistes, les conservateurs et les libéraux. Or chacune de ces trois familles parle une langue différente. Chacune voit la politique selon un axe différent.

    Pour les progressistes, l’axe principal est l’axe opprimés/oppresseurs. Pour les conservateurs, l’axe principal est civilisation/barbarie. Pour les libéraux, l’axe principal est libre choix/coercition.

    nicmq

    L’auteur m’a permis de mieux comprendre pourquoi nous sommes enclins à diaboliser nos adversaires politiques. Pourquoi nos discussions politiques, même entre amis, sont aussi clivantes et finalement profondément frustrantes, voire toxiques.

    En effet, en tant que libéral je suis souvent frustré dans mes discussions avec des progressistes ou des conservateurs parce qu’ils ne se soucient pas de ce qui compte pour moi (et le sentiment est réciproque.) Par exemple quand je parle avec un conservateur du mariage gay ou de l’immigration, il croit systématiquement que je ramène tout à l’économique et que je dénigre le politique. De mon côté, j’ai tendance à penser qu’il réduit le politique à l’État et qu’il dénigre la puissance du marché comme facteur de régulation et de coopération . Quand je parle d’économie avec un progressiste et que je plaide pour une réglementation du travail plus souple, il m’accuse facilement de défendre l’oppression des travailleurs tandis que je le soupçonne de haïr la liberté.

    Il est tentant de penser que nos opposants sont autoritaires, fascistes, racistes, homophobes etc. Nous avons beaucoup de mal à entendre leurs arguments et nous les rejetons d’emblée comme manifestement erronés, stupides, immoraux. Nos désaccords viennent-ils d’erreurs de bonne foi  ou de la méchanceté et de la stupidité d’autrui ?

    En réalité, sans nier qu’il existe de réels clivages philosophiques, nous ne parlons pas la même langue. Car la politique est habituellement une affaire de tribus et donc aussi de dialectes. La plupart du temps, la politique n’est pas pratiquée comme un effort pour changer l’esprit de nos adversaires ou de nos alliés, mais comme un moyen de renforcer notre statut au sein de la tribu. La politique récompense ce type de comportement tribal et contribue à polariser davantage les débats (voir sur ce point l’Annexe à la fin de l’article).

    L’hypothèse de Kling est que nous avons l’habitude naturelle de voir le monde sur un axe unique avec une extrémité qui représente le bien et l’autre qui représente le mal. Et dès lors qu’une personne est en désaccord avec nous, elle doit se trouver à l’autre bout de l’axe, dans le camp du mal. On sait déjà fort bien que ce type de polarisation fonctionne à plein avec les religions. Le fait de se trouver dans un camp religieux (ou de rejeter toute religion), incite à penser que ceux des autres camps sont forcément stupides et incapables de raisonner correctement.

    Or pour Arnold Kling, la politique fonctionne exactement de la même manière. Les camps opposés jugent le monde selon des axes perpendiculaires et parlent ainsi des langues différentes. Chaque camp voit une réalité donnée et l’interprète d’une manière cohérente pour lui mais qui semble néanmoins incompréhensible, ou sans importance pour les autres. Et nous réalisons rarement que le langage politique que nous utilisons implique une vision du monde selon un certain axe de valeurs.

    C’est pourquoi quand nous pratiquons notre propre langue dans une discussion avec un partisan d’un autre camp, le dialogue ne passe plus. Pire, il tourne très vite à l’affrontement verbal et aux insultes. Chacun réagissant au désaccord en criant encore plus fort dans une langue que l’autre ne comprend pas.

    Typologie des familles politiques

    Les progressistes

    Pour eux, les problèmes de société sont envisagés principalement comme des rapports de domination, des formes d’oppression des faibles par les forts. Et par oppression, il faut entendre, en tout premier lieu l’absence d’égalité, pas seulement formelle mais aussi et surtout matérielle.

    Par ailleurs, ils pensent en termes de groupes. Ainsi, certains groupes de personnes sont les opprimés, et certains groupes de personnes sont les oppresseurs. Le bien implique de s’aligner contre l’oppression et les personnages historiques qui ont amélioré le monde ont lutté contre l’oppression, c’est-à-dire contre les inégalités.

    Les progressistes ont tendance à vénérer la science. Ils croient qu’elle peut faire avancer leur projet d’amélioration de la société et de l’Homme. Ils mettent les sciences sociales à égalité avec les sciences physiques et en font un guide de l’action publique.

    Les progressistes croient en l’amélioration de l’espèce humaine. Ils croient en une perfectibilité quasi illimitée dans le domaine matériel et, plus important encore, dans le domaine moral et politique.

    En revanche, pour eux les marchés sont sujets à des échecs inéluctables. Le succès des hommes d’affaires reflète souvent la chance et peut s’avérer être la récompense injuste d’une forme d’exploitation. Mais ces défaillances peuvent et doivent être traitées par les interventions du pouvoir politique : la redistribution, la fiscalité, les réglementations.

    Les conservateurs

    Chez eux le bien s’identifie au fait de défendre les valeurs et les institutions traditionnelles qui se sont accumulées au cours de l’histoire et qui ont résisté à l’épreuve du temps. Et le mal est incarné par les barbares qui tentent de s’opposer à ces valeurs et qui veulent détruire la civilisation.

    Les conservateurs sont très disposés à voir l’utopie comme une menace qui ne peut être arrêtée que par l’autorité politique. Ils voient la barbarie comme étant une inclination de la nature humaine d’où la nécessité de recourir aux institutions politiques pour protéger la civilisation. Alors que les progressistes sont moins préoccupés par l’utopie, car ils ont tendance à voir les humains comme intrinsèquement bons, mais simplement affaiblis par l’oppression. Du point de vue de l’axe civilisation/barbarie, il faut s’opposer à la légalisation de la marijuana, à l’avortement et au mariage homosexuel dans la mesure où l’on pense que l’avenir de la civilisation en dépend, ou du moins qu’elle risque d’en sortir affaiblie.

    Les conservateurs croient dans la faiblesse humaine. En termes bibliques, l’Homme est « originellement pécheur ». Ce côté sombre de la nature humaine ne sera jamais éradiqué. Mais il peut être domestiqué par les institutions sociales, notamment la famille, la religion et l’autorité politique. Supprimez ces institutions et ce qui émerge est Sa majesté des Mouches (le roman de William Golding). C’est pourquoi ils sont enclins à vénérer le passé, notamment les traditions et l’ordre établi.

    Les conservateurs reconnaissent aisément avec les libéraux que les marchés récompensent les vertus de prudence et de patience. Mais ils les accusent systématiquement de saper les traditions culturelles, en mettant la vulgarité à égalité avec le sublime, sans hiérarchisation morale. Ils voient dans la défense libérale du marché une promotion de la marchandisation du monde et de l’humain.

    Les libéraux, classiques ou libertariens

    La principale menace est pour eux l’empiétement du pouvoir sur les choix individuels.

    Le bien consiste dans la possibilité pour les individus de faire leurs propres choix, de contracter librement entre eux et d’en assumer la responsabilité. Le mal réside dans l’initiative de la menace physique, en particulier de la part des gouvernements, contre des individus qui ne portent préjudice à personne, sinon éventuellement à eux-mêmes.

    Pour eux, la coercition sous quelque forme que ce soit, y compris celle des gouvernements, est plus un problème qu’une solution. Chacun a le droit de décider pour lui-même ce qui est meilleur pour lui et d’agir selon ses préférences, tant qu’il respecte le droit des autres à faire de même. Le corollaire de ce principe est le suivant : « personne n’a le droit d’engager une agression contre la personne ou propriété de quelqu’un d’autre » . L’usage de la force ne se justifie qu’en cas de légitime défense. Pour le reste, il faut s’en tenir à la persuasion.

    Les libéraux voient la nature humaine comme imparfaite, corruptible, mais éducable. Ils croient en une rationalité humaine limitée. Tant qu’ils respectent la propriété d’autrui, les individus sont les meilleurs juges de leurs intérêts et il faut les laisser libres de les poursuivre. C’est pourquoi les libéraux refusent l’idée un gouvernement qui ferait le bien à la place des gens.

    En revanche, ils pensent que les dysfonctionnements du pouvoir politique et les interventions excessives de la loi représentent une menace pour la paix, bien plus grande que les dysfonctionnements du marché. Le marché s’auto-régule dans le temps par le mécanisme de la concurrence, l’État non car il exerce un monopole. Il tend à s’accroître de façon exponentielle.

    Par ailleurs, les libéraux sont enclins à penser la technologie comme une force libératrice dont les effets néfastes sont largement compensés par les bénéfices estimés. Enfin ils considèrent que les marchés encouragent la coopération pacifique parce que chaque échange volontaire profite aux deux parties. Et l’ensemble de ces échanges volontaires crée une prospérité qui profite au plus grand nombre.

    Les controverses politiques actuelles

    D’une façon générale, les conservateurs et les progressistes se rejoignent sur un point. Ils jugent le processus politique plus efficace que le processus de marché. Par processus politique j’entends ici la capacité d’un gouvernement central à créer un ordre social à la fois juste et stable pour le plus grand nombre. Et par processus de marché, j’entends l’échange libre et volontaire comme mode d’interaction et mécanisme de coopération. Or les conservateurs et les progressistes sont tous favorables à l’augmentation du pouvoir de l’État central et à son intrusion dans la vie privée, mais pour des raisons différentes. Pour les uns c’est au nom de la défense de la civilisation, pour les autres c’est au nom de la défense des opprimés.

    Philosophiquement, le libéral pourra adhérer à certains objectifs des conservateurs et des progressistes, mais empiriquement il sera en désaccord avec leurs moyens. Ainsi le libéral sera d’accord avec les progressistes pour aider les travailleurs opprimés, mais il ne pensera pas que le salaire minimum puisse atteindre cet objectif, en tout cas pas un salaire minimum uniforme et imposé partout. De même, le libéral sera d’accord avec l’idée conservatrice que la civilisation doit être défendue, mais il ne sera pas d’accord pour dire que la civilisation est menacée par le mariage homosexuel ou par l’ouverture des frontières, en tout cas pas de façon alarmiste.

    Examinons quelques-uns de ces sujets.

    Le mariage gay

    Les conservateurs voient dans le mariage traditionnel une institution fondamentale de la civilisation occidentale qui remonte à 2500 ans. Une redéfinition radicale du mariage serait une menace pour la société civilisée.

    Les progressistes voient une majorité hétérosexuelle opprimer une minorité homosexuelle en leur refusant le mariage et donc soutiennent naturellement la réforme.

    Les libéraux sont partagés sur le sujet. Certains pensent que le mariage est un droit universel et militent avec les progressistes pour l’égalité des droits. D’autres pensent que le mariage est une institution qui ne relève pas de l’État et que ce dernier n’a pas à s’impliquer juridiquement pour forcer les autres à reconnaître le mariage traditionnel ou le mariage gay. La solution ? Se débarrasser du mariage civil obligatoire une bonne fois pour toutes et laisser ce rôle aux associations privées : les églises, les synagogues, les mosquées ou les organisations privées laïques. Cette solution politique pourrait s’appeler l’abolition du mariage comme fonction étatique, ou, plus précisément, la séparation du mariage et de l’État. Personnellement c’est cette solution qui m’a toujours parue la seule bonne.

    La discrimination

    Un boulanger qui s’oppose au mariage gay a-t-il le droit de refuser de vendre un gâteau de mariage à un couple gay ? Non pour un progressiste, bien sûr, ce serait pour lui une forme d’oppression.

    Mais la réponse du libéral serait de dire que :

    • le boulanger doit avoir un tel droit et que le pouvoir central ne devrait jamais forcer un commerçant à faire des affaires avec un client qu’il juge indésirable.
    • une association libre de boulangers devrait pouvoir exclure un de ses membres indésirable, par exemple un boulanger raciste ou homophobe.
    • une association de consommateurs devrait pouvoir également appeler ses membres à boycotter le boulanger raciste ou homophobe.

    Une réponse libérale complémentaire consisterait à dire que :

    • il doit exister une concurrence suffisante sur le marché de sorte que si vous étiez victime de discrimination par x, vous pourriez facilement obtenir ce que vous désirez ailleurs.
    • le gouvernement ne devrait intervenir que si la discrimination est omniprésente. Le principe de subsidiarité s’appliquerait.

    L’État laisserait le marché résoudre le problème autant que possible et n’interviendrait qu’en dernier recours.

    L’immigration

    Les progressistes considèrent les immigrants illégaux comme un groupe d’opprimés et les natifs blancs, hostiles aux immigrants, comme leurs oppresseurs.

    Pour les conservateurs le fait d’avoir des frontières et une population bien définies fait partie des valeurs civilisées. Ils craignent qu’en permettant l’immigration on détruise l’identité des nations et qu’on fragilise un peu plus le travail des citoyens les plus modestes.

    Les libéraux, qui n’aiment pas l’idée de coercition politique, sont favorables à l’ouverture des frontières . Du point de vue de l’axe liberté/coercition, une frontière ouverte donne à l’individu le choix de son gouvernement et la capacité de voter avec ses pieds. Par ailleurs la relation de travail est un accord volontaire qui profite aux deux parties, peu importe l’origine ou le lieu de naissance de l’une ou de l’autre.

    Mais l’immigration, comme le mariage gay, est un sujet qui divise la famille libérale. Car dans un monde fortement étatisé, l’immigration est toujours subventionnée et crée un droit fâcheux sur le travail des autres, c’est-à-dire un faux droit, une forme de spoliation.

    Comme l’explique le professeur Pascal Salin dans un article fort éclairant sur ce sujet :

    « L’émigration et l’immigration devraient être totalement libres car on ne peut pas parler de liberté individuelle si la liberté de se déplacer n’existe pas. Mais la liberté de se déplacer n’implique pas que n’importe qui a le droit d’aller où bon lui semble. Les droits de chacun trouvent en effet pour limites les droits légitimes des autres. »

    C’est ainsi que le prix Nobel d’économie Gary Becker a proposé d’instaurer un marché des droits à immigrer ou, éventuellement, des droits à acquérir une nationalité. D’autres ont proposé que l’immigration soit libre mais que les immigrants n’aient pas le droit aux bénéfices de la protection sociale.

    En fin de compte, la meilleure politique d’immigration consisterait à désétatiser la société et à laisser les citoyens décider dans quelle mesure ils souhaitent établir des contrats avec des individus d’autres nationalités.

    L’obésité

    Pour les progressistes, le problème de l’obésité, c’est le problème des industriels qui commercialisent des sodas. Ainsi, taxer les sodas correspond à la narration selon laquelle les obèses sont des opprimés et les fabricants ou les vendeurs de sodas sont les oppresseurs. Peu importe l’incidence fiscale et autres concepts économiques. Une taxe soda fait avancer le récit oppresseurs-opprimés et c’est son principal attrait.

    Pour les libéraux, les taxes sur le soda n’ont aucune efficacité pour atteindre l’objectif politique déclaré de réduire l’obésité. Ils chercheront des moyens d’atteindre cet objectif sans utiliser la coercition. Par exemple en ciblant la sortie, plutôt que l’entrée. Certaines solutions sont à l’étude comme le fait d’accorder des crédits d’impôt pour les personnes obèses qui perdent du poids.

    Les économistes américains Richard Thaler et Cass Sunstein appellent cela un nudge . Ils ont choisi le terme étrange de paternalisme libertarien (un oxymore) pour désigner cette doctrine, qu’ils définissent comme « une version relativement modérée, souple et non envahissante de paternalisme, qui n’interdit rien et ne restreint les options de personne ; une approche philosophique de la gouvernance, publique ou privée, qui vise à aider les hommes à prendre des décisions qui améliorent leur vie sans attenter à la liberté des autres » .

    Les nudges sont des moyens d’inciter les individus à prendre les bonnes décisions sans les priver de leur liberté d’action.

    Plaidoyer pour une éthique du dialogue politique

    Nos débats politiques sont souvent frustrants et sans fin car chaque groupe s’exprime uniquement d’après son axe de valeurs privilégié. Par conséquent, chacun parle devant l’autre au lieu de dialoguer avec lui. Chaque camp émet ses arguments presque exclusivement selon ses propres termes et ne voit pas que les opinions contraires sont les manifestations d’une autre façon de penser plutôt que la preuve de la stupidité ou de la duplicité du camp adverse.

    Alors, que pouvons-nous faire pour éviter de céder à nos instincts tribaux, sans renoncer pour autant à nos convictions ?

    La prescription de Kling est simple : résister à la tentation d’argumenter uniquement à partir de notre axe préféré et apprendre à voir les choses à partir des autres axes. Il faut prendre le point de vue le plus charitable de ceux avec qui nous sommes en désaccord et résister à la tentation de se dire : « je suis raisonnable et eux non ».

    Bien sûr, selon moi, les conservateurs et les progressistes ont tort sur ces questions. Mais je pense qu’ils sont raisonnables, que leurs idées sont dignes d’intérêt et comportent une part de vérité. Compte tenu de leurs préoccupations respectives, leurs idées politiques sont parfois pertinentes et peuvent m’apprendre des choses.

    C’est pourquoi je propose une sorte d’éthique de la discussion consistant à s’imposer de respecter les quatre points suivants :

    • Essayer de ré-exprimer le plus clairement possible la position de son adversaire de telle sorte qu’il puisse dire : « Merci, je pense exactement de cette façon »
    • Lister tous les points d’accord.
    • Mentionner tout ce qu’on peut apprendre de son adversaireAlors seulement s’autoriser à le réfuter ou à le critiquer.

    Je voudrais finir cet article avec une citation du philosophe britannique Michael Oakeshott qui écrivait en 1939 :

    « L’action politique implique la vulgarité mentale, non seulement parce qu’elle implique le concours et le soutien de ceux qui sont vulagaires mentalement, mais à cause de la fausse simplification de la vie humaine implicite même dans le meilleur de ses objectifs » ( The Claim of Politics ).

    Tâchons tout de même de le faire mentir ! 1

    Article publié initialement le 26 avril 2016.

    Sur le web

    1. Annexe 1 : Jonathan Haidt et Arnold Kling sur la psychologie des croyances politiques

      À certains égards, la thèse de Kling est une adaptation au domaine politique des idées du philosophe et psychologue social Jonathan Haidt sur la morale dans The Righteous Mind: Why Good People Are Divided by Politics and Religion (2013). Selon ce dernier, les personnes sont prédisposées à envisager les questions morales selon un ou plusieurs axes éthiques :
      loyauté/déloyauté, autorité/subversion, sainteté/dépravation,
      fidélité/trahison, équité/tricherie etc. (Je conseille de voir cette vidéo TED )

      Par ailleurs, Haidt explique que nous avons évolué au cours des millénaires pour développer notre statut au sein de groupes constitués. Un moyen important d’acquérir un statut au sein d’un groupe est de respecter et de défendre ses normes. Or la psychologie cognitive expérimentale nous apprend que nous sommes enclins naturellement à des processus de diabolisation et de mauvaise foi à l’égard des membres des autres tribus. Nous avons ainsi acquis une série de traits sociaux-psychologiques qui ont pour rôle de favoriser notre propre groupe et de l’aider à supplanter les autres. L’un de ces traits est la préférence pour les proches et l’autre est la diabolisation de ceux qui sont en dehors de notre groupe. Nous héritons donc de processus de pensée biaisés car conçus exclusivement pour la survie du groupe auquel nous appartenons. Haidt cite les recherches de Richard Sosis qui a constaté que les communautés religieuses avaient tendance à survivre plus longtemps que les communautés laïques. Haidt en conclut que « demander aux gens de renoncer à toutes les formes d’appartenance sacralisée et vivre dans un monde de croyances purement rationnelles pourrait être comme demander au gens d’abandonner la Terre et d’aller vivre en orbite autour de la Lune » .

      En effet, le sentiment d’appartenance à une tribu, c’est-à-dire à un groupe humain qui partage une même culture fondée essentiellement sur la langue, est un phénomène culturel universel. Il reflète en chaque homme la conscience de son identité et des devoirs liés à cette identité. Le tribalisme en tant qu’affirmation d’une identité culturelle, politique ou religieuse, n’est en rien un vice. Dans ce contexte, les langues agissent comme de puissants ancrages sociaux de notre identité.

      Et au sein d’une tribu, le langage est souvent utilisé pour rassurer les autres sur notre loyauté à leur égard et pour attiser l’hostilité contre les tribus étrangères. Nous avons l’habitude de parler à l’intérieur de notre tribu, dans une langue que les adeptes de notre tribu comprennent. Ainsi toute personne qui peut parler notre langue partage un peu nos valeurs et notre histoire culturelle. En revanche, ceux qui ne parlent pas notre langue sont toujours spontanément identifiés comme une menace pour notre propre tribu.

      Annexe 2 : Facebook et la paranoïa politique, quand chacun met en avant un récit qui accuse l’autre d’un complot.

      Progressistes, conservateurs et libéraux disposent chacun d’un récit dans lequel ils sont les héros et les autres sont les méchants. C’est là que le réflexe tribal devient un danger. Non seulement il conduit à diaboliser les membres des autres tribus par une rhétorique sophistique, mais il conduit également à certaines formes de délires paranoïaques.

      Dans ce modèle à trois axes, la paranoïa consiste à voir son adversaire comme représentant le mal incarné, à l’opposé de notre axe préférentiel. Par exemple, quand un libéral pense que les conservateurs et les progressistes n’ont d’autre but que d’écraser la liberté et d’augmenter la coercition, c’est un libéral paranoïaque. De même, quand un conservateur pense que les progressistes et les libéraux sont en train de démolir la civilisation et de faire advenir la barbarie, c’est un conservateur paranoïaque. Enfin, lorsqu’un progressiste pense que les conservateurs et les libéraux n’agissent que pour aider les oppresseurs à dominer les opprimés, alors c’est un progressiste paranoïaque.

      Or ce type de délires prolifère sur Facebook et je m’interroge de plus en plus sur les effets pervers des réseaux sociaux. Il y a une forte impulsion à réagir immédiatement aux sujets politiques, en impliquant des émotions et des réflexes tribaux plutôt que des raisonnements posés. Le débat s’en trouve considérablement faussé et appauvri, quand il n’est pas tout simplement inexistant. Bien sûr, diaboliser nos adversaires en déformant leurs points de vue est un réflexe aussi vieux que l’humanité, mais Facebook amplifie ce phénomène à l’excès car la communication politique sur les réseaux sociaux est par définition tribale. À chacun d’en prendre conscience pour éviter de tomber dans le piège.

    • Co chevron_right

      Comprendre la crise européenne : une interview avec Václav Klaus

      Mises Institute · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 28 November, 2022 - 03:50 · 9 minutes

    Par Claudio Grass.

    Pour beaucoup d’entre nous, quelle que soit notre connaissance de l’histoire, des affaires politiques ou des questions socio-économiques, les conditions actuelles en Occident , et en particulier en Europe, peuvent parfois ressembler à l’intrigue d’un mauvais film. On dit souvent que l’histoire ne se répète pas mais qu’elle rime et ce que nous voyons aujourd’hui en est un excellent exemple. Néanmoins, on aurait pu s’attendre à ce qu’au moins certains des responsables des « grandes décisions » aient appris quelque chose des erreurs du passé – sinon des erreurs de leurs prédécesseurs, du moins des leurs.

    La trajectoire politique actuelle, qui n’est qu’une simple accélération de la tendance des dernières décennies vers une centralisation et une concentration accrues du pouvoir entre les mains de quelques « élus », est désormais clairement entrée dans une phase particulièrement dangereuse. La déresponsabilisation délibérée de l’individu, l’infantilisation du corps politique, la suppression du libre débat et la diabolisation de la dissidence ont amené nos sociétés et nos économies à leur point de rupture.

    Une véritable guerre fait rage en Ukraine , avec d’innombrables victimes directes et indirectes, une crise économique sans précédent dans la mémoire récente ravage les ménages salariés et ce « voleur invisible », à savoir l’inflation, est en train d’anéantir ce qui restait de la classe moyenne, forçant les anciens bienfaiteurs des banques alimentaires à devenir leurs bénéficiaires. Pendant tout ce temps, il semble que personne ne rejette la faute sur qui de droit.

    Ce sont des réflexions et des questions de ce genre que nous avons récemment abordées avec l’ancien président de la République tchèque, le professeur Václav Klaus . Dans l’entretien qui suit, il offre de nombreuses pistes de réflexion, en s’appuyant sur sa propre expérience de la politique pendant les périodes les plus difficiles de l’histoire moderne et sur sa profonde compréhension de la géopolitique, de l’économie et de la nature humaine elle-même.

    Claudio Grass (CG) : Bien que l’on puisse dire que l’Europe est en état de crise depuis au moins une décennie, on peut dire que cette fois c’est différent. Une guerre réelle a lieu à ses portes et tout le monde en paie le prix sous une forme ou une autre (et pas seulement les adversaires directs). Les avancées de la Russie sont pratiquement au point mort, tandis que les fissures dans l’économie européenne et les déchirures dans le tissu social s’aggravent de jour en jour. Combien de temps pensez-vous que cela puisse durer et quelles sont vos plus grandes inquiétudes quant à la poursuite de ce conflit ?

    Václav Klaus (VK) : Je suis d’accord pour dire que c’est différent maintenant. La crise actuelle est bien plus profonde que les situations que nous (ou les politiciens) avons irresponsablement qualifiées de « crises » par le passé. Elle est le résultat d’une combinaison unique de facteurs et de causes. Certains d’entre eux sont directement visibles et font les gros titres, d’autres sont invisibles et ne sont donc pas suffisamment exposés ou discutés.

    Le premier groupe de facteurs est constitué d’événements individuels, le second de changements lents et progressifs du système politique, social et économique. Ils ne sont pas statistiquement mesurables. Personne ne peut les voir car ils se produisent à petits pas. Néanmoins, c’est cette deuxième série d’évolutions qui est la plus inquiétante.

    La guerre, la crise énergétique et les migrations de masse font les gros titres, mais pas les changements systémiques. Je crains que nous ne fassions pas attention à la distance qui nous sépare déjà des marchés libres et de la démocratie politique.

    CG : Comme nous avons l’habitude de le voir lors de chaque conflit, les machines de propagande tournent à plein régime et les campagnes de peur sèment la panique et la division au sein de la population. Quelques semaines après le début de cette guerre et de plus en plus depuis, une haine généralisée de « tout l’Occident » ou de « tous les Russes » est propagée. Comment évaluez-vous des points de vue collectivistes comme ceux-ci ?

    VK : Je sous-estime parfois à tort le rôle de la propagande car je crois qu’en ne regardant pas la télévision ou en étant isolé des réseaux sociaux, je suis immunisé contre elle. J’admets que c’est une mauvaise perspective.

    La propagande directe est une chose, mais l’unilatéralité et la partialité générales des médias sont bien pires. Ce que nous vivons actuellement est similaire à ce que nous avons vécu la dernière fois dans les années 1950 et 1960. J’admire George Orwell, je le considère comme un génie et son livre 1984 comme une réussite historique. Mais j’ai toujours été opposé à l’utilisation hyperbolique et dramatique des aphorismes orwelliens pour décrire les affaires du monde réel. J’avais peur de banaliser la situation ou mes ennemis et mes adversaires. C’est différent aujourd’hui. Orwell est devenu directement applicable.

    CG : De plus en plus d’appels sont lancés en Europe en faveur d’un « plan Marshall » pour l’Ukraine, les plus forts étant ceux du chancelier allemand Olaf Scholz et de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. La reconstruction de l’Ukraine devrait coûter environ 350 milliards de dollars selon la Banque mondiale. Compte tenu des résultats du premier plan Marshall, pensez-vous que le répéter aujourd’hui serait une bonne idée ?

    VK : En tant qu’économiste, je ne crois pas aux plans Marshall en général et au plan Marshall de l’après-Seconde Guerre mondiale en particulier. L’importance du premier plan a été exagérée par la propagande.

    Je connais des études qui démontrent son rôle marginal. La reconstruction de l’Europe d’après-guerre était l’œuvre de Ludwig Erhard, pas celle de George Marshall. Le rôle de l’aide étrangère a été canoniquement exposé par Peter Bauer, Deepak Lal et d’autres encore. L’aide étrangère plaît davantage aux donateurs qu’aux bénéficiaires. Je le vois maintenant dans les yeux des politiciens tchèques. Ce n’est pas leur propre argent qu’ils donnent.

    CG : Alors que la guerre a monopolisé l’attention des médias et les discours politiques, il y a beaucoup d’autres problèmes et menaces auxquels les Européens sont confrontés et la plupart d’entre eux l’ont précédée, mais personne n’y a vraiment prêté attention. L’inflation est le plus grave d’entre eux et elle contraint d’innombrables ménages à faire des choix impossibles. Les politiciens occidentaux rejettent la faute sur la « guerre de Poutine », mais pensez-vous que les responsables de la politique monétaire et budgétaire de la zone euro en particulier doivent assumer une quelconque responsabilité ?

    VK : Je considère que l’inflation est le problème le plus important de nos jours. Il ne s’agit pas seulement de Poutine. Il s’agit du Green Deal et surtout des politiques monétaires et fiscales inflationnistes, qui sont devenues « normales » après la récession de 2008-2009.

    L’assouplissement quantitatif et les taux d’intérêt nuls (ou négatifs) de la politique monétaire des banques centrales et le financement du déficit des politiques budgétaires des gouvernements ont créé un déséquilibre macroéconomique. Nous vivons dans une atmosphère inflationniste et nous ne pouvons nous en débarrasser sans ruptures fondamentales dans les politiques monétaires et budgétaires.

    À mon grand regret, Keynes est le vainqueur du jour, et non Milton Friedman. C’est une chose à laquelle je ne m’attendais pas, mais c’est la nouvelle réalité. Friedman, et non Keynes, était mon héros dans les jours sombres du communisme et il est frustrant qu’en ces jours brillants du « meilleur des mondes » de l’UE et des « démocraties libérales », Keynes soit de retour sur le piédestal.

    CG : Nous avons vu beaucoup de politiques malavisées adoptées dans l’UE qui ont divisé le public et finalement infligé beaucoup de dommages à l’économie et à la société en général, de l’immigration à l’« agenda vert ». De nombreuses protestations ont eu lieu au fil des ans mais peu de choses ont changé, voire rien du tout. Cependant, vous attendez-vous à ce que la colère du public soit plus ardente et plus efficace cette fois-ci, alors que de plus en plus de personnes luttent pour mettre de la nourriture sur la table ?

    VK : Les politiques de l’UE sont absolument mauvaises et donc dommageables. Vous mentionnez des protestations potentielles – je n’en vois aucune. L’Europe et l’ensemble de l’Occident se dirigent vers la gauche, vers le collectivisme, vers l’interventionnisme de l’État. S’il y a des protestations, elles sont contre le marché.

    Il n’y a pratiquement pas de protestations significatives contre le système européen d’interventionnisme étatique massif et celles qui existent ne peuvent rien changer. Il y a du mécontentement mais pas de véritables protestations. Les gens croient encore à la possibilité d’améliorer le fonctionnement du système existant. Ils l’appellent encore économie de marché et démocratie parlementaire. Ce n’est toutefois pas une interprétation correcte de l’état actuel des choses.

    CG : Vous avez vécu sous le communisme et avez fait l’expérience directe de la façon dont l’État utilise la peur pour manipuler et contrôler la population, pour museler la dissidence et le débat ouvert et pour appliquer des politiques qu’aucun individu libre-penseur et rationnel n’accepterait autrement. Même si nos politiciens insistent aujourd’hui sur le fait que nos démocraties occidentales sont synonymes de liberté, des valeurs fondamentales telles que la liberté d’expression ou la souveraineté financière individuelle ont été de plus en plus restreintes au fil des ans. Pensez-vous que tout cela soit réversible ou sommes-nous destinés à répéter les erreurs du passé que vous avez dû vivre ?

    VK : C’est sans aucun doute réversible mais je ne vois personne qui soit prêt et capable de le faire. Ce qui est nécessaire, ce ne sont pas seulement des réformes marginales. Il faut une transformation fondamentale du système et je ne suis pas sûr que les électeurs soient intéressés par cela.

    Des changements pourraient intervenir mais pas dans un avenir prévisible. Je sais que cela semble pessimiste, mais je pense que le changement n’est pas une tâche pour moi ou pour mes enfants, mais pour mes petits-enfants.

    Sur le web

    • Co chevron_right

      Les péchés mortels de la politique

      Foundation for Economic Education · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 7 November, 2022 - 03:50 · 8 minutes

    Par Axel Weber et Dan Sanchez.

    Le philosophe du XIXe siècle Joseph de Maistre a écrit que « toute nation a le gouvernement qu’elle mérite. »

    C’est vrai dans un sens car, comme l’a écrit plus tard Ludwig von Mises, « l’opinion publique est en définitive responsable de la structure de l’État. »

    Les croyances et les valeurs d’un peuple déterminent les institutions qu’il embrasse ou accepte.

    L’influence s’exerce également dans l’autre sens. Des systèmes de gouvernement différents créent des incitations différentes. Certaines institutions encouragent la vertu, tandis que d’autres fomentent le vice.

    Examinons quelques idéologies politiques historiquement importantes et les qualités morales qu’elles reflètent et promeuvent.

    Le socialisme

    Pour Winston Churchill , le socialisme est « l’Évangile de l’envie » . Un peuple affligé d’envie et de ressentiment gravitera vers le socialisme.

    Le psychologue Jordan B. Peterson a évoqué le lien entre l’envie et le socialisme marxiste en particulier :

    « Il y a le côté sombre de la chose, qui signifie que tous ceux qui ont plus que vous l’ont obtenu en vous le volant. Et cela fait vraiment appel à l’élément de l’esprit humain qui ressemble à Caïn. Tous ceux qui ont plus que moi l’ont obtenu d’une manière corrompue, ce qui justifie non seulement mon envie mais aussi mes actions pour niveler le terrain, pour ainsi dire, et avoir l’air vertueux en le faisant. Il y a une énorme philosophie du ressentiment qui, je pense, est dirigée maintenant par une éthique anti-humaine très pathologique. »

    Les socialistes ont tort de penser que l’ égalitarisme va améliorer la situation des plus démunis. Mais même si on les détrompe de cette erreur économique, l’envie peut les pousser à s’accrocher quand même au socialisme par un désir malveillant de nuire aux nantis.

    Comme Mises l’a écrit à propos des socialistes :

    « Le ressentiment est à l’œuvre lorsque l’on déteste tellement quelqu’un pour son environnement plus favorable que l’on est prêt à supporter de lourdes pertes si seulement celui que l’on déteste pouvait aussi subir un préjudice. Beaucoup de ceux qui attaquent le capitalisme savent très bien que leur situation dans tout autre système économique sera moins favorable. Néanmoins, en pleine connaissance de ce fait, ils préconisent une réforme, par exemple le socialisme, parce qu’ils espèrent que les riches, qu’ils envient, souffriront aussi sous ce régime. »

    Tout comme l’envie fait progresser le socialisme, le socialisme stimule l’envie en invitant les masses à participer au « pillage légal » (selon l’expression de l’économiste français Frédéric Bastiat) des riches et des nantis.

    Le fascisme

    Au XXe siècle, de nombreux pays se sont tournés avec crainte vers le fascisme pour se protéger du communisme. Dans ces pays, nombreux étaient ceux qui pensaient que si les communistes et leurs idées étaient violemment réprimés, leur révolution serait étouffée dans l’œuf. La peur s’est transformée en colère, les fascistes anticommunistes réprimant violemment toute dissidence susceptible de déstabiliser l’État.

    Comme l’écrivait Mises :

    « Le grand danger qui menace la politique intérieure du côté du fascisme réside dans sa foi totale dans le pouvoir décisif de la violence. »

    La colère et la violence du fascisme sont finalement autodestructrices.

    Selon Mises :

    « La répression par la force brute est toujours une confession de l’incapacité à faire usage des meilleures armes de l’intellect – meilleures parce qu’elles seules promettent un succès final. C’est l’erreur fondamentale dont souffre le fascisme et qui causera finalement sa chute. »

    La colère anime le fascisme, mais le fascisme attise aussi la colère en fomentant le tribalisme et en invitant les membres de la société à recourir à la violence politique pour régler leurs différends.

    Le progressisme

    Le progressisme est séduisant pour ceux qui s’imaginent pouvoir « améliorer » les individus par l’ingénierie sociale.

    Mais comme l’a illustré Leonard E. Read dans son essai classique I, Pencil , la société est si complexe que c’est une chimère. Pour penser que l’on peut planifier la société de manière centralisée, il faut se croire doté d’une omniscience quasi-divine. En termes simples, le progressisme est une idéologie de fierté excessive.

    Comme l’a dit le sénateur Ron Johnson :

    « L’arrogance des progressistes libéraux est qu’ils sont tout simplement beaucoup plus intelligents et meilleurs que les Staline, les Chavez et les Castro du monde, et si nous leur donnons tout le contrôle et qu’ils contrôlent votre vie, ils vont faire du bon travail. Eh bien, ce n’est tout simplement pas vrai. »

    Les progressistes ont tort de croire qu’ils savent comment gérer la vie des autres mieux que ces derniers. Même s’ils étaient hypothétiquement plus intelligents et plus éthiques que n’importe quel membre du reste de la société, ils auraient toujours tort.

    La quantité d’informations qu’un expert peut traiter à un moment donné est infinitésimale par rapport à la somme des informations dont disposent tous les individus. En laissant ces derniers libres de coopérer par le biais du système de prix, on décentralise l’utilisation des connaissances et on obtient en fait une utilisation plus importante des informations qu’avec un système d’experts planifié de manière centralisée.

    Comme l’expliquait Friedrich Hayek :

    « La curieuse tâche de l’économie est de démontrer aux hommes combien ils en savent peu sur ce qu’ils s’imaginent pouvoir concevoir. Pour l’esprit naïf qui ne peut concevoir l’ordre que comme le produit d’un arrangement délibéré, il peut sembler absurde que dans des conditions complexes, l’ordre et l’adaptation à l’inconnu puissent être réalisés plus efficacement en décentralisant les décisions et qu’une division de l’autorité étende en fait la possibilité d’un ordre global. Pourtant, cette décentralisation conduit en fait à la prise en compte de plus d’informations. »

    Ainsi, la foi du progressiste dans le pouvoir technocratique découle d’une arrogance épistémique suprême.

    Mises écrivait :

    « Il est insolent de s’arroger le droit d’annuler les plans des autres personnes et de les forcer à se soumettre au plan du planificateur. »

    Non seulement le progressisme découle de l’orgueil, mais il le stimule, car l’outrecuidance a tendance à monter à la tête des gens.

    Une alternative ?

    Devons-nous choisir parmi les systèmes politiques qui sont affligés d’un vice ou d’un autre ? Heureusement non. Il existe une alternative vertueuse : le libéralisme classique . Alors que le socialisme, le fascisme et le progressisme sont dominés par les péchés capitaux que sont l’envie, la colère et l’orgueil, le libéralisme classique incarne les vertus capitales que sont la charité, la tempérance et l’humilité.

    Là où le socialisme est fondé sur l’envie, le libéralisme classique encourage la charité. Les libéraux classiques croient en l’échange volontaire de biens et de services, ce qui ouvre la voie à la philanthropie. On ne peut être charitable que lorsqu’on a le choix de donner ou d’aider les autres. La charité forcée n’est pas vraiment charitable car il n’y a jamais eu de choix, tout comme donner quelque chose que l’on ne possède pas n’est pas un signe d’altruisme.

    Comme l’a écrit Murray Rothbard :

    « Il est facile d’être ostensiblement compatissant lorsque les autres sont obligés d’en payer le prix. »

    Là où le fascisme est courroucé, le libéralisme classique a de la tempérance. Les fascistes considèrent la dissidence et la différence comme dangereuses. Les libéraux classiques considèrent que le débat et la concurrence pacifiques sont la clé du progrès. Le libéralisme classique incarne la tempérance dans la manière dont il défend les droits de chacun, même ceux qui sont illibéraux. Sous le fascisme, l’hostilité violente à l’égard des différences est la règle ; sous le libéralisme classique, la coopération volontaire pacifique pour un bénéfice mutuel est la règle.

    Là où le progressisme est orgueilleux, le libéralisme classique est humble parce qu’il ne présuppose pas ce que la société devrait valoriser. Il suppose que tous les individus ont des objectifs qu’ils sont les seuls à savoir comment atteindre. Le libéralisme classique connaît les limites de ce qu’un individu peut savoir et, par conséquent, ne trouve aucune raison de conférer à un expert un pouvoir sur le reste de la société.

    Comme l’a écrit Hayek :

    « Toutes les théories politiques supposent […] que la plupart des individus sont très ignorants. Ceux qui plaident pour la liberté diffèrent […] en ce qu’ils incluent parmi les ignorants eux-mêmes aussi bien que les plus sages. »

    Comme il est dit dans la Bible, « le salaire du péché, c’est la mort » . Et en effet, les idéologies du socialisme, du fascisme et du progressisme, entachées de péchés, ont entraîné un nombre impressionnant de morts. En revanche, les bienfaits de la liberté comprennent non seulement la paix et la prospérité, mais aussi l’encouragement et la liberté de mener une vie vertueuse.

    Sur le web

    • Co chevron_right

      La démocratie libérale, victime collatérale de la guerre en Ukraine

      Frédéric Mas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 5 March, 2022 - 04:01 · 4 minutes

    Je vois de plus en plus d’appels et d’initiatives visant à appliquer les outils de la cancel culture aux Russes, c’est-à-dire visant à les ostraciser socialement, numériquement et à les atteindre au portefeuille. La présidente de la commission européenne sort de son rôle pour interdire deux chaînes russes qui ne se sont pas rendues coupables de crimes ou délits sur le sol national, l’ensemble des réseaux sociaux coupe leur accès, des voix se font entendre par tribunes interposées pour organiser la saisie des biens des dirigeants russes sans autre forme de procès.

    Le règne du droit écorné

    La France n’est pas en guerre, rien d’illégal n’a été perpétré. Sur le papier, chacun est jusqu’à présent encore libre de professer des opinions et des croyances proPoutine, aussi idiotes et aberrantes soient-elles, en France et en Europe. On appelle ça la liberté d’expression, la liberté de conscience, et le respect du pluralisme politique, qui suppose que même les gens avec qui nous ne sommes pas d’accord ont des droits. Il fut un temps où c’est ce genre de choses, garanti par le formalisme juridique, qui distinguait clairement l’Occident de ses concurrents non démocratiques.

    Une nouvelle fois, la situation d’exception, cette séquence désormais ininterrompue depuis le 11 septembre, tend à normaliser la violation du droit commun au nom de la morale des élites politiques et technocratiques. Hier pour punir les tièdes de la guerre contre le terrorisme , de la guerre sanitaire ou de l’alarmisme climatique, aujourd’hui pour condamner sans appel les poutinistes réels ou supposés, ces nouveaux ennemis de l’intérieur, tous les moyens sont bons, mêmes extra-légaux.

    On pénalise et on excommunie les comportements déviants au nom d’une nouvelle orthodoxie portée par des clercs sans esprit et sans nuances, qu’ils s’appellent Trudeau, Macron, Biden ou van der Leyen. La technique est toujours la même : on exagère les menaces qui pèsent sur le pays pour faire avaler la pilule de la dislocation progressive d’un État de droit de plus en plus réduit au rang d’accessoire de théâtre.

    La prise de pouvoir de l’oligarchie progressiste

    Il ne s’agit pas ici de nier l’agression russe ou la nécessité d’y répondre fermement, mais de constater les effets politiques de la guerre sur notre propre démocratie, qui marchait déjà sur trois pattes. Il est en train de se dessiner en Occident une forme de schizophrénie politique accrue, où les formes politiques (vides) demeurent celles de la démocratie libérale, mais dont le fonctionnement réel revient à une oligarchie progressiste qui se veut désormais intégralement souveraine, car à la fois certaine de sa qualité morale, détentrice de leviers politiques et économiques sans précédent et au-dessus des lois ordinaires. Tout le monde aura reconnu les ressorts essentiels du « capitalisme woke », cette forme de cartellisation identitaire qui pourrit les esprits et les cœurs.

    Cette nouvelle classe de clercs peut désormais gouverner sans devoir partager son pouvoir avec le reste de la société. Le fractionnement social et culturel des classes moyennes et populaires jure face à la forte conscience de classe d’un bloc élitaire à la mentalité d’assiégé. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour l’esprit libéral des institutions, parce que les libertés individuelles qui sont au cœur de son fonctionnement nécessitent la friction et surtout le dialogue entre toutes les « humeurs » du corps social, pour parler comme Machiavel. S’il n’existe plus de consensus social pour soutenir les formes du droit, qui sont elles-mêmes la condition nécessaire de l’existence des libertés individuelles, alors ces dernières meurent discrètement mais sûrement.

    Qu’on me comprenne bien, et pour résumer : une blague circule en ce moment sur les réseaux sociaux à propos de l’interdiction de RT et de Sputnik. C’est une excellente nouvelle, parce que ce sont deux instruments de propagande, mais maintenant, il faut aller plus loin en interdisant CNews, c’est-à-dire le seul grand média qui ne soit pas plus ou moins progressiste. La guerre perpétuelle a un effet direct sur le débat public, elle crée et entretient une mentalité de guerre civile ennemie de la paix, de la sérénité des positions et de la discussion rationnelle. Elle fait disparaître petit à petit l’esprit de modération du gouvernement constitutionnel et hystérise les positions politiques des uns et des autres.

    J’ai bien conscience de n’avoir pas de solution clef en main pour résoudre la crise ukrainienne, mais je constate une nouvelle fois avec Cobden et Jouvenel que la guerre est le pire ennemi de la liberté.

    • Co chevron_right

      Gauche et droite : la fin ?

      Patrick Aulnas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 17 January, 2021 - 04:30 · 5 minutes

    Par Patrick Aulnas.

    Êtes-vous de gauche ou de droite ? Nombreux sont ceux qui peuvent répondre sans hésiter à cette question. Ils votent d’un côté ou de l’autre avec constance. Mais il existe aussi des personnes, sans doute de plus en plus nombreuses, qui ne se sentent ni de gauche ni de droite. Elles sont « en même temps » de gauche et de droite. Cela dépend des sujets.

    Comment évolue l’opinion en France sur l’axe gauche-droite ? Quel est le contenu idéologique de leur positionnement ?

    Combien pèsent la gauche et la droite aujourd’hui ?

    Un sondage de l’IFOP pour Le Point , de juillet 2020, permet de conclure que le positionnement gauche-droite subsiste dans l’esprit des Français. Interrogés sur leur appartenance politique, ils se positionnent à 13 % à gauche, à 32 % au centre et à 39 % à droite. 16 % d’entre eux refusent de se prononcer.

    Par rapport aux sondages des années précédentes, la gauche recule, le centre également. La droite progresse. Mais ces faibles évolutions ne portent que sur quelques points.

    C’est le refus de se positionner sur l’axe gauche-droite qui progresse le plus : de 11 % en 2017 à 16 % en 2020. En additionnant les centristes et ceux qui ne se prononcent pas, on obtient environ la moitié des sondés.

    En définitive, la moitié des Français accepte donc de jouer le jeu du clivage gauche-droite et l’autre moitié ne l’accepte pas. Pourquoi ?

    La première réponse est liée à la radicalisation croissante des positionnements, avec en particulier le Rassemblement national à droite et La France insoumise à gauche. Beaucoup refusent un tel choix.

    Les partis traditionnels plus modérés (LR et PS) sont en recul. Emmanuel Macron étant parvenu à synthétiser gauche modérée et droite modérée, il séduit l’électorat de sensibilité centriste.

    La seconde réponse, la plus importante historiquement, suppose une analyse des contenus idéologiques gauche-droite. Ils sont en voie d’obsolescence.

    La perte des repères traditionnels

    Les clivages politiques doivent s’ancrer dans leur époque. Aussi sont-ils très évolutifs. Le XIX e siècle a vu s’opposer monarchistes et républicains. Le clivage comportait aussi une opposition entre autoritarisme et libéralisme. Les monarchistes observaient avec inquiétude le développement des libertés quand les républicains militaient pour leur extension.

    Au XX e siècle, le libéralisme économique et le marxisme s’affrontent. Communistes et socialistes veulent étendre largement le rôle de l’État au motif de réduire les inégalités. Les libéraux, bien évidemment, privilégient la liberté individuelle. L’égalité par la contrainte étatique leur apparaît antidémocratique.

    La gauche plus ou moins marxisante considère au contraire que la démocratie suppose une égalisation rapide des niveaux de vie par les prélèvements obligatoires et les dépenses publiques.

    Si on examine aujourd’hui le résultat de cette opposition d’un siècle entre libéraux et socialistes, il est évident que les socialistes ont largement réalisé le programme qu’ils s’étaient fixés. Les économies occidentales sont devenues structurellement sociales-démocrates. Lorsqu’elle gouverne, la droite ne réduit jamais significativement les prélèvements obligatoires.

    La gauche a donc accompli sa mission historique. De son côté, la droite a renoncé au libéralisme économique. Même si une petite résistance s’est fait jour à la fin du XX e siècle dans les pays anglo-saxons avec Margaret Thatcher et Ronald Reagan , elle n’a été qu’un feu de paille.

    Que sont la droite et la gauche désormais, au-delà des incantations sur le libéralisme et le socialisme ?

    La réponse est toute simple : rien. Certes, l’ écologisme politique a fait son apparition. Mais chacun picore un peu dans l’assiette écologiste, considérée comme porteuse électoralement.

    Anywhere et somewhere

    Certains analystes ont fait émerger d’autres clivages. Mais ils sont un constat sociologique et non un corpus idéologique comme l’ancienne opposition gauche-droite.

    Le britannique David Goodhart a opposé les anywhere , élite intégrée, mobile et progressiste, aux somewhere , populations ancrées dans un territoire et dans un système de valeurs traditionnelles. Les manifestations socio-politiques de ce nouveau clivage apparaissent au grand jour depuis plusieurs années.

    Il s’agit de révoltes populaires , sortes de jacqueries modernes : Gilets jaunes en France, trumpisme, refus de la défaite électorale et invasion du Capitole aux États-Unis. Ce sont donc les somewhere qui manifestent bruyamment, et parfois violemment, leur désarroi face à un monde qu’ils ne comprennent plus.

    Mais, en vérité, leur agitation révèle leur faiblesse. L’humanité étant une aventure spatio-temporelle (l’évolution des Homo sapiens sur notre petite planète), l’immobilisme n’existe jamais à l’échelle historique. Le vent de l’Histoire nous porte inéluctablement vers la destruction créatrice et celle-ci induit les changements sociaux et politiques.

    Marx n’avait pas tout à fait tort lorsqu’il affirmait que les infrastructures technico-économiques déterminent les superstructures juridiques et politiques. Encore faut-il raisonner de ce point de vue sur plusieurs siècles. Les NBIC auront infiniment plus d’importance que les manifestations des trumpistes ou des Gilets jaunes ou que les divagations de l’ultra-gauche sur le racialisme, le décolonialisme et la théorie du genre.

    Si, par exemple, le genre supplante le sexe, ce ne sera pas par le droit et la politique mais par les biotechnologies. Autrement dit, l’indifférenciation des genres résultera d’une évolution technologique des modalités de la procréation humaine.

    Les somewhere n’ont donc aucune chance de gagner. Ils représentent le passé et craignent l’avenir. Ils constituent le conservatisme actuel, la droite si l’on veut maintenir ce vocabulaire. Ils pourront avoir ici ou là une influence politique de court terme. Mais le conservatisme, par définition, est appelé à être rapidement dépassé.

    Le désespoir des vaincus de l’évolution historique n’en reste pas moins émouvant, surtout lorsqu’il se manifeste avec la candeur enfantine d’un porteur de cornes de bison dans les couloirs du Capitole. Les plus lucides des conservateurs ont toujours eu une conscience aiguë du tragique de leur situation. Car c’est l’Histoire qui les abandonne. Ainsi, Chateaubriand commençait-il ses Mémoires d’Outre-tombe avec cette phrase célèbre :

    « Le 4 septembre prochain, j’aurai atteint ma soixante-dix-huitième année : il est bien temps que je quitte un monde qui me quitte et que je ne regrette pas. »