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      Pourquoi le libéralisme n’est pas une idéologie

      Johan Rivalland · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 4 January, 2023 - 03:45 · 7 minutes

    Les définitions du terme « idéologie » abondent. Mais plutôt que de vous en apporter une ici, il convient surtout de relever qu’entre le sens initial du mot et les sous-entendus qu’il recèle désormais, la prudence s’impose.

    En effet, alors que ce terme avait une signification précise au départ, se référant à la science des idées , il a très vite subi les coups de boutoir de Napoléon, se moquant des intellectuels peu au fait de la politique concrète, puis surtout de Karl Marx, qui en marquera profondément le sens péjoratif aujourd’hui dominant, la présentant comme une « illusion idéaliste ».

    Le libéralisme est-il une idéologie ?

    Mais c’est surtout, aujourd’hui, sur son caractère prescriptif que l’on insiste lorsque l’idéologie est évoquée. Raymond Aron opposait ainsi ceux qui prétendent vouloir « changer l’Homme », en poursuivant des utopies ou croyances illusoires toujours pleines de bonnes intentions , mais se heurtant au réel, à ceux qui se réfèrent aux faits et, à ce titre, peuvent apparaître comme des briseurs de rêves .

    C’est pourquoi il considérait que le libéralisme, par essence, est anti-idéologique, car non-prescriptif.

    En quoi le libéralisme n’est-il pas prescriptif ?

    Le libéralisme n’a pas pour prétention de vouloir changer le monde ou de promouvoir un quelconque idéalisme. Il n’est pas là pour fantasmer la réalité, changer l’Homme ou faire rêver.

    C’est pourquoi certains préfèrent parler de doctrine, d’autres de philosophie, ou encore d’humanisme (ou les trois à la fois). En ce sens que le libéralisme est avant tout une conception de l’être humain, basée sur des rapports de coopération volontaire, de solidarité spontanée, de respect, de tolérance. Et qui ne cherche pas à imposer ses idées, comme le font des idéologies totalitaires ou simplement étatistes, par nature.

    Correspond-il à une forme d’extrémisme ?

    Comme le nom l’indique, le libéralisme vise avant tout à défendre les libertés individuelles. Ce qui passe par l’importance accordée au droit (nous y reviendrons), à la défense de la propriété (nous aurons certainement également l’occasion d’y revenir ; pas facile de ne pas déborder sur les prochains volets de cette série, ni de faire court) et implique de concevoir les libertés politiques et économiques comme un tout (idem).

    Il ne s’agit donc pas d’un extrémisme , loin de là et bien au contraire. Plutôt de principes visant à garantir les libertés fondamentales, fragiles par nature .

    Quelles sont ses prétentions ?

    Contrairement à l’État-providence qui a quasiment comme prétention de prendre totalement en charge les individus de leur naissance à leur mort , de manière que l’on peut croire bienveillante , le libéralisme entend au contraire leur faire confiance et s’appuyer sur leur capacité d’initiative pour développer une société où vivre en harmonie , tout en se sentant responsable. Ce qui n’exclut pas, d’ailleurs, de venir en aide aux plus démunis, contrairement à ce que certains souhaitent laisser penser.

    Dans le premier cas (État-providence), le risque de despotisme n’est pas loin. Voici ce qu’énonçait Alexis de Tocqueville à son sujet, se référant ici à ses citoyens :

    « L’État travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages, que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? […] il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige […] il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »

    Le libéralisme défend donc une vision contraire à celle de planisme, qui mène à la route de la servitude . Et une philosophie optimiste, pleine de confiance en l’homme, tout en étant consciente de ses limites, et profondément éthique. Loin de l’arbitraire des idéologies tendant à prendre en mains le destin des peuples.

    Les Français sont-ils majoritairement contre le libéralisme ?

    La falsification qui est faite de ce terme, notamment à travers les adjonctions de particule ( néo , ultra ), destinées à le décrédibiliser, peut laisser penser que oui.

    Maintenant, et au vu de ce que nous avons pu amorcer à travers les éléments développés ci-dessus, on peut imaginer que les valeurs du libéralisme sont très probablement compatibles avec ce que pense profondément une grande partie de la population.

    La crainte ou le rejet du libéralisme, à mon sens, résulte donc d’un grand malentendu, d’une ignorance entretenue par ses principaux ennemis et par ceux (très nombreux) qui jouent involontairement, du coup, la caisse de résonance de ces mensonges, de manière sincère, par ignorance réelle de ce qu’il est (même des personnes aussi sensées ou avisées qu’une Natacha Polony , véritablement obsédée et ennemie farouche depuis très longtemps de quelque chose qu’elle méconnaît et au sujet duquel elle se trompe de ce fait lourdement 1 ).

    Pour conforter l’idée, voici ce qu’en dit par exemple Jacques Garello dans son dernier livre (en reprenant la phrase complète de Francis Richard) :

    « Les idées libérales ne sont pas celles qu’on croit : beaucoup de Français se croient et se disent libéraux, mais ne le sont pas en réalité. À l’inverse, sont encore plus nombreux les Français qui sont libéraux mais ne le savent pas. Rien d’étonnant à cela puisque le libéralisme n’a que très rarement été enseigné, et presque jamais appliqué. Le libéralisme est ignoré, donc caricaturé, diabolisé, ou dévié.

    Libéral ? Pas libéral ?

    Car, en effet, au-delà de ceux qui se pensent anti-libéraux par simple ignorance, il existe aussi tous ceux qui se disent ou se sont déjà dits un jour libéraux, mais ne le sont qu’à la carte (je ne pense pas à un Emmanuel Macron, auquel vous aurez peut-être pensé spontanément, mais plutôt ou aussi à des politiques du type Jean-Pierre Raffarin ou tant d’autres du même acabit, libéraux un jour, et plus le lendemain, ou libéraux mais pas ultra-libéraux ou encore libéraux en politique mais pas en économie. Autant de points qui mériteraient d’être discutés, mais je m’aperçois que mon article finit par être à rallonge, alors que je le voulais court).

    Et nous revenons là à l’essence de notre sujet du jour (en attendant les volets suivants) : le libéralisme est-il une idéologie ?

    C’est parce qu’il ne l’est pas que rien ne sert de se présenter comme libéral sur tel plan et pas sur tel autre. Cela peut d’ailleurs se discuter, mais le fait est que nous parlons bien d’une doctrine, d’une philosophie qui, si elle n’est pas fermée et stéréotypée mais bien vivante et ouverte, révèle une essence profonde difficilement divisible ou modulable en fonction de ce qui arrange.

    Cette philosophie de la liberté s’oppose à tout ce qui assujettit d’une manière ou d’une autre des êtres ou des organisations, au risque de verser dans ce qui apparaît bien, si l’on fait référence au domaine économique, comme un capitalisme de connivence (là encore, nous aurons largement l’occasion d’y revenir, car il s’agit d’une source centrale du grand  malentendu).

    Et c’est aussi parce que beaucoup ont été déçus et se sont sentis floués par certaines idéologies auxquelles ils ont plus ou moins adhéré un temps par une sorte d’idéalisme bien compréhensible et parfaitement humaine, que certains d’entre eux, parmi les esprits les plus brillants ( Jean-François Revel , Jacques Marseille et d’autres encore, comme le rappelle un lecteur de l’article précédent) s’en sont détournés pour privilégier une approche plus philosophique (alors que les exemples inverses sont plus difficiles à trouver, comme ce lecteur le souligne).

    La liberté ne se décrète pas

    En conclusion de ce volet, et pour finir (même si je suis forcément très incomplet), on peut noter que la liberté que défend le libéralisme est quelque chose de spontané. Il ne s’agit pas d’un constructivisme , donc pas d’une idéologie. Ce qui n’exclut pas l’État, en tant que garant de ces mêmes libertés.

    Un article publié initialement le 7 avril 2017.

    1. Je découvre d’ailleurs, au passage, moi qui ai failli lui écrire gentiment il y a quelques mois en y ayant finalement bêtement renoncé par manque de temps, que Nathalie MP a justement écrit un article à ce sujet , que je vais m’empresser de lire avec délectation, où il est manifestement question de « malentendu »
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      Violence du pouvoir : faut-il désespérer de l’homme ?

      Patrick Aulnas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 28 November, 2022 - 04:15 · 5 minutes

    Des trois grandes passions humaines, le pouvoir, l’argent et l’amour, c’est la passion du pouvoir et de la puissance qui provoque le plus de ravages : conflits sociaux, révolutions, guerres, génocides.

    La politique apparaît ainsi comme le mal nécessaire permettant de cantonner cette passion , de l’empêcher de virer à la folie. Elle y parvient médiocrement puisque les autocraties prolifèrent, les démocraties doutent d’elles-mêmes et la guerre est une constante. La paix n’a jamais régné sur l’ humanité entière. Ici ou là, les hommes se sont toujours battus et exterminés.

    De la pureté initiale aux compromis politiques

    Le destin des hommes relève du tragique par leur incapacité à atteindre collectivement la sagesse.

    Il existe des sages dans l’humanité mais l’humanité elle-même n’est pas sage. Il lui faut des défis et des performances, des conflits et des victoires. Après une première phase d’aspiration à la pureté, les religions dérivent vers la complaisance envers le pouvoir. Le christianisme en est un exemple. La figure de Jésus-Christ parcourant la Judée avec ses apôtres, demandant la justice et cherchant à faire le bien, est celle d’un sage charismatique qui dérange le pouvoir romain. « Un anarchiste qui a réussi » disait de lui André Malraux.

    Malheureusement, cette réussite conduit à l’institutionnalisation d’une religion et à des compromis parfois inavouables avec le pouvoir politique. L’unité n’est même pas possible au sein d’une religion. Catholiques et protestants, chiites et sunnites en sont souvent arrivés à se haïr et à s’entretuer.

    Dominer par la violence

    Quant au pouvoir lui-même, il n’est qu’une aspiration à la domination toujours plus complète sur autrui.

    Pouvoir politique obtenu par la violence, la ruse ou l’élection, pouvoir économique obtenu par l’accumulation de capitaux, pouvoir des hommes sur les femmes obtenu par la tradition ancestrale du patriarcat, pouvoir des humains sur les animaux, qu’ils assimilent juridiquement à des choses alors qu’il suffit de côtoyer quotidiennement un chien ou un chat pour comprendre qu’il est pétri d’émotions semblables à celles que nous ressentons nous-mêmes.

    La croissance du pouvoir détermine la croissance des violences. La Shoah, le Goulag, l’Holodomor sont les exterminations les plus féroces de notre histoire car le pouvoir politique a accumulé au XX e siècle une puissance jamais atteinte auparavant. Les guerres anciennes s’accompagnaient de pillages, de viols, de tortures et de massacres mais les moyens disponibles ne permettaient pas d’exterminer en peu de temps des millions d’êtres humains. Notre technologie est aujourd’hui capable de déclencher l’apocalypse nucléaire et d’altérer peu à peu le milieu naturel terrestre en le rendant impropre à notre survie. La violence à l’égard de notre environnement est la plus sournoise car elle est justifiée par l’amélioration de nos conditions de vie. Nous avons volontairement oublié que la Terre est notre royaume et notre prison. Nous ne pouvons atteindre aucun autre lieu nous permettant de vivre dans l’univers.

    Dominer par le contrôle généralisé

    La croissance du pouvoir est concomitante du développement scientifique et technologique.

    La technologie nous offre une vie plus confortable et plus longue, l’espérance de vie à la naissance ne cessant d’augmenter. Mais elle est aussi au service du pouvoir et lui permet de disposer de bases de données gigantesques et donc d’une capacité de contrôle jamais atteinte auparavant. Les individus eux-mêmes collaborent désormais activement à la surveillance des tous leurs faits et gestes. L’exemple le plus saisissant est fourni par la fiscalité. Les professionnels doivent saisir eux-mêmes ou par l’intermédiaire d’un expert-comptable toutes les données concernant leur activité afin de permettre les contrôles administratifs. Cette évolution est aussi largement amorcée pour les particuliers qui sont désormais nombreux à établir leur déclaration de revenus sur le site internet du gouvernement.

    Il n’est pas anodin que l’on soit parvenu à faire admettre que le chemin de la démocratie véritable passe par la route de la servitude. Les recettes fiscales et sociales sont nécessaires au fonctionnement de l’État-providence et par conséquent des contrôles efficaces doivent exister. Moins arbitraire par la mise en œuvre du principe de la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif, judicaire), l’État devient omniscient par les informations dont il dispose et donc presque omnipotent face à un individu isolé ne maîtrisant pas une telle complexité. L’État a renforcé son pouvoir à un degré inédit et accru la dépendance de la personne humaine à son égard. Big Brother est en construction.

    Défiance envers le pouvoir, confiance en l’Homme

    La passion du pouvoir et son incessante croissance pourraient nous faire désespérer des Hommes.

    Il ne le faut pas. Il suffit d’observer leur histoire à grandes enjambées pour s’en convaincre. En partant de leurs grottes paléolithiques, les Hommes ont conquis la Terre entière, construit des royaumes et des empires, créé des modèles dits scientifiques pour tenter de comprendre leur univers et s’analyser eux-mêmes. Ils ont utilisé leur savoir pour améliorer leur condition. Ils sont capables d’idéaliser pour espérer et ils ont inventé le bonheur et l’amour qui n’existent que dans leur esprit et leur cœur, mais qui existent.

    Leur violence est le stigmate de leur faiblesse. S’ils ne peuvent se départir de la tentation du mal, ils aspirent à se diriger vers le bien. L’art et la spiritualité, qui n’est pas nécessairement associée à une religion instituée, permettent de s’en convaincre. N’oubliez jamais les Vierges sublimes de Raphaël, les paysages idylliques de Claude Lorrain, n’oubliez ni la flèche des églises qui pointe vers le ciel ni la sérénité parfaite des monastères. N’oubliez pas de retrouver parfois votre regard d’enfant : « Je vous le dis en vérité, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera point » (Évangile selon Marc 10:15,29)