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Sobriété : la normalisation du déclin
Frédéric Mas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 15 November, 2022 - 03:35 · 4 minutes
Sobriété, sobriété, sobriété : les médias, les amuseurs publics et les éditorialistes se réapproprient les mots du pouvoir politique sans trop se poser de questions. C’est d’ailleurs parce qu’ils ne se posent pas trop de questions qu’ils sont utiles à la classe technocratique, sans quoi le public pourrait s’interroger sérieusement sur l’intérêt de revenir à un modèle préindustriel disparu depuis le XVIII e siècle.
Parler de « normalisation » ici signifie essentiellement chercher à nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Un pays en voie de désindustrialisation qui est passé de pays exportateur d’énergie à importateur, qui a laissé mourir son secteur agricole par paresse, qui voit ses services publics se nécroser par la bureaucratie et la démagogie électorale, qui s’est construit une cage de fer en termes de réglementations écologiques faisant fuir investisseurs, entreprises et propriétaires, sous la plume des technocrates et des bureaucrates qui profitent d’une telle situation, un pays en transition vers la « sobriété ».
Normaliser, c’est euphémiser le déclin pour continuer à vivre dessus sans avoir à faire quelque chose pour l’enrayer.
La sobriété comme régression
Seulement, revenir à une économie agraire envisagée comme « normalisation » signifie une régression sans précédent. Contentons-nous de rappeler qu’à la première révolution agricole qui correspond à la révolution néolithique, répond une seconde, capitaliste, qui a changé radicalement les modes de production à partir du XVIII e siècle. Comme le rappelle Joyce Appleby dans Capitalisme : histoire d’une révolution permanente (2016), l’invention de nouvelles techniques dans le domaine agricole pour produire plus avec moins de ressources n’a pas seulement donné un coup d’accélérateur économique, elle a libéré l’Homme des servitudes de la société prémoderne.
L’intégralité de l’ordre social, statique et inégalitaire était autant paralysée que constituée par la crainte des famines et des mauvaises récoltes endémiques à l’économie naturelle. En permettant de produire plus avec moins de personnes, en créant des marchés là où les économies vivaient en autarcie, le capitalisme a réorienté les activités en dehors du champ de l’agriculture de survie. La division du travail s’est raffinée et le pluralisme économique des sociétés occidentales est né. En d’autres termes, la révolution capitaliste agricole a dynamité les vestiges du féodalisme et le bavardage réactionnaire sur la sobriété vise essentiellement à revenir sur cette étape essentielle.
La politique de la nostalgie
Revenir à un modèle agraire c’est accepter d’une part la neutralisation économique, politique et culturelle de la France au profit de ses concurrents, et d’autre part son statut de colonie numérique, énergétique, culturelle et politique. Les États-Unis, la Chine ou l’Allemagne ont tout intérêt à transformer la France en patelin rural. À eux les ordinateurs quantiques et la conquête de Mars , à nous les fromages et les porte-clefs en forme de tour Eiffel. Et la classe bureaucratique continuera, à l’orchestre, de jouer la petite musique de la « sobriété », cette pauvreté que nous aurons choisie. Ou plutôt qu’ils auront choisi pour nous.
Hier des https://t.co/sviromw2Bt de Greenpeace La Rochelle ont recouvert des panneaux publicitaires de la Ville pour demander leur extinction définitive au nom de la sobriété, parce qu’une sobriété choisie vaut mieux qu’un rationnement forcé ! #SobriétéJuste pic.twitter.com/xgiv2rqfnN
— GreenpeaceLaRochelle (@Greenpeace_LR) November 6, 2022
Car en effet la rhétorique de la sobriété, qui répond à celle de la peur climatique, énergétique et il y a encore peu sanitaire, vise essentiellement à dissimuler « the elephant in the room » : les responsables politiques de notre déclin sont encore au pouvoir, ils n’ont jamais cessé de l’être et désormais ils prétendent même manager le déclassement qu’ils ont encouragé depuis plus de 30 ans. La tertiarisation de l’économie française, et donc la désindustralisation, est une idée qui vient de la tête de nos énarques et de nos polytechniciens, comme la dénucléarisation , la transition énergétique, la glaciation du marché du travail par les 35 heures ou encore l’incapacité à transformer notre secteur agricole en atout pour le pays. Seulement, aujourd’hui, vous êtes priés de ne plus parler de déclin ou d’appauvrissement, mais de « sobriété volontaire ».
Ce n’est pas de la sobriété mais de la maltraitance https://t.co/I5Alrh0Zfu
— El*a*e Carrier (@Marie08979035) November 8, 2022
Les communicants publics ne remercieront jamais assez les officines de l’ultragauche primitiviste pour tout le lexique qu’ils se sont réappropriés pour dominer.