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      Déchets #9 L’Histoire du stockage géologique en France

      alt.movim.eu / DoseEquivalentBanana · Sunday, 20 February, 2022 - 21:53 · 17 minutes

    Dans cet article, dont vous retrouverez la version thread Twitter ci-après, je vous propose une petite rétrospective maison du processus réglementaire et scientifique de la gestion des déchets radioactifs aujourd’hui dédiés au stockage géologique : ceux de haute activité ainsi que ceux de moyenne activité à vie longue. Pourquoi ? Parce que les politiques, décennies après décennie, n’ont eu vocation qu’à repousser la prise de décision, comme vous allez pouvoir le constater, et donc nourrir la fausse idée selon laquelle on ne saurait « pas gérer les déchets radioactifs »…

    1991

    Le Parlement demande au CEA, au CNRS et à l’ANDRA d’étudier diverses solutions pour gérer au long terme les déchets les plus radioactifs. La feuille de route leur donne 15 ans pour rendre leur copie. On se référera à ce point de départ comme la « Loi Bataille », et Alexis a quelques anecdotes à son sujet.

    L’article 4 de cette loi est celui qui nous intéresse ici.

    « Le Gouvernement adresse chaque année au Parlement un rapport faisant état de l’avancée des recherches sur la gestion des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue et des travaux qui sont menés simultanément pour :

    • la recherche de solutions permettant la transmutation des éléments radioactifs à vie longue présents dans ces déchets ;
    • l’étude des possibilités de stockage réversible ou irréversible dans les formations géologiques profondes, notamment grâce à la réalisation de laboratoires souterrains ;
    • l’étude de procédés de conditionnement et d’entreposage de longue durée en surface de ces déchets.

    Ce rapport fait également état des recherches et des réalisations effectuées à l’étranger.

    À l’issue d’une période qui ne pourra excéder quinze ans à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement adressera au Parlement un rapport global d’évaluation accompagné d’un projet de loi autorisant, le cas échéant, la création d’un centre de stockage des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue et fixant le régime des servitudes et des sujétions afférentes à ce centre.

    Le Parlement saisit de ces rapports l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. »

    Ainsi, lors de ce point zéro, il était bien question d’ étudier différentes alternatives et, si le stockage géologique devait ressortir comme l’option la plus crédible, se préparer dès 2006 à la création d’un centre de stockage. Notons également qu’il était déjà alors question d’éventuelle réversibilité du stockage géologique.

    Toujours 1991

    La DSIN, qui deviendra plus tard l’ASN, édicte la « Règle fondamentale de sûreté » (RFS) III.2.f qui définit les objectifs à retenir pour le stockage définitif des déchets radioactifs en formation géologique profonde.

    2005

    L’ANDRA, l’Agence nationale pour la gestion des matières et déchets radioactifs, remet le « Dossier argile ». Celui-ci prétend aboutir à la conclusion qu’un stockage de déchets radioactifs dans la couche argileuse où le laboratoire est déjà implanté est faisable.

    Ce dossier fait l’objet d’une instruction par l’IRSN, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. En deux mots, le stockage y est qualifié de « faisable » et le dossier ne présente pas « d’élément rédhibitoire ». Et donc si une décision parlementaire devait être prise en 2006 en faveur du stockage géologique, l’IRSN juge que les données disponibles le justifieraient.

    Cet avis de l’IRSN est alors présenté au « Groupe permanent d’experts de l’ASN pour les installations destinées au stockage à long terme des déchets radioactifs. » Ce groupe conclut :

    Des résultats majeurs relatifs à la faisabilité et à la sûreté d’un stockage ont été acquis.

    2006

    Tous les experts ont rendu leur avis sur le stockage géologique. À l’Autorité de sûreté nucléaire, l’ASN, de trancher. Puis viendra le tour pour le Gouvernement et le Parlement de se décider.

    L’ASN considère que le stockage en formation géologique profonde est une solution de gestion définitive qui apparaît incontournable.

    Avis de l’ASN sur les recherches relatives à la gestion des déchets à haute activité et à vie longue

    C’est sans ambiguïté et un appel du pied explicite au Parlement.

    Lequel, toujours en 2006, trouve malgré tout que ces quinze années sont passées drôlement vite, et que l’on ne serait toujours pas en mesure de décider. La décision est repoussée à 2012, et les études et recherches vont pouvoir continuer. L’ANDRA prend notamment alors en charge les recherches sur l’entreposage de longue durée.

    L’article 3 de la loi 2006-739 du 28 juin 2006 propose d’approfondir toujours les trois mêmes axes de recherche :

    1. « La séparation et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue. Les études et recherches correspondantes sont conduites en relation avec celles menées sur les nouvelles générations de réacteurs nucléaires […] afin de disposer, en 2012, d’une évaluation des perspectives industrielles de ces filières et de mettre en exploitation un prototype d’installation avant le 31 décembre 2020 ;
    2. Le stockage réversible en couche géologique profonde. Les études et recherches correspondantes sont conduites en vue de choisir un site et de concevoir un centre de stockage de sorte que, au vu des résultats des études conduites, la demande de son autorisation […] puisse être instruite en 2015 et, sous reserve de cette autorisation, le centre mis en exploitation en 2025 ;
    3. L’entreposage. Les études et recherches correspondantes sont conduites en vue, au plus tard en 2015, de créer de nouvelles installations d’entreposage ou de modifier des installations existantes, pour répondre aux besoins, notamment en termes de capacité et de durée […]. »

    Que voit-on ? Que l’on repart pour un tour, déjà, sur avis du Parlement, contre celui de l’Autorité de sûreté, n’en déplaise à ceux qui crient à la technocratie ou à l’absence de démocratique en la matière. L’on voit aussi apparu que le stockage doit à présent être réversible. Et on note des dates qui, vues de 2022, nous font bien rire : un prototype d’installation de séparation ou transmutation avant fin 2020 quand Astrid a été abandonné en 2019, ou une demande d’autorisation de création de Cigéo en 2015 quand on l’attend pour 2023 ou 2024…

    2008

    La RFS III.2.f est abrogée par l’ASN qui la remplace par un « guide », le premier guide de l’ASN , sur le stockage définitif des déchets radioactifs en formation géologique profonde.

    2009

    L’ANDRA présente un rapport d’étape sur Cigéo, marquant le passage d’une phase de faisabilité à une phase d’avant-projet.

    2010

    Le CEA, alors encore Commissariat à l’énergie atomique, présente un rapport d’étape sur l’évaluation technico-économique des perspectives industrielles des filières de séparation et transmutation des substances radioactives à vies longues.

    2012

    Sur cette base, l’IRSN rend un avis sur la séparation/transmutation. L’institut y déclare que la faisabilité n’est « pas acquise » et que les gains espérés, y compris en termes de sûreté, « n’apparaissent pas décisifs. »

    Toujours 2012

    Le CEA complète son rapport d’étape d’un rapport complet sur la séparation-transmutation des éléments radioactifs à vie longue, au titre de la Loi Bataille de 1991.

    L’ANDRA est également à l’heure au rendez-vous et livre son bilan des études et des recherches sur l’entreposage et conclut que cette solution constitue un soutien au stockage géologique plus qu’une alternative.

    2013

    L’ASN s’appuie sur les deux rapports du CEA et sur l’avis de l’IRSN et conclut sur la transmutation : cette option ne devra pas être « un critère déterminant pour le choix des technologies examinées ».

    Côté État, on se lance dans un débat public avant de trancher, et c’est de manière assez prévisible, l’option du stockage géologique qui en ressort.

    2016

    Forte fut la procrastination, mais cette année-là, le Parlement, et à une très grande majorité, vote l’adoption du stockage géologique comme solution de référence.

    La loi 2016-1015 du 25 juillet 2016 précise « les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue ».

    La même année, l’ANDRA dépose auprès de l’IRSN, pour instruction, les deux Dossiers d’options de sûreté (DOS) de Cigéo, pour les phases d’ exploitation et post-fermeture .

    L’ANDRA saisit également l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, pour demander une revue internationale sur les DOS. Celle-ci rendra rapidement ses conclusions : projet robuste, méthode adaptée. La revue internationale suggèrera des thématiques à investiguer davantage.

    Le contenu du DOS et les discussions engagées au cours de la mission ont donné à l’équipe de revue une assurance raisonnable quant à la robustesse du concept de stockage. Constatant que, dans de nombreux domaines, la recherche est toujours en cours pour la démonstration ou la confirmation de la sûreté, l’ERI a identifié quelques domaines supplémentaires qu’il serait utile d’approfondir, afin de renforcer la confiance existante dans la démonstration de sûreté : production et transport des gaz, description du vieillissement des composants du centre de stockage au cours de la période d’exploitation, incertitudes liées au temps de resaturation des alvéoles de stockage et effet sur la dégradation des colis de déchets, rôle des microbes et formation potentielle de biofilms au cours de la période d’exploitation, et conséquences des défaillances non détectées.

    Les DOS sont également instruits par la Commission nationale d’évaluation qui en restituera une analyse et des recommandations pour améliorer le projet.

    2017

    À son tour, l’IRSN rend la sentence de ses experts sur le DOS. Le projet fait état d’une « maturité technique satisfaisante au stade du DOS », mais il demeure des points durs. En particulier, la démonstration de maîtrise du risque d’incendie pour une certaine une famille de déchets de moyenne activité est insatisfaisante. Si cela n’est pas rédhibitoire pour l’avancement du projet Cigéo, pour ces déchets, pas de stockage possible en l’état, les études doivent continuer. Soit en vue d’une amélioration de la démonstration de sûreté, soit en vue d’un reconditionnement des déchets pour neutraliser leur réactivité chimique.

    Les Groupes permanents d’experts de l’ASN pour les installations destinées au stockage à long terme des déchets radioactifs et pour les laboratoires et usines du cycle vont dans le même sens que l’IRSN :

    En conclusion, les groupes permanents estiment que le DOS transmis par l’ANDRA montre que les options de sûreté de Cigéo sont dans l’ensemble satisfaisantes, hormis le cas particulier des bitumes. Sur cette base et compte tenu des engagements pris par l’ANDRA, une démonstration probante de la sûreté du projet de stockage devrait pouvoir être présentée dans le dossier de demande d’autorisation de création correspondant, sous réserve d’un traitement satisfaisant des points soulevés dans le présent avis, dont certains pourraient nécessiter des modifications d’éléments de conception.

    2018

    L’ASN rend son avis sur le DOS et le soumet à consultation du public. Bilan : « maturité satisfaisante » à ce stade. L’ASN reprend certaines recommandations précédemment émises pour les étapes futures (lesquelles seront la Déclaration d’utilité publique, attendue en 2022, et le Décret d’autorisation de création, dont la demande est prévue pour 2023 ou 2024).

    La même année, une commission d’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires soumet un rapport qui préconise de « poursuivre l’étude de la solution de l’entreposage de longue durée en subsurface comme alternative éventuelle au stockage géologique. » Et ce en dépit de tous les acquis précédents contestant la pertinence de l’entreposage comme alternative , motivé par les seules postures de militants antinucléaires.

    2019

    La députée  LREM Émilie Cariou, rapporteure du débat public susmentionné, propose l’entreposage comme alternative au stockage géologique. En tirant, là encore, un trait sur les travaux scientifiques et parlementaires depuis 1991.

    La même année, la Commission nationale du débat public, dans le cadre du débat public sur le PNGMDR 2019-2021, demande à l’IRSN une revue bibliographique des recherches internationales sur les alternatives au stockage géologique. L’IRSN répond à cette demande , j’en parlais dans cette série d’articles . Je résumais ainsi l’avis IRSN :

    • Arrêter de produire des déchets ainsi que l’entreposage en (sub)surface ne sont pas retenus car, par essence, ils ne sont pas des alternatives au stockage géologique .
    • De même pour la séparation-transmutation, qui est au mieux un complément, pas une alternative.
    • L’immersion et le stockage dans les glaces polaires ont des limites techniques sérieuses et, surtout, des verrous politiques et éthiques.
    • L’envoi dans l’espace est une catastrophe en termes de sûreté et de coût.
    • Le stockage en forage a un potentiel très intéressant pour certains déchets, plus discutable pour d’autres mais sans problème majeur.

    2020

    L’ANDRA publie son dossier d’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique.

    2021

    La Commission d’enquête sur la demande de reconnaissance d’utilité publique du projet Cigéo rend son rapport . En résumé :

    La commission d’enquête considère que le projet est à la fois opportun, pertinent et robuste au regard des textes réglementaires qui stipulent un stockage des déchets en couche géologique profonde sur un site disposant d’un laboratoire souterrain.

    Au terme de ce bilan entre d’une part le risque, et d’autre part les mesures de précaution la
    commission d’enquête estime la proportionnalité acquise et pertinente.

    La commission d’enquête émet un AVIS FAVORABLE à la Déclaration d’Utilité Publique du projet de centre de stockage en couche géologique profonde des déchets de haute et moyenne activité à vie longue (Cigéo), assorti de CINQ recommandations ci-après.

    Les cinq recommandations sont les suivantes ;

    1. D’établir un échéancier prudent des aménagements préalables dans l’occurrence de l’obtention des
      autorisations ;
    2. De veiller à une insertion paysagère harmonieuse avec le paysage rural ;
    3. De procéder à un défrichement progressif du bois Lejuc, aux seuls besoins de la DRAC afin de
      préserver au maximum la biodiversité ;
    4. De maintenir un écran visuel sur la partie sud pour préserver les vues depuis les villages
      environnants ;
    5. De compléter la communication envers le public de son territoire proche et l’adapter en fonction
      de la phase opérationnelle de Cigéo, tout en reconnaissant l’importance de la communication déjà
      réalisée par le maître d’ouvrage.

    Toutefois, en parallèle, la Banque publique d’investissement (BPI) lance un appel à projets appelant à chercher des solutions alternatives au stockage géologique profond.

    Conclusion

    Ce thread débute en 1991. La décision devait être prise en 2006. Elle a été repoussée jusqu’en 2016, pour des raisons… Variables, souvent politiques. Depuis, toutes les étapes ont conforté la décision faite alors. Et pourtant, 30 ans après la loi de 1991, 15 ans après la loi de 2006, on n’a pas encore mis le premier coup de pelle pour Cigéo. On repousse…

    Et surtout, les décideurs (ça te va, les décideurs ?) font énormément d’efforts… Pour ne pas décider ni devoir décider, pour revenir en arrière, remettre en question les décisions et acquis précédents, essayer encore et encore de nous faire repartir vers 1991.

    C’est pour cela qu’il est encore si facile de clamer « on sait pas quoi faire des déchets » ! Si, on sait quoi faire, depuis 15 ans, et chaque jour depuis, on sait un peu mieux. Mais on procrastine. Les opposants n’ont évidemment pas intérêt à encourager la prise de décision. Les élus… Pareil. Le statu quo est confortable, devoir s’engager sur un tel sujet est terrifiant. Chacun lègue à la « génération » (électorale) future.

    Et encore, ma chronologie est ultra franco-centrée ! Mais la démarche parallèle a lieu dans des tas de pays, et les résultats sont cohérents !

    Dans ce thread ci-dessous, je décortiquais un rapport de l’Agence pour l’énergie nucléaire de l’OCDE. Son joli nom : Management and Disposal of High-Level Radioactive Waste : Global Progress and Solutions .

    Les optimistes me rétorqueront que la recherche sur les alternatives est nécessaire pour justifier de l’intérêt de la réversibilité du stockage géologique, et pour l’acceptation par les politiques et le public, et qu’elles n’empêchent pas le projet d’avancer. En effet, l’idée d’avoir un stockage réversible pendant environ un siècle est de pouvoir changer d’avis si une alternative émergeait d’ici là. Donc, évidemment, il faut chercher des alternatives, quand bien même sait-on qu’il n’y a rien à espérer qui remettrait en question la pertinence du choix du stockage géologique.

    J’espère seulement qu’effectivement, ces errements ne freineront pas à nouveau le projet, et que les différentes formations politiques au pouvoir se garderont de nous renvoyer sans cesse en 1991 à vouloir étudier les alternatives, encore et encore, avant de prendre une décision.

    Les clés pour décider, on les a déjà. L’enquête pour la DUP de Cigéo est bouclée et, d’ici deux ou trois ans viendra celle pour le Décret d’autorisation de création. Le moment ultime de prendre cette lourde décision.

    Le processus accompagnera le mandat du Président élu en 2022 et le Décret d’autorisation de création pourrait être prêt en toute fin de mandat, donc à la veille d’une échéance électorale. Que faut-il attendre ? En tout cas, je pense que ce thread le montre assez bien, il n’y aura, sauf révélation majeure, aucune raison d’encore procrastiner. Alors, que fera-t-on ?

    Je vous laisse entre les mains du Président de l’ASN. Parce qu’il a l’intelligence d’être d’accord avec moi.

    (Joke, hein)

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      La réaction en chaîne redémarre à Tchernobyl ?

      alt.movim.eu / DoseEquivalentBanana · Thursday, 13 May, 2021 - 10:20 · 14 minutes

    Contexte ?

    ‘It’s like the embers in a barbecue pit.’ Nuclear reactions are smoldering again at Chernobyl

    C’est ainsi que le sujet est rentré dans l’actualité. Par un très bon article de Science Mag, paru le 5 mai .

    Puis c’est arrivé en France. La nuance s’est perdue , s’est retrouvée , la précision s’est dégradée … Puis, les pseudo-comptes de médias sur Twitter, vous savez, ceux qui jamais ne donnent de sources et résument une info en un seul tweet qui doit être le plus accrocheur possible, et bien ils se sont emparés du sujet.

    Si vous avez quelques éléments de physique nucléaire, de physique des réacteurs, vous pouvez arrêter votre lecture ici et lire l’article de Science Mag (en anglais) ou celui de Thrust My Science (en français).

    Sinon… On reprend.

    La fission nucléaire et la réaction en chaîne

    J’ai publié sur ce blog, très récemment, un billet pour rappeler le principe de la réaction de fission en chaîne. Donc ici, je vais faire très concis :

    • Certains atomes, comme l’uranium 235 (naturel), l’uranium 233 ou le plutonium 239 (l’un et l’autre de synthèse), sont fissiles : dans certaines conditions, il est possible de fragmenter le noyau de l’atome en plusieurs éclats.
    • Cette réaction de fragmentation est la fission ; et elle libère une quantité colossale d’énergie.
    • La fission est généralement induite par une interaction, une collision en quelque sorte, entre le noyau et un neutron baladeur.
    • La fission libère elle-même des neutrons, qui peuvent donc à leur tour induire de nouvelles fissions. C’est la réaction en chaîne.

    À Tchernobyl, ce sont des flux de neutrons en hausse qui suscitent l’attention. Pas une réaction en chaîne, mais ce qu’on appelle une augmentation de la réactivité ; nous y reviendrons.

    D’où viennent les neutrons ?

    La fission nucléaire produit ses propres neutrons. Mais, comme l’œuf et la poule, est-ce la première fission qui produit les premiers neutrons ? Mais par quoi est-elle induite, cette première fission ? Ou bien sont-ce les premiers neutrons qui produisent les premières fissions ? Mais ces neutrons viennent d’où s’il n’y avait pas de fission avant ?

    L’œuf et la poule. Les deux cas de figure coexistent.

    Fission spontanée

    La fission ne demande pas toujours de neutron en amont pour la déclencher.

    Certains atomes radioactifs, pourtant parfois considérés comme non-fissiles, ont une infime fraction de leurs désintégrations radioactives qui ne se font ni sous la forme de désintégration α, ni de désintégration β. L’uranium 238, par exemple, présent en abondance dans le cœur d’un réacteur (pour rappel, l’uranium 238 représente 99,3% de l’uranium naturel ; et les réacteurs type Tchernobyl fonctionnaient à l’uranium naturel ou très faiblement enrichi, donc au minimum 99% d’uranium 238), présente 50 fissions spontanées par million de désintégration. Une tonne d’uranium 238 affiche 12 milliards de désintégrations par seconde, dont environ 700 000 fissions spontanées. Chacune émettant entre 2 et 3 neutrons, ce sont 1,5 millions de neutrons qui sont ainsi libérés, chaque seconde, dans une tonne d’uranium 238.

    Par ailleurs, dans un réacteur nucléaire, l’uranium 238 absorbe beaucoup de neutrons, ce qui conduit à le transformer en plutonium 239, 240, 241… Le plutonium 240, justement, est tout à la fois considéré comme non-fissile mais sujet à la fission spontanée. Dix fois moins que l’uranium 238 : seulement 5 fissions par million de désintégration. Cependant, le plutonium 240 est beaucoup plus radioactif que l’uranium 238. Un kilogramme de plutonium 240 affiche 8500 milliards de désintégration par seconde, dont 43 millions de fissions spontanées, libérant près de 100 millions de neutrons par seconde.

    Récapitulons.

    Atome Uranium 238 Plutonium 240
    Masse 1 tonne 1 kilogramme
    Fissions par million
    de désintégration
    50 5
    Désintégrations par seconde 12 milliards 8500 milliards
    Fissions par seconde 700 000 43 millions
    Neutrons émis par seconde 1,5 millions 100 millions

    Les masses que je propose, d’une tonne et d’un kilogramme, sont totalement à titre indicatif et ne représentent pas l’inventaire du cœur du réacteur 4 de Tchernobyl (qui doit comporter environ 100 tonnes d’uranium 238 et au plus quelques kilogrammes de plutonium 240), ni de l’inventaire accumulé dans la salle où un risque de réaction en chaîne est suspecté.

    Notez également que cette forte tendance à la fission spontanée rend le plutonium 240 extrêmement indésirable dans les armes nucléaires et est le facteur limitant la production de plutonium de qualité militaire dans des réacteurs non-optimisés pour.

    Vous l’aurez compris, de nombreux neutrons sont émis spontanément dans les débris du cœur du réacteur. L’œuf.

    Réactions induites par la radioactivité

    La fission n’est pas le seul moyen d’émettre des neutrons. Soumis à un rayonnement α, voire à un rayonnement γ, certains atomes, comme le béryllium, vont réagir par l’émission de neutrons.

    Dans le cœur d’un réacteur, les émetteurs de rayonnement α sont légion : uranium et plutonium en tête.

    Ainsi, des interactions entre différents rayonnements, spontanés, et des matériaux stables ou instables, du cœur ou du réacteur, peuvent conduire à la production d’un flux de neutrons.

    La poule.

    Quelle vie pour les neutrons ?

    Virtualisons une région du cœur accidenté du réacteur 4 de Tchernobyl, effondré dans cette fameuse salle souterraine. On va y retrouver :

    • du combustible : uranium 238 en abondance, petites quantités d’uranium 235, de plutonium
    • des produits de fission : césium, baryum, strontium…
    • quelques actinides mineurs, qui peuvent aussi être sources intenses de rayonnements α et de fission spontanée : américium, curium…
    • des débris du cœur : graphite, gaines du combustible, tuyauteries d’eau éclatées ou fondues…
    • des débris du bâtiment : gravats, câbles, tuyauteries, sable et plomb…
    • des absorbants de neutrons : barres de contrôle du réacteur, absorbants ajoutés en post-accidentel…

    La composition est inconnue, pas homogène, et de géométrie quelconque.

    Et dans cette région virtuellement délimitée que l’on considère, sont émis, disons, un million de neutrons par seconde par les réactions spontanées d’œuf et de poule énoncées ci-avant.

    Que va-t-il arriver à ces différents neutrons ? Et bien, voici ce que l’on peut imaginer, avec des valeurs fantaisistes à titre d’illustration :

    • 100 000 vont rencontrer des noyaux fissiles et réussir à provoquer des fissions, produisant 250 000 nouveaux neutrons que l’on dira « de deuxième génération ».
    • 100 000 vont rencontrer des noyaux fissiles, mais être absorbés sans réussir à produire de fission.
    • 200 000 vont réussir à s’échapper de la région virtuelle et atteindre d’autres salles de la centrale, voire l’extérieur ; une partie sera mesurable et permettra de suivre indirectement ce qui se passe dans la région.
    • 600 000 vont être absorbés par les débris du cœur, du bâtiment, ou par les absorbants ajoutés à cette fin.

    Et si l’on regarde les 250 000 neutrons de deuxième génération, ils vont se répartir de la même façon : 25 000 vont provoquer des fissions produisant 60 000 neutrons de troisième génération, 50 000 vont s’échapper, le reste va être absorbé.

    La troisième génération, de 60 000 neutrons, va également en laisser échapper 12 000, en utiliser 6 000 pour la fission (donc 15 000 neutrons de quatrième génération), et perdre le reste dans les absorbants.

    Sur ces trois générations, il est intéressant de noter que 262 000 neutrons se sont échappés, dont une partie aura été détectée par les moyens de surveillance.

    Arrêtons le compte là, vous comprenez bien que chaque génération, le nombre de neutrons diminue fortement : c’est ce qu’on appelle un mélange « sous-critique ». La réaction en chaîne est incapable de s’auto-entretenir, elle s’étouffe de génération en génération, et s’il n’y avait pas de production de neutrons par fission spontanée ou par les rayonnements α et γ, cela ferait 35 ans qu’on ne mesurerait plus un neutron.

    Criticité

    On dit d’un mélange de matière fissile et d’autres substances qu’il est critique quand fission produit à son tour exactement une nouvelle fission.

    Dans notre cas, le mélange serait critique si, pour un million de neutrons initialement, par exemple :

    • 200 000 s’échappaient – pas de changement de ce côté là,
    • 350 000 étaient absorbés… par les absorbants, débris, etc.,
    • 50 000 étaient absorbés par des noyaux fissiles sans réussir à produire de fission,
    • 400 000 étaient absorbés par des noyaux fissiles, produisant des fissions, et donc libérant 1 million de nouveaux neutrons.

    Et alors, la réaction boucle : le réacteur est stable, on dit qu’il est critique . Dans un réacteur nucléaire, aussi dramatiquement connoté soit le terme « critique », il est l’état normal, réaction en chaîne stable, contrôlée.

    Dans le cas précédent, nous étions « sous-critiques ». Il existe un troisième état, « surcritique » : c’est lorsque notre million de neutrons initial induit encore plus de fissions, et l’on se retrouve avec plus d’un million de neutrons une génération plus tard.

    Dans un cas légèrement surcritique, on passerait, génération après génération, de 1 000 000 de neutrons à 1 050 000, puis 1 102 500, puis 1 157 625, puis 1 215 506… (ici, +5% par génération). C’est par exemple le cas d’un réacteur nucléaire dont on fait monter la puissance, après un redémarrage ou pour suivre la demande du réseau électrique. C’est une augmentation exponentielle, certes, mais d’une extrême lenteur : il faut 16 générations pour atteindre une population de 2 000 000 de neutrons dans une même génération. Dans le contexte de la pandémie de covid-19, c’est analogue à un R0 de 1,05.

    Dans un cas fortement surcritique, le nombre de neutron augmente… Beaucoup plus vite. Peu de pertes de neutrons ou d’absorption sans fission (dite « absorption stérile »). On va avoir initialement 1 000 000 de neutrons puis, par exemple, 1 400 000 à la deuxième génération, 1 960 000 à la troisième… On dépassera largement les deux millions dès la quatrième. Ici, ce serait un R0 de 1,4. La limite théorique étant celle d’un R0 supérieur à 2 : la population de neutrons double à chaque génération, l’exponentielle est extrêmement raide. Ces cas fortement surcritiques sont ceux des bombes atomiques… Ou du réacteur 4 de Tchernobyl lors de l’accident du même nom.

    Mais revenons-en au Tchernobyl d’aujourd’hui.

    Les braises sous les cendres

    La situation à Tchernobyl aujourd’hui est indéniablement sous-critique. Pas de réaction en chaîne, il y a un flux constant de neutrons par les réactions spontanées, mais qui n’est pas amplifié par les fissions induites.

    Précédemment, je proposais le scénario suivant :

    Première génération 1 000 000
    Neutrons échappés 200 000
    Neutrons absorbés par des éléments non fissiles 600 000
    Neutrons absorbés de manière stérile par des éléments fissiles 100 000
    Neutrons qui entraînent une fission 100 000
    Deuxième génération 250 000
    Neutrons échappés 50 000
    Neutrons absorbés par des éléments non fissiles 150 000
    Neutrons absorbés de manière stérile par des éléments fissiles 25 000
    Neutrons qui entraînent une fission 25 000
    Troisième génération 62 500
    Neutrons échappés 12 500
    Neutrons absorbés par des éléments non fissiles 37 500
    Neutrons absorbés de manière stérile par des éléments fissiles 6 250
    Neutrons qui entraînent une fission 6 250

    Avec, sur les trois générations, 262 500 neutrons qui s’échappent.

    Cependant, récemment, on a mesuré une augmentation du nombre de neutrons détectés aux limites du bâtiment. Davantage de neutrons qui s’échappent, donc.

    Deux interprétations possibles. La première est qu’il y a une augmentation du taux de neutrons qui s’échappent. Par exemple, une structure locale qui s’est effondrée qui change la géométrie, et des neutrons qui étaient auparavant absorbés s’échappent à présent. Exemple :

    Scénario de base Nouveau scénario
    Première génération 1 000 000 1 000 000
    Neutrons échappés 200 000 250 000
    Neutrons absorbés par des éléments non fissiles 600 000 550 000
    Neutrons absorbés de manière stérile par des éléments fissiles 100 000 100 000
    Neutrons qui entraînent une fission 100 000 100 000
    Deuxième génération 250 000 250 000
    Neutrons échappés 50 000 62 500
    Neutrons absorbés par des éléments non fissiles 150 000 137 500
    Neutrons absorbés de manière stérile par des éléments fissiles 25 000 25 000
    Neutrons qui entraînent une fission 25 000 25 000
    Troisième génération 62 500 62 500
    Neutrons échappés 12 500 15 625
    Neutrons absorbés par des éléments non fissiles 37 500 34 375
    Neutrons absorbés de manière stérile par des éléments fissiles 6 250 6 250
    Neutrons qui entraînent une fission 6 250 6 250

    Au bilan, nous n’avons pas du tout d’évolution sur la réaction en chaîne… Mais le nombre de neutrons en fuite passe de 262 500 à 328 125 (+25%).

    La seconde interprétation est que le taux de fuite n’a pas changé… mais que la population de neutrons a augmenté. Que la réaction en chaîne est moins sous-critique, qu’elle s’atténue plus lentement, génération après génération. Cela peut avoir deux causes :

    • Soit les neutrons absorbés par des éléments fissiles entraînent plus souvent de fissions (moins de « captures stériles »)
    • Soit l’absorption par les débris, absorbants, etc., est moins efficace, et davantage de neutrons sont absorbés par des éléments fissiles.

    On va mettre en application ce second cas.

    Scénario de base Nouveau scénario
    Première génération 1 000 000 1 000 000
    Neutrons échappés 200 000 200 000
    Neutrons absorbés par des éléments non fissiles 600 000 550 000
    Neutrons absorbés de manière stérile par des éléments fissiles 100 000 125 000
    Neutrons qui entraînent une fission 100 000 125 000
    Deuxième génération 250 000 312 500
    Neutrons échappés 50 000 62 500
    Neutrons absorbés par des éléments non fissiles 150 000 171 900
    Neutrons absorbés de manière stérile par des éléments fissiles 25 000 39 100
    Neutrons qui entraînent une fission 25 000 39 100
    Troisième génération 62 500 97 700
    Neutrons échappés 12 500 19 500
    Neutrons absorbés par des éléments non fissiles 37 500 53 700
    Neutrons absorbés de manière stérile par des éléments fissiles 6 250 12 200
    Neutrons qui entraînent une fission 6 250 12 200

    Beaucoup de chiffres, hein ? Mais finalement, c’est assez simple à comprendre : tout a augmenté. Évidemment les neutrons qui s’échappent et que l’on détecte, qui sont passés de 262 500 à 282 000 (+7%), mais également le nombre de neutrons à chaque génération, qui diminue toujours, mais moins vite. Toujours pour faire un parallèle avec la pandémie, le R0 demeure inférieur à 1, mais remonte un peu. Pas de quoi relancer l’épidémie pour autant, puisque chaque malade contamine en moyenne moins d’une personne. Et pas d’exponentielle. Simplement la preuve d’une circulation résiduelle du virus… La preuve d’une variation du nombre de fissions produites.

    Conséquences ?

    La situation demeure stable à Tchernobyl. C’est la première chose à garder en tête : il n’y a pas d’emballement, il n’y a pas de réaction en chaîne auto-entretenue, il n’y a pas d’évolution d’ensemble de la situation.

    De plus, dans un réacteur accidenté, il n’est pas anormal de voir des variations d’activité, on s’attend à ce que l’élément perturbateur ayant conduit à cette variation soit tôt ou tard épuisé, ou compensé par un autre élément perturbateur.

    Cependant, il ne peut pas être exclu aujourd’hui que la sous-criticité continue à se déliter progressivement. Que le R0 augmente. Que l’on se rapproche de 1 – d’un état critique.

    Critique, au sens de la neutronique, de la physique nucléaire, pas au sens médiatique. Critique, au sens où la réaction en chaîne parvient à s’auto-entretenir.

    Et alors, irait-on vers un deuxième accident de Tchernobyl ?

    Assurément , non. Une situation de forte surcriticité comme à Tchernobyl, avec dégagement important d’énergie et donc potentiel destructeur, c’est exclu, parce que les conditions d’obtention d’une telle réactivité sont hors d’atteinte. En revanche, l’atteinte d’une criticité oscillante, avec des moments où le milieu devient légèrement surcritique, s’étouffe, redémarre, se ré-étouffe… N’est pas exclu. En pareil cas, l’émission d’énergie est très faible, sans conséquence. En revanche, l’émission de neutrons et de rayonnements γ devient considérable, avec de forts risques d’irradiation grave pour tout le monde aux alentours.

    Le risque est alors de rendre le démantèlement futur du réacteur infernal, faute de pouvoir garantir que l’on n’aura pas des flashs de neutrons pendant que des personnels seront aux alentours. Voilà pourquoi l’on surveille, pourquoi on envisage dès maintenant d’identifier les causes et les parades à éventuellement mettre en œuvre.

    Si vous voulez vous faire une idée plus précise de ce qu’est un « accident de criticité », les conséquences que cela peut avoir, prenez le temps de découvrir la sombre histoire de l’accident de Tokai Mura .

    Merci pour votre lecture, et gardez la tête froide : ça inclut aussi bien de ne pas s’alarmer pour rien… Que de survivre à l’agacement suscité par les alarmistes.

    Je sais, ça vaut pour moi aussi.

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      Désintégration : radioactivité et fission

      alt.movim.eu / DoseEquivalentBanana · Thursday, 6 May, 2021 - 10:57 · 13 minutes

    Les questions qui m’ont été adressées proviennent d’une confusion entre deux phénomènes ayant lieu à l’échelle du noyau de l’atome (noyau → « nucléaire », par étymologie). La désintégration radioactive, et la fission nucléaire. Et ce sera également l’occasion de parler de transmutation.

    La désintégration radioactive

    Types de rayonnements

    La désintégration est un phénomène spontané, c’est à dire qu’il n’a pas besoin d’être provoqué, il se déroule sans initiateur et de manière aléatoire dans les noyaux des atomes dits « radioactifs » (ce qui signifie… « qui sont susceptible de se désintégrer spontanément », justement).

    Le noyau d’un atome, c’est un agrégat de deux types de particules, les neutrons et les protons. Les uns et les autres affichent une masse quasiment identique, mais le proton est électriquement chargé (sensible à un champ électrique, donc), tandis que le neutron est… neutre.

    ©IN2P3

    Lors d’une désintégration radioactive, la modification est subtile. Un cas typique est celui d’un neutron qui se transforme en un proton, ce qui implique un changement de charge électrique… Compensé par l’éjection d’un électron : une particule beaucoup plus petite et légère, mais de charge opposée à celle du proton. Cette émission d’électrons est ce qu’on appelle le rayonnement β- (lisez « bêta moins »), qu’on raccourcit souvent par β, en oubliant le « moins » (parce que, certes, il existe un rayonnement β+, mais dans de rares cas de figure, donc la pratique conduit à souvent assimiler « β- » à « β »).

    Il existe une autre forme de radioactivité assez courante, c’est le rayonnement α (« alpha »). Dans ce cas, le noyau initial se voit arracher un fragment comportant deux protons et deux neutrons, ce qui correspond au noyau de l’atome d’hélium.

    ©IN2P3

    Énergie des rayonnements

    Dans un cas comme dans l’autre, le phénomène libère une petite quantité d’énergie. Celle-ci se trouve sous la forme d’énergie cinétique, donc, en fait, de vitesse de la ou des particule(s) éjectée(s). Cette énergie, bien qu’importante à l’échelle d’une particule, est infime à l’échelle des quantités d’énergie que nous sommes habitués à manipuler au quotidien. C’est pourquoi aucune de nos unités habituelles, le (kilo)wattheure, le Joule, n’est appropriée. On comptera plutôt en « électrons-volt », notés eV, ou « mégaélectrons-volts », notés MeV, qu’il n’est pas question d’expliquer ici. Retenez simplement qu’il s’agit d’une unité de mesure de l’énergie (pour les curieux : 1 MeV ≈ 0.2 millionième de millionième de Joule).

    L’énergie libérée par la radioactivité α ou β, exprimée en MeV, donc, varie selon l’atome initial qui s’est désintégré.

    Pour le plutonium 238 par exemple, dont la désintégration s’accompagne d’un rayonnement α, on est à 6 MeV par particule α émise. Cet exemple n’est pas innocent : c’est cette énergie, de désintégration du plutonium 238, que l’on met à profit pour produire de la chaleur et, au final, de l’électricité, dans les « Générateurs Thermoélectriques à Radioisotope » qui équipent plusieurs missions d’exploration spatiale à la surface de Mars ( Curiosity , Perseverance ) et vers les objets plus lointains du système solaire ( Voyager , Cassini-Huygens …).

    Autre exemple, l’iode 131. Celui-ci est le radionucléide le plus redouté en cas d’accident de réacteur nucléaire, à l’origine de nombreux cancers de la thyroïde au Bélarus, en Ukraine et en Russie après la catastrophe de Tchernobyl. Avec lui, on a un rayonnement β d’énergie un peu inférieure à 1 MeV.

    Dernier exemple, le tritium (ou hydrogène 3), dont on parle énormément dans le cadre des futurs rejets des eaux contaminées de Fukushima-Daiichi . On est encore sur un rayonnement β, mais dont l’énergie est d’à peine 0,02 MeV.

    Mesure de la radioactivité

    La radioactivité d’un matériau radioactif donné est donc liée au matériau en question, et est caractérisée par le type de rayonnement et l’énergie des particules émises. Mais ce n’est pas tout : pour mesurer la radioactivité, on va s’intéresser avant tout au nombre de désintégrations par seconde.

    Alors, certes, j’ai dit que le phénomène de désintégration était spontané et aléatoire , ce qui laisse penser qu’il n’y a pas de régularité. Mais… Mais si, en fait.

    À l’échelle d’UN atome radioactif, disons de carbone 14, on sait qu’elle va avoir lieu, mais on ne sait pas prédire à quel moment. C’est à ce titre qu’elle est aléatoire : elle peut survenir à tout moment, mais l’atome peut aussi rester du carbone 14 pendant des dizaines de milliers d’années avant de se désintégrer. Bien entendu, moins l’atome est stable, moins on devrait attendre avant de voir une désintégration.

    Seulement, voilà, on regarde assez rarement un seul atome. Le moindre milligramme de carbone 14 contient quarante milliards de milliards d’atomes radioactifs. À l’échelle d’un si grand échantillon, la désintégration se met à suivre certaines règles. Si l’on ne sait dire quels atomes dans le lot se désintègreront ) quel instant, on sait dire que le nombre totale d’atomes de carbone 14 va diminuer exponentiellement, comme ceci.

    Après un certain temps, environ 5700 ans, on aura vu se désintégrer la moitié de notre milligramme de carbone 14. Encore 5700 ans plus tard, il ne restera plus qu’un quart de l’échantillon initial. Puis, après encore 5700 ans, plus que le huitième, etc.

    Si l’on sait dire comment évolue notre échantillon de carbone 14 avec le temps, cela veut dire que l’on sait à quelle vitesse il se désintègre ou, autrement dit, combien de désintégration par secondes y ont lieu à chaque instant.

    La désintégration par seconde, c’est l’unité de mesure de la « quantité » de radioactivité ; on appelle ça un Becquerel, noté « Bq », du nom du bonhomme ayant découvert le phénomène.

    Ainsi, notre milligramme de carbone 14, il s’y produit 150 millions de désintégrations par seconde. On dira qu’il présente une activité de 150 MBq (mégabecquerels). Évidemment, au fur et à mesure que notre quantité de carbone 14 diminuera, sa radioactivité diminuera aussi : après 5700 ans, il ne s’y produira plus que 75 millions de désintégrations par seconde ; autrement dit, son activité aura diminué à 75 MBq. Cette durée est ce qu’on appelle la « période », ou « demi-vie » du carbone 14.

    C’est par cette logique que l’on peut dater le carbone issu de tissus vivants : le taux de carbone 14 par rapport au carbone total, est fixe tant que l’organisme est vivant, puis, après la mort de l’organisme, il diminue selon cette logique. Donc si l’on regarde le taux de carbone 14 d’un tissu aujourd’hui, on peut remonter plusieurs millénaires jusqu’à la date de sa mort – aux imprécisions près.

    Radioactivité appliquée au combustible nucléaire

    On a parlé d’iode, de plutonium, de carbone, de tritium, mais l’idée de ce billet, c’est d’appliquer tout ça à l’énergie nucléaire ! Alors, allons(y.

    Dans une tonne d’uranium enrichi, soit 955 kg d’uranium 238 et 45 kg d’uranium 235, il se produit quinze milliards de désintégrations d’atomes d’uranium par seconde (15 GBq). Cela représente une perte de 6 picogrammes d’uranium, toujours par seconde, autrement dit, 0,2 milligrammes par an. Avec environ 4 MeV par désintégration, on obtient une production d’énergie de… 10 mW. Oui, dix milliwatts, de chaleur, à partir d’une tonne d’uranium. Pour comparaison, la chaleur libérée par un corps humain au repos est dix mille fois supérieure.

    Ce n’est donc pas ce phénomène que l’on peut espérer utiliser en réacteur.

    Ce n’est pas la radioactivité de l’uranium qui le consomme (enfin, à raison de 0,2 milligrammes par an, sur une tonne…) ni qui produit la chaleur. C’est le second phénomène que nous devons discuter…

    La fission nucléaire

    Là, tout de suite, il n’est plus question de transformations subtiles du noyau, pas de proton qui se transforme en neutron, pas d’émissions de minuscules électrons… Et ce n’est pas non plus un phénomène spontané (sauf à la marge).

    Conditions d’obtention

    S’il existe énormément d’atomes radioactifs différents, bien plus que d’atomes non-radioactifs en fait, les atomes qui peuvent fissionner sont moins nombreux. Et dans la nature, ils sont très peu nombreux. En fait ils sont au nombre de… Un. L’uranium 235. Mais on sait également en synthétiser à assez grande échelle : le plutonium 239 et l’uranium 233 (respectivement produit par transmutation -on y reviendra- à partir de l’uranium 238 et du thorium 232, que l’on dit non pas « fissiles » mais « fertiles »).

    Bien. Pour la fission, il nous faut donc un atome fissile. Généralement de l’uranium 235. Et, je le disais, elle n’est pas spontanée : elle est induite, il faut un déclencheur, et le déclencheur est généralement un neutron qui se balade librement et qui vient percuter le noyau fissile. C’est la collision entre le noyau fissile et le neutron qui provoque la fission.

    Phénomène de fission

    Et la fission, c’est quoi ? C’est très simple : c’est l’éclatement du noyau fissile en deux fragments, de natures chimiques variées, et de tailles/masses variables mais relativement proches.

    ©IN2P3

    Et en plus de ces deux fragments que l’on appellera « produits de fission », la fission va libérer quelques neutrons solitaires qui vont à leur tour pouvoir provoquer de nouvelles fissions : c’est la réaction en chaîne. En moyenne, 2,2 neutrons par fission pour l’uranium 235.

    ©GSI

    Et parfois, un troisième produit de fission est libéré, beaucoup plus petit que les deux autres, et toujours le même : du tritium.

    La réaction en chaîne de fissions a deux qualités notables. La première, c’est que c’est un phénomène induit et non spontané ; et si on le provoque, cela veut dire qu’on peut espérer le contrôler, réguler la vitesse de la réaction en chaîne. Et la seconde qualité, c’est l’énergie libérée à chaque fois : 200 MeV ! Un noyau d’uranium 235 qui fissionne, c’est 43 fois plus d’énergie que s’il se désintégrait. Et dans un réacteur nucléaire, on va faire fissionner l’uranium beaucoup, beaucoup plus vite qu’il ne se désintègre.

    Fission appliquée au combustible nucléaire

    En moyenne, dans un réacteur nucléaire, au sein d’une tonne d’uranium (soit, pour rappel, 45 kg d’uranium 235 et 955 kg d’uranium 238), on va faire fissionner une douzaine de kilogrammes d’uranium 235 par an. Pour atteindre cette consommation, c’est un milliard de milliards de fissions par seconde qu’il faut entretenir ! Oui, les quinze milliards de désintégrations par seconde que l’on avait par simple radioactivité sont loin…

    L’uranium 235 se consomme donc par fission à un rythme de 0,4 milligrammes par seconde pour une tonne d’uranium initial -que l’on comparera aux 0,2 milligrammes par an perdus du fait de la radioactivité- pour une puissance libérée de 30 MW (mégawatts). On saute donc neuf ordres de grandeur par rapport aux 10 mW (milliwatts) provenant de la radioactivité.

    Récapitulatif : radioactivité | fission

    Iconographie

    À l’exception du portrait d’Henri Becquerel, toutes les images de ce billet proviennent du merveilleux site laradioactivite.com .

    Et la transmutation, alors ?

    Il existe une troisième forme de transformation, induite elle aussi, que peut subir la matière nucléaire.

    Comme la fission, elle passe généralement par l’absorption d’un neutron… Mais sans induire de fission ensuite. Le neutron reste absorbé, soit parce que la fission n’est pas toujours garantie, même pour les noyaux fissiles, soit parce que le noyau qui l’a absorbé n’était pas fissile.

    Et l’on change ainsi la nature nucléaire de l’atome : du cobalt 59 (le cobalt naturel, stable) on passe au cobalt 60 (radioactif), par exemple.

    Il s’agit souvent d’une réaction parasite, dont on se dispenserait bien. L’exemple ci-dessus l’illustre bien. Certains aciers utilisés en construction ou en métallurgie, y compris nucléaire, comportent du cobalt, dont la seule forme stable existante dans la nature est le cobalt 59. Exposé à un flux de neutron, comme celui s’échappant du cœur d’un réacteur nucléaire, le cobalt 59 transmute en cobalt 60, radioactif et même assez fortement irradiant. C’est un des plus gros gêneurs dans le démantèlement nucléaire, et c’est lui, avec sa demi-vie de seulement 5 ans, qui incite à différer le démantèlement de quelques décennies (stratégie en vigueur dans de nombreux pays, dont la France jusqu’en 2006 où le démantèlement immédiat est devenu la stratégie de référence).

    Mais la transmutation peut également être utilement mise à profit. On a levé ce voile précédemment en mentionnant les atomes « fertiles ». L’uranium 238 est 140 fois plus abondant, dans la nature, que l’uranium 235. Et le thorium 232 est encore 3 fois plus abondant. Mais ils ne sont pas fissiles… En revanche, en les exposant à un flux de neutrons, on peut « fertiliser » ces noyaux « fertiles » pour les transformer en plutonium 239 et uranium 233, l’un et l’autre fissiles. Et nous voilà à créer de la matière fissile !

    La transmutation offre d’autres possibilités, comme la fabrication de radionucléides très spécifiques à usage médical.

    Certains font également la promesse de mettre ce phénomène à profit pour réduire les quantités de déchets radioactifs à gérer. C’est un peu ce qu’on fait en transformant l’uranium 238 (un peu inutile) en plutonium (fissile), mais l’on pourrait également envisager de transformer certains produits de fission aux demi-vie trop longues en produits de fission à vie courte. Par exemple, l’iode 129 est un des produits de fission les plus dérangeants dans la gestion à long terme des déchets radioactifs ; d’une part en raison de sa demi-vie de seize millions d’années, et d’autre part en raison de sa grande mobilité dans l’eau et la roche : à ce titre, il fait l’objet d’une attention renforcée dans la conception du stockage géologique .

    En revanche, en transmutant l’iode 129 en iode 130, ce dernier ayant une demi-vie de quelques heures, on règlerait rapidement le problème : il suffirait de le laisser reposer quelques jours pour se retrouver avec une bonbonne de xénon stable. Évidemment, la mise en œuvre est bien plus complexe que ça.

    Et les rayonnements gamma, alors ?

    Dans cet article, vous aurez entendu parler de rayonnements α et β… Mais les rayons γ (« gamma »), pourtant bien connus, seraient passés à la trappe ?

    En fait, le rayonnement γ réside en une émissions de photon, les particules sans masse ni charge électrique lesquelles, selon leur fréquence (croissante ci-après), sont appelées onde radio, micro-ondes, infrarouges, lumière, ultraviolets, rayons X ou rayons γ.

    De fait, si l’on n’émet qu’un photon, on n’a pas transformation de matière, juste une libération d’énergie pure. Or, dans cet article, nous avons décrit différentes transformations ayant lieu au niveau du noyau atomique : désintégration, fission, transmutation…

    Mais sachez que souvent, ces réactions produisent des atomes surexcités, qui vont éliminer leur trop-plein d’énergie par émission d’un photo… γ, bien souvent.

    Si l’on en revient au cobalt 60, il va généralement se désintégrer en nickel 60 excité en émettant un rayonnement β de faible énergie (0,3 MeV). Mais le noyau de nickel 60 va ensuite se désexciter en émettant successivement deux particules γ, de 1,2 et 1,3 MeV chacune. Ça sera toujours du nickel 60, car pas de transformation du noyau, mais pour les personnels affectés au démantèlement, ce seront ces photons γ, le problème, pas le rayonnement β.

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      La limite d’âge à 40 ans des centrales nucléaires

      alt.movim.eu / DoseEquivalentBanana · Saturday, 1 May, 2021 - 17:44 · 16 minutes

    Ce billet est une reprise d’un thread pour revenir sur un sujet qui a fait l’objet de nombreux commentaires dernièrement : le fonctionnement des réacteurs nucléaire au-delà de leur quarantième année de service.

    Préambule

    Il se dit, essentiellement chez les opposants au nucléaire, que les centrales ont été conçues pour un maximum de 40 ans, après quoi elle doivent nécessairement être mises à l’arrêt.

    Alors, immanquablement, quand l’ Autorité de sûreté nucléaire dit qu’un fonctionnement jusqu’à 50 ans est envisageable sous des conditions qu’elle précise, les opposants hurlent au complot, à la connivence entre l’Autorité et les industriels au mépris de la santé humaine.

    Mais si ce n’est pas 40 ans la limite, quelle est-elle ? D’où vient-elle ? Qui la fixe ?

    J’avais déjà proposé des éléments explicatifs à ce sujet dans un précédent article . Complétons donc…

    Non, ce nombre de 40 ans ne sort pas d’absolument nulle part. Il existe effectivement une durée de service prise comme hypothèse à la conception, laquelle sert de base au dimensionnement pour les ingénieurs qui y travaillent, car on ne peut naturellement pas leur demander de concevoir quelque chose qui durera indéfiniment : ils eurent une durée cible à prendre en considération.

    Celle-ci fut de 25, 30 ou 40 ans selon les réacteurs et les époques. Mais un ingénieur ne conçoit pas un équipement pour qu’il fonctionne au maximum le temps prévu dans le cahier des charges, c’est une évidence, non ? C’est une durée minimale ! Et, compte tenu des marges prises à la conception, qui sont généralement larges dans l’industrie, très larges dans l’industrie de l’époque, extra-larges dans l’industrie nucléaire de l’époque (faute des moyens de calculs poussés dont nous disposons aujourd’hui), ce minimum peut tout à fait, en théorie, être dépassé.

    Au-delà des 40 ans

    En pratique, cela exige tout de même une maintenance, une surveillance, des études et des justifications, et c’est ce qu’exigent les autorités de sûreté dans tous les pays avant d’autoriser toute extension de durée de service. Des réacteurs dont on attendait 40 ans de fonctionnement initialement sont déjà autorisés à continuer jusqu’à 60 ans; par exemple aux USA. Les exploitants d’une poignée de réacteurs, dans ce pays, ont même déjà fourni les éléments à l’autorité de sûreté locale pour obtenir une autorisation de service jusqu’à 80 ans, et le processus a été initié pour de nombreux autres réacteurs. À ce jour, le maximum à retenir serait plutôt 80 ans que 40, donc.

    Et si Greenpeace transforme un minimum de 40 ans en maximum , ne faisons pas la même erreur : 80 ans est bien un maximum, réglementaire (et donc jusqu’à preuve du contraire), ce qui ne veut pas dire que tous les réacteurs pourront atteindre cet âge. Un réacteur, c’est une machine extrêmement complexe, composée de centaines ou milliers de km de tuyauteries, câbles, et des centaines de robinets, de pompes, de composants divers.

    La totalité moins deux de ces équipements est remplaçable.

    Donc à ces deux exceptions près, sous condition d’une maintenance appropriée, la durée de service théorique d’un réacteur nucléaire est infinie. Ces deux exceptions sont l’enceinte de confinement et la cuve. Et, dans la pratique, la limitation la plus sévère est la cuve. La cuve, c’est un élément du « circuit primaire », un cylindre d’une douzaine de mètres de long pour quatre de large, dans laquelle l’eau circule de bas en haut en rencontrant le combustible, le cœur du réacteur, où l’énergie de la réaction nucléaire est transmise à l’eau qui s’échauffe alors.

    La cuve est exposée à un flux intense de neutrons en provenance du cœur, qui en dégrade les propriétés mécanique : tenue aux chocs mécaniques, aux chocs thermiques, à la pression… Et on doute franchement de pouvoir la remplacer si besoin. D’où le fait qu’elle soit la limite pratique à la durée de service d’un réacteur.

    Et c’est en modélisant la dégradation de ses propriétés mécaniques au fur et à mesure de son irradiation que les concepteurs de nos réacteurs ont estimé la durée de service desdits réacteurs. En modélisant. Dans les années 60.

    Aujourd’hui, on connaît plutôt bien l’état des cuves. Il « suffit » d’analyser (c’est loin d’être simple, mais ça se fait). Et, évidemment , on connaît de manière plus fiable les cuves dans leur état actuel… Que les ingénieurs ne l’estimaient. Ça peut sembler stupidement évident, mais c’est un véritable sujet : aux yeux de certaines personnes, il vaudrait mieux faire confiance, pour connaître l’état actuel de nos cuves, aux concepteurs d’il y a cinquante ans qu’aux analystes aujourd’hui ; les estimations seraient plus fiables que de simplement constater. Mystère.

    Quelles différences entre la conception et aujourd’hui ?

    L’on peut discuter de quelques exemples d’hypothèses, faites à l’époque, alors totalement légitimes, mais qu’il est tout aussi légitime de rejeter ou de questionner aujourd’hui. Et l’invalidation de ces hypothèses contribue à expliquer que les durées de service augmentent par rapport aux estimations initiales.

    Les marges

    Il y en a un jeu d’hypothèse qu’il est très simple de remettre en question, ce sont toutes celles liées aux marges de calcul. Les modèles simples de l’époque, par rapport aux simulations numériques d’aujourd’hui, ce n’est pas la même affaire. Ils connaissaient la plupart des limites de leurs modèles, les imprécisions de leurs calculs, les simplifications qu’ils devaient adopter. Et en ingénieurs compétents et conscients, ils compensaient ces approximations par des marges. Les marges d’erreurs aujourd’hui sont plus fines, puisque l’on a une connaissance bien plus pointues du comportement des aciers sous irradiation. Et l’on a donc « du mou », une marge historique dont on n’a plus la nécessité aujourd’hui.

    Ce gain sur les marges d’erreur est en partie « consommé » par des exigences de sûreté plus sévères aujourd’hui. Autrement dit, une partie de la marge d’erreur a été convertie en marge de sécurité : on envisage des scénarios beaucoup plus contraignants, pour les matériaux par exemple, qu’à l’origine, et donc les marges historiques nous permettent de justifier que ces scénarios plus contraignants sont gérables.

    Et ce gain sur les marges d’erreur est également en partie du temps gagné sur la durée de service de la cuve.

    Le taux d’utilisation

    Un autre exemple d’hypothèse à revoir, c’est celle sur la quantité d’énergie produite.

    Je n’ai pas fait mes exercices de bibliographie pour connaître quelles hypothèses exactes étaient considérées. Mais il ne me paraît pas déraisonnable d’imaginer qu’à la conception, on s’attendait à ce qu’un réacteur fonctionne en moyenne (donc, compte tenu des arrêts planifiés ou imprévus) à 90% de sa capacité, et ce pendant 40 ans. Autrement dit, qu’un réacteur de 900 MW (ils représentent la majorité du parc français aujourd’hui, avec 32 réacteurs sur 56) produirait 284 TWh d’électricité en 40 ans.

    Or, la production électrique est directement liée à la production d’énergie nucléaire ayant eu lieu dans la cuve, et donc au nombre de fissions, et donc au nombre de neutrons émis, et donc à l’irradiation accumulée par la cuve (provenant notamment des neutrons). Donc un réacteur qui a moins produit, c’est, toutes choses égales par ailleurs, une cuve qui a moins été irradiée, et a donc moins vieilli.

    Si, dans la pratique, le réacteur a passé plus de temps qu’attendu à l’arrêt, ou s’il a du faire du suivi de charge, c’est à dire faire varier sa puissance pour s’adapter à la demande, sa capacité a pu n’être utilisée qu’à 75% en moyenne, par exemple. La production électrique en 40 ans s’est alors établie à 237 TWh. Par rapport à la prévision initiale de 284 TWh, il reste donc 47 TWh à produire ; soit 8 ans de service à raison de 6 TWh par an.

    La géométrie du cœur

    Encore une hypothèse de conception que la réalité n’a pas respectée.

    Typiquement, on renouvelle le cœur d’un réacteur à raison d’un tiers tous les ans. Donc le combustible passe, au total, 3 ans en cuve.

    Plus il est vieux, moins le combustible possède d’éléments fissiles (uranium 235), et plus il contient de produits de fission qui absorbent les neutrons et donc réduisent la réactivité, l’efficacité du combustible. Pour compenser, on met le combustible neuf en périphérie du cœur, et à chaque rechargement, on le rapproche du centre du cœur parce qu’il a vieilli. Donc, la première année, il est sur l’extérieur, la deuxième année, il est sur une couronne intermédiaire et la troisième année, il la passe en plein milieu du cœur.

    Et chaque année, on sort le combustible qui est en plein milieu, usé, on décale tout, on met du combustible neuf en périphérie, et on repart pour un an. C’est très schématisé, mais c’est l’idée. Quel rapport avec l’usure de la cuve ?

    C’est le fait de mettre le combustible neuf, le plus réactif, et donc le plus gros émetteurs de neutrons – irradiants pour la cuve, je le rappelle – en périphérie, au plus proche des parois de la cuve. Celle-ci est donc d’autant plus fortement irradiée… Et c’est quelque chose que l’on avait bien identifié à la conception.

    Mais entre temps, on s’est mis à faire une sorte de panachage du combustible neuf / un peu vieilli / très vieilli, pour trouver le meilleur compromis possible entre optimisation de l’utilisation du combustible et usure de la cuve. Et la conséquence, c’est que l’on gagne encore des années. Attention toutefois, l’utilisation, dans certains réacteurs, de combustible MOX (combustible recyclé à base de plutonium) a l’effet inverse, et a limiter le gain obtenu par le changement d’agencement du combustible dans le cœur.

    Les transitoires

    Un dernier exemple d’hypothèse de conception, le nombre de transitoires, doux ou rapides, subis par la cuve. Un transitoire, c’est un changement, plus ou moins brutal, des conditions de fonctionnement. Typiquement, une variation de pression ou de température, d’autant plus nocive à l’intégrité du circuit qu’elle est brutale.

    Ces transitoires sont, autant que possible, limités en ampleur et en vitesse en fonctionnement normal, mais pas inévitables. Et ils sont à compléter des arrêts d’urgence pour des incidents et accidents.

    Dans les études de conception, les ingénieurs d’alors ont pris en considération ces transitoires, avec des hypothèses, par exemple d’un à deux arrêts d’urgence par an et par réacteur. Valeur qui fut vérifiée pendant des années, mais aujourd’hui, la moyenne est plutôt autour de 0,5 arrêt d’urgence par an et par réacteur. Donc moins de stress mécanique pour le circuit primaire, et des années de gagnées.

    Les limites ne sont pas que techniques

    Les éléments présentés depuis le début de cet article sont à considérer sous condition d’une maintenance appropriée de tous les autres équipements du réacteur, voire leur remplacement périodique. Or, la maintenance a un coût, qui peut, à la longue, être élevé.

    Et c’est pour ça que, dans la pratique, ce qui détermine quasiment toujours la fin de vie d’un réacteur, ce n’est rien de tout ce que je viens de vous expliquer. Ce peut être un accident, mais le plus souvent, c’est une décision politique (Fessenheim, Allemagne…) ou une décision économique. Car, quand la maintenance pour garder en service un réacteur coûte plus cher que ce que le réacteur rapporte en vente d’électricité… Alors c’est souvent une bonne raison pour son propriétaire ou exploitant de décider de son arrêt définitif.

    Ce fut le destin de pas mal de réacteurs aux États-Unis en particulier, d’autant plus aux USA, il y a deux facteurs de complications pour la rentabilité des réacteurs nucléaires : le boom du gaz de schiste qui tire les prix de l’électricité vers le bas, et donc réduit la rentabilité des réacteurs, et les centrales qui comptent 1 seul réacteur, moins rentables que lorsqu’elles en comptent 2 ou plus, pour des raisons de mutualisation des compétences et matériels.

    Conclusion

    À l’issue de cet article, vous connaissez les trois principaux signaux indiquant la fin de vie d’un réacteur nucléaire :

    • Une décision politique en ce sens.
    • La non-rentabilité.
    • L’usure excessive de la cuve.

    Et aucunement quelque chose d’aussi grossier que le nombre des années, contrairement aux allégations trompeuses de petits hommes verts.

    Démystification rapide

    Greenpeace France propose 10 raisons , selon eux, de fermer une centrale nucléaire après ses 40 ans. À la lumière des éléments présentés dans cet article, répondons-y…

    « Les centrales nucléaires n’ont pas été conçues ni testées pour durer plus de 40 ans »
    Conçues non, mais testées si, au regard de toutes les centrales déjà autorisées à fonctionner plus (dont certaines approchent déjà les 50 ans).

    « Les centrales nucléaires, leurs matériaux et leurs équipements vieillissent mal, ce qui affecte la performance des réacteurs. »
    La performance affecte la production et donc la rentabilité économique. Si les exploitants souhaitent prolonger un réacteur, c’est que celui-ci est rentable. Lorsqu’il ne l’est pas, soit ils font ce qu’ils peuvent pour qu’il le redevienne, soit ils le mettent à l’arrêt, ça s’est déjà vu.

    « Certains composants essentiels s’abîment mais ne sont pas remplaçables. »
    Cela induit que la durée de service n’est pas infinie. Pas qu’elle est de 40 ans.

    « Les réacteurs nucléaires souffrent aussi d’anomalies et de défauts de fabrication. »
    Connus, suivis, et qui peuvent évoluer jusqu’à avoir rogné les marges de sûreté et donc conduire à exiger l’arrêt définitif. Décision qui appartient à l’ASN, mais qui n’est pas conditionnée à un âge, ce serait absurde.

    « Les réacteurs ont été imaginés dans les années 1970 et 80 »
    Ce qui veut dire qu’ils ont bénéficié de 50 ans de suivi, de retour d’expérience international, d’évolutions matérielles et organisationnelles. Et donc qu’on les connaît bien mieux aujourd’hui qu’à l’époque. Je rappelle qu’au titre de ce suivi, en France, chaque installation nucléaire fait l’objet d’une réévaluation complète de sa sûreté entre l’exploitant, l’ASN et l’IRSN, pour s’assurer de sa conformité aux standards de sûreté en vigueur (et pas seulement ceux à la conception).

    « Les vieilles centrales ne seront jamais aux normes les plus récentes. »
    Si, cf. tweet précédent. Aux normes les plus récentes qui leurs sont applicables, pas aux normes des réacteurs neufs. Pour avoir des réacteurs neufs, il faut construire des réacteurs neufs.

    « Tous les ans, EDF demande des dérogations pour contourner les normes de sûreté. »
    Et soit fournit les justifications auprès de l’ASN pour les obtenir, donc en proposant des moyens palliatifs permettant d’un côté de gagner en sûreté ce qu’ils perdent de l’autre, soit n’obtient pas ces dérogations.

    « Le risque d’accident grave augmente. »
    Non, Greenpeace confond tout simplement le fait qu’on identifie de plus en plus de sources de risques au fil des années (retour d’expérience, consolidation des connaissance…) avec une prétendue augmentation du nombre de ces sources. Comme je le mentionnais précédemment, une réévaluation de sûreté décennale est pratiquée pour s’assurer de la conformité aux standards en vigueur -> le risque d’accident grave diminue au fil du temps. Par exemple avec le retour d’expérience post-Fukushima.

    « Les centrales polluent l’environnement au quotidien. »
    Propos qui ne brille que de sa vacuité et ne mérite pas débat : on se doute qu’ils étaient à la peine pour arriver à 10 arguments). Je vous propose de juste admettre, dans le cadre de cet article, que c’est éventuellement un argument contre le nucléaire, mais sans rapport avec une limite à 40 ans.

    « Prolonger la durée de vie des réacteurs, ça coûtera cher et on ne sait pas encore combien. »
    Le processus d’échange tripartite entre l’ASN, l’IRSN et EDF est continu, donc si, on sait de manière relativement précise combien ça va coûter, et c’est clairement rentable. Et c’est clairement admis dans le monde entier, cf. cet extrait piqué à l’ Agence internationale de l’énergie .

    Policy and regulatory decisions remain critical to the fate of ageing reactors in advanced economies. The average age of their nuclear fleets is 35 years. The European Union and the United States have the largest active nuclear fleets (over 100 gigawatts each), and they are also among the oldest: the average reactor is 35 years old in the European Union and 39 years old in the United States. The original design lifetime for operations was 40 years in most cases. Around one quarter of the current nuclear capacity in advanced economies is set to be shut down by 2025 – mainly because of policies to reduce nuclear’s role. The fate of the remaining capacity depends on decisions about lifetime extensions in the coming years. In the United States, for example, some 90 reactors have 60-year operating licenses, yet several have already been retired early and many more are at risk. In Europe, Japan and other advanced economies, extensions of plants’ lifetimes also face uncertain prospects.
    Economic factors are also at play. Lifetime extensions are considerably cheaper than new construction and are generally cost-competitive with other electricity generation technologies, including new wind and solar projects. However, they still need significant investment to replace and refurbish key components that enable plants to continue operating safely. Low wholesale electricity and carbon prices, together with new regulations on the use of water for cooling reactors, are making some plants in the United States financially unviable. In addition, markets and regulatory systems often penalise nuclear power by not pricing in its value as a clean energy source and its contribution to electricity security. As a result, most nuclear power plants in advanced economies are at risk of closing prematurely.

    Bref. Une fois n’est pas coutume, on cherchera en vain la vérité dans la communication de Greenpeace. De la démagogie, de l’appel à l’émotion, des arguments foireux qui défient la technique, et répéter en boucle les mêmes inepties pour établir une sorte de vérité alternative qui leur sied davantage, voilà ce qu’ils ont à offrir…

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      Expositions professionnelles aux radiations en 2019

      alt.movim.eu / DoseEquivalentBanana · Saturday, 1 May, 2021 - 16:10 · 7 minutes

    Il s’agissait du « Röntgen equivalent man », abrégé « rem », remplacé par le Sv en 1979 mais encore assez utilisé en particulier en Amérique du Nord. Heureusement, la conversion est simple : 1 Sv = 100 rem. Ou 1 rem = 10 mSv. Et à une époque où la limite annuelle de dose qu’étaient autorisés à recevoir annuellement les employés du nucléaire atteignait 50 mSv voire plus dans certains pays (contre 20 mSv/an aujourd’hui en France au maximum), et bien cela faisait, pour les plus exposés, quelques rems. Ceux dont les métiers les exposaient aux plus fortes doses étaient parfois appelés « steaks à rem », ou « remsteak ». Un mélange poétique de chair à canon, de rumsteak, et de radioactivité. L’expression pouvait être utilisée aussi bien sur le ton humoristique… Que pour dénoncer des pratiques industrielles qui les exposaient excessivement sans respect pour les risques encourus.

    Disons que le principe de démarche ALARA, qui exige que l’on cherche à maintenir l’exposition des travailleurs « As Low As Reasonably Achievable », n’a pas forcément toujours été un standard… Hélas.

    Et tout ceci était une bien trop longue introduction pour vous dire que l’IRSN a publié son rapport 2020 sur l’exposition aux rayonnements des professionnels en France en 2019.

    395 000 travailleurs suivis, dans six domaines (industrie nucléaire, non nucléaire, recherche, médical, aviation et autres), 76% n’ayant reçu aucune dose mesurabl, et 5 (pas 5%, 5 tout court) ayant dépassé la limite légale de 20 mSv.

    Les statistiques par rapport à 2018 ne sont pas idéales. On va y revenir, mais notez que la dose moyenne sur les 24% ayant pris de la dose s’élève à 1,20 mSv, contre 1,12 mSv en 2018.

    À toutes fins utiles, je rappelle qu’un français moyen reçoit en moyenne 4,5 mSv par an, dont environ 3 de sources naturelles (radon, rayonnements telluriques, cosmiques) et 1,5 de sources artificielles (médical). Avec d’assez importantes disparités selon les modes de vies. Lieu d’habitation (exposition au radon ou altitude), consommation de fruits de mer ou de cigarette, suivi médical… L’IRSN donne quelques illustrations. Des niveaux d’exposition, qu’ils soient naturels ou artificiels, auxquels aucun effet sur la santé n’est connu. Donc pas de quoi s’inquiéter pour les 1,20 mSv de moyenne pour les travailleurs 😉

    La limite légale à 20 mSv prend elle-même de bonnes marges par rapport aux niveaux d’exposition où l’on connaît des effets probabilistes sur la santé. 5 personnes qui dépassent cette dose, c’est à la fois peu et beaucoup. Peu, parce que l’on revient de loin, très loin. Mais beaucoup, parce que l’on peut faire bien mieux aujourd’hui – même si c’était pire encore en 2018.

    Alors, vous demandez-vous sans doute, quel secteur a un peu trop irradié ses effectifs ? N’en déplaisent à certaines ONG et politiques, ce n’est pas l’industrie nucléaire… Ni l’industrie tout court.

    Il s’agit du domaine du médical et du vétérinaire. Qui n’avait déjà pas été épargné par la direction de l’Autorité de Sûreté Nucléaire lors de la remise de son rapport annuel à l’ OPECST sur l’année 2019.

    La catégorie « Autres », quant à elle, regroupe notamment les secteurs d’activité suivants : la gestion des situations de crise, l’inspection et le contrôle, les activités à l’étranger, et les activités de transport de sources dont l’utilisation n’est pas précisée.

    Dans les doses hautes mais encore dans la limite légale, avec 11 personnes entre 15 et 20 mSv engagés en 2019, toujours le même secteur médical, ainsi que l’industrie non-nucléaire, mais qui fait appel à des sources de rayonnements ionisants.

    Typiquement, il s’agit des radiographies gamma de soudures, un moyen de contrôle de la qualité d’une soudure qui fait appel à une source de rayons gamma, et donc aux risques d’exposition externe qui vont avec.

    Ensuite, on arrive sur le territoire de l’industrie nucléaire. Beaucoup d’industriels s’imposent des limites de doses inférieures à la limite légale, à des fins d’exemplarité… Ou pour avoir des marges avant la limite légale en cas de dépassement accidentel.

    Idem pour ces doses égales à moins de la moitié de la limite réglementaire, 5 à 10 mSv en 2019. Attention, en raison de la taille de la cohorte, je passe les données en pourcentages dans les graphiques.

    Ensuite, entre 1 et 5 mSv, donc des doses professionnelles comparables à celles reçues pour les personnes non exposées, on arrive dans le domaine… Des expositions professionnelles à la radioactivité naturelle.

    Ces travailleurs là sont en quasi-totalité les personnels navigants de l’aéronautique civile – et, dans une très moindre proportion, de l’aéronautique militaire. Parce qu’en altitude, on perd 10 km d’atmosphère protectrice contre les rayonnements cosmiques. Et, au cumul du nombre d’heures de travail, ces personnels navigants reçoivent une radioactivité naturelle environ deux fois supérieure au public. D’où une surveillance simple, mais bien réelle, de leur exposition.

    Sont aussi concernés (à raison de moins de 0,1% de la dose collective) les travailleurs dans le traitement des terres rares, les activités minières (essentiellement de surveillance), et quelques autres industries.

    La dose collective, c’est tout simplement la somme des doses reçues par chaque individu d’une cohorte. Une cohorte de 100 personnes à 5 mSv/personne en moyenne aura reçu une dose collective de 500 Homme.mSv. Un groupe de trois individus ayant reçu 1, 5 et 9 mSv -> Dose collective de 15 H.mSv. Et si on divise par le nombre de personnes, 15 H.mSv/3 H = 5 mSv, c’est la dose moyenne reçue dans la cohorte. Vous avez compris l’idée ?

    Je vous explique ça parce que l’on va à présent comparer les doses collectives d’une année sur l’autre. Je l’ai dit au début, la tendance est plutôt à la hausse. Cette évolution, sans relever d’enjeu sanitaire, doit néanmoins inciter à se poser des questions, et les bonnes. À commencer par se demander dans quels secteurs la hausse est la plus marquée, pour ensuite en étudier les causes. Et voilà les évolutions des doses collectives sur trois ans, par domaine :

    La taille de la cohorte a très peu augmenté, donc ce n’est pas ce qui explique l’évolution, que l’on retrouve aussi dans les doses individuelles moyennes :

    On a des hausses dans pas mal de domaines. Pas le médical/vétérinaire, et c’est une très bonne nouvelle, quasiment pas dans l’industrie non nucléaire, ce qui est une plutôt bonne nouvelle.

    Le gros de l’augmentation est porté sans équivoque par deux domaines : l’industrie nucléaire et l’exposition naturelle.

    Pour l’industrie nucléaire, le motif est bien connu : le Grand Carénage est à son maximum, il y a énormément de maintenance réalisée dans les centrales, et la maintenance est une activité souvent assez dosante. Sur les 45 H.Sv, 31 viennent effectivement de la logistique et de la maintenance, autrement dit, les prestataires. 6 de l’exploitation courante des réacteurs, 2 de la propulsion nucléaire, de la fabrication du combustible et 1 du démantèlement d’installations.

    Est-ce que ça justifie une augmentation des doses reçues par les personnels, je ne sais pas, mais en tout cas, ça l’explique.

    Enfin, l’augmentation de l’exposition à la radioactivité naturelle… M’a beaucoup surpris. Il n’y a pas eu d’envolée du trafic aérien en 2019 à ma connaissance, même un ralentissement en fin d’année. Alors ? En fait, j’aurais pu commencer mon thread par :

    « Le saviez-vous ? Les cycles d’activité du soleil ont une influence mesurable sur la radioactivité reçue en France par les professionnels exposés aux rayonnements et suivis par l’IRSN ».

    En effet, l’IRSN explique que le Soleil éjecte en permanence des particules avec une intensité qui varie selon un cycle d’environ onze ans. Ça je pense que tout le monde le sait à peu près. Pas forcément 11 ans, mais que ça varie de manière cyclique. Or, ce flux de particules, le vent solaire, va induire un champ magnétique qui va en dévier une partie et moduler le rayonnement cosmique. Le bouclier magnétique de la Terre, en quelque sorte. En particulier rayonnement d’origine galactique. Et, ce que j’ignorais : c’est lui la principale contribution aux altitudes de vol des avions !

    Ainsi, le rayonnement cosmique atteignant la Terre est moindre lorsque l’activité solaire est forte et inversement. Donc la baisse d’activité solaire induit une augmentation des doses reçues par les personnels navigants (et les passagers) !

    C’est sur cette anecdote que je clos ce panorama de la dosimétrie des professionnels en 2019. Merci à l’IRSN pour leur travail toujours propre et rigoureux 🙂

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      La Pierre Jaune

      alt.movim.eu / DoseEquivalentBanana · Monday, 15 February, 2021 - 09:04

    Un roman d’investigation sur un accident nucléaire à l’usine de la Hague, à la médiatisation outrancière telle qu’on ne sait pas si un peu de réalisme est incorporé à la fiction, ou l’inverse…

    Part. I.

    Part. II.

    Part. III.

    Part. IV.

    Part. V.

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      La Pierre Jaune, Pt. V.

      alt.movim.eu / DoseEquivalentBanana · Saturday, 13 February, 2021 - 16:24 · 5 minutes

    Retrouvez aux liens ci-après les première , deuxième , troisième et enfin quatrième partie de cette série. Nous continuons à commenter le script de cette vidéo :

    Quand on parle de ce sujet, on nous accuse souvent de donner des idées aux terroristes.

    Je ne pense pas que ce soit un reproche pertinent, en effet. Une des missions, sans doute la mission fondamentale, des acteurs de la protection contre les malveillances en tout genre, c’est de toute façon d’anticiper les idées que pourraient avoir des terroristes.

    Mais en fait, les terroristes ne nous ont pas attendu pour avoir ces idées : la preuve, en 2011, quand les Américains sont allés tuer Oussama Ben Laden à Abbottabad au Pakistan, ils ont dans la foulée publié une série de documents qu’ils ont trouvé dans l’ordinateur du cerveau des attentats du 11 septembre. Dans ces documents, il avait deux rapports sur le nucléaire en France, dont l’un était signé justement par l’expert allemand qui a alerté sur la faille de l’usine nucléaire de la Hague.

    Selon cet article , les documents en question, qui ont été retrouvés au domicile du célèbre terroriste, étaient le rapport Nuclear France Abroad de 2009 et de France on Radio­active Waste Management de 2008, deux documents de Mycle Schneider, le militant antinucléaire mentionné dans le précédent billet et de ses proches ( WISE-Paris , etc.).

    Ce sont des rapports publics, synthétisant des informations publiques, sans focus particulier sur la sécurité et la protection contre la malveillance. Il va de soi que si ces documents comportaient des informations compromettantes pour la sécurité nationale, Mycle Schneider et les siens seraient derrière les barreaux . Donc avoir retrouvés ces documents à Abbottabad indique que Ben Laden et ses équipes s’étaient intéressés au nucléaire français… Et c’est tout. Il n’est pas permis d’en déduire si une attaque était envisagée, ni laquelle.

    Mais, effectivement, ils s’y étaient au moins intéressés, et donc on ne peut pas reprocher aux militants antinucléaires d’aborder le sujet. En revanche, on peut leur reprocher d’en dire n’importe quoi.

    Ça peut paraître dingue que l’État français sache qu’un attentat de cette ampleur ou un accident seraient possible sur l’une de ces installations nucléaires et qu’il ne fasse rien.

    Et c’est un bon exemple de n’importe quoi, justement. Ce qui fait plaisir, c’est que le journaliste-auteur ne fait pas comme s’il découvrait quelque chose de notoirement connu, il a conscience que ce qu’il raconte est connu, au moins des autorités.

    Mais il considère que rien n’est fait en réponse à ce risque. Est-ce :

    • parce qu’il n’a pas cherché à savoir ce qui était fait, donc en a déduit que rien n’était fait ?
    • parce que les trois idées qu’il a eu ou qu’on lui a suggéré n’ont pas été retenues qu’il en a déduit qu’aucune autre idée n’avait pu être mise en œuvre ?
    • parce qu’il n’a pas trouvé ce qui était fait qu’il en a déduit que rien n’était fait ?

    En fait, le problème du nucléaire c’est qu’il est né dans le secret, il s’est construit dans le secret… Le problème c’est que ce secret n’existe pas : on peut trouver toutes les informations qu’il nous faut, elles existent déjà sur Internet ou dans les journaux. L’État, lui, se drape dans cette croyance, qui est fausse, selon laquelle le secret le protège encore.

    Là, on tombe dans un paradoxe typique… Des complotistes. Vous savez, ces gens persuadés de toutes leurs forces de grandes magouilles pour dissimuler la vérité au monde entier… Tout en étant convaincus qu’il « suffit de faire ses propres recherches » pour trouver la vérité ? Ceux qui pensent trouver sur Youtube des démonstrations qui échappent aux esprits les plus brillants de ce monde ?

    Ici, nous sommes dans cette même configuration, mais inversée : parce qu’il trouve des informations sur internet, le journaliste-auteur considère que rien n’est secret. Sans envisager que les secrets sur lesquels repose vraiment la protection puissent être… secrets. Et donc hors de sa portée.

    Pourtant, les élus ayant participé en 2018 à la Commission d’Enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires l’ont bien constaté : ne parvenant à se faire habiliter Confidentiel ou Secret Défense, ils n’ont pu consulter certaines informations techniques sur la protection des installations nucléaires contre les malveillances… Et notamment des piscines d’entreposage de combustible vis-à-vis d’un projectile (avion, missile…).

    Oui, l’industrie nucléaire a des origines militaires et donc est née dans le secret. Et si aujourd’hui les activités militaires et civiles sont bien séparées, si la transparence est devenue la norme en matière de sûreté… La protection contre les menaces de nature militaire (terrorisme, notamment) reste, elle, dans le secret. Et que ce journaliste ait échoué à accéder aux informations tenues secrètes devrait l’inciter à penser que le secret est bien protégé, et non pas que ces informations… N’existent pas.

    Je pense qu’il n’y a qu’une catastrophe qui pourra nous faire prendre conscience du problème. Et je préfère qu’elle arrive d’abord en fiction pour tenter de nous faire prendre conscience de cet énorme talon d’Achille, plutôt qu’elle arrive en vrai. Même si, malheureusement, il faut souvent attendre les vraies catastrophes pour avoir des vraies prise de conscience.

    A deux doigts de souhaiter une catastrophe pour pouvoir dire « Ha, j’avais raison ». Heureusement qu’il ne s’agit que d’un livre… Ça serait grave de le présenter comme un journaliste d’investigation.

    La boucle est bouclée.

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      La Pierre Jaune, Pt. IV.

      Tristan Kamin · alt.movim.eu / DoseEquivalentBanana · Friday, 12 February, 2021 - 14:47 · 15 minutes

    Retrouvez aux liens ci-après les première , deuxième et troisième partie de cette série. Nous continuons à commenter le script de cette vidéo :

    En cas d’accident nucléaire sur l’usine de la Hague, certains spécialistes estiment qu’entre 25 et 40% de l’Europe pourraient ne plus être habitables. Il faut prendre ces chiffres avec des pincettes, mais disons que cette hypothèse nous montre à quel point on a une épée de Damoclès gigantesque au-dessus de la tête.

    Cela va être vite vu… Qui sont les spécialistes en question, quel est le critère pour dire que le territoire est rendu inhabitable ?

    Oui, prenons ces chiffres avec ces pincettes et faute de source et d’explication, jetons les prudemment dans la plus proche poubelle. Et donc écartons cette hypothèse et l’épée de Damoclès impliquée.

    Dans mon livre j’imagine qu’un avion tombe sur la piscine D de l’usine nucléaire de la Hague parce que cette hypothèse a été au centre des débats. Finalement l’État français avait reconnu que, au bas mot, une telle catastrophe serait au moins équivalente à sept fois Tchernobyl.

    Au centre des débats, mais de quels débats ? En matière de sûreté nucléaire, tout a été tôt ou tard au centre d’un débat donné.

    En revanche, il est semble-t-il vain de trouver trace de « l’État français » qui viendrait cautionner cette affirmation. Dans ce vieil article du même auteur , auquel nous serons amenés à faire plusieurs références, il est seulement question du Ministre de l’Environnement en exercice à l’époque des attentats du 11 septembre, le Vert Yves Cochet, qui affirmait que « si un avion tombe sur les piscines de La Hague, avec les vents d’ouest qui ramènent toujours tout sur l’Ile-de-France, vous comme moi nous ne serons plus là pour en parler ». Ce sont des propos qui engagent Yves Cochet tout au plus, ce n’est pas une reconnaissance au niveau de l’État qu’un tel scénario serait « au moins équivalent à sept fois Tchernobyl ».

    Et d’abord, qu’est-ce que c’est censé vouloir dire, « 7 fois Tchernobyl » ? Le Tchernobyl n’est une unité de mesure reconnue dans aucun système d’unités dont j’ai connaissance. Est-ce 7 fois plus de cancers ? 7 fois plus d’évacués ? 7 fois plus de km² contaminés ? 7 fois plus de km² de territoire à évacuer ? 7 fois plus de réacteurs concernés ?

    Je vous renvoie à la première partie de cette série d’articles, dans laquelle j’affirmais que, selon moi et au vu des méthodes marketing de la maison d’édition, « 7 fois Tchernobyl » n’est pas un argument, ni même une idée : seulement une punchline, un slogan pour vendre. Je maintiens ici cette affirmation…

    Mais tentons donc de comprendre cette affirmation. Avec quelques mots clés adaptés, je pense que l’origine de cette affirmation remonte aux lendemains des attentats de 2001. Dans cette archive du Monde , on nous explique un calcul de WISE-Paris (Mycle Schneider, encore) selon lequel il y aurait un kilogramme ce Césium 137 par assemblage combustible , chiffre que je ne suis pas en mesure de réfuter ni vérifier mais qui ne me choque pas. Multiplié par la quantité de combustible alors entreposée à l’usine, et l’on arrive à 7,58 tonnes, soit 287 fois la quantité relâchée par l’accident de Tchernobyl. Si une des piscine remplie à la moitié de sa capacité était touchée par un avion, en supposant que 100% du césium 137 est relâché, on aboutit à un relargage de 1761 kg de césium, soit 66,7 fois Tchernobyl. Le mythe est né !

    Sauf que dans le cas de Tchernobyl, un réacteur qui a littéralement explosé, 30 à 40% du césium contenu dans le cœur a été libéré. Il va de soi qu’en cas de chute d’un avion sur la Hague, le scénario serait bien moins dispersif, et donc qu’on ne peut décemment pas retenir cette hypothèse de 100% du césium relâché. Toujours dans l’article des Inrocks , du même auteur, précédemment cité, l’on explique que lorsque ce nombre de 66,7 a été publiée, la présidente d’AREVA, Anne Lauvergeon, était montée au créneau. Et que l’IRSN aurait produit une note selon laquelle seul 10% du césium serait, en toute vraisemblance, relâché. Et voilà notre facteur 6.7. Invérifiable, ceci dit…

    Mais.

    Est-il seulement pertinent ? Est-il d’une part pertinent de prendre la quantité de césium 137 comme indicateur, et d’autre part pertinent d’en faire un « fois Tchernobyl » ? Disons le franchement, cela revient à résumer Tchernobyl en quantité de césium. Pas en nombre de cancers, pas en nombre d’évacués, pas en km² contaminés ou évacués… Pas même en quantité de radioactivité, ni en potentiel de danger ! Le césium 137 est loin d’être le seul radionucléide relâché à Tchernobyl. Et s’il est le plus nocif à moyen et long terme – il contamine durablement et sur une très large distance l’environnement – il n’est même pas le plus délétère pour la santé humaine. La majorité des pathologies que l’on doit à Tchernobyl, on les doit à l’iode 131 – on en reparle plus loin.

    Mais réalisez : la punchline au cœur de la campagne marketing, c’est basé sur une note confidentielle qui conteste un calcul de coin de table d’une association antinucléaire, qui est peu pertinent car considère un seul aspect, et à laquelle on fait dire ce qu’elle ne dit pas en transformant « x fois la quantité de césium relâchée à Tchernobyl » en « x fois Tchernobyl ». C’est pratique, chacun entendra ce qu’il aura le plus envie d’entendre.

    Par contre, niveau éthique, sérieux… Ça se pose là.

    Je me suis dit que la fiction allait nous permettre d’expérimenter la survie en territoire contaminé.

    OUI.

    C’est en effet à cela que peut servir une fiction. À se projet dans un scénario, réaliste, ou seulement crédible, ou totalement fantasmé. Il est même tout à fait possible d’écrire une fiction que l’on veut réaliste en y introduisant quelques éléments complètement surnaturels. Je ne serais pas surpris qu’existe, par exemple, des œuvres de science-fiction dans lesquelles on admet un élément complètement irréaliste (l’humanité se dote d’un moyen de propulsion dans l’espace qui s’affranchit du besoin d’énergie et de la limite de la vitesse de la lumière) et qui, en dehors de cet écart, se veut totalement réaliste.

    Hélas, ce n’est pas dans cette démarche là qu’est l’édition Goutte d’Or. Il n’est pas question d’admettre quelque chose d’irréel et de dérouler une histoire ensuite, il est question de le justifier par tous les moyens possibles, quitte à réinventer non pas son récit, mais… La réalité.

    Il y a notamment un spécialiste en radiations qui m’a beaucoup aidé.

    Il semblerait de ses diverses interventions dans les médias que le « spécialiste en radiations » soit Mycle Schneider, un militant antinucléaire allemand (que l’on oubliera soigneusement de présenter comme militant). Dont je n’ai pas connaissance d’une spécialisation en radioprotection ; j’accuse ici, un peu gratuitement je l’admets, un argument d’autorité malhonnête. Sa fiche Wikipédia en anglais mentionne une participation à un groupe d’expert sur la non-prolifération, qui est un sujet bien différent.

    S’il fallait partir de chez soi en catastrophe, il faudrait se protéger avec des casques de moto des moufles, n’avoir aucune partie du corps en contact avec l’extérieur, ou se calfeutrer.

    C’est une possibilité. Dans un scénario d’accident avec des rejets importants de radioactivité sous forme d’aérosols (des petites particules solides ou liquides mais assez légères pour être emportés dans les gaz, dans le vent…), et de retombées de cette radioactivité, se protéger est une idée. Et en cas de déclenchement du Plan Particulier d’Intervention , deux familles de scénarios, pour les populations, sont à considérer.

    Dans le plus souple, en cas notamment de rejets dont on sait qu’ils seront limités dans le temps, il s’agit de se calfeutrer, se confiner. Couper la ventilation de la maison, essayer d’isoler les aérations, et attendre. Le confinement va éviter que l’air ambiant de votre abri (maison, lieu de travail, établissement recevant du public…) ne se charge trop en radioactivité au passage du panache, et donc éviter que vous soyez trop contaminé, en surface ou en interne.

    Dans un cas plus rude, une évacuation peut s’imposer. Et en pareil cas, oui, il me semble pertinent de se couvrir le plus possible. Ainsi, la contamination sera retenue par vos vêtements qu’il suffira de jeter une fois à l’abri (puis procéder à une décontamination complémentaire au besoin), ce qui est plus simple que de changer de peau si celle-ci se voit contaminée, vous en conviendrez. Rappelons toutefois que des vêtements sont une protection imparfaite : ils ne sont pas étanches, et ne protègent pas les voies respiratoires.

    Néanmoins, j’admets volontiers que ces deux phrases sont pertinentes.

    On ne pourrait plus boire l’eau du robinet, on ne pourrait plus boire l’eau qui tombe du ciel, on ne pourrait plus manger tous les aliments qui ont été en contact avec l’air…

    Là encore, tout dépend des scénarios. Selon la nature et la quantité des rejets, des retombées, des infrastructures d’acheminement de l’eau…

    Disons que dans un scénario extrême générique, sans se poser vraiment la question du « comment », l’affirmation se défend.

    Et surtout, il faudrait savoir comment se décontaminer. Le premier réflexe c’est de se raser les cheveux, se raser les sourcils, se raser tous les poils du corps et prendre une longue douche.

    Je ne suis pas sûr que ce soit le « premier réflexe » à avoir, le fait de se confiner ou d’évacuer comme discuté précédemment arrivant beaucoup plus haut dans mon classement personnel.

    Cependant, oui, en cas de contamination superficielle, les poils et cheveux peuvent retenir certains radioéléments, et une décontamination rapide et efficace peut demander de s’en défaire et de prendre une bonne douche.

    Ensuite, il y a la contamination interne. C’est beaucoup plus compliqué car il y a beaucoup d’éléments radioactifs qui peuvent avoir été relâchés. Le Césium 137, lui, pour s’en débarrasser, il faudrait trouver du bleu de Prusse, ça se trouve en pharmacie, mais évidemment en cas de catastrophe il y aurait des pénuries. Vous l’ingérez, il va capturer le Césium dans votre corps et quand vous irez au toilette, vous l’évacuerez naturellement.

    Je ne connais pas cette histoire de Bleu de Prusse, mais ça ne me choque pas, donc j’admets sans vérifier. En revanche, toute exposition au Césium 137 ne justifie pas nécessairement une telle mesure.

    Le Césium 137 est un élément qui se désintègre spontanément en Baryum 137 en émettant un rayonnement β- de 500 keV d’énergie. Pour les différents types de rayonnements, je vous renvoie vers ce précédent billet . Quant à ce nombre de 500 keV, vous n’avez pas nécessairement besoin de le comprendre ; comprenez juste qu’il décrit l’intensité de la radiation émise. Ce Baryum 137 se stabilise ensuite en émettant quasiment instantanément un rayonnement γ de 700 keV d’énergie.

    À titre de comparaison, le potassium 40, un élément radioactif naturellement présent dans l’organisme de nombreux êtres vivants (si ce n’est tous ? L’humain en fait en tout cas partie) se désintègre en émettant soit un rayonnement β- de 1300 keV, soit un rayonnement γ de 1500 keV. Et des désintégrations de potassium 40, cet isotope bien plus irradiant que le césium 137 donc, dans un corps humain adulte, il s’en produit 6000 à 8000 par seconde .

    Vous comprendrez sans mal que si ce potassium 40 est inoffensif, il faut atteindre une certaine quantité de césium 137 pour commencer à présenter un danger, et donc dans notre scénario d’accident fictif, l’éliminer à l’aide de Bleu de Prusse n’est pas nécessairement un impératif ou une urgence sanitaire.

    Pour ceux d’entre vous qui connaissent quelque peu les effets sanitaires des radiations , sachez que par ingestion de césium 137, le seuil de 100 mSv est atteint pour une incorporation de 0.91 GBq, 1.0 GBq et 0.77 GBq pour le nouveau-né, l’enfant de 5 ans et l’adulte, respectivement. Et par inhalation, respectivement 0.091 GBq, 0.14 GBq et 0.26 GBq.

    Pour les autres, notez que des effets sanitaires sont à craindre uniquement en cas d’absorption d’une quantité assez conséquente de césium, et pas pour toute exposition au césium. Et que donc il n’y a pas besoin de bleu de prusse pour 25% de l’Europe (ni, vraisemblablement, 25% de la France).

    Si vous êtes dans une zone qui devient contaminée, il faut prendre préventivement de l’Iode pour saturer sa thyroïde en Iode sain, ce qui va empêcher l’Iode radioactif qui va venir de s’y loger, car s’il s’y loge, après le risque de cancer est extrêmement élevé.

    Aïe, aïe, aïe. Très grossière erreur… Ce qu’il affirme ici est vrai autour des centrales. J’explique tout ce que j’estime important à savoir sur la prise d’iode ici :

    Mais il est nécessaire d’apporter une précision. La prise d’iode stable vise à protéger la thyroïde de l’iode 131 qui est produit dans un réacteur nucléaire lors de la fission (c’est un produit de fission) et qui est très volatil. Cependant, cet iode 131 a une demi-vie de 8 jours, c’est à dire que lorsqu’un réacteur s’arrête, la quantité d’iode 131 présente dans le combustible est réduite à 50% de sa valeur initiale après 8 jours, à 25% après 16 jours, à 12.5% après 24 jours, à 6.25% après un mois… À 0.1% après 10 fois la demi-vie, soit 80 jours.

    Et le transport du combustible entre un réacteur nucléaire et la Hague il intervient au minimum après six mois, et en pratique après un an, voire deux. Six mois, c’est 23 fois la demi-vie de l’iode 131 : il reste 0.000012% de l’iode 131 après un tel délai.

    Et à l’usine de la Hague, la très large majorité du combustible présent en piscine ne vient pas juste d’arriver mais est entreposé depuis des années. Un combustible qui refroidit, qui se « désactive » depuis 5 ans, c’est 2 228 fois moins d’iode 131 qu’initialement : il y a probablement une teneur moins grande en iode 131 dans le combustible moyen à l’usine de la Hague que de substance active dans une préparation homéopathique .

    À noter qu’il existe un autre isotope radioactif de l’iode dans le combustible usé, l’iode 129. Celui-ci a une demi-vie qui se compte en millions d’années, donc sa quantité n’a quasiment pas varié entre le moment où le combustible est sorti du cœur du réacteur et le moment où il est mis dans une piscine de l’usine de la Hague. Cependant, lorsque le réacteur est mis à l’arrêt, il y a environ cent millions de fois moins d’iode 129 que d’iode 131.

    Une prise d’iode en cas d’accident à l’usine de la Hague n’est donc à priori pas justifiée, les rejets d’iode radioactif étant peu significatifs. D’ailleurs, dans le cadre des distributions préventives d’iode au voisinage des installations nucléaires, seules sont concernées les centrales EDF en production et quelques réacteurs de recherche, et pas l’usine de la Hague .

    La grande problématique des cachets d’iode, c’est qu’ils ne durent que 24 heures. Des spécialistes essaient de trouver un Iode et des pastilles qui dureraient une semaine, mais pour l’instant on ne les a pas.

    Je n’ai jamais entendu parler d’une efficacité limitée à 24h. Ayant une boîte de comprimés d’iode dans ma pharmacie, je lis la notice et je lis ceci ; « Le traitement consiste en une prise unique. Il ne doit être renouvelé que dans des cas exceptionnels, uniquement sur instruction des autorités compétentes. » Pas de contre-indication explicite donc, mais mon avis est qu’en cas de risque durable nécessitant de renouveler la prise d’iode, les scénarios de gestion de crise prévoient surtout une évacuation des populations menacées, qui ne sont donc pas supposées avoir besoin d’une deuxième prise, sauf cas particuliers.

    Mais en effet, la distribution d’iode n’est pas pensée en faisant l’hypothèse que des réfractaires voudront demeurer sur place, comme c’est le cas dans ce roman, et qui auraient besoin d’iode stable comme traitement préventif de fond. Et je ne serais pas surpris par ailleurs qu’une prise régulière d’iode, même stable, soit délétère à court terme pour la thyroïde, rendant préférable la nocivité à long terme des radiations.

    Quoi qu’il en soit, la question ne se pose même pas dans le cas qui nous intéresse ici, celui d’un accident nucléaire frappant l’usine de la Hague.

    Plus qu’une dernière courte partie , et l’on sera venus à bout de cette vidéo.

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      La Pierre Jaune, Pt. III.

      Tristan Kamin · alt.movim.eu / DoseEquivalentBanana · Thursday, 11 February, 2021 - 20:39 · 5 minutes

    La première partie de cet article est à ce lien . La deuxième est à ce lien .
    Ce qui suit est le script, commenté, de la vidéo de Konbini mentionnée dans le précédent billet et rappelée ci-dessous.

    Il y a d’autres points faibles à l’usine nucléaire de la Hague. Il y a aussi les produits de fission, qui sont tous les déchets dont on sépare les combustibles des anciens cœurs de centrales. Ces produits sont extrêmement explosifs, tellement explosifs qu’on est obligé de les refroidir en permanence dans des cuves géantes. S’il y a des coupures d’électricité, ce qui est déjà arrivé, et que les générateurs de secours tombent en panne, ce qui est déjà arrivé, ça pourrait conduire à explosion et à des rejets massifs.

    Dans le procédé de retraitement du combustible nucléaire mis en œuvre à l’usine de la Hague, le combustible est dans un premier temps cisaillé, puis dissout. Les solutions de dissolutions font l’objet d’un traitement chimique complexe pour en extraire les matières valorisables que sont l’uranium et le plutonium. À l’issue de ces étapes, les solutions ne sont plus qu’un concentré de substances radioactives non valorisables : les produits de fission. Les solutions feront l’objet d’ultimes traitements, et d’étapes de concentrations avant d’être vitrifiées pour produire les déchets à vie longue.

    Ces solutions de produits de fission étant extrêmement radioactives, elles nécessitent de prendre en considération différents risques. Deux risques nous intéressent ici, il s’agit du risque de radiolyse, et du risque d’échauffement.

    La radiolyse est la dissociation, sous l’effet des radiations, des molécules du solvant. Ce sont en particulier les atomes d’hydrogène qui ont tendance à se faire ainsi arracher aux atomes d’oxygène (dans l’eau) ou d’azote (dans l’acide nitrique). Atomes d’hydrogènes qui vont éventuellement se recombiner entre eux pour former du dihydrogène, un gaz qui, s’il s’accumule, induit un risque d’explosion. Ce ne sont pas les produits de fission à proprement parler qui sont donc explosifs, mais ils induisent un risque d’explosion par le dihydrogène qu’ils émettent par radiolyse. Pour maîtriser ce risque, la solution est plutôt rustique : injecter de l’air dans les équipements contenant des produits de fission. L’hydrogène va se diluer dans l’air, être drainé par la ventilation, et donc ne jamais s’accumuler jusqu’à des concentrations permettant son inflammation ou son explosion. Naturellement, des dispositions complémentaires viennent assurer la fiabilité de l’approvisionnement en air (redondances…), de la ventilation (tirage naturel…) et permettre de remédier à une perte d’approvisionnement en air de dilution. Mais il n’est pas sujet ici de reproduire une démonstration de sûreté, simplement d’expliciter le risque lié à l’hydrogène de radiolyse et indiquer qu’il est connu et pris en compte.

    L’échauffement, quant à lui, est lié à la chaleur produite par les radiations. Les équipements contenant des produits de fission doivent être refroidis pour maintenir leur température à un niveau stable, avant tout pour éviter que les solutions n’entrent en ébullition. Car un tel phénomène conduirait au passage de nombreux produits de fission à l’état gazeux (ou aérosols) qui seraient alors emportés par la ventilation des équipements, conduisant à des rejets radioactifs excessifs dans l’environnement. Dans un scénario plus extrême, si l’ébullition produit davantage de gaz que la ventilation ne peut en extraire, les équipements peuvent être amenés à monter en pression, jusqu’à, éventuellement, leur rupture. Enfin, dans certains cas, une élévation de température peut conduire à des réactions chimiques indésirables. Comme l’air de dilution de l’hydrogène, le refroidissement fait l’objet de mesures de fiabilisation, de surveillance, et de remédiation en cas de défaillance.

    Ce que vous aurez probablement constaté, c’est que je distingue d’une part l’explosivité liée à l’hydrogène, d’autre part la question du refroidissement. Parce que, de mes recherches, ne ressort aucune étape du procédé, concernant les produits de fission, dans lequel on refroidirait pour éviter une explosion. Selon moi, l’affirmation « Ces produits sont extrêmement explosifs, tellement explosifs qu’on est obligé de les refroidir en permanence dans des cuves géantes » ne repose sur rien.

    Un twittos habile a suggéré une explication me semblant vraisemblable. Il avait souvenir d’articles de presse datés de 2017, qu’un autre twittos a retrouvés , sur un incident déclaré à l’usine de la Hague : une élévation de température dans une cuve de produits de fission à cause d’un problème de brassage. On est assez loin du scénario décrit dans l’interview dont nous parlons, mais on n’a pas plus proche. Sinon, encore un autre twittos a suggéré que le journaliste-auteur a pu simplement mélanger « ébullition » et « explosion », mais c’est une hypothèse peu charitable.

    Cependant, l’ avis d’incident sur le site de l’ASN , mentionne un risque de précipitation chimique (formation d’agglomérats de matière solide) en fond de cuve en cas de perte du brassage. La conséquence éventuelle serait alors que, localement, au niveau de ce précipité, la température pourrait augmenter jusqu’à perforer le fond de la cuve et provoquer sa vidange. Cependant, ce scénario était lointain, la température étant restée à 24 °C, loin du seuil d’alerte de 50 °C, et encore plus loin de températures dangereuses pour le métal de la cuve. Et, quand bien même, le risque aurait été celui d’un déversement de produits de fission dans le local où est implantée la cuve, pas d’explosion.

    Enfin, signalons que la cuve dont il est question contenait des produits de fission issus du retraitement de combustibles anciens, ceux des réacteurs graphite-gaz (UNGG) dont le dernier a été arrêté en 1994. La vitrification des dernières solutions de produits de fission de combustibles UNGG s’est achevée en fin 2020 .

    Non, il me semble vraiment difficile d’exclure l’hypothèse que Geoffrey Le Guilcher affabule totalement, concernant cette histoire de produits de fission.

    Et ça ne s’améliore pas dans la quatrième partie…