GUERRE EN UKRAINE - Pour la première fois depuis le début de la guerre en Ukraine, des journalistes ont pu se rendre dans la centrale de Tchernobyl . Ils racontent et témoignent du passage de l’armée russe, qui a laissé derrière elle des traînées de poussière radioactive et un véritable chaos.
Ce samedi 9 avril, CNN et la BBC dévoilent dans des reportages les premiers échos depuis l’intérieur de la centrale nucléaire de Tchernobyl, aux mains des soldats de l’armée russe dès le premier jour de la guerre le 24 février.
Bien qu’il ne soit plus actif, après la catastrophe de 1986, le site nucléaire de Tchernobyl a été contrôlé pendant près d’un mois par la Russie et le récit des journalistes sur place témoigne notamment du laxisme et de la négligence des troupes de Vladimir Poutine face à la haute teneur en radioactivité des alentours de la centrale.
“Ils sont allés dans la Forêt rouge et ont ramené des matières radioactives avec eux sur leurs chaussures”, explique à CNN Ihor Ugolkov, un soldat. “D’autres endroits vont bien, mais les radiations ont augmenté, parce qu’ils vivaient ici”. “Ils sont allés partout, et ils ont aussi emporté de la poussière radioactive sur eux [quand ils sont partis]”, ajoute également ce soldat ukrainien.
Si les responsables de la centrale se veulent toutefois rassurants quant au niveau général de radioactivité à Tchernobyl, ils notent par exemple que la pièce utilisée par les soldats russes pour vivre connaît un rayonnement légèrement supérieur à ce que l’Association nucléaire mondiale décrit comme un rayonnement naturel. D’après eux, un contact ponctuel dans ces lieux ne peut pas être dangereux pour la santé, à moins d’une exposition prolongée.
Saccages et mauvais traitements
D’après des images de drones, l’armée ukrainienne pense que les troupes russes ont même creusé des tranchées aux alentours de la zone de Tchernobyl, à savoir la Forêt Rouge. Un lieu qui reste à ce jour la zone la plus contaminée aux radiations nucléaire sur la planète.
La plupart des particules radioactives étant présentes sur le sol, les autorités ukrainiennes sont encore sous le choc des dégâts provoqués par l’armée de Russie en se rendant dans cette zone particulièrement dangereuse. “C’est vraiment fou”, lance le ministre ukrainien de l’Énergie, German Galushchenko aux journalistes de CNN. Les mêmes constatations de tranchées et de campements russes dans cette zone sont relayées par la BBC .
“Je n’ai vraiment aucune idée de pourquoi ils ont fait ça (aller dans la Forêt Rouge). Nous pouvons voir qu’ils y sont allés, les soldats qui y sont allés sont revenus ici et le niveau de radiation a augmenté”, constate encore German Galushchenko.
Pourtant, les dégâts ne sont pas seulement radioactifs à Tchernobyl. Durant ce mois de contrôle, les troupes russes ont pillé et saccagé les locaux de la centrale, comme en témoigne Volodymyr Falshovnyk, chef de quart à Tchernobyl.
Il raconte également les conditions difficiles dans lesquelles le personnel de la centrale a été obligé d’opérer, sous la pression des soldats ennemis et des rares nouvelles émanant du reste de l’ Ukraine . “Nos proches ont commencé à appeler et à dire que la ville était prise d’assaut, qu’il y avait des blessés et des morts. Nous avons demandé aux Russes ce qui se passait et ils ont dit qu’il n’y avait pas de troupes russes régulières là-bas, mais nous avons continué à entendre qu’il y avait des bombardements”, livre cet homme de 64 ans.
“L’armée russe a fouillé tous les vêtements ukrainiens, les effets personnels, comme des chiens, probablement à la recherche d’argent, d’objets de valeur ou d’ordinateurs portables”, explique aussi Denys Monastyrskyy, ministre de l’Intérieur ukrainien. “Il y a eu des pillages ici. L’armée russe a volé des ordinateurs et du matériel”, fait également remarquer le ministre aux reporters sur place.
À la BBC, Valeriy Semonov, un ingénieur, livre un autre témoignage saisissant: “Nous avons dû constamment négocier avec eux et nous efforcer de ne pas les offenser, afin qu’ils laissent notre personnel gérer l’installation”. Après une coupure de courant durant trois jours, Valeriy raconte s’être empressé de trouver du carburant, n’hésitant pas une seconde à en voler aux soldats russes pour faire fonctionner le générateur.
“Si nous avions perdu de l’électricité, cela aurait pu être catastrophique” estime d’ailleurs Oleksandr Lobada, responsable de la radioprotection à la station. “Je n’avais pas peur pour ma vie. J’avais peur de ce qui se passerait si je n’étais pas là pour surveiller l’usine. J’avais peur que ce soit une tragédie pour l’humanité”, ajoute-t-il auprès du média britannique.
Le calvaire des soldats ukrainiens prisonniers
Selon ces échos de Tchernobyl, le plus dur traitement a été réservé aux quelque 169 soldats de la Garde nationale ukrainienne présents sur le site lors de l’invasion russe . Le personnel de sécurité de la centrale a été enfermé dans un ancien bunker nucléaire datant de la guerre froide. Selon Denys Monastyrskyy, ils ont été entassés dans une pièce sans lumière et sans la moindre communication avec le monde extérieur.
“Ils ont été gardés ici pendant 30 jours sans éclairage ni nourriture suffisants. Ils n’étaient pas autorisés à sortir. Le dernier jour, ils ont été emmenés d’ici dans une direction inconnue, précise le ministre de l’intérieur, aujourd’hui, nous ne savons malheureusement rien de leur sort”. Selon lui, ces hommes de la Garde nationale ukrainienne ont été emmenés en Russie, via la Biélorussie, en tant que prisonniers de guerre, mais il reste prudent et confie ne pas en être totalement certain à l’heure actuelle.
Ce récit sur les dessous de l’occupation russe à Tchernobyl ne rassure en rien les autorités ukrainiennes, alors qu’une autre centrale parmi les quatre actives que compte l’Ukraine a été aux mains de la Russie. La centrale de Zaporijjia , située entre Kiev et Donetsk a été lourdement attaquée par les forces russes avant qu’elles n’en prennent le contrôle début mars.
“La situation là-bas est également horrible, surtout compte tenu de la façon dont ils ont capturé Zaporijjia parce qu’ils ont tiré sur la centrale, avec des armes lourdes”, déclare le ministre de l’Énergie à CNN. Il indique par ailleurs qu’il n’est pas exclu non plus que les troupes russes reviennent à Tchernobyl.
“Nous comprenons qu’aujourd’hui, nous devons être prêts à tout moment pour une nouvelle attaque contre une centrale nucléaire”, ajoute-t-il, implorant pour que “cette histoire ne se répète jamais”.
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