• chevron_right

      La fusion de la carte Vitale et de la carte d’identité pourrait arriver plus tôt que prévu

      news.movim.eu / JournalDuGeek · 7 days ago - 08:47

    Carte Vitale

    Le Premier ministre Gabriel Attal estime que l'opération est une priorité pour lutter contre la fraude sociale.
    • chevron_right

      « Le gaullisme social a aujourd’hui encore une audience » – Entretien avec Pierre Manenti

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Saturday, 15 April, 2023 - 14:31 · 28 minutes

    L’opposition d’une partie des députés Les Républicains au projet de réforme des retraites porté par le gouvernement a fait rejaillir dans le débat public une expression aux contours flous, et pourtant récurrente : le gaullisme social. Quelle définition donner à ce concept qui a traversé plus d’un demi-siècle de vie politique ? Le général de Gaulle lui-même avait-il théorisé ce courant ? Quelle est d’ailleurs la part de réalité et celle du mythe derrière l’action « sociale » du Général ? Auteur d’une Histoire du gaullisme social (Perrin, 2021), Pierre Manenti, conseiller politique, retrace la généalogie et l’héritage de cette tradition politique qui a marqué la IV e et la V e République de son empreinte. Des « gaullistes sociaux » aux « gaullistes de gauche », cette histoire ne se résume pas à quelques trajectoires individuelles. Au contraire, elle s’est traduite, selon l’auteur, dans des organisations politiques et syndicales qui ont cherché à reconcilier Capital et travail auprès du monde ouvrier, tout en défendant l’héritage du Conseil national de la Résistance. Au risque de servir de caution de gauche aux tendances plus conservatrices du gaullisme ? Entretien réalisé par Léo Rosell et retranscrit par Guillemette Magnin.

    LVSL – Qu’est-ce qui est à l’origine de votre intérêt pour la figure du général de Gaulle et pour son héritage politique ?

    Pierre Manenti – Pendant mes études à l’École normale supérieure, j’ai étudié et exploré le mandat du général de Gaulle, président de la République, de 1958 à 1969. Dans ce cadre, j’ai beaucoup travaillé sur les archives de la Fondation Charles-de-Gaulle et de l’Institut Georges-Pompidou. J’ai découvert que, contrairement à l’idée que je m’en faisais, il n’y avait pas un gaullisme monolithique, un chef indiscuté avec un parti encadré et rigide, mais en réalité des gaullismes, des personnalités diverses, parfois voire souvent opposées entre elles. Le parti gaulliste était en effet composé d’hommes de droite mais aussi d’hommes de gauche, ceux qu’on a appelé les tenants du gaullisme social. Tout ce petit monde était réuni par sa fidélité au général de Gaulle, tout en ayant des pensées radicalement différentes sur l’économie ou la société.

    Il se trouve par ailleurs qu’en 2020, le Premier ministre de l’époque, Jean Castex, a fait sa première interview télévisée en se présentant comme un « gaulliste social ». Le lendemain, la presse a unanimement salué son positionnement politique, parce qu’alliant le meilleur de la droite, le gaullisme, et l’esprit de la gauche, celui des luttes sociales. Ce qui est incroyable, c’est que le gaullisme social est donc passé d’une chapelle politique du gaullisme à un mot-valise de la vie politique française, une sorte d’équilibre politique parfait.

    À ce compte-là, de nombreux centristes pourraient se revendiquer du gaullisme social, alors que pour les hommes de gauche engagés dans l’aventure gaulliste, il s’agissait de construire un véritable « socialisme gaulliste ». Il manquait donc un travail d’historien pour rappeler l’origine de la pensée sociale du général de Gaulle, l’histoire politique de ses partis et mouvements, ainsi que la place des hommes de gauche dans cette aventure et, après sa disparition, la vie de ce courant du gaullisme social qu’ont incarné, tour à tour, René Capitant, Louis Vallon, Philippe Dechartre ou encore Philippe Seguin plus récemment.

    LVSL : À vous écouter, on a l’impression qu’il manque une vraie définition du gaullisme…

    C’est vrai. De son vivant, le général de Gaulle s’est toujours refusé à définir le gaullisme. Il n’existe donc pas de définition donnée par le Général lui-même ; ce sont donc ses contemporains, notamment les hommes politiques, ou plus tard les historiens, qui ont construit la définition du mot « gaullisme ». La plupart des commentateurs s’accordent cependant pour dire qu’elle est fondée sur trois éléments invariables.

    Le premier élément est le dépassement des clivages politiques au service de l’intérêt de la nation. Le gaullisme un courant politique qui refuse le clivage droite-gauche, le système des partis, la politique politicienne, et qui veut agréger au sein d’un même mouvement des personnalités de droite et de gauche, toutes animées par la volonté de servir leur pays.

    Le deuxième élément intrinsèque au gaullisme est la politique de la grandeur, c’est-à-dire l’idée que le gaulliste doit contribuer à faire rayonner la France à l’international, notamment à travers de la défense des valeurs des Lumières, de la Révolution et du Conseil national de la Résistance (CNR). Il doit porter avec noblesse ces valeurs inhérentes à l’identité française. Dans cette politique de grandeur, il y a aussi la défense de la francophonie, de l’identité française, dit autrement l’idée d’une France éternelle.

    L’ambition du gaullisme, c’est un État ni capitaliste, ni socialiste, mais une troisième voie française, c’est-à-dire un État interventionniste.

    Le troisième et dernier élément, qui est pour moi inscrit dans l’ADN du gaullisme, c’est le combat en faveur du progrès social. Le gaullisme s’est toujours soucié des plus faibles, des plus nécessiteux, de ceux qui en ont besoin. L’ambition du gaullisme, c’est un État ni capitaliste, ni socialiste, mais une troisième voie française, c’est-à-dire un État interventionniste, participationniste et libéral, au sens où le libéralisme, contrairement au capitalisme, implique une intervention de l’État pour corriger les défaillances du marché.

    LVSL : Quelle est la part du général de Gaulle dans tout cela ? Quelle définition donne-t-il du gaullisme social ?

    Charles de Gaulle est d’abord un homme du XIX e siècle – il est né en 1890. Il a été très marqué par l’éducation de son père et de son oncle, tous deux imprégnés du catholicisme social. Avec eux, il a acquis la conviction que l’homme politique a un rôle social. Dans la bibliothèque du général de Gaulle, il y a également un livre du maréchal Lyautey sur le rôle social de l’officier. Charles de Gaulle a été très influencé par ce livre et par l’idée que le militaire a un rôle dans l’organisation de la société et de ses solidarités. Pour lui, la dimension de fraternité catholique est très importante dans la construction du corps social. Sa foi a donc nourri sa pensée politique.

    Pour répondre à votre question, si l’on s’en tient à la définition la plus simple, le gaullisme désigne l’action et la pensée du général de Gaulle. Pour la pensée, il existe dix-neuf tomes de lettres, notes et carnets qui permettent d’étudier la doctrine politique du Général, sans compter ses très nombreuses archives. Pour l’action, c’est la manière dont il a mis en œuvre cette pensée au contact de la réalité, pendant la guerre, sous la IV e et la V e République.

    La naissance du gaullisme politique tient donc profondément à l’expérience de la guerre et à l’entrée des Soviétiques et des Américains dans le conflit en 1941, lorsque l’on commence à se dire que les Alliés pourraient gagner.

    La première fois que le général de Gaulle a développeé cette pensée politique, il était à Londres, en 1940. Il avait déjà cinquante ans et avait été, jusque-là, un militaire, un tacticien, un stratège, mais pas un homme politique. La naissance du gaullisme politique tient donc profondément à l’expérience de la guerre et à l’entrée des Soviétiques et des Américains dans le conflit en 1941, lorsque l’on commence à se dire que les Alliés pourraient gagner.

    On demande alors au général de Gaulle quelle serait sa doctrine politique s’il devait demain gouverner le pays libéré. D’où l’émergence, à ce moment donné de l’histoire, d’un des premiers discours politiques du Général à Oxford, le 25 novembre 1941. Dans ce discours, il développe trois idées fondamentales qui caractérisent le gaullisme et plus particulièrement sa dimension sociale.

    La première idée, c’est de faire attention aux effets de la mécanisation de l’économie. On est à l’époque du film Les Temps modernes de Charlie Chaplin, dans lequel le héros est écrasé par la roue de la machine. Il y a une inquiétude réelle sur la place du travailleur dans l’usine et il faut veiller à ce que la machine ne le détruise pas. La seconde idée concerne la société à rebâtir. Il faut tout faire pour que cette société épanouisse l’ouvrier et le détourne des totalitarismes. La troisième idée est qu’il faut être capable de penser à long terme, aussi bien dans sa vision de l’économie que de la politique. L’homme politique doit être capable de se projeter à vingt ou trente ans, de faire les choix difficiles, qui s’imposent pour la survie du pays.

    LVSL – Qu’est-ce qui distingue alors le gaullisme social des autres courants du gaullisme?

    P. M. – Dans l’aventure de la France libre, qui pose les prémices du gaullisme social, il y a évidemment des tendances, des grandes idées qui se sont dégagées au fur et à mesure des débats politiques, mais c’est véritablement lors de l’épopée du Rassemblement du peuple français (RPF), le parti animé par le général de Gaulle de 1947 à 1954-55, que les différentes écuries politiques du gaullisme se sont construites, avec leurs personnalités et leurs chefs.

    Il y a d’abord le gaullisme anticommuniste, avec notamment André Malraux, qui est conduit avant toute chose par le rejet du modèle soviétique et la « peur du rouge ». Il y a ensuite le gaullisme social, qui est persuadé que pour lutter contre cette ascension du modèle soviétique, il faut aller parler aux ouvriers, aux travailleurs, dans les usines, donc il faut un gaullisme social et populaire pour convaincre les classes ouvrières de la justesse du gaullisme. Puis, au fil des années, la IV e République connaît une crise économique sans précédent et se développe alors un gaullisme libéral, qui épouse l’esprit de libéralisation et modernisation de l’économie française.

    La particularité du gaullisme social, par rapport aux autres courants du gaullisme, c’est son ancrage dans le temps long et l’affection personnelle du général de Gaulle pour ce courant politique.

    Ces différentes chapelles sont en concurrence auprès du général de Gaulle, qui va soutenir tantôt les unes, tantôt les autres, et les rendre plus ou moins influentes au gré de son humeur et de l’actualité nationale. La particularité du gaullisme social, par rapport aux autres courants du gaullisme, c’est son ancrage dans le temps long (dès la France libre et jusqu’aux jours les plus récents) et l’affection personnelle du général de Gaulle pour ce courant politique (qui se manifeste notamment via le financement de leur journal sur les deniers personnels du Général).

    Après la disparition du général de Gaulle, un gaullisme orthodoxe et conservateur émerge autour de Pierre Messmer et d’Hubert Germain [le dernier Compagnon de la Libération, NDLR]. Ces deux hommes veulent préserver le gaullisme des origines et s’inquiètent d’éventuels dévoiements. Chacun se revendique alors d’être le plus légitime dans son discours gaulliste : c’est le combat qui oppose Georges Pompidou, président de la République, et les barons du gaullisme (Chaban-Delmas, Debré, Frey).

    LVSL – L’un des mythes fondateurs du gaullisme social est l’application du programme du CNR à la Libération, en particulier la mise en place de la Sécurité sociale. Certains ont même parlé d’un « gaullo-communisme » pour qualifier cette période. Souscrivez-vous à cette thèse, qui semble évacuer la grande conflictualité qu’il y avait à cette époque, entre gaullistes et communistes ?

    P. M. – Sur la question de la Sécurité sociale ou des comités d’entreprise, qui sont deux grandes réformes mises en place à la Libération, l’empreinte du général de Gaulle est très forte. Sans le général de Gaulle, cela n’aurait pas pu se faire. Néanmoins, il a travaillé dans le cadre d’un gouvernement de coalition, d’abord avec la gauche socialiste puis avec la gauche communiste, après les élections d’octobre 1945. Avant l’entrée des communistes au gouvernement, Charles de Gaulle défend le comité d’entreprise, que les communistes rejettent à l’Assemblée nationale. Après les élections législatives, il les fait entrer dans son gouvernement et c’est seulement à partir de ce moment que les communistes se mettent à défendre cette idée.

    [Sur la Sécurité sociale], de Gaulle avait une vision très technique de ce sujet, là où les communistes ont apporté un regard plus politique et populaire.

    Il y a donc une forme de captation et de réappropriation politique par les communistes de cet acquis gaulliste de la Libération. Quant au modèle de Sécurité sociale, il est vrai que la vision du général de Gaulle était encore très marquée par le paternalisme, issu du grand courant du catholicisme social. Le retrait progressif du Général des affaires politiques en novembre-décembre 1945, puis son départ du pouvoir en janvier 1946, ont conduit à l’émergence d’un modèle de Sécurité sociale qui n’est peut-être pas celui que de Gaulle aurait voulu mettre en place.

    C’est donc à la fois la volonté politique initiale du général de Gaulle de porter ces réformes et leur reprise puis leur transformation par la gauche communiste et socialiste – plus ambitieuses que le projet initial – qui ont permis l’émergence du modèle que l’on connaît aujourd’hui. De Gaulle avait une vision très technique de ce sujet, là où les communistes ont apporté un regard plus politique et populaire sur de ces réformes.

    Paradoxalement, à partir de 1947, l’argument massue du général Gaulle dans sa lutte pour revenir au pouvoir est celui de la participation des ouvriers à la gouvernance des entreprises et au partage de ses résultats. C’est une sorte de « match retour » pour le Général, qui a beaucoup évolué sur ces questions dans l’intervalle. On parle d’ailleurs parfois, pour désigner le gaullisme, d’une politique de circonstances, c’est-à-dire de grands principes qui doivent être appliqués selon les circonstances. C’est une forme de realpolitik .

    LVSL – Vous montrez l’importance du catholicisme social dans la pensée de Charles de Gaulle, en même temps que des visées stratégiques. C’est la fameuse phrase que vous utilisez, « homme de droite par conviction et homme de gauche par nécessité de l’action »…

    P. M. – Tout à fait. Pourquoi Charles de Gaulle développe-t-il ce discours social ? Parce qu’en 1941, alors qu’il est à Londres, certains Français libres le soutiennent mais d’autres s’inquiètent du régime qu’il pourrait mettre en place dans la France libérée. L’amiral Muselier, grand-père de Renaud Muselier, fait ainsi partie de ces gens, plutôt marqués à gauche, qui s’inquiètent de ce que le Général pourrait faire après la guerre. Les Anglais, les Américains mais aussi beaucoup de socialistes français réfugiés à Londres le voient comme un militaire de droite, conservateur, donc dangereux par définition. Certains journaux français le qualifient même de fasciste. De Gaulle comprend rapidement qu’il a besoin de développer un discours social pour parler au peuple de gauche. C’est quelqu’un qui est fondamentalement, par son éducation et son milieu d’origine, un homme de droite, mais qui va développer un discours de gauche, par la politique et le besoin de rassemblement des Français.

    Pourquoi Charles de Gaulle encourage-t-il l’émergence d’un gaullisme social sous la IV e République ? Parce qu’il existe alors deux partis de droite, le Parti républicain de la liberté (PRL), qui s’est construit sur les débris de la droite d’après-guerre, et le Mouvement républicain populaire (MRP), qui incarne une droite chrétienne et humaniste. Le général de Gaulle se dit qu’il doit aller chercher les ouvriers, en développant un discours sur la condition sociale et le statut des travailleurs afin d’installer son parti, le RPF, dans le paysage politique d’après-guerre ; c’est donc une stratégie politique, nourrie par une conviction intime sur le sens de la nation et de la République.

    Si je vais plus loin : pourquoi y a-t-il un sursaut du gaullisme social sous le mandat présidentiel de Charles de Gaulle ? De 1958 à 1965, les avancées du gaullisme social sont très mineures et les premières tentatives du Général en faveur de l’intéressement sont un échec, en raison de l’hostilité de son entourage comme du patronat. Lors de l’élection présidentielle de 1965, le général de Gaulle est mis en ballotage, alors même qu’il pensait être élu dès le premier tour. Il avait refusé de faire des entretiens avec des journalistes et il finit par accepter, sous la pression de Jacques Foccart, face au risque d’être défait. Il fait alors trois entretiens avec Michel Droit, qui sont entrés dans la légende.

    En janvier 1966, lorsque Charles de Gaulle réélu reconduit Georges Pompidou à Matignon, il prend cependant la décision de rappeler Michel Debré dans son gouvernement. C’est le retour d’une certaine tradition gaulliste, dit autrement la victoire des anciens face aux modernes. C’est aussi la fin de la parenthèse libérale conduite par Pompidou entre 1962 et 1965. C’est dans ce contexte que le général de Gaulle relance la réforme de la participation avec plusieurs lois successives, mais surtout un grand référendum, en 1969, sur la participation à la gouvernance des entreprises, des universités, de la vie politique, etc. Ce que de Gaulle recherche, c’est un modèle d’association du Capital et du travail, un modèle paritaire, dans lequel chacun est reconnu pour son apport à une œuvre commune.

    Derrière cette main tendue aux ouvriers et aux travailleurs, il y a une stratégie politique et une inquiétude sociale.

    Il ne faut pas oublier qu’il y a, chez de Gaulle et les gaullistes, la peur de l’insurrection communiste. On pense aux grandes grèves de 1947-1948, à la peur du rouge dans l’après-guerre, aux menaces de la rue en 1968, etc. Tout cela se construit et s’exprime dans un contexte de Guerre froide, où l’Union soviétique est une menace réelle pour les démocraties occidentales. Derrière cette main tendue aux ouvriers et aux travailleurs, il y a donc une stratégie politique – aller chercher le vote ouvrier avec un discours de rassemblement du pays pour dépasser les clivages – et une inquiétude sociale – si on ne partage pas suffisamment, le pays explosera et une révolution pourrait alors s’emparer du pouvoir.

    LVSL – Vous expliquez cependant que le courant du gaullisme social a toujours été assez minoritaire, au point d’apparaître à certains moments comme une caution politique pour une doctrine plus autoritaire et conservatrice.

    P. M. – Oui, c’est particulièrement vrai dans l’aventure du RPF [entre 1947 et 1955], où les grands cadres du parti étaient des hommes plutôt anticommunistes et conservateurs, peu portés sur la question sociale. Le parti était alors sous l’influence d’hommes de droite. Pourtant, certains militants, comme Jacques Baumel ou Yvon Morandat, sont parvenus à convaincre le général de Gaulle de créer un syndicat gaulliste, l’Action ouvrière. Son existence permet alors une forme d’équilibre politique au sein de la famille gaulliste et fait taire certaines accusations sur le positionnement très à droite du RPF.

    Il faut rappeler qu’avant que le RPF ne soit créé en 1947, il y avait eu un autre mouvement gaulliste, créé en 1946 à l’initiative de René Capitant, qui s’appelait l’Union gaulliste et qui avait servi de ballon d’essai. Très vite pourtant, le général de Gaulle s’était aperçu que cette Union gaulliste ne marchait pas, car elle était devenue un rassemblement hétéroclite de gens d’extrême-droite, qui venaient de la droite autoritaire et qui tentaient de « se recycler ». De ce point de vue, dans l’aventure du RPF, l’Action ouvrière et le gaullisme social ont donc servi de caution pour replacer le gaullisme au centre de l’échiquier politique.

    Par la suite, notamment après la mise en sommeil du RPF, le gaullisme social a pris son indépendance du reste du parti gaulliste : plusieurs clubs et mouvements ont ainsi existé entre 1955 et 1958, puis différents partis se sont structurés comme le Centre de la Réforme républicaine (CRR) en 1958 ou l’Union démocratique du travail (UDT) entre 1959 et 1962. C’est peut-être d’ailleurs le grand échec politique de Philippe Seguin, qui a voulu ressusciter le gaullisme social non pas comme un mouvement autonome mais comme une composante du RPR chiraquien. Il a voulu faire percer le gaullisme social au sein de la famille chiraquienne.

    Or, à partir de 1969 et plus encore à partir de 1974, il y a une rupture au sein de la famille gaulliste, car les héritiers du gaullisme social estiment que la défense du gaullisme n’est ni avec Georges Pompidou, ni avec Valéry Giscard d’Estaing, ni même avec Jacques Chirac, mais qu’elle est à gauche, quitte à travailler avec les ennemis d’hier. Jean Charbonnel ou Léo Hamon, tous les deux des anciens ministres, vont ainsi œuvrer directement avec la gauche socialiste de François Mitterrand. Ce moment marque, pour moi, la rupture entre les gaullistes sociaux et les gaullistes de gauche, les premiers cherchant à faire vivre une droite sociale, les seconds ralliant les partis de la gauche socialiste et communiste.

    Les gaullistes de gauche vont, au nom d’une certaine idée du gaullisme, travailler main dans la main avec la gauche.

    Au contraire, à partir de 1978-1981, un mouvement inverse s’opère. Certains gaullistes de gauche vont revenir dans le giron du RPR chiraquien, notamment à l’occasion des élections européennes de 1979, et vont donc redevenir des tenants de la droite sociale. D’autres vont néanmoins définitivement décrocher, comme Michel Jobert, ancien ministre de Pompidou, qui devient ministre de Mitterrand. Ces deux familles, issues de la vision sociale du général de Gaulle, coexistent pendant de nombreux années… Les gaullistes sociaux font vivre l’idée d’une droite sociale et populaire au sein de la famille gaulliste puis chiraquienne ; tandis que les gaullistes de gauche, au nom d’une certaine idée du gaullisme, travaillent main dans la main avec la gauche. Ce sont eux que l’on retrouve, en 2002, autour de la candidature de Jean-Pierre Chevènement.

    LVSL – Certains observateurs, tel que l’historien Grey Anderson, ont décrit le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958 comme un coup d’État, dans un contexte de guerre civile. Que pensez-vous de cette analyse ?

    P. M. – Je ne pense pas qu’on puisse qualifier le retour au pouvoir du général de Gaulle de coup d’État, mais il est vrai que la crainte d’un coup de force militaire a indéniablement pesé sur les conditions de son accession aux responsabilités en mai 1958. De Gaulle s’est toujours tenu à l’écart des tractations avec les militaires de l’Algérie française, ce qui n’est pas le cas de tous les gaullistes, notamment son premier cercle, ainsi Jacques Foccart et Olivier Guichard.

    Le général de Gaulle ne pouvait pas non plus ignorer la volonté qu’avaient les pieds-noirs et l’armée d’Algérie de le voir revenir au pouvoir, ni même les agissements de son entourage. Au moment où le gouvernement de Salut public est proclamé à Alger, le Général profite donc de la situation pour mettre la pression sur l’écosystème politique métropolitain et pour être choisi non seulement comme dernier président du Conseil mais aussi pour obtenir les pleins pouvoirs au début du mois de juin 1958.

    Je dirais donc que de Gaulle n’a pas organisé de coup d’État militaire, mais qu’il a profité d’un climat général d’angoisse politique, vis-à-vis de la possibilité d’un tel coup d’État, pour accéder au pouvoir.

    LVSL – En-dehors de ce que vous appelez la « valeur refuge » que constitue le gaullisme dans une partie très importante du champ politique français, quel est, selon vous, l’héritage du gaullisme aujourd’hui, et en particulier du gaullisme social ?

    P. M . – Ce qui est très intéressant, c’est que lorsque le général de Gaulle est décédé en 1970, la question de savoir s’il existait encore un gaullisme s’est immédiatement posée. Or elle n’a jamais été résolue depuis. Si l’on reprend la définition de la pensée gaulliste apportée dans mes réponses précédentes, y a-t-il eu une continuité à travers d’autres figures politiques ? On peut bien sûr penser aux barons du gaullisme, avec la candidature de Chaban-Delmas en 1974 ou celle de Michel Debré en 1981.

    Pour rappel, on parle généralement de six barons du gaullisme : Chaban-Delmas, Debré, Foccart, Frey, Guichard et Palewski. Pourquoi ces six hommes sont-ils considérés comme des barons du gaullisme ? Parce qu’ils étaient des hommes qui parlaient au nom du général de Gaulle et au général de Gaulle. Ils étaient parmi les rares personnes capables de lui tenir tête. Ils déjeunaient régulièrement ensemble, à la Maison de l’Amérique latine, boulevard Saint-Germain. À partir de là, est né une sorte de mythe selon lequel ils seraient les grands décideurs du régime. Dans la vie quotidienne du parti, le Général se refusant aux bases œuvres de la vie politique, les barons du gaullisme étaient en effet les animateurs du gaullisme politique.

    Puis, au fur et à mesure de la disparition des barons, disparition politique ou personnelle, d’autres ont essayé de reprendre cet étendard et ce rôle au sein de la famille gaulliste comme Pierre Lefranc (fondateur de l’Institut Charles-de-Gaulle en 1971) ou encore des anciens Premiers ministres comme Maurice Couve de Murville ou Pierre Messmer. Ces nouveaux barons ont cherché à faire vivre le gaullisme après de Gaulle. Dans des temps les plus récents, d’autres figures se sont imposées comme les derniers gardiens du temple du gaullisme, comme Albin Chalandon qui, en 1986, était le seul ministre du général de Gaulle à servir dans le gouvernement de cohabitation de Jacques Chirac. Il apportait alors une caution politique importante mais aussi un témoignage de la survivance du gaullisme, comme je le raconte dans mon livre [NDLR : Albin Chalandon, Le dernier baron du gaullisme , Perrin, 2023].

    L’élection présidentielle de 2022 l’a montré : la quasi-totalité des candidats, de droite mais aussi de gauche, a en effet invoqué la figure du général de Gaulle

    De là, une question demeure. Les derniers grands représentants du gaullisme ayant disparu, existent-ils encore des gens légitimes en France pour porter cette parole politique ? Je suis persuadé que le gaullisme est un ensemble de grands principes qui ont encore toute leur légitimité et leur vitalité dans la France contemporaine. L’élection présidentielle de 2022 l’a montré : la quasi-totalité des candidats, de droite mais aussi de gauche, a en effet invoqué la figure du général de Gaulle, qu’il s’agisse d’Anne Hidalgo qui s’est rendue à Colombey-les-Deux-Églises ou de Marine Le Pen qui l’a célébré à Bayeux, d’Éric Zemmour qui a utilisé la référence au discours du 18-juin dans son clip de campagne, d’Emmanuel Macron qui a appelé à voter pour lui des sociaux-démocrates aux gaullistes, ou encore de Valérie Pécresse, qui se présentait comme une gaulliste sociale et libérale.

    Alors pourquoi cette appropriation politique unanime du terme de « gaullisme » ? Parce que les grands principes du gaullisme sont devenus transpartisans. De Gaulle et le gaullisme sont désormais plus que des notions politiques, ce sont des concepts historiques. Qui se souvient en effet des tensions politiques inhérentes à l’époque de général de Gaulle, exception faite des événements de mai 1968 ? En revanche, on se souvient tous du héros de la France libre, de celui qui, après avoir relevé le pays, a voulu réconcilier la droite et la gauche, bref de la figure de rassemblement.

    J’ajouterais que lorsque de Gaulle revient au pouvoir en 1958, il est persuadé qu’il est légitime pour parler à la droite, mais aussi à la gauche, et que ce qu’il entreprend devrait avoir son soutien. Il est donc écœuré de voir que la gauche, derrière François Mitterrand (qui publie Le coup d’État permanent en 1964), refuse de le soutenir pour ce qu’il estime être une histoire de politique politicienne. Il confie d’ailleurs à un proche : « La gauche se réclamera de moi lorsque je serai mort », ce qui est une manière de dire que son différend avec la gauche est uniquement personnel. Tout cela lui semble contraire à l’intérêt du pays ; c’est le fameux « régime des partis », qu’il abhorre et contre lequel il s’est battu toute sa vie.

    LVSL – Qu’est devenu le gaullisme après de Gaulle ? Vous parlez beaucoup du gaullisme social mais vous écrivez aussi qu’il existe aussi un gaullisme néolibéral et européen, ce qui peut sembler antithétique…

    P. M. – Le gaullisme néolibéral, qu’on présente aussi parfois comme un néo-gaullisme, est l’héritier des politiques libérales menées par le général de Gaulle en 1958-1959, au moment de la réforme Pinay-Rueff de l’économie française. Il s’enracine, en 1962, avec l’arrivée de Georges Pompidou à Matignon.

    Quant au gaullisme social, il a lui-même muté du catholicisme social des origines, au gaullisme ouvrier, en passant par l’opposition au pompidolisme puis par les grandes heures du séguinisme.

    Quant au gaullisme européen, il faut rappeler que le général de Gaulle n’est pas contre l’Europe ; il est pour l’Europe des nations. Mais lui-même évolue au cours de son mandat. À la fin de sa vie, en 1969, il a ainsi des entretiens avec l’ambassadeur britannique Soames et lui confie : « Je suis prêt à faire entrer l’Angleterre dans une certaine Europe, telle que je l’ai imaginée ». Ce changement de pied explique qu’il y a, dans la famille gaulliste, un courant pro-européen, avec Jacques Chaban-Delmas, par exemple, partisan de l’accord de Maastricht, et à l’opposé, un courant souverainiste, dans lequel on retrouve Philippe Séguin ou Charles Pasqua, défenseurs de l’Europe des nations.

    Quant au gaullisme social, il a lui-même muté du catholicisme social des origines, au gaullisme ouvrier, en passant par l’opposition au pompidolisme puis par les grandes heures du séguinisme. Je suis persuadé que le gaullisme social, qui est à la fois un discours souverainiste d’exaltation de la nation française et en même temps un discours de lutte contre la fracture sociale, a aujourd’hui encore une audience particulière mais aussi une légitimité forte.

    L’usage et la captation du « gaullisme social », comme mot-valise du parfait équilibre entre la droite et la gauche, est donc évidemment politique. C’est une expression qui répond aux nécessités d’une époque où les Français, après avoir goûté à la globalisation, recherchent un État qui protège face aux crises comme aux marchés concurrentiels, et en même temps, un État qui préserve leur identité, leurs particularismes, face à une sorte d’uniformité culturelle, économique, sociale, qu’on cherche à nous imposer.

    Alors faut-il préserver, coûte que coûte, les particularités françaises ? Ou faut-il, au contraire, rechercher l’efficacité en allant vers le copier-coller de modèles étrangers ? Je crois que, dans ce débat, le discours gaulliste résonne de manière particulièrement évidente aujourd’hui : volonté de dépasser les clivages politiques, souci de la grandeur du pays et de la défense de son modèle si unique, mais aussi recherche d’une concorde sociale, qui soit le ferment de l’unité nationale, il y a là un véritable programme politique !

    • Co chevron_right

      Formidable, la sécu de Macron rembourse les protections périodiques mais plus les cathéters !

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 10 March, 2023 - 12:00 · 5 minutes

    Il y a parfois d’amusantes collisions d’actualité, parfois fortuites, parfois non et parfois on se demande. Et alors que le gouvernement est actuellement très occupé par un peuple plus remuant que prévu, le voilà qui tente, envers et contre tout, d’intéressantes cabrioles avec les remboursements de Sécurité sociale .

    C’est ainsi qu’on apprend, quelque peu surpris, que ce 1 er mars la Sécurité sociale vient de mettre fin au remboursement partiel des cathéters de thrombo-aspiration , un équipement de pointe dans le traitement des accidents vasculaires cérébraux.

    Décision d’autant plus surprenante que l’usage de ces cathéters est particulièrement efficace au point d’être devenu l’indication de référence dans le traitement des AVC et que, comble de la bizarrerie bureaucratique bien tortueuse, le même gouvernement a décidé En Même Temps qu’ils soient davantage déployés sur tout le territoire, au plus près des patients.

    Décidément, la France en Marche ressemble de plus en plus à un homme ivre qui titube du rail gauche au rail droite du chemin de fer sur lequel le train du progrès va passer très vite sans s’arrêter…

    D’autant qu’ En Même Temps toujours, et en opposition avec ce déremboursement brutal et d’une logique discutable, Babeth Borne – qui serait encore et toujours le Premier ministre – annonce sans sourciller le remboursement des protections périodiques réutilisables pour les femmes pardon les humanoïdes de moins de 25 ans pourvus d’un utérus.

    L’annonce – en fanfare, évidemment – de cette mesure, goulument détaillée par la plupart des journaux républicains, démocratiques et fact-checkés, laisse pudiquement en suspens une question qui taraudera pourtant l’homme le mammifère bipède de la rue : pourquoi s’arrêter à 25 ans, laissant ainsi supposer qu’après cet âge, il n’y aurait plus besoin de ces protections périodiques ?

    Choix étonnant de l’âge et choix tout aussi étonnant du remboursement qui porte donc sur une protection qui n’est pour ainsi dire plus du tout employée depuis un demi-siècle et que les prurits écolo-conscientisants n’arrivent pas à faire revenir en grâce.

    C’est aussi un choix révélateur en ce qu’il porte, encore une fois, sur quelque chose de relativement intime : on en vient à se demander ce qui peut bien obséder autant nos élites à se préoccuper régulièrement de ce qui se passe entre nos jambes. Il ne s’est en effet écoulé que quelques mois depuis l’annonce de la gratuité des préservatifs par Emmanuel Macron, seulement quelques jours depuis que ce dernier a lancé avec beaucoup d’emphase une grande campagne de vaccination contre le papillomavirus et quelques heures depuis qu’il a proposé d’ inscrire l’IVG dans la Constitution

    Au passage, on s’étonnera (sans s’éterniser, cependant) que les dirigeants aient choisi de ne plus rembourser un traitement pourtant efficace, au profit d’une lubie à la mode… Peut-être s’agit-il d’un calcul économique malin ? C’est improbable tant l’économie est pour ces gens-là une contrée étrangère, hostile et jamais visitée ( Bruno Le Maire a cru y faire un tour, jadis, alors qu’il n’a fait que du tourisme au Royaume des Budgets En Carton) ; néanmoins, force est de constater que la quantité de femmes qui désireront réellement des protections périodiques réutilisables et se les faire rembourser est probablement beaucoup plus faible et donc bien moins coûteuse que le remboursement des cathéters pour traiter les AVC dont le nombre ne risque pas de diminuer prochainement ; et même au contraire si l’on se rappelle les performances notables de certaines injections miracles récentes en matière de coagulations intempestives rigolotes.

    Mais pourquoi se plaindre ? Après tout, cette gestion unilatérale et complètement détachée des vraies demandes des Français est une illustration parfaite du collectivisme en application : personne ne peut choisir individuellement ce qui est ou non assuré, remboursé ou couvert. Une entité plus ou moins désincarnée choisit pour tout le monde et si cela ne convient pas, peu importe.

    Le pompon étant bien sûr d’enfiler ce genre de décisions avec force battage médiatique alors même que le pays semble bien plus proche d’une crise énergétique majeure que d’une rupture de stock de lingettes, ou que chaque jour qui passe est fait le constat d’un dénuement assez tragique (pour ne pas dire mortel) de l’armée française, toutes armes confondues, ou que les demandes d’aide alimentaire sont en nette hausse

    Décidément, la priorité gouvernementale a été placée au-dessous de notre nombril. Il n’y a rien pour nos têtes, nos cœurs et nos ventres.

    Encore une fois, il s’agit de faire plaisir à une hyper-minorité ultrabruyante d’activistes qui n’a de féministe que le logo. Et pour le reste, le gouvernement ne cherche absolument pas à résoudre les problèmes des Français. Il ne cherche qu’à se faire bien voir de ceux qui ont l’oreille biaisée des médias, point.

    Dans une course à l’échalotte tragique, on assiste à la surenchère entre ce que les “minovités risibles” réclament à grands bruits, ce que les médias caricaturent avec leur talent tout particulier à narrer des âneries, et ce que les politiciens cherchent à accomplir avec leurs compétences de plus en plus étroites.

    En pratique, le gouvernement et plus généralement les politiciens actuellement élus sont devenus incapables de proposer des solutions viables ou même simplement crédibles, et encore moins d’appliquer des solutions connues à des problèmes connus. Ils sont en revanche de plus en plus affûtés pour apporter des solutions idiotes à des problèmes qu’ils créent de toutes pièces.

    Dès lors, armé de ce prisme de lecture, et vu le niveau assez ahurissant de pourrisme des solutions qu’ils nous amènent en matière d’énergie, de mobilité, de fiscalité, de retraites, de santé ou d’emploi et j’en passe, comment ne pas comprendre que le principal problème n’est pas la conjoncture ou les crises mondiales que nous traversons, mais bien nos fabuleux dirigeants ?

    Sur le web

    • Co chevron_right

      Protections périodiques, précarité menstruelle et démagogie permanente

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 8 March, 2023 - 04:30 · 3 minutes

    « Je me soucie [de ce sujet] et je trouve que c’est impensable que des femmes ne puissent pas avoir les protections dont elles ont besoin et qu’elles souhaitent. Donc je vous annonce que nous allons mettre en place un remboursement par la Sécurité sociale des protections périodiques réutilisables, à partir de l’an prochain. »

    C’est ce qu’a sérieusement annoncé sur France 5 Élisabeth Borne.

    Cette mesure vise à lutter contre « la précarité menstruelle ». Si vous ignoriez l’existence de ce drame, sachez qu’il s’agit « des difficultés pour de nombreuses filles et femmes à se procurer des protections hygiéniques à cause de leurs faibles revenus. »

    La précarité menstruelle

    On peut comprendre cette précarité dans les pays sous-développés. Plan international, une « ONG de solidarité internationale qui agit pour un monde juste qui fait progresser les droits des enfants et l’égalité filles-garçons » souligne d’ailleurs en quoi consiste cette précarité menstruelle :

    « Les conditions d’hygiène précaires à l’école, causées entre autres par le manque d’eau courante ou d’installations sanitaires adaptées, constituent un frein supplémentaire au plein épanouissement des filles et des adolescentes durant cette période. Dans certains pays affectés ou à revenu faible, tels que le Bangladesh, le Bénin ou encore le Yémen, 50 % des écoles n’ont pas de toilettes. »

    Reconnaissons qu’on voit assez peu de femmes sanguinolentes dans les rues de Paris ou d’ailleurs pour cause d’impossibilité d’accéder à des protections périodiques… qui coûtent entre 0,09 euro pièce (pour le modèle de base) et 0,34 euro (pour le modèle écologique, bioresponsable, confort absolu, coton équitable-cultivé-sans-personne-de-couleur-ni-enfant-exploité).

    Remboursement des protections périodiques par… l’assurance maladie ?

    Depuis quand les règles sont-elles entrées dans la catégories des « soins » ouvrant droit à un remboursement ? Que l’on prélève les cotisations sociales des Français pour le cancer des uns, pour les transfusions des autres, de la chirurgie, des médicaments ou même des protections contre l’incontinence, qui n’est pas physiologique, c’est un fait entendu. Mais faire entrer dans la liste des produits remboursables une protection contre les règles, est-ce bien le rôle de la Sécu ?

    Être une femme serait donc devenu… une maladie dont il faudrait rembourser les effets indésirables ?

    Il est très choquant de faire assumer par la collectivité une différence naturelle. Si on pousse un peu le raisonnement (et mémé dans les orties), pourquoi ne pas rembourser les messieurs d’une boîte de kleenex puisque leurs rêves érotiques nocturnes et leur physiologie les oblige, quelle injustice, à utiliser de quoi s’essuyer ? Pourquoi n’y aurait-il pas, pour faire bonne mesure, une « précarité éjaculatoire » ?

    La Sécu, variable d’ajustement économique et électoral

    Restons sérieux. Montrer qu’on se préoccupe des femmes (opprimées et pauvres) en dépensant de l’argent public est facile. Plus facile que de modifier le droit du travail. Ou de toucher aux taxes. Mais cette politique permet de manifester ostensiblement comme dans d’autres pays, notre appartenance à la tendance woke , à la mode.

    La Sécurité sociale ne peut pas servir de variable d’ajustement à l’inflation, ne peut pas servir à « compenser » la pauvreté induite par tant de mauvaises décisions politiques. La Sécu ne devrait pas être un outil politique. Et pourtant… n’est-ce pas ce qu’elle est devenue depuis que les politiciens en recherche d’électorat ont su l’utiliser ? Nous en avons depuis ce lundi, une criante démonstration.

    • Co chevron_right

      L’âge du déclin démographique

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 14 February, 2023 - 03:35 · 7 minutes

    Par Antony Davies.

    Les transitions entre les époques ne sont que parfois faciles à identifier. Les historiens ont identifié l’avènement de la révolution industrielle des décennies après son début . En revanche, le début de l’ère atomique peut être daté à la seconde où la première bombe atomique a explosé au-dessus d’Hiroshima, et il n’a fallu que quelques heures pour que le monde sache que l’humanité était entrée dans une nouvelle ère.

    Une évolution démographique inquiétante

    Une grande partie du monde développé est récemment entrée dans une nouvelle ère que les historiens ne nommeront probablement pas et que le grand public ne remarquera pas avant une dizaine d’années : l’ère du déclin. Le Japon, la Grèce, l’Italie, le Portugal, la Russie, l’Allemagne, l’Espagne, la Corée du Sud et la Chine, ainsi que trente autres pays développés, devraient voir leur population décliner en 2023. Hong Kong, la Finlande, Taïwan, la France, l’Autriche, la Belgique, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, le Danemark et les États-Unis, parmi trente-trois autres pays, verront leur population augmenter de moins d’un demi pour cent. Pour la plupart des pays développés et des grands centres de population, la croissance démographique s’est largement arrêtée.

    Si cela peut être une bonne nouvelle pour ceux qui craignent la surpopulation, la théorie et les preuves indiquent que nous avons bien plus à craindre du déclin démographique. Comme l’économiste Julian Simon l’a souligné il y a quarante ans, les êtres humains sont la ressource ultime car ils créent des ressources là où elles étaient inexistantes auparavant. Toutes les ressources qui rendent possible notre vie moderne et confortable, de l’énergie aux transports en passant par la communication, la réfrigération, le contrôle du climat et les produits pharmaceutiques, sont le fruit de l’ingéniosité humaine. Il n’est pas étonnant que l’explosion de la population mondiale ait entraîné celle de nos ressources.

    L’âge du déclin posera un problème particulièrement difficile pour des pays comme les États-Unis qui comptent sur les jeunes travailleurs pour soutenir les retraités. Les derniers chiffres du recensement prévoient que dans les sept prochaines années la migration nette vers les États-Unis dépassera la croissance naturelle de la population du pays, ce qui nous rendra, pour la première fois en près de 150 ans, dépendants de l’immigration pour notre croissance démographique. Même dans ce cas, le recensement prévoit que le taux de croissance de la population américaine tombera (de façon permanente) en dessous de 0,5 % au cours de la décennie.

    Depuis des décennies, nous connaissons les implications pour la sécurité sociale. En 1960, il y avait plus de cinq travailleurs cotisant au système pour chaque bénéficiaire de la sécurité sociale recevant des prestations. Aujourd’hui, c’est moins de trois. Et ce nombre devrait tomber à deux dans les dix ans à venir. En bref, le travailleur moyen d’aujourd’hui doit contribuer à la sécurité sociale deux fois et demie ce que le travailleur moyen d’il y a trois générations contribuait.

    L’évolution démographique fait non seulement peser une charge plus lourde sur les travailleurs mais rend également de moins en moins possible la mise en place des changements nécessaires. À mesure que le rapport entre les travailleurs et les retraités diminue, le pouvoir de vote de ces travailleurs diminue également.

    Les personnes âgées de 53 ans et plus bénéficient de la sécurité sociale et ne sont donc pas intéressées par des réformes impliquant une réduction des prestations, ou sont suffisamment proches de la sécurité sociale pour être moins intéressées par une réforme du système à leur propre détriment. En outre, les jeunes travailleurs sont moins enclins à voter que les personnes âgées.

    À l’extrême, si tous les électeurs probables âgés de 52 ans et moins soutenaient la réduction des prestations de sécurité sociale et que tous les électeurs probables âgés de 53 ans et plus s’y opposaient, alors, dans un vote organisé aujourd’hui, une proposition de « réduction des prestations » l’emporterait par un maigre 51 % contre 49 %. Dans sept ans, ce serait un match nul. À partir de 2030, l’évolution démographique en faveur des personnes âgées rendra impossible la victoire de l’option « réduction des prestations ». Et cela suppose que les électeurs âgés de 52 ans et moins soient unanimement en faveur d’une réduction des prestations de sécurité sociale.

    En fait, près de 80 % des Américains en âge de travailler affirment que les prestations de sécurité sociale doivent être préservées même si cela implique une augmentation des charges sociales.

    Des effets néfastes

    Malheureusement, les lois de l’arithmétique l’emportent sur la rhétorique politique et les vœux pieux. Le conseil d’administration de la sécurité sociale (Social Security Board of Trustees) estime qu’en l’absence de tout changement, la sécurité sociale accusera un déficit de 2,5 billions de dollars au cours de la prochaine décennie.

    Pour éliminer ce déficit, il faudrait soit réduire les prestations de sécurité sociale d’environ 25 %, soit augmenter les recettes des charges sociales d’environ 25 %, soit une combinaison des deux. Bien entendu, l’État fédéral peut toujours emprunter pour financer le déficit de la sécurité sociale mais cela n’élimine pas le déficit et ne fait que le déplacer d’un ensemble de registres étatique à un autre. Peu importe ce que nous choisissons de faire, les contribuables vont en payer le prix. La question qui demeure est de savoir lesquels. Au vu des sondages et de l’évolution démographique, la réponse semble être les contribuables qui travaillent.

    Une solution possible souvent évoquée consiste à supprimer le plafonnement des charges sociales. Le danger est d’imposer un coût important aux entrepreneurs en herbe. Les ménages disposant d’au moins un revenu et d’une activité secondaire qui s’est développée suffisamment pour fournir un revenu significatif mais pas assez pour être une entreprise à part entière, sont plus susceptibles de gagner (ou de prévoir de gagner bientôt) près du plafond des charges sociales (actuellement 160 000 dollars). Étant donné que les propriétaires d’entreprises doivent payer les deux moitiés des charges sociales (employeur et employé), la suppression du plafond des charges sociales impose une taxe supplémentaire de 12,4 % sur les revenus des propriétaires d’entreprises au-delà de 160 000 dollars. Cela dissuadera les entrepreneurs de développer suffisamment leur activité secondaire pour pouvoir embaucher des salariés. Une modification plus favorable aux entrepreneurs, consistant à maintenir le plafond de 160 000 dollars, mais à le supprimer pour les revenus supérieurs à 250 000 dollars, permettrait d’obtenir moins de la moitié de ce qui est nécessaire pour combler le déficit de la sécurité sociale.

    L’économie et la démographie penchent toutes deux pour que la charge croissante de la sécurité sociale repose sur les épaules des travailleurs. Une population stagnante rendra cette charge à la fois plus lourde à supporter financièrement et plus difficile à alléger politiquement. Entretemps, le ralentissement de la croissance démographique signifie en fin de compte un ralentissement de la croissance économique. En bref, le problème ne fait que s’aggraver au fil du temps.

    Ce n’est pas une coïncidence si les États-Unis sont passés d’une petite nation agraire à une superpuissance économique au cours du même siècle et demi où leur population a été multipliée par 30 . Mais cette époque est révolue. Les États-Unis et une grande partie du reste du monde développé, sont entrés dans l’ère du déclin. À mesure que la croissance démographique des pays développés ralentira, l’innovation et la croissance économiques ralentiront également. Les programmes de retraite, déjà très sollicités, seront alors soumis à des charges plus importantes. Le passage d’une population jeune à une population plus âgée fera en sorte que la majeure partie de ce fardeau retombe sur les jeunes, ce qui rendra finalement plus coûteux pour eux d’élever leurs propres enfants, exacerbant ainsi le changement.

    Après avoir survécu à l’ère atomique sans nous faire exploser, et après avoir généré des richesses inimaginables tout au long de l’ère de l’information, nous entrons dans l’ère du déclin et nous sommes victimes de notre propre succès. L’histoire nous apprend que les sociétés appauvries meurent par la guerre et la famine. Nous apprenons maintenant que les sociétés prospères meurent par attrition.

    Sur le web

    • Co chevron_right

      Réforme des Retraites : l’article 47.1, la nouvelle star

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 31 January, 2023 - 12:28 · 3 minutes

    On a souvent parlé dans ces colonnes de l’article 49.3, mais connaissez-vous l’article 47.1 ? Si vous aimez la démocratie représentative et parlementaire, vous allez le détester !

    La réforme des retraites doit être débattue au Parlement à compter du lundi 30 janvier. Au Sénat, à majorité de droite, le gouvernement ne devrait pas rencontrer trop de résistance mais à l’Assemblée nationale c’est beaucoup moins évident. Les députés de la Nupes et ceux du Rassemblement national à l’extrême droite sont contre le texte.

    La majorité présidentielle qui soutient la réforme peut certes compter sur le vote des Républicains, favorables à un report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans. Ainsi, la réforme des retraites serait adoptée par la voie classique. Mais les députés LR se déchirent sur l’intérêt politique de soutenir une « réforme Macron ». Le président du groupe LR à l’Assemblée, Olivier Marleix a déclaré le 25 janvier sur Franceinfo que les députés LR ont « toujours la liberté de vote » sur la réforme.

    Avec des soutiens aussi peu fiables que les députés LR et contre des élus Nupes et RN déterminés, le gouvernement fait appel à un outil des relations avec le pouvoir législatif : l’article 47.1 de la Constitution.

    Qu’est-ce que l’article 47.1 de la Constitution ?

    L’article 47.1 de la Constitution décide que :

    « Le Parlement vote les projets de loi de financement de la sécurité sociale […].

    « Si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcé en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours.[…]

    « Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance… »

    Ainsi, au bout de cinquante jours sans avis du Parlement, le texte soumis aux députés et aux sénateurs peut finalement passer en force sans vote !

    Utiliser le 47.1 n’est pas sans risque pour le gouvernement

    L’alinéa 1 de l’article 47.1 précise que cette procédure ne peut s’appliquer que pour l’adoption des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

    Aussi, par un tour de passe-passe juridique, le gouvernement présente sa réforme de retraite comme faisant partie d’un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFRSS), car c’est la Sécurité sociale qui verse les pensions de retraite via l’assurance retraite !

    Mais cette procédure n’est pas sans risque.

    D’abord le PLFRSS peut (et fera) l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel. Or, toutes mesures étrangères au PLFRSS sont généralement censurées par les Sages. Car toutes les mesures qui ne portent pas sur des recettes et des dépenses n’entrent pas à proprement parler dans le cadre de PLFRSS.

    Ensuite, cette procédure d’urgence portée par l’article 47.1 semble difficile à justifier dans le cas de la réforme des retraites.

    Enfin, en réduisant la durée des débats, le gouvernement interdit toute concertation sur un sujet capital et risque de perdre toute légitimité politique pour le reste du quinquennat.

    Après dix recours au 49.3 pour adopter le projet de loi de finances Élisabeth Borne a écarté l’usage de cette procédure décriée pour la réforme des retraites alors que la Constitution lui en donnait le droit. Un onzième recours est donc possible mais les conséquences politiques, institutionnelles et sociales seraient désastreuses pour le pays…

    • Co chevron_right

      Réforme des retraites : l’article 47.1, la nouvelle star

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 31 January, 2023 - 07:22 · 3 minutes

    On a souvent parlé dans ces colonnes de l’article 49.3, mais connaissez-vous l’article 47.1 ? Si vous aimez la démocratie représentative et parlementaire, vous allez le détester !

    La réforme des retraites doit être débattue au Parlement à compter du lundi 30 janvier. Au Sénat, à majorité de droite, le gouvernement ne devrait pas rencontrer trop de résistance mais à l’Assemblée nationale c’est beaucoup moins évident. Les députés de la Nupes et ceux du Rassemblement national à l’extrême droite sont contre le texte.

    La majorité présidentielle qui soutient la réforme peut certes compter sur le vote des Républicains, favorables à un report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans. Ainsi, la réforme des retraites serait adoptée par la voie classique. Mais les députés LR se déchirent sur l’intérêt politique de soutenir une « réforme Macron ». Le président du groupe LR à l’Assemblée, Olivier Marleix a déclaré le 25 janvier sur Franceinfo que les députés LR ont « toujours la liberté de vote » sur la réforme.

    Avec des soutiens aussi peu fiables que les députés LR et contre des élus Nupes et RN déterminés, le gouvernement fait appel à un outil des relations avec le pouvoir législatif : l’article 47.1 de la Constitution.

    Qu’est-ce que l’article 47.1 de la Constitution ?

    L’ article 47.1 de la Constitution décide que :

    « Le Parlement vote les projets de loi de financement de la sécurité sociale […].

    « Si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcé en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours.[…]

    « Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance… »

    Ainsi, au bout de cinquante jours sans avis du Parlement, le texte soumis aux députés et aux sénateurs peut finalement passer en force sans vote !

    Utiliser le 47.1 n’est pas sans risque pour le gouvernement

    L’alinéa 1 de l’article 47.1 précise que cette procédure ne peut s’appliquer que pour l’adoption des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

    Aussi, par un tour de passe-passe juridique, le gouvernement présente sa réforme de retraite comme faisant partie d’un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFRSS), car c’est la Sécurité sociale qui verse les pensions de retraite via l’assurance retraite !

    Mais cette procédure n’est pas sans risque.

    D’abord le PLFRSS peut (et fera) l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel. Or, toutes mesures étrangères au PLFRSS sont généralement censurées par les Sages. Car toutes les mesures qui ne portent pas sur des recettes et des dépenses n’entrent pas à proprement parler dans le cadre de PLFRSS.

    Ensuite, cette procédure d’urgence portée par l’article 47.1 semble difficile à justifier dans le cas de la réforme des retraites.

    Enfin, en réduisant la durée des débats, le gouvernement interdit toute concertation sur un sujet capital et risque de perdre toute légitimité politique pour le reste du quinquennat.

    Après dix recours au 49.3 pour adopter le projet de loi de finances Élisabeth Borne a écarté l’usage de cette procédure décriée pour la réforme des retraites alors que la Constitution lui en donnait le droit. Un onzième recours est donc possible mais les conséquences politiques, institutionnelles et sociales seraient désastreuses pour le pays…

    • Co chevron_right

      Réforme des retraites : l’article 47.1, la nouvelle star ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 31 January, 2023 - 04:30 · 3 minutes

    On a souvent parlé dans ces colonnes de l’article 49.3, mais connaissez-vous l’article 47.1 ? Si vous aimez la démocratie représentative et parlementaire, vous allez le détester !

    La réforme des retraites doit être débattue au Parlement à compter du lundi 30 janvier. Au Sénat, à majorité de droite, le gouvernement ne devrait pas rencontrer trop de résistance mais à l’Assemblée nationale c’est beaucoup moins évident. Les députés de la Nupes et ceux du Rassemblement national à l’extrême droite sont contre le texte. La majorité présidentielle qui soutient la réforme peut certes compter sur le vote des Républicains, favorables à un report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans. Ainsi, la réforme des retraites serait adoptée par la voie classique. Mais les députés LR se déchirent sur l’intérêt politique de soutenir une « réforme Macron ». Le président du groupe LR à l’Assemblée, Olivier Marleix a déclaré le 25 janvier sur Franceinfo que les députés LR ont « toujours la liberté de vote » sur la réforme. Avec des soutiens aussi peu fiables que les députés LR et contre des élus Nupes et RN déterminés, le gouvernement fait appel à un outil des relations avec le pouvoir législatif : l’article 47.1 de la Constitution.

    Qu’est-ce que l’article 47.1 de la Constitution ?

    L’ article 47.1 de la Constitution décide que :

    « Le Parlement vote les projets de loi de financement de la sécurité sociale […].

    « Si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcé en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours.[…]

    « Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance… »

    Ainsi, au bout de cinquante jours sans avis du Parlement, le texte soumis aux députés et aux sénateurs peut finalement passer en force sans vote !

    Utiliser le 47.1 n’est pas sans risque pour le gouvernement

    L’alinéa 1 de l’article 47.1 précise que cette procédure ne peut s’appliquer que pour l’adoption des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

    Aussi, par un tour de passe-passe juridique, le gouvernement présente sa réforme de retraite comme faisant partie d’un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFRSS), car c’est la Sécurité sociale qui verse les pensions de retraite via l’assurance retraite !

    Mais cette procédure n’est pas sans risque.

    D’abord le PLFRSS peut (et fera) l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel. Or, toutes mesures étrangères au PLFRSS sont généralement censurées par les Sages. Car toutes les mesures qui ne portent pas sur des recettes et des dépenses n’entrent pas à proprement parler dans le cadre de PLFRSS.

    Ensuite, cette procédure d’urgence portée par l’article 47.1 semble difficile à justifier dans le cas de la réforme des retraites.

    Enfin, en réduisant la durée des débats, le gouvernement interdit toute concertation sur un sujet capital et risque de perdre toute légitimité politique pour le reste du quinquennat.

    Après dix recours au 49.3 pour adopter le projet de loi de finances Élisabeth Borne a écarté l’usage de cette procédure décriée pour la réforme des retraites alors que la Constitution lui en donnait le droit. Un onzième recours est donc possible mais les conséquences politiques, institutionnelles et sociales seraient désastreuses pour le pays…

    • chevron_right

      Inflation et alimentation : au pays de la bouffe, la grande paupérisation

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Wednesday, 25 January, 2023 - 16:00 · 11 minutes

    L’inflation sur l’alimentation n’épargne personne. Si elle accélère la paupérisation de nos concitoyens et dégrade leur alimentation, elle met en exergue la vulnérabilité de notre modèle agricole. Face à cette situation, la timidité des réponses du gouvernement n’est pas en mesure de protéger les Français alors même que des propositions plus ambitieuses mêlant les enjeux de transition du système alimentaire, d’accès digne à l’alimentation et de juste rémunération des paysans tendent à émerger.

    Inflation sur l’alimentation : double peine pour les plus pauvres

    Après le beurre, enlèvera-t-on les épinards de l’assiette ? Mois après mois, le passage en caisse devient plus douloureux. Cela n’aura échappé à personne, la plupart des produits de consommation connaissent une forte inflation. Concernant les produits alimentaires, elle est encore plus importante. En effet, selon l’INSEE , si en moyenne annuelle sur 2022 la hausse des prix à la consommation a atteint 5,2%, pour les produits alimentaires elle a été de 12,1%.

    Néanmoins, ce chiffre atténue une situation plus violente puisqu’il invisibilise le fait que, pour les plus modestes, cette inflation est encore plus élevée. En effet, les produits ayant le plus augmenté sont les produits premiers prix et les marques distributeurs, ces derniers ayant proportionnellement un coût matière première plus élevé. Selon l’IRI, sur un an, si l’inflation à la demande a atteint 12,59% pour l’alimentation (et le petit bazar), elle n’est « que » de 10,80% pour les marques nationales (Danone, Herta, Andros …) là où elle grimpe à 16,57% pour les marques distributeurs (Marque Repère, Bien vu …) et culmine à 18,27% pour les produits premiers prix (Eco +, Top budget …). Ainsi, les consommateurs les plus pauvres qui étaient déjà contraints avant la crise d’acheter des produits bas de gamme sont davantage touchés par la hausse des prix. Une double peine.

    Face à l’inflation, si les consommateurs trinquent, certains industriels soumis à des hausses de coûts de production essayent de tricher. La « réduflaction » (ou shrinkflation en anglais) désigne la stratégie commerciale par laquelle les industriels réduisent la quantité de produits sans diminuer le prix de vente. Une pratique malhonnête qui n’est pas nouvelle comme le montrait en septembre dernier l’ONG Foodwatch . L’association révélait par exemple que la portion du célèbre fromage industriel Kiri est passée de 20 grammes à 18 grammes tandis que son prix au kilo a augmenté de 11%. Ces accusations de « shrinklation » ont été c onfirmées par une enquête de la répression des fraudes diligentée par la ministre du commerce Olivia Grégoire.

    Un pays qui se paupérise

    L’inflation sur l’alimentation se traduit par une dégradation de la qualité de l’alimentation d’un grand nombre de nos concitoyens. Face à la hausse des dépenses contraintes et pré-engagées (loyers, factures, essence, forfait internet ….), l’alimentation joue comme une variable d’ajustement dans des budgets de plus en plus serrés. En effet, alors qu’il est difficile de réduire son loyer, il est possible d’économiser sur son budget alimentation en prenant la marque du « dessous » ou en achetant moins de viande, de fromage ou de légumes frais et davantage de pâtes, de riz, de patates.

    Cette inflation accompagne et accélère la paupérisation de pans entiers de la population. Partout dans le pays, les associations d’aide alimentaire témoignent d’une demande croissante alors même que la quantité et la qualité des denrées qu’elles reçoivent des grandes surfaces se contractent.

    Partout dans le pays, les associations d’aide alimentaire témoignent d’une demande croissante alors même que la quantité et la qualité des denrées qu’elles reçoivent des grandes surfaces se contractent.

    Outre des files de plus en plus longues à l’aide alimentaire, d’autres signaux témoignent de la paupérisation du pays en matière alimentaire. La hausse des vols à l’étalage (+10% en un an) dans les rayons des supermarchés en est un. L’annonce par Carrefour de l’ouverture en France d’un magasin Atacadão en est un autre. Importés du Brésil, ces magasins-entrepôts proposent un nombre de références réduit et des gros volumes avec une mise en rayon sommaire en échange de prix cassés.

    Si la descente en qualité de l’alimentation des Français aura probablement des conséquences négatives sur la santé, cette inflation aura peut-être également des effets néfastes pour l’environnement.

    L’inflation, frein ou accélérateur de la transition agricole et alimentaire ?

    Alors qu’il connaissait une croissance soutenue – passant de 4 à 12 milliards d’euros de volume de ventes entre 2010 et 2020 – le marché du bio, déjà fragilisé par le covid, a connu en 2022 un réel décrochage avec une baisse de 7 à 10% des ventes. En période d’inflation et de tension sur les budgets, le bio semble pâtir de son image de produits plus onéreux. Les grandes surfaces auraient leur part de responsabilité en réduisant la taille des rayons consacrés aux produits bio pour augmenter celle des produits low cost.

    Néanmoins, la hausse des prix n’est pas la seule coupable des difficultés rencontrées par le bio. En effet, sur le banc des accusés nous pouvons également citer la concurrence d’autres labels trompant les consommateurs tel que le label « Haute Valeur Environnementale » (HVE). Doté d’un cahier des charges très peu exigeant, en témoigne le rapport d’évaluation de l’Office français de la biodiversité qui appelle à réviser entièrement son référentiel, ce label est pourtant soutenu et mis en avant par le gouvernement. Accusé de greenwashing et de duper le consommateur , un collectif d’associations et d’organisations professionnelles (FNAB, UFC Que Choisir, Agir pour l’environnement …) demande au Conseil d’Etat son interdiction. La préférence grandissante des consommateurs pour les produits locaux plutôt que pour les produits bio, alors même que l e caractère local ne garantit malheureusement pas la qualité environnementale des produits, est également à citer.

    Les grandes surfaces réduisent la taille des rayons consacrés aux produits bio pour augmenter celle des produits low cost.

    Si l’inflation met en difficulté les mangeurs, elle affecte également les agriculteurs et souligne la fragilité de notre modèle agricole. En effet, cette inflation est une conséquence de la sur-dépendance de notre système agro-industriel à l’énergie. Un rapport de l’inspection générale des finances publié en novembre 2022 explique ainsi que l’origine de l’inflation sur l’alimentation est à rechercher du côté de « la hausse du coût des intrants utilisés tout au long de la chaîne alimentaire ».

    Par exemple, l’azote utilisé dans la production des engrais, connaît depuis plusieurs mois une augmentation constante, augmentation initiée avant même l’irruption de la guerre en Ukraine. Ainsi, entre avril 2021 et avril 2022, selon le cabinet Agritel , le prix de la tonne de solution azotée est passé de 230€ à 845€. Mais la hausse des coûts de production pour les agriculteurs ne s’arrête pas là : hangars chauffés, congélation, importation en bateau de céréales pour l’alimentation animale, carburants pour les tracteurs connaissent des hausses de prix … Ainsi, entre février 2021 et février 2022, le prix des intrants (engrais, semences, carburants, aliments du bétail) a augmenté de 20,5% en France. Le carton, utilisé pour l’emballage connaît lui aussi d’importantes hausses de prix causées par la tension générée par le développement de la vente en ligne.

    Si cette période d’inflation et de crise de l’énergie est difficile pour les mangeurs, elle l’est également pour les agriculteurs qui voient leurs coûts de production augmenter. Assez logiquement, ce sont les systèmes de production les plus dépendants aux intrants qui sont les plus fragilisés par la hausse des coûts de production. Ces systèmes de production sont aussi souvent ceux à l’empreinte écologique et carbone la plus lourde et ils rémunèrent mal le travail des paysans. A l’inverse, les systèmes de production qualifiés « d’économes et d’autonomes » semblent davantage résilients et rémunérateurs, comme en témoignent les analyses de l’observatoire technico-économique du Réseau Civam.

    Par ailleurs, si les agriculteurs trinquent, certains acteurs ultra-dominants du secteur agricole vivent très bien cette période de crise et engendrent des profits records rappelant les surprofits réalisés par quelques grandes compagnies comme Total. Les quatres géants de la négoce du céréales, les « ABCD » (pour Archer-Daniels-Midland, Bunge, Cargill et Louis-Dreyfus) qui contrôlent 70% à 90% du marché mondial des céréales ont ainsi vu leurs profits exploser entre le premier semestre 2021 et le premier semestre 2022 (+17% pour Bunge, +23% pour Cargill et jusqu’à … +80% pour Louis-Dreyfus).

    Protéger les consommateurs et les paysans

    Face à cette situation, le gouvernement se montre incapable de protéger l’assiette des Français. A la difficulté croissante de nos compatriotes à accéder à une alimentation de qualité, le gouvernement se contente de débloquer des fonds – insuffisants – pour les associations d’aide alimentaire (60 millions d’euros pour un « fonds aide alimentaire durable », 10 millions d’euros pour la précarité alimentaire étudiante …). Or, financer l’aide alimentaire ne peut suffire puisque cela revient à financer un soutien de dernier recours, le dernier rempart avant la faim. Bref, il s’agit là d’ un pansement sur une blessure non traitée.

    La restauration collective, et en particulier la restauration scolaire, sont pourtant de véritables leviers d’accès à une alimentation de qualité pour des millions d’enfants. Malheureusement, celle-ci est mise en difficulté par la hausse des coûts d’un côté et l’austérité imposée par l’État sur les collectivités de l’autre. Si les cantines des grandes villes et des communes les plus riches ou celles ayant des approvisionnements plus locaux semblent mieux résister, les autres sont contraintes d’adopter diverses stratégies pour contenir la hausse des coûts dont certaines particulièrement pénalisantes. Ainsi, si des collectivités ont décidé d’augmenter le prix du repas comme pour les collégiens de l’Yonne, d’autres collectivités ont décidé de supprimer des éléments du menu. Ainsi, les enfants des écoles maternelles d’Aubergenville (11 000 habitants, Yvelines) se retrouvent privés d’entrée tandis qu’a été supprimé – selon les jours – l’entrée, le fromage ou le dessert des primaires de Caudebec-lès-Elbeuf en Seine Maritime.

    Plus ambitieuse et issue des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, la promesse d’Emmanuel Macron de créer un chèque alimentation durable se fait toujours attendre. Bien que limitée, la proposition de chèque alimentation aurait au moins eu le mérite de soutenir le budget alimentation de millions de Français et aurait traduit une certaine volonté du gouvernement sur cette question d’accès à l’alimentation.

    Dans l’idéologie au pouvoir, l’action publique et les services publics se retrouvent remplacés par Super U et Carrefour.

    La dernière proposition du gouvernement de créer un panier anti-inflation témoigne cruellement de ce manque de volonté gouvernementale. Refusant une politique proactive et nécessairement coûteuse, le gouvernement préfère s’en remettre à la bonne volonté des grandes enseignes de supermarchés. Dans l’idéologie au pouvoir, l’action publique et les services publics se retrouvent remplacés par Super U et Carrefour.

    De l’autre côté de la chaîne, concernant la politique agricole, pour protéger les gens et les paysans et accroître la résilience alimentaire de notre pays, la logique voudrait que le gouvernement cherche à développer des systèmes de production économes et autonomes, moins gourmands en intrants et moins sensibles aux perturbations internationales. Une voie trop peu suivie par le gouvernement qui préfère mettre des moyens pour accompagner la robotisation des champs et des campagnes.

    Pourtant, la situation appelle à des solutions plus ambitieuses et systémiques pour garantir à tous les citoyens un droit à une alimentation choisie. Un collectif d’organisations travaille ainsi à dessiner une proposition de sécurité sociale de l’alimentation (SSA). L’objectif de cette proposition est de reprendre le contrôle de notre assiette en étendant la démocratie sur les questions d’alimentation. L’idée consiste à intégrer l’alimentation dans le régime général de la Sécurité sociale en respectant trois principes : l’universalité de l’accès, le financement par la cotisation et le conventionnement démocratique, c’est-à-dire l’établissement de la liste des produits pris en charge en fonction des lieux de production, de transformation et de distribution. Sur le modèle de la carte vitale qui permet à tous les citoyens de réaliser des dépenses de santé, une carte alimentation serait distribuée à tous les citoyens pour leur permettre d’acheter des produits conventionnés. Une proposition qui progresse : dans son dernier avis, le Conseil national de l’alimentation (CNA) appelle ainsi à son expérimentation.