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      Face aux suicides dans la police, des "sentinelles" sont formées

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Saturday, 4 June, 2022 - 10:32 · 5 minutes

    En octobre 2019, les policiers s'étaient mobilisés à Paris pour dénoncer l'inaction face aux suicides dans leurs rangs. Trois ans plus tard, des agents vont être formés à détecter les signaux avant-coureurs d'un passage à l'atcte. En octobre 2019, les policiers s'étaient mobilisés à Paris pour dénoncer l'inaction face aux suicides dans leurs rangs. Trois ans plus tard, des agents vont être formés à détecter les signaux avant-coureurs d'un passage à l'atcte.

    SOUFFRANCE AU TRAVAIL - Une barbe mal rasée, une soudaine agressivité, des retards répétés.... Les premières “sentinelles” de la police , chargées de déceler ces “signaux d’alerte” chez leurs collègues en souffrance, commencent à être formées avec l’espoir d’enrayer enfin les vagues de suicides qui endeuillent l’institution depuis vingt-cinq ans .

    Or comme l’ont déploré les syndicats policiers et les associations, la fin du mois de mai a effectivement été marquée par une succession de drames dans les rangs des forces de l’ordre, deux gendarmes et deux policiers se suicidant à quelques jours d’intervalle. Cela près de trois ans après une mobilisation historique des fonctionnaires pour réclamer davantage de moyens pour lutter contre le suicide, et un an après que le sujet a été remis sur la table à l’occasion du Beauvau de la sécurité .

    Mais en ce début du mois de juin, pendant deux jours, treize policiers et agents administratifs (huit femmes, cinq hommes) ont suivi l’une des premières formations organisée à Vélizy-Villacoublay, dans les Yvelines, au siège de la direction zonale des CRS Paris.

    CRS, sécurité publique, police judiciaire, DGSI... Les stagiaires représentent tous les métiers de la police: aucun n’est épargné par les suicides. Ils ont été “repérés comme ayant des profils empathiques et à l’écoute”, explique le policier Rafael Allard, co-animateur de la formation.

    Un objectif de près de 2.000 “sentinelles” formées d’ici la fin de l’année

    Parmi eux, Olivier s’est porté spontanément candidat. Ce major, en poste à Enghien-les-Bains, dans le Val-d’Oise, a connu il y a cinq ans un burn-out suivi d’une dépression. “J’ai eu deux affaires de viol sur des enfants de 4 ans en une semaine, ça m’a anéanti”, confie ce quinquagénaire. Il passe alors quatre mois au château du Courbat, en Indre-et-Loire, spécialisé dans l’accueil des forces de l’ordre en souffrance psychologique, et réussit à remonter la pente.

    “Depuis mon passage, j’ai envoyé plusieurs collègues là-bas, j’ai déjà fait un peu la sentinelle”, glisse-t-il.

    D’autres comme Marc, en poste dans une PJ de région parisienne, ont été proposés par leurs chefs de service. “Ils m’ont rassuré et m’ont dit que je ne serai pas responsable s’il devait se passer quelque chose”, raconte le policier, président de l’Amicale de son service.

    Depuis 2001, 45 policiers se suicident en moyenne chaque année, sans que les dispositifs successifs de prévention ne parviennent à les endiguer. Depuis le début de l’année, la police nationale a déjà déploré 30 suicides, dont 12 pour le seul mois de janvier. En réaction, son patron Frédéric Veaux a annoncé vouloir former 1.950 “sentinelles” en 2022, soit une pour 70 à 80 fonctionnaires. Jusqu’à présent, 81 agents ont été formés, dont 52 depuis le 1er janvier.

    Orienter vers un professionnel, sans s’y substituer

    “Le suicide, c’est très tabou, encore plus dans la police. On n’en parle que lorsque ça arrive, quand c’est trop tard”, dit Olivier, l’un des stagiaires. En poste à Sarcelles, également dans le Val-d’Oise, il a connu un épisode dépressif en 2021. “Personne n’est venu me voir, on manque de mains tendues”.

    “Tendre des perches”, c’est le rôle attendu d’une “sentinelle”, martèle Rafael Allard. “Ne comptez pas sur vos collègues pour venir vers vous. Pour beaucoup, parler de ses problèmes est impudique”. Quels mots choisir ? “On peut avoir peur de se tromper”, souligne Séverine. “Poser la question des idées suicidaires n’induira pas de passage à l’acte”, rassure Laura Novack, co-formatrice et médecin au ministère de l’Intérieur.

    “Il faut rester naturel, ne pas adopter une posture trop caricaturale de psy qui pourrait freiner les échanges”, conseille Rafael Allard.

    Une “sentinelle” doit orienter vers un professionnel de santé, en toute confidentialité, mais jamais s’y substituer. “Votre mission à un moment doit s’arrêter. Ce n’est pas vous qui allez faire parler votre collègue 45 minutes chaque semaine, c’est le psy”, insiste le formateur.

    Évaluer la concomitance des signaux d’alerte

    Une grille d’évaluation, avec des drapeaux de couleur, aide les stagiaires à estimer l’intensité de la souffrance d’un collègue et, ainsi, ajuster l’attitude à adopter.

    Quand le policier présente des troubles de l’appétit, devient irritable ou augmente sa consommation d’alcool, c’est un simple drapeau jaune. “Il faut s’inquiéter en cas d’accumulations, d’apparition soudaine de ces changements ou de leur survenue dans un contexte à risque”, comme des antécédents suicidaires dans la famille, explique Laura Novack.

    En cas de propos suicidaires, même élusifs, c’est un drapeau rouge. “Les personnes en souffrance interpellent rarement de façon claire et explicite, d’où la possibilité de passer à côté”, souligne Rafael Allard.

    Le drapeau noir, enfin, se lève à l’évocation d’un scénario, d’une date et de l’arme, annonçant un passage à l’acte imminent. Dans ce cas, la hiérarchie doit être immédiatement informée pour procéder au désarmement. Depuis 2000, en moyenne, 60% des policiers qui se suicident chaque année le font avec leur arme de service.

    À voir également sur le HuffPost : À la Marche de la colère, les policiers rendent hommage à leurs collègues suicidés