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      Darmanin maintient la fin 2023 pour sa réforme de la police judiciaire

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 8 March, 2023 - 03:50 · 3 minutes

    La confusion règne autour de la réforme de la police judiciaire.

    Pourtant, Gérald Darmanin joue son avenir politique alors que le Sénat lui offrait une porte de sortie honorable. Le 28 mai dernier, le fiasco du match Real Madrid-Liverpool qui a écorné l’image sécuritaire du pays, à quelques mois des J.O. de Paris 2024, est dans toutes les mémoires.

    Un nouveau chaos est inenvisageable

    Le Sénat s’était prononcé jeudi 2 mars pour « un moratoire jusqu’à la fin des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 » sur la mise en place de la réforme de la police judiciaire, à cause de sa complexité.

    Le président de la commission des Lois, François-Noël Buffet (LR), a fait valoir que le « moratoire permettrait de donner plus de chance de réussite » au projet voulu par le ministre de l’Intérieur. Pendant ce délai, on pourrait « préfigurer ce qu’il faut mettre en place pour que cela fonctionne ». Nadine Bellurot (LR) et Jérôme Durain (PS), les deux auteurs du rapport , ont évoqué « un projet inabouti et changeant », relevant « une succession d’ajustements, sans stratégie claire ni calendrier prédéterminé ».

    Dans une lettre aux agents de la police nationale ce vendredi 3 mars, le ministre de l’Intérieur confirme l’esprit de sa réforme, écartant ainsi la proposition du Sénat d’instaurer un moratoire jusqu’à la fin des Jeux olympiques. Mais le locataire de la place Beauvau a concédé la création d’un poste de directeur interdépartemental (DIPN) dans son projet qui prévoyait initialement de placer tous les services de police d’un département – renseignement, sécurité publique, police aux frontières (PAF) et police judiciaire – sous l’autorité d’un seul directeur départemental (DDPN), dépendant du préfet.

    Pour tenir compte des « inquiétudes » exprimées, notamment un « nivellement par le bas » de la filière police judiciaire, « j’ai décidé de retenir le principe d’une organisation interdépartementale dans les territoires où la compétence s’exerce sur plusieurs départements », écrit le ministre.

    Et de poursuivre :

    « Dans chaque département d’implantation de services spécialisés à compétence plus étendue que le département, ces services seront rattachés à un directeur interdépartemental de la police nationale ».

    Pour le président de l’Association nationale de la police judiciaire (ANPJ) Yann Bauzin :

    « Le projet n’a pas changé du tout […] En juin, on nous parlait déjà de services interdépartementaux de la police (SIDPN). Le DIPN c’est juste un changement de sigle mais c’est une fumisterie […] C’est incohérent du début à la fin ».

    Grégory Joron (Unité SGP police) a pourtant relevé une « ouverture », le ministre ayant pris en compte les « deux lignes rouges en ouvrant un échelon supra départemental et en garantissant un budget propre à la PJ. Mais nous restons inquiets sur l’état de la filière investigation dans son ensemble, avec de nombreux collègues qui sont en souffrance ».

    Pour le syndicat Alliance, Fabien Vanhemelryck s’est félicité que « les spécificités et compétences de la PJ [aient été] préservées ». Quant à Thierry Clair (Unsa), il a salué le fait que la PJ « conservera son budget », facteur « important pour son fonctionnement ».

    Une carte sur l’articulation des DIPN et des DDPN a été diffusée vendredi. Avec des particularités étonnantes, dans le Nord et le Pas-de-Calais, terre électorale de Gérald Darmanin. Les DIPN de Lille et d’Arras ont ainsi compétence sur la PJ dans les deux départements. « Nous avons tenu compte de la spécificité de ce bassin de criminalité », a-t-on expliqué place Beauvau.

    Le ministre a tort de s’entêter dans cette réforme que nous dénonçons depuis la fin de cet été . Non seulement elle déstabilise un service qui fonctionne très bien, mais remet en cause le principe de séparation des pouvoirs et d’indépendance de la justice !

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      Index senior : pansement Schubert

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 13 February, 2023 - 04:30 · 4 minutes

    Le pansement Schubert c’est l’idée que la musique apaise un moment la douleur. Bien agréable mais ne soigne rien. L’index senior proposé par le gouvernement, c’est un peu ça.

    Au départ, tout part d’une bonne intention. Il s’agit de sauver le soldat senior. Pas celui à la retraite, pas celui qui bosse encore, mais l’autre. Le senior bancal, celui qui se trouve entre les deux : « suspendu entre rien et rien » (Pessoa).

    Sans revenu car sans emploi (trop vieux), et sans pension car sans retraite (pas assez vieux). Ce senior- là voudrait bien continuer d’exercer mais les conditions favorables à l’expression de son savoir-faire ne sont pas réunies. Il souffre d’une liberté négative : il peut faire car il est capable mais ne peut pas faire car on ne lui en donne pas les moyens. Il est libre d’exercer, mais nulle part.

    Alors le gouvernement a longuement réfléchi et a finalement trouvé une idée plutôt sympathique : l’index senior. Il s’agit de donner une bonne note aux entreprises qui font l’effort de compter un senior dans leur effectif. Et donc une mauvaise note aux entreprises qui pratiquent une forme de wokisme grisonnant , consistant à déboulonner du senior. Pourquoi pas. Un genre de label « vieille cuve » ou « millésime exceptionnel » pour les bons élèves et de « gérontophobes » pour les mauvais élèves.

    Et après ? Que se passe-t-il pour les entreprises mal notées ? Voire celles qui refusent de jouer le jeu ? Hé ben c’est pas bien ! Bouh ! Mais c’est tout.

    Mauvaise note cherche punition

    Pour l’instant, aucune sanction juridique ou financière n’est prévue. Et pour cause. Difficile d’aller plus loin. On ne va pas quand même pas sanctionner une startup spécialisée dans l’intelligence artificielle parce qu’elle n’a que des geeks encore puceaux dans son effectif. Oui le senior est capable de coder. Mais bon, c’est juste qu’on ne pense pas à lui en premier pour ce poste. En vérité, on ne pense jamais à lui en premier, quel que soit le poste. On en restera donc au coût éthique à supporter pour l’entreprise mal notée ou qui refuse de l’être : on pointe du doigt mais on ne touche pas.

    Il y a quand même quelque chose de tordu dans cette histoire. Le senior est vieux, soit. Il n’a plus les mêmes réflexes, c’est vrai. Il dit qu’avant c’était mieux, ok. Les signes extérieurs de sa séniorité sont donc multiples. Pas de soucis, il assume. Mais a-t-on vraiment besoin de lui rappeler en continu qu’il est senior en lui collant une étiquette sur la tronche ? « Hé Jeannot, t’as vu on parle de toi ; là sur le mur à côté des chiottes, grâce à ta contribution à l’index senior de la boite, le CE propose des chèques culture et des places pour le cirque ».

    Bref, l’index senior n’est pas forcément le truc qui va provoquer le déclic en termes d’emploi des seniors. La mesure manque de punch fiscal , juridique, économique , elle est à court d’arguments convaincants pour l’entreprise mal notée ou qui refuse de l’être. Certes, il s’agit d’une annonce gouvernementale agréable à entendre pour le senior, on pense à lui et ça l’apaise un moment. Mais si la musique vous fait oublier un instant la douleur, elle ne vous guérit pas de votre séniorité. L’index senior est un genre de pansement Schubert.

    Deux fictions alternatives

    Une solution radicale pour les seniors serait une forme de confinement à l’envers, non pas à domicile mais sur le lieu de travail. Ainsi en poste en marche forcée, ils seraient protégés d’un avenir précaire par le versement d’un salaire jusqu’à la retraite. Et cerise sur le gâteau, ils contribueraient même au sauvetage collectif des pensions par leur propre cotisation. Coup double. Évidemment, une telle mesure est excessive. En effet, il ne suffit pas de confiner le senior au bureau, encore faut-il qu’il existe un bureau où le confiner. Autrement dit, on ne va quand même pas forcer l’employeur à employer du senior. Si ?

    Ou bien il existerait une autre solution moins radicale mais moins propre également. Le grey washing . Après tout pourquoi pas, puisque cela existe déjà dans un autre domaine : le green washing . Dans le cas du senior, le grey washing serait une technique utilisée par une entreprise afin de redorer son blason. Ayant quelques profits à se reprocher, l’entreprise se rattraperait en recyclant du senior. La productivité du travail est ici secondaire, l’objectif premier est l’index senior obtenu. Pour le senior en quête de sens professionnel, il y a un petit coût à l’ego à supporter.

    « Le moi des vieillards est proche de celui des mourants » (Edgar Morin). Mais le moi des seniors reste quand même plus proche de celui des vivants.

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      Réforme de la police judiciaire : deux rapports aux conclusions opposées

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 8 February, 2023 - 04:10 · 3 minutes

    En septembre dernier, nous nous élevions contre le projet de réforme de la police judiciaire comme représentant une menace de notre État de droit. Efficacité des services de la PJ, indépendance de la justice dans le cadre des opérations de police judiciaire, la réforme inquiétait les citoyens mais les policiers eux-mêmes qui, dans leur très grande majorité faisaient souffler un vent de fronde sur le ministère de la place Beauvau.

    Début février étaient connus les résultats de la mise en place des directions territoriales de la police nationale en outre-mer et l’expérimentation de la réforme de la police menée dans huit départements métropolitains. Ces expérimentations ont données lieu à deux rapports aboutissant à des conclusions diamétralement opposées.

    Selon les conclusions du rapport de la mission inter-inspections (IGA, IGJ, IGPN), rendues le 1er février, la création des DTPN ultramarines « a produit des effets positifs et incontestés ».

    « La réforme a engendré une plus grande lisibilité de l’action de la police, la multiplication d’opérations coordonnées interservices, un meilleur partage des moyens et effectifs, une plus grande circulation. »

    Pour les huit départements expérimentateurs en métropole, le « bilan est à conforter » du fait de la brièveté des expérimentations en raison des mouvements de contestation qui ont secoué la police judiciaire (PJ) à l’automne.

    Mais les inspections estiment que des effets positifs sont malgré tout mesurés avec « notamment une plus forte présence de la police aux frontières (PAF) et un meilleur traitement administratif des étrangers en situation irrégulière. »

    Le 2 février 2023, un rapport du Sénat porte également sur les DTPN.

    Des conclusions divergentes

    Mais les conclusions du rapporteur, le sénateur Philippe Dominati, sont bien différentes : « écueil structurel », « anachronique », « inadapté ».

    Le rapport sénatorial rappelle que la PJ est une police d’excellence qui obtient des « résultats probants ». Son « taux d’élucidation des affaires varie ainsi de 74 % pour les contrefaçons à 95 % pour les affaires de trafic de stupéfiants. Ces taux sont notablement plus élevés que les taux moyens d’élucidation des différents services de la police nationale » .

    Dans un communiqué daté du 3 février 2023 l’Association Nationale de la Police Judiciaire (ANPJ),  « conteste leur interprétation partiale du rapport d’évaluation des inspections de l’Administration, de la Justice et de la Police Nationale. Il est en effet trompeur de le résumer au fait que « la création des DTPN et DDPN n’a produit que des effets positifs et incontestés » au regard des nombreuses réserves émises dans cet audit. »

    Selon l’association :

    « Il ressort ainsi de cet audit que l’expérimentation menée dans les départements tests en métropole est incomplète, mal acceptée, et d’une portée limitée puisqu’effectuée à droit constant, sans cadrage initial et qu’elle a été focalisée sur le pilotage des services et non leur réelle efficience. […] Les résultats en apparence plus concluants dans les départements d’outre-mer sont tempérés par les inspectio ns qui soulignent une acceptabilité de la réforme largement perfectible . »

    Pour l’ANPJ, « cette réforme, qui n’emporte pas l’adhésion de celles et ceux qui en sont les principaux acteurs, est d’ores et déjà vouée à l’échec. »

    Le vent de fronde n’est pas près de retomber. Un grand rassemblement national, intersyndical et interprofessionnel est annoncé pour le 11 mars 2023 à 14 h 00 à Paris.

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      Réforme des retraites : Macron face au pays

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Saturday, 4 February, 2023 - 11:18 · 13 minutes

    Si la mobilisation dans la rue et l’opposition à la réforme des retraites grandit, le gouvernement reste pour l’instant inflexible. Une opposition frontale qui risque de durer : la détermination des manifestants s’explique par la dureté des conditions de travail et la certitude que cette bataille sera déterminante pour bloquer l’agenda néolibéral d’Emmanuel Macron. Une analyse partagée par la majorité, ce qui explique qu’elle n’entende rien lâcher. Alors que la bataille se déroule désormais sur deux fronts, le Parlement d’un côté, la rue et les entreprises de l’autre, une défaite des syndicats offrirait un boulevard vers le pouvoir pour l’extrême-droite. Seule une grande vague de grèves peut entraver ce scénario.

    Plus le temps passe et plus l’opposition à la réforme des retraites s’étend. Après une première journée très réussie le 19 janvier, le gouvernement a passé les deux dernières semaines à se prendre les pieds dans le tapis. Arguments contradictoires, refus de toute modification du cœur du projet, tentative de manipulation de l’opinion par un dîner entre Macron et 10 éditorialistes , humiliation du Ministre du travail Olivier Dussopt durant des débats télévisés… Le plan de bataille concocté par les cabinets de conseil et les technocrates a lamentablement échoué. Comme lors du référendum de 2005 sur la Constitution européenne, plus les élites font de la « pédagogie », plus les Français s’informent et leur opposition s’étend. Résultat : le 31 janvier, le nombre de manifestants a augmenté de 40% et atteint des niveaux historiques depuis 30 ans avec 2,8 millions de personnes dans la rue selon les syndicats. En parallèle, les sondages successifs indiquent tous une hausse du soutien à la contestation et une colère croissante contre la réforme et le gouvernement .

    Pourquoi la réforme passe si mal

    Si l’issue de la réforme est encore incertaine, la bataille de l’opinion aura donc été gagnée rapidement. Outre les couacs et la suffisance des ministres et des députés macronistes, cette victoire écrasante des opposants s’explique par trois facteurs : l’absence de justification de la réforme, un changement de perception du travail et un contexte de colère sociale latente depuis des mois.

    D’abord, la réforme elle-même. A mesure qu’elle est étudiée sous tous les angles, chacun découvre une nouvelle injustice. On pense notamment aux femmes, pénalisées par leurs carrières souvent incomplètes de l’aveu même du ministre Stanislas Guérini ou au minimum vieillesse à 1200 euros rendu incertain par des « difficultés techniques » (sic). Surtout, la grande majorité des Français a compris que le régime actuel de retraites n’est pas en péril et que cette réforme n’a rien d’inéluctable, comme l’a rappelé à plusieurs reprises le Conseil d’Orientation des Retraites (COR). Les arguments de la gauche, qui propose d’autres méthodes pour équilibrer le système et ramener l’âge de départ à 60 ans, ont aussi réussi à percer : l’augmentation des salaires, la suppression des innombrables exonérations de cotisations , l’égalité de salaires entre les femmes et les hommes, la taxation des patrimoines et dividendes, voire la hausse des cotisations sont d’autres possibilités, bien plus justes que de forcer les Français à travailler deux ans de plus. A force de miser sur le caractère technique de la réforme pour la faire passer, le gouvernement aura finalement réussi à intéresser les citoyens au fond de son projet. Le mépris permanent des macronistes a fait le reste. Comme l’a résumé Richard Ramos, député MODEM (parti membre de la majorité), « la pédagogie c’est dire “j’ai raison, vous êtes des cons ” ».

    Si les Français restent attachés à la « valeur travail », ils sont également 45% à déclarer se lever uniquement pour le salaire.

    Outre le caractère injustifié de la réforme, celle-ci se heurte aussi à un changement de regard sur le travail . Rester deux ans de plus dans l’emploi est d’autant plus impopulaire que cela paraît impossible pour beaucoup. D’abord, il y a ceux qui craignent de mourir avant la retraite . Pour les autres, il faut conserver son poste dans un pays où le taux d’emploi des seniors est particulièrement bas ( 35,5% chez les 60-64 ans ). Un problème sérieux auquel le gouvernement entend répondre par un index, un dispositif qui a déjà montré son inutilité totale contre les inégalités de salaires entre hommes et femmes. En outre, le travail devient plus dur pour beaucoup : le nombre de travailleurs cumulant au moins trois critères de pénibilité physique a triplé depuis les années 80 en raison de l’intensification du travail. La souffrance psychique et les burn-outs ont eux aussi explosé. S’ajoute aussi la crise de sens du travail, un phénomène d’autant plus important ( 60% des actifs sont concernés ) qu’il peut s’expliquer par des facteurs très divers (sentiment d’exercer un « bullshit job », manque de moyens pour bien faire son travail, contradiction avec ses valeurs…). Enfin, ce panorama est complété par une instabilité croissante de l’emploi avec la multiplication des CDD, intérim et autres régimes précaires. Ainsi, si les Français restent attachés à la « valeur travail », ils sont également 45% à déclarer se lever uniquement pour le salaire . Dans ces conditions, on comprend que 93% des actifs rejettent la perspective de se voir confisquer deux années de repos mérité.

    Enfin, cette contre-réforme arrive dans une période de grande tension sociale dans le pays. Alors que les salaires sont rognés par une inflation inédite depuis des décennies, le sentiment de déclin et d’appauvrissement se généralise. Les petits chèques, la remise à la pompe ou le bouclier tarifaire n’ont en effet pas suffi à contenir la baisse de pouvoir d’achat de la majorité de la population. Pendant ce temps, les multinationales de certains secteurs (énergie, transport maritime, négoce de céréales…) ont réalisé des superprofits colossaux que le gouvernement se refuse à taxer. Un deux poids deux mesures qui a de plus en plus de mal à passer. L’inaction face à la dégradation de plus en plus visible des services publics (santé, éducation, justice) et au changement climatique après un été caniculaire et une sécheresse historique inquiète aussi une grande part de la population, qui craint de laisser un pays « tiers-mondisé » à ses enfants. Ajoutons enfin que les élections de 2022 dont se prévaut le Président de la République pour justifier sa réforme ne lui ont pas donné une grande légitimité : il a en effet été réélu en grande partie par défaut et a perdu sa majorité absolue au Parlement. Dans un tel contexte, l’écrasante majorité de la population ne comprend pas pourquoi cette réforme non nécessaire est une priorité politique.

    Une bataille parlementaire compliquée

    La réponse à cette interrogation est double. D’une part, Macron ne digère toujours pas de ne pas avoir pu aller jusqu’au bout de sa tentative d’attaque du système de retraites en 2020. Son électorat attend d’ailleurs de lui qu’il renoue avec l’ardeur néolibérale dont il faisait preuve jusqu’à la crise sanitaire. Affaibli par les dernières élections, le chef de l’Etat compte sur cette réforme pour indiquer à ses soutiens qu’il ne compte pas se « chiraquiser », c’est-à-dire être un Président plutôt absent et sans cap pour son second mandat. D’autre part, Emmanuel Macron veut achever ce qui reste des Républicains, en les forçant à le soutenir ou à rejoindre Marine Le Pen. Or, la réforme des retraites est depuis longtemps une revendication majeure des élus LR. Macron espère donc leur tendre un piège : soit ils la votent et devront finir par assumer que le locataire de l’Elysée applique leur programme, et donc le soutenir; soit ils ne la votent pas et leur retournement de veste les pulvérisera à la prochaine élection.

    Initialement, ce calcul politique semblait habile. Mais l’ampleur de la contestation inquiète jusque dans les rangs de la Macronie et des LR. Or, 23 défections dans le camp présidentiel ou chez les Républicains suffisent à faire échouer l’adoption du texte à l’Assemblée Nationale. Un scénario possible selon les derniers décomptes menés par Libération et France Inter , qui indiquent un vote très serré. Pour trouver une majorité, le gouvernement n’a donc plus d’autre choix que de menacer les parlementaires : sans majorité, il dégainera l’article 49.3 et envisagera sérieusement de dissoudre la chambre basse . Or, nombre de députés ont été élus par une très fine majorité en juin dernier et craignent de voir leur siège leur échapper. Cette perspective peut les conduire à réfléchir à deux fois avant de rompre la discipline de vote.

    Cette réforme est une occasion en or pour Marine Le Pen de faire croire qu’elle défend les conquêtes sociales, tout en ne prenant aucun risque.

    Pour les deux autres blocs politiques, la NUPES et le Rassemblement National, cette séquence paraît plus simple à aborder : leur opposition au texte les place du côté de la majorité des citoyens. A gauche de l’hémicycle, on se prend à espérer une première victoire majeure contre Macron. Un succès dont l’alliance bâtie hâtivement à la suite des présidentielles aurait bien besoin pour survivre : l’affaire Quatennens, le congrès du PS, les petites polémiques successives et la perspective des élections européennes fragilisent fortement l’union. Une attaque sur un symbole aussi fort dans l’imaginaire du « modèle social » français – ou du moins ce qu’il en reste – offre donc une occasion de tourner la page des derniers mois. Toutes les armes sont donc sorties : réunions publiques en pagaille, participation aux manifestations, tournée des plateaux, tsunami d’amendements…

    Du côté du Rassemblement National, on jubile. Cette réforme est une occasion en or pour Marine Le Pen de faire croire qu’elle défend les conquêtes sociales, tout en ne prenant aucun risque. Le RN doit en effet faire oublier qu’il a voté contre l’augmentation du SMIC et proposé de supprimer des cotisations patronales , ce qui revient à fragiliser la Sécurité sociale dont le système de retraites fait partie. Heureusement pour la dynastie Le Pen, le gouvernement lui a offert une belle opportunité de marquer des points. Ainsi en est-il de la demande de référendum sur la réforme des retraites, une proposition initiée par les communistes, reprise ensuite par la NUPES et le RN : au terme d’une procédure contestable, la défense de cette motion référendaire a été confiée à l’extrême-droite. D’ores-et-déjà, le PS et EELV annoncent qu’ils ne la voteront pas afin de ne pas légitimer le RN. Avant même le vote le 6 février prochain, Marine Le Pen a donc déjà gagné : si cette motion est soutenue par la FI et le PCF, elle pourra affirmer qu’elle est rassembleuse; si les députés de gauche la rejettent, elle pourra les accuser de sectarisme et de malhonnêteté.

    L’urgence d’une grève générale

    Pour chacun des trois blocs politiques majeurs, la bataille des retraites est donc décisive. Du côté de la Macronie, arriver à passer en force contre les syndicats et la majorité de la population sur un sujet aussi essentiel serait une victoire comparable à celle de Margaret Thatcher contre les mineurs britanniques en 1984 . Le pouvoir espère qu’une telle démonstration de force permettra de réinstaurer un climat de résignation et de nihilisme pour un moment, lui permettant de terminer son œuvre de destruction du pays. Dans le cas où ce scénario deviendrait hors de portée, Macron a cependant élaboré un plan B : la dissolution de l’Assemblée. « Au mieux, ce serait l’occasion de retrouver une majorité absolue dans l’hémicycle. Au pire, le Rassemblement national (RN) remporterait une majorité de sièges » estime le camp présidentiel . Macron ne paraît pas très inquiet par cette seconde éventualité : si Marine Le Pen accepte Matignon, il espère que cela l’affaiblira; si elle refuse, il pourra affirmer qu’elle ne veut pas le pouvoir ou n’est pas capable de l’exercer.

    Si ce scénario est évidemment risqué, le chef de l’Etat sait que son camp a tout intérêt à affronter l’extrême-droite au second tour. Il espère donc la renforcer juste assez pour qu’elle passe devant la gauche au premier tour, puis la battre au second. Ce calcul cynique convient très bien à Marine Le Pen, puisqu’il la renforce sans qu’elle n’ait besoin de faire de grands efforts. La cheffe des députés RN a également un discours bien rodé en cas de passage de la réforme : comme avec la NUPES dans l’hémicycle, elle n’hésitera pas à accuser les syndicats d’incompétence et d’hypocrisie, en arguant que ceux-ci ont appelé à la faire battre au second tour. La combinaison de cette délégitimation du mouvement syndical et de la gauche avec la colère de Français exaspérés par la dégradation de leur niveau de vie lui offrirait alors un boulevard vers l’Elysée.

    Le mouvement social compte un soutien de poids : l’opinion. 64% des Français tiendraient le gouvernement pour responsable en cas de blocage du pays.

    Ainsi, au-delà de la protection d’une conquête sociale majeure, la bataille actuelle risque de peser lourd dans la prochaine élection présidentielle. Casser la relation vicieuse de dépendance mutuelle entre le bloc bourgeois et l’extrême-droite nécessite une victoire du mouvement social contre cette réforme. Si la mobilisation des députés dans l’hémicycle et des manifestants dans la rue constitue deux points d’appui importants, ils risquent cependant de ne pas suffire. Au Parlement, le temps contraint du débat, le probable retour à la discipline de vote chez Renaissance et LR et la possibilité d’un 49.3 laissent peu d’espoirs. Dans la rue, la mobilisation considérable est encourageante, mais elle risque de s’étioler au fil des semaines et la répression – pour l’instant très faible – peut faire rentrer les manifestants chez eux.

    Seules de grandes grèves peuvent faire plier le gouvernement : si les salariés ne vont plus travailler ou que l’approvisionnement des entreprises est remis en cause, le patronat se retournera contre le gouvernement, qui n’aura d’autre choix que de reculer. Pour l’instant, les syndicats se montrent plutôt timides, préférant des « grèves perlées » environ un jour par semaine à des grèves reconductibles. Bien sûr, l’inflation et l’affaiblissement du mouvement ouvrier rendent l’organisation de grèves massives plus difficile que par le passé . Mais le mouvement social compte un soutien de poids : l’opinion. Selon un récent sondage, 64% des Français tiendraient le gouvernement pour responsable en cas de blocage du pays . Un tel chiffre étant particulièrement rare, les syndicats ont tout intérêt à s’en saisir. En outre, des actions comme le rétablissement de l’électricité à des personnes qui en ont été coupé pour impayés ou sa gratuité pour les services publics conforte l’appui des Français à la lutte des salariés. Après la victoire de la bataille de l’opinion et du nombre dans la rue, il est donc temps de passer à l’étape supérieure : la grève dure. Face aux tactiques immorales du gouvernement et de l’extrême-droite, cette stratégie apparaît désormais comme la seule capable de les faire battre en retraite.

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      Le droit de grève est-il un droit constitutionnel ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 4 February, 2023 - 04:30 · 8 minutes

    Cette question peut surprendre tant sont nombreux les syndicalistes et dirigeants politiques qui déclarent à l’occasion de chaque grève : « le droit de grève est un droit constitutionnel ». Cette insistance est d’ailleurs étonnante. Est-il rappellé à chaque élection que le droit de vote est un droit constitutionnel ? Pourquoi faut-il le rappeler à l’occasion des grèves ?

    La réponse n’est pas simple

    La Constitution ne mentionne pas le droit de grève.

    Certes, son préambule affirme que « le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l’Homme […] définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 ».

    Or dans le préambule de la Constitution de 1946 « le peuple français proclame comme particulièrement nécessaires à notre temps, les principes ci-après […] : Article 7. Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ».

    Un principe n’est pas une règle de droit. De plus un des « principes particulièrement nécessaires » en 1946 l’est peut-être moins aujourd’hui.

    Certains ne le sont plus.

    Article 13 « L’organisation de l’enseignement public gratuit […] à tous les degrés est un devoir de l’État » : l’enseignement supérieur français n’est pas gratuit.

    Article 11 « La nation garantit à tous […] le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence » : le revenu universel n’est pas inscrit dans la loi.

    Article 5 : « Chacun a le devoir de travailler » : ce principe n’est pas appliqué.

    Tel qu’il est mentionné dans le préambule de la Constitution de 1946, le droit de grève est contestable car la condition posée pour l’exercice de ce « principe » n’a pas été remplie : les lois qui devaient le réglementer n’ont pas été votées.

    Certes des lois interdisent le droit de grève à certaines catégories de fonctionnaires : magistrats du siège, militaires, CRS, personnels actifs de la police, personnel pénitentiaire. Une loi exige un préavis de cinq jours pour les fonctionnaires . La loi du 21 août 2007 crée l’obligation pour les salariés des transports de personnes d’indiquer 48 heures à l’avance leur intention de faire grève. Un service minimum a été mis en place pour l’école, la fonction publique hospitalière et les agents de la navigation aérienne. Un arrêté ministériel précise les services qui ne peuvent pas être privés d’électricité. L’ article L 2511-1 du Code du travail indique que « l’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail ».

    Mais aucune loi générale sur le droit de grève, concernant les secteur privé et public, n’a été votée. Les juges ont donc remplacé les lois défaillantes.

    La grève a été définie par la Chambre sociale de la Cour de Cassation (arrêt du 2 février 2006) :

    « La grève est la cessation collective et concertée du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles ».

    Les revendications professionnelles concernent la rémunération et les conditions de travail. D’après cette définition les grèves politiques seraient donc illégales. Les grèves de septembre 2022 « pour le pouvoir d’achat, la justice sociale et écologique », d’octobre 2022 « contre la précarité et le chômage » et de janvier 2023 contre la réforme des retraites le seraient.

    Mais pour beaucoup de syndicalistes toute grève devrait être légale.

    Et la jurisprudence, qui les suit souvent, n’est pas constante . La cour d’appel d’Aix-en-Provence a jugé qu’une grève visant à annuler une délibération de la communauté urbaine Marseille métropole était une grève politique donc illégale. Mais la Cour de cassation a jugé que la grève organisée pour protester contre le mouvement insurrectionnel d’Alger en 1961 était légale .

    La grève tournante est licite mais pas la grève perlée (ralentissement du rythme de travail) ni la grève du zèle (accélération).

    Une grève de soutien à un ouvrier licencié pour avoir refusé un travail est illégale (16 novembre 1993). Mais une grève est licite si les revendications politiques sont accessoires (10 mars 1961). La défense des retraites est une revendication à caractère professionnel (15 février 2006).

    La jurisprudence est particulièrement incertaine pour les réquisitions de grévistes, qui ne sont autorisées aux pouvoirs publics que pour les grèves qui « portent une atteinte suffisamment grave à la continuité du service public ou à la satisfaction des besoins de la population » et à celles qui « portent atteinte au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques ». C’est au juge de définir l’« atteinte suffisamment grave », les « besoins de la population », le « bon ordre ».

    De plus la réquisition doit être limitée au personnel qui assure « le service minimum que requièrent les seules nécessités de l’ordre et de la sécurité publiques ». Comment définir ce personnel ? Devant de telles incertitudes le gouvernement s’est limité en octobre 2022 à la réquisition de six personnes qui bloquaient des dépôts pétroliers, laissant bloquer les autres dépôts.

    Le droit de grève français est un droit incertain

    Chez tous nos voisins, la loi est claire. Des règles générales ont été définies. Par exemple une grève s’opposant à un vote du Parlement est illégale.

    En Allemagne , les fonctionnaires n’ont pas le droit de grève. Dans le secteur privé la grève y est interdite pendant la durée d’application d’une convention collective et pendant la négociation de la suivante. Seuls les syndiqués ont le droit de faire grève.

    En Suisse, le droit de grève mentionné dans la Constitution fédérale est donné aux fonctionnaires (sauf les fonctionnaires actifs de la police). Le préavis légal est de cinq jours. En 2019 une « grève des femmes » très suivie, en principe illégale car sans relation avec les conventions collectives, n’a pas été contestée. Le droit de grève y est étendu. Mais le recours à la grève est très réduit car le compromis social est dans la tradition du pays et le tribunal fédéral demande de « maintenir la paix du travail et de recourir à une conciliation ». Il exige la « proportionnalité » de la grève. Par exemple, la grève ne doit pas désorganiser l’entreprise.

    Au Royaume-Uni , une grève doit avoir été votée à la majorité, à bulletins secrets, par correspondance, par le personnel concerné. Au moins 50 % des salariés concernés doivent avoir voté. Dans les services publics, 40 % d’entre eux doivent avoir voté en faveur de la grève. Les revendications doivent avoir été présentées à l’employeur au moins 30 jours à l’avance. La liste des grévistes doit lui être présentée. La durée de la grève doit être annoncée (ce qui interdit les grèves à durée illimitée). Les employeurs peuvent remplacer les grévistes par des non-grévistes. Des sanctions pécuniaires sont prévues pour les syndicats organisant une grève illégale (jusqu’à un million de livres). Cette loi de Margaret Thatcher a été gardée sans changement par les gouvernements travaillistes.

    Une étude sur le service minimum dans les principaux pays européens faite par la Division des études de législation comparée du Sénat conclut :

    « La notion de service essentiel est unanimement reconnue ; à l’exception du Royaume-Uni, tous les pays étudiés ont établi des règles sur l’instauration d’un service minimum en cas de grève dans les services essentiels ; partout, sauf en Espagne et au Portugal, l’organisation du service minimum est négociée avec les partenaires sociaux ».

    En Espagne, une loi d’un gouvernement socialiste prévoit que « l’autorité gouvernementale » fixe les mesures indispensables au fonctionnement des services tenus pour essentiels.

    En Italie, où la négociation collective est imposée par la loi, l’accord signé par les principaux syndicats des transports précise que les transports locaux garantissent un service complet pendant six heures, subdivisées en deux tranches horaires correspondant aux heures de pointe ; les transports ferroviaires assurent les déplacements des banlieusards ainsi que la plupart des liaisons sur longue distance ; dans les transports aériens, il est interdit de faire grève entre 7 h et 10 h ainsi qu’entre 18 h et 21 h.

    Avant l’élection présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy, citant l’exemple de l’Italie, avait promis : la loi « garantira trois heures de transport en continu pour se rendre à son travail en cas de grève et trois heures pour en revenir ». Cet engagement n’a pas été tenu.

    Quand la négociation est imposée par la loi, cette dernière exige, en cas d’échec de la négociation, l’intervention d’un médiateur qui doit garantir l’application du service minimum. A défaut la réquisition des grévistes est licite.

    Au Royaume-Uni un projet de loi en cours de discussion au Parlement autorise le gouvernement à définir les services minima, y compris pour l’éducation et la santé. 56 % des Britanniques sont favorables à ce projet de loi.

    Toutes ces précisions légales rendent le droit de grève mieux défini à l’étranger qu’en France. Si bien que les grèves, et notamment les grèves politiques, y sont moins fréquentes que sans notre pays.

    Les gouvernements de nos voisins n’ont pas craint les réactions syndicales en faisant voter ces précisions. Les gouvernements français auraient pu s’inspirer de ces exemples étrangers. Ils n’ont pas eu ce courage.

    Quand ils l’auront, le droit de grève français ne sera plus un droit incertain et la France deviendra réformable.

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      Quelle transformation de l’économie marocaine à l’horizon 2035 ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 1 February, 2023 - 03:30 · 8 minutes

    Au Maroc, la volonté du changement est exprimée au plus haut sommet de l’État. Sous l’impulsion du Roi Mohammed VI que Dieu l’assiste, et conformément à une méthode de travail qui a donné ses preuves, le souverain a mis au travail une Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD) qui a passé au scanner tous les sujets anxiogènes, notamment les inquiétudes et insatisfactions des citoyens marocains. À cet effet, la transformation de l’ économie marocaine comme moteur de développement et d’essor du pays et de sa population, occupe une place de choix dans le rapport du Nouveau modèle de développement remis au Roi le 26 mai 2021 par le président de la Commission.

    Ainsi, la question qui se pose est de savoir quelle transformation de l’économie marocaine à l’horizon 2035 dans le cadre du modèle de développement ?

    Réussir la transformation de l’économie marocaine nécessite une nouvelle génération de réformes plus complexes, inscrites sur le long terme et portées par un soutien politique fort. Afin de déclencher une dynamique économique systémique mobilisant l’ensemble des acteurs, le nouveau modèle de développement propose une feuille de route fondée sur cinq choix stratégiques :

    1. Sécurisation de l’initiative privée pour éliminer les entraves réglementaires, les barrières administratives et l’économie de rentes.
    2. Orientation des acteurs économiques vers les activités productives à forte valeur ajoutée à travers un dispositif complet d’appui et d’incitations.
    3. Choc de compétitivité pour réduire les coûts des facteurs de production et améliorer leur qualité.
    4. Cadre macroéconomique au service du développement.
    5. Émergence de l’économie sociale comme nouveau pilier du développement.

    Les choix stratégiques proposés par le nouveau modèle de développement doivent être mis en œuvre d’urgence pour construire l’économie de l’après Covid-19 , lit-on dans le rapport. L’épidémie de la Covid-19 a provoqué une crise économique d’une profondeur inédite qui a révélé les faiblesses du tissu productif national et altéré fortement son potentiel de croissance.

    Selon les membres de la CSMD, cette crise nécessite une action volontariste pour la sauvegarde des entreprises, et laisse présager de nouvelles opportunités avec le développement des industries de la vie et la relocalisation des chaînes d’approvisionnement, qu’il s’agira de saisir pleinement par une libération de l’initiative entrepreneuriale et par l’émergence d’une nouvelle génération d’entreprises porteuses de transformation productive.

    Sécuriser l’initiative entrepreneuriale

    La sécurisation de l’initiative privée vise à garantir des règles stables et impartiales à tous les opérateurs économiques qui doivent trouver dans l’administration publique un partenaire de confiance.

    La libération des énergies entrepreneuriales requiert une amélioration notable de l’environnement des affaires pour résorber les foyers de blocage, d’incertitude et de corruption. Pour instaurer une nouvelle relation de confiance, les membres de la CSMD proposent entre autres d’éliminer de manière systémique les barrières administratives et réglementaires.

    À cela doit s’ajouter impérativement une concurrence saine et une régulation renforcée. Garantir un fonctionnement sain et concurrentiel des marchés est une condition nécessaire à la dynamisation de l’initiative privée. Et ce sans oublier une meilleure protection des entreprises grâce à des mécanismes de recours efficaces.

    Orienter les acteurs économiques vers les activités productives

    Selon le rapport de la CSMD remis au Souverain par son président, Chakib Benmoussa, les interventions publiques doivent encourager les opérateurs privés à s’orienter vers de nouvelles activités porteuses de modernisation, de diversification, de montée en gamme et d’internationalisation.

    Pour concrétiser cet objectif, plusieurs actions sont formulées notamment l’élaboration d’une politique nationale de transformation économique pour libérer le potentiel de croissance du Maroc sur tous les secteurs. Ceci doit impérativement s’accompagner par la mise en place d’un mécanisme de pilotage et de mise en œuvre harmonisés pour réaliser les ambitions sectorielles stratégiques.

    Le rapport appelle à une révision du cadre incitatif pour orienter les investisseurs vers les activités productives et soutenir plus fortement le développement des PME. De même que financer de manière volontariste la diversification productive et la montée en gamme de l’économie. Un accompagnement des entreprises pour renforcer leurs capacités managériales, organisationnelles et technologiques est également préconisé.

    Par ailleurs, le rapport recommande la mise en place d’un cadre favorable pour promouvoir l’innovation au sein des entreprises et faire émerger des start-ups de dimension régionale et mondiale.

    Il réitère l’importance de la commande publique comme levier stratégique de développement productif. Enfin, le rapport appelle à intégrer l’informel par une logique incitative, progressive et adaptée à la nature des acteurs.

    Réaliser un choc de compétitivité

    Un choc de compétitivité est indispensable pour créer les conditions de la transformation productive et concrétiser la vocation du Maroc en tant que hub régional attractif pour les investissements.

    Bien que le Maroc dispose de nombreux atouts compétitifs, les facteurs de production sont relativement chers au regard de leur qualité, ce qui limite la compétitivité des entreprises marocaines et pénalise l’attractivité du pays auprès des investisseurs étrangers.

    Le nouveau modèle de développement préconise quatre actions pour que le Maroc devienne le pays le plus compétitif de la région en investissant dans la qualité des facteurs de production et en réalisant les réformes structurelles nécessaires pour optimiser leurs coûts.

    Il s’agit particulièrement de réduire les coûts de l’énergie par la réforme du secteur et le recours aux énergies renouvelables et à bas carbone, ainsi que de réduire les coûts logistiques et améliorer la qualité des services par la restructuration du secteur.

    Le rapport souligne l’impératif de développer des zones d’activité de qualité et à prix compétitifs accessibles à toutes les entreprises et de faire du numérique et des capacités technologiques un facteur majeur de compétitivité, de modernisation des entreprises et de développement de nouveaux métiers et secteurs en phase avec les transformations mondiales.

    Il appelle par ailleurs à un dialogue social régulier intégrant les transformations en cours et à venir du monde du travail.

    Un cadre macroéconomique au service du développement

    La stabilité et la compétitivité du cadre macroéconomique sont déterminantes pour l’initiative privée.

    Le Maroc bénéficie d’un environnement macroéconomique et d’un système financier stables qu’il convient de préserver. Néanmoins, ce cadre doit être amélioré pour servir davantage la croissance économique, à travers quatre actions :

    1. Optimiser les dépenses budgétaires par de nouveaux instruments de gestion.
    2. Réduire la charge fiscale pesant sur les activités productives et concurrentielles.
    3. Prendre en compte l’objectif de multiplication des acteurs et de diversification des mécanismes de financement de l’économie dans les politiques monétaires et bancaires.
    4. Mettre en place les conditions pour développer les marchés des capitaux.

    Faire émerger l’économie sociale comme pilier de développement

    Aux côtés du secteur privé et du secteur public, le nouveau modèle vise à faire émerger plus fortement le troisième pilier de développement porté par l’économie sociale. Ce pilier sera animé par une diversité d’acteurs afin de concilier activité économique et intérêt général (associations, coopératives, entreprises sociales, etc.).

    Il s’agit de rompre avec une vision de l’économie sociale dominée par les activités de subsistances à faible valeur ajoutée pour en faire un secteur économique à part entière, porté par des entrepreneurs dynamiques, structurés et innovants, pourvoyeur d’emplois en complémentarité avec les emplois marchands et publics, producteur de services publics notamment dans la santé et l’éducation, et vecteur de promotion des territoires.

    Trois actions sont proposées pour initier la dynamique d’émergence de la nouvelle économie sociale.

    D’abord, adopter un cadre fondateur pour la nouvelle économie sociale. L’émergence d’une nouvelle économie sociale est une innovation majeure du Nouveau Modèle de Développement.

    Ensuite, promouvoir la délégation de services publics aux acteurs de l’économie sociale par une démarche expérimentale. Certains domaines prioritaires du nouveau modèle de développement peuvent mettre à contribution l’économie sociale à travers la délégation de services publics, notamment dans les domaines de la santé, l’assistance sociale, l’éducation, la petite enfance, la culture, l’économie circulaire et l’insertion professionnelle.

    Enfin, développer l’entrepreneuriat social innovant.

    Afin de structurer les acteurs de l’économie sociale et faire émerger une nouvelle génération d’entrepreneurs sociaux innovants, il est proposé de :

    • mettre en place des programmes d’accompagnement dédiés à l’entrepreneuriat social dans les territoires, à travers notamment des incubateurs spécialisés ;
    • développer des centres de recherche et développement pour l’innovation sociale en collaboration avec les établissements d’enseignement supérieur destinés à élaborer et diffuser des pratiques innovantes productrices d’impact ;
    • créer un nouveau statut juridique adapté à l’entreprise sociale.

    Prospérité, capacitation ( empowerment ), inclusion, durabilité, et leadership régional : tels sont les objectifs de développement fixés par les membres de la CSMD pour changer la face du Maroc d’ici 2035. Reste à savoir si ladite commission sera au rendez-vous.

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      5 ordonnances pour sauver le système de santé

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 30 January, 2023 - 04:15 · 9 minutes

    Tout l’édifice de soins s’écroule. De nouvelles contraintes s’accumulent et vont accélérer la crise.

    Pour que la maison ne s’effondre pas il faut commencer par rebâtir ses fondations, c’est-à-dire les études et la formation des soignants.

    Tout le système organisationnel doit être simplifié avec moins de personnels administratifs et moins d’agences. Avec la lutte contre les fraudes, les budgets nécessaires seront libérés pour revaloriser les soins et motiver leurs acteurs.

    La réforme des études de médecine

    C’est la mère de toutes les batailles.

    Malheureusement chaque réforme a amené le pire. La plus grave à mon sens est d’avoir détruit l’élitisme lors de la sélection des étudiants en supprimant les concours. Ces concours très sélectifs qu’étaient l’externat et l’internat des hôpitaux donnaient accès à une très bonne formation.

    Le dispositif LMD et la culture woke ont contaminé le début des études de médecine. Il n’ y a plus de sélection par concours et les oraux ne sélectionnent plus les meilleurs. Le but était de diversifier les recrutements mais en réalité de sélectionner des futurs médecins « aux ordres » . Le numerus clausus reste inadapté car 20 à 30 % des étudiants envisagent de changer de voie à l’aulne des nouvelles contraintes.

    La sélection par la diversité a multiplié le nombre d’étudiants qui souhaitent un vrai confort d’exercice. Les spécialités sans gardes et sans urgences sont choisies en priorité par les mieux placés à l’ECNi.

    La médecine générale et les spécialités lourdes sont boudées et de plus en plus d’étudiants espèrent un travail à temps partiel ou le salariat. À ce rythme il n’y aura plus de médecine libérale accessible à court terme malgré le renfort de nombreux médecins étrangers.

    La conséquence du salariat et du temps partiel de plus en plus recherchés est que le temps consacré aux soins est d’autant plus diminué, amputé par les tâches administratives. Il faudrait doubler le nombre d’admis lors du deuxième cycle. Ce serait possible avec les téléconférences, l’ouverture de facultés libres et davantage de stages formateurs en secteur libéral mais est-ce souhaitable ?

    Une université croate va former des médecins à Orléans mais en langue anglaise. L’ université de Zagreb a ouvert une antenne dans laquelle une cinquantaine d’étudiants seront formés.
    Tollé chez les médecins et dans les universités d’Orléans et de Tours qui dénoncent une formation au rabais. À mon sens c’est pourtant une solution meilleure que celle qui consiste à importer des médecins étrangers qui manqueront dans leur pays.

    Le deuxième cycle ne permet pas une bonne formation car il comprend trop de cours théoriques et pas assez de stages de qualité. Rien ne prépare les internes à leur fonction.

    Le législateur a voulu imposer une quatrième année d’internat dans les déserts médicaux pour les futurs médecins généralistes. Réaction : 30 % des étudiants interrogés sur cette réforme envisagent de changer de voie.

    Les internes peuvent refuser cette quatrième année de médecine générale et saisir le Conseil d’État. Ils peuvent aussi passer leur thèse et s’installer. La soutenance de la thèse se fait au plut tôt après validation de trois semestres de formation et au plus tard trois années après l’obtention du diplôme d’études spécialisées.

    Après le vote par l’Assemblée d’une quatrième année d’internat pour les internes en médecine générale c’est maintenant l’Académie de médecine qui s’en mêle. Elle propose une « mesure phare » qui a fait bondir la jeune génération déjà traumatisée par toutes les contraintes : « un service citoyen médical d’un an pour tout médecin nouvellement diplômé ». Cette mesure devrait être maintenue « tant que la situation de l’exigera ».

    Piloté directement dans les territoires par les agences régionales de santé en coordination avec les facultés de médecine, ce service se ferait « dans le cadre d’un salariat et en utilisant les infrastructures mises à disposition ».

    Cette proposition est ubuesque car les internes sont rémunérés 2000 euros en moyenne avec des temps de travail toujours dépassés à cause des gardes. Ils ont déjà rendu ce service pendant 10 années à l’hôpital. Comme pour la quatrième année d’internat elle aura les mêmes effets négatifs en retardant l’installation et aggravera la pénurie de médecins. Il est faux de faire croire que 10 années sont nécessaires pour former de bons généralistes. Des jeunes seront toujours attirés par un métier sans chômage. Ils se contenteront d’un salaire pour des semaines de moins de 45 heures.

    La solution serait de faire commencer l’internat de médecine générale en cinquième ou sixième année avec des stages de six mois en petite chirurgie et en médecine générale. L’ ECNi serait maintenu pour le choix définitif de la spécialité.

    Avec une telle réforme, les internes pourraient être mis en responsabilité plus tôt pour participer aux urgences ou faire des remplacements.

    L’internat de médecine générale serait avancé mettant ainsi près de 4000 médecins de plus sur le marché. En peu de temps les déserts médicaux seraient résorbés. La prise d’un poste d’assistant serait avancée d’un an ce qui permettra l’accès au secteur II et l’installation.

    Il faudrait faire commencer l’internat de médecine générale en cinquième année et augmenter le nombre des spécialités en souffrance.

    L’organisation générale de la santé

    Les multiples agences de santé :

    • Groupements hospitaliers de territoire,
    • Agences régionales de santé,
    • Communautés profesionnelles territoriales de santé,
    • Permanences de soins,
    • Groupes hospitaliers universitaires.

    Elles ont multiplié les postes administratifs et le nombre de médecins qui y participent.

    Les 1440 agences de l’État emploient près de 450 000 personnes et coûtent chaque année plus de 50 milliards d’euros. On ne sait pas combien coûtent celles dédiées à la santé ni combien de salariés elles occupent. Elles ont pris tous les pouvoirs.

    Ces agences vont à l’encontre du but qui devrait être recherché : la sécurité.

    Elles n’ont pas de stratégie, analysent et publient des rapports sans que des décisions soient prises. Où est l’État stratège qui pilote à vue sans tactique et sans vision avec cette gouvernance ?

    Cette situation est parfaitement décrite dans Blouses Blanches . Plusieurs scandales ont démontré leurs échecs, les derniers étant celui des tests, des masques, du refus par la Haute autorité de santé de réintégrer les soignants non-vaccinés .

    Les personnels suspendus ne reviendront pas. La plupart ont trouvé une autre orientation ou sont partis dans des pays voisins plus attractifs et moins regardants. Leur retour serait un bon signal mais ne réglera pas une pénurie devenue chronique. La délégation de tâches, les assistants médicaux, le numerus clausus, l’allongement de l’internat n’encouragent pas les soignants.

    À cela viennent s’ajouter des mesures qui augmentent les contraintes : le conventionnement sélectif ; le service d’accès au soins avec l’obligation pour les gardes ; le projet de loi de Stéphane Rist introduisant la responsabilité collective à l’intérieur du secteur ; la limitation des droits aux remplacements. Qui voudra encore être médecin demain avec la ré-accréditation tous les 5 ans ?

    Les métiers de soignants n’attirent plus, un tiers des écoles d’infirmières sont vides. En médecine, les contraintes, la durée des études, les salaires ou les honoraires trop faibles dissuadent les plus motivés. Les nouveaux médecins choisissent en masse le salariat, le temps partiel ou les spécialités sans gardes et sans urgences.

    Le Ségur et la loi « Ma Santé 2022 » n’ont rien réglé. Les mesures du PLFSS ne régleront rien car le mal est trop profond . Tout l’édifice est à reconstruire. Il faut donc repenser tout le système de soins.

    Les mesures pour sauver l’hôpital

    Les CHU n’ont pas évolué depuis leur création en 1958.

    Les actes chirurgicaux courants y sont en moyenne 40 % plus coûteux qu’en clinique. Le directoire, le conseil de surveillance, la commission médicale d’établissement et les pôles multiplient les postes administratifs, les dépenses non soignantes et le temps passé en réunions.

    Trop de médecins participent à ces structures et manquent pour suivre les malades. Les tableaux Excel, les référentiels, les codifications des actes (plus de 500 médecins s’attèlent à réviser les quelques 13 000 actes codés par la CCAM), les réunions et les transmissions amputent encore plus le temps consacré aux soins.

    Pas moins d’un tiers des postes d’agents adminisratifs pourrait être supprimé à l’hôpital, soit environ 100 000 postes. On rejoindrait ainsi l’Allemagne qui se contente de 22 % d’administratifs contre 34 % en France. La multiplication des tâches administratives représente un budget équivalent à 100 000 postes de soignants.

    Il faut en priorité mettre fin à l’empilement des strates administratives qui paralysent les soins.

    Les hôpitaux retrouveraient une organisation plus simple et davantage d’autonomie. Des accords complémentaires entre établissements seraient préférables à ces empilements administratifs qui bloquent les décisions et ruinent le système.

    Les salaires des soignants doivent être revalorisés. La durée d’une carrière à l’AP-HP pour une infirmière est de 5 ans en moyenne, beaucoup démissionnent au-delà de cette période.

    Les praticiens hospitaliers ne peuvent plus assurer la triple tâche soins-enseignement-recherches avec les obligations administratives. Beaucoup envisagent de démissionner. En région parisienne leurs salaires ne leur permet pas de se loger. Il faut leur donner un accès prioritaire aux logements sociaux.

    Prescriptions

    Ordonnance 1

    Sélectionner les étudiants sur l’élitisme
    Augmenter leur nombre

    Ordonnance 2

    Sortir du système Licence Master Doctorat
    flécher les spécialités au début du deuxième cycle

    Ordonnance 3

    Supprimer les agences et les administrations en surnombre
    Reconvertir un tiers de leurs salariés

    Ordonnance 4

    Libérer les soignants de l’administration

    Ordonnance 5

    Sortir le salaire des soignants de la grille des fonctionnaires

    Ces ordonnances devront être complétées par d’autres décisions attribuant davantage de libertés aux acteurs de la santé.