• chevron_right

      Robespierre et Danton : revisiter le destin tragique des géants de la Révolution

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Monday, 10 April, 2023 - 12:22 · 14 minutes

    « Mon cher Danton, si dans les seuls malheurs qui puissent ébranler une âme telle que la tienne, la certitude d’avoir un ami tendre et dévoué peut t’offrir quelque consolation, je te la présente. Je t’aime plus que jamais et jusqu’à la mort ». L’auteur de ces mots n’est autre que Robespierre. En février 1793, il offre à Danton son épaule amicale après le décès de sa première épouse. Il poursuit : « Faisons bientôt ressentir les effets de notre douleur profonde aux tyrans qui sont les auteurs de nos malheurs publics et de nos malheurs privés ». Un an plus tard, Danton allait finir à l’échafaud après une lutte intense contre les robespierristes. Cette unique lettre connue de Robespierre à Danton a été acquise le week-end du 12 mars dernier par un collectionneur privé 1 . L’État n’a pas choisi de la préempter, comme l’ont déploré plusieurs historiens et personnalités publiques 2 . Depuis la Révolution, la relation entre ces deux protagonistes fascine. Mais au-delà de son caractère romanesque, qu’a-t-elle à nous dire des dilemmes de la Révolution ? La biographie croisée Danton-Robespierre : le choc de la Révolution écrite par Loris Chavanette (Passés composés, 2021) est l’occasion de s’y replonger.

    « Que s’est-il passé entre toi et moi ? Nous qui avions souhaité les mêmes choses…

    – Nous n’avons jamais souhaité les mêmes choses vous et moi ».

    Ce dialogue, tiré du film La Révolution française (Robert Enrico et Richard Heffron), imagine ce qu’ont pu être les derniers mots échangés entre Danton et Robespierre à l’aube de la bataille décisive qui allait emporter le premier. Conformément à la légende noire, c’est Robespierre qui tient le rôle sinistre. C’est lui qui clôture cette ultime entrevue par une phrase lapidaire, un vouvoiement qui dit toute la distance froide qu’il place entre Danton et lui, une menace tranchante comme le couperet de la guillotine qu’il prépare pour son adversaire.

    Cette lecture classique des évènements de l’an II (1793-1794) est certes renouvelée mais pas vraiment modifiée par la nouvelle étude publiée par Loris Chavanette. D’ailleurs, ce dernier tombe d’accord avec Robespierre pour expliquer que Danton et lui ne « nourrissaient pas totalement les mêmes idées » (p. 263). Pour expliquer ces divergences, Chavanette renoue avec la méthode de l’historien romain Plutarque en proposant la biographie des deux vies parallèles de Danton et Robespierre. Deux parcours qui ne se croisent que par intermittences mais qui paraissent toujours rester dans l’ombre l’un de l’autre jusqu’au dénouement tragique.

    L’ouvrage de Chavanette met en scène ces destins romancés en faisant la part belle aux mythes qui jalonnent les biographies des deux personnages. Ainsi, il raconte les manières différentes dont les deux futurs députés ont vécu le sacre de Louis XVI, le 11 juin 1775 alors qu’ils étaient encore adolescents. D’un côté, il met en scène la fugue de Danton qui quitta sa pension à Troyes pour assister à la cérémonie dans la cathédrale de Reims.

    De l’autre, il reprend la légende d’un Robespierre, jeune élève de Louis-le-Grand qui aurait prononcé l’éloge destiné au roi lors du passage en calèche sur la route du sacre. Bien qu’il joue avec cette mythologie, l’auteur considère que les légendes qui entourent Robespierre et Danton ont, sinon un fond de vérité, en tout cas une origine et une diffusion qui dit quelque chose de ce qu’ils furent aux yeux de leurs contemporains.

    Une opposition romanesque

    Plus largement, Loris Chavanette se livre à un exercice original : celui de la constitution d’une biographie totale. Une étude qui, sans se prétendre exhaustive, aspire à embrasser du regard toutes les dimensions des personnages. Leur enfance, leur éducation et le début de leurs deux carrières d’avocats sont largement prises en compte pour peindre le tableau de leur genèse. La biographie évite ainsi l’écueil qui consisterait à faire naître Danton et Robespierre en 1789.

    Elle livre une analyse méticuleuse de ce que furent leurs vies avant la Révolution. L’intérêt porté à la différence d’éducation entre la pédagogie avant-gardiste dont a bénéficié Danton et l’austère bachotage dans lequel Robespierre fut plongé paraît assez pertinent pour expliquer leurs divergences intellectuelles. L’ouvrage s’intéresse aussi aux vies privées que mènent les deux jeunes magistrats, à Arras pour Robespierre et déjà à Paris pour Danton. Il montre comment ce dernier joue un coup d’avance en se constituant un réseau dans la capitale avant que la révolution n’éclate.

    En ce sens, cette étude tranche avec les plus récentes biographies consacrées à l’Incorruptible. Un chapitre entier sur les douze est dédié au « corps, ce miroir ». Il contient beaucoup de développements autour de l’apparence physique des personnages ou plutôt autour de leurs représentations dans la peinture et la littérature. Le but étant de comprendre comment ces deux figures ont marqué physiquement leurs contemporains. L’auteur examine d’abord Danton. Il explique que sa voix de stentor, sa face de bouledogue et sa « présence physique colossale » 3 ont été autant d’atouts qui lui ont permis d’incarner la révolution plébéienne.

    Prenant le contre-pied de l’historiographie récente, Chavanette restitue un caractère exceptionnel à la répression politique de l’an II. Il redonne à la Terreur la majuscule qu’elle avait perdue avec les travaux de Jean-Clément Martin

    À côté d’un tel volcan, Robespierre fait pâle figure. Son visage paraît insipide tandis que ses yeux « très voilés » posent un regard « vague et flottant » (Lamartine) 4 continuellement troublé par un clignement désagréable des paupières. Rien donc qui ne soit en mesure de retenir quelque attention. En fait, cette description de Robespierre souligne l’absence d’un corps physique dans cet « homme-idée » tout en abstraction 5 . Par contraste, elle met en évidence l’ascendant physique que Danton a pris sur ses rivaux. Un ascendant qui lui permet de devenir le héros du peuple des faubourgs – le « ventre de Paris » (Victor Hugo) – dès les premières semaines de la Révolution.

    De plus, l’implication physique et directe de Danton dans les évènements révolutionnaires est soulignée par opposition à l’empreinte théorique et discursive imprimée par Robespierre. L’action personnelle de Danton dans la journée du 10 août 1792 – qui marque le renversement de la monarchie en France – est particulièrement mise en valeur. L’auteur détaille les multiples efforts du député pour coordonner l’insurrection jusqu’à la prise du palais des Tuileries.

    Clairement, Danton apparaît comme le soldat de la guerre extérieure et Robespierre comme le prêtre de la régénération intérieure. Le sabre et le goupillon de la Révolution. Cette analyse fait écho au dialogue imaginé par Victor Hugo dans Quatre-Vingt-Treize. À la question de savoir où se trouve l’ennemi de la Révolution, Danton s’y exclame : « Il est dehors et je l’ai chassé » ; et Robespierre de répondre : « Il est dedans et je le surveille ».

    De ce point de vue, l’étude de Chavanette vient replacer Danton et Robespierre au sommet de la Montagne. Elle démontre que si le couloir de la Révolution était trop étroit pour deux héros, ce n’est que lorsque la tête et le corps de celle-ci ont marché ensemble qu’ils ont balayé l’ancien monde. La complémentarité des deux Jacobins est démontrée tandis que leur différence de tempérament est constamment mise en exergue. Néanmoins, cette opposition physique et psychologique entre « deux types humains radicalement opposés » 6 , si elle est largement étayée, paraît exagérée à certains endroits. Surtout, son omniprésence dans le livre conduit à minorer des divergences plus significatives : l’opposition philosophique et politique des deux députés de Paris.

    La Terreur et l’Être suprême : quand les frictions apparaissent

    Par ailleurs, l’auteur présente une opposition philosophique irréconciliable entre Danton et Robespierre. Notamment dans leur rapport divergent à la religion. Cet enjeu métaphysique commence par unir les deux députés avant de les diviser. Pour l’auteur, leur opposition commune à la déchristianisation menée par les sans-culottes doit ainsi être retenue comme l’élément décisif expliquant leur ultime rapprochement à la fin de l’hiver 1793-1794.

    Mais alors que Danton agit ainsi pour renouer avec l’ancienne religion, l’hostilité de Robespierre envers l’activisme sans-culotte obéit à une autre motivation. Il s’agirait pour lui de n’inaugurer rien de moins qu’un nouveau culte. Son ambition serait de fusionner « la régénération des hommes à la volonté divine ». Robespierre est un croyant fervent dans l’immortalité de l’âme et son Dieu, l’Être Suprême, est le Dieu vengeur qui libère « les humbles et les affligés » 7 . Loris Chavanette assimile le nouveau culte de la raison à une vérité religieuse comparable à la croyance catholique. Cette thèse est cependant nuancée par d’autres auteurs comme Marcel Gauchet qui le considère plutôt comme une religion civile destinée à favoriser la communion des citoyens par-delà leurs différences spirituelles 8 .

    L’auteur exploite aussi la question théologique pour établir un parallèle entre la terreur religieuse de l’Ancien Régime et la terreur politique de la jeune République. Prenant le contre-pied de l’historiographie récente, Chavanette restitue un caractère exceptionnel à la répression politique de l’an II. Il redonne à la Terreur la majuscule qu’elle avait perdue avec les travaux de Jean-Clément Martin 9 et d’Annie Jourdan 10 . L’auteur dresse un réquisitoire contre la politique robespierriste 11 . Pour cela, il n’hésite pas à piocher dans l’argumentaire conçu par ceux-là même qui ont participé à la chute de l’Incorruptible avec notamment l’affaire Théot 12 . Plus généralement, l’auteur occulte les éléments pouvant contrebalancer la violence politique de l’Incorruptible.

    Ainsi, il accuse ce dernier d’avoir voulu envoyer les Girondins au tombeau 13 alors qu’il protégea plusieurs dizaines de leurs députés lors des journées révolutionnaires des 31 mai et 2 juin 1793. Il n’insiste pas sur la condamnation de « l’exagération » des « ultra-révolutionnaires » que Robespierre renouvelle à de nombreuses reprises 14 . Il ne note pas non plus que ce dernier s’oppose aux représentants en mission les plus violents comme Carrier à Nantes ou Fouché à Lyon. Il obtient pourtant le rappel de ces proconsuls dans le but d’arrêter « l’effusion du sang humain, versé par le crime » 15 .

    Danton comme Robespierre ont été deux Jacobins et deux montagnards. C’est-à-dire des des républicains « avancés » prônant des idées sociales considérées comme radicales par leur époque.

    Rien de tout cela n’est réellement pris en compte par l’auteur qui renouvelle – en l’étayant – l’image d’Épinal attribuant une chaleureuse humanité à Danton et une froideur totalitaire à Robespierre. Loris Chavanette rappelle pourtant que Danton a d’abord été à la pointe de la « surenchère » révolutionnaire. Et ce, depuis les premières insurrections jusqu’aux massacres de Septembre 16 . Mais il excuse la violence dantoniste car elle serait le produit d’un contexte, une « violence révolutionnaire voulue par les circonstances » quand Robespierre défendrait une violence « érigée en système d’éradication des impurs » 17 . Un contexte qu’il refuse par contre d’expliquer lorsqu’il s’agit de Robespierre.

    La politique : l’absente relative de l’analyse

    L’étude néglige ainsi largement le rôle et l’influence des révolutionnaires les plus radicaux, « l’opposition de gauche », aux Jacobins dans le cours des évènements. C’est la principale limite de la simple dualité Danton-Robespierre pour analyser la Révolution. Victor Hugo avait en plus convoqué Marat pour comprendre 1793. Il semble donc impossible de ne pas étudier davantage Hébert et ses Exagérés pour comprendre 1794. La Convention, même dominée par la Montagne, vit sous la menace permanente de ces radicaux, susceptibles de déclencher une insurrection sans-culotte.

    Les députés sont donc contraints d’afficher une fermeté politique s’ils ne veulent pas passer pour des traîtres et être ainsi renversés. C’est sous l’effet de cette tension que la Convention déploie une répression qui vise aussi à canaliser la violence plus grande encore des meneurs sans-culottes. Indiscutablement, Robespierre n’est pas le dernier à souscrire à cette violence. Danton qui a institué le tribunal révolutionnaire n’y renâcle pas particulièrement non plus.

    C’est donc peut-être qu’il aurait fallu chercher ailleurs que simplement dans leur rapport à la violence ce qui distingue les deux hommes. Notamment en se posant la question des fins politiques concrètes de Danton et Robespierre. Celles qui justifieraient, selon eux les moyens violents qu’ils ont soutenus. Cette question ne trouve qu’une réponse très partielle dans cette étude. L’auteur traite exclusivement de la politique sous l’angle de la violence répressive. Il n’en retire ainsi que les portraits d’un Danton indulgent et d’un Robespierre fanatique.

    De ce point de vue, cette biographie renoue avec ces deux images telles qu’elles ont été façonnées par la III e République et telles qu’elles ont majoritairement survécu. L’auteur avait vu dans la victoire de Robespierre sur Danton en avril 1794, la preuve que l’Incorruptible avait compris mieux que l’Indulgent la véritable nature de la Révolution. C’est-à-dire, son caractère de « guerre sociale » 18 . En refermant l’ouvrage, on ne peut que regretter que cet enjeu n’y ait finalement pas été davantage développé.

    À plusieurs reprises, l’auteur justifie la réalisation de son étude par un constat. Celui de l’intérêt toujours renouvelé pour les personnages de Robespierre et de Danton. Un intérêt qu’il explique de la façon suivante : pour lui, Robespierre serait plus que jamais actuel en raison de la demande croissante de « transparence » et de la « mode des dénonciations ». Face aux affaires de corruption et à l’opacité de la vie politique, la figure de Robespierre continuerait ainsi de catalyser une volonté citoyenne de reprendre le contrôle sur la technocratie.

    De son côté, le personnage de Danton camperait la résistance à cette abolition de la frontière entre la vie publique et les affaires privées. Là encore, cet enjeu soulevé par l’auteur et par son préfacier Emmanuel de Waresquiel nous paraît être pertinent. Pour autant, il ne nous semble pas être l’écho le plus important de la Révolution française parvenu jusqu’à nous. Danton comme Robespierre ont été deux Jacobins et deux montagnards. C’est-à-dire des révolutionnaires ardents et des républicains « avancés » prônant des idées sociales considérées comme radicales par leur époque.

    Tous les deux partageaient une haine de l’aristocratie à laquelle ils opposaient l’idée d’une République permettant aux citoyens d’accomplir leur destination. Il aurait été intéressant que cette étude nous expose les visions que ces deux révolutionnaires se faisaient de la propriété, de la répartition de celle-ci et des inégalités économiques. Dans notre moment de crise sociale aiguë, une telle analyse pourrait en tout cas ne pas être inutile.

    Notes :

    1 Loris Chavanette, « “Je t’aime plus que jamais et jusqu’à la mort” : la lettre de Robespierre à Danton raconte une part de l’histoire de France », Le FigaroVox , 10 mars 2023.

    2 Tribune collective, « La préservation de l’unique lettre de Robespierre à Danton est une cause nationale », Le Monde , 21 mars 2023

    3 Loris Chavanette op. cit. p.81

    4 Alphonse de Lamartine cité par Loris Chavanette op. cit. p.83

    5 Marcel Gacuhet, Robespierre : l’homme qui nous divise le plus , Paris, Gallimard, coll. « Ces hommes qui ont fait la France », 2018.

    6 Loris Chavanette, op. cit. p.423

    7 Loris Chavanette cite ici l’historien Jules Michelet. P.62

    8 Marcel Gauchet op. cit.

    9 Jean-Clément Martin, La Terreur : vérités et légende , Paris, Perrin, 2017, 240 p.

    10 Annie Jourdan, Nouvelle histoire de la Révolution , Paris, Flammarion, coll. « Au fil de l’histoire », 2018, 656 p.

    11 L’objectif de l’étude est ainsi de « démontrer le rôle central qu’a joué Robespierre […] dans la dérive répressive »

    12 Catherine Théot est une mystique française qui affirmait voir en Robespierre le précurseur du nouveau messie. Elle a été emprisonnée et utilisée pour ridiculiser le culte de l’Être Suprême et peindre Robespierre sous les traits d’un dictateur en puissance.

    13 « Il ne fait aucun doute [que Robespierre] rumine intérieurement un verdict de mort contre les Girondins », Loris Chavanette op. cit. (p.288)

    14 Marcel Gauchet op. cit.

    15 Loris Chavanette op. cit. p.402

    16 Début septembre 1792, face à l’imminence de l’invasion prussienne, la panique s’empare d’une foule révolutionnaire qui envahit les prisons et massacre ainsi plus d’un millier de contre-révolutionnaires mais aussi des prisonniers de droit commun. La responsabilité de certains discours révolutionnaires, comme ceux de Danton ont parfois été pointés du doigt pour expliquer l’ampleur de la violence populaire.

    17 Loris Chavanette p.394

    18 Loris Chavanette p.293

    • Co chevron_right

      Ce petit film réac qui met toute la gauchosphère en émoi

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 27 January, 2023 - 03:40 · 3 minutes

    Film pourtant destiné à rester confidentiel, Vaincre ou Mourir fait désormais le buzz grâce à ses détracteurs gauchistes affolés.

    L’alliance démoniaque entre les quasi-fascistes Vincent Bolloré et Philippe de Villiers, Puy du Fou Films et Canal+, a accouché d’une apologie de François de Charrette de La Contrie, général de l’armée catholique et royale, figure vendéenne de l’opposition à la Révolution française.

    Dans le sillage du parc de loisirs du Puy du Fou, le film semble être surtout un prétexte à grand spectacle avec un message idéologique assez clair, catholique et critique des dimensions criminelles et terroristes de l’idéologie révolutionnaire.

    On y parle de la résistance face à la levée en masse ou encore des menées criminelles des colonnes infernales , ainsi que de l’entreprise de destruction systématique de la Vendée, ce qui peut déplaire mais reste néanmoins vrai. Sur le plan artistique, ce n’est pas du Fellini ni même du Philippe de Broca, si on s’en tient aux critiques formulées contre le brûlot réac. Comme pour le Puy du Fou, le ressort essentiel du produit semble reposer sur une soupe identitaire qui plaira sans doute aux afficionados du vicomte de Villiers ou du scoutisme tradi, moins au reste de la population.

    C’est dommage, car il existe de très bons films de droite, mais comme d’habitude, ce sont les Américains qui nous dépassent assez largement dans le domaine. On pense par exemple à l’excellent Gods and Generals (2003) sur la guerre de Sécession, qui bien entendu ne trouverait aucun distributeur à l’ère des Netflix et autres Rings of Power .

    Merci la gauche pour la promo !

    Le film de chouans aurait sans doute fini noyé dans la médiocre production ordinaire française si certains commentateurs n’y avaient pas vu une atteinte intolérable à la vérité historique, un outil de propagande insidieux des intégristes catholiques et un signe des temps apocalyptique.

    Il est assez drôle de voir Libération , Mediapart ou Le Monde s’insurger contre les approximations ou biais historiques dudit film, eux qui à longueur de colonnes glorifient le moindre navet dès lors que celui-ci « va dans le bon sens », c’est-à-dire du progrès infini, du wokisme dominant ou du socialisme de centre-ville. Il suffit de voir comment Libé a encensé The Women King , monument de révisionnisme historique au nom de la cause des femmes et des minorités qui réussit le tour de force de présenter un État esclavagiste comme un exemple d’émancipation à suivre.

    Vaincre ou Mourir ne marquera pas l’histoire du cinéma mais agit comme le révélateur de la mentalité paranoïaque et obsidionale de la gauche médiatique. Un petit film de droite de qualité très moyenne suffit à convoquer tout le ban et l’arrière-ban de l’éditocratie pour le dézinguer : on y voit la main cachée de Bolloré, le grand complot zemmouro-lepéniste pour reconquérir les esprits et les cœurs, et on oublie que la production ordinaire est majoritairement à gauche.

    Le pluralisme politique, la diversité des opinions et l’acceptation des points de vue différents ne font pas partie de l’adn de la gauche française dont le surmoi marxiste la condamne à vieillir comme un vieille instit aigri distribuant bons et mauvais points. Heureusement, on lit de moins en moins ses papiers et ce qui tranche désormais comme autant de guillotines, ce sont les avis des spectateurs.

    • chevron_right

      Tribune : Contre les nostalgiques du roi, défendre l’héritage de 1793

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Monday, 23 January, 2023 - 17:06 · 11 minutes

    Le 21 janvier 1793, Louis Capet, dit Louis XVI, est guillotiné après un procès de plus de deux semaines qui fait la démonstration de sa collusion avec l’ennemi, en pleine guerre, en vue de l’aider à envahir la France et massacrer les révolutionnaires. Jugé « coupable de conspiration contre la liberté publique et d’attentats contre la sûreté générale de l’État » par 642 députés de la Convention nationale sur les 718 présents, il est en conséquence condamné à être guillotiné. 230 ans après qu’elle a eu lieu, la mort de Louis Capet fait encore parler d’elle. Par Antoine Léaument, député LFI-NUPES .

    Quand le RN défend des traitres à la patrie

    Plusieurs lepénistes se sont exprimés sur le sujet. Ainsi du député RN Christophe Barthès qui publie un tweet ni laïque, ni républicain : « J’assiste ce matin à la messe en mémoire du Roi Louis XVI assassiné le 21 janvier 1793 ». Le mot choisi est « assassiné ». Les mêmes diraient sans doute que la décapitation de Robespierre, survenue sans aucun procès le lendemain de son arrestation, était, elle, légitime. C’est pourtant une vraie boucherie : en trois jours, plus de cent personnes passent avec lui sur l’échafaud.

    Mais le député RN Christophe Barthès n’est pas le seul de son parti à avoir défendu ainsi Louis Capet. Thomas Barkats, candidat du RN aux élections législatives m’écrit : « Entre vous et votre obsession de Robespierre, et Louis XVI, le choix est très vite fait ! ». Guillaume Pennelle, président du groupe RN au Conseil régional de Normandie – et accessoirement professeur d’histoire -, écrivait quant à lui : « Le 21 janvier 1793, la France insoumise de l’époque et quelques traîtres faisaient guillotiner Louis XVI Roi de France ».

    Car cette manière de réhabiliter Louis Capet est inquiétante à plus d’un titre. Elle est d’abord étonnante venant de gens qui se prétendent « patriotes ». Car Capet a tenté de fuir la France avant d’être reconnu et arrêté. Il a conspiré contre son propre pays et contre son peuple en tramant avec l’ennemi la rédaction du manifeste de Brunswick, qui promet à la ville de Paris « une exécution militaire et une subversion totale » si quelqu’un s’en prend à la famille royale. Conséquence de ce manifeste, le 10 août 1792, le peuple s’empare du palais des Tuileries et le roi est déposé de ses fonctions. Un mois plus tard, le 21 septembre 1792, la monarchie est abolie et la République commence.

    Mais plus inquiétante encore me semble être l’ambiance monarchiste qui règne au Rassemblement national. Car Louis XVI n’est pas la seule tête couronnée convoquée par ce parti. Julien Odoul glorifie régulièrement Napoléon Bonaparte, qui a pourtant détruit la Ière République, rétabli l’esclavage et procédé à l’exécution en masse de citoyens libres qui se révoltaient contre son rétablissement. Plus récemment, Jean-Philippe Tanguy a quant à lui demandé le rapatriement des cendres de Louis-Napoléon Bonaparte, qui a pour sa part enseveli la IIe République et fait perdre à la France l’Alsace et la Lorraine après la débandade de Sedan.

    Cette pente prise par le Rassemblement national le rapproche de sa vraie destination politique : la mise à sac de la République. Car glorifier ainsi des hommes qui concentraient sur eux seuls le pouvoir politique, c’est mettre en place une ambiance anti-républicaine à laquelle Macron lui-même avait participé en affirmant en 2015 : « La d émocratie comporte toujours une forme d’ incompl étude, car elle ne se suffit pas à elle-même. Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple franç ais n ’a pas voulu la mort. » La convocation régulière de figures historiques aussi situées n’est pas sans lien avec la pente autoritaire bien actuelle sur laquelle les bloc RN et macronistes entraînent la France.

    On comprend sans doute mieux pourquoi j’ai proposé de répondre à cette pente en rendant un hommage appuyé à Robespierre à Arras le 28 juillet dernier. Et pourquoi je multiplie depuis les références aux périodes révolutionnaires de notre pays, à commencer bien sûr par celle de 1789 qui éclaire encore le monde de son infatigable lumière. Il y a urgence, en effet, à faire exister avec puissance dans l’espace public le récit des victoires démocratiques et sociales du peuple français contre ceux qui ont voulu les empêcher ou revenir dessus.

    Brandir notre drapeau, défendre son histoire

    La bataille politique qui se joue autour de notre Histoire nationale peut être perçue par beaucoup, particulièrement dans mon propre camp, comme secondaire. Elle ne l’est pas. Au contraire, elle est même centrale car elle est l’une des conditions indispensables pour assurer l’unité et l’indivisibilité du peuple français et de sa République. Bien sûr, l’urgence est à cette heure d’infliger une défaite cuisante à Emmanuel Macron sur la réforme des retraites, et d’y employer toute notre énergie. D’ailleurs, l’Histoire de France peut venir en appui de ce combat en rappelant, précisément, toutes les défaites que le peuple de notre pays a infligées à des monarques – parfois républicains, soit dit en passant – qui se croyaient sûrs de leur pouvoir. Mobiliser l’Histoire, cela peut donner bien du courage dans la lutte populaire en montrant que, souvent, elle a été victorieuse.

    Mais l’enjeu est plus profond encore. Depuis des années, le Front national a tenté de s’emparer des symboles républicains et révolutionnaires que sont le drapeau tricolore et la Marseillaise. Il l’a fait à la fois pour valider l’idée qu’il pourrait participer des institutions républicaines, mais aussi pour s’en approprier le sens et le transformer. On le voit avec les déclarations grotesques sur la mort de Louis XVI : le FN opère une sélection négative dans sa récupération de l’héritage républicain. Et l’appréciation de la chute du tyran n’est pas le seul cas. Brandi dans des meetings où l’on crie « on est chez nous », le drapeau tricolore est transformé en outil d’exclusion d’une partie du peuple en raison de sa couleur de peau ou de sa religion. Dans les mains du Rassemblement national, le drapeau marque une limite, une barrière. Il est un symbole qui marquerait l’existence d’un « individu français » se trouvant « chez lui » et refusant que quoi que ce soit ne vienne menacer le périmètre ainsi défini et qu’on peut résumer par la volonté de remplacer le droit du sol par le droit du sang pour l’accès à la nationalité.

    Or, une telle utilisation de ce symbole est contradictoire avec sa naissance même et les principes qu’il véhicule. Car notre drapeau bleu-blanc-rouge est né d’une grève antiraciste. Le 16 septembre 1790 en effet, un navire doit partir de Brest pour aller réprimer une révolte d’hommes et de femmes mis en esclavage et qui réclament leur liberté comme conséquence logique de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen proclamant depuis un an que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Mais les marins de Brest refusent et se mettent en grève. Le sujet du drapeau qui flotte sur le mât finit par arriver dans la conversation. Il se trouve que c’est le drapeau blanc de la monarchie et que, depuis plus d’un an maintenant, on utilise un peu partout les trois couleurs dites « nationales » : le bleu, le blanc et le rouge.

    L’affaire fait tellement de bruit qu’elle finit par arriver devant l’Assemblée nationale elle-même. Le débat est enflammé. Mirabeau prend la parole et défend le remplacement du drapeau blanc par un drapeau aux trois couleurs nationales qu’il qualifie d’« enseigne du patriotisme » et de « signe de ralliement de tous les amis, de tous les enfants de la liberté ». Il l’oppose au drapeau blanc, drapeau, dit-il de la « contre-révolution », provoquant les hurlements de toute une partie de l’Assemblée. Il avance alors ces mots indépassables : « Elles vogueront sur les mers, les couleurs nationales ! Elles obtiendront le respect de toutes les contrées, non comme le signe des combats et de la gloire, mais comme celui de la sainte confraternité des peuples, des amis de la liberté sur toute la terre, comme la terreur des conspirateurs et des tyrans ! ». Deux jours plus tard, le 24 octobre 1790, un décret confirme l’usage du drapeau tricolore. (Pour la petite histoire, il est alors rouge-blanc-bleu et prend finalement sa forme actuelle le 15 février 1794.)

    Universalisme républicain contre nation ethnique

    Notre drapeau naît donc d’une grève antiraciste. Voilà qui va être dur à avaler pour ceux qui en font un symbole d’exclusion. Mais les principes mêmes qui sont déployés au moment de sa naissance en appuient le sens et en tracent encore davantage les contours. J’ai parlé de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, je n’y reviens pas. J’ajoute plusieurs éléments. Le 4 avril 1792, une loi accorde la citoyenneté aux « hommes de couleur libre ». En septembre 1793, le premier député noir de France est élu. Il s’appelle Jean-Baptiste Belley et c’est un Jacobin. Le temps de faire le – long – trajet jusque dans l’Hexagone, il arrive à la Convention nationale le 3 février 1794. Le lendemain, l’esclavage est aboli – il faut dire qu’il l’était déjà de fait à Saint-Domingue où les anciens esclaves s’étaient révoltés et avaient supprimé par leur lutte cet asservissement de l’homme par l’homme.

    Le drapeau tricolore des origines n’est donc pas un symbole neutre. Il véhicule avec lui une conception de l’humanité qui est contraire à celle du Rassemblement national. Contraire, aussi, à ce qui a été fait en son nom avec la colonisation qu’on peut et qu’on doit condamner en revenant aux origines mêmes de la naissance de ce symbole, comme je l’ai fait ici. La preuve la plus absolue en est donnée par la Constitution de 1793, qui définit pour la première fois à son article 4, une forme de « nationalité » : « Tout homme né et domicili é en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; – Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année – Y vit de son travail – Ou acquiert une propriété – Ou épouse une Française – Ou adopte un enfant – Ou nourrit un vieillard ; – Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’humanité – Est admis à l’exercice des Droits de citoyen franç ais. » Autrement dit, dans la France de 1793 qui est déjà celle du drapeau tricolore, de la Marseillaise et de la République, on peut devenir citoyen Français au bout d’un an. On est loin, très loin de ce que réclame le RN sur le sujet aujourd’hui !

    Et c’est précisément la raison pour laquelle il ne faut rien laisser passer des hommages à Louis Capet ou à d’autres têtes couronnées. Car d’où viennent, en définitive, ces trois couleurs ? Elles ont été imposées au roi et portent avec elles le sens de la souveraineté absolue du peuple sur les institutions politiques. En effet, le 17 juillet 1789, Louis Capet se rend à la mairie de Paris pour reconnaître le nouveau pouvoir municipal issu de la Révolution le 15 juillet à la suite de la prise de la Bastille. À cette occasion lui est remise la cocarde tricolore. Le bleu et le rouge, couleurs du peuple de Paris, encadrent et dominent le blanc de la monarchie. Cela signifie que c’est le peuple et le peuple uniquement qui contrôle le pouvoir politique. Ce symbole est un avertissement : au peuple de décider !

    J’ajoute un mot de conclusion, car je n’y résiste pas. Il n’y a pas que l’extrême droite qui déteste la Révolution de 1789. La bonne société macroniste n’est pas en reste comme l’a bien montré mon camarade Antoine Salles-Papou dans une note de blog . La cause est entendue : le peuple qui se bat pour ses droits est une horreur absolue quand on veut lui imposer, par exemple, le report illégitime de l’âge de départ en retraite. Il faut bien avouer que ceux qui ont inventé le drapeau tricolore poussaient très loin la notion de souveraineté populaire ! La Constitution de 1793, celle de la Ière République, en est la preuve. Elle est précédée d’une Déclaration des Droits de l’Homme augmentée. Celle-ci proclame à son article 33 que « La résistance à l’oppression est la conséquence des autres Droits de l’homme ». Elle donne même un insupportable mode d’emploi à son article 35 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ». Je ne dis pas qu’il faille en faire un mode d’emploi pour 2023. Mais il y a assurément de quoi y puiser des sources d’inspiration ! À condition toutefois de choisir, comme Jaurès avant nous, le camp de Robespierre et non celui de Capet !

    • chevron_right

      « Le roi est mort » – Le 21 janvier à l’ENS, le programme de la journée co-organisée par Le Vent Se Lève

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Thursday, 19 January, 2023 - 10:54 · 1 minute

    Pour le 230e anniversaire de la mort du roi – le 21 janvier 1793 -, la Fédération Francophone de Débats et Le Vent Se Lève vous convient à une journée de conférences et de formation à l’art oratoire. Trois conférences animées par des historiens ponctueront la journée ainsi que des ateliers d’initiation et d’approfondissement à l’art oratoire inspirés des débats et harangues de l’An II : débat parlementaire, interprétations de discours de l’époque, procès de Louis XVI et toasts républicains. Rendez-vous le samedi 21 janvier à partir de 9h et jusqu’à 18h à l’ENS Paris, 45 rue d’Ulm. Inscription gratuite et obligatoire ici .

    ☀️ LE PROGRAMME :

    🟠 9h – 10h30

    Amphi d’introduction générale à l’art oratoire et ateliers pour les confirmés.

    Ateliers :

    1. Interprétations de discours de l’époque

    2. Débat FFD sur les thématiques de la Révolution (blocage des prix, liberté du culte…)

    3. Préparation au procès (à partir de l’après-midi)

    4. Pastiche de discours à partir des cartes à jouer, qui serviront de toast pour le banquet

    🟠 11h-12h30

    CONFÉRENCE : QU’EST-CE QU’UN PEUPLE SOUVERAIN ?

    « La démocratie est un état où le peuple souverain, guidé par des lois qui sont son ouvrage, fait par lui-même tout ce qu’il peut bien faire, et par des délégués tout ce qu’il ne peut pas faire lui-même. » Robespierre

    Intervenants :

    • Côme Simien

    • Claude Mazauric (à confirmer)

    🟠 12h30-14h

    Pause déjeuner et petits ateliers pour ceux qui le souhaitent

    🟠 14h-15h30

    CONFÉRENCE : LA TERREUR, PREMIÈRE RÉVOLUTION SOCIALE ?

    « Les malheureux sont les puissances de la terre ; ils ont le droit de parler en maîtres aux gouvernements qui les négligent. » Saint-Just

    Intervenants :

    • Stéphanie Roza

    • Hugo Rousselle

    • Yannick Bosc

    🟠 15h30-16h30

    Ateliers collectifs

    🟠 16h30-18h

    CONFÉRENCE : TERREUR ET VERTU

    « Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement en révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur sans laquelle la vertu est impuissante. » Robespierre

    Intervenants :

    • Anne Simonin

    • Jean-Clément Martin

    • Marc Belissa

    🟠 18h-19h

    Reconstitution du procès de Louis XVI

    🟠 19h-22h

    Banquet républicain, tête de veau

    Rendez-vous au Bistrot 77, à deux pas de la rue d’Ulm.

    • Co chevron_right

      Croissance, pouvoir, puissance : les trois âges du mal idéologique

      Pascal Avot · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 7 December, 2022 - 03:40 · 10 minutes

    À la chute du Mur de Berlin , nombreux furent les théoriciens qui affirmèrent que l’idéologie de gauche allait s’effondrer. Moscou, la Mecque du socialisme pendant 70 ans, redeviendrait une capitale comme une autre. Privées du soutien idéologique, logistique et financier de l’Union soviétique, les filiales du Komintern allaient s’éteindre les unes après les autres. Sans le soutien électoral des communistes, le socialisme était voué à disparaître. En France, l’effondrement du PCF actait, croyait-on, la victoire des idées libérales.

    Jean-François Revel , pourtant, prévenait : « La bête n’est pas morte. Elle traverse un coma léger. Elle reviendra, et son nouveau visage nous surprendra tous. » Il avait raison. Trente ans plus tard, la gauche hante l’Occident sous des masques inédits, insensés, sans cesse renouvelés, qui feraient presque passer l’ancienne langue de bois stalinienne pour un moindre mal, plus stable et plus compréhensible.

    Jeunesse d’un monstre

    Que s’est-il passé ? L’idéologie de gauche est embryonnaire pendant la Révolution française. Elle entre dans une phase de croissance au XIX e siècle : elle s’approfondit philosophiquement, s’étend géographiquement et se durcit encore politiquement. D’un conglomérat d’idées confuses sous Robespierre , on se dirige vers les grandes architectures marxistes. La multiplication de groupuscules nihilistes dans toute l’Europe sert de tête de pont aux grands partis à venir. L’idéologie investit deux univers qui vont faire sa gloire : l’intellectualisme et le terrorisme.

    Cette phase de croissance a un centre de gravité : le Russe Mikhaïl Bakounine . À la fois théoricien bavard, prophète illuminé des grands bains de sang à venir et activiste souterrain, Bakounine incarne parfaitement l’incubation du mal idéologique moderne. Il a pour protégé – et peut-être pour amant – Sergueï Netchaïev, un terroriste adolescent dont le Catéchisme du révolutionnaire , ouvrage bref, glaçant, ouvertement maléfique, servira de bréviaire à une myriade de psychopathes communistes et anarchistes au siècle suivant.

    La bête prend le pouvoir

    Mais le chaos qui sort de la tête de Bakounine ne suffit pas à fonder une politique. Avec Marx, l’idéologie se dote d’un maître définitif. Son esprit de système historique et économique va offrir à la pensée idéologique une structure extrêmement cultivée et sophistiquée. Marx se trompe-t-il ? Oui, sur à peu près tous les sujets, mais il est logique, méthodique et convaincant. Il apporte à la pensée de gauche un immense décor aux apparences rationnelles – et mieux : scientifiques. Ce qui manqué à Robespierre et aux Communards est là, enfin prêt à l’emploi, adulte. La phase de croissance s’achève. La phase de pouvoir commence.

    En kidnappant la Russie en 1917, Lénine inaugure cette deuxième saison de l’aventure idéologique : des improvisations et des abstractions, on passe à la pratique disciplinée. Inutile de rappeler ici les catastrophes provoquées par ce leader politique à nul autre pareil, puis par ses disciples sur les cinq continents. Censure, terreur, déportations de peuples entiers, exécutions arbitraires de masse, anéantissement des économies et des cultures, destruction de toutes les institutions et de toutes les traditions : le léninisme au pouvoir ne laisse pas pierre sur pierre.

    La machine à détruire

    De Staline à Mao, de Castro à Pol Pot, de Ceaucescu à Andropov, les styles changent, les techniques de coercition changent, mais la ruine et l’épouvante sont les mêmes. Sans compter les conflits que le communisme déclenche ou aggrave : guerre civile russe, Deuxième Guerre mondiale, de Corée, du Viet-Nam, d’Afghanistan, la liste est longue. Aujourd’hui encore, Xi Jinping et Kim Jong Un maintiennent en bon état de marche la machine à détruire les civilisations, avec l’aimable collaboration de Cuba et de quelques autres contrées à parti rouge unique.

    Le XX e siècle fut le siècle de Lénine et nous entendons ses échos jusque dans nos vies quotidiennes. Un exemple ? Le directeur général de l’OMS depuis 2017, Tedros Adhanom Ghebreyesus , a appartenu à une organisation marxiste-léniniste et terroriste, le Front de Libération du Peuple du Tigray. Les accointances contemporaines de Tedros avec la Chine de Xi Jinping ne sont plus à démontrer : elle a financé sa campagne pour prendre la tête de l’OMS et, en échange, il a soutenu sans faillir la stratégie chinoise de confinement au début de la pandémie de Covid-19, laquelle politique a été aveuglément imitée par tous les pays du monde. Nous devons, pour une bonne part, la dureté de la politique sanitaire d’Emmanuel Macron au léninisme de ses initiateurs.

    Mais l’ère du pouvoir idéologique, sans être pleinement achevée, semble laisser place à une troisième phase : celle de la puissance. À ce stade, l’idéologie n’a plus besoin de monopoliser les ministères, ni d’emprisonner ses proies, et encore moins de tirer sur ses opposants : elle se diffuse de manière immatérielle, sans visage. Qu’observons-nous ? Un envahissement des esprits par le gauchisme dans toutes les strates de la société occidentale, y compris en des lieux où sa présence était autrefois inimaginable.

    Le capital et l’Église en PLS

    Prenons deux exemples : le capitalisme et le christianisme.

    Théoriquement, le capitaliste lutte bec et ongles contre ce qui veut détruire sa richesse. Mais ça, c’était avant. De nos jours, les services corporate et marketing des grands groupes industriels et commerciaux regorgent de jeunes idéologues dont l’obsession est de faire rendre gorge au capitalisme. Et d’injecter dans chaque artère du profit des doses maximales d’écologisme, d’antiracisme, de féminisme, de crétinisme post-bolchévique, comme si Google, l’Oréal ou Renault étaient des antennes de l’Internationale.

    Jamais, dans toute l’histoire de l’entrepreneuriat, de la production et des services, on n’avait vu les piliers de la richesse dénoncer de manière aussi acharnée le monde du profit. Jusque chez HEC, l’altermondialisme est au menu. Le résultat est une bureaucratisation galopante de la sphère économique privée, qui cherche désespérément à ressembler à une ONG progressiste. Les milliardaires miment Mélenchon. L’État les applaudit et les encourage à redoubler d’efforts, évidemment. Les cadres supérieurs votent Sandrine Rousseau .

    Pour ce qui est du christianisme, il suffit de citer un nom : le Pape François.

    Il est à l’Église ce que la Responsabilité Sociale et Écologique est à l’entreprise. Il n’a de cesse de culpabiliser l’Occident , de tracer des parallèles oiseux et toxiques entre charité et socialisme, de promouvoir les idéaux collectivistes, de couvrir d’anathèmes l’individualisme, de coiffer d’auréoles toutes les Greta Thunberg du moment, et de livrer sur un plateau les fidèles chinois à Xi Jinping. Si bien que de plus en plus de croyants se demandent si leur baptême se résume à une adhésion au gauchisme. Et, ce qui est peut-être plus grave encore, par réaction horrifiée, les traditionalistes voient en François un envoyé de Satan, plongent dans la mentalité apocalyptique et se réfugient dans les nuages d’encens envoûtants de Poutine. À force de mimer Che Guevara, le Pape joue avec les feux du schisme et de l’hérésie.

    Ce ne sont que deux exemples. Les signes allant dans le même sens fourmillent chaque jour dans les médias. La culture, la famille, l’éducation, ou ce qu’il en reste, sont arc-boutées sous un déluge de délires idéologiques, de réglementations, de lois, de censures et d’injonctions de gauche, au point que, pour tenter de donner une identité au phénomène, la droite parle de totalitarisme soft . Or, l’expression est tronquée, car il n’est de totalitarisme qu’assassin. Ni Biden, ni Macron, ni van der Leyen, ni Soros, ni Schwab, ne sont des tueurs de masse. Nous n’avons pas affaire à un totalitarisme, mais au passage de l’idéologie de l’état de pouvoir à celui de pure puissance.

    En termes clairs : elle n’a plus besoin de prendre le pouvoir pour l’exercer. Elle n’a plus besoin de la pyramide administrative pour nous dominer. Elle est libérée de ses propres carcans institutionnels. Aussi aberrante et hystérique qu’à ses débuts, mais avec l’acquis d’un siècle de conquêtes et d’expérimentations. Et la pensée libérale toute entière se trouve prise à contrepied.

    Comment réagir ?

    La première réaction à notre disposition est d’adopter la posture du martyr. De proclamer que ce nouveau stade de l’idéologie est plus brutal que le précédent, que toute liberté d’expression a disparu, qu’Armageddon n’est plus devant nous, mais sous nos pas et qu’in fine, nous sommes d’ores et déjà dans la même position que les Coréens du Nord. Voire même encore plus malheureux qu’eux, suivant le théorème imbécile et déshonorant de « C’est encore pire parce que c’est plus sournois ».

    Par désespoir, par désir adolescent de se sentir héroïques, par inculture historique, par incompréhension de ce qu’est vraiment le totalitarisme, beaucoup de libéraux foncent dans ce piège qui les valorise, confondent la souffrance et l’agonie, et font montre de la même frénésie que les communistes détectant dans la plus petite baisse de la bourse une preuve indiscutable que le capitalisme rend son dernier soupir. Ils se trompent. Leur détresse dessert leur cause. Leur fragilité est une reddition. Leur orgueil de victimes autoproclamées les décrédibilise.

    La deuxième voie, qui accompagne le libéralisme depuis déjà longtemps comme le démon suit le pécheur à la trace, est de générer une contre-idéologie. En termes clairs, de transformer la pensée libérale en dogme sectaire : de la doter de la systémie, la rigidité, l’aveuglement propres au communisme, au nazisme ou au djihadisme. On trouve fréquemment ce type de tentation chez certains libertariens et certains randiens. Ce qu’ils ne voient pas, c’est qu’en armurant, bottant et casquant les théories libérales, on les tue. On leur arrache leur âme : leur sens de la mesure, de l’équilibre et de l’indulgence, leur nature horlogère, et non bûcheronne, leur refus de diviser l’humanité en classes et de voir en chaque fonctionnaire un monstre. « Le libéralisme n’est pas une idéologie contraire, c’est le contraire d’une idéologie », dit Alain Besançon. Qui perd de vue cette boussole perd tout.

    Réfléchir

    La dernière voie est de réfléchir. Patiemment, prudemment, de chercher à comprendre ce qui nous arrive. De tenter de cadrer cette phase de la puissance idéologique, cette « ère de l’après-pouvoir » qui nous prend de court, nous encercle et menace de nous ensevelir, parce que nous n’avons pas les armes pour l’affronter. Ce sera long et difficile, mais le jeu en vaut la chandelle, et rien n’est plus laid qu’un abandon de poste.

    Citons encore Alain Besançon : « Le premier mouvement du libéral est d’accepter le réel tel qu’il est ». Acceptons donc cette mutation de l’ennemi, qui le rend impossible à localiser et omniprésent, terriblement fluide et souple, ce tsunami de néant qui se glisse dans tous les interstices de l’Occident. Il y faudra de la lucidité, du courage intellectuel, de la minutie dans la logique – et, très certainement, un retour en force de la métaphysique, cette grande dame que le libéralisme contemporain a une vilaine tendance à envoyer en maison de retraite.

    • chevron_right

      Georges Sérignac : « Le projet républicain est né sous la Révolution française »

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Wednesday, 30 November, 2022 - 19:37 · 11 minutes

    Georges Sérignac est grand maître du Grand Orient de France, une des principales organisations maçonniques de France. Nous avons souhaité échanger avec lui afin de revenir sur la spécificité maçonnique française : ses liens avec la République, comme avec le processus révolutionnaire. Nous l’interrogeons aussi ici sur la place du travail et de l’écologie dans les réflexions du Grand Orient, ainsi que sur la signification de l’anti-maçonnisme toujours en vogue dans les organisations d’extrême droite.

    LVSL – Commençons par un petit point historique sur la franc-maçonnerie française. Y a-t-il selon vous une spécificité française de la maçonnerie ?

    Georges Sérignac – Historiquement, oui. Au début du XVIIIᵉ siècle, quand la franc-maçonnerie des premières loges françaises commence à travailler, elle coexiste avec une franc-maçonnerie anglo-saxonne déjà en place depuis une dizaine d’années. C’est la même maçonnerie, ce sont les mêmes rituels et les mêmes méthodes.

    Au bout de quelques années, la franc-maçonnerie anglo-saxonne cherche à se remettre en question, à travers une querelle des « Anciens » et des « Modernes ». Les « Anciens » se considèrent comme détenteurs de la véritable tradition maçonnique et reviennent sur certaines pratiques usuelles de la maçonnerie anglaise de l’époque. Ils vont absorber la maçonnerie anglo-saxonne. Ainsi, la maçonnerie devient une institution qui se consacre aux rituels, à la solidarité et à la convivialité. Ce sont ces marques de fabrique. Ces éléments sont communs à la maçonnerie française.

    Mais la franc-maçonnerie française ajoute un nouvel élément : la liberté absolue de conscience. Elle attend la fin du XIXᵉ siècle pour l’intégrer réellement dans ses statuts et abroger l’obligation de croyance – ce qui constitue la summa divisio entre la franc-maçonnerie anglo-saxonne et la nôtre. Dans la tradition maçonnique anglo-saxonne, l’obligation de croyance en Dieu est centrale, tandis que dans la tradition française, c’est la liberté absolue de conscience. On peut croire ou ne pas croire, pratiquer ou ne pas pratiquer. Est religieux qui veut, est athée qui le souhaite. Cette division est fondamentale, et c’est à partir de cette évolution que la maçonnerie anglo-saxonne ne reconnaît plus son homologue française.

    En 1877, année de cette mutation, l’engagement dans la cité devient un élément de plus en plus débattu au sein du Grand Orient de France – ce qui est tout à fait cohérent.

    L’histoire est émaillée d’épisodes où l’on interdit la franc-maçonnerie et emprisonne les franc-maçons. Ainsi, les franc-maçons se replient sur eux-mêmes dès le début du XVIIIᵉ siècle. C’est cette confidentialité contrainte et forcée qui génère tous les fantasmes.

    Au moment de la Commune, les archives des loges montrent des débats à son sujet, ce qui les distinguent des loges anglo-saxonnes, où l’on ne parle pas de politique, comme l’indiquent les règlements. Au sein de la maçonnerie française, la politique fait partie des sujets qui ne sont pas tabous – ce qui montre à quel point la liberté absolue de conscience est centrale chez nous.

    LVSL – Quel a été l’apport de la maçonnerie française à l’édification de la République ?

    Georges Sérignac – Il y a toujours eu, au sein du Grand Orient de France, du fait de cette liberté absolue de conscience qui dépasse l’aspect religieux, une grande liberté de pensée. Le fait d’avoir des opinions, même différentes, mais liées par des valeurs communes, humanistes, était un pilier fondamental de la maçonnerie française.

    Ainsi, dans la construction de la République qui commence avant la Révolution, les loges sont centrales. Il faut se remémorer qu’il y a trois siècles, il n’existait pas de loi permettant les associations : elles deviennent des lieux de prédilection pour des réunions – des lieux qui ne sont pas des salons mondains. Des lieux où l’on peut parler de questions politiques. Cette construction républicaine, longue de plusieurs siècles est donc indissociable de la maçonnerie. Pierre par pierre, elle a contribué à bâtir l’édifice.

    On s’en rend compte à la lecture des travaux des loges : les franc-maçons sont souvent des citoyens engagés. Être franc-maçon implique de s’intéresser à la vie de la cité, et parfois d’avoir d’autres engagements. D’où l’influence acquise par la maçonnerie, qui a été exagérée et fantasmée par le mouvement anti-maçonnique. La réalité est bien plus simple : ce sont simplement des citoyens engagés qui se retrouvent pour parler de leurs convictions.

    LVSL – Comment percevez-vous les théories conspirationnistes au sujet de la maçonnerie française ? D’un côté, la proximité de certaines d’entre elles avec les écrits d’un Édouard Drumont est frappante. De l’autre, ne peut-on pas interpréter ce rejet à l’égard d’une institution perçue comme influente et élitaire comme un réflexe de défiance vis-à-vis des intermédiaires entre le peuple et ses représentants – donc comme un réflexe républicain, hérité de la Révolution française ?

    Georges Sérignac – Il y a deux aspects distincts dans votre question. La première, concerne le complotisme . Il faut déconstruire cette notion avec beaucoup d’attention. Il existe des manœuvres effectuées par des personnalités engagées dans le monde politique ou dans le monde économique, qui établissent des stratégies pour parvenir à certains desseins – mais ça, ce n’est pas le complot . Le complot des théories du complot, implique qu’il y ait des alliances que l’on ne comprend pas, que l’on ne connaît pas, qui travaillent en secret pour le malheur du monde et pour les intérêts d’une minorité. C’est une manière de donner des réponses simplistes à des problèmes complexes. Toutes les formations politiques, depuis que le monde est monde, travaillent pour accéder au pouvoir – le Prince de Machiavel le fait, et n’est ni régi par le bien, ni régi par le mal.

    Mais alors, pourquoi les francs-maçons sont-ils l’objet de tant de théories du complot ? Je pense que cela s’explique très bien historiquement : malheureusement, nous avons perdu la bataille de l’image. Il y a trois siècles, lorsque la franc-maçonnerie française commence à exister, elle gêne les pouvoirs, elle gêne le pouvoir royal par ses réunions, ainsi que le pouvoir catholique romain. Raison pour laquelle, au passage, la franc-maçonnerie anglo-saxonne n’est pas touchée par cela, parce qu’elle est en dehors de ces enjeux politiques. Raison pour laquelle, en France, on a cherché à interdire la franc-maçonnerie.

    Bien sûr, l’histoire n’est pas linéaire ni manichéenne – des proches de Louis XV ont été franc-maçons. L’histoire est émaillée d’épisodes où l’on interdit la franc-maçonnerie et emprisonne les franc-maçons. Ainsi, les franc-maçons se replient sur eux-mêmes dès le début du XVIIIᵉ siècle. C’est cette confidentialité contrainte et forcée qui génère tous les fantasmes. Le secret auquel sont tenus les maçons ne leur est pas propre. Quand on prête serment pour un grand corps d’État, après tout, on jure de conserver le secret des délibérations. Cela n’a donc rien de spécifiquement maçonnique.

    Je n’aime pas le concept de redistribution des richesses : en République, on les partage, on ne les redistribue pas. La République est la chose commune, et l’aspect social est par nature fondamental à la chose commune.

    De nombreux fantasmes existent également à propos des rituels. Ceux-ci ne sont aucunement cachés : de nombreux livres, disponibles dans toutes les bibliothèques, les détaillent. N’importe qui peut consulter l’ensemble des archives maçonniques.

    LVSL – De nombreuses polémiques ont gagné les médias, ces derniers temps, sur le rôle du travail dans la société, en particulier au regard de son rapport à l’assistance et à l’émancipation. Quel regard portez-vous sur ces débats ?

    Georges Sérignac -Je commencerai en rappelant que nous travaillons sur le revenu universel, depuis maintenant deux décennies. La question qui se pose est la suivante : le travail est-il nécessaire dans notre société ou ne l’est-il pas ? Est-ce qu’aujourd’hui, dans une société aussi riche, qui va sans doute devenir plus abondante encore, le travail se justifie encore ? Deux positions coexistent au sein de notre ordre. Certains estiment qu’il est absolument essentiel de conserver le travail comme institution, et refusent pour cette raison l’idée de revenu universel. À la place, ils lui préfèrent les aides sociales. D’autres, au contraire, estiment que l’on se dirige vers une société sans travail et que le revenu universel s’impose. Chez les partisans de l’une ou de l’autre vision, qui sont diamétralement opposées, on trouve à la fois des sensibilités très à gauche et très à droite : cette question ne recoupe donc pas le clivage gauche-droite.

    Ceci étant dit, je ne peux pas rapporter la position du Grand Orient sur ce sujet-là, puisqu’une pluralité d’opinions coexistent. Nous sommes dans tous les cas convaincus que le travail est émancipateur. Nous plaçons toujours l’humain au centre de notre réflexion. Il a certains besoins biologiques – il faut qu’il mange, qu’il dorme, qu’il ait un toit -, mais la vie des relations est absolument essentielle. Nous sommes un animal social et un animal politique.

    Spinoza parlait de l’éternité des rapports. Ces rapports, c’est quelque chose qui nous dépasse tous et qui est beaucoup plus important. Cette conversation est beaucoup plus importante que ce que nous sommes. Ainsi, la reconnaissance constitue une dimension majeure de la vie. Une dimension de la vie qu’ignorent ceux qui pensent promeuvent ce qu’Alain Supiot nomme la gouvernance par les nombres .

    Par conséquent, dans la société actuelle, avoir un emploi, travailler, assurer une fonction dans la société constituent à l’évidence des besoins essentiels. J’ai été stupéfait d’entendre que le travail était une valeur de droite ! Cela n’escamote pas pour autant la nécessaire réflexion sur le temps de travail. Nous pensons que les progrès formidables de la société pourraient être orientés ailleurs que vers une financiarisation à tout va ou la toute-puissance productiviste actuelle. On peut imaginer que l’on parvienne à une réduction du temps de travail, afin que les travailleurs puissent davantage s’épanouir – autre mot très important. Il n’y a pas d’émancipation sans épanouissement. Le travail peut permettre de s’épanouir, et une société qui avancerait aujourd’hui, au XXIᵉ siècle, est une société qui donnerait aux travailleurs la juste rétribution de leur travail. Nous vivons un grand moment d’accélération, et nous espérons que la maçonnerie pourra contribuer à une réflexion apaisée pour conduire la société sur la voie d’un épanouissement croissant.

    LVSL – La République est parfois mot-valise. Sur la question du travail, plusieurs traditions coexistent : une tradition très libérale, une autre socialiste, empreinte de marxisme. Pour vous, la République est-elle par essence sociale, indissociable d’une volonté de redistribuer les richesses ?

    Georges Sérignac – C’est une évidence. Il faut garder à l’esprit que le projet républicain est né sous la Révolution française. Partant, l’idée républicaine est évidemment laïque, démocratique et sociale.

    Je n’aime pas le concept de redistribution des richesses : en République, on les partage, on ne les redistribue pas. La République est la chose commune, et l’aspect social est par nature fondamental à la chose commune.

    LVSL – Quels rapports entretient la maçonnerie avec l’écologie ? De multiples débats traversent le courant écologiste concernant son rapport à la rationalité – certains accusent les Lumière d’être responsables du changement climatique, d’autres y voient au contraire une ressource pour lutter contre l’obscurantisme que constitue le négationnisme climatique.

    Georges Sérignac -Notre obédience s’est emparée de cette question, nous avons une commission nationale qui est très active à ce sujet.

    Est-ce qu’être écologiste implique de faire le procès de la rationalité moderne ? Il existe bien sûr une minorité qui estime que l’homme est néfaste, et que les Lumières, qui lui ont révélé sa toute-puissance, sont néfastes pour cette raison. Je pense qu’il s’agit d’une fraction sans intérêt ni représentativité de la pensée écologiste. La matrice de l’écologie, c’est la volonté d’en revenir à une forme de mesure, et de critiquer l’ivresse productiviste qui caractérise nos sociétés contemporaines. Je souhaite penser l’écologie comme défense des grands équilibres, ce qui est en concordance parfaite avec les idées des Lumières, et ne se situe en rien en opposition avec la rationalité, quelle qu’elle soit.

    C’est même l’inverse. On présente souvent les écologistes comme des extrémistes : c’est un contresens absolu, car ils défendent les grands équilibres qui permettent la sauvegarde de la vie humaine ! De la même manière, on a cherché à caricaturer le concept de décroissance – le retour à la bougie , etc -, alors qu’il ne s’agit que de réinjecter une forme de mesure dans le système productif.

    • Co chevron_right

      Pour l’extrême gauche, la liberté est toujours pour demain

      Patrick Aulnas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 3 November, 2022 - 04:30 · 7 minutes

    Les grandes illusions idéologiques (marxisme, fascisme, nazisme) ont à peu près disparu. Mais une radicalité de gauche (écologisme radical, intersectionnalité, wokisme, racialisme, dévoiement du féminisme) est apparue, qui n’a apparemment aucune des caractéristiques des anciennes idéologies.

    Il s’agit de mouvances intellectuelles disparates que la notion d’intersectionnalité permet d’unifier. En récupérant le concept d’analyse systémique à des fins purement politiciennes, l’intersectionnalité étudie les interrelations entre les facteurs de domination. Le capitalisme , le colonialisme, le racisme, le patriarcat se conjugueraient au détriment de dominés : travailleurs, non-Blancs ou racisés, migrants, femmes, etc.

    Des contradictions fondamentales

    Mais il ne suffit pas de prétendre qu’il existe un système de domination pour rassembler. Cette extrême gauche reste donc hétérogène structurellement et hétéroclite intellectuellement. Elle est traversée de contradictions majeures concernant les travailleurs, les femmes, les Blancs.

    Voici quelques exemples de ces contradictions ou approximations.

    Il faut élever le niveau de vie des travailleurs, mais sans croissance économique car la croissance nuit à l’environnement et à la biodiversité. Il est donc nécessaire de « prendre aux riches » pour donner aux pauvres, autrement dit redistribuer, vieille antienne socialiste. Mais l’expérience historique prouve qu’appauvrir massivement les riches par un processus révolutionnaire a toujours appauvri la société entière. Seule la croissance enrichit l’ensemble de la population.

    La libération des femmes suppose que celles-ci accèdent effectivement à tous les postes de responsabilité et bénéficient de la même liberté que les hommes dans tous les domaines. Les progrès ont été considérables depuis un siècle, mais uniquement en Occident. Rappelons que le pantalon était interdit aux femmes dans l’espace public en France au XIXe siècle. Cependant, pour la radicalité de gauche, il ne faut surtout pas stigmatiser les femmes voilées , pourtant victimes du patriarcat le plus archaïque. Bien qu’affublées d’une tenue vestimentaire de propagande idéologique en faveur de l’islamisme, les femmes voilées doivent pouvoir accéder à toutes les fonctions dans les pays occidentaux : médecine, enseignement, magistrature, etc.

    La défense systématique des minorités exclut le peuple juif, pourtant fortement minoritaire si on le compare numériquement aux musulmans. L’ islamo-gauchisme cultive une forte ambiguïté face au terrorisme islamiste qui le conduit vers l’antisionisme puis, de proche en proche, vers l’antisémitisme.

    Les Blancs sont historiquement les principaux prédateurs des ressources naturelles car ils appartiennent généralement aux peuples riches. Ce sont des dominateurs et des colonialistes à combattre. Mais la démocratie et les concepts de liberté politique et économique sont nés dans les sociétés blanches d’Occident. Le « mâle blanc dominateur » a donc inventé la liberté.

    De la lutte pour la justice à l’instauration de la terreur

    Il faut aller plus loin et mettre en évidence la fascination historique pour les pouvoirs forts de l’extrême gauche. Elle se réclame de la justice et de l’égalité mais n’accorde à la liberté qu’une place modeste. Lorsqu’elle accède au pouvoir, la liberté disparaît totalement. C’est le règne de la terreur, de la dictature ou du totalitarisme.

    Voici quelques exemples historiques.

    Sous la Révolution française de 1789, la bourgeoisie au pouvoir entendait bâtir un monde nouveau et plus égalitaire dans lequel les ordres (noblesse, clergé, tiers état) auraient disparu. On ne peut que souscrire à ce projet, mais les révolutionnaires les plus extrémistes, rassemblés dans le Club des Jacobins, admirent que la terreur était nécessaire pour réaliser ce projet. Quelques guillotinés innocents ne devaient pas compter puisqu’il s’agissait surtout de ci-devant nobles. Les droits de la défense, l’instruction objective et contradictoire devaient donc être écartés au profit de tribunaux d’exception multipliant les condamnations à mort.

    La révolution russe de 1917, fondée idéologiquement sur le marxisme-léninisme, offre un autre exemple. Le marxisme -léninisme comporte un élément majeur : la dictature du prolétariat. Pour parvenir à la société sans classes et éradiquer la bourgeoisie exploiteuse des travailleurs, une phase de dictature avec parti unique est nécessaire. La liberté ne peut en effet exister vraiment que lorsque le mal a été vaincu et c’est au Parti communiste et à lui seul de s’en charger. Cela donne l’URSS, le Goulag et ses millions de morts, l’Holodomor en Ukraine et à nouveau ses millions de morts.

    Mao Tsé-toung ou Mao Zedong (1893-1976) entendait libérer la Chine des chaînes ancestrales. Il parvient à conquérir le pouvoir en 1949. Son action se fonde sur l’idéologie marxiste-léniniste mâtinée de réflexions personnelles. On qualifiera cette idéologie de maoïsme . L’ambition de libération du peuple chinois aboutit après sept décennies de pouvoir à la société la plus totalitaire de la planète avec la Corée du Nord.

    Consternante duplicité

    La consternante duplicité de l’extrême gauche n’a évidemment pas disparu aujourd’hui. Elle se réclame de la liberté mais la réduit à néant dès que possible. Cette constante historique de la radicalité de gauche subsiste dans le wokisme , l’intersectionnalité, le féminisme et l’ écologisme . Les plus extrémistes considèrent toujours que la liberté d’autrui est un obstacle à la mise en œuvre de la doxa.

    Ainsi, la cancel culture (culture de l’annulation) consiste à livrer à la vindicte publique une personnalité parce qu’elle pense ou agit mal. Les réseaux sociaux numérisés jouent le rôle principal dans la diffusion des invectives et menaces. De grands intellectuels français ( Alain Finkielkraut , Pascal Bruckner , Michel Onfray , etc.) ont été cloués au pilori médiatique et ont parfois dû se défendre en justice. Mais le temps de la justice se compte en années et celui des médias en jours. La justice arrive trop tard.

    Le cas-type le plus médiatisé aujourd’hui concerne des hommes accusés d’abus sexuels à l’égard de femmes. La domination masculine a, de fait, conduit à des comportements masculins abusifs et violents au cours de notre histoire. Ils persistent aujourd’hui et il convient de saisir la justice des nombreuses questions passées sous silence dans le passé. Mais les féministes les plus radicales vont plus loin et voient parfois l’homme comme une sorte d’ennemi à combattre qu’il convient d’annihiler médiatiquement.

    Avant toute intervention judiciaire et débat contradictoire sur la base de preuves, la réputation de l’homme est détruite. La justification donnée est la suivante : il faut passer par la manière forte pour obtenir des résultats. Quelques injustices éventuelles, la mise en cause d’un innocent, sont la condition de la libération complète des femmes. La violence du patriarcat justifie la violence des femmes. Il s’agit d’une guerre avec des dégâts collatéraux.

    L’écologie radicale se manifeste par des occupations illégales (à Notre-Dame-Des Landes , pendant des années pour empêcher la construction d’un aéroport), des manifestations violentes accueillant les professionnels de la provocation (black-blocs), des atteintes aux biens ( terrains de golf , tableau dans les musées , statues dans l’espace public, etc.). Cette très petite minorité cherche à imposer par la violence le thème de la décroissance économique dans le débat public. Elle est antitechnicienne et souhaite placer le progrès scientifique et donc toute recherche sous contrôle politique. Elle peut être antispéciste et refuser aux humains un statut différent de celui des animaux.

    On pourrait multiplier les exemples.

    Pour l’extrême gauche, la liberté est toujours une belle promesse qu’il faudra réaliser dans un avenir indéterminé. En attendant ce jour, il appartient aux militants d’éliminer sans faillir tous les obstacles à l’avènement de l’eden idéologique. L’autoritarisme politique et la violence consubstantielle permettent de lutter contre le mal et de cheminer vers la réalisation de l’idéal. Derrière cette construction, il n’y a qu’une réalité : la volonté de monopoliser le pouvoir politique et d’annihiler tous les opposants. On imagine ce dont cette extrême gauche occidentale serait capable si elle parvenait au pouvoir. Il se trouverait sans doute parmi ses leaders un Robespierre , un Staline , un Poutine ou un Xi Jinping .

    La radicalité politique est incompatible avec la liberté.

    Elle se réclame d’ailleurs surtout de l’égalité et veut l’instaurer par la contrainte. Ce privilège accordé à l’égalité s’explique : la liberté n’est pas conciliable avec une idéologie rigide prétendant détenir a priori les meilleures solutions car il faut alors éliminer les opposants. Les utopies égalitaristes peuvent être divertissantes dans la sphère purement intellectuelle, mais il ne faut jamais chercher à les mettre en œuvre. La liberté suppose le pragmatisme car elle est toujours imparfaite, toujours à construire et toujours à découvrir. Elle n’est pas un idéal lointain mais une réalité toute relative du présent, le bien le plus précieux et le plus fragile.