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Retraites : le modèle social français convulse
ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 9 March - 04:10 · 4 minutes
« On est là ! Même si Macron ne veut pas on est là ! »
L’appel des syndicats à la mobilisation contre la réforme des retraites semble avoir rassemblé au-delà des éternels professionnels du blocage. Aux cortèges de la FO et de la CGT s’agrégeaient plus ou moins discrètement des Gilets jaunes mais aussi les personnels soignants honteusement suspendus au moment de la crise covid, quelques lycéens radicalisés et plus largement tout le ban et l’arrière-ban de l’antimacronisme de gauche.
3,5 millions de personnes ont manifesté en France aujourd’hui selon la CGT, 1,28 million selon la police.
Dans les deux cas, il s’agit de la plus grande mobilisation sociale depuis plus de 50 ans. #RéformeDesRetraites #GrèveDu7Mars pic.twitter.com/fpKVuOctff
— Élections 202(2) (@2022Elections) March 7, 2023
Macron rassemble parce qu’au-delà de la réforme des retraites, il incarne l’ennemi de classe par excellence, vendu aux riches et aux patrons, indifférent à la souffrance des classes populaires et soutien sans faille du grand capital. Et si c’est répété à l’envi par les centrales syndicales, les médias d’opposition et Mélenchon, c’est que ce doit être vrai. Ou pas.
Macron ou la social-démocratie à la française
Seulement à y regarder de plus près, le « banquier » Macron n’est pas vraiment étranger à la ménagerie social-démocrate franco-française. Pur produit de la « méritocratie républicaine », celle qui offre à l’aristocratie bureaucratique nationale le privilège de gouverner le pays, l’actuel locataire de l’Élysée n’est au fond qu’un énarque tendance deuxième gauche comme nos grandes écoles en produisent à la chaîne.
La réformette des retraites en témoigne : incapable de sortir du cadre posé depuis l’après-guerre, le gouvernement ne fait que répéter un scénario chorégraphié depuis des années par les mêmes acteurs, les mêmes personnels et avec les mêmes résultats ridicules visant à « sauver le modèle politique français ».
Des hauts fonctionnaires réforment à la marge sans toucher à l’essentiel d’un système de retraites hérité de Vichy et du CNR, bismarckien et autoritaire, sur lequel ils ont largement la main. Peu importe qu’il dégringole pour des raisons bassement démographiques , ils n’ont aucun intérêt à abdiquer un pouvoir de direction qui se partage en petit comité, comme tous les postes de pouvoir 1 .
Cage de fer collectiviste autoritaire
C’est que les manifestants et autres syndicalistes sont aveugles à la cage de fer qu’ils cherchent à préserver « quoi qu’il en coûte » : le modèle social français est un État-providence autoritaire piloté par une classe technocratique qui prétend organiser la redistribution étatique des richesses de manière scientifique , c’est-à-dire sans trop vous demander votre avis.
L’État-providence français est le produit de son époque économique, les Trente glorieuses, qui ne jure que par le planisme , les nationalisations, la concertation encadrée par l’État entre syndicats et patrons et le centralisme politique gaullien. Sur fond de croissance et d’optimisme, l’idée de confier à l’ingénieur, puis au haut fonctionnaire, la tâche de « moderniser » le pays devient l’obsession des élites 2 .
L’illusion politique, qui ne s’est pas totalement dissipée aujourd’hui est de croire que l’organisation scientifique de la production ne touche que superficiellement les rapports de production. Le planisme des ingénieurs puis des énarques n’empiète pas sur l’économie de marché, ne transforme pas le pays en économie de fonctionnaires, ne fait que fluidifier la concertation entre les acteurs économiques et sociaux au nom de l’intérêt général .
Cette belle mécanique repose sur une illusion. Elle présuppose l’alignement essentiel des intérêts entre technocratie et les populations qu’elle prétend piloter, à l’image d’une armée dont l’ensemble de la chaîne de commandement est orienté pour la victoire décisive. C’est cet idéal prussien qui faisait craindre à Friedrich Hayek la fameuse « route de la servitude ».
Si les deux acteurs s’entendent tacitement pour faire croître la taille de l’État au sein de l’ordre social, les uns pour consolider leur domination bureaucratique, les autres pour bénéficier des largesses de la redistribution, cela fait longtemps qu’ils n’appartiennent plus au même monde, en qu’en conséquence, sur un plan strictement économique, ils ne répondent plus aux mêmes incitations rationnelles.
Les uns réclament toujours plus de droits, de biens et de services gratuits tant ils sont maintenus dans l’ ignorance des mécanismes économiques les plus élémentaires. Les autres ne peuvent se résoudre à transférer leur gouvernance, dans le domaine du social comme dans celui de l’économie en général, à la société elle-même.
Unis dans la même détestation d’un capitalisme financier perçu comme une dépossession, les uns préfèrent sacrifier la prospérité des générations futures, et les autres temporiser jusqu’à l’effondrement d’un modèle qu’on sait bancal depuis plus de 40 ans, à droite comme à gauche.
Aujourd’hui, le modèle social français est devenu le modèle mental dominant qui nous empêche de nous projeter dans l’avenir et de répondre aux impératifs de la mondialisation des échanges. Il est tant de changer de logiciel.
- Sur la rapacité de l’aristocratie bureaucratique française, on lira le très instructif essai de Vincent Jauvert, La Mafia d’État paru aux éditions du Seuil en 2021. ↩
- Augustin Landier, David Thesmar, Le grand méchant marché , Flammarion, 2007. ↩