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      La retraite de Triton ou l’immortelle vieillesse

      Karl Eychenne · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 16 January, 2023 - 04:15 · 5 minutes

    Le problème n’est pas de travailler plus. Le problème c’est que nous vieillissons trop. Au lieu d’allonger l’âge de la retraite, la rationalité économique imposerait donc de raccourcir l’espérance de vie. Âmes sensibles s’abstenir.

    « Une déesse était amoureuse d’un jeune et beau mortel, Triton. Elle avait demandé à Zeus d’accorder à Triton l’immortalité pour en jouir éternellement. Zeus la lui accorda. Mais Aurore avait oublié de demander l’éternelle jeunesse : son protégé commença donc à vieillir éternellement… Ce qu’elle vécut comme une tragédie, plus terrible que la mort ». EPhad magazine .

    Vieillir, quoi qu’il en coûte

    Depuis que nous avons acquis l’intime conviction que le néant est l’horizon terminal, nous faisons tout ce qu’il est possible afin de prolonger l’aventure. Il faut qu’il y ait quelque chose plutôt que rien. L’ espérance de vie a remplacé la vie d’espérance. Vieillir est devenu le summum bonum de l’Homme mortel.

    Bien fait pour nous. Tout ça parce qu’un jour, nous avons confié les rênes du sens de la vie à la science plutôt qu’à la foi. La preuve par Régis Debray : « l’espérance de vie a fortement chuté depuis les progrès de la science. Avant on pouvait croire à la vie éternelle grâce à la foi… » Résultat, aujourd’hui on n’attend rien de plus une fois que la partie est finie. Terminus trépas.

    Toutefois, la science n’a pas que des défauts. Elle permet aussi de vieillir plus longtemps grâce aux progrès de la médecine. L’espérance de vie est aujourd’hui de près de 85 ans pour les femmes et autour de 80 ans pour les hommes. Elle était de 50 ans il y a à peine un siècle. Curieusement, la science agit donc comme cause et comme conséquence, comme le couteau et la plaie de Baudelaire . En effet, la science permet de prolonger la vie ici-bas mais au détriment de la vie là-haut. La science fait que nous voulons et que nous pouvons vieillir.

    Vieillir en bonne santé financière

    Mais mieux vieillir physiquement n’implique pas forcement mieux vieillir financièrement.

    On sait que la vieillesse est le salaire que le vivant doit verser s’il ne veut pas mourir. Or ce salaire ne suffit pas. Le vivant doit aussi utiliser un salaire afin de remplir son frigidaire, payer ses crédits, ses impôts. Pour aujourd’hui, pour demain, mais aussi après-demain. Et justement c’est cet après-demain qui pose quelques problèmes d’organisation temporelle.

    Notre Homme mortel imagine ce jour où il pourra enfin se poser et profiter du temps qu’il lui reste. Un temps qu’il imagine le plus long possible, pas trop amoindri physiquement et surtout en bonne santé mentale. « Au moral, je ne sens point l’injure des ans, bien que mon corps la ressente ; je n’ai de vieilli que mes vices et leurs organes. » Sénèque.

    Notre mortel se pose alors deux questions qui résument ses deux seules angoisses existentielles : Quand ? Comment ? Quand va-t-on m’accorder le droit de me poser ? Comment va-t-on financer mon errance finale ?

    Un miracle se produit soudain. Notre mortel étant de type economicus , il réussit l’exploit de rationaliser l’affaire en transformant ces deux questions en une seule question : « Quand est-ce que le financement de mon errance finale sera suffisant pour m’accorder le droit de me poser ? »

    Ainsi naquit la question sur l’âge de départ à la retraite, il y a fort longtemps déjà. Depuis, la solution proposée a toujours été assez basique : « si tu veux vieillir plus longtemps, il faut travailler plus longtemps ». Régimes spéciaux, pénibilité, départ anticipé, emploi et retraite cumulés… je baille. Plutôt que la sieste, essayons le pas de côté au risque de faire tiquer.

    Médecines alternatives

    Je sais bien que l’Homme de la Cité a autre chose à faire que de se regarder dans le miroir et de questionner son reflet : « qui suis-je, où vais-je, où j’ai foutu mes clefs… » Mais bon, quand même, plutôt que de s’arracher les cheveux à calculer l’âge de la retraite du capitaine, peut être pourrait-il se poser quelques questions décalées, ne serait-ce que pour détendre l’atmosphère.

    Par exemple, vieillir à n’en plus finir. Est-ce vraiment raisonnable ? N’avons-nous pas peur de trouver le temps long ? Au début, on peut toujours justifier l’affaire en invoquant des expériences que l’on a jamais eu l’occasion de vivre et que l’on a désormais tout loisir de réaliser. Mais au bout d’un moment, n’avons-nous pas fait le tour ? Et si c’est pour l’éternité alors n’en parlons pas… L’ affaire Makropoulos nous raconte l’histoire de cette femme ayant bu un élixir la rendant immortelle mais qui ne supporte plus l’ennui d’une existence infinie. Cette histoire (imaginaire) tirée d’un opéra a été popularisée par le philosophe de la mort Bernard Williams dans un essai resté célèbre.

    Autre exemple piquant, comment être certain que le reste à vivre sera mieux que de ne pas le vivre ? En général, les penseurs de la mort réfléchissent à l’envers : « la mort est une mauvaise chose car elle nous prive de choses à vivre ». Mais certains penseurs de la mort à l’esprit tordu ne voient pas pourquoi la mort nous priverait de choses à vivre qui soient forcement agréables, peut-être au contraire la mort nous sauve-t-elle d’un plus grand malheur ?

    Enfin dernier exemple, fumeux. Quelqu’un (qui ?) a dit un jour que celui qui a inventé le mariage n’avait pas prévu que nous vivrions aussi longtemps. Peut-être que celui qui a inventé le départ à la retraite a fait la même erreur ? À moins que ni l’un ni l’autre n’aient fait d’erreur mais qu’ils avaient plutôt prévu une date limite au mortel que nous sommes, un genre de date de péremption à ne pas dépasser. Il y a un peu de cela dans le glaçant Soleil vert . Brr…

    Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée,
    Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
    Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,
    Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
    Enfin, n’en pouvant plus d’effort et de douleur,
    Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
    Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ?

    Esope – La mort et le bûcheron

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      Pour sensibiliser à la mort sociale des personnes âgées, je vais sillonner les routes de France - BLOG

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Thursday, 16 June, 2022 - 09:23 · 5 minutes

    Sylvain Tesson et Fiona Lauriol lors d'une conférence au siège des Petits Frères des Pauvres à Paris le 18 mai 2022. Sylvain Tesson et Fiona Lauriol lors d'une conférence au siège des Petits Frères des Pauvres à Paris le 18 mai 2022.

    VIEILESSE - Vous avez dû entendre parler de l’histoire de ma grand-mère et moi, sur les routes en camping-car, jusqu’à ses 103 ans, 3 mois et 3 semaines, elle que j’ai récupéré à 100 ans condamnée à une semaine de vie.

    Vivre cette aventure m’a ouvert les yeux sur le monde de la vieillesse et j’ai envie de me battre pour faire bouger les lignes. Car, si ce n’est pas la jeunesse qui monte au créneau pour ses anciens , ceux-là même qui étaient présent pour les premiers pas de cette jeunesse, ce n’est certainement pas eux qui pourront hurler leur mal-être car, avant même d’ouvrir la bouche, on les musèlera .

    On m’avait dit une semaine pour ma grand-mère, on a vécu plus de trois années de folie, malgré son incontinence, malgré son déambulateur, et on a réussi en camping-car à lui redonner ce si joli sourire.

    Faire entendre ma voix pour les personnes âgées

    Pour faire entendre mon histoire, je vais sillonner les routes de la France pendant un an, menant des conférences, me rendant dans des associations aussi bien que dans des lycées, pour expliquer que la vieillesse n’est pas une sale maladie, bien au contraire, qu’on n’a pas le droit moral d’enterrer les vieux avant l’heure sous prétexte qu’ils n’ont rien à apporter à la société, qu’on devrait les écouter et les stimuler au lieu de leur offrir un mur blanc comme seul horizon, et que même à 102 ans, on peut assister à son premier concert à Tudela, près du désert des Bardenas, ou croiser un homme tout nu sur une plage hispanique, ou faire le chemin de St Jacques de Compostelle...

    Vous avez envie de raconter votre histoire? Un événement de votre vie vous a fait voir les choses différemment? Vous voulez briser un tabou? Vous pouvez envoyer votre témoignage à temoignage@huffpost.fr et consulter tous les témoignages que nous avons publiés. Pour savoir comment proposer votre témoignage, suivez ce guide !

    Sachez qu’il faut agir maintenant car, on ne dirait pas comme ça, mais ce sera à notre tour, un jour, si on ne fait rien, d’être installé face à ce mur blanc.

    Je ne recherche pas une révolution, simplement une évolution.

    Habituellement je me débrouille seule, mais là, pour ce combat, pour replacer de l’humanité dans nos vies, pour que la prise de conscience soit étendue, pour toucher un maximum de gens, j’ai besoin de vous car je suis persuadée que, vous aussi, vous voulez d’un monde meilleur!

    Une annonce officielle

    À partir de maintenant et pendant un an, je pars en croisade (avec mes parents qui ont été convaincus par mes arguments) offrir plus de 2000 heures de mon temps pour me battre contre la mort sociale qui touche plus d’un demi million de personnes âgées.

    Un demi million, c’est un chiffre qui, à lui seul devrait motiver chacun de nous à trouver des solutions. Imaginez que si tout le monde offre une heure par an, donc 60 millions d’heures pour combattre cette mort sociale, ça fera bouger les lignes. Et une heure dans une année, je ne trouve pas que ce soit utopiste. Moi, à ma petite échelle, je vais sillonner les routes de France pour mener des conférences, aller dans les lycées, dans les associations, rencontrer des politiciens, des hommes religieux, car l’unité est le seul mot d’ordre pour cette cause qui, si on ne fait rien, si on continue à fermer les yeux, nous touchera dans dix, 15, 20 ans et fera de plus en plus de victimes.

    Je sais que je n’ai pas de leçons de morale à donner à qui que ce soit, que ce n’est pas en culpabilisant les gens pour changer leur regard que j’arriverai à faire entendre ce murmure de personnes qui meurent en silence, chez eux, dans la totale indifférence de tous ceux qui, pourtant, un jour, les ont côtoyés.

    Je ne recherche pas une révolution, simplement une évolution. Eux se sont battus en Mai 68, à nous de nous battre pour leur offrir autre chose que le SDMB (le Syndrome Du Mur Blanc) qui, à lui seul, fait beaucoup de dégâts.

    Ni politique, ni religion, car la mort sociale touche tout un chacun

    Merci d’avoir pris cinq minutes pour me lire, car si ce soir en rentrant chez vous, vous allez embrasser vos parents, vos grands-parents, votre vieux voisin, j’aurai déjà réussi à faire trembloter les lignes et si dans un an, on se retrouve et qu’ensemble on a réussi à sauver 10-15-20 mille personnes en mort sociale, on pourra tous se regarder dans un miroir et vous pourrez être fiers de vous.

    Nous étions donc à Paris le 18 mai pour mener ma première conférence aux Petits Frères des Pauvres avec Sylvain Tesson, à Niort le 21 mai pour la fête européenne du camping-car, à Luçon le 5 juin avec le Père Pedro.

    Pour aller plus loin:

    Si vous voulez nous rencontrer, nous offrir l’hospitalité, n’hésitez pas à nous contacter sur la page Facebook “ 101 ans mémé part en vadrouille ”, et si vous voulez organiser une conférence, une rencontre avec des associations, une rencontre dans des lycées ou autres, pour parler du fléau qui est la mort sociale, touchant plus d’un demi millions de français retraités, nous sommes là.

    À voir également sur Le HuffPost: Pour briser la solitude des personnes âgées, cette association encourage les jeunes à écrire des lettres