• chevron_right

      Dans “Un si long silence”, le parcours de Sarah Abitbol, à l'origine du #Metoo dans le sport

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Wednesday, 11 May, 2022 - 16:00 · 7 minutes

    France 2 retrace le parcours de Sarah Abitbol, à l'origine du <a class=#Metoo dans le sport" src="https://img.huffingtonpost.com/asset/627a5d371e000052c71b456b.jpeg?ops=scalefit_630_noupscale" /> France 2 retrace le parcours de Sarah Abitbol, à l'origine du #Metoo dans le sport

    METOO - On ne saura jamais jusqu’où la carrière de Sarah Abitbol aurait pu aller, si elle n’avait pas été brisée. Mais une chose est sûre: la plus belle victoire de la championne de patinage artistique, c’est d’avoir réussi à briser le silence. Un acte qui vaut bien une “médaille d’or olympique”, selon ses propres mots.

    La patineuse, qui accuse son entraîneur de viol entre ses 15 et 17 ans , a tu son histoire pendant trente ans. Un traumatisme qu’elle a tenté d’enfouir, par honte et paralysie, dans les tréfonds de son cerveau. Mais son corps et son esprit, marqués au fer rouge, finiront par la sortir de son amnésie traumatique .

    C’est ce parcours difficile vers la libération de la parole que retrace le documentaire Un si long silence , diffusé sur France 2 mercredi 11 mai dans le cadre d’une soirée spéciale intitulée: “Sport et violences sexuelles: la fin du silence?”.

    “Glisser et être libre”

    Le film commence alors que Sarah Abitbol est encore enfant. Petite, elle ne tient pas en place. Elle saute, danse, bouge. À trois ans, elle chausse des patins et s’élance sur la glace. Elle n’a pas peur. Elle tombe amoureuse de ce sport, de cette sensation de glisser et “d’être libre”.

    Dès l’âge de 5 ans, elle s’entraîne intensément et possède toutes les “qualités” pour devenir une grande patineuse. Elle est soutenue par ses parents et son père, qui la filme avec une caméra VHS depuis les gradins de la patinoire. Elle regarde son idole, la championne olympique allemande Katarina Witt, à la télévision. “Un jour, ce sera toi la championne”, lui dit son père.

    Elle gagne toutes les compétitions départementales et régionales. Quand elle a 12 ans, la famille déménage à Paris pour lui permettre d’intégrer un club prestigieux. “Une Sarah, il y en a une tous les 30 ans. Si elle veut réussir, il faut qu’elle parte”, dit-on à ses parents. Le club des Français Volants la repère. Et plus particulièrement Gilles Beyer, le coach des athlètes de haut niveau.

    Le rêve qui s’écroule

    Sarah Abitbol intègre le club situé au Palais Omnisports de Bercy, à Paris, en 1987. La famille s’organise et fait des sacrifices pour lui permettre de réaliser son rêve. Un rêve qui durera deux ans, durant lesquels Sarah Abitbol s’entraîne dur, aux côtés d’un jeune entraîneur, Jean-Christophe Simond.

    Elle atteint très vite le “double axel” et gagne ses premières compétitions à Paris. Aux championnats de France espoirs, à 14 ans, elle gagne la médaille de bronze. Après cette victoire, son rêve s’écroule: son entraîneur est obligé de quitter son poste pour partir entraîner des débutants.

    Gilles Beyer, l’entraîneur star, propose alors de reprendre l’entraînement de Sarah Abitbol. Ses parents acceptent. “C’est le boss, tout le monde lui fait confiance et l’écoute, je le vénérais”, se souvient sa mère. C’est le début du cauchemar pour la jeune fille.

    C’est lors d’un stage d’été intensif à Bercy que les sévices commencent. Sarah Abitbol a 15 ans. Elle raconte qu’elle sera violée par son entraîneur pendant deux ans. “Tout cela est un secret, cela doit rester entre nous, Sarah”, lui glisse-t-il. Elle se tait. ”À aucun moment, je n’ai l’idée et l’envie d’en parler”, se souvient-elle trente ans plus tard, par “honte”.

    Pour crier son désespoir, elle choisit de patiner, à la fin de cet été, seule sur la glace, sur le titre “Sacrifice” d’Elton John. “Même si personne ne comprenait, moi je comprenais”, se rappelle-t-elle.

    Le corps qui lâche

    Sur la glace, son corps commence à donner des signes de détresse. Elle tombe beaucoup, “perd sa technique, tape du pied, ce n’est plus Sarah”, note sa mère. Mais sa famille ne s’inquiète pas pour autant. Ses parents sont même honorés que Gilles Beyer la garde plus tard le soir, pour “l’entraîner”.

    Elle raconte qu’il la viole systématiquement et la dépose ensuite chez elle, “comme si de rien n’était.” Pour la jeune fille, c’est “impensable” d’en parler. Elle ne progresse plus, n’a plus l’âme de patiner. “Il y a quelque chose de cassé dans mon corps et dans mon âme, que personne ne détecte”, se souvient-elle.

    La rencontre du patineur Stéphane Bernadis, lorsqu’elle a 17 ans, sera une bouée de sauvetage, du moins temporaire. Elle intègre alors l’entraînement des couples, que ne supervise pas Gilles Beyer. Elle se sent protégée par ce duo, qui naît sur la glace et deviendra aussi un couple dans la vie privée. Ses deux années de calvaires sont “oubliées” par son cerveau.

    Une courte parenthèse

    Sur la glace, elle fait à nouveau des étincelles. Le couple sera dix fois champion de France, vice-champion d’Europe et médaille de bronze aux Championnats du monde. Dans les années 1990, la glace et les paillettes font rêver la France entière et les compétitions sont diffusées en prime time sur les chaînes nationales.

    Une semaine avant les Jeux olympiques de Salt Lake City, en 2002, Sarah Abitbol se blesse durant l’entraînement. Une rupture au tendon d’Achille les contraint à déclarer forfait pour les Jeux olympiques. Si le couple redevient champion d’Europe la même année, ce drame signale la fin de ce que Sarah Abitbol peut endurer.

    “Je m’aperçois qu’il y a quelque chose brisé, que cette espèce de flamme qui l’animait tout le temps n’est plus présente”, se souvient son premier entraîneur Jean-Christophe Simond, revenu à ses côtés. Sarah Abitbol décidera, après dix ans de carrière aux côtés de Stéphane Bernadis, d’arrêter la compétition. Ce sera aussi la fin de leur couple dans l’intimité.

    La fin de l’amnésie traumatique

    Le couple devient la vedette du show sur glace “ Holiday on Ice” . Mais elle ne va pas bien, est sous antidépresseurs, a perdu beaucoup de poids. Son corps n’y arrive plus. Et comme elle n’a aucun souvenir des viols et agressions sexuelles qu’elle a subis, elle ne comprend pas ce qui lui arrive.

    Il faudra attendre des années pour que ses souvenirs remontent par flashs. Tout revient d’un coup. Elle raconte tout à ses parents, mais ne se sent pas capable, n’est pas prête à porter plainte. Elle en parle aux responsables de la fédération de patinage, dont elle n’obtient pas de soutien.

    En 2020, elle trouve au plus profond d’elle-même le courage de briser la glace et de se livrer sur les agressions qu’elle a subies dans l’ouvrage Un si long silence (Plon), co-écrit avec la journaliste Emmanuelle Anizon. C’est le témoignage de Flavie Flament, violée à 13 ans, qui l’a poussée à parler.

    Lors de son enquête, la journaliste découvre que Sarah Abitbol n’est pas un cas isolé. Malgré les bruits qui courent, les voix des victimes sont étouffées, bâillonnées par un système qui se protège. C’est le règne de l’omerta. Le témoignage de Sarah Abitbol sera un cataclysme.

    Les autres témoignages de victimes ne tardent pas à affluer . D’autres entraîneurs font l’objet d’enquêtes. Même s’il y a souvent prescription, Sarah Abitbol a ouvert la voie vers la libération de la parole.

    Un si long silence , un film d’Emmanuelle Anizon et Rémy Burkel, est diffusé ce mercredi 11 mai 2022 sur France 2, à 21h10.

    À voir également sur Le HuffPost : “Combien vaut une petite fille”, le témoignage poignant de Simone Biles au Congrès dans l’affaire Nassar