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      Retraites : sans capitalisation point de salut

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 2 February, 2023 - 04:00 · 5 minutes

    L’interventionnisme étatique est fréquemment justifié sous le prétexte que seul l’État serait capable de prendre des décisions en tenant compte de leurs conséquences à long terme pour l’ensemble d’une société.

    Cet argument est en fait très étrange.

    En effet, l’État, cette abstraction, est en réalité composé d’hommes et de femmes qui poursuivent leurs propres buts et recherchent leur propre intérêt . Or, pour eux, l’horizon naturel est celui de la prochaine élection et ils sont donc incités à donner des avantages immédiats aux citoyens, quelles qu’en soient les conséquences fâcheuses à long terme. Par contre, un individu a intérêt à prévoir les conséquences de ses décisions pour sa vie entière et même pour celle de ses enfants.

    Cette différence de comportement est bien illustrée par le dossier des retraites, si crucial dans la plupart des pays européens.

    L’État a prétendu qu’il lui revenait de prendre en charge ou de définir les régimes de retraite. Mais ce qui devait se passer s’est effectivement passé : parce qu’il privilégie le court terme par rapport au long terme, l’État a mis en place des systèmes de retraite par répartition et non par capitalisation. Ce choix permet de donner des satisfactions immédiates aux électeurs en fournissant une retraite décente aux plus âgés grâce aux cotisations prélevées de manière obligatoire sur les générations au travail, tout en promettant à ces dernières de faire de même avec les générations suivantes.

    Ceci était particulièrement facile à une époque où la pyramide des âges était telle que les générations au travail étaient importantes par rapport aux générations de retraités. Mais la pyramide s’est inversée partout en Europe, alors que simultanément les progrès médicaux allongeaient la durée de la vie et que les jeunes, prolongeant leurs études, entraient plus tard sur le marché du travail.

    Pour toutes ces raisons, depuis au moins vingt ans, il est connu de tout le monde que le système des retraites est condamné à la faillite à plus ou moins brève échéance. Mais l’État — pourtant généralement considéré comme seul capable de décider rationnellement en fonction du long terme — a préféré ignorer ce qui était évident : la réforme des retraites étant douloureuse, les gouvernants ont choisi de ne rien faire et de laisser le poids politique des décisions à prendre à leurs successeurs.

    Mais il arrive forcément un moment où la nécessité de la réforme s’impose absolument.

    On peut alors essayer de rapiécer le système en augmentant la durée de cotisation et le taux des cotisations ou en réduisant le montant des prestations. Mais au lieu de corriger le système de répartition, il vaudrait mieux le supprimer tout simplement parce qu’il est fondamentalement mauvais. Il consiste en effet à promettre une retraite à ceux qui travaillent grâce aux prélèvements obligatoires qui seront imposés aux générations futures. C’est ce que les hommes de l’État appellent la «solidarité entre les générations».

    Mais quelle est la valeur morale d’une promesse faite au nom de personnes qui sont trop jeunes pour s’exprimer ou qui ne sont même pas encore nées ?

    L’enfant qui vient au monde est ainsi immédiatement soumis à l’obligation de supporter une énorme dette et il n’a aucun moyen de récuser cet héritage. Dans un régime de capitalisation, au contraire, chacun est responsable car chacun sait que son sort à l’âge de la retraite dépendra de l’effort d’épargne qu’il aura réussi à réaliser tout au long de sa vie. Comme cela est généralement le cas, c’est parce que ce système est moralement fondé qu’il permet d’obtenir de bons résultats : parce qu’ils subissent les conséquences de leurs actes dans un système de capitalisation, les individus sont incités à accumuler du capital, contrairement à un système de répartition où l’on subit les prélèvements et où l’on compte sur les autres pour assurer ses vieux jours. En augmentant le taux d’épargne, le passage à la capitalisation favorise donc la croissance.

    Pour effectuer ce changement, la meilleure solution consiste à laisser aux citoyens la liberté de choix entre les deux systèmes, comme cela a été fait par le Chili dès 1981 , avec tellement de succès que cet exemple a été suivi par beaucoup d’autres pays, en particulier en Amérique latine.

    En réalité, aucune raison ne permet de justifier que l’on enlève aux citoyens cette liberté de choix qu’ils auraient dû pouvoir garder depuis toujours. C’est à eux de décider du montant de leur épargne pour la retraite mais aussi de l’âge de leur retraite (de même d’ailleurs que de la durée hebdomadaire ou annuelle de leur travail). Mais c’est aussi à eux de décider sous quelle forme et/ou dans quels fonds de pension ils désirent placer leur épargne. Ceci s’impose d’ailleurs d’autant plus que nous nous trouvons dans une période d’ouverture des frontières, de telle sorte que l’existence de systèmes de retraite purement nationaux paraît particulièrement obsolète : ceux qui changent de pays doivent pouvoir placer leur épargne là où ils le désirent.

    Les gouvernements hésitent certes à accepter un changement aussi radical car ils craignent les réactions des groupes organisés, par exemple les syndicats. Lorsque les gouvernements ont le courage de s’attaquer au problème et de ne pas céder devant les manifestations, on peut seulement regretter que cette fermeté serve à « sauver » le système de retraite par répartition au lieu de le remplacer par un système de capitalisation. Mais de plus en plus de gens, de jeunes gens, s’élèvent contre l’attitude conservatrice des syndicats et pour la réforme des retraites. Ils ont compris que leur régime de retraite était en péril, qu’ils voulaient sortir de l’immobilisme et du chantage syndical. C’est peut-être dans ce changement d’attitude et de mentalité de la jeune génération que réside la meilleure des raisons d’espérer.

    Article publié initialement le 6 avril 2013

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      Le système de retraite par répartition est profondément injuste

      Pierre Allemand · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 27 November, 2022 - 03:30 · 8 minutes

    Évidemment, en France, ce titre risque d’être considéré comme une provocation. C’est un peu comme si on ouvrait un parapluie à l’intérieur d’un logement, ou si on proférait des injures à l’égard d’un défunt dans la chambre mortuaire.

    La répartition est injuste

    Aussi, dois-je m’efforcer de présenter immédiatement, non pas les excuses que certains lecteurs attendent peut-être, mais des arguments sur ce que j’avance.

    Les voici :

    Le système de retraite par répartition consiste à payer les retraites des pensionnés en prélevant les sommes versées sur les revenus des salariés actifs. Si la proportion des pensionnés devient plus importante que le nombre des actifs, ces derniers auront une charge de plus en plus grande à assumer, ou encore seront forcés de quitter de plus en plus tard la période travaillée.

    Cette situation est profondément injuste, car elle n’a pas été choisie ni par ceux qui payent, ni par ceux qui perçoivent.

    Il y aurait bien une solution à ce problème : diminuer le montant des pensions au prorata du rapport du nombre de retraités. Mais c’est une situation au moins aussi injuste que la précédente, car en plus d’être subie par ceux qui verraient leur pension diminuée, ces personnes n’ont même pas la possibilité de changer de situation comme lorsqu’elles étaient actives.

    Remarquons au passage que c’est la situation dans laquelle un certain nombre d’entre elles (les cadres) ont été placées par le président Macron puisque leur pension est diminuée d’année en année par le jeu de l’inflation…

    Dans un système que nous pourrions qualifier de naturel, la personne active met de côté de l’argent en prévision des temps où elle ne sera plus en mesure de travailler. C’est ce qu’on peut nommer le système « fourmi ».

    Dans le système par répartition , il n’y a pas à se préoccuper de l’avenir. On peut et on est d’ailleurs encouragé à avoir un comportement de « cigale ».

    Constatons que ce comportement a les faveurs de ceux qui se classent plutôt à gauche. Le comportement « fourmi » est lui, plutôt un comportement de droite.

    Pourquoi la capitalisation est la solution

    Le système par capitalisation est calqué sur le système naturel.

    Chaque salarié met chaque mois de côté une certaine somme qui est gérée par un organisme spécialisé intitulé fonds de pension. Cette somme est comptabilisée sous la forme de points.

    Au moment de sa retraite, le compte du salarié en contient un certain nombre déterminant le montant de sa retraite. Pour le salarié, l’intérêt de la gestion de ses économies par un fonds de pension est que sa retraite lui est versée jusqu’à sa mort, alors que s’il a mis cet argent de côté, il risque, s’il vit « trop » longtemps, de le voir disparaître avant lui…

    Techniquement, la capitalisation a un gros avantage sur la répartition : en effet, dans le système par répartition, les fonds sont au moins théoriquement reversés  immédiatement.

    Dans le système par capitalisation, au contraire, ces fonds, qui peuvent être considérables, sont placés et produisent des intérêts pendant toute la durée de travail du salarié, et lui sont reversés à partir du moment où il est à la retraite. Le montant de cette dernière est donc théoriquement plus élevé que dans le cas de la répartition puisque les intérêts s’y ajoutent, et que le temps d’immobilisation est en moyenne élevé.

    Tout cela, évidemment si les fonds ont été correctement gérés, ce qui est en général le cas dans les pays où le système est appliqué .

    Évidemment, il existe des exceptions, que les adversaires de la capitalisation montrent toujours du doigt…

    Une autre différence fondamentale entre les deux systèmes réside dans la période de démarrage.

    Pour schématiser, mettons-nous à la place des organisateurs, en face de deux populations : une population de salariés et une population de retraités.

    Le système de retraite par répartition peut être immédiatement mis en place, sans rien y ajouter. En effet, les cotisations prises sur le salaire des salariés sont disponibles et peuvent être immédiatement distribuées aux retraités sans qu’il en coûte rien.

    En revanche, avec le système par capitalisation, la population des retraités ne percevra théoriquement rien au démarrage. C’est seulement lorsque les seniors de la population active auront atteint l’âge de la retraite qu’ils commenceront à percevoir la faible retraite que leur permettra le petit nombre de points acquis pendant la courte période où ils auront cotisé.

    La répartition, choix de facilité

    La situation globale s’améliorera ensuite progressivement, mais il faudra que le dernier actif de la population initiale de salariés soit en âge de prendre sa retraite pour que le système atteigne son régime de croisière.

    Pour que le système soit acceptable par tous depuis le début, il faut donc que les organisateurs compensent le manque à gagner des premiers retraités.

    Ne cherchons pas une autre raison pour laquelle les premiers députés de la Quatrième République ont choisi la répartition : il n’y en a pas.

    Et c’est aussi pour  vendre ce système aux intéressés qu’il a été sanctifié au point que encore aujourd’hui le système par répartition est considéré comme sacré. Il est interdit d’y toucher, il fait partie des mythes constructeurs de notre République.

    Malgré ses difficultés de démarrage, remarquons que la capitalisation possède un énorme avantage : les sommes distribuées aux pensionnés sont toujours proportionnelles au nombre des intéressés (sous réserve, toujours, d’une bonne gestion) puisque c’est l’argent qu’ils ont placés eux-mêmes dans le système qui leur est reversé.

    Ce n’est pas le cas de la répartition qui est soumise aux aléas de la pyramide des âges .

    Pour résoudre ce problème de démarrage de la retraite par capitalisation, il faut emprunter au début de celle-ci les sommes nécessaires pour payer les retraités n’ayant pas cotisé, ce qui, bien entendu, obère les capacités d’emprunt des organisateurs ; soit en France, l’État.

    Revenons à nos députés du début de la Quatrième République. Ils avaient le choix entre :

    • la capitalisation, un système nécessitant un lourd emprunt à son démarrage, mais qui trouverait ensuite tout seul son équilibre pour l’éternité
    • la répartition, un système qui permettait de satisfaire d’un seul coup tout le monde et qui ne coûtait au moins théoriquement pas un centime, mais qui pouvait conduire, dans le futur, aux difficultés liées au mauvais rapport entre le nombre de cotisants et le nombre des retraités que nous connaissons aujourd’hui.

    Évidemment et comme toujours, ils ont choisi la facilité.

    Remarquons encore qu’en France, ceux qui rejettent actuellement le plus fermement le système de retraite par capitalisation sont précisément ceux qui en bénéficient . En effet, les retraites des anciens fonctionnaires sont payées par l’État au moyen d’emprunts.

    L’État éternelle cigale n’a en effet pas pu mettre ces sommes de côté. Il emprunte donc sur le marché financier, et ce faisant, il s’engouffre dans le système de la capitalisation.

    Mais il s’agit d’une capitalisation subie, l’État n’étant pas le préteur, mais l’emprunteur, avec tous les aléas générés par l’évolution des taux d’emprunt. Il y a quelques années, les fonctionnaires grecs retraités en ont fait l’expérience : leurs pensions ont été amputées de 30 ou 40 %.

    Ce système consistant à payer les pensions via des sommes empruntées revient à faire payer les retraites par les générations futures, puisqu’il faudra bien continuer à payer les intérêts et rembourser le principal.

    Éternellement d’ailleurs, puisqu’on ne voit absolument pas comment en sortir 1 .

    En résumé

    Dans le système de retraite « naturel » par capitalisation, les retraités reçoivent une
    retraite correspondant à l’argent qu’ils ont épargné. C’est un système terrible qu’il
    faut absolument pour la majorité des Français.

    Dans le système par répartition, les salariés reçoivent leur retraite payée par les
    cotisations des salariés actifs. En cas de déficit comme aujourd’hui, le complément est payé par les générations futures.

    C’est un système qu’il faut absolument conserver pour la majorité des Français, car il est fondé sur ce qu’on nomme la solidarité, sachant que la partie « solidaire » n’a pas donné son accord puisqu’elle n’existe pas encore, ce qui est bien pratique…

    Un article publié initialement le 15 juillet 2020.

    1. Monsieur Mélenchon, lui, a trouvé un moyen de s’en sortir : il consiste tout simplement à considérer que ces emprunts ne sont que des écritures et qu’il suffit donc de ne pas les rembourser. Il néglige les conséquences concernant les futures capacités d’emprunt de l’État qui se hasarde à faire défaut.