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      Vladimir Poutine rêve d’une PlayStation russe

      news.movim.eu / Numerama · Tuesday, 2 April - 07:47

    ps5 playstation 5

    Le gouvernement russe envisage de créer son propre marché du jeu vidéo, alors que Microsoft, Sony et Nintendo ont lâché l'affaire depuis maintenant plusieurs mois. Ce n'est pas un poisson d'avril.

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      Les « Vulkan Files » révèlent comment le Kremlin mène sa cyberguerre contre l’Occident

      news.movim.eu / Numerama · Friday, 31 March, 2023 - 08:50

    Un lanceur d'alerte a révélé une base de données dévoilant des plans et les opérations de cyberattaques contre l'Europe et les États-Unis depuis plusieurs années. [Lire la suite]

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      Les poutiniens et leur scabreux retour à la réalité

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 7 March, 2023 - 03:50 · 15 minutes

    L’un après l’autre, les mensonges sont exposés, les mauvais prétextes démontés, et les poutiniens se retrouvent face à la réalité. La Russie n’est pas une hyperpuissance, juste un gros acteur régional. Et l’OTAN jamais n’a été une menace pour la Russie, la preuve en est apportée aujourd’hui. Ce double déni de réalité des poutiniens a coûté aux Russes au moins une génération de retard dans leur épanouissement culturel et économique.

    Si tous les autocrates étaient vénaux, ils tueraient moins. Ils se laisseraient acheter. Les pires gouvernants ne sont pas les kleptocrates, mais les sincères, les honnêtes, ceux qui ont la foi et sont persuadés de faire le bien, car la conscience morale ne voit pas de crimes dans les actes perpétrés pour la bonne cause. Le président Poutine est de ceux-là. Il accomplit une mission. S’il posait les problèmes en termes d’intérêt, on pourrait négocier. Mais on ne marchande pas avec ceux que le destin a chargés d’un devoir historique.

    Quelle est cette mission poutinienne ?

    L’homme l’a décrite lui-même dans plusieurs interventions, et pour prendre parmi les plus récentes, son adresse à la nation du 24 février 2022, le jour de l’agression contre l’Ukraine, et celle au forum de Valdai (« le Davos des autocrates »), le 28 octobre 2022.

    Deux objectifs ressortent clairement de ces déclarations :

    1. Redonner à la Russie la coprésidence du monde qu’elle exerçait à l’époque soviétique avec les USA. Ou au moins, siéger dans un triumvirat qui inclurait la Chine
    2. Repousser l’OTAN hors de la partie orientale de l’Europe, sinon du continent tout entier, où Poutine prétend que cette organisation constitue pour la Russie « une menace existentielle ».

    Ces buts exprimés viennent de loin. Ils naissent d’une vision du monde westphalienne, collectiviste, informée par une philosophie politique, qui part de Platon, salue au passage tous les penseurs de l’autocratie, depuis les plus présentables, Hobbes , Hegel, Marx, jusqu’aux plus sulfureux, Julius Evola, Alexandre Douguine , en saupoudrant d’une bonne dose de religion orthodoxe et en complétant par quelques politologues contemporains, comme Samuel Huntington et John Mearsheimer.

    Je tenterai de résumer cette philosophie politique très construite, très cohérente, dans le second article de cette série. Mais d’abord, quelles illusions les poutiniens doivent-ils perdre pour revenir à la réalité ? Il leur faut admettre que la Russie ne sera plus jamais une hyperpuissance. Ensuite il leur faut dissiper cette illusion (à moins que ce ne soit qu’un prétexte cynique) que l’OTAN présente pour la Russie une « menace existentielle ».

    La Russie échoue à la coprésidence du monde

    Il était bipolaire, les USA et l’URSS décidaient de son avenir dans une rude concurrence.

    Puis le monde n’a compté qu’une seule vraie puissance. Et ce n’était pas la Russie. Ça ne pouvait pas l’être, avec son économie rouillée, son territoire raboté, ses gouvernements successifs incompétents, corrompus et gravement paranoïaques. Poutine le sait et ça lui reste en travers de la gorge. Il s’est senti profondément insulté, rapportent les observateurs, lorsqu’ après avoir capturé la Crimée , il s’est attiré la raillerie du seul rival digne de lui dans son esprit, le président des États-Unis : « La Russie est une puissance régionale qui met en difficulté ses voisins, non du fait de sa force, mais de sa faiblesse. »

    Ça fait mal ! Poutine est de ces personnes qui identifient leurs projets à eux-mêmes. Le trait est fréquent chez les fondateurs d’entreprises, les chefs de parti politique, souvent les artistes, mais surtout les autocrates. « L’État, c’est moi ! » « Je suis la France. » Les avanies que ces individus subissent, le ressentiment qu’ils éprouvent, la violence qui surgit en eux, toutes ces émotions deviennent des actes de gouvernement. Peu importe la nature du projet, réalisable ou pas, bénéfique ou pas à la population, seule compte la vision qui les porte. Ce déni de réalité est un mécanisme psychologique, expliquent les psys. C’est une défense en réaction à un traumatisme. Nul ne sait de quel traumatisme l’homme Poutine se protège, son enfance fut agitée, paraît-il, mais les Russes sont mal guéris de l’effondrement de l’URSS, et lorsque leur président les berce d’un fantasme de toute-puissance et attise en même temps un délire de persécution et brandit une « menace existentielle » de l’OTAN aux frontières, ils écoutent. Ils se sentent confortés. Pourtant, s’ils réfléchissaient, la contradiction de ce discours – invincibilité/vulnérabilité – ne devrait pas les rassurer.

    Je l’ai écrit dans d’autres articles sur Contrepoints , et c’est évident, le président Poutine veut capter l’attention du monde. Il réussit. En razziant ses voisins depuis 20 ans, en Tchétchénie, en Géorgie, dans le Caucase du nord, en Ukraine, avec une « drôle de guerre » après 2014, puis une invasion en règle il y a un an, sans compter les interventions en Syrie et en Afrique, on parle de lui, il fait l’ouverture des JT et sature les fils Twitter. Le maître du Kremlin est une vedette mondiale. Certains le craignent, peu l’admirent. Et le jeu finira mal pour les Russes, appauvris et pleurant leurs morts. N’est-ce pas le sort des Russes qui seul devrait compter pour leur président, et pas celui de l’entité artificielle, appelée Russie ?

    L’histoire est la nécrologie des grandes entités disparues, ces puissances que furent Athènes, la Perse, Rome, la Chine impériale, les Habsbourg, les Ottomans… L’empire colonial russe était formé de conquêtes contiguës. Elles sont restées sous le joug plus longtemps que les possessions outre-mer des Britanniques et des Français. Mais on ne trouvera aucune raison politique, économique, historique ou morale pour que cet empire russe perdure. C’est la guerre coloniale de nos grand-papas que Poutine a engagée.

    Mais pourquoi ? Quel sens donner à cet impérialisme ?

    Des historiens trop imprégnés de marxisme ont postulé que toute guerre a un fondement économique. Elles viseraient l’appropriation de terres et de matières premières. On peut douter que des millions d’hommes au cours des siècles fussent partis au casse-pipe pour des affaires de bilans et de budgets. Il leur fallait une autre chanson, la patrie, la terre sacrée des ancêtres, la révolution, Dieu… La question est de savoir quelle légende motive aujourd’hui les vatniks , les décervelés par la propagande du Kremlin, et les mobiks , les mobilisés, qui se font hacher menu pour une cause qui n’est pas la leur, sur un territoire qui n’est pas à eux et dans une guerre dont les survivants porteront la honte.

    Cette affabulation qui les envoie à la mort n’est en tout cas pas la dénazification de l’Ukraine. Il y a des débiles et puis il y a même des débiles plus profonds qui croient les télévisions russes, mais la débilité ne peut aller jusqu’à gober l’existence d’un gouvernement nazi à Kyiv. Reste l’argument de la menace que l’OTAN ferait courir à la Russie.

    L’OTAN n’a jamais menacé la Russie, et nous en avons la preuve aujourd’hui

    Elles seront rendues publiques un jour, les historiens les décortiqueront, et les archives révéleront quelles garanties la Russie a reçues que l’OTAN ne s’étendrait jamais à l’est de l’Allemagne (une conversation à bâtons rompus entre le ministre James Baker et le président Gorbatchev ne peut guère constituer une garantie).

    Mais qu’importe ? Qui serait perdant dans cette affaire ? L’OTAN encerclant la France empêche-t-elle les Français de bien vivre ? Les Italiens et les Allemands, qui hébergent des bases de l’OTAN sur leur propre territoire, sont-ils moins heureux, moins prospères, leurs libertés sont-elles étouffées par cette présence ? Et si l’on perçoit l’OTAN comme un ogre dévorant, pourquoi les Polonais, les Baltes, les Roumains, ont-ils tambouriné des années à la porte des chancelleries occidentales pour être placés sous sa houlette ?

    La réalité est que l’OTAN n’a jamais représenté la moindre menace pour les Russes. Nous en avons la preuve. La voici :

    Il était déjà impensable qu’une organisation de 30 membres dont les décisions sont prises à l’unanimité, puisse voter un beau matin d’attaquer le géant russe. Même Poutine n’y croyait pas. Or maintenant que la Russie est clairement l’agresseur d’un pays européen, que ses troupes ont pris d’assaut des territoires ukrainiens, l’OTAN tient l’occasion de tailler des croupières à la Russie, si tel était son but. Le bon droit avec elle. Le prince des casus belli derrière elle. Le rêve du va-t-en-guerre réalisé pour elle.

    Or que font les pays de l’OTAN, soutiens de l’Ukraine ? Ils livrent des armes, mais seulement défensives, et au compte-gouttes. Ils refusent les avions, les missiles, les canons à très longue portée, les drones à large rayon d’action, que l’Ukraine pleure pour avoir. Pourquoi ? Comment expliquer cette retenue ? Parce que, disent les dirigeants de l’OTAN, il se pourrait que les Ukrainiens frappent une cible sur le territoire russe. Peut-être même par accident.

    Voilà la « menace existentielle » que l’OTAN présente pour la Russie. Il n’est pas question de l’attaquer aujourd’hui. Parce qu’il n’en a jamais été question.

    Tous ceux qui en sont encore à rebattre cette antienne du Kremlin que la Russie se protège de l’OTAN doivent d’abord expliquer pourquoi l’OTAN ne déverse pas le feu de l’enfer aujourd’hui sur les terres russes. Sans cette explication, l’argument de « la menace existentielle » est du pipeau.

    Au contraire, on peut affirmer que loin d’avoir voulu détruire la Russie, les pays de l’OTAN, à travers leurs entreprises, ont largement investi en Russie, ont développé et modernisé son potentiel économique – et ce n’est pas la faute de ces investisseurs si la corruption à tous les niveaux, la législation embrouillée, et le risque politique ne leur ont pas permis de faire plus.

    Mais c’est vrai que l’OTAN gêne le pouvoir russe. Totalement vrai. Les fourbes poutiniens sont devant l’OTAN comme le renard qui voit le fermier clôturer sa basse-cour. Le renard proteste. Le grillage lui gâche la vue, lui fait de l’ombre. La réalité est qu’à cause de la clôture, il n’a plus la possibilité de saigner des poules.

    L’OTAN n’a jamais menacé personne. L’OTAN essaie de protéger ses membres, et le comportement russe depuis deux décennies prouve la nécessité de cette protection.

    Pas de paix durable sans déroute de la Russie

    Le sous-titre est provocateur. Il n’est pas incorrect. Il reflète une réalité géopolitique qu’on peut décrire.

    Cette réalité, c’est l’égarement des Occidentaux dans leur relation avec la Russie, le pacifisme schlinguant le gaz des Allemands, la russophilie naïve des Français et des Italiens, la courte vue des Anglo-saxons (plus la sympathie de Trump pour un compère autocrate) et la surdité de tous aux avertissements des pays de l’Est, qui avaient payé pour connaître le gang du Kremlin.

    La théorie applicable à ce gang comme à tous les autres est celle de la « vitre brisée ». Si dans un quartier une vitre brisée n’est pas vite remplacée, si une épave n’est pas enlevée et les graffitis effacés, le sentiment d’impunité chez les auteurs favorise l’escalade des incivilités vers toujours plus de délinquance et de violence.

    L’autocratie de Poutine a suivi la théorie. Elle s’est affirmée au cours de l’hiver 1999-2000 par la répression d’une férocité indicible du mouvement indépendantiste tchétchène. Puis il y a eu la prise de contrôle sur les médias, l’étouffement de l’opposition, la manipulation des élections, mais pour en rester à la politique étrangère sur laquelle les autres États avaient à se prononcer, il fallait punir les violations du droit international, la mainmise sur le nord de la Géorgie en 2008, l’invasion de l’est de l’Ukraine en 2014 et l’annexion de la Crimée. Or ces crimes sont restés impunis, ou presque. Chacun a marqué une escalade sur le crime précédent. Et nous voici donc depuis le 24 février 2022 avec une guerre totale en Europe.

    L’impunité nourrit le crime. L’impunité doit cesser.

    (Cette guerre se terminera lorsque les diplomates s’en saisiront. Mais tant qu’ils ne discutent pas, la seule exigence moralement acceptable est celle de la « déroute de l’envahisseur », la « victoire totale » et le « châtiment des agresseurs ». Entend-t-on des dirigeants russes dire qu’il ne faut pas « humilier Zelenski » ? Ils évoquent plutôt l’apocalypse nucléaire. Ils n’entravent pas à l’avance la position de leurs négociateurs. Paraphrasant Khrouchtchev, qui lui-même citait Staline, le mandat des diplomates russes autour du tapis vert tient dans une formule « Ce que nos soldats occupent est à nous, ce qui reste est négociable. »)

    Deux poids différents, deux mesures appropriées

    Un dernier mot sur l’impunité.

    L’argument ne tient pas, qui relève que les Occidentaux aussi ont commis des crimes, et donc n’ont pas à juger ceux d’autrui. Bien sûr que les Occidentaux ne sont pas sans reproche. Mais la culpabilité des uns n’absout pas les autres. Ce n’est pas parce que Sophie est une délinquante qu’on ne peut pas juger les délits de Marie. Mais si l’on cause de paille et de poutre, on doit noter que chaque intervention soviétique, puis russe, a voulu renforcer un pouvoir criminel, en Allemagne de l’est, en Corée du Nord, Hongrie, Pologne, Vietnam, Cuba, Syrie, et contre les réformistes du commandant Massoud en Afghanistan…, alors que chaque intervention militaire de l’Occident (si mal avisée qu’elle fut sur le moment) a voulu libérer les peuples de ces mêmes régimes oppresseurs et de leurs odieux semblables, Corée, Vietnam, Irak, Talibans afghans, Somalie, Kosovo, Bosnie, Lybie…

    Deux poids, deux mesures, c’est vrai, parce que d’un côté, on juge des criminels et leurs complices, alors que dans l’autre plateau de la balance, on pèse les intentions louables (hélas, souvent infructueuses) de ceux qui veulent militairement renverser ces criminels.

    Le plus grand crime de Poutine devant l’Histoire n’est pas ce qu’il a fait

    En devenant l’homme fort du Kremlin après les turbulences sous son prédécesseur, Poutine pouvait engager son pays sur la voie du rattrapage économique de l’Occident. Il pouvait apporter la prospérité à son peuple sans cesser d’être autocrate. Nombre d’experts soutiennent qu’un régime autocratique, qui vise la modernisation du pays, présente des avantages sur un régime libéral. Lorsque le chemin de la croissance est déjà tracé par d’autres, il n’y a pas besoin de débattre. Il suffit de copier ce qui a fonctionné. Les précédents sont probants : Chiang Kai-shek à Taïwan, Park Chung-hee en Corée du Sud, Lee Kuan Yew à Singapour…, et on pourrait même ajouter Deng Xiaoping en Chine.

    Ce sont ces précédents qui ont fait espérer en Occident que les dictatures chinoise et russe n’étaient que provisoires. Une fois enrichis, arrivés au stade où l’on ne peut plus copier, où il faut innover, ces pays auraient besoin de contestataires, de perturbateurs, donc de libéralisme dans tous les domaines.

    C’était cependant réfléchir en individualiste et oublier que pour les collectivistes le but de la politique n’est pas la satisfaction des personnes mais le renforcement du pouvoir de l’État, la grandeur du pays et son statut géopolitique. Dans ce contexte, le président Poutine a déjà perdu la partie. Quelle que soit l’issue de la guerre, même si elle est victorieuse, ce qu’à Dieu ne plaise, la Russie sera militairement dégradée, démographiquement sapée, économiquement sur la paille et géopolitiquement discréditée. Elle se voulait l’égale des États Unis, elle aurait pu être une puissance économique mondiale, elle terminera vassale de la Chine, comme un pays sous-développé, juste bon à fournir des hydrocarbures tant qu’on en aura l’usage.

    Mais les Russes ne doivent pas juger l’échec de leur gouvernement par rapport à la situation d’avant-guerre. Il leur faut encore mesurer le coût d’opportunité . Si leur gouvernement avait suivi la voie allemande, japonaise, sud-coréenne de reconstruction, aujourd’hui, après 20 ans d’inclusion dans l’économie libérale, quelle n’eût pas été leur qualité de vie, leur niveau de revenu, leur confort matériel, leur accès à la culture mondiale, et donc leur légitime fierté – non pas celle d’être craints, mais d’être enviés ?

    Et juste retour des choses : aux frontières de la Russie rompue, l’Ukraine sera reconstruite – comme le furent le Japon, l’Allemagne et la Corée du Sud après la guerre – une Ukraine sûre d’elle, hypermodernisée, compétitive, une véritable puissance européenne.

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      Vers une Europe de la défense ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 27 February, 2023 - 12:00 · 6 minutes

    Kiev serait-elle la nouvelle destination diplomatique à la mode ? En tout cas, les dignitaires occidentaux s’y relaient avec application et après Biden ou Von Der Leyen, c’est au tour du Premier ministre espagnol de s’y rendre . Apparemment, la capitale ukrainienne serait l’endroit indispensable où se montrer pour espérer avoir droit à une photo dans les médias grand public…

    De loin, on pourrait presque croire que tout ce qui est diplomatique, militaire et européen se passe en fonction de Kiev : en surface, l’économie de l’Union européenne paraît s’organiser pour l’effort de guerre contre la Russie. On voudrait nous faire croire que l’Union est en train de devenir un centre de défense militaire qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

    Malheureusement, la réalité est un peu moins palpable.

    Ainsi, on force de façon un peu grossière l’image d’une Europe soudainement unie face à ce qu’on brosse maintenant comme un ennemi commun alors que, en cela comme dans tout le reste, l’Europe avance encore une fois en nuage dispersé, indiscipliné et dont les membres ne sont clairement pas tous intéressés par le même but ni les mêmes méthodes.

    D’une part, la dépendance de l’Europe vis-à-vis des ressources (notamment énergétiques) étrangères et notamment russes est très différente d’un État membre à un autre ; de ce point de vue, l’ambiguïté évidente est totale de la part de l’Allemagne et de ses jolis moulins à vent inefficaces, qui a continué à s’alimenter en gaz russe jusqu’à l’explosion des pipelines Nordstream. À présent, elle continue à consommer de grosses bouchées dodues de charbon russe sans que ni la presse, ni les politiciens ne s’en émeuvent (ou alors, c’est fort discret).

    D’autre part, les intérêts économiques tissés depuis des décennies des deux côtés de l’Oural sont si nombreux que couper net les ponts avec la Russie est bien plus facile à pérorer devant des parlementaires ou dans les médias qu’à réaliser effectivement (et la France est du reste assez mal placée pour donner des leçons ).

    Enfin, on a largement pu observer que la distribution musclée de sanctions particulièrement mal conçues a bien plus sûrement plongé l’Europe dans l’embarras que la Russie. Est-il utile de revenir sur les petits prouts stridents que le Bruno de Bercy émet à présent que l’économie russe ne s’est pas du tout effondrée, au contraire de l’économie française ?

    Autrement dit, à mesure que les mois de conflit s’additionnent, l’unité européenne n’est plus qu’une façade entretenue par la presse et les sourires crispés des politiciens. Dans les couloirs feutrés du Conseil de l’Union, les choses sont nettement moins roses.

    En effet, au-delà des dissensions entre États membres sur les sujets économiques et politiques, les dissensions sur les aspects militaires ne s’amoindrissent guère non plus, d’autant plus que la guerre en Ukraine est un devenu prétexte à lancer l’idée que « l’Europe de la défense » serait quelque chose de souhaitable voire possible et ce alors même que la simple coopération de deux ou trois membres européens sur le même programme militaire relève de la gageure qui a échoué plus d’une fois ; il n’est qu’à se rappeler des essais d’avions ou d’hélicoptères « européens » (ou maintenant de drones) pour comprendre que cette Europe militaire tient plus pour le moment d’un vœu pieu que d’une réalité ou d’une possibilité tangible, solide.

    En outre, l’Union européenne semble vouloir s’additionner à l’institution militaire déjà en place, à savoir l’OTAN.

    Cela ne peut pas se passer sans heurts : dans le meilleur des cas, on obtiendra un doublement des étages administratifs. On peine à voir l’intérêt. Dans le pire des cas, on aboutira à une concurrence bureaucratique difficilement saine pour un commandement militaire d’autant que les buts de l’OTAN ne recouvrent assurément pas ceux de l’Union en matière géostratégique.

    Pour illustrer ce dernier point, il n’est qu’à voir l’épisode récent et tragicomique de l’idée de livrer des chars d’assauts à l’Ukraine pour comprendre la mécanique d’enfumage actuellement à l’œuvre en Europe et l’absence de toute coordination européenne à ce sujet.

    Rappelons que Zelensky, le président ukrainien, a récemment réclamé de nouveaux bataillons de tanks, les siens ayant été plus ou moins éparpillés lors de l’année écoulée. Il fut donc – assez mollement – décidé que les pays européens lui en fourniraient quelques-uns (on évoque une centaine de différents types puisque les Allemands, les Français et les Britanniques semblaient prêts à fournir ces véhicules).

    Sans même s’appesantir sur les aspects purement logistiques – autant d’engins différents imposent pièces détachées et main-d’œuvre formée en nombre suffisant, ce qui n’est ni simple ni rapide à obtenir pour le dire gentiment – rappelons que l’Allemagne avait subordonné sa livraison de chars Leopard à la livraison de chars Abrams par les États-Unis. Manque (commode) de chance pour les Américains : il s’avère que ces derniers chars ne seront pas livrés avant plusieurs mois au mieux ; non seulement l’armée américaine ne veut pas se départir de ceux dont elle dispose pour elle-même, mais en plus il apparaît aussi que ceux qui seront livrés (un jour peut-être) devront être « adaptés » pour le terrain ukrainien, c’est-à-dire rétrofittés pour éviter toute récupération technologique par l’ennemi russe.

    Autrement dit, ces chars américains pourraient bien arriver comme la cavalerie des Tuniques Bleues, c’est-à-dire après la guerre. Les Allemands, dont quelques-uns de leurs Leopard sont apparemment déjà en chemin vers l’Ukraine, pourraient l’avoir saumâtre, passant une fois encore comme les dindons d’une tragique farce américaine qui démontre assez bien les objectifs de l’OTAN assez peu Europe-compatibles.

    En fait de créer une force armée unifiée, comme à son habitude l’Europe s’enlise mollement dans ses petites gesticulations habituelles et ses manigances de politique politiciennes. Profitant de l’occasion, la Pologne semble décidée à largement renforcer sa propre armée, pensant même pouvoir prétendre rapidement à devenir la première puissance militaire européenne . On lui souhaite bien du courage (notons néanmoins qu’étant en dehors de la zone euro, les Polonais pourraient s’en sortir mieux que les autres puissances militaires européennes).

    En définitive, c’est probablement le seul point saillant de l’aspect militaire en Europe, provoqué par cette invasion russe en Ukraine : elle a clairement montré l’état sous-optimal des armées européennes actuelles, qui se sont beaucoup trop reposées sur le parapluie américain au point d’en être devenues les vassaux plus ou moins volontaires. L’explosion actuelle des budgets militaires européens chez les principaux États membres montre cette prise de conscience et l’absence criante de toute organisation européenne au-delà de l’OTAN démontre s’il le fallait encore que « l’Europe de la Défense » n’est encore qu’un rêve même pas humide.

    Du reste, peut-on s’en étonner ? Une armée unique suppose une unification bien plus forte, bien plus profonde des États européens et notamment une harmonisation fiscale qu’aucun État membre ne désire vraiment. Et d’ailleurs, du point de vue du citoyen lambda, un super-État européen, avec armée et fiscalité européenne, est-ce vraiment souhaitable ?

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      Discours de Poutine : un keynésianisme nationaliste et militaire

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 22 February, 2023 - 04:30 · 3 minutes

    Hier, Vladimir Poutine s’est adressé à la Douma, l’Assemblée nationale russe. Discours très attendu, il marque l’anniversaire du début de l’invasion de février 2022. Si le président russe n’annonce pas de mesures exceptionnelles concernant l’« opération spéciale » en Ukraine, ses propos sont instructifs sur la direction interne que prend la Russie.

    La majorité du discours met l’accent sur le développement et le futur de la Russie à l’aune du conflit ukrainien. Si l’on retrouve l’idée de prendre ses distances avec l’Occident qui aurait profité de la Russie , c’est le modèle économique promu par Poutine qui est plus apparent que jamais. Une forme de keynésianisme nationaliste et militaire où l’État, bien que ne rejetant pas l’économie de marché en soi, intervient activement pour pousser de grands projets de développement.

    Si l’interventionnisme économique de l’État est aussi monnaie courante en Occident, le modèle promu par Poutine se distingue par des valeurs nationalistes et rejetant l’Occident, tout en rapprochant le pays de la Chine.

    Une Russie traditionnelle et militarisée

    Le président russe a mis l’accent sur les valeurs de la Russie. Rejetant un Occident jugé décadent (Poutine déclare que « la pédophilie est la norme en Occident »), il prône un discours sociétal clairement réactionnaire (toujours selon Poutine, « le mariage est une union entre un homme et une femme »).

    Plus importante encore est la dimension militariste qui domine les propos de l’autocrate. Même si l’action russe en Ukraine est toujours présentée comme une action antiterroriste, Poutine est conscient que la Russie est de fait dans un conflit de haute intensité. Cela l’amène à prôner un modèle économique tourné vers la guerre avec un investissement et une intervention de l’État accrus, notamment dans les secteurs visant à soutenir l’armée.

    Il annonce la création d’un fonds spécial pour assurer un soutien financier aux combattants et à leur famille. Mais surtout, il appelle au renforcement du complexe militaro-industriel et à un soutien pour les travailleurs de ces industries comme par exemple des logements et des aides.

    Le président a aussi axé ses propos sur la reconstruction et le développement des régions du Donbass annexées en 2022. Il a annoncé des programmes de planification d’infrastructures visant à développer le pays. Rejetant l’influence jugée délétère de l’Occident, il souhaite une économie davantage tournée vers le marché intérieur et vers le reste du monde. Poutine réaffirme que la Russie est une civilisation est qu’elle doit être considérée comme telle.

    La guerre fortifie l’État

    Ce discours est encore une preuve que la guerre tend à renforcer l’interventionnisme de l’État au détriment de l’économie de marché et de l’individu. Dans Du Pouvoir, Histoire naturelle de sa croissance , Bertrand de Jouvenel pointe la manière dont la guerre conduit au renforcement des pouvoirs du commandant et du chef au détriment des libertés sociales.

    La Seconde Guerre mondiale a conforté la puissance de Staline en URSS, mais aussi, dans une moindre mesure, de l’État fédéral américain (qui s’était déjà renforcé durant la « red decade » rooseveltienne). L’émergence de ce que Eisenhower appela le complexe militaro-industriel en est une des conséquences, couplée à la guerre froide.

    Dès lors, le conflit ukrainien n’a pas affaibli l’emprise de Poutine sur la Russie, mais au contraire est en train de lui donner un prétexte et une situation favorable à son renforcement.

    Un tournant vers la Chine ?

    Ce tournant vers une économie de marché contrôlée rapproche Moscou du modèle chinois d' »économie socialiste de marché ». Ce système combine l’existence d’un capitalisme avec un contrôle autoritaire de l’économie. Ce dernier se faisant au prétexte collectiviste de « l’intérêt général » du pays et de ses valeurs.

    Au final, ce discours acte le tournant du régime russe vers le modèle chinois et sa prise de distance vis-à-vis de l’Occident. Reste à voir quelles seront les conséquences pour l’économie russe et pour l’économie mondiale.

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      Individualisme ou collectivisme (3) : a propos de l’extension de l’OTAN

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 17 February, 2023 - 03:30 · 10 minutes

    La propagande poutinienne met en avant deux justifications de la guerre déchaînée contre l’Ukraine. La première est l’extension de l’OTAN depuis 1997, qui représenterait pour la Russie une menace existentielle. La deuxième justification est idéologique. La Russie serait engagée dans un combat civilisationnel pour la défense des valeurs chrétiennes et slaves, pour le maintien de l’ordre collectiviste westphalien, contre l’individualisme libéral et la mondialisation.

    À Yokosuka, une lointaine banlieue de Tokyo, à l’extrémité de la baie, les Japonais ont aménagé un parc et érigé un monument consacrés tous deux au commodore Matthew C. Perry . Ce marin commandait une escadre de « vaisseaux noirs », des bâtiments de guerre dépêchés par le gouvernement américain pour forcer le Japon à ouvrir ses ports et commercer avec le monde extérieur. En effet, depuis 1603 le pays ermite interdisait à ses ressortissants de le quitter et ne laissait aborder, à Nagasaki seulement, que de rares étrangers, essentiellement des Hollandais. Le 14 juillet 1853, après deux siècles et demi d’isolationnisme, l’empereur cède. Un traité de commerce est signé. Perry a gagné.

    Il faut de la vigueur morale pour reconnaître qu’on s’est trompé. Les Japonais auraient pu vivre le coup de force de Perry dans le ressentiment. Ils auraient pu se sentir humiliés – comme les Chinois, qui n’ont cessé depuis un siècle de récriminer sur les « traités inégaux », ou les Latino-Américains, qui chignent encore sur la « diplomatie de la canonnière ». Les Japonais, eux, en 1901, ont élevé ce majestueux monument au capitaine des canonnières, et à l’endroit même où Perry reçut la reddition des envoyés de l’empereur. Car les Japonais avaient compris que la défaite n’était pas la leur mais celle d’un système féodal répondant à une époque de leur histoire, et qu’ils pouvaient mettre en place un autre système indispensable à une époque nouvelle. Perry n’était pas leur vainqueur, mais leur mentor.

    Les Russes ne sont pas des Japonais. Il faut croire que la célébrée « âme russe » n’a pas la résilience manifestée par celle des fils du soleil levant. Elle n’apparaît capable que de souffrance et de ressentiment. Les Russes n’ont rien compris de l’expérience soviétique et rien appris du succès de leurs vainqueurs.

    La Russie de la rancœur et de la mythomanie

    « Nous avons perdu la guerre froide, nous sommes humiliés » geignaient des Russes que je côtoyais dans les années 1990. « Et vous avez toutes les raisons de l’être, je ne manquais jamais de répondre. 70 ans de dictature barbare, vos goulags, des dizaines de millions d’exécutions arbitraires et de déportations, tant d’autres vies gâchées, une économie ruinée – qui ne serait humilié d’appartenir à ce pays ? » 1

    Mais le redressement est toujours possible. La voie pour y parvenir fut suivie par l’Allemagne. Aucun pays ne subit plus d’opprobre que celui-là après 1945. Aujourd’hui, dans le monde entier, Made in Germany estampille des merveilles de technologie et de design, de Porsche à Bosch, de SAP à Siemens, de DHL à Adidas, d’Audi à Aldi… Les Allemands sont respectés. Les Russes n’ont pas choisi cette voie du redressement économique. Ils en avaient les moyens, une population instruite, des ressources naturelles, un vaste marché intérieur… Mais ils n’ont pas débolchevisé. Les cadres du vieux Parti sont restés au pouvoir. Le petit chef qu’ils se sont donné a préféré le canon au beurre, les armes à l’abondance, la menace au marché. 2 Dans un monde que façonnent des mastodontes économiques, USA, EU, Chine, Japon…, les Russes sont des avortons.

    Au G7, devenu G8 après qu’on eut admis la Russie en 1997 (autant pour ceux qui prétendent qu’on a tourné le dos au pays après la chute de l’URSS), Poutine s’est plaint que George W Bush, puis Obama, ne le traitaient pas en égal. Il imaginait un format « G2 + 6 », et voilà qu’il était ravalé au rang des « petits », le Japon, l’Allemagne, la France… Qu’espérait-il ? L’économie russe était la moins développée de tous les pays présents. Mais seul compte pour un autocrate le pouvoir de tuer, et l’héritière des soviets stockait 6000 ogives nucléaires. 3 Pour Poutine, l’économie n’a besoin de fabriquer que des engins de mort. C’est sa logique collectiviste. La production d’armes n’ajoute rien au bien-être des individus, mais elle renforce l’État. Qu’importe que les Russes soient pauvres du moment que la Russie soit redoutée.

    C’est le délire collectiviste à son acmé.

    Premier prétexte de la guerre contre l’Ukraine : l’extension de l’OTAN

    Entre 1999 et 2009, dix pays à l’est de l’Europe ont rejoint l’OTAN. Tous, sauf deux, l’Albanie et la Croatie, étaient des membres du Pacte de Varsovie ou d’anciennes républiques de l’URSS. « Cette avancée de l’OTAN est une menace permanente d’agression militaire contre notre pays, argue la diplomatie russe. Or, en contrepartie de son assentiment à la réunification de l’Allemagne, le secrétaire d’État américain James Baker avait promis à Gorbatchev que les troupes de l’OTAN ne s’étendraient pas à l’est de leurs positions de l’époque. »

    On peut faire remarquer qu’il n’appartenait ni aux Américains ni aux Russes, mais aux seuls Allemands de décider de la réunification du pays. Mais de toute façon, si huit ans plus tard, huit pays est-européens avaient bien rejoint l’OTAN, aucune « troupe de l’OTAN » n’avait pris position dans ces pays. Ces nouveaux entrants n’auraient eu pour attaquer la Russie que leurs propres forces, c’est-à-dire rien. Leur adhésion à l’OTAN ne leur garantissait l’intervention des « troupes de l’OTAN » que si eux-mêmes étaient attaqués.

    Pour la sécurité de la Russie, l’important n’est pas qu’un pays soit membre de l’OTAN sur le papier, mais qu’il possède une capacité militaire d’attaque. Or non seulement aucune « troupe de l’OTAN » n’était stationnée dans ces pays avant 2014, date de la première agression russe contre l’Ukraine (ce qui avait donné quand même à réfléchir), mais les troupes positionnées à l’ouest avait perdu une grande partie de leurs moyens. Confiants dans la nouvelle direction que la Russie semblait prendre après 1991, l’OTAN avait sabré ses effectifs, les Américains s’étaient en grande partie redéployés ailleurs, et les pays européens avaient taillé dans leur budget militaire – le fameux « dividende de la paix » .

    Puisqu’on parle de tanks ces jours, il est utile de rappeler qu’en 1991, l’armée allemande en alignait 7000, les Américains 5000 en Europe ; en Europe aujourd’hui, les Américains n’en ont plus un seul et les Allemands ne peuvent en trouver que quelques dizaines en état de marche. Les Russes menacés ? Ils possèdent entre 12 000 et 15 000 tanks suivant les estimations (avant d’en perdre quelques 1200 en Ukraine ces derniers mois).

    Encore plus effrayantes que les tanks, les armes nucléaires tactiques : en 1991, l’OTAN aurait pu en détonner 3000 sur un théâtre d’opérations, elle n’en compte plus qu’une centaine aujourd’hui. Dans le cadre d’accord de désarmement réciproque, les Russes auraient dû procéder à la même réduction. Mais ne brandissent-ils pas à chaque occasion leurs 6000 ogives nucléaires, dont 2000 tactiques ?

    L’OTAN s’est étendue à l’est, c’est un fait, elle a gagné plus de bras, c’est vrai, mais pas plus de griffes. L’OTAN n’a jamais présenté le moindre risque pour une Russie pacifique et les maîtres du Kremlin le savaient pertinemment. Car pour attaquer la Russie, il eut fallu l’unanimité des 30 pays membres. Elle fut possible un temps pour deux interventions, dites humanitaires, très restreintes, au Kosovo et en Lybie (cette dernière approuvée par le Kremlin), mais on ne peut pas concevoir un instant que les 30 pays tombent d’accord pour envahir la Russie. On constate à quels contorsions et palabres les diplomates doivent se plier aujourd’hui pour maintenir l’unité entre eux, alors que la Russie est clairement l’agresseur.

    Les maîtres du Kremlin ne cherchaient pas à repousser et affaiblir l’OTAN pour s’en protéger, mais bien plutôt pour que l’OTAN ne puisse protéger ses membres que la Russie se réserve en tout temps le droit d’attaquer.

    Pourquoi alors cette agression contre l’Ukraine ? Pourquoi la Russie voulait-elle engager une action militaire massive et cruelle contre un peuple, dont elle affirme en même temps qu’il est de la même culture, de la même famille, qu’il ne forme avec la Russie qu’une seule entité ? Quel intérêt les Russes pouvaient-ils y trouver ?

    À quoi sert l’OTAN pour la Russie ?

    Il faut avoir l’esprit bien collectiviste pour imaginer que l’OTAN a la moindre importance pour les hommes et les femmes de Russie. Leur gouvernement affirme que cette alliance encercle le pays. Mais qu’on y réfléchisse une seconde. L’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni, ne sont pas seulement « encerclés » par l’OTAN, ils sont occupés par l’OTAN. Ils en hébergent des bases et des troupes sur leur territoire. Or, est-ce qu’on vit moins bien en Allemagne, Italie, Espagne, Royaume-Uni à cause de cette présence ? La vie y est-elle plus dure, les gens y sont-ils privés d’initiatives et de liberté à cause de l’OTAN ?

    Et de l’autre côté du front, si le Kremlin oubliait l’OTAN, les Russes seraient-ils plus malheureux ? Si le gouvernement à Moscou se préoccupait moins d’empire et plus d’économie, s’il débâillonnait les médias et libérait les initiatives individuelles, les Russes ne mèneraient-ils pas une vie plus douce, plus enrichissante, parce que moins militarisée. Ils n’alièneraient pas leur culture (pas plus que les Britanniques et les Italiens et les autres n’abandonnent la leur à cause de l’OTAN). Seuls, les ex-KGBistes seraient perdants. Ils perdraient ce prétexte d’une menace extérieure pour oppresser l’intérieur.

    L’OTAN est utile au Kremlin d’une autre manière maintenant que la guerre bat son plein. « La glorieuse armée russe n’est pas tenue en échec par la résistance ukrainienne mais par une formidable coalition de toutes les puissances de l’Occident. » Dit comme ça, l’échec paraît moins minable.

    Si l’OTAN et son extension n’ont pas causé l’agression russe en Ukraine, quelle en est le mobile ? Aucun pays, même aux mains du dictateur le plus cinglé, ne jette des centaines de milliers de ses hommes dans une telle aventure sans raison. Poutine en avait une. Elle est idéologique, réfléchie, argumentée, partagée par son entourage et parfaitement exprimée par lui-même dans ses discours et ses écrits.

    C’est ce mobile idéologique que j’exposerai dans un prochain article.

    1. Les Occidentaux prirent grand soin d’éviter tout triomphalisme après la défaite du bloc soviétique dans la guerre froide. Gorbatchev fut traité par les vainqueurs avec tous les égards, fut même révéré par beaucoup. Ce n’est pas la faute des Occidentaux si les Russes élurent ensuite Boris Eltsine, qui manquait – c’est un euphémisme – de noblesse, et ensuite un petit KGBiste, qui se montra incapable de redresser son pays.
    2. Imagine-t-on un ex-colonel de la Gestapo à la chancellerie de Bonn en 1955 ?
    3. Le Pakistan et la Corée du Nord aussi possèdent l’arme nucléaire. Elle ne leur ouvre pas le portail de la cour des grands.
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      Individualisme ou collectivisme (2) : des libéraux séduits par le collectivisme

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 16 February, 2023 - 03:35 · 8 minutes

    Le chant des sirènes collectivistes mystifie les libéraux. Comment diable peut-on se laisser berner par Vladimir Poutine ?

    Je poursuis ici l’article sur l’opposition irréductible entre collectivisme et individualisme .

    L’actualité illustre ce que signifient vraiment ces deux termes, collectivisme et individualisme. Écoutez les gouvernants chinois et russes. Ils tiennent ce discours collectiviste pur jus :

    « Nous devons réintégrer à notre pays et soumettre à ses lois les individus qui ethniquement et culturellement lui appartiennent, même si par accident historique, ils sont à l’extérieur de notre gouvernement, à Taïwan et en Ukraine. »

    Un dirigeant iranien leur fait écho plus ou moins en ces termes :

    « Notre religion exige que les femmes soient voilées, soumises aux hommes de leur famille et exclues de certaines fonctions dans la société. »

    Mais posons-nous la question : est-ce qu’un quidam à Saint Pétersbourg ou à Irkoutsk vivra mieux, deviendra-t-il meilleur parent, meilleur amant, meilleur voisin, trouvera-t-il plus d’intérêt à son travail, si l’Ukraine est russifiée ? Est-ce que ces autres inconnus à Shanghai et à Wuhan seront en meilleure santé, connaîtront-ils plus de succès dans leur carrière et de joies dans leur famille et de passion pour les arts, si Pékin règne sur Taïwan ? Qu’est-ce qui compte le plus dans votre esprit libéral – les petits drapeaux sur la carte ou la vie des hommes et des femmes sur la planète ?

    Un collectiviste (ils ne sévissent pas qu’au Kremlin, certains écrivent dans Contrepoints ) répond que seuls comptent les petits drapeaux. Chacun a le sien qu’il vénère, son Tricolore, son Union Jack, son Star-Spangled Banner …  Aucune armée ne menace mon petit drapeau, déclarent-ils, alors tout va bien. Les intérêts vitaux de mon collectif ne sont pas en danger.

    Erreur. Grossière, fatale. L’exemple du succès est communicatif. C’est le fondement même du marché économique et des idées. Chacun imite ce qui a fait ses preuves. Une victoire de Poutine, de Xi, des mollahs, serait une leçon enseignée aux apprentis autocrates du monde entier.

    Que veut démontrer cette leçon poutinienne en Ukraine ?

    • que l’individualisme libéral est une expérience historique occidentale, qui a fait son temps,
    • que l’individu toujours doit être sacrifié au collectif,
    • que la violence paie et le maximum de violence garantit le paiement maximum.

    La leçon de Vladimir Poutine

    Cette leçon, on ne l’écoute pas seulement en Russie, en Chine, en Iran, au Moyen Orient, mais aussi dans nos banlieues et nos beaux quartiers, dans nos lycées et nos universités et dans bien des milieux à travers le monde. Si Poutine apparaît victorieux demain, ses élèves mettront en pratique sa leçon le jour d’après.

    Première partie : soyons collectivistes

    Occupons-nous de notre collectif avant de dépêtrer celui des autres. Il n’y a pas de guerre chez nous, en France, à l’Ouest, mais il y a la vie chère, les magouilles politiciennes, les enquêtes de corruption, les incivilités, les élections à venir… C’est ça qui nous importe. Ukraine, Taïwan, Iran… ce sont d’autres mondes, d’autres collectifs. On n’a rien à y faire, même si les populations là-bas nous supplient à genoux de les aider.

    Deuxième partie : blâmons les victimes

    Eh, oui, car ces « victimes » qui nous demandent de l’aide le sont-elles vraiment ? Si on leur tape dessus, ne l’ont-elles pas cherché ? Quelle idée d’enseigner l’ukrainien comme langue officielle ; d’inviter des hauts dirigeants américains à visiter Taïwan quand Pékin fait les gros yeux ; et de provoquer les mâles et les mollahs en marchant tête nue dans les rues ! Ils et elles sont allés trop loin dans la provoc’. Ils et elles n’ont pas volé le châtiment qui leur tombe dessus.

    Troisième partie : prononçons l’oraison funèbre du libéralisme

    Le libéralisme est cette idée saugrenue que tous les êtres humains disposent d’un droit identique à chercher le bonheur. Puisque c’est leur responsabilité, il faudrait permettre aux individus le choix des moyens pour atteindre ce but, les laisser nouer des liens à leur guise, former des associations à leur initiative, entreprendre librement dans tous les domaines. « Mais pas du tout, entonnent en chœur les autocrates, kleptocrates et théocrates. Ces droits ne sont pas attachés aux individus (quel horrible individualisme !). Ils sont conférés par une collectivité politique à ses membres, et les dirigeants définissent le périmètre de ces droits, plus ou moins étiré selon les circonstances. »

    L’idée mise en avant par les idéologues de Poutine, les Goumilev, Douguine , Surkov, et al., par les théoriciens du Parti communiste chinois, par les théologiens iraniens et par bien d’autres mauvais penseurs en Occident, est de nier cet universel humain. Le libéralisme est mort. L’humanité, affirment-ils, est pour toujours éclatée. Chaque peuple, chaque groupe de peuples partageant une même civilisation, doit suivre son destin dans un silo séparé des autres, avec ses institutions propres, son économie fermée, son internet verrouillé, son système protégé des influences délétères d’autres peuples.

    « Bref, réclament les autocrates, on ne vous critique pas, on vous laisse traiter vos populations comme vous l’entendez, alors laissez-nous agir dans notre pays souverainement ; laissez-nous bâillonner, embrigader, opprimer, emprisonner, sacrifier nos sujets à nos intérêts et ceux de notre collectif. Chacun chez soi. Don’t tread on me . »

    Comme si un pays était leur propriété privée, comme si un peuple appartenait à ses dirigeants.

    Des États souverains, des individus qui ne le sont pas et l’immunité pour les autocrates

    C’est une vieille idée platonicienne, dépoussiérée au XVII e siècle pour illustrer une vision du monde portée par le Traité de Westphalie et la maxime plus ancienne qui l’inspira, Cujus regio, ejus religio « tel souverain, telle religion ».

    En dépliant la traduction, on obtient : chaque gouvernement décide seul de sa politique sur son territoire. Le but était d’en finir avec les guerres de religion qui avaient ravagé l’Europe pendant plus d’un siècle, les souverains catholiques volant au secours de leurs coreligionnaires persécutés dans les États protestants, et inversement. Avec la doctrine westphalienne, le souverain n’a plus à craindre l’ingérence d’autres gouvernements. Il persécute chez lui impunément.

    Le principe a eu la vie dure. Avec des exceptions, il a régi la diplomatie mondiale jusqu’à la fin du siècle dernier laissant les mains libres et sanglantes aux grands bourreaux de leur peuple, Hitler, Staline, Mao, Pol Pot, et autres massacreurs.

    Ces dernières décennies, les diplomates ont travaillé à établir un nouvel ordre mondial, fondé non plus sur l’impunité des dirigeants politiques mais sur la protection de leurs sujets. Non seulement l’ingérence n’est plus bannie, comme au temps westphalien, elle devient un devoir. La communauté nationale a désormais l’obligation morale d’intervenir lorsque des vies humaines sont menacées, tant dans le cas d’une catastrophe naturelle que d’une catastrophe politique, une tyrannie, une persécution, un génocide…

    Un libéral ne peut logiquement qu’applaudir. Les libéraux n’ont pas pour programme de défendre les États et les oppresseurs. Ils reconnaissent que sauver des vies humaines n’est pas praticable dans tous les cas. L’intervention peut se révéler trop complexe, mettre en danger trop de sauveteurs ; il faut du discernement, balancer les risques. Mais la prescription est sans équivoque. Chaque fois que c’est humainement faisable, il faut porter secours aux victimes.

    L’individualisme comme principe moral exige la solidarité des honnêtes gens

    L’injonction découle du fondement même du libéralisme et de l’individualisme.

    Si les individus sont souverains, ils doivent se montrer solidaires dans la protection de cette souveraineté. Nécessairement. Seul, à un contre dix, un contre cent, la souveraineté n’a pas de sens. Prétendre que si un écolier est harcelé par toute sa classe, il n’a qu’à rendre les coups, les parents et les maîtres n’ont pas à s’en soucier ; que si une femme est molestée par une grande brute, elle n’a qu’à cogner plus fort ; que si les Chinois sont tyrannisés, ils n’ont qu’à se révolter ; que si les Ukrainiens sont envahis par la deuxième armée du monde d’un voisin trois fois plus peuplé, c’est à eux de combattre sans appui extérieur, ce type d’argument qu’on lit trop souvent, et même sur le libéral Contrepoints , n’est pas seulement inepte, il est abject. Il déclare l’impossibilité de tout projet libéral, puisque personne ne peut compter que sur soi. Pire, il exprime une démission de notre dignité d’être humain.

    Ce n’est pas seulement ployer l’échine aux bastonneurs et tendre le cou aux garotteurs, c’est signaler aux criminels que non seulement on ne résistera pas (ce qui, prise pour soi-même, est une décision rationalisable), mais qu’on ne portera pas secours aux agressés – ce qui est lâche, méprisable et un encouragement donné aux agresseurs.

    Libéral ou pas, vous savez qu’une fripouille qui sévit dans le quartier, tabasse les faibles, rackette les plus fortunés et peut en venir à tuer, vous savez que cette nuisance doit être éliminée. Sans sécurité pour les honnêtes gens, toute vie sociale est impensable. Pourquoi en irait-il autrement pour la société mondiale ? Vous savez qu’à ce niveau aussi, pour la paix et la sécurité de tous, les agresseurs doivent être désarmés, et leur défaite servir d’avertissement aux possibles imitateurs.

    Il existe nombre d’agresseurs politiques dans le monde d’aujourd’hui, au Yémen, en Syrie, dans plusieurs régions d’Afrique… Mais aucune frappe n’est aussi massive, meurtrière, immotivée et immorale que celle que la Russie assène à l’Ukraine. C’est sur ce sujet brûlant que je vous inviterai à réfléchir dans un prochain article.

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      Fatalité impériale

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 12 February, 2023 - 03:50 · 7 minutes

    Quand on parle des entreprises et des entrepreneurs, on désigne par le mot Empire le réseau des multiples filiales et entreprises d’un chef, souvent le créateur de ce réseau, qui se trouve à la tête d’un patrimoine qui fait parler.

    C’est ainsi que pour parler de LVMH et son PDG Bernard Arnault , on va dire « « l’empire du luxe de Bernard Arnault » . On dira aussi « homme d’affaires redoutable ». Mais on va aussi citer les grands empereurs des affaires comme Howard Hugues ou Henry Ford. Grâce à Orson Welles le cinéma a aussi rendu célèbre l’empire Xanadu du milliardaire Charles Foster Kane dans le film Citizen Kane . À ce niveau on ne parle plus seulement de « l’homme d’affaires » mais d’un personnage qui intervient dans la vie de la cité, tisse un réseau avec les grands de ce monde par-delà les frontières et les nations et nourrit les fantasmes des partisans de la démondialisation, dont il représente le cœur de cible.

    L’Empire dans l’Histoire

    Mais, bien sûr, l’empire, du latin Imperium , c’est d’abord un territoire ou un ensemble de territoires sous la domination d’un même chef appelé Empereur. L’empire, cela sous-entend qu’il y a eu des conquêtes, les territoires ayant été intégrés par des victoires militaires successives, l’ensemble restant sous la domination de l’État originel. L’Empire, avec la majuscule désignera le régime politique monarchique, alors que l’empire, avec la minuscule, désignera la domination territoriale.

    Que ce soit pour les affaires ou les régimes politiques, les empires recèlent en eux une malédiction liée à leur instabilité : alors que l’on considèrera qu’une nation offre une unité de religion, de langue, de mœurs et de souvenirs, on dira une culture, l’Empire est par nature un ensemble construit, sans souvenir historique commun, à part, pour chacun des peuples qui le composent, d’avoir été assujettis ensemble. La malédiction c’est le risque de sécession de certains de ces peuples, de conflits entre eux, d’invasions nouvelles.

    L’Histoire est pleine d’épopées de ce genre qui ont conduit à l’extinction d’empires qui paraissaient immortels. Pour préserver l’Empire, il est nécessaire de constamment affirmer la puissance de l’Empereur, de pratiquer les expéditions punitives nécessaires pour faire un exemple sur les sujets qui seraient tentés d’être indociles. L’Empire sera aussi considéré par ses voisins, et même une partie de ses populations, comme une menace ou un ennemi. C’est ainsi que certains Empires ne durent que quelques années, comme celui d’Alexandre ou de Napoléon, alors que d’autres survivent plus d’un siècle comme les Empires incas ou aztèques, et même près de mille ans pour l’empire byzantin, ou, record du monde, deux mille deux cents ans pour l’Empire chinois.

    Ce temps long n’existe pas dans les mêmes proportions pour les entreprises.

    Mais on y retrouve les mêmes histoires, les bonnes et les moins bonnes, et les sagas familiales, comme la famille Mulliez (Auchan et son empire d’entreprises), ou Arnault avec LVMH. Et ces entrepreneurs qui étendent leur domination par rachats successifs sont les Empereurs des temps modernes .

    La malédiction de l’Empire russe

    Là où la malédiction est la plus actuelle, c’est bien sûr en Russie. C’est le titre du dossier du Figaro Histoire de juin 2022 , « Russie, la malédiction de l’Empire » .

    Car, ainsi que le décrit ce dossier, la Russie n’est pas une nation, mais un empire.

    Toute l’histoire de la Russie est celle d’une expansion du territoire.

    Son origine vient d’une légende, dont on a beaucoup reparlé récemment, forcément, celle de la Chronique des temps passés . Elle conte l’épopée du héros viking Riourik un prince varègue : venu du Nord, en 862 il fonda à Novgorod le premier État slave et en devient le Prince de Novgorod. Vingt ans plus tard, Oleg, un parent de Riourik, descendit le Dniepr avec ses troupes et prit Kiev, qu’il proclama « la mère des villes russes ». Difficile à dire si ce Riourik a jamais existé mais ce petit territoire, la Rus’ de Kiev, va s’agrandir pour devenir, au XI e siècle, sous les règnes de Vladimir Ier et Iaroslav le Sage, le territoire d’Europe le plus étendu. Malheureusement, les problèmes de succession, le morcellement en principautés indépendantes, et les invasions mongoles vont amener cette Rus’ de Kiev à disparaître en 1240. C’est pourtant là-dessus que se fonde le discours politique du Kremlin aujourd’hui pour dire que cette ville de Kiev serait le « berceau national de la Russie ».

    Mais l’expansion de l’Empire va continuer. Hélène Carrère d’Encausse en relate toutes les étapes dans ce dossier très bien exposé du Figaro Histoire , à commencer par Ivan IV, dit le Terrible, qui devient « grand-prince de toute la Rus’ » à la mort de son père Vassili III, en 1533, et est considéré comme le fondateur de l’État russe. En 1547 il se fait couronner tsar selon le rite byzantin et va conquérir les khanats tatars de Kazan et d’Astrakhan, faisant devenir l’Empire des tsars multiethnique et multiconfessionnel.

    Hélène Carrère d’Encausse montre bien ce dédoublement de la Russie à partir de cette époque :

    « D’un côté une Russie centrale aux institutions et aux règles rigides, où la société est fixée dans ses divisions. De l’autre, l’empire naissant dû à une expansion qui ne connaît pas de moments d’arrêt. Les cosaques sont en première ligne et le prix en est la liberté totale qu’ils revendiquent. Dès la fin du siècle, le monde cosaque s’organise ainsi en groupes indépendants, sous la conduite d’un ataman (hetman) ».

    C’est le paradoxe de cette Russie :

    « Plus la frontière s’éloigne de la Russie centrale, plus celle-ci suscite d’oppositions et paraît devoir être protégée. L’Empire assure la protection d’une Russie encore faible, mais il la rend simultanément redoutable à ses voisins, Suède, Pologne, Empire ottoman, qui s’inquiètent de sa progression, ce qui lui impose de développer la puissance et les moyens de l’État ».

    L’expansion ne s’arrête pas, et c’est Alexandre II, le tsar libérateur (empereur de 1855 à 1881, date de son assassinat) qui va pousser l’empire jusqu’en Asie, qui fera de la Russie au XIX e siècle un empire eurasiatique.

    Comme le rapporte Hélène Carrère d’Encausse, c’est Alexandre Soljenitsyne, qui écrira que ce pays, « le plus étendu territorialement au monde, n’a été qu’un assemblage hétéroclite de peuples et de cultures, un espace immense, inutile et incontrôlable. La Russie réelle, le noyau russe, n’a jamais pu l’assimiler. L’empire a perdu la Russie, brisé son identité et sa culture et lui a ôté la possibilité de se moderniser ».

    Cette pratique de l’autocratie expansionniste est bien reprise par Vladimir Poutine aujourd’hui, avec son « opération spéciale » en Ukraine.

    C’est Michel de Jaeghere, dans l’éditorial de ce dossier, qui en donne une interprétation personnelle :

    « On fait pourtant fausse route, il me semble, en attribuant cette décision à sa psychologie, à sa démesure, à sa folie. Elle paraît bien plutôt relever de la fatalité impériale dans laquelle l’histoire a inscrit, depuis quatre siècles, son pays. Sa volonté désespérée de maintenir l’Ukraine dans son orbite, fût-ce au prix de sa destruction, de l’isolement diplomatique et de la ruine de la Russie, obéit à une logique dont il n’était pas le maître, et qui le condamnait en quelque sorte à agir. Vladimir Poutine n’a trouvé à la déstabilisation de l’empire russe d’autre réponse qu’une guerre que, passé l’illusion d’une victoire éclair, il ne peut plus gagner que dans les ruines. Telle est la malédiction de l’empire : il peut tenir les peuples sujets dans un carcan de fer, mais il condamne à ne jamais trouver de repos celui qui exerce sur eux son hégémonie ».

    Y a-t-il une telle fatalité impériale et une malédiction de l’empire qui menacent aussi les stratégies d’expansion des entrepreneurs, avides de territoires nouveaux, sans jamais pouvoir s’arrêter ? Comme condamnés à être des Ivan le Terrible ou Poutine des affaires ?

    Ou pouvons-nous construire des empires en se préservant de ces apparentes fatalités ?

    À chacun de construire l’histoire.

    Sur le web

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      Le sort réservé aux statues de Lénine, révélateur du fossé entre la Russie et l’Ukraine

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 22 January, 2023 - 03:40 · 11 minutes

    Par Dominique Colas .

    Au moment de son démantèlement en 1991, l’Union soviétique comptait des milliers de statues représentant son fondateur, Vladimir Lénine (1870-1924). Les quinze républiques constitutives de l’Union, devenues autant d’États indépendants, ont adopté à l’égard de ces monuments des politiques très différentes, qui en disent long sur leur vision politique et historique – ou, du moins, sur celle de leurs dirigeants. On le constate tout particulièrement en examinant les cas, opposés ici comme sur bien d’autres points, de l’Ukraine et de la Russie. Dominique Colas, professeur émérite de science politique à Sciences Po, est l’un des plus grands spécialistes français du léninisme, de l’URSS et de l’espace post-soviétique. Nous vous proposons ici un extrait de son ouvrage « Poutine, l’Ukraine et les statues de Lénine » , qui paraît le 20 janvier aux Presses de Sciences Po.


    Le 24 février 2022, Vladimir Poutine lance une invasion massive de l’Ukraine lors d’une guerre qui a commencé en 2014 avec le soutien de l’armée russe aux sécessionnistes du Donbass et l’annexion de la république ukrainienne de Crimée par la Fédération de Russie. Trois jours plus tôt, pour préparer cette attaque, il prononce un discours idéologique menaçant devant les caméras du monde entier

    Entre autres arguments, il déclare que Lénine est « l’auteur et l’architecte » de l’ Ukraine et que ce pays est un produit du bolchevisme, donc une création politique artificielle. Au lieu de mettre à bas les statues de Lénine, ce qu’ils ont fait systématiquement et totalement entre 1991 et 2016, les Ukrainiens devraient les respecter. Selon lui, une partie des citoyens de l’Ukraine se montrent ingrats à l’égard du leader bolchevik et devraient cesser de revendiquer la « décommunisation » de l’Ukraine, car, insiste-t-il, c’est le communisme léniniste qui a créé l’Ukraine.

    Relevons tout d’abord un paradoxe : il existe une contradiction entre la position de Poutine, très hostile à Lénine pour le rôle qu’il lui suppose dans la naissance de l’Ukraine et la présence en Russie de milliers de statues à son effigie, dont aucune n’a été démolie. Alors qu’il conduit une guerre contre l’Ukraine depuis huit ans, pour être cohérent avec lui-même Poutine devrait faire disparaître du sol de son pays la figure de celui qu’il proclame comme l’inventeur néfaste de l’Ukraine. Certes, en Fédération de Russie, on n’honore plus ses effigies comme on le faisait au temps de l’URSS pour l’anniversaire de la révolution d’Octobre, pour celui de la naissance du dirigeant bolchevik ou encore pour le 1 er mai. Cependant, Poutine est loin de s’en prendre aux monuments consacrés au leader bolchevik et, plus de trente ans après la fin de l’URSS, le mausolée en marbre où repose son corps embaumé est toujours installé sur la place Rouge à Moscou.

    […] Commençons par établir une brève cartographie des statues de Lénine en Russie, au Bélarus et en Ukraine , avant de les détailler plus loin dans cet ouvrage. En Fédération de Russie, principal successeur de l’URSS, elles se comptent par milliers, à commencer par le monumental exemplaire qui se dresse en plein centre de Moscou sur la majestueuse avenue Lénine longeant la place d’Octobre (renommée place Kalouga en 1992), non loin d’une entrée de métro du même nom.

    À Tomsk (Sibérie), Lénine semble contempler cet immense Z aux couleurs du ruban de Saint-Georges, symbole de l’attaque russe contre l’Ukraine. Photographie prise le 28 avril 2022.
    Alexander A. Novikov/Shutterstock

    Au Bélarus, pays mitoyen de l’Ukraine et de la Russie , assimilable à cette dernière en matière de style politique, les statues de Lénine abondent et ne sont pas menacées. Elles témoignent d’une grande continuité du Bélarus avec son passé soviétique et d’un héritage revendiqué par l’actuel président Alexandre Loukachenko et ses partisans. Cet attachement s’étend bien au-delà des monuments car le Bélarus sert de base arrière à la Russie dans l’attaque menée contre l’Ukraine depuis février 2022. Sur la place principale de la capitale, Minsk, se dresse une immense statue de Lénine se tenant à une tribune, dans une posture directement inspirée de celle que l’on peut voir sur une photo prise lors d’un discours appelant à l’invasion de la Pologne en mai 1920.

    Place de l’Indépendance, Minsk.
    Ark Neyman/Shutterstock

    Quel contraste avec l’Ukraine ! Comme dans les démocraties des pays baltes ou de la Pologne, qui ont démantelé les statues de Lénine dès la fin du régime communiste avant de rejoindre l’Union européenne et l’OTAN, il n’existe plus aucune effigie de Lénine en Ukraine sauf dans certaines parties aujourd’hui occupées par l’armée russe. Alors que, toujours selon la rhétorique de Poutine, les citoyens de ce pays devraient être reconnaissants au dictateur communiste, ils n’ont pas seulement mis fin à son culte ritualisé, mais se sont aussi montrés vindicatifs et brutaux en vandalisant et en mettant à bas ses effigies dès le référendum favorable à l’indépendance, en 1991.

    Le mouvement iconoclaste contre les symboles communistes s’est accéléré après la révolution de Maïdan, en février 2014, qui a marqué la volonté d’instaurer un régime plus démocratique et de se rapprocher de l’Union européenne. La statue monumentale de Lénine, installée au centre de la capitale, Kyiv (nous utilisons dans cet ouvrage une transcription des noms de lieu tantôt ukrainienne, tantôt russe en fonction du contexte. Dans le chapitre 2, par exemple, qui donne le point de vue de Lénine, nous avons préféré les noms russes) est mise à bas dès le 8 décembre 2013 et celle de Kharkiv, en septembre 2014. Un mot est alors forgé en ukrainien pour désigner ces destructions : leninopad (« chute de Lénine »). Les statues sont souvent remplacées par des drapeaux ukrainiens et européens ou par des hommages aux morts (plus d’une centaine) de la révolution de Maïdan. Les piédestaux sont transformés en autels de la patrie.

    Au printemps 2015, des lois drastiques votées par le Parlement ukrainien prohibent les symboles néfastes des deux idéologies totalitaires que sont le communisme et le nazisme, créant par là même une fausse symétrie délibérée puisqu’il n’existe pas de monuments nazis en Ukraine (ni en URSS d’ailleurs). Une année est nécessaire pour mettre à bas les ouvrages communistes concernés, modifier le nom de certaines villes, débaptiser les avenues Lénine et modifier tous les autres toponymes liés au marxisme et à l’ex-URSS. Au total, on estime à 5500 le nombre de statues de Lénine qui ont été démolies entre 1991 et la mise à bas de la dernière d’entre elles en 2016 à Zaporijjia, ville près de laquelle se trouve une immense centrale nucléaire (celle qui, au tout début de l’invasion de 2022, sera occupée par l’armée russe).

    Les rapports entre les territoires de l’ex-URSS, qui ont préservé leurs statues de Lénine et ceux qui les ont détruites sont plus complexes qu’une simple opposition en miroir. Après la révolution de Maïdan, l’Ukraine subit sur son territoire une guerre séparatiste. Activement soutenue par la Russie, elle se déroule dans l’est du pays, dans le Donbass et en Crimée et mène à l’annexion de cette dernière par la Fédération de Russie, en 2014. Depuis, ni la Crimée ni les régions séparatistes du Donbass n’ont connu de destruction massive et volontaire des statues de Lénine. Elles sont toujours en place comme en témoigne celle de Sébastopol en Crimée.

    Si la Russie et son fidèle allié, le Bélarus, se distinguent nettement de l’Ukraine, le cas du Donbass et de la Crimée doit être considéré à part. Il peut être rapproché de celui de la Transnistrie, une région de la Moldavie séparatiste pro-russe, qui possède à l’est une frontière avec l’Ukraine et qui a, elle aussi, conservé des statues de Lénine. Or, comme on le sait, la Moldavie est un champ possible de prolongement de la guerre conduite en Ukraine par la Russie (en Moldavie la démolition des statues de Lénine a commencé dès 1991. Il en subsiste une, à Chisinau. Installée dans un parc d’exposition, elle fait l’objet de querelles récurrentes et de vandalisme ).

    Il convient aussi d’attirer l’attention sur deux villes du sud de l’Ukraine, Henitchesk et Melitopol, où les autorités locales ont réinstallé des statues de Lénine mi-avril et début novembre 2022. Elles font partie des zones occupées par l’armée russe et prétendument rattachées à la Russie à l’issue d’un pseudo-référendum organisé en septembre 2022. Ces réinstallations témoignent de l’inclusion ostentatoire de ces zones à la Russie.

    Ajoutons le cas de Kherson, ville du sud de l’Ukraine de près de 300 000 habitants : alors qu’elle est occupée par la Russie depuis mars 2022, les autorités pro-russes veulent remettre une statue de Lénine sur son piédestal (la mise à bas des statues n’a pas toujours été suivie de leur destruction. Elles ont souvent été remisées dans des lieux discrets, ce qui facilite leur réédification), mais la contre-offensive ukrainienne dans la région les en empêche. Le 11 novembre 2022, dans la ville reprise par les Ukrainiens, le piédestal est pavoisé aux drapeaux ukrainien et européen.

    […]

    Jusqu’à l’indépendance de l’Ukraine, les monuments à Lénine et leurs commémorations ritualisées ont condensé, dans la vie quotidienne des citoyens, l’appartenance au camp socialiste. Après la fin de la domination soviétique, les travaux historiques et les mobilisations militantes ont abouti à ce que la famine massive qu’a connue l’Ukraine en 1932-1933, appelée Holodomor (« extermination par la faim » en ukrainien), soit officiellement reconnue par le Parlement ukrainien (la Rada) comme un « génocide » perpétré par Staline et le Parti bolchevik.

    Résultat d’une politique de prélèvements prédateurs sur les récoltes de céréales ukrainiennes, l’Holodomor a provoqué au moins 3,5 millions de morts. Sa reconnaissance, en novembre 2006, bouleverse la signification que beaucoup d’Ukrainiens donnaient jusqu’alors au communisme et à son symbole, Lénine. Des mémoriaux à l’Holodomor se substituent à des statues et à des monuments du communisme, comme à Kyiv. Éléments de décor urbain devenus banals pour les Russes, les statues communistes sont désormais pour des Ukrainiens le symbole d’une terrible famine organisée par les communistes russes.

    Une précision : de la valeur accordée aux statues de Lénine on ne tirera pas une morale qui ferait de la vérité une variable conditionnée par l’époque et le lieu. La famine de 1932-1933 et ses millions de morts sont une réalité. En cela, l’Holodomor est indissociable de l’histoire et de la mémoire du génocide des juifs d’URSS perpétré par les nazis et auquel contribuèrent des nationalistes et antisémites ukrainiens. Le nom de Baby Yar, à Kyiv, ravin où des dizaines de milliers de juifs furent massacrés en 1941-1942, est aussi chargé d’histoire et de mémoire que celui de la famine . Les interrogations sur les mémoires différentes des Ukrainiens, des Russes, des Bélorusses et autres sur leur histoire et leurs conflits exigeraient une sociologie et une réflexion que nous n’allons pas entreprendre ici.

    L’Holodomor incite néanmoins à faire de Staline l’héritier de Lénine qui, comme nous le verrons, imaginait déjà l’Ukraine comme un grenier à blé dans lequel on pouvait puiser, et cette vision explique l’hostilité d’une partie des Ukrainiens à l’égard du fondateur du bolchevisme et de l’URSS. Lénine est-il l’un des symboles de l’impérialisme russe comme le pensent un grand nombre d’Ukrainiens ou est-il « l’auteur et l’architecte » de l’Ukraine comme le prétend Poutine ? Le président russe n’hésitant pas à réviser le passé de la Russie, de l’URSS et du reste du monde, il convient maintenant d’évaluer la pertinence de ses affirmations historiques tranchées quant à l’Ukraine, afin de savoir si Lénine a contribué, de façon décisive et positive, à la naissance de l’Ukraine. The Conversation

    Ce texte est issu de « Poutine, l’Ukraine et les statues de Lénine », qui paraît ce 20 janvier aux Presses de Sciences Po.

    Presses de Sciences Po

    Dominique Colas , Professeur émérite de Science politique, Sciences Po

    Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’ article original .