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      NASA : la Chine vise la Lune. Et alors ?

      Frédéric Mas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 11 January, 2023 - 04:00 · 2 minutes

    Dans un entretien donné à Politico , Bill Nelson, administrateur à la NASA, fait part de son inquiétude quant à l’entrée de la Chine dans la compétition spatiale pour aller sur la Lune. Pour lui, la Chine pourrait rapidement trouver un moyen d’alunir pour tenter de s’approprier les ressources les plus riches du satellite naturel. Nelson cite en exemple -plus terre à terre oserions-nous dire- l’attitude de Pékin en mer de Chine méridionale, qui a étendu sa domination militaire sur certaines îles au statut contesté : « Si vous en doutez, regardez ce qu’ils ont fait avec les îles Spratly. »

    L’ambition spatiale de la Chine

    Depuis les années 2000, le programme spatial chinois connaît une croissance sans précédent. Il inclut, entre autres, l’exploration de la Lune, en parallèle avec sa propre mission d’exploration de Mars. En novembre 2022, un grand bond en avant a été réalisé avec l’envoi de trois « taikonautes » -le terme chinois pour astronaute- dans la toute nouvelle station orbitale Tiangong, concurrente directe de la Station spatiale internationale (SSI), pilotée par la NASA et plusieurs partenaires internationaux dont la Russie.

    L’avertissement de Bill Nelson intervient au moment du passage de l’adoption du budget annuel pour la NASA, qui aux yeux des administrateurs de l’agence spatiale, n’est pas assez ambitieux pour poursuivre les programmes Artemis II et Artemis III déjà dans les tuyaux.

    Comme le note le journaliste scientifique Robert Wright , jouer sur la menace chinoise pour demander des crédits supplémentaires rappelle l’esprit de la guerre froide et peut entraîner le gouvernement américain à gaspiller de l’argent public sans menace sérieusement évaluée ou pour faire face à une concurrence largement fantasmée :

    « Si Nelson était le seul à Washington à essayer de monnayer la peur de la Chine, les dangers de cette entreprise ne mériteraient pas qu’on s’en inquiète beaucoup. Mais ce n’est pas le cas. De nombreux fonctionnaires et lobbyistes jouent à peu près le même jeu et leur nombre ne cesse de croître. Et leurs arguments sont souvent douteux même s’ils sont moins flagrants que les mises en garde contre une confrontation lunaire imminente avec la Chine. Si un nombre suffisant de ces propositions de financement aboutissent, cela pourrait se traduire par un détournement important de ressources vers des projets qui sont inutiles, voire contre-productifs et même dangereux. »

    Le chantage budgétaire à la menace chinoise

    Selon le politologue et chercheur associé au Cato Institute John Mueller, la tentation d’exagérer les menaces existentielles pesant sur les États-Unis afin de capter de l’argent public est une caractéristique de toute la politique étrangère américaine depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale 1 . Si Pékin ne cache pas ses ambitions de jouer dans la cour des grands, il ne doit pas devenir le prétexte pour entretenir ou développer des programmes publics dont l’argent pourrait être employé plus sagement ailleurs.

    1. John Mueller, The Stupidity of War. American Foreign Policy and The Case For Complacency, Cambridge Univ. Press, 2021.
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      Certains vaccins Covid font appel au génie génétique ? Excellente nouvelle !

      Auteur invité · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 15 January, 2021 - 04:40 · 6 minutes

    vaccins

    Par Mark Lynas.
    Un article de Cornell Alliance for Science

    Nous avons tous subi les théories conspirationnistes sur la Covid-19 . Aujourd’hui une nouvelle vague de même nature est en train de se former à propos des vaccins et de se propager de manière aussi virulente que la pandémie qu’ils sont censés contrôler.

    Même si les instances de santé publique ont tendance à se montrer rassurantes sur certaines des appréhensions les plus raisonnables – oui, les vaccins ont été développés incroyablement rapidement et des effets secondaires à court terme peuvent se produire – ce billet se propose d’aborder le sujet sous un autre angle.

    Nous allons droit au cœur du problème. Donc non, les vaccins Covid-19 ne sont pas des vecteurs de distribution de puces gouvernementales. Ils ne sont pas contaminés par du matériel provenant de fœtus avortés. Et ils ne nous transformeront pas en OGM – bien que certains d’entre eux utilisent le génie génétique, et que tous utilisent la génétique de manière plus générale.

    Nous pensons que c’est vraiment super – quelque chose à célébrer , et dont il ne faut pas avoir honte. Nous tenons donc à dépeindre en profondeur la façon dont la génétique et les biotechnologies ont été au cœur de l’effort de recherche sur ces vaccins. Parce que nous savons que les conspirateurs ne se soucient pas des preuves, de toute façon.

    ARNm – vaccins BioNTech/Pfizer et Moderna

    Premier point : l’ARNm. Il ne reprogrammera pas votre cerveau. Mais il reprogramme certaines de vos cellules, en quelque sorte. Et ce n’est pas un défaut, c’est intentionnel.

    Pour comprendre cela, vous devez savoir à quoi sert l’ARNm. En gros, c’est une molécule d’acide nucléique simple brin qui transporte une séquence génétique de l’ADN, du noyau de la cellule vers les usines à protéines – appelées ribosomes – qui se trouvent à l’extérieur du noyau dans le cytoplasme cellulaire.

    C’est ce que signifie le « m » d’ARNm : messager. L’ARN messager ne fait que transmettre les instructions pour l’assemblage des protéines de la matrice d’ADN aux ribosomes. (Les protéines font presque tout ce qui compte dans l’organisme.) C’est tout.

    C’est utile pour les vaccins car les scientifiques peuvent facilement reconstruire des séquences génétiques spécifiques qui codent pour des protéines distinctives du virus envahissant. Dans le cas du Covid, il s’agit de la protéine de pointe bien connue qui permet au coronavirus de pénétrer dans les cellules humaines.

    Les vaccins à ARNm obligent quelques cellules proches du site d’injection à produire la protéine de pointe. Celle-ci prépare ainsi votre système immunitaire à fabriquer les anticorps et les lymphocytes T qui combattront la véritable infection par le coronavirus lorsqu’elle se produira.

    Ce n’est pas très différent de la façon dont les vaccins traditionnels fonctionnent. Mais au lieu d’injecter un virus vivant affaibli ou éteint, l’approche par ARNm entraîne directement votre système immunitaire avec une seule protéine.

    Contrairement aux affirmations des plus fous, il ne vous transformera pas, vous ni personne d’autre, en OGM. L’ARNm reste dans le cytoplasme, là où se trouvent les ribosomes. Il n’entre pas dans le noyau et ne peut pas interagir avec votre ADN ni provoquer de modifications du génome. Pas de « Frankencure » ici non plus.

    Une variante de l’approche ARNm consiste à reculer d’un pas dans le processus et à la place, de construire une plateforme de vaccin à partir d’ADN. Ce modèle d’ADN – construit par les scientifiques pour coder la protéine de pointe du coronavirus – est introduit dans les cellules où il est lu dans l’ARNm et… eh bien, le reste est identique.

    Vous vous demandez peut-être si cet ADN peut modifier génétiquement vos cellules. Encore une fois, la réponse est non. L’ADN est injecté en petits morceaux circulaires appelés « plasmides » – à ne pas confondre avec les plastiques – et si ceux-ci entrent bien dans le noyau, le nouvel ADN lui ne s’intègre pas dans votre génome cellulaire. Vous y êtes ?

    Adénovirus – le vaccin d’Oxford

    Celui-ci est vraiment génétiquement modifié. Mais qu’est-ce que cela signifie réellement ?

    Le vaccin d’Oxford utilise ce que l’on appelle une approche par « vecteur viral ». L’équipe scientifique a pris un adénovirus – un type d’agent pathogène qui provoque un rhume commun – et l’a couplé à la même séquence génétique de protéine de pointe que celle du coronavirus.

    L’adénovirus sert simplement de véhicule pour faire entrer la séquence génétique dans vos cellules. Voilà pourquoi il est appelé « vecteur viral ». Après tout, les virus ont été conçus par des milliards d’années d’évolution, précisément pour trouver des moyens de se faufiler dans les cellules hôtes.

    Notez que le génie génétique est une partie essentielle du processus de développement. Tout d’abord, les virus vecteurs sont dépouillés de tous les gènes qui pourraient vous nuire et provoquer une maladie. Les gènes qui provoquent la réplication sont également supprimés, de sorte que le virus est inoffensif et ne peut pas se répliquer.

    Ensuite, les gènes de la protéine de pointe du coronavirus sont ajoutés – une utilisation classique de l’ADN recombinant. Donc oui, l’emploi du vaccin Oxford/AstraZeneca signifie bien qu’un virus génétiquement modifié est injecté dans votre corps.

    Et c’est une bonne chose. Dans le passé, par exemple avec le vaccin contre la poliomyélite, les virus vivants contenus dans le vaccin pouvaient parfois muter et redevenir pathogènes, provoquant une polio dérivée du vaccin. Vous pouvez voir qu’il est de loin préférable d’utiliser un virus génétiquement modifié qui ne peut pas causer de tels dommages !

    L’alarmisme OGM

    Comme nous l’avons déjà signalé à l’Alliance pour la Science, les mouvements anti-OGM et anti-vaccins se chevauchent considérablement. Ces groupes ont tendance à partager une idéologie qui se méfie de la science moderne et fétichisent plutôt les approches « naturelles ». Quoi qu’on puisse entendre par « naturel » .

    Notez que ces groupes ne sont pas toujours relégués à la frange à laquelle ils appartiennent. En Europe, les réglementations anti-OGM ont bloqué toute utilisation substantielle de la biotechnologie des cultures pendant près de deux décennies, entravant les efforts visant à rendre l’agriculture plus durable.

    Et en juillet dernier, le Parlement européen a dû suspendre les règles anti-OGM de l’UE afin de permettre le développement sans entrave des vaccins COVID. Très embarrassant pour Bruxelles !

    Les mouvements anti-OGM et anti-vaccin vont-ils utiliser leurs tactiques habituelles d’alarmisme pour susciter la peur, accroître le doute sur les vaccins, et prolonger ainsi l’enfer de la pandémie de Covid-19 ? Cela reste à voir. S’ils y parviennent, alors, tragiquement beaucoup plus de personnes mourront et nos économies continueront de souffrir. C’est à nous tous – le mouvement populaire en faveur de la science – de les arrêter.

    Traduction de Yes, some COVID vaccines use genetic engineering. Get over it par Alain Cohen-Dumouchel pour Contrepoints .

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      Le Prix Nobel de chimie influencera-t-il la politique agricole en France ?

      André Heitz · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 11 November, 2020 - 03:20 · 11 minutes

    génie génétique

    Par André Heitz.

    Où l’on découvre soudain que Mme Emmanuelle Charpentier est Française… mais les applications agricoles de sa découverte sont interdites de séjour en France. Et notre personnel politique a fait fort dans les cocoricouacs. Mais il n’est pas trop tard pour utiliser ce Prix Nobel pour faire de la pédagogie.

    (Source)

    Sur France 2 , c’est : « Ah, il y a encore… »

    Au journal télévisé de 20 heures , de France2 , l’information avait été expédiée – plutôt bien, cependant – en 1:23 minute, mais en toute fin de journal. C’était tout de même moins important que, par exemple, « Toussaint : des vacances bouleversées par le coronavirus », 2:05 minutes.

    Sur internet, l’information a été ramenée à deux maigres paragraphes , et un titre qui fait passer Mme Jennifer Doudna à la trappe… cocorico oblige ! Mais soyons positifs : il n’y a pas de gesticulation anxiogène sur ces « ciseaux moléculaires » qui pourraient être utilisés à mauvais escient pour répandre la désolation sur la planète..

    Un Prix Nobel à décrypter

    Ce Prix Nobel décerné à Mmes Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna « pour le développement d’une méthode pour l’édition du génome » peut véhiculer quatre messages.

    Premièrement, c’est la première fois qu’un prix scientifique est remis à un duo féminin. Le jury aurait pu leur associer un de leurs prédécesseurs dans cette – relativement longue – aventure, et il aurait eu l’embarras du choix. Voir à cet égard, par exemple, « La merveilleuse aventure des pionniers de CRISPR-Cas9 », de M. Gil Rivière-Wekstein sur Agriculture et Environnement , ou encore « Le Nobel de chimie décerné à la Française Emmanuelle Charpentier et l’Américaine Jennifer Doudna pour les « ciseaux moléculaires » », de M. Nathaniel Herzberg dans le Monde .

    Mme Emmanuelle Charpentier en a profité pour encourager les jeunes filles à se lancer dans la science. « Les femmes scientifiques peuvent aussi avoir un impact pour la recherche qu’elles mènent », a-t-elle souligné au cours d’une conférence de presse organisée par les Nobel peu après l’annonce du prix. Elle aurait pu s’adresser également aux jeunes gens, tant la France est malade de son rapport avec la science et la technique…

    Deuxièmement, ce prix se situe entre la science et la technique. Ce n’est certes pas nouveau, mais c’est aussi un signal fort pour une recherche française publique (ce qu’il en reste) qui tend à vénérer la recherche fondamentale (et, dans le domaine qui nous préoccupe, souvent militante).

    Troisièmement, ce prix est en chimie et non, comme beaucoup l’attendaient, en médecine. On peut penser que le jury a ainsi privilégié les extraordinaires perspectives de progrès en génétique végétale – en amélioration des plantes – et animale.

    Quatrièmement, ce prix qui était attendu arrive huit ans après la publication séminale dans Science , ce qui témoigne de l’importance des travaux réalisés. Rares sont en effet ceux qui doutent de la contribution que feront les ciseaux moléculaires au XXIe siècle, du côté tant des optimistes que des technophobes qui vouent déjà les progrès attendus aux gémonies.

    Un cocoricouac éliséen

    La machine de communication gouvernementale a été un peu longue à se mettre en route. Citons les « contributions » dans l’ordre protocolaire. On ne sera pas décu !

    Le Président Emmanuel Macron a gazouillé :

    « Grande joie de voir Emmanuelle Charpentier reconnue par le prix Nobel de chimie. Son utilisation des ciseaux moléculaires a des applications cliniques majeures. La France a tous les talents en recherche fondamentale mais elle doit savoir les retenir et les faire fructifier. »

    ( Source )

    Seules les applications cliniques sont mentionnées… ignorance ou tentative d’éluder les controverses franco-françaises sur les OGM ? Insistance sur la recherche fondamentale… et incantation à propos d’un mal français.

    Le président Emmanuel Macron lira peut-être les diverses déclarations de Mme Emmanuel Charpentier sur son parcours et la misère de la recherche française. Par exemple, très simple à comprendre : « les moyens financiers que j’ai à Berlin, à l’Institut Max-Planck, je ne les aurais certainement pas en France. » Il méditera peut-être sur le fait qu’elle ait co-fondé CRISPR Therapeutics , une société de biotechnologie ayant pour ambition de lutter contre des maladies génétiques. En France, ce serait un mélange des genres rédhibitoire qui ferait tomber sur vous les foudres des gardiens de la pureté de la recherche et des chasseurs de « conflits d’intérêts ».

    Un cocoricouac matignonesque

    Quelques minutes après, c’est au tour du Premier ministre Jean Castex de s’exprimer :

    « Sincères et chaleureuses félicitations à Emmanuelle Charpentier.

    Pour ce prix Nobel, pour les travaux révolutionnaires qu’elle a conduits avec Jennifer Doudna mais aussi pour la recherche française dont on consacre, à nouveau, l’excellence et l’attractivité internationale. »

    ( Source )

    Le communiquant de Matignon a « oublié » que Mme Emmanuelle Charpentier ne travaille plus en France depuis l’obtention de son doctorat en 1995 et que son Prix Nobel consacre plutôt l’excellence et l’attractivité de la recherche de la Suède, pays où elle travaillait en 2012.

    Et, bien sûr, des « travaux révolutionnaires » dont la France refuse les applications dans le domaine du végétal.

    Cocoricouacs au Pavillon Boncourt

    Là, on peut aborder le gazouillis de Mme Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, qui fut la première à sortir la brosse à reluire :

    « Mes plus sincères félicitations à Emmanuelle Charpentier qui se voit décerner le Prix Nobel 2020 de Chimie avec Jennifer A. Doudna pour leurs travaux sur les ciseaux moléculaires. Une immense fierté pour l’ensemble de notre #recherche et pour la chimie française. #NobelPrize »

    ( Source )

    Voilà une fierté bien peu opportune pour la recherche et la chimie française, qui ne sont pour rien dans ce Prix Nobel…

    Dans le titre du communiqué de presse du ministère, on a omis de mentionner Mme Jennifer Doudna. « Le prix Nobel de chimie 2020 décerné à la chercheuse française Emmanuelle Charpentier » est d’une singulière muflerie.

    Par ailleurs, aucune mention dans ce communiqué des applications les plus prometteuses pour l’avenir de l’humanité et de la planète. L’horizon du ministère de la Recherche s’arrête aux applications thérapeutiques… ne fâchons pas les mouvances anti-OGM…

    La politique politicienne et la mémoire de poisson rouge

    L’art de la politique (politicienne), c’est aussi l’art d’avoir une mémoire de poisson rouge quand cela est utile…

    Le 26 juillet 2018, en effet, Mme Frédérique Vidal se félicitait d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne :

    « [Communiqué] Avec @N_Hulot , @StTRAVERT et @BrunoLeMaire , nous saluons la clarification de la Cour de Justice de l’Union Européenne @CourUEPresse sur le statut des nouvelles techniques de mutagenèse. »

    ( Source )

    Cet arrêt, pour faire simple, a interprété la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil. Selon l’arrêt, la directive « ne s’applique pas aux organismes obtenus au moyen de certaines techniques de mutagenèse, à savoir celles qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps. »

    Il s’ensuit que toute méthode d’amélioration des plantes modifiant « le matériel génétique d’un organisme d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement » apparue après cette date produit des « organismes génétiquement modifiés » relevant des procédures d’évaluation, d’autorisation de dissémination et de mise en marché, de suivi, de traçabilité et d’étiquetage (communiqué de presse de la CJUE ici – pour plus de détails, voir : « L’agriculture biologique doit remonter le temps de… 70 ans ! »).

    Conséquence : des variétés végétales obtenues à l’aide de Crispr-Cas9 seraient des OGM réglementés. Compte tenu de l’hystérie qui règne en Europe – et surtout du refus des politiques d’affronter le problème – elles seraient interdites de sortie du laboratoire et d’utilisation par les agriculteurs.

    Bien entendu, comme c’est déjà le cas pour les OGM « classiques », l’importation des produits de telles variétés ne serait pas forcément prohibée…

    Voilà donc une immense fierté pour un Prix Nobel dont les applications les plus importantes sont interdites de séjour sur notre territoire !

    Petit aparté qui n’en est pas vraiment un sur la mutagenèse

    Notons incidemment que les quatre ministres avaient opiné :

    « Le gouvernement salue cette clarification attendue. Cet arrêt de la CJUE est une étape déterminante, qui va permettre aux juridictions et aux autorités compétentes de disposer d’un cadre harmonisé à l’échelle européenne afin de protéger les consommateurs et l’environnement, dans le respect du principe de précaution. »

    On admirera la rhétorique… Tout pour le principe d’inaction pétocharde, vêtu des oripeaux du principe de précaution.

    Moyennant quoi le Conseil d’État, prenant la suite de la CJUE , avait considéré que la mutagenèse in vitro était une technique née postérieurement à la directive et produisait donc des OGM réglementés (voir « OGM : le marteau pilon du Conseil d’État s’abat sur l’innovation », première partie et deuxième partie)…

    Moyennant quoi, répondant à la décision d’un Conseil d’État qui s’était laissé abuser par l’argumentation des opposants aux OGM « cachés » (périodiquement soutenus par la délinquance des faucheurs volontaires ), le gouvernement a proposé d’interdire la commercialisation et la culture de variétés de colza tolérantes à des herbicides obtenues par mutagenèse aléatoire in vitro .

    Résultat pratique : ou bien le gouvernement promulgue ses projets de décret et d’arrêtés et se trouve en infraction avec le droit européen (voir : « Imbroglio autour de la mutagenèse » sur Agriculture et Environnement ), ou bien il y renonce et se trouve en porte-à-faux par rapport au Conseil d’État, et aux attentes d’une minorité bruyante et agissante.

    Cet aparté n’en est pas vraiment un : en théorie, une même structure génétique peut être obtenue indifféremment grâce à une mutation spontanée (naturellement), une mutation induite ( in vitro ou non), ou l’utilisation de Crispr-Cas9. En pratique, les deux premières relèvent de la chance, la troisième de la science.

    Soyons positifs…

    Il y a maintenant trois ans, le Haut Conseil des Biotechnologies ( HCB ) avait transmis au gouvernement un avis et une recommandation sur les nouvelles techniques d’obtention de plantes (New Plant Breeding Techniques – NPBT) . Par « prudence », le gouvernement de l’époque avait décidé de le mettre non pas sur, mais à la base de la pile des dossiers « difficiles ».

    Le Prix Nobel attribué à Mmes Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna constitue une vraie opportunité de faire, pour commencer, de la pédagogie pour sortir la génétique végétale et l’amélioration des plantes de la sphère des mythes et récits d’horreur, et les remettre dans celle de la réalité et de l’espoir de progrès.

    Mme Julia Glöckner, ministre Fédérale de l’Alimentation et de l’Agriculture de l’Allemagne, a félicité les deux lauréates et déclaré :

    « Nous avons besoin de plantes moins sensibles aux ravageurs, pouvant se contenter de moins d’eau et plus résistantes au changement climatique et aux pertes de récolte. L’amélioration des plantes modernes, utilisée de façon responsable, peut résoudre beaucoup de conflits d’objectifs. La décision de Stockholm est judicieuse. »

    ( Source )

    Il ne faut pas d’effort surhumain pour entamer une conversation du même type en France. Pourrons nous compter sur notre ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Julien Denormandie ?

    Interrogé sur les nouvelles technologies d’édition du génome – donc le motif du Prix Nobel – il avait fait preuve d’une prudente audace dans un entretien accordé à l’Opinion :

    « C’est un sujet complexe, juridique. Il y a une ligne rouge en Europe qui ne doit pas être franchie : celle des OGM. Cela dit, les techniques d’innovation végétales évoluent. Le cadre européen qui les réglemente date du début des années 2000, il est sans doute inadapté à ces nouvelles technologies qui permettent de passer au crible ce que la nature offrirait sans doute, d’elle-même, à un moment donné, et présente un intérêt agronomique. Il faudrait le faire évoluer sans franchir la ligne rouge. »

    Pour sa part, le président du Deutscher Bauernverband (Association des Agriculteurs Allemands) a vu dans ce Prix Nobel un signal clair de la science pour une évaluation positive des ciseaux génétiques Crispr/Cas9 et une grande opportunité pour l’agriculture :

    « L’Europe ne doit pas laisser passer l’opportunité de cette méthode de sélection durable. Cela doit être reconnu par les politiciens comme un signe, également au vu des défis posés par le changement climatique, pour donner plus de place à ces nouvelles méthodes. Une orientation plus scientifique aiderait le débat politique ici. »

    En France, dans les professions agricoles… non, c’est trop triste…

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      Covid et climat, victimes du scientisme

      Christophe de Brouwer · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 10 November, 2020 - 03:35 · 6 minutes

    greta

    Par Christophe de Brouwer, depuis la Belgique.

    Bis repetita placent . Faire un parallèle entre l’affaire climatique et la crise du sars-cov-2 est peut-être osé. Mais les mêmes ingrédients sont à l’œuvre.

    Une science dévoyée par des certitudes qui n’ont rien de scientifique, a pris pied dans notre espace commun. À l’acmé de cela on peut, d’un côté évoquer la rétractation de l’article paru dans Nature à propos des échanges océans-atmosphère ou le retrait du Lancet de l’article relatif aux traitements à l’hydroxychloroquine, le fameux Lancet-gate .

    Et pourtant ce sont des articles blockbusters dans leur domaine, chacun repris par les médias, les instances internationales et les gouvernements au moment de leur parution.

    Que dire des médias ?

    C’est à celui qui vendra l’article le plus tapageur, le plus catastrophiste, à celui qui tournera une donnée banale en apocalypse, car cela permet de faire bouillir la marmite. On a pu voir cette logique en pleine action pour le climat, on la revoit pour la crise infectieuse actuelle. Et lorsque vous avez des experts qui vont dans l’absurde, c’est du pain bénit pour ces pseudo-journalistes qui ont oublié les bases mêmes de leur métier.

    On dit que les experts savent tout sur rien et rien sur tout. En voulez-vous un exemple ? En Belgique, dernièrement un « expert », médecin-virologue, porte-parole officiel du gouvernement belge dans l’affaire de la covid, préconisait de baisser le couvercle des toilettes pour éviter la propagation du virus.

    Marrant en soi, mais ce qui devient effrayant, c’est la reprise unanime par les journaux mainstream sous la forme d’une injonction impérative : « si vous ne baisser pas la planche des toilettes avant de tirer la chasse, vous risquez gros » . Et croyez-moi, je ne pense pas qu’on ait touché le fond.

    Plus aucun sens critique, disparu, réveillons-nous ! On avait pu constater cette torpeur avec le climat, lors du fameux et bien triste « how dare you » proféré par une gamine téléguidée, et on revoit ces mêmes accusations avec la crise actuelle, faisant porter une fois de plus l’entièreté de la faute sur la population, « poursuivie jusque dans les chiottes ».

    Et le gouvernement, nos politiques ?

    Il n’est sans doute pas nécessaire de revenir, tant elles furent déjà soulignées, sur les erreurs, les contre-vérités, les fausses données, les prédictions les plus alarmistes qu’ils ont proféré pour se grandir au détriment de celles et ceux qui votent pour eux.

    Le disque dur bugué qu’ils ont utilisé lors de la crise de mars-avril, au lieu d’y apporter les correctifs nécessaires, se retrouve à nouveau en pleine capacité de nuisance.

    La machine est lancée, elle ne dévie plus de sa course folle, tout comme les plans climats qui se succèdent, les uns les autres toujours plus hargneux pour notre santé socio-économique ou sanitaire. À cela, ces grands « penseurs », sorte de pyromanes-pompiers, nous répondent que nous devons être courageux, le temps sont durs.

    Même si la population semble atomisée, soumise, en réalité l’exaspération est bien réelle et les scènes de désespoir se multiplient. La colère impuissante monte.

    On avait vu de très jeunes enfants participer aux manifestations « youth for climate » . Plusieurs de nos « experts », relayés par des médias et des politiques préconisent le masque facial dès l’âge de 6 ans pour lutter contre le virus. Il y a là une continuité dans l’apprentissage de la geste magique pour sauver l’humanité par les plus jeunes, à un âge où ils apprennent à lire et à calculer : « combien font 2+2 ? » , leur demande-t-on. Car ils vont sauver la planète.

    Certains parents, la larme à l’œil, en redemandent d’ailleurs, et des mères montrent l’exemple en mettant cette sorte de muselière lorsqu’elles accouchent, fier de leur participation au sauvetage mondial. Celles et ceux-là n’ont pas de mots assez durs pour stigmatiser toutes celles et ceux qui ne pensent pas comme eux.

    Le scientisme à la manœuvre

    Oh, ils ne sont pas les seuls à la poursuite des utilisateurs de toilettes, n’avons-nous pas vu un scientifique « expert » menacer dernièrement ces mêmes récalcitrants de punition : « si la responsabilité individuelle ne fonctionne pas, il y aura des mesures plus strictes ».

    Je ne le citerai pas, il vient d’être plébiscité par sa désignation comme vice-recteur à la recherche d’une université belge, c’est dire la puissance du réflexe pavlovien : toujours chercher la faute des autres .

    Jamais un doute n’effleure, la leçon de Karl Popper est balayée par leurs certitudes, et pourtant :

    « La science ne souscrit à une loi ou une théorie qu’à l’essai, ce qui signifie que toutes les lois et les théories sont des conjectures ou des hypothèses provisoires. »

    L’observation est ainsi tordue, soumise aux préalables de leurs idées préconçues. Claude Bernard est bien loin, lui qui prétendait, à l’inverse, que « L’expérience est une observation provoquée dans le but de faire naître une idée. »

    On peut se poser la question de comprendre pourquoi une telle arrogance de ce qui apparaît un système d’intérêts croisés entre « experts », médias et politiques, pourquoi une telle volonté de dominer la « connaissance » en la rendant officielle, non interrogeable, non critiquable.

    Car les exemples de rejets de la pensée dissidente abondent, une véritable censure face à la « vérité officielle ». Elle s’effectue avec opportunisme par les médias traditionnels, le monde scientifique et ses revues ou les politiques, tant dans le domaine du climat que de la crise sanitaire actuelle. C’est véritablement le même mécanisme autoritaire.

    Par bien des côtés, ce sont des exemples saisissant du « scientisme », comme le définissait le prix Nobel, Friedrich Hayek :

    « Le point de vue scientiste, envisagé à l’aune de l’approche scientifique n’est pas une démarche sans préjugés : elle en surabonde, puisque avant de considérer quel est l’objet de son étude, elle prétend savoir quelle est la manière la plus appropriée de l’explorer ».

    Sommes-nous arrivés à un point du développement humain, où les pouvoirs, face à la complexité grandissante des choses, au lieu de l’aborder avec humilité, prétendent la préjuger, et par là la prédire, rejoignant ainsi la fameuse formule de George Orwell :

    « Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé. »

    Le pré-jugement est en effet essentiel dans la démarche autoritaire. Elle permet tout à la fois de  contrôler la complexité, de la diriger et de la planifier, sous le couvert d’une pseudo-connaissance scientifique. À nous de nous y conformer, d’obéir à cette astrologie des temps modernes.

    Et le moins que l’on puisse dire est que cette nouvelle astrologie appliquée au climat ou au sanitaire se colore rapidement des feux de l’apocalypse, véritable chape mentale pesant sur les individus, paralysant leurs moyens de défense, méthode utilisée tant par des scientifiques, des politiques ou des médias.

    Le raccourci entre le couvercle des toilettes et le scientisme développé par Hayek est fascinant. Il indique « la route de la servitude », met en lumière ses mécanismes intimes et prend la forme d’un avertissement symbolique : « ne baissez pas la planche », en d’autres mots, ne transformons pas l’homme moderne en homo climaticus-sanitarius . Restons libres !

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      Charles Dotter et Andreas Grüntzig, l’angioplastie – Les Héros du progrès (39)

      Alexander Hammond · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 18 October, 2020 - 03:20 · 9 minutes

    dotter

    Par Alexander Hammond.
    Un article de HumanProgress

    Voici le trente-neuvième épisode d’une série d’articles intitulée « Les Héros du progrès ». Cette rubrique est une courte présentation des héros qui ont apporté une contribution extraordinaire au bien-être de l’humanité.

    Nos héros de la semaine sont Charles Dotter et Andreas Grüntzig, deux radiologues à l’origine de l’angioplastie, une technique chirurgicale visant à élargir des vaisseaux sanguins étroits ou bouchés. Non traitée, l’athérosclérose artérielle (l’accumulation de plaques graisseuses dans les vaisseaux) peut engendrer de graves problèmes médicaux notamment des maladies coronariennes, des crises cardiaques, des accidents vasculaires cérébraux, etc.

    Le forum économique mondial estime que plus de 15 millions de vies ont été sauvées depuis la découverte de l’angioplastie par Dotter puis par les améliorations apportées par Grüntzig.

    Charles Dotter est né le 14 juin 1920 à Boston, dans le Massachusetts. Il fréquente une école primaire puis un lycée à Freeport, sur l’île de Long Island. On l’a décrit plus tard comme un enfant intelligent et curieux. Dès son plus jeune âge, il s’intéresse à la mécanique et tire grande satisfaction à démonter et remonter des appareils. En 1941, il obtient une licence à l’université Duke. La même année, il s’inscrit à l’école de médecine de l’université Cornell.

    Il effectue ensuite un stage à l’Hôpital naval américain de l’État de New York, puis s’installe à l’université de New York. Il a à peine 30 ans quand on lui offre un emploi comme membre de la faculté à l’école médicale Cornell. Deux ans après, il accepte les fonctions de professeur et de président au service de radiologie de l’université de l’Oregon.

    Ce nouvel emploi fait de lui le plus jeune président connu d’un service de radiologie pour une grande école américaine de médecine.

    Pendant son séjour à l’université de l’Oregon, il rencontre un énorme succès sur plusieurs projets. On le considère généralement comme le fondateur d’une spécialité médicale totalement nouvelle, la radiologie interventionnelle : un ensemble de techniques reposant sur les rayons X, l’IRM et l’imagerie par ultra-sons afin d’apporter des soins médicaux à l’intérieur du corps du patient.

    En 1950, entre autres appareils, pour aider au développement de ce nouveau domaine, il crée le chargeur de rouleau de film pour rayons X. Pour des radiologues, la meilleure façon de visualiser le flux sanguin d’un patient est de recourir à la fluoroscopie en temps réel (imagerie aux rayons X en continu).

    Auparavant, on devait faire les clichés radiologiques un par un et un manipulateur devait changer de cassette radiographique pour chaque nouvelle image, ce qui engendrait des manques dans la séquence d’images. En revanche, le chargeur de Dotter permettait d’obtenir une image toutes les deux secondes.

    Une grande partie de son travail consistait à analyser des vues d’imagerie de patients destinées aux chirurgiens. Comme tous les radiologues de l’époque, il aurait dû insérer un cathéter dans l’artère d’un patient, y injecter un produit de contraste, puis prendre des photos aux rayons X afin d’analyser la circulation et rechercher toute obstruction potentielle. En fonction de ces clichés, les chirurgiens savaient alors où opérer.

    Cependant, il pose la théorie qu’au lieu d’utiliser le cathéter pour simplement injecter un produit de contraste dans l’artère bouchée, il pourrait le pousser lui-même à travers l’obstruction, débouchant de ce fait le vaisseau et améliorant la circulation sanguine, sans avoir à recourir à des techniques invasives et à une anesthésie générale.

    En 1964, il a l’opportunité de mettre en application sa théorie lorsqu’une patiente de 82 ans au pied gauche douloureux est admise à l’hôpital universitaire de l’Oregon. Il découvre que son artère fémorale superficielle est bouchée et que le manque de circulation sanguine a engendré un ulcère non guérissant et des orteils gangrenés. Elle refuse l’amputation recommandée par tous les médecins de l’hôpital et le chirurgien chargé d’opérer suggère à Dotter d’essayer sa nouvelle technique.

    Il se lance le 16 janvier 1964. Il commence par faire glisser une série de cathéters de plus en plus gros dans l’artère bouchée afin de dilater doucement le bouchon. Il ajoute ensuite un stent , un petit tube de maillage métallique destiné à empêcher l’artère de se refermer. L’intervention est un succès et en quelques minutes, la jambe reprend vie. Une semaine après, les douleurs ont disparu, l’ulcère commence à guérir et la patiente retrouve toute sa mobilité.

    Malgré ce début prometteur, les idées de Dotter sont largement rejetées par la communauté des chirurgiens vasculaires. Et c’est ici qu’Andreas Grüntzig fait son entrée dans notre histoire.

    Il est né le 25 juin 1939 à Dresde, en Allemagne. En 1951, il s’inscrit au lycée Thomasschule, la plus ancienne école publique d’Allemagne. Une fois obtenus ses diplômes avec mention en 1957, il s’envole pour Heidelberg, en RFA, juste avant que les communistes ne ferment la frontière est-allemande.

    Il débute des études de médecine à l’université de Heidelberg à l’automne 1958. Il est diplômé 6 ans plus tard. Pendant les 5 années qui suivent, il voyage beaucoup et suit une série de différents stages en RFA et au Royaume-Uni.

    À la fin des années 1960, il découvre l’angioplastie de Dotter lors d’une conférence que celui-ci donne à Francfort. Il est inspiré par ses efforts et commence à travailler sur différentes méthodes d’angioplastie.

    Après une confrontation avec l’inertie bureaucratique ouest-allemande, il décide de partir s’installer en Suisse. L’année 1969 marque ses débuts dans le service d’angioplastie de l’hôpital universitaire de Zürich.

    En 1971, il commence à utiliser la technique de Dotter pour traiter des patients. Il se met aussi à imaginer l’ajout d’un ballon aux cathéters de Dotter dans le but d’élargir des artères bouchées.

    Sans le moindre financement, il occupe sans relâche ses soirées et ses week-ends à développer son idée de ballonnets suffisamment robustes pour gonfler les artères de l’intérieur. En l’espace de deux ans, il réussit à fabriquer des cathéters à ballonnet faits main.

    Il présente ses découvertes et ses succès avec ses cathéters à ballonnet sur des animaux, au congrès de l’ American Heart Association (AHA) en 1976. Malgré le scepticisme de la plupart des participants, le Dr Richard Myler du Saint Mary’s Hospital de San Francisco suggère au duo de collaborer à la première angioplastie coronaire humaine avec leur cathéter.

    Le 16 septembre 1977, Grüntizg et Myler l’utilisent pour la première fois sur un patient humain conscient. La technique de ballonnet de Grüntzig est un succès. Qui plus est, elle se révèle à la fois plus rapide et plus sûre que celle de Dotter avec des cathéters de diamètre croissant.

    Un an plus tard, lorsqu’il présente ses quatre premiers cas d’angioplastie par cathéter à ballonnet à l’AHA, l’assistance lui fait une ovation et sa technique est ensuite rapidement adoptée par l’ensemble de la communauté scientifique.

    Dotter est resté à l’université de l’Oregon pendant 33 ans, de son arrivée en 1952 jusqu’à son décès le 15 février 1985. Il est couramment reconnu comme le père de la radiologie interventionnelle et l’université de l’Oregon a créé le Dotter Interventional Institute en son honneur.

    Grüntzig finit par émigrer aux États-Unis en 1980. Il devient directeur du service de médecine cardiovasculaire interventionnelle à l’université Emory. Le 27 octobre 1985, il meurt avec son épouse dans l’accident de l’avion qu’il pilotait. L’université Emory l’honore avec l’ Andreas Grüntzig Cardiovascular Center .

    En 1978, Dotter et Grüntzig ont été sélectionnés pour le Prix Nobel de Physiologie ou Médecine pour leurs travaux novateurs.

    Pour avoir créé un tout nouveau domaine d’étude médicale et lancé une méthode qui a permis de sauver plus de 15 millions de vies et évité des millions d’amputations, Charles Dotter et Andreas Grüntzig méritent bien d’être nos trente-neuvièmes héros du progrès.

    Les Héros du progrès, c’est aussi :

    Traduction par Joel Sagnes pour Contrepoints de Heroes of Progress, Pt. 39: Dotter and Gruentzig

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      Dans « L’État des algorithmes » toute forme de désobéissance est inconcevable

      Corentin Luce · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 3 July, 2020 - 03:25 · 18 minutes

    désobéissance algorithmes

    Par Corentin Luce.

    Grâce à leur puissance de calcul et d’apprentissage, les algorithmes décideront mieux que nous ce qui est bon pour nous.

    Tels sont les mots prophétiques de Yuval Noah Harari dans 21 leçons pour le XXIe siècle . Devant cette projection de plus en plus réaliste (crédit social en Chine, les débats autour de la loi Avia, DataJust…), bon nombre de spécialistes s’insurgent et alertent sur les possibles conséquences.

    Pour Aurélie Jean :

    Chaque erreur nous donne l’opportunité de retenir une leçon, de catégoriser une situation dans notre cerveau afin de nous alerter […] Une vie entièrement conditionnée algorithmiquement nous empêcherait de faire des erreurs, et donc d’apprendre » – De l’autre côté de la Machine .

    Bref, à travers la quête incessante de l’efficacité, l’appauvrissement intellectuel des êtres humains. L’ère des algorithmes coïncidera donc avec la fin du choix et de la liberté ? Si tel est le cas, est-ce si grave ?

    L’Homme, après tout, ne cherche peut-être que le bonheur, jamais grandiose et qui « paraît toujours assez sordide en comparaison des larges compensations qu’on trouve à la misère » Le meilleur des mondes – Aldous Huxley.

    Pas la liberté. Mais qu’en est-il véritablement de la justice prédictive et de l’IA en 2020 ?

    Rencontre avec Yannick Meneceur, magistrat détaché au Conseil de l’Europe dans des fonctions de conseiller en politiques de transformation numérique.

    Votre ouvrage, L’intelligence artificielle en procès , est un véritable pavé dans la mare. Vous ouvrez le débat sur le poids des algorithmes et de l’IA…

    Je ne sais pas si c’est un pavé dans la mare, puisque je ne suis pas le seul à alerter sur le grand malentendu touchant cette technologie. Le problème est plutôt d’être audible dans l’opinion publique, puisque l’histoire que l’on nous vend depuis des décennies et qui a été forgée (notamment) par l’industrie numérique, a pris corps de manière assez profonde dans notre inconscient collectif.

    Pour le formuler simplement, je pense que l’informatique a été saisie par un étrange projet de société, qui laisse peu de place au débat démocratique et à la contradiction. Comme dans d’autres domaines technologiques, il y a une sorte d’épidémie de « mauvaise science » et il est de plus en plus fréquent de voir énoncé, comme des vérités absolues n’appelant aucun débat, les mérites évidents de cette « intelligence artificielle ». En réalité, on se retrouve bien face à des « algorithmes », plus précisément des programmes informatiques, dont l’on connait bien les vertus et les limites.

    Qu’il s’agisse d’imiter un raisonnement en « programmant » des règles logiques ou de laisser l’ordinateur découvrir ces règles en cherchant des corrélations dans de très grands jeux de données, l’ordinateur manipule des paramètres qui sont plutôt robustes quand il s’agit d’informations quantitatives et objectives. En revanche, quand il emploie des paramètres qui sont le résultat d’informations interprétées, donc avec une part de subjectivité, et qualitative, les choses se gâtent.

    La pratique du droit algorithmique est-elle vraiment en train de se développer dans le monde ?

    Moins qu’un « droit » algorithmique, je pense que l’on se retrouve en réalité face à un changement profond de gouvernementalité qui nous conduit à ce que je qualifie « d’État des algorithmes ». Antoinette Rouvroy avait parlé pour sa part, bien avant moi, de « gouvernementalité algorithmique » . Adrien Basdevant parle même de « coup data » dans son livre L’Empire des données .

    L’existence d’un droit implique une norme prédéterminée et acceptée comme légitime. Son fonctionnement doit être compréhensible et accessible à tous et des moyens de contraintes doivent pouvoir s’exercer en cas de manquement. Dans « l’État des algorithmes » , ces conditions ne sont pas réunies puisque la transgression, et même toute forme de désobéissance, est rendue inconcevable.

    Nos doubles numériques, constitués de toutes les informations que l’on sème par l’emploi des réseaux sociaux, par nos traces de connexion sur internet offrent une prise considérable à des dispositifs calculatoires censés nous « conseiller » sur la meilleure conduite à tenir. Choix de restaurant, d’hôtel voire même d’amis ou de partenaires, tout est fait pour réduire le risque et enfermer nos choix dans des options prédéterminées, de véritables « cages logiques ».

    Par commodité, l’on cède donc une part non négligeable de notre liberté à nous déterminer avec une totale désinvolture. Et l’on voit comme il est facile, dans ce terreau favorable, d’imposer dans l’espace public des dispositifs qui, au prétexte de sécurité et de praticité, ne rendent même plus concevables certaines options.
    Même Orwell n’avait pas imaginé de la sorte : il avait pensé à un contrôle vertical et autoritaire sur les individus. Ici, nous y cédons avec sourire et entrain avec l’illusion de la liberté.

    Alors que la crise du Covid-19 a accentué le poids des géants du numérique et a révélé, plus que jamais, l’importance des nouvelles technologies, pourquoi intenter un procès à l’IA ?

    Entendons-nous bien, en mettant l’IA en procès, je n’entends pas dresser un réquisitoire à charge ! Bien au contraire, j’ai tenté de collecter des preuves, de les instruire avec objectivité et de les juxtaposer pour tenter d’y donner du sens. La grille d’analyse bénéfices/risques a trop souvent été mobilisée pour traiter de la question, et l’on se rend bien compte qu’elle a été inopérante pour dégager les réels enjeux.

    Ma perspective a été de revenir aux faits, à l’histoire de l’IA, à ses racines informatiques et statistiques pour en comprendre le fonctionnement et le restituer aux lecteurs. Et de contextualiser ce fonctionnement technique dans notre environnement politique actuel afin de comprendre comment cette IA a pu être instrumentalisée à des fins mercantiles, quitte à la survendre.

    Vous avez raison de souligner le fait que la crise actuelle est riche d’enseignements : une série d’articles dans The Economist parus en juin 2020 font cet exact constant. L’IA, à l’épreuve des faits, n’a pas rempli toutes ses promesses et la revue constate que si un nouvel hiver ne s’est pas encore abattu sur cette technologie, on commence à sentir une légère brise d’automne.

    Pendant que beaucoup de philosophes et commentateurs parlent d’ère de post-vérité, vous insistez beaucoup sur le tournant que constitue l’IA concernant notre vision de la vérité, en reprenant le terme de alèthéia (Éric Sadin), pouvez-vous nous expliquer cette tension et ses conséquences ?

    Ce terme, issu de la philosophie grecque, qualifie en effet un « dévoilement de l’étant » à l’opposé d’un jugement qui ne restituerait qu’une simple apparence. C’est avec une grande acuité qu’Éric Sadin constate dans L’intelligence artificielle ou l’enjeu du siècle que l’on fait exercer à l’IA ce rôle, celui de révéler l’exact état des choses, comme un film photographique révèle la lumière.

    Antoinette Rouvroy et Thomas Berns ont également relevé le rôle troublant de ces systèmes pour produire une « vérité algorithmique ».

    Il faut dire que l’emprise de ces systèmes sur notre quotidien est puissante. Trois facteurs principaux y contribuent selon moi : notre consentement à cette emprise comme je l’évoquais déjà ; le maillage progressif et constant en transformant en données tous les pans de nos activités, jusqu’à celles les plus intimes ; enfin l’autorité particulière de ces systèmes, a priori objectifs et dénués d’intention.

    Couplé à deux biais cognitifs majeurs, le biais d’automatisation (on croit facilement une machine) et le biais d’ancrage (difficulté à se départir d’une information chiffrée), tous les ingrédients sont réunis pour qu’une construction particulière de la réalité, issue du calcul, ne s’impose à nous comme étant LA réalité.

    Quels sont les dangers résultant du développement de la justice prédictive ?

    Les facteurs que je viens d’évoquer suffisent à comprendre le problème : ce qui est très maladroitement qualifié de « justice prédictive » (en réalité un traitement statistique lexical de la jurisprudence) n’est pas à même selon moi de restituer une information avec un minimum de valeur ajoutée.

    D’une part, la matière première dans les décisions de justice est loin d’être aussi qualitative qu’on ne l’imagine. Les concepteurs de ces solutions se trompent lourdement en pensant pouvoir isoler les éléments causatifs suffisants dans la plupart des contentieux.

    D’autre part, ce nouvel outillage est loin d’être neutre et, comme je l’évoquais, de nombreux biais cognitifs peuvent lui accorder une importance considérable dans le déroulement d’un procès. L’algorithme, quel qu’il soit, ne va pas simplement « documenter » ou « assister » les parties, les avocats et le juge, il va s’imposer dans le débat avec toute la puissance qui le caractérise.

    On caricature trop souvent la résistance à cet état de fait comme étant du domaine du corporatisme ou de la peur. Croyez bien que nombre de professionnels du droit ne tombent pas dans ces écueils. Ils opposent en réalité une résistance provenant du fait que notre système juridique, même imparfait et en constante évolution, tente de trouver de difficiles équilibres entre des injonctions contradictoires.

    L’introduction d’outils numériques dans la justice procède du sens de l’Histoire, mais la disruption chère aux enfants de la Silicon Valley emporte avec elle une idéologie libertarienne méprisant les acquis d’un « ancien monde ».

    Des dégâts considérables et durables peuvent être commis et seule une délibération collective, multidisciplinaire et instruite doit permettre de nous déterminer sur le type de société dans laquelle nous souhaitons vivre.

    De l’avis de plusieurs experts, l’algorithme transforme ce qui est fortuit en nécessité impérieuse. Partagez-vous ce constat et quelles en sont les conséquences ?

    En écoutant cette question, je pense immédiatement à Antoine Garapon qui, lors d’un entretien au journal Le Point en 2017 avait estimé que « la justice prédictive risquait de transformer la liberté en destin » .

    Céder à une forme de société fondée sur le calcul permanent revient exactement à cela. La construction d’un système juridique, fondé sur des principes fondamentaux comme les droits de l’Homme, la démocratie et l’État de droit, est la meilleure garantie dont nous disposons pour nous permettre de transformer les règles morales et éthiques que nous jugeons nécessaires à notre temps en normes, sanctionnées en cas de manquement.

    Ce projet de société est aujourd’hui le résultat premier d’élections, de représentants en charge de le mettre en œuvre. Le droit qui résulte ainsi de la loi et d’un processus transparent de délibération, garantit à tous un traitement équitable et individualisé.

    La société fondée sur le calcul est tout le contraire de cela : l’individualisation qui résulte d’un profilage a toutes les caractéristiques du déterminisme, car il se fonde sur la présomption d’un comportement en fonction du groupe auquel on appartient. Ainsi, en étant un individu issu de l’immigration, masculin, jeune et demeurant dans une cité en Seine-Saint-Denis, l’on hériterait nécessairement du comportement de tous ses pairs ? Quelque part, l’on est jugé avant même d’avoir commis quoi que ce soit, sur la seule base du comportement passé d’une catégorisation statistique. C’est absolument discriminatoire.

    L’autre question clé posée par cette société fondée sur le calcul est le déficit démocratique majeur. Un transfert de gouvernance s’opère des instances traditionnelles de délibération vers des environnements bien plus clos et obscurs. Les arbitrages opérés lors de l’entraînement d’un modèle n’ont rien d’anodins, ce calibrage pouvant en effet potentiellement entraîner un plus grand nombre de « faux positifs » et d’importantes discriminations. C’est ainsi que le logiciel COMPAS aux États-Unis, censé évaluer le risque de dangerosité des individus, s’est révélé extrêmement sévère vis-à-vis des populations afro-américaines non pas du fait d’un positionnement idéologique des concepteurs mais du fait des paramétrages qu’ils ont opérés.

    Cet exemple démontre bien le poids tout à fait nouveau de ce qui pourrait être qualifié « d’aristocratie numérique », qui s’est également mise en tête de rendre le monde meilleur et de définir des concepts aussi simples que le bien ou le mal… rappelez-vous de l’ancien slogan de Google « Don’t be evil » . Or de tels choix de société ne relève pas d’une minorité de sachants mais bien d’une comparution des arguments dans un débat démocratique.

    Nicholas Taleb, dans son ouvrage Le Cygne noir , présente une réflexion passionnante sur les conséquences profondes d’un événement rare. Il explique qu’un événement rare ne peut pas être pris en compte dans un modèle car il ajouterait des contraintes et une complexité inutile au regard de son poids statistique. Aurélie Jean, dans De l’autre côté de la Machine , écrivait : « si nous basons aveuglément les outils algorithmiques sur l’observation des phénomènes passés (ce qui est leur essence), le monde ne changera jamais » . Selon vous, allons-nous dès lors assister à « la fin de l’individu » (Gaspard Koenig) avec la prédominance des algorithmes ?

    Nos sociétés ont toujours été en tension et à la recherche d’un équilibre entre la protection du groupe, quitte à sacrifier certaines libertés, et la protection des individus, quitte à sacrifier l’intérêt collectif.

    Les décisions algorithmiques, dont celles prises par des IA, ont l’apparence de pouvoir concilier cette tension en laissant les individus libres de recourir à des solutions numériques pour leur bénéfice individuel, en espérant en retirer un bénéfice collectif. Notons d’ailleurs que c’est l’exact ressort idéologique des applications de suivi de proximité des contacts ( proximity tracing ) dont les bénéfices n’ont pas cessé d’être vantés par de nombreux responsables publics dans le monde. Or, la liberté à se déterminer devient extrêmement réduite quand ces mêmes responsables affirment que l’on doit utiliser cette application si l’on veut sauver des vies… Que nous dira-t-on dans de nouvelles situations de crises sanitaires ou d’attaques terroristes pour finir de nous convaincre d’employer des outils ?

    En assemblant toutes les pièces du puzzle que je viens d’évoquer, les perspectives sont loin d’être radieuses pour l’individu : emprise numérique à laquelle nous cédons contre des services pratiques, transfert de la gouvernance des institutions politiques vers un environnement n’ayant aucune légitimité démocratique auquel j’ajouterai une dernière dimension : le mercantilisme. Des solutions technologiques sont parfois vendues dans la hâte, au mépris de toutes conséquences sur les personnes et de rigueur scientifique. En d’autres termes le moyen devient une fin.

    Avec la loi Avia et DataJust (nouvel outil d’aide à l’indemnisation des préjudices corporels), que pensez-vous de l’évolution du cadre juridique en France concernant le rôle des algorithmes ?

    L’évolution du cadre juridique tel que nous le connaissons était assez prévisible, puisqu’il avait débuté sous la présidence de François Hollande et des textes comme la loi pour une République numérique qui avait organisé l’ open data des données publiques.

    J’observe toutefois que ce mouvement très volontariste, s’exprimant pleinement dans le concept de « Startup-Nation », va s’éprouver face au choc de la réalité. Ce choc de la réalité, ce n’est pas la résistance supposée des individus face au changement, mais c’est la confrontation d’une vision du monde face à certains piliers, comme les droits fondamentaux.

    Ainsi, la loi Avia s’est retrouvée censurée par le Conseil constitutionnel face au risque d’atteinte à la liberté d’expression , en laissant des opérateurs privés censurer ce qui pouvait leur sembler « manifestement » licite ou non. Est-ce en effet au conseil de surveillance de Facebook, véritable tribunal international sans en présenter les garanties, d’estimer cela ?

    Prenons maintenant l’exemple de DataJust : le projet a été lancé dans un cadre global de réforme de la justice et d’amélioration de sa prévisibilité – entendre réduire l’aléa judiciaire qui résulte pourtant de ce qui pourrait être considéré comme une qualité : l’individualisation des décisions.

    Là encore, entendons-nous bien. L’idée d’harmoniser l’application de la loi en matière de réparation de préjudice corporel ne m’apparaît pas choquante et il est bien sûr anormal que deux justiciables, face à une situation relativement identique, se retrouvent avec des montants très différents d’indemnisation. En revanche ce qui est choquant, c’est de croire que l’on va résoudre ce problème complexe par une simple exploitation en masse d’un panel de décisions antérieures avec de l’IA. Je ne reviendrais sur mes critiques de fond formulées à l’encontre de cette « justice prédictive », j’insisterai juste sur la possible violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme si l’on dissuade les justiciables de soumettre leur affaire à un juge sur la base de ce calcul. On me dira que l’algorithme ne viendra qu’en conseil, en appui… ne soyons pas naïfs face à ces machines qui disposeront d’une autorité bien réelle.

    Vous écrivez : « nous entrons dans l’ère de la primauté d’une interprétation du monde par les algorithmes, et d’un État des algorithmes. » La notion d’État, plus précisément la notion d’État de droit peut-elle perdurer avec les algorithmes et la mathématisation de nos communautés nationales par des machines ?

    Je serai bref sur cet aspect que j’ai déjà développé. L’invention de l’imprimerie a eu des conséquences majeures sur notre civilisation, car elle a permis à la connaissance, au savoir, de se démocratiser. La Réforme de l’Église, le siècle des Lumières, l’émergence de la démocratie trouvent leurs racines dans cette rupture technologique qui a guidé notre civilisation vers un cap humaniste. Nous nous trouvons probablement avec l’informatique face au même type de rupture, avec une difficulté substantielle : l’absence de cap.

    C’est pour cela qu’après m’être fait juge d’instruction dans les deux premières parties de mon livre, afin d’identifier les problèmes techniques et politiques, j’ai changé de robe pour me faire avocat d’une cause : une réglementation dont la boussole serait solidement ancrée vers les droits de l’Homme, la démocratie et l’État de droit. Ce sont ces fondations qui nous protégeront des dérives et des abus.

    Selon vous, quelles seraient les réformes à mener pour cette justice numérique : doit-elle être mondiale, pour quelle architecture juridique et quels principes ?

    Le groupe de haut-niveau sur la coopération numérique des Nations-Unies a identifié dans un rapport paru en 2019 plusieurs recommandations et actions, dont un mécanisme de coopération mondial du numérique. Il est question dans ce mécanisme de pouvoir mettre en cohérence différents acteurs internationaux et étatiques, afin de construire, un peu comme des poupées russes, différents niveaux de réglementations.

    J’ai tenté de réunir dans L’intelligence artificielle en procès quelques-uns des éléments qui pourraient constituer une Convention cadre réglementant l’IA : principe de précaution, proportionnalité du recours à des systèmes algorithmiques, mécanismes de certification, formation des professionnels de la donnée sont quelques-unes de mes propositions.

    J’insiste également sur l’idée d’une réglementation qui ne s’appliquerait pas à tous les types d’algorithmes, mais qui ferait peser les obligations les plus contraignantes sur les usages où il y a le plus d’enjeux (juridique, économique et social). La mise en place de lois d’expérimentations pourrait tout à fait aider à calibrer cela avec toutes les parties prenantes.

    J’ai toutefois conscience de la portée grandement déclaratoire de ces idées : difficile dans un environnement mondialisé, où les agendas de chaque nation (et de chaque opérateur privé) s’opposent déjà sur de multiples questions.

    Pourtant, je crois en la vertu du débat et d’autres sujets, comme la protection des données, trouvent aujourd’hui intérêt aux États-Unis alors que peu aurait diagnostiqué un tel développement. Ma contribution n’a vocation qu’à s’ajouter à d’autres déjà existantes pour commencer à donner de la substance à un projet de société démocratique, employant l’informatique pour les finalités imaginées par ses fondateurs.

    J’ai employé cette citation de Sherry Turkle en ouverture de mon ouvrage car elle caractérise le mieux ma motivation profonde :

    Nous avons eu une histoire d’amour avec une technologie qui nous semblait magique. Ce qui a commencé par un phénomène de salon a fini par devenir un outil de manipulation de masse.

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      Les Français ont-il encore confiance dans la science ?

      The Conversation · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 2 May, 2020 - 03:25 · 8 minutes

    science

    Par Luc Rouban 1 .
    Un article de The Conversation

    En qui peut-on avoir confiance ? Les soignants, élevés au rang de héros ? Les choix du gouvernement, sous le feu des critiques pour les déclarations contradictoires de ses membres ? Le corps professoral et médical dont le discours rationnel est relayé par les médias en matière de confinement et de prophylaxie mais dont certains représentants s’embourbent dans des polémiques, comme celle qui s’est développée autour du professeur Raoult ?

    L’une des grandes questions que pose l’épidémie de Covid-19 est celle du statut social de la science et de son rôle dans le monde d’après. Le politique, en convoquant la parole des experts, parfois relayée avec retard et confusion, cherche à trouver des solutions collectives pour épargner des vies, sauver le pays de la catastrophe économique mais aussi ce qu’il reste du macronisme pris au piège de sa propre prétention à l’efficacité .

    Dans ce contexte, comment les Français se représentent-ils la science et ses messages, sur lesquels la communication de crise sanitaire s’appuie ?

    La dernière vague de l’enquête du Baromètre de la confiance politique du Cevipof , menée en avril au cœur du confinement, nous montre que, loin d’être acquise, la légitimité de la parole scientifique est particulièrement malmenée au sein de l’opinion publique.

    La crise sanitaire n’a pas valorisé le statut social de la science

    Le triomphe de la science sur le populisme est loin d’être acquis. On enregistre, certes, de très hauts niveaux de confiance dans les hôpitaux : entre février et avril 2020 (« tout à fait confiance » et plutôt confiance » passe de 82 % à 89 %). Par ailleurs, l’affirmation selon laquelle « Les chercheurs et scientifiques sont des gens dévoués qui travaillent pour le bien de l’humanité » réunit 85 % d’opinions positives parmi les enquêtés.

    Cela étant, la science en tant qu’ensemble d’activités institutionnalisées fait l’objet de beaucoup plus de réticences . Nous avons ainsi posé la question suivante aux enquêtés de notre échantillon représentatif :

    Avez-vous l’impression que la science apporte à l’Homme plus de bien que de mal, autant de bien que de mal, plus de mal que de bien ?

    Les enquêtés répondent en France qu’elle apporte plus de bien que de mal à concurrence de 41 %, autant de bien que de mal à hauteur de 46 %, et plus de mal que de bien à 12 %. Ces chiffres étaient les mêmes en décembre 2018. Rien n’indique un élan d’enthousiasme à l’égard de la science. On peut compléter cette question par d’autres portant sur le fait que la science et la technologie menacent les valeurs morales ou bien sur le point de savoir si le bon sens n’est souvent pas plus utile que les connaissances scientifiques.

    Un indice de soutien à la science

    Sur cette base, nous avons construit un indice de soutien à la science qui va de 0 à 3 en fonction du nombre de réponses allant dans le sens de la défense des activités scientifiques. Nous pouvons ensuite dichotomiser cet indice entre ceux qui soutiennent fortement celles-ci (niveaux 3 et 4) et ceux qui ne les soutiennent pas (niveaux 0 et 1).

    Graphique 1 : L’apport de la science en Allemagne, en France et au Royaume-Uni en avril 2020 (%).


    Baromètre de la confiance politique, CEVIPOF, vague 11 bis, 2020 , Author provided

    L’analyse montre que 45 % des enquêtés défendent la science alors que 55 % ont un niveau de soutien bien plus faible. De surcroît, c’est en France que ce niveau est le plus bas si on compare la situation nationale à celle qui prévaut en Allemagne et au Royaume-Uni sur la base du même questionnaire et de la même date de terrain.

    Le niveau de populisme, une puissante influence

    Il ne suffit pas de présenter des données moyennes, il faut regarder ce qui joue le plus sur leur évolution. Sans grande surprise, le niveau global de soutien à la science suit le niveau de diplôme et, mécaniquement, celui de l’appartenance aux divers groupes socioprofessionnels.

    C’est ainsi que le soutien aux activités scientifiques passe en France de 37 % dans les catégories populaires, à 48 % dans les catégories moyennes puis à 56 % dans les catégories supérieures, ce qui veut dire que même ces dernières sont assez divisées sur la question.

    L’âge joue aussi et différencie dans les trois pays les seniors de plus de 65 ans, toujours bien plus défenseurs des activités scientifiques que les générations plus jeunes : autour de 40 % chez les 18-24 ans mais 57 % chez les seniors français, 55 % chez leurs homologues allemands et 65 % au Royaume-Uni.

    Mais l’équation est déjà là : c’est chez les plus diplômés et les seniors que le niveau de populisme est le plus bas, comme le montrent de nombreux travaux de science politique .

    Or c’est bien lui qui fait varier le plus les représentations sociales de la science. Pour étudier le niveau de populisme, nous avons construit un indice reposant sur les questions suivantes :

    • les hommes politiques sont plutôt corrompus ;
    • un bon système politique est celui où les citoyens et non un gouvernement décident ce qui leur semble le meilleur pour le pays ;
    • la démocratie fonctionnerait mieux si les députés étaient des citoyens tirés au sort.

    Cet indice, qui va donc aussi de 0 à 3, a été dichotomisé afin de distinguer un niveau faible de populisme d’un niveau élevé (niveaux 2 et 3).

    Graphique 2 : Le soutien à la science par niveau de populisme en avril 2020 (%).


    Baromètre de la confiance politique, CEVIPOF, vague 11 bis, 2020 , Author provided

    En France, 57 % des enquêtés sont d’un niveau élevé de populisme contre 55 % en Allemagne et 51 % au Royaume-Uni. Il suffit alors de croiser l’indice de soutien à la science et l’indice de populisme pour voir que l’effet de ce dernier est considérable.

    Le populisme, reposant sur la défiance à l’égard des élites, peut se décliner à gauche (la science est prisonnière du capitalisme et des intérêts financiers) comme à droite (la science est un prétexte pour disqualifier le savoir naturel du peuple ou les traditions).

    Mais dans un cas comme dans l’autre, son filtre joue un rôle puissant dans la perception que les enquêtés ont de la science comme institution.

    Quand la science se transforme en expertise

    L’activité scientifique reste toujours un peu mythique pour une grande partie de l’opinion. Les professionnels de la recherche connaissent l’envers du décor en bien comme en mal, surtout en mal, lorsque la science instituée peut devenir un jeu de dupes (comités de lecture contrôlés par des réseaux de copains, ouvrages signés par des auteurs qui n’ont rien écrit, etc.).

    Les représentations sociales de la science sont cependant fortement modelées par l’information gouvernementale qui, à travers l’expertise, tente de transformer l’information scientifique en décisions légitimes .

    Le point faible des activités scientifiques est donc ce processus de transformation où le travail politique reprend ses droits.

    Dans le cas de l’épidémie de Covid-19, l’information gouvernementale n’a pas convaincu grand monde en France même si la personne du président de la République suscite une légère hausse de confiance entre février et avril, passant de 33 % à 36 %.

    La science malade de la politique

    La confiance placée en France dans les sources d’information sur la situation sanitaire passe ainsi de 91 % lorsqu’il s’agit des médecins à 68 % lorsqu’il s’agit des experts scientifiques qui conseillent le gouvernement puis à 42 % lorsqu’il s’agit du seul gouvernement.

    Les comparaisons sont assez impitoyables sur ce dernier point car la confiance dans le gouvernement est de 67 % en Allemagne et de 71 % au Royaume-Uni.

    Nous observons également que la proportion d’enquêtés ayant confiance (en cumulant les réponses « tout à fait confiance » et « plutôt confiance ») en France dans les statistiques relatives au nombre de cas infectés est de 43 % contre 59 % en Allemagne et 61 % au Royaume-Uni. Cette proportion passe à 48 % lorsqu’il s’agit du nombre de décès contre 63 % en Allemagne et 64 % au Royaume-Uni. Et elle tombe à 30 % lorsqu’il est question du nombre de masques disponibles contre 41 % en Allemagne et 49 % au Royaume-Uni.

    La crise sanitaire n’a pas suscité une vague de confiance spontanée dans les activités scientifiques qui restent très dépendantes dans les représentations sociales du poids que le populisme a pu prendre dans le paysage politique.

    L’avenir d’une « politique rationnelle » tournée vers une économie préservant l’environnement ou vers un libéralisme contrôlé et assujetti à des intérêts communs plus importants comme la santé publique et privée, reste donc prisonnier du malaise démocratique, plus fort en France qu’ailleurs. La Fontaine , écrivait que « les animaux sont malades de la peste ». Ne peut-on se demander, en paraphrasant le poète, si la science en France n’est pas malade de la politique ?

    Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’ article original .

    The Conversation

    1. Luc Rouban est Directeur de recherche CNRS, Sciences Po – USPC .