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      1848 : UNE RÉVOLUTION SOCIALISTE AU SERVICE DES TRAVAILLEURS ?

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Tuesday, 11 April, 2023 - 20:39

    Pour l’anniversaire de la révolution du 25 février 1848, dans laquelle la France s’embrase à nouveau dans un élan romantique et social et proclame à nouveau la République, Le Vent Se Lève organisait une journée de conférences en partenariat avec la Fédération Francophone de Débat. Dans la loi du 25 février 1848, on peut lire les mots suivants : « Le gouvernement provisoire de la République française s’engage à garantir l’existence de l’ouvrier par le travail. Il s’engage à garantir du travail à tous les citoyens. Il reconnaît que les ouvriers doivent s’associer entre eux pour jouir du bénéfice de leur travail. Le gouvernement provisoire rend aux ouvriers, auxquels il appartient, le million qui va échoir à la liste civile. ». Le droit du travail, proclamé avec fracas, n’a pas tardé à diviser le mouvement socialiste naissant et la bourgeoisie libérale, qui avaient mené ensemble la révolution de 1848. La dernière conférence est dédiée à cet enjeu. Redécouvrez ici cette discussion entre Hugo Rousselle Nerini, Christos Andrianopoulos et Frédéric Thibault.

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      Georges Sérignac : « Le projet républicain est né sous la Révolution française »

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Wednesday, 30 November, 2022 - 19:37 · 11 minutes

    Georges Sérignac est grand maître du Grand Orient de France, une des principales organisations maçonniques de France. Nous avons souhaité échanger avec lui afin de revenir sur la spécificité maçonnique française : ses liens avec la République, comme avec le processus révolutionnaire. Nous l’interrogeons aussi ici sur la place du travail et de l’écologie dans les réflexions du Grand Orient, ainsi que sur la signification de l’anti-maçonnisme toujours en vogue dans les organisations d’extrême droite.

    LVSL – Commençons par un petit point historique sur la franc-maçonnerie française. Y a-t-il selon vous une spécificité française de la maçonnerie ?

    Georges Sérignac – Historiquement, oui. Au début du XVIIIᵉ siècle, quand la franc-maçonnerie des premières loges françaises commence à travailler, elle coexiste avec une franc-maçonnerie anglo-saxonne déjà en place depuis une dizaine d’années. C’est la même maçonnerie, ce sont les mêmes rituels et les mêmes méthodes.

    Au bout de quelques années, la franc-maçonnerie anglo-saxonne cherche à se remettre en question, à travers une querelle des « Anciens » et des « Modernes ». Les « Anciens » se considèrent comme détenteurs de la véritable tradition maçonnique et reviennent sur certaines pratiques usuelles de la maçonnerie anglaise de l’époque. Ils vont absorber la maçonnerie anglo-saxonne. Ainsi, la maçonnerie devient une institution qui se consacre aux rituels, à la solidarité et à la convivialité. Ce sont ces marques de fabrique. Ces éléments sont communs à la maçonnerie française.

    Mais la franc-maçonnerie française ajoute un nouvel élément : la liberté absolue de conscience. Elle attend la fin du XIXᵉ siècle pour l’intégrer réellement dans ses statuts et abroger l’obligation de croyance – ce qui constitue la summa divisio entre la franc-maçonnerie anglo-saxonne et la nôtre. Dans la tradition maçonnique anglo-saxonne, l’obligation de croyance en Dieu est centrale, tandis que dans la tradition française, c’est la liberté absolue de conscience. On peut croire ou ne pas croire, pratiquer ou ne pas pratiquer. Est religieux qui veut, est athée qui le souhaite. Cette division est fondamentale, et c’est à partir de cette évolution que la maçonnerie anglo-saxonne ne reconnaît plus son homologue française.

    En 1877, année de cette mutation, l’engagement dans la cité devient un élément de plus en plus débattu au sein du Grand Orient de France – ce qui est tout à fait cohérent.

    L’histoire est émaillée d’épisodes où l’on interdit la franc-maçonnerie et emprisonne les franc-maçons. Ainsi, les franc-maçons se replient sur eux-mêmes dès le début du XVIIIᵉ siècle. C’est cette confidentialité contrainte et forcée qui génère tous les fantasmes.

    Au moment de la Commune, les archives des loges montrent des débats à son sujet, ce qui les distinguent des loges anglo-saxonnes, où l’on ne parle pas de politique, comme l’indiquent les règlements. Au sein de la maçonnerie française, la politique fait partie des sujets qui ne sont pas tabous – ce qui montre à quel point la liberté absolue de conscience est centrale chez nous.

    LVSL – Quel a été l’apport de la maçonnerie française à l’édification de la République ?

    Georges Sérignac – Il y a toujours eu, au sein du Grand Orient de France, du fait de cette liberté absolue de conscience qui dépasse l’aspect religieux, une grande liberté de pensée. Le fait d’avoir des opinions, même différentes, mais liées par des valeurs communes, humanistes, était un pilier fondamental de la maçonnerie française.

    Ainsi, dans la construction de la République qui commence avant la Révolution, les loges sont centrales. Il faut se remémorer qu’il y a trois siècles, il n’existait pas de loi permettant les associations : elles deviennent des lieux de prédilection pour des réunions – des lieux qui ne sont pas des salons mondains. Des lieux où l’on peut parler de questions politiques. Cette construction républicaine, longue de plusieurs siècles est donc indissociable de la maçonnerie. Pierre par pierre, elle a contribué à bâtir l’édifice.

    On s’en rend compte à la lecture des travaux des loges : les franc-maçons sont souvent des citoyens engagés. Être franc-maçon implique de s’intéresser à la vie de la cité, et parfois d’avoir d’autres engagements. D’où l’influence acquise par la maçonnerie, qui a été exagérée et fantasmée par le mouvement anti-maçonnique. La réalité est bien plus simple : ce sont simplement des citoyens engagés qui se retrouvent pour parler de leurs convictions.

    LVSL – Comment percevez-vous les théories conspirationnistes au sujet de la maçonnerie française ? D’un côté, la proximité de certaines d’entre elles avec les écrits d’un Édouard Drumont est frappante. De l’autre, ne peut-on pas interpréter ce rejet à l’égard d’une institution perçue comme influente et élitaire comme un réflexe de défiance vis-à-vis des intermédiaires entre le peuple et ses représentants – donc comme un réflexe républicain, hérité de la Révolution française ?

    Georges Sérignac – Il y a deux aspects distincts dans votre question. La première, concerne le complotisme . Il faut déconstruire cette notion avec beaucoup d’attention. Il existe des manœuvres effectuées par des personnalités engagées dans le monde politique ou dans le monde économique, qui établissent des stratégies pour parvenir à certains desseins – mais ça, ce n’est pas le complot . Le complot des théories du complot, implique qu’il y ait des alliances que l’on ne comprend pas, que l’on ne connaît pas, qui travaillent en secret pour le malheur du monde et pour les intérêts d’une minorité. C’est une manière de donner des réponses simplistes à des problèmes complexes. Toutes les formations politiques, depuis que le monde est monde, travaillent pour accéder au pouvoir – le Prince de Machiavel le fait, et n’est ni régi par le bien, ni régi par le mal.

    Mais alors, pourquoi les francs-maçons sont-ils l’objet de tant de théories du complot ? Je pense que cela s’explique très bien historiquement : malheureusement, nous avons perdu la bataille de l’image. Il y a trois siècles, lorsque la franc-maçonnerie française commence à exister, elle gêne les pouvoirs, elle gêne le pouvoir royal par ses réunions, ainsi que le pouvoir catholique romain. Raison pour laquelle, au passage, la franc-maçonnerie anglo-saxonne n’est pas touchée par cela, parce qu’elle est en dehors de ces enjeux politiques. Raison pour laquelle, en France, on a cherché à interdire la franc-maçonnerie.

    Bien sûr, l’histoire n’est pas linéaire ni manichéenne – des proches de Louis XV ont été franc-maçons. L’histoire est émaillée d’épisodes où l’on interdit la franc-maçonnerie et emprisonne les franc-maçons. Ainsi, les franc-maçons se replient sur eux-mêmes dès le début du XVIIIᵉ siècle. C’est cette confidentialité contrainte et forcée qui génère tous les fantasmes. Le secret auquel sont tenus les maçons ne leur est pas propre. Quand on prête serment pour un grand corps d’État, après tout, on jure de conserver le secret des délibérations. Cela n’a donc rien de spécifiquement maçonnique.

    Je n’aime pas le concept de redistribution des richesses : en République, on les partage, on ne les redistribue pas. La République est la chose commune, et l’aspect social est par nature fondamental à la chose commune.

    De nombreux fantasmes existent également à propos des rituels. Ceux-ci ne sont aucunement cachés : de nombreux livres, disponibles dans toutes les bibliothèques, les détaillent. N’importe qui peut consulter l’ensemble des archives maçonniques.

    LVSL – De nombreuses polémiques ont gagné les médias, ces derniers temps, sur le rôle du travail dans la société, en particulier au regard de son rapport à l’assistance et à l’émancipation. Quel regard portez-vous sur ces débats ?

    Georges Sérignac -Je commencerai en rappelant que nous travaillons sur le revenu universel, depuis maintenant deux décennies. La question qui se pose est la suivante : le travail est-il nécessaire dans notre société ou ne l’est-il pas ? Est-ce qu’aujourd’hui, dans une société aussi riche, qui va sans doute devenir plus abondante encore, le travail se justifie encore ? Deux positions coexistent au sein de notre ordre. Certains estiment qu’il est absolument essentiel de conserver le travail comme institution, et refusent pour cette raison l’idée de revenu universel. À la place, ils lui préfèrent les aides sociales. D’autres, au contraire, estiment que l’on se dirige vers une société sans travail et que le revenu universel s’impose. Chez les partisans de l’une ou de l’autre vision, qui sont diamétralement opposées, on trouve à la fois des sensibilités très à gauche et très à droite : cette question ne recoupe donc pas le clivage gauche-droite.

    Ceci étant dit, je ne peux pas rapporter la position du Grand Orient sur ce sujet-là, puisqu’une pluralité d’opinions coexistent. Nous sommes dans tous les cas convaincus que le travail est émancipateur. Nous plaçons toujours l’humain au centre de notre réflexion. Il a certains besoins biologiques – il faut qu’il mange, qu’il dorme, qu’il ait un toit -, mais la vie des relations est absolument essentielle. Nous sommes un animal social et un animal politique.

    Spinoza parlait de l’éternité des rapports. Ces rapports, c’est quelque chose qui nous dépasse tous et qui est beaucoup plus important. Cette conversation est beaucoup plus importante que ce que nous sommes. Ainsi, la reconnaissance constitue une dimension majeure de la vie. Une dimension de la vie qu’ignorent ceux qui pensent promeuvent ce qu’Alain Supiot nomme la gouvernance par les nombres .

    Par conséquent, dans la société actuelle, avoir un emploi, travailler, assurer une fonction dans la société constituent à l’évidence des besoins essentiels. J’ai été stupéfait d’entendre que le travail était une valeur de droite ! Cela n’escamote pas pour autant la nécessaire réflexion sur le temps de travail. Nous pensons que les progrès formidables de la société pourraient être orientés ailleurs que vers une financiarisation à tout va ou la toute-puissance productiviste actuelle. On peut imaginer que l’on parvienne à une réduction du temps de travail, afin que les travailleurs puissent davantage s’épanouir – autre mot très important. Il n’y a pas d’émancipation sans épanouissement. Le travail peut permettre de s’épanouir, et une société qui avancerait aujourd’hui, au XXIᵉ siècle, est une société qui donnerait aux travailleurs la juste rétribution de leur travail. Nous vivons un grand moment d’accélération, et nous espérons que la maçonnerie pourra contribuer à une réflexion apaisée pour conduire la société sur la voie d’un épanouissement croissant.

    LVSL – La République est parfois mot-valise. Sur la question du travail, plusieurs traditions coexistent : une tradition très libérale, une autre socialiste, empreinte de marxisme. Pour vous, la République est-elle par essence sociale, indissociable d’une volonté de redistribuer les richesses ?

    Georges Sérignac – C’est une évidence. Il faut garder à l’esprit que le projet républicain est né sous la Révolution française. Partant, l’idée républicaine est évidemment laïque, démocratique et sociale.

    Je n’aime pas le concept de redistribution des richesses : en République, on les partage, on ne les redistribue pas. La République est la chose commune, et l’aspect social est par nature fondamental à la chose commune.

    LVSL – Quels rapports entretient la maçonnerie avec l’écologie ? De multiples débats traversent le courant écologiste concernant son rapport à la rationalité – certains accusent les Lumière d’être responsables du changement climatique, d’autres y voient au contraire une ressource pour lutter contre l’obscurantisme que constitue le négationnisme climatique.

    Georges Sérignac -Notre obédience s’est emparée de cette question, nous avons une commission nationale qui est très active à ce sujet.

    Est-ce qu’être écologiste implique de faire le procès de la rationalité moderne ? Il existe bien sûr une minorité qui estime que l’homme est néfaste, et que les Lumières, qui lui ont révélé sa toute-puissance, sont néfastes pour cette raison. Je pense qu’il s’agit d’une fraction sans intérêt ni représentativité de la pensée écologiste. La matrice de l’écologie, c’est la volonté d’en revenir à une forme de mesure, et de critiquer l’ivresse productiviste qui caractérise nos sociétés contemporaines. Je souhaite penser l’écologie comme défense des grands équilibres, ce qui est en concordance parfaite avec les idées des Lumières, et ne se situe en rien en opposition avec la rationalité, quelle qu’elle soit.

    C’est même l’inverse. On présente souvent les écologistes comme des extrémistes : c’est un contresens absolu, car ils défendent les grands équilibres qui permettent la sauvegarde de la vie humaine ! De la même manière, on a cherché à caricaturer le concept de décroissance – le retour à la bougie , etc -, alors qu’il ne s’agit que de réinjecter une forme de mesure dans le système productif.

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      De Clovis à nos jours, le long combat de la laïcité

      The Conversation · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 21 October, 2020 - 03:00 · 9 minutes

    Par Alain Bauer.
    Un article de The Conversation

    Dans un ouvrage déjà ancien ( Les terroristes disent toujours ce qu’ils vont faire ), nous démontrions qu’il est très rare de se trouver confrontés à une « surprise » en matière de terrorisme.

    La révolution stratégique provoquée par l’apparition de l’État islamique a conforté et amplifié cette analyse, alors que l’organisation proclame régulièrement sur de nombreux supports médiatiques cibles et moyens à utiliser pour les atteindre…

    Un peu partout dans le monde, les enseignants sont victimes de mises en cause physiques ou morales.

    Il est toujours très difficile de parler de Darwin et des théories de l’évolution aux États-Unis. Il est presque impossible de sortir d’une école coranique dans de nombreuses régions du Pakistan. Et on assassine les enseignants ou les élèves, notamment les jeunes filles, qui osent enseigner ou venir à l’école en Afghanistan.

    Au Nigeria ou au nord Cameroun, l’organisation Boko Haram, qui s’appelle en réalité Book Haram (les livres sont impurs), se donne pour mission fondatrice de lutter contre l’école publique sécularisée.

    En fait, le combat laïque n’a jamais été aisé. Celles et ceux qui revivent aujourd’hui la lente transition française vers la liberté de conscience en ont hélas une faible mémoire historique.

    Le rôle de l’Église catholique

    Depuis le baptême de Clovis en 498, la culture du pouvoir en France improprement appelée gallicane – elle est franque en réalité car rattachée aux peuplades germaniques (les Francs) qui conquirent la Gaule aux Ve et VIe siècles – explique sans doute un irrédentisme national qui portait moins sur la nature de la foi que sur son expression politique.

    Ce compromis entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel va être renforcé par l’éclatement de l’Empire de Charlemagne et le maintien d’une seule colonne vertébrale pour la société féodale : l’Église catholique.

    Cette dernière devient une très importante opératrice des services publics locaux. Elle investit, ordonne, spécule, exploite. La monarchie en prendra ombrage et Philippe Le Bel y mettra bon ordre en installant le Pape à Avignon en 1309. La religion reste d’État, la France devient la fille aînée de l’Église. Elle a laissé détruire les Cathares, autant par détestation religieuse que pour contraindre le Comté de Toulouse. Mais tout est sous contrôle.

    Les 95 thèses martelées sur les portes de l’église de la Toussant à Wittenberg par Martin Luther en 1517 ouvrirent la porte à un schisme, la progression rapide du protestantisme, et un « génocide » oublié, la Saint-Barthélemy, le 24 août 1572. L’un des survivants de ce massacre, Henri IV, proclamera l’Édit de Nantes en 1598. Et pour le malheur du pays et le bonheur de ses voisins, il fut révoqué par un Louis XIV au soleil pâlissant, en 1685.

    Séparation de l’Église et de l’État

    La Révolution française imposera la première rupture avec l’Église catholique, en inscrivant dans la Déclaration des droits de l’Homme du 26 août 1789 : « Nul homme ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses… » . On notera le même arraché de haute lutte tant la rancœur contre le haut clergé était forte. Depuis les grandes jacqueries de 1348, on brûlait des châteaux, mais aussi beaucoup de presbytères et quelques autres résidences ecclésiastiques…

    L’Église est « nationalisée » à la fois dans ses biens mais aussi dans sa structure et sa culture. Blasphème, sorcellerie, hérésie, disparaissent du Code pénal. L’État civil, créé en 1539 par François I er , mais administré par le clergé, est civilisé. Le 21 février 1795, la première séparation de l’Église et de l’État est proclamée.

    La Convention nationale , après avoir entendu le rapport de ses comités de salut public, de sûreté générale et de législation, réunis, décrète notamment que « conformément à l’article VII de la Déclaration des droits de l’Homme, et à l’article CXXII de la Constitution, l’exercice d’aucun culte ne peut être troublé. II. La République n’en salarie aucun. III. Elle ne fournit aucun local, ni pour l’exercice du culte, ni pour le logement des ministres. IV. Les cérémonies de tout culte sont interdites hors de l’enceinte choisie pour leur exercice ».

    Le texte précise également que « tout rassemblement de citoyens pour l’exercice d’un culte quelconque est soumis à la surveillance des autorités constituées » et qu’ « aucun signe particulier à un culte ne peut être placé dans un lieu public, ni extérieurement, de quelque manière que ce soit ».

    Toute la loi de 1905 est déjà là.

    Laïcisation heurtée

    Bonaparte devenu Napoléon rétablira le dialogue avec l’Église de Rome en signant un Concordat en 1801 avec le pape. L’Église catholique n’est plus que l’ « Église de la grande majorité des Français ». Les prêtres sont salariés par l’État et soumis aux autorités françaises.

    La religion devient un service public qui s’étend au protestantisme puis au judaïsme. La Restauration (1814-1848) rétablira pour un temps le catholicisme comme religion de l’État. En 1850, la loi Falloux donne à l’Église un droit de direction dans les écoles primaires.

    Mais les républicains, les radicaux et les laïques attendent leur heure. La défaite de l’Empire en 1871 et la proclamation de la République en 1877 permettra une laïcisation heurtée grâce à l’action de Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique.

    Entre 1881 et 1886, l’école publique devient gratuite, l’instruction devient obligatoire de 6 à 13 ans, l’Église en est sortie. Les lycées et les collèges s’ouvrent aux jeunes filles, le personnel enseignant est laïcisé et l’enseignement religieux exclu des heures de cours. De plus, l’enseignement de la morale civique devient obligatoire.

    La loi de 1905

    C’est une laïcité dynamique et combattante qui s’affirme et par effet mécanique de conflit. Les relations diplomatiques sont rompues avec la Cité du Vatican en 1904.

    En 1905, malgré la pugnacité des radicaux, c’est une loi de compromis et de liberté d’exercice des cultes qui sera adoptée sous l’impulsion de Jean Jaurès dont la formule « La France n’est pas schismatique, elle doit être révolutionnaire » marquera la défaite des radicaux les plus déterminés et la victoire d’ Aristide Briand et de Ferdinand Buisson, les pacificateurs.

    On y trouvera notamment, pour celles et ceux qui commentent souvent ce texte sans l’avoir bien lu, un titre particulièrement précis sur la nature exacte de cette loi qui est moins un texte de séparation que de libre exercice sous contrôle.

    Dans le titre V, sous l’intitulé « Police des cultes », il est notamment précisé que « les réunions pour la célébration d’un culte… restent placées sous la surveillance des autorités dans l’intérêt de l’ordre public » et que « si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile ».

    Voici ce qu’est donc cette laïcité sans adjectif, dont les défenseurs sont des laïques et qui est devenue un principe constitutionnel en 1958 dans l’article 1 er de la Constitution et en 2013 seulement quand le Conseil constitutionnel donnera à certaines dispositions de la loi de 1905 une « valeur constitutionnelle » .

    La question de l’Islam

    La question juive ou musulmane a fait l’objet d’évolutions controversées, parfois heureuses (émancipation sous la Révolution, grand sanhédrin sous Napoléon mais honteux statut sous la collaboration pour les israélites, indigénat et exploitation).

    Mais un accord unanime fut trouvé pour créer la société des Habous et Lieux saints de l’Islam (dite Grande Mosquée de Paris) en 1921 avec subvention publique et souscription nationale sous la conduite du Maréchal Lyautey afin de rendre hommage aux « soldats musulmans morts pour la France ».

    Les laïques de 1905, qui insistent sur la « rupture » avec les Églises font cependant un effort, au nom du sang versé, et grâce à Lyautey (qui lui-même souhaitait établir un Califat pro-français ) et aident à la création d’un Islam de France et pas seulement en France .

    La décolonisation poussera à une sous-traitance de l’Islam vers les nouveaux États devenus indépendants dans une « communauté » qui perdra peu à peu de sa réalité.

    Se mobiliser pour la laïcité

    Mais cette laïcité est-elle aussi neutre qu’on l’affirme haut et fort ? Peut-elle être plurielle ? Peut-elle résister aux assauts intégristes, communautaristes, djihadistes ?

    Toute son histoire prouve que la laïcité n’est pas un autre culte. Qu’elle n’est pas une excuse à l’ignorance. Qu’elle impose le respect des croyants et des non croyants. Qu’elle n’est pas l’ennemie de la foi ou de la spiritualité. Les Républicains atypiques du XIXe siècle l’avaient bien démontré. Et on oublie souvent que la Déclaration des Droits de l’Homme est placée « sous les auspices de l’Être Suprême ».

    En 2002, le rapport de Régis Debray expliquait déjà les risques, pressions et dangers qui menaçaient l’école publique, les valeurs républicaines et la société du vivre ensemble, qui semble devenir celle du côte à côte et du face à face.

    Cette laïcité mérite une mobilisation, un rassemblement et une action. Plus de neutralité molle. Une dynamique. De Chrétiens, de Juifs, de Musulmans, de Boudhistes, d’Orthodoxes, d’Agnostiques, d’Athées. De Laïques, de Républicain·e·s, de Citoyen·e·s.

    Il est plus que temps.

    Alain Bauer , Professeur de criminologie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

    Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’ article original .

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