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      Finlande : une nouvelle ère ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 21 April, 2023 - 02:50 · 8 minutes

    Par Cyrille Bret.

    L’année qui vient de s’écouler a propulsé la Finlande à une place qu’elle évite d’ordinaire : l’avant-scène de la politique européenne.

    En quelques jours, du 2 au 4 avril 2023, la République nordique est sortie de sa discrétion coutumière : lors des élections législatives, elle a changé de majorité au Parlement et remplacé au poste de Premier ministre la sociale-démocrate Sanna Marin, au pouvoir depuis fin 2019 à la tête d’une coalition de centre gauche, par le conservateur Petteri Orpo, chef du parti de droite Coalition nationale.

    Le surlendemain, la Finlande a officiellement rejoint l’OTAN , devenant ainsi le 31 e membre de l’Alliance et aussi celui qui possède, de loin, la plus longue frontière commune avec la Russie (1340 km), ce qui, dans le contexte actuel constitue un enjeu majeur pour la protection des frontières externes de l’UE et de l’Alliance : la zone de contact OTAN-Russie double en longueur , passant de 6 % à 12 % des frontières de la Russie.

    La double décision de tourner la page du gouvernement Sanna Marin, très visible en Europe depuis le début de l’invasion de l’Ukraine et surtout de rompre avec 75 ans de neutralité a placé ce pays de 5,2 millions d’habitants au centre de l’attention internationale.

    Après une année 2022 très intense, 2023 sera-t-elle celle d’un tournant historique, qui fera d’Helsinki un centre de gravité politique et stratégique pour l’UE et l’OTAN ? La Finlande cherchera-t-elle à peser davantage en Europe ou bien reviendra-t-elle à une politique nationale plus introvertie ?

    L’entrée dans l’OTAN, une rupture géopolitique majeure

    La primature de la trentenaire Sanna Marin a connu une dernière phase très active et très médiatisée en Europe.

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    Dès l’hiver 2021, elle a adopté une posture extrêmement ferme à l’égard de la Russie, se plaçant à l’avant-garde stratégique de l’UE aux côtés des États baltes (en particulier l’Estonie de Kaja Kallas ) et de la Pologne de Mateusz Moraviecki.

    La position du gouvernement Marin n’a pas manqué de panache : on l’a dit, le pays partage une très longue frontière terrestre avec son puissant voisin ; il est confronté depuis une décennie à des incursions russes dans ses espaces aérien, terrestre, maritime et cyber ; ses eaux territoriales se trouvent à proximité immédiate de la Flotte de la mer Baltique basée à Kronstadt et Saint-Pétersbourg. Et surtout, en entrant dans l’OTAN, la Finlande sort de sept décennies et demie marquées par la « finlandisation » ( horresco referens à Helsinki), cette politique de neutralité que lui avait imposée l’URSS en 1948 , quatre ans après sa défaite dans la Guerre de continuation qui l’avait privée d’une de ses régions historiques, la Carélie, annexée par l’URSS et appartenant aujourd’hui à la Russie.

    La Finlande devient le 31ᵉ membre de l’OTAN • France 24, 7 avril 2023.

    L’adhésion à l’OTAN constitue une rupture majeure pour le pays : le voici désormais protégé par l’Article 5 , dit d’assistance mutuelle, du Traité de l’Atlantique nord, et engagé dans un processus de remilitarisation significatif.

    Il entend se séparer physiquement de la Russie par un mur dans la partie la plus vulnérable de sa frontière . Ce mur a une portée politique et symbolique tout autant que militaire. En effet, la Finlande redoute de subir une instrumentalisation des migrants semblable à celle mise en œuvre en 2021 par la Biélorussie pour faire pression sur la Pologne . Elle entend également marquer aux yeux de Moscou l’inviolabilité physique de cette frontière pour éviter les « grignotages territoriaux » que l’on constate en Géorgie depuis 2008. L’intérêt strictement militaire du mur est plus limité : la progression de troupes russes serait ralentie mais pas stoppée.

    En quatre ans, une évolution rapide sous l’effet de la guerre en Ukraine

    La rupture extérieure s’appuie sur une évolution politique intérieure.

    Qu’on mesure le contraste entre la Finlande de 2019 et celle de 2023 : la campagne électorale des législatives du 14 avril 2019 avait été centrée sur des problématiques internes, comme la réforme du système de santé, la lutte contre le chômage et les controverses sur le multiculturalisme nourries par le nationaliste Parti des Finlandais . Et la présidence finlandaise de l’UE (second semestre 2019) avait placé au premier plan la transparence des institutions européennes et la protection du climat, sous l’égide du très consensuel slogan « Europe durable – avenir durable ».

    Le contraste est saisissant quatre ans plus tard : la Finlande de 2023 s’est affirmée comme l’un des acteurs majeurs de la réponse européenne à l’agression russe contre l’Ukraine. Elle a transféré à cette dernière pour 760 millions d’euros d’équipements militaires et a constamment milité pour l’adoption de sanctions plus dures contre la Russie. Ses entreprises, longtemps en symbiose avec le voisin russe, se désengagent . Alors que la candidature du pays à l’OTAN avait longtemps divisé les Finlandais, l’agression de l’Ukraine par la Russie a rallié une large majorité d’habitants à cette option. Si bien que durant la campagne les débats sur la Russie, l’Ukraine et l’OTAN ont eu un impact limité car un consensus transpartisan s’est instauré sur ces sujets . Même le Parti des Finlandais, hostile à une adhésion à l’OTAN depuis sa création, s’est rallié à l’atlantisme.

    C’est dans ce contexte que les électeurs ont rétrogradé les Sociaux-Démocrates à la troisième place en sièges au Parlement (43 sièges) tout en leur confiant trois sièges de plus que lors de l’élection législative de 2019, derrière les conservateurs (48 sièges, soit un gain de dix sièges) et derrière le Parti des Finlandais (46 sièges, soit un gain de sept sièges).

    La défaite de Sanna Marin est à relativiser dans sa portée géopolitique : les Finlandais n’ont pas rejeté la ligne atlantiste de son gouvernement, partagée par son successeur Petteri Orpo, qui doit plutôt sa victoire au scepticisme de la population sur les ambitieux projets d’investissements publics du gouvernement sortant.

    À l’issue d’une année de guerre en Ukraine et de campagne électorale, la Finlande n’est plus un nain politique condamné à la discrétion par sa position géographique. Elle a diffusé sa vision de la géopolitique européenne en affirmant que la neutralité avait cessé d’être une assurance-vie pour devenir une vulnérabilité . Est-ce à dire que l’Union doit désormais se préparer à l’émergence d’un nouveau poids lourd politique en son sein ? Pas nécessairement. En réalité, bien des signes laissent penser qu’un « retour à la normale » – c’est-à-dire à une posture plus discrète – s’annonce à Helsinki.

    Vers un « retour à la normale » ?

    Sur le plan international, après la procédure d’adhésion à l’OTAN, marquée par d’âpres négociations avec la Turquie , dernier pays de l’Alliance à donner son feu vert à l’adhésion d’Helsinki, la Finlande va tout faire pour montrer qu’elle reprend le fil de sa doctrine de sécurité nationale traditionnelle.

    Adhérente depuis 1994 au Partenariat Pour la Paix lancé par l’OTAN, elle a participé chaque année depuis cette date à des exercices militaires avec les Alliés en Baltique ( BALTOPS ). Son effort de défense – c’est-à-dire le rapport entre son budget militaire et le PIB – va assurément croître ; mais la Finlande rappelle régulièrement qu’elle n’a jamais désarmé pour engranger les « dividendes de la paix » : même avant d’intégrer l’OTAN, elle avait conservé des effectifs consistants et effectué des acquisitions militaires ambitieuses , entretenant également une Base industrielle et technologique de défense (BITD) dotée de fleurons tels que Patria .

    Autrement dit, par son entrée dans l’OTAN, elle rompt avec une « finlandisation » qu’elle a toujours récusée… mais au sein de l’Alliance, elle adoptera un profil bas, soulignant la continuité entre le Partenariat pour la paix et l’adhésion pleine et entière à l’Alliance, de façon à ne pas attiser la réaction russe . Celle-ci ne s’est pas fait attendre : Moscou a déclaré qu’elle accentuerait son effort militaire dans la zone de contact avec la Finlande et souligné que la Finlande devait d’attendre à supporter les conséquences de son choix.

    La ligne pro-ukrainienne de Sanna Marin ne sera pas remise en cause mais Petteri Orpo se concentrera avant tout sur les questions intérieures . La formation du nouveau gouvernement s’annonce déjà ardue , si bien que le pays retournera dans les prochaines semaines à une politique partisane très classique, se montrant moins présent sur la scène politique internationale .

    En somme, après une longue année d’extraversion contrainte, la Finlande semble tentée par un retour à sa discrétion politique coutumière et à ses préoccupations internes. La tentation du « pour vivre heureux, vivons cachés » est souvent forte à Helsinki. Les révolutions politiques y semblent immédiatement tempérées par une tendance à l’introversion… Mais en renonçant à sa neutralité et en rejoignant l’Alliance atlantique au moment où celle-ci est aux prises avec son puissant et belliqueux voisin russe, la Finlande a franchi un Rubicon : même si Helsinki cherche désormais à adopter une posture plutôt apaisante envers la Russie, le « pays des mille lacs » sait que plus rien ne sera comme avant.

    Cyrille Bret , Géopoliticien, Sciences Po

    Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’ article original .

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      [Entretien] – Rafaël Amselem : « Je refuse l’idée d’une nécessaire équivalence entre communisme et nazisme »

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 20 April, 2023 - 03:30 · 18 minutes

    Baptiste Gauthey : Bonjour Rafael Amselem. Il y a quelques jours, Olivier Babeau a publié un tweet dans lequel il compare le communisme et le nazisme en avançant que la différence essentielle entre les deux régimes serait je le cite « le nombre de morts ». Que penser de cet argument ?

    Rafaël Amselem : Le premier élément qui importe, c’est de voir les points d’accord et ceux sur lesquels nous devrions tous reconnaître une certaine forme de vérité. D’un point de vue historique et systémique, le communisme a abouti à des régimes totalitaires, criminels et radicalement violents. C’est une réalité que l’on a du mal à traiter aujourd’hui. Il suffit aussi de voir le nombre incroyable de réactions indignées qu’a suscité le tweet, relativisant parfois l’histoire violente du régime soviétique.

    En revanche, j’ai un point de désaccord fondamental avec Olivier Babeau, ou plutôt sur l’idée qu’il expose : la nécessaire équivalence entre communisme et nazisme, sur la base d’un argument comptable – l’idée qu’il suffirait de faire le décompte des morts de chaque régime pour établir celui qui, d’entre les deux, incarne le mal radical. Passons sur les éléments de forme de cette comptabilité (les résultats du Livre Noir sont, au moins pour partie, contestés ; le communisme s’est étalé sur près d’un siècle, là où le nazisme a duré une dizaine d’années) : son postulat est surtout faux sur le plan philosophique.

    L’impossibilité d’une telle équivalence est simple : le nazisme, a contrario du communisme, repose sur une ontologie raciale. Lucie Doublet, dans un excellent ouvrage ( Emmanuel Levinas et l’héritage de Karl Marx , Édition Otrante, 2021), expose la pensée du philosophe Emmanuel Levinas sur la question. Levinas a vécu le nazisme dans sa chair, en tant que juif, et en tant que prisonnier politique durant la guerre ; ce qui l’amènera évidemment à traiter du nazisme en termes philosophiques. Il sera par exemple l’un des premiers à affirmer, très tôt dans les années 1930, la violence contenue dans la doctrine de Heidegger. Lui-même proche du socialisme libertaire, il exposera aussi une critique très nourrie du marxisme et des régimes qui s’en réclamèrent par la suite.

    Levinas pense la construction de la civilisation occidentale comme l’avènement de « l’esprit des libertés ». Une grande histoire qui commence avec le judaïsme, ayant introduit la notion de pardon dans le monde ; et le pardon entretient avec la liberté un rapport fraternel, détachant notre être de l’enchaînement du passé, de nos erreurs d’hier ou d’avant-hier, inaugurant une voie de la rédemption qui s’ouvre sur un avenir radicalement indéterminé. Viennent ensuite le christianisme, mettant l’emphase sur l’au-delà et la sortie du monde terrestre, bref, en consacrant le primat de l’âme sur le corps ; le libéralisme, qui consacre les libertés politiques pour légitimer l’existence de la société politique ; le communisme, qui interroge la société libérale quant à la réalisation matérielle des libertés formelles (en d’autres termes, la société libérale déclare des droits, reste à savoir si ces droits deviennent concrets pour tous ou s’ils ne seraient pas au contraire réservés à une élite bourgeoise). Au fond, l’esprit des libertés se caractérise par un écart entre le soi et le monde, un recul vis-à-vis de l’être, une évasion de l’immanence de l’existant. La liberté consiste dans la capacité à transcender ses propres déterminations.

    Le nazisme est essentiellement une négation de l’esprit des libertés. Le nazisme est une ontologie raciale. Le nazisme pense l’humain par le primat de l’expérience corporelle ; ou, pour le dire simplement, de la race. Le nazisme est l’impossibilité métaphysique pour le sujet de s’extraire de ses caractères biologiques, dont il résulte une pensée de la violence et de l’hérédité. Il y a bien un mal du stalinisme chez Levinas. Mais jamais les doctrines socialistes et communistes ne se font l’écho d’une telle ontologie. Georges Steiner le formula de la façon suivante ( Grammaires de la création , Gallimard, 2001) : « Il semble cependant que l’extermination par les nazis de la communauté juive d’Europe soit une « singularité », non pas tant par son ampleur – le stalinisme a tué infiniment plus – que par ses motivations. Toute une catégorie de personnes humaines, les enfants compris, a alors été déclarée coupable d’être. Leur seul crime était d’exister et de prétendre vivre. » Là est la différence radicale, si ce n’est insurmontable, entre nazisme et communisme. Certes, les expériences communistes n’ont pas été étrangères à l’antisémitisme, notamment sous Staline. De même, sur le plan théorique, la critique du capital peut résulter sur des tropes antisémites (Moshe Postone, Critique du fétiche capital , Puf, 2013). Mais ces débouchés ne sont pas une fatalité a priori . Il a bien existé des phases où des juifs ont participé à l’édification du socialisme et du communisme. La métaphysique communiste ouvre cette possibilité ; à l’inverse, celle du nazisme ne permet même pas une poussière d’espoir en la matière.

    D’où vient donc cette erreur d’analyse ? À mon sens, beaucoup de libéraux se trompent lorsqu’ils fondent leur analyse du communisme et du nazisme à l’aune d’un seul et unique critère : le totalitarisme. Au fond, nazisme et communisme ne seraient que deux faces de la même pièce : le holisme, ou le collectivisme. Je rejette radicalement cette interprétation. Elle est d’évidence (excessivement) incomplète. Les valeurs nazies et communistes ne se situent pas sur le même plan. Pour le dire simplement, je mange aisément à la table d’un communiste, pas à celle d’un nazi.

    BG : En réaction, François Malaussena a publié un « thread » dans lequel il explique que s’il ne s’agit pas de réhabiliter le communisme, il ne faut pas le mettre sur le même pied d’égalité. Il écrit notamment qu’il « peut théoriquement exister un régime communiste qui ne tue personne, là ou c’est impossible pour un régime fasciste ». Est-ce juste ?

    RA : Non et plusieurs argumentaires peuvent être mobilisés pour y répondre. En premier lieu, il y a les écrits de Raymond Aron . L’État libéral, dit-il, celui de Constant ou Tocqueville, est bâti sur la séparation entre, d’une part, une sphère individuelle privée dans laquelle on s’appartient à soi, où la volonté d’autrui ne peut s’immiscer dans la conscience et les choix personnels, dont résulte l’illégitimité de l’État dans certains domaines d’intervention ; d’autre part, la sphère publique qui régule l’espace des communs. Cette distinction, qui consacre un espace de liberté individuelle, la doctrine marxiste s’y oppose frontalement. Pour Marx , dit Aron, cet État, celui de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, est une aberration : si on sépare l’homme du citoyen, si on distingue le privé du public, si, dit autrement, on déclare que certains espaces de la vie sociale sont exclus de la loupe du législateur, ce n’est pas la liberté qu’on proclame, mais l’aliénation même du prolétaire : car sa vie privée, essentiellement vécue dans le monde du travail, est imprégnée d’aliénation. Consacrer l’étanchéité entre le travailleur et le citoyen, c’est bien entériner le rapport de force qui l’oppose au capitaliste, le laisser à la merci du bourgeois. D’où cet appel à construire un régime qui confonde volontairement corps social et corps politique, société civile et administration, bref, qui abolisse la dualité entre la société civile et l’État.

    Cet appel est d’autant plus fondé que la démocratie a montré aux hommes « la vérité secrète, l’énigme résolue de toutes les constitutions parce que le peuple est l’origine, le créateur de toutes les superstructures politiques et que l’homme n’arrive à la vérité de lui-même, à la prise de conscience de cette vérité, qu’en se reconnaissant maître et possesseur de toutes les institutions dans lesquelles il s’est, à travers les siècles, aliéné ». L’homme est le producteur de ses propres conditions d’existence : voilà la vérité de la démocratie dont le marxisme se fait le prophète. En séparant sphère publique et sphère privée, citoyen et travailleur, l’État libéral refuse d’acter cette suprême vérité. Pire, cette dualité consacre une illusion religieuse : de même qu’il y a dans le christianisme une séparation entre la vie terrestre (dégradée) et la destinée céleste (supérieure), on retrouve dans l’État libéral une vie prétendument privée (dégradée) et une participation épisodique aux affaires publiques (supérieure). Vient alors le marxisme qui affirme, contre les injustices du monde, contre les rapports de domination et de pouvoir : tout est politique. Le marxisme est radicalement « le refus de tenir aucune des données de l’ordre social comme une fatalité, échappant à la maîtrise des hommes ». Mais, ce faisant, et là est le point central, le champ d’intervention étatique devient illimité. Personne ne saurait échapper au regard du législateur. Or, si l’on suit la maxime libérale selon laquelle le pouvoir tend au pouvoir et à l’arbitraire, il est inévitable qu’un régime qui consacre une légitimité politique sans borne – il n’y a plus de vie privée ! – finira par déboucher sur de terribles dérives.

    Ces dérives sont d’autant plus palpables qu’en réalité, il y a une violence intrinsèque à la doctrine marxiste. Cette violence est d’abord consacrée par une vision singulière de l’histoire. Le marxisme est un millénarisme : le monde se meut vers une fin de l’histoire, dont le marxisme prophétise le dénouement ; fin de l’histoire d’autant plus déterminée que le marxisme prétend fonder son discours sur un plan scientifique : Marx ne ferait que découvrir, à travers le matérialisme historique, l’inévitable conclusion du mouvement historique. Au fond, sa mission consiste à hâter cette fin inéluctable.

    Cette posture pseudo-prophétique pose plusieurs difficultés. Elle consacre d’abord la supériorité du (faux) prophète. Lui seul maîtrise les dynamiques de l’histoire, et surtout, la place objective de chacun dans sa conclusion, sans qu’importe la subjectivité. La violence est contenue dans cette doctrine par l’effacement des individus qu’elle opère, d’autant plus marquée par une vision de la vie sociale tachée par la conflictualité (le prolétaire contre le bourgeois). Les vues et finalités individuelles ne sont pas signifiantes pour ce qu’elles sont, mais seulement dans leur participation à la nécessité historique ; la valeur de la subjectivité n’est comprise que dans sa place dans l’économie universelle et objective de la fin de l’histoire. Dit simplement, ce sont des moyens, non des fins ; des potentialités, non des sujets propres. Levinas affirme ainsi que cette perspective eschatologique transforme le philosophe en professionnel de l’herméneutique. Les actions individuelles n’ont pas de sens en soi, pas même celles que leur donnent les individus : elles sont englobées dans une perspective plus large, mystérieuse, que seul le philosophe adepte du matérialisme historique peut décoder. Toute vie intérieure et intime disparaît, elle se fait envahir par l’impératif de l’histoire. Levinas y voit un procédé viscéralement invasif et violent. Position d’autant plus marquée que, chez Levinas, la vie intérieure est irréductible à la vue de l’historien, elle constitue un espace de démarcation vis-à-vis de l’Être. La violence de cette pensée trouve enfin sa justification dans la téléologie marxienne : la résolution de la lutte des classes étant le moteur de l’émancipation universelle, le mal qui peut en résulter ne sert au fond qu’à faire advenir un bien encore plus grand. Il y a une logique presque sacrificielle qui imprègne le tout.

    Il nous faut encore évoquer le prolétariat. Dans le marxisme, le prolétariat constitue une masse unitaire, souffrante, qu’il nous appartient de sauver. Or, le prolétariat étant composé de millions de personnes, il ne saurait se muer en une unité homogène d’expression. Si tant est que tous les prolétaires de Russie, du Mexique, des USA, de la France observent les mêmes vues et opinions quant à leur condition, rien ne conduit à en déduire, selon un raisonnement logique, la nécessité de la révolution comme résolution. Mais admettons malgré tout que l’ensemble du prolétariat adhère au projet de l’Émancipation : il n’existe aucune façon concrète d’institutionnaliser cette unité d’expression en un organe représentatif, institutionnel, à même de traduire fidèlement la volonté de chaque travailleur. La marche de l’Émancipation ne peut être qu’à la charge d’une administration, une bureaucratie, un appareil d’État qui devrait incarner le prolétariat. Marx lui-même admettra qu’il y a un risque inhérent à ce processus : c’est que l’administration ne saurait être uniquement représentative. Elle a sa propre dynamique, ses propres organes, ses intérêts singuliers. L’appareil nécessaire pour la Justice risque ainsi de se prendre lui-même pour la Totalité. C’est une autre voie où la violence peut prospérer.

    Abordons enfin un dernier point avec François Furet . Il explique que cette nécessité historique, ce messianisme, fait que le marxisme se constitue en une nouvelle religion séculière. Il y a un sens religieux très fort, et puisqu’il y a un but plus transcendantal, une fin de l’histoire à réaliser, au fond toutes les turpitudes et les exactions peuvent être justifiées parce que le mal vise la réalisation d’un bien encore plus grand. Et c’est quelque chose dont parle Aron dans L’Opium des intellectuels , où il évoque la dispute entre Camus, Sartre et Francis Johnson. S’opposant à Camus, Francis Johnson aura des mots très clairs sur cette fin de l’histoire, sur ce grand projet émancipateur qui peut justifier certaines exactions : « Nous sommes donc à la fois contre lui [l’URSS] , puisque nous en critiquons les méthodes, et pour lui, parce que nous ignorons si la révolution authentique n’est pas une pure chimère, s’il ne faut pas justement que l’entreprise révolutionnaire passe d’abord par ces chemins-là, avant de pouvoir instituer quelque ordre social plus humain, et si les imperfections de cette entreprise ne sont pas dans le contexte actuel, tout compte fait, préférable à son anéantissement pur et simple ». Je crois que c’est assez clair.

    BG : Comment expliquer cette « passion française du communisme », pour reprendre l’expression de l’historien Marc Lazar ? D’où vient cette fascination et comment continue-t-elle à persister aujourd’hui ?

    RA : La première raison est celle d’une crise morale et spirituelle.

    Dans Le passé d’une illusion : « L ’idée d’une autre société est presque impossible à penser, personne n’avance sur le sujet dans le monde d’aujourd’hui, même l’esquisse d’un concept neuf, nous voici condamnés dans le monde où nous vivons ». Face à une société capitalistique, avec ses défauts, ses difficultés, ses turpitudes, il est extrêmement tentant (voire même nécessaire) de penser une forme d’utopie, de « sortie du monde ». Dans sa perspective eschatologique, messianique, le communisme répond admirablement à ce besoin-là.

    Je pense ensuite qu’il y a une passion purement intellectuelle. C’est Raymond Aron, à nouveau, qui l’expose dans L’Opium des intellectuels . Il affirme qu’il existe deux voies possibles pour changer le monde : la voie de la réforme et celle de la révolution. L’intellectuel, a priori , est biaisé : il a tendance à être bien plus attiré par la voie de la révolution. Car la réforme est quelque chose de très prosaïque, c’est « l’œuvre des fonctionnaires », là où dans la révolution il y a toujours quelque chose de poétique, de narratif, de ce « peuple dressé contre les exploiteurs ». Aron écrit à ce sujet : « Pour l’intellectuel qui cherche dans la politique un divertissement, un objet de foi ou un thème de spéculation, la réforme est ennuyeuse et la révolution excitante ».

    François Sureau ajoute que nous Français n’aimons pas nous confronter au réel. On dit que la France est ultralibérale, avec des normes et des dépenses publiques qui n’ont jamais été aussi explosives, des libertés publiques remises en cause dans beaucoup de domaines… Donc on aime bien l’idole conceptuelle, l’objet, le jouet théorique qui nous autorise à divaguer en belles formules, qu’elles soient adaptées au réel, ou non.

    Enfin, François Furet avance la thèse selon laquelle le communisme est une reprise du jacobinisme : l’idée que l’on peut construire par le haut la société. Marx ou les marxistes ne se diraient sans doute pas jacobins, mais dans cette idéal de confusion entre société civile et société politique, il y a quand même cette vision selon laquelle l’homme peut maîtriser l’ensemble des données propres à l’arène sociale, que l’on pourrait, en ayant les bonnes institutions, aboutir à un monde perfectionné.

    BG : L’esprit totalitaire semble prendre des formes nouvelles aujourd’hui, quelles sont-elles et comment mobiliser une argumentation libérale afin de les combattre ?

    RA : Le plus grand danger que nous sommes en train de courir, c’est le danger de la lassitude. Tant sur le plan économique, institutionnel… il y a une grande fatigue . Je ne pense pas que nous soyons au bord du grand soir (les révolutions toquent rarement à la porte avant de s’inviter à la fête) mais plutôt d’une immense lassitude. C’est un grand danger car quand on a une masse fatiguée, il est peut-être plus simple pour certains d’essayer de créer des discours homogénéisant, totalisant, qui visent à rassembler tout le monde derrière l’espérance d’une unique cause engageante. Des grands discours mobilisateurs qui réveillent les masses en faisant revenir l’attrait de l’utopie, d’une « libération idéelle » pour reprendre la formule d’Aron.

    Deuxième point, c’est que le grand danger est épistémique. Plus personne ne croit dans les vertus de la liberté. Beaucoup de doctrines constatent qu’il y a des dynamiques « raciales » si l’on prend le terme américain, qui empêchent certaines personnes à compétences et qualités égales de pouvoir s’élever dans la société. On ne croit pas non plus à la liberté en matière écologique car on explique que c’est bien le marché et la liberté qui ont provoqué l’émergence d’un problème planétaire et vital pour l’ensemble de la société humaine. Dans ce sens-là, il faudrait répondre à ces défaillances de la liberté par le plan, le retour de la verticalité, de la technocratie…

    Sur le plan des relations internationales, on assiste à un recul net et marqué des démocraties libérales, et l’on voit que ce sont des régimes irrationnels, qui se rassemblent derrière un homme, une grande doctrine, qui gagnent du terrain. On assiste également à un retour des empires qui se reforment dans le monde et menacent nos existences. Au fond, face à des régimes qui agitent l’esthétique martiale, une sorte de foi irrationnelle, eh bien les démocraties libérales semblent un peu engluées dans une forme de passivité, dans une forme de société qui préfère le loisir à l’effort, et qu’en ce sens les démocraties libérales sont des sociétés faibles, fragiles, exposées à se faire balayer dès qu’il s’agit de montrer un peu de résistance…

    Sur la question sociale encore, les libéraux ne parviennent pas à proposer une réponse doctrinale concrète et profonde sur des souffrances réelles.

    Au-delà de ces réponses circonstanciées, de façon générale, il faut en revenir à un esprit de la liberté. Face à des gens qui agitent l’utopie, qui animent une forme de spiritualité, il nous faut raviver un discours de la liberté qui soit poétique, qui aille chercher dans les passions, les émotions, afin d’éveiller une conscience de la liberté. Sur la thématique des restrictions sécuritaires par exemple, le discours de l’ État de droit apparaît comme inopérant. Ce sont des arguments justes sur le fond, résolument. Mais ils ne parlent à personne car face à une angoisse sécuritaire, on ne répond pas seulement par la voie du droit et de la technique. Il est donc nécessaire de recréer une adhésion émotionnelle à la liberté. Furet à nouveau démontre bien que ce qui a fait le succès du communisme, c’est cette capacité par l’utopie à réveiller des sentiments et des passions. En tant que libéraux, il faut repenser la liberté à l’aune de certains enjeux contemporains, tout en reformulant un discours poétique, qui va demander, sans doute, de dépasser la simple maîtrise de notre base doctrinale, à travers la littérature, la poésie… Si l’on peut expliquer le succès de personnalités comme François Sureau, c’est qu’ il parle de liberté en littéraire, à travers des figures littéraires et historiques.

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      Le retour du clivage gauche-droite : une nécessité pour un système politique sain

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 20 April, 2023 - 03:15 · 9 minutes

    Qui ne connaît pas le naufrage du Radeau de la Méduse ? Il y a le tableau de Géricault et le récit historique qui, par certains aspects, peut évoquer la situation politique actuelle.

    Le navire Méduse partait de France pour rallier Saint-Louis au Sénégal et reprendre cette colonie perdue. Il était commandé par Chaumareys, un officier de marine qui n’avait plus exercé depuis deux décennies. Proche de l’Afrique, le navire heurte un banc de sable et s’échoue. Alors, tous les passagers partent à bord de chaloupes, canots et du fameux radeau qui sera abandonné en mer. Ce qui est intéressant à mettre en parallèle pour nous est que le radeau, transportant une centaine de personnes, était immergé à un mètre sous l’océan tant il succombait sous son poids. Sur un radeau de 120 mètres de long, les officiers prenaient la meilleure place au centre, là où l’eau était la moins haute et les conditions plus vivables. Les simples soldats et matelots étaient relégués à l’extrême gauche et à droite du radeau.

    Dans un état extrême, les personnes présentes se sont battues, tuées et même dévorées. Tout le monde voulait éjecter les officiers du centre du radeau et prendre leur place. Les officiers rejetaient leurs assaillants sur les extrémités. Au final, quinze survivants sont arrivés à Saint-Louis.

    Ce drame de l’ histoire de la marine fait étrangement écho à la situation politique actuelle. La scène est divisée en trois blocs, chacun accusant l’autre d’une forme d’extrémisme. Cela laisse peu de place aux idées nuancées et modérées. Et si nous en venions à regretter le vieux clivage gauche-droite ?

    Le chaos des partis de gouvernement depuis 2017

    Que n’a-t-on réclamé pendant des années la fin des partis ! Vieille rengaine électorale, les partis  classiques devaient disparaître.

    En 2017 Jean-Luc Mélenchon réclamait déjà, dans une formule pleine de poésie « dégagez-les tous ! »  et « sortez les sortants ! ». Droite, gauche, centre, FN, RN, MoDem, LR, PS : tous semblables et tous devaient céder leur place. Une volonté quasiment réalisée puisque 2017 a tout chamboulé dans le jeu politique national. Un nouvel ordre est né du chaos avec l’élection du président Macron . Un nouvel ordre qui n’a toujours pas trouvé son agencement car, en 2023, le paysage politique n’est toujours pas clair, les partis dits de gouvernement ne sont pas reconstruits et cherchent encore des leaders.

    Regardons la situation du Parti socialiste.

    L’élection de 2017 fut rude. François Hollande a dû renoncer bien tôt , en décembre 2016 : une réelle erreur stratégique car il a ouvert le boulevard à Emmanuel Macron alors qu’au fond, rien ne le pressait, si ce n’est l’organisation de la primaire de la « Belle Alliance Populaire ». Lors de celle-ci, Manuel Valls , l’héritier présomptif a perdu et n’a pas respecté son engagement de soutenir le vainqueur, qui fut Benoit Hamon , le plus à gauche d’entre tous. Il n’a finalement récolté que 6 % des suffrages.

    S’en est suivie la fuite des grands noms vers le macronisme naissant et triomphant ou la disparition des poids lourds du socialisme dans les élections législatives suivantes. Le vieux parti de Mitterrand a totalement perdu pied jusqu’à devenir invisible pendant tout le premier quinquennat du président Macron. Un parti qui se revendiquait de gouvernement, naviguant sans boussole ni inspiration ne pouvait, à terme, que se dévoyer et se perdre. Ce fut chose faite puisque le parti s’est dirigé vers Olivier Faure qui a su lui redonner, contre toute attente, une forme de vie. C’est son mérite. Mais il n’en devient pas plus crédible aux yeux des électeurs. Depuis un an, le vieux PS est sous la coupe de la France Insoumise. Cette année, il est bousculé par une scission interne qui menace de le diviser de façon définitive. Hors de la NUPES, aucune alternative de gauche pour l’instant et d’autant moins lorsqu’on voit comment Olivier Faure a fait du PS un parti d’agitateurs et non plus un parti digne de diriger le pays.

    De l’autre côté, la situation de la droite dite de gouvernement n’a pas été plus glorieuse. Pulvérisée par l’affaire Fillon , elle pensait avoir du temps pour penser sa refondation autour d’idées nouvelles, d’un projet innovant et de personnalités marquantes. Problème, il n’y a rien eu de tout cela. Pire, aucun observateur politique n’est capable de dire qui incarne franchement cette droite historiquement habituée à diriger le pays, puisqu’Éric Ciotti, jadis si farouchement opposé au président, se dirait désormais prêt à accepter d’entrer au gouvernement, Laurent Wauquiez déçoit car il n’intervient jamais, Xavier Bertrand court les plateaux et les médias mais n’imprime pas. La droite n’a plus ses vieux ténors. Elle voulait dépoussiérer et proposer de nouveaux visages et usages. Jusqu’à présent, ce n’est pas un pari réussi.

    Ce constat des vieux partis en déshérence interpelle le commentateur politique et appelle à un constat : après plusieurs années de gouvernance par le bloc central, il est temps de ressusciter le clivage gauche-droite.

    L’impossibilité du en même temps

    Plaider pour le retour du vieux clivage oblige à dénoncer le fameux « en même temps ». L’honnêteté intellectuelle exige de constater qu’il est impossible d’être ET de gauche ET de droite, tant sur le plan philosophique que dans la traduction politique concrète. On ne peut penser une chose et son contraire. On ne peut s’accommoder de tout et avec tout le monde. Autrement, cela s’appelle le renoncement et le projet initialement pensé ne peut aboutir. Les petits arrangements, les pas de deux prennent l’ascendant.

    Or, lorsqu’on a une vision politique, un but et des objectifs pour son pays, on les présente frontalement aux électeurs et on les porte. Depuis 2017, cette philosophie était dénoncée mais elle est devenue une faille béante en pleine majorité relative depuis l’échec, relatif, des législatives 2022 . Cela se voit notamment avec ce que propose la Première ministre et ses « majorité de projet » ou majorité texte par texte. Il s’agit de saucissonner les propositions de lois, de faire en sorte que telle partie plaise à tel groupe et que l’on puisse s’accommoder avec un autre pour ne pas renoncer totalement au projet de loi. Par nature, cela implique un texte dénaturé et une forme de renoncement.

    Autre exemple à venir du problème que représente le « en même temps » avec le projet de loi sur l’immigration portée par la majorité dans les prochains temps. Elle aura énormément de mal à aboutir à moins de plusieurs renoncements. Il faudra aller chercher des voix à droite sans pour autant déplaire à l’aile gauche de Renaissance. Les Républicains pensent pouvoir imposer leurs idées à un gouvernement affaibli par la séquence des retraites mais encore faut-il qu’elles soient acceptées et que la partie gauche de la majorité y souscrive, ce qui est loin d’être gagné. Finalement, face à l’électeur, que reste-t-il ? Une mesure de droite, de gauche ? Juste, injuste ? Utile ou inutile ? C’est flou et c’est ce balancement qui ne fait qu’agrandir l’incompréhension des citoyens.

    La place pour les vieux partis et des nouveaux visages

    Tout système politique sain doit naviguer dans la clarté. Dans la mesure du possible, les hommes et les partis doivent être identifiables.

    À une époque pas si lointaine et imparfaite nous avions des personnalités politiques avec des positionnements bien plus clairs que ce que nous voyons en 2023. Ainsi, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, Laurent Fabius, Philippe Séguin, Michel Rocard, Lionel Jospin, Raymond Barre étaient clairement identifiés par les Français. Aujourd’hui, peut-on sincèrement dire qu’un LR est réellement LR ou un socialiste un socialiste ?

    Geoffroy Didier, ancien directeur de la communication durant la campagne de Valérie Pécresse l’a formulé dans une jolie formule récemment :

    « Macron fait semblant de vouloir une alliance avec la droite mais ne la veut pas. À droite, ils font semblant de ne pas la vouloir alors qu’ils la veulent ».

    Malgré tout, il y a un point positif dans cette situation : le paysage semble se renouveler et proposer des profils intéressants de tous les côtés. Peu importent nos opinions, nos positions, dans un pays libre politiquement il est toujours sain de voir des nouvelles têtes et de ne pas être réduit à devoir choisir entre le président, Jean-Luc Mélenchon Marine Le Pen. En ce sens, il est intéressant de voir émerger des François Ruffin , David Lisnard , Bernard Cazeneuve, Nicolas Meyer-Rossignol, Jordan Bardella, Aurélien Pradié, Carole Delga tout simplement parce qu’ils offrent des alternatives, des choix différents, des perspectives. Beaucoup craignent d’être enfermés, et les derniers sondages le montrent, dans un sempiternel combat entre Renaissance et les extrémités du paysage politique. Mais ce n’est pas une fatalité.

    Si un citoyen ne vote pas pour l’alliance NUPES, peut-être ne se tournera-t-il pas pour autant vers Renaissance car il estimera qu’il existe un monde entre sa vision de la gauche et les deux seules options proposées. Si un autre vote à droite, peut-être qu’il ne se retrouvera pas dans les idées prônées par le Rassemblement national sans pour autant se retrouver dans l’aile droite de la majorité ou Horizons. Il est donc vital de proposer des projets qui ne soient pas nécessairement des outrances ou des ruptures fondamentales.

    À cette aune, il faut saluer tous les partis, toutes les initiatives et tous les visages qui vivent, se déploient, font preuve de différence dans le paysage actuel. De droite ou de gauche, ils sont essentiels à un système politique sain. La situation du Parlement remet beaucoup de choses en perspective et offre des opportunités. À tous les volontaires de les saisir et surtout à la droite et à la gauche classiques de profiter de cet espace pour se reconstruire une légitimité, un cadre, un corpus et avancer.

    Alors, oui, il faut revenir au vieux clivage gauche-droite d’antan : parce qu’il avait le mérite d’être clair, de différencier les partis, d’avoir des offres rationnelles et pas exclusivement radicales, parce qu’il laissait la place à des oppositions et personnages modérés alors qu’aujourd’hui le système politique ne laisse la place qu’aux outrances, à beaucoup d’inculture et d’inconséquence.

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      Réforme des retraites : le référendum d’initiative partagée toujours incertain

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 20 April, 2023 - 03:00 · 6 minutes

    Après avoir invalidé, vendredi 14 avril dernier, une première demande de référendum d’initiative partagée déposée par 252 parlementaires, les Sages de la rue de Montpensier devront se prononcer sur une seconde demande le 3 mai prochain.

    L’intersyndicale et les oppositions espéraient qu’en cas de validation de la réforme des retraites, le Conseil constitutionnel donnerait le feu vert à la demande de Référendum d’initiative partagée (RIP). Mais en se basant sur les règles de droit, les Sages n’ont pas pu valider cette « proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans. »

    À gauche, les communistes ont regretté que le Conseil constitutionnel fasse « obstacle à une sortie de crise par le haut » en refusant la proposition de RIP et ont appelé l’institution à se saisir « de l’opportunité du deuxième RIP pour rendre la parole au peuple. »

    La secrétaire nationale d’EELV, Marine Tondelier a confié à l’AFP être choquée par ce rejet. Pour la députée EELV Sandra Regol, sur Twitter : « Malgré la décision du Conseil constitutionnel, cette loi reste toujours aussi injuste. Le combat continue avec une nouvelle demande de RIP déposée ».

    Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure , voit même plus loin. Il a proposé en conférence de presse, peu après la décision connue :

    « Même s’il n’y avait pas de RIP, nous pouvons lancer une vaste pétition avec l’intersyndicale pour que les Français expriment, hors de toute procédure, leur volonté de référendum. Plusieurs millions de personnes demandent à ce qu’on leur rende la parole. »

    De son côté le député LFI François Ruffin écrit sur Twitter :

    « En démocratie, et pourtant : le peuple ignoré, mis de côté. Demain, Macron et tous ses amis seront vaincus, dans les urnes ou dans la rue. La retraite à 64 ans sera abolie. Le Référendum d’initiative citoyenne s’imposera pour ne plus laisser les pleins pouvoirs à un nouveau roi. »

    Pourquoi l’invalidation du texte du RIP par le Conseil constitutionnel

    Le Conseil reproche au texte de ne pas représenter une réforme selon l’article 11 de la Constitution qui prévoit un champ restreint du référendum dans ses matières.

    Deux questions se sont donc posées aux Sages.

    D’une part, une proposition de loi référendaire dont le seul objet est de plafonner à sa valeur actuelle l’âge de liquidation des droits à la retraite peut-elle être considérée comme portant sur une « réforme relative à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent » ?

    D’autre part, une mesure empêchant une réforme est-elle encore une réforme ? Or, le terme réforme implique que le texte vienne modifier l’état du droit existant. On ne réforme pas en proposant un texte ne faisant que rappeler l’état du droit.

    Le Conseil constitutionnel adopte ici fort justement une position plus réaliste que pour le précédent de l’Aéroport de Paris de 2019. En effet, à sa date d’enregistrement la proposition de loi affirmant que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans ne modifie pas l’état du droit.

    Le cas de validation du second RIP et loi sur la réforme sur les retraites promulguée

    Les opposants au recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans estiment que la réforme devrait être suspendue durant les neuf mois de collecte des signatures.

    Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, qui a « lu un certain nombre d’analyses », affirme quant à lui que « même si le Conseil constitutionnel validait la demande de référendum, cela n’empêche pas la mise en œuvre du texte tel qu’il a été adopté ». En effet, le RIP n’est pas suspensif.

    Mettre sur pause, le chef de l’État « en a le droit et il est même souhaitable qu’il le fasse pour éviter tout conflit avec la procédure référendaire et apaiser la colère citoyenne », a défendu le constitutionnaliste Dominique Rousseau, dans une tribune publiée le 13 mars dans Le Monde .

    Concernant Aéroport de Paris , le gouvernement avait choisi de suspendre l’application de la loi. Il peut éventuellement ne pas prendre les décrets d’application comme ce fut le cas à l’époque du CPE. Reste que même en cas de validation du RIP par le Conseil constitutionnel, puis de succès dans la collecte des signatures, il est peu probable qu’Emmanuel Macron se décide à organiser un référendum qui enterrerait sa propre réforme. Il suffirait en effet que le Parlement se saisisse de la proposition de loi dans les six mois suivant le recueil des signatures pour éviter de demander l’avis des Français.

    Les probabilités de validation du nouveau RIP

    « C’est le même texte que la première demande, complété par un deuxième article qui crée un élément de réforme : une recette fiscale liée aux ressources du capital pour sécuriser le financement de la retraite par répartition », souligne Patrick Kanner (PS).

    Le contenu de la première décision ne rend guère optimiste l’opposition. « Ce sera pareil, rejeté… » a lâché à l’AFP la secrétaire nationale d’EELV, Marine Tondelier.

    De même, le porte-parole des députés PS, Arthur Delaporte, admet dans Le Parisien : « Le deuxième RIP ressemblant beaucoup au premier, les motivations données par le Conseil ne sont pas très encourageantes pour qu’il soit validé ».

    De fait, le deuxième article créant une recette fiscale pour les retraites ne changera pas forcément la donne : dans sa décision du 25 octobre 2022, le Conseil avait rejeté une autre proposition de RIP car « il avait jugé que ne présentait pas ce caractère [de réforme] une proposition qui visait uniquement à abonder le budget de l’État en augmentant le niveau de l’imposition existante des bénéfices de certaines sociétés ».

    L’opposition évoquait dès vendredi soir le dépôt éventuel d’un troisième RIP amendant le deuxième afin de tenir compte des remarques du Conseil. Mais le calendrier pourrait aussi poser problème : la loi est désormais promulguée et une proposition de RIP « ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an ». La deuxième demande de RIP a certes été déposée juste avant (jeudi), mais l’éventuelle validation ne pourra survenir qu’après. Ce sera au Conseil constitutionnel de décider.

    En effet, le Constituant de 2008 qui a introduit le RIP dans la Constitution avait plus que tout peur que ce dernier serve à remettre en cause la légitimité et l’autorité du Parlement. Aussi, il a prévu qu’aucun RIP ne pourrait avoir lieu sur un texte promulgué depuis moins d’un an.

    Le Conseil constitutionnel poursuit donc une interprétation stricte du champ d’application du RIP de l’article 11 alinéa 3 de la Constitution.

    SOURCE : Décision n° 2023-4 RIP du 14 avril 2023 | Conseil constitutionnel (conseil-constitutionnel.fr)

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      SVB : une autre victime de la politique monétaire expansive

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 20 April, 2023 - 02:50 · 7 minutes

    Par Nicholas Baum.

    Si vous avez regardé les nouvelles récemment, vous avez probablement vu des titres et des premières pages dominés par l’histoire de la deuxième plus grande faillite bancaire de l’histoire des États-Unis : celle de la Silicon Valley Bank, ou SVB. La faillite a commencé lorsque la semaine dernière cette banque commerciale basée à Santa Clara, la seizième plus grande banque des États-Unis, a annoncé aux investisseurs qu’elle avait besoin de lever plus de deux milliards de dollars de fonds pour son bilan, ce qui est peu par rapport à ses 212 milliards de dollars d’actifs totaux.

    Néanmoins, en une seule journée, l’action de sa holding a chuté de plus de 60 % car ses clients, principalement des startups technologiques, ont retiré 42 milliards de dollars de dépôts de la banque, la laissant avec un solde de trésorerie négatif de 958 millions de dollars. Aujourd’hui, on craint que SVB ne soit que la première d’une longue série de victimes bancaires, la Signature Bank de New York ayant subi le même sort que SVB vendredi.

    Alors que le pandémonium continue de frapper une grande partie du monde financier après son effondrement, une question mérite d’être posée : comment SVB a-t-elle pu se retrouver dans une situation aussi désastreuse en annonçant soudainement et de manière surprenante qu’elle avait besoin de milliards de dollars de fonds ? Bien que les experts et les politiciens aient pointé du doigt un certain nombre de responsables, des investisseurs en capital-risque à la diversité, l’équité et l’inclusion, un coupable souvent négligé dans l’ascension et la chute spectaculaires de la SVB est une autre banque des États-Unis : la Réserve fédérale.

    Bien qu’il s’agisse sans aucun doute d’une histoire compliquée avec un certain nombre de coupables, le rôle de la Réserve fédérale et de sa politique monétaire expansionniste sur la pandémie ne peut passer inaperçu, la dépendance malsaine de la SVB (et d’autres banques) à l’égard des mesures sans précédent de la Fed ayant pris une tournure négative dès que les taux d’intérêt ont commencé à augmenter. En examinant de près les décisions de la Fed et de la SVB au cours des dernières années, nous pouvons apprendre comment éviter une faillite bancaire d’une telle ampleur à l’avenir.

    Politique monétaire laxiste et bilans

    Au cours de la pandémie, les banques américaines se sont retrouvées avec un afflux de liquidités grâce à la politique monétaire sans précédent de la Fed, qui a vu la masse monétaire augmenter de plus de 40 % en un peu plus de deux ans grâce à des mesures telles que l’ assouplissement quantitatif , la mise en place de nouvelles facilités de prêt et la réduction des taux d’intérêt à des niveaux proches de zéro.

    Grâce à ces mesures , la valeur totale de tous les actifs détenus par les banques commerciales (celles qui acceptent les dépôts du public, comme la SVB) a augmenté de plus de 27 %, les banques investissant massivement leurs nouvelles liquidités dans des obligations telles que les titres du Trésor et les titres adossés à des créances hypothécaires. Par exemple, sur les 212 milliards de dollars d’actifs totaux de la SVB, 117 milliards de dollars ont été investis dans des titres tels que ceux mentionnés ci-dessus.

    Pourquoi des obligations ?

    Parce que leur valeur augmente lorsque les taux d’intérêt diminuent. Ainsi, lorsque la Fed a réduit les taux d’intérêt pendant la pandémie et acheté des milliers de milliards de dollars d’obligations par le biais de l’assouplissement quantitatif (augmentant ainsi leur demande), la valeur des obligations a fortement augmenté. Les banques commerciales ont profité de cette tendance à la hausse de la valeur des obligations en achetant de grandes quantités dans l’espoir de les revendre plus tard, profitant ainsi de leur valeur croissante.

    Bien que les titres du Trésor et les titres adossés à des créances hypothécaires se soient appréciés au cours de la pandémie, l’inflation galopante qui a naturellement suivi l’expansion monétaire massive de la Fed a contraint la banque centrale à relever rapidement les taux d’intérêt pour lutter contre la hausse des prix. Cela s’est évidemment traduit par une forte baisse de la valeur des obligations que les banques commerciales détenaient en grandes quantités, les taux d’intérêt et la valeur des obligations étant inversement corrélés.

    Pour la SVB, plus que pour d’autres banques, cela signifiait des problèmes.

    Près de 43 % de son portefeuille étaient investis en obligations, un portefeuille qui avait subi 15 milliards de dollars de pertes à la fin de l’année 2022. Malgré la taille de la SVB, son manque de diversification des actifs et sa dépendance à l’égard des startups technologiques, particulièrement sensibles aux hausses de taux d’intérêt, l’ont rendue vulnérable au revirement brutal de la politique de la Fed.

    Les retraits de dépôts des entreprises technologiques au cours de l’année écoulée et l’incapacité croissante de la SVB à les financer en raison de la baisse de son bilan ont atteint un point de rupture il y a une semaine lorsque la banque a fait son annonce, déclenchant une ruée sur les banques. Néanmoins, l’effondrement soudain et rapide de la SVB pourrait entraîner des problèmes pour d’autres banques commerciales.

    Selon la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), fin 2022 les banques américaines détenaient 620 milliards de dollars de pertes non réalisées, c’est-à-dire d’actifs dont la valeur a baissé mais qui n’ont pas encore été vendus.

    Le président de la FDIC, Martin Gruenberg, déclare :

    « L’environnement actuel des taux d’intérêt a eu des effets dramatiques sur la rentabilité et le profil de risque des stratégies de financement et d’investissement des banques […] Les pertes non réalisées affaiblissent la capacité future d’une banque à faire face à des besoins de liquidités inattendus (retraits de dépôts inattendus) ».

    Tirer des conclusions

    Une réalité importante de la chute de la SVB et de ses sombres implications pour les autres banques commerciales est qu’il n’y a pas qu’un seul coupable.

    Certes, la SVB aurait pu diversifier davantage son bilan de sorte que les pertes sur ses obligations n’auraient pas été aussi importantes. Elle aurait également pu acheter des obligations à plus court terme dont l’échéance arrivait plus tôt. En effet, Connie Loizos, rédactrice de TechCrunch , a peut-être raison de conclure que « la Silicon Valley Bank se tire une balle dans le pied ».

    Toutefois, comme l’indique M. Gruenberg, la baisse de la valeur des obligations est devenue une menace généralisée pour les bilans des banques commerciales, Signature Bank et Silvergate étant deux autres banques notables contraintes de fermer leurs portes au cours de la semaine dernière en raison de la baisse de leurs bilans. Au milieu de cette tendance troublante, la Fed pourrait se distinguer en fournissant le carburant nécessaire à l’incendie qui s’ensuit.

    L’analyste bancaire Christopher Walen s’interroge dans un tweet :

    « Est-il possible que personne n’ait interrogé le président Powell sur la détérioration de la solvabilité des banques américaines due à l’assouplissement quantitatif ? Où pensez-vous que ce chiffre de -600 milliards de dollars sera à la fin du premier trimestre 2023 ? »

    Le « chiffre de – 600 milliards de dollars » fait référence à l’estimation par la FDIC des pertes non réalisées des banques américaines. Bien que le passage d’une politique monétaire expansionniste à une politique monétaire restrictive puisse justifier une baisse de la valeur des obligations, l’expansion sans précédent de la masse monétaire de la Fed par l’achat de milliers de milliards de dollars de titres peut avoir fait augmenter artificiellement leur valeur, faisant passer les obligations pour un investissement beaucoup plus important qu’elles ne l’étaient en réalité et trompant les banques en les incitant à acheter massivement des titres pour lesquels elles subissent actuellement des pertes.

    Alors que les États-Unis sont aux prises avec un secteur bancaire fragile et des niveaux d’inflation toujours élevés, il convient de s’interroger sur le manque de retenue de la Fed qui a ouvert les vannes de l’impression monétaire tout au long de la pandémie.

    Reste à savoir si la banque centrale est capable de reconnaître ses erreurs précédentes et d’en tirer des leçons.

    Sur le web

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      Des petits pas pour l’IA mais des bouleversements géants pour l’humanité

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 19 April, 2023 - 12:15 · 6 minutes

    Depuis le 30 novembre dernier , l’homme de la rue, ou, disons, l’internaute moyen a pu découvrir une version grand public de l’intelligence artificielle, avec un étonnant assistant de dialogue, chatGPT. Depuis – et alors que cet événement ne s’est produit que quatre mois en arrière – des avancées considérables sont enregistrées dans tous les domaines de l’intelligence artificielle…

    On pourrait ainsi mentionner les bénéfices obtenus dans des domaines scientifiques très pointus en utilisant l’intelligence artificielle, comme notamment son application au calcul du repliement de protéines. En effet, depuis 2018, l’intelligence artificielle est utilisée dans le cadre de AlphaFold pour aider au calcul de la façon dont les acides aminés vont s’assembler et se stabiliser pour former une protéine.

    Traditionnellement (et depuis la fin des années 1970), ce repliement était calculé en évaluant notamment les forces de Van der Waals entre les différentes parties de la structure moléculaire en cours de stabilisation, ce qui entraînait rapidement des calculs extrêmement complexes et longs. La simulation in silico de ce repliement par cette méthode, particulièrement gourmand en force de calcul, a cependant été remplacée récemment par l’utilisation de l’intelligence artificielle qui permet d’obtenir des résultats stupéfiants (de meilleure qualité dans un temps considérablement plus court), qualifiés même de révolutionnaires en ce qu’ils permettent, trois ans plus tard , d’obtenir des résultats en quelques secondes : les scientifiques peuvent alors simuler des dizaines de repliements par jour et augmenter phénoménalement la quantité de test in vivo aptes à déterminer les protéines capables de fournir une réponse souhaitée.

    Avec AlphaFold, il devient par exemple possible de réaliser des médicaments sur mesure, ou de modifier la structure génétique de certaines bactéries : pour le meilleur, par exemple amener et distribuer certaines substances spécifiques dans les cellules pour guérir de toutes sortes de maladies, et pour le pire puisqu’on peut fort bien s’en servir pour développer de nouvelles fonctions dangereuses inconnues dans la nature. Tout comme la maîtrise de l’atome, la maîtrise complète du repliement des protéines comporte en elle des capacités de création ou de réparation égalées seulement par ses capacités de destruction…

    Un récent exemple de l’application d’AlphaFold est l’actuelle recherche d’enzymes capables d’aider des bactéries à non seulement digérer toutes sortes de plastiques, mais aussi de les recycler pour que ces bactéries soient capables d’excréter des polymères directement réutilisables ensuite, rendant le recyclage des matières plastiques aussi simple et peu coûteux que possible, diminuant d’autant nos besoins en matière première fossile…

    Parallèlement à ces développements, notons la sortie d’un très récent papier de Microsoft sur GPT 4, la version actuelle du moteur d’OpenAI, dans lequel les chercheurs ont tenté d’évaluer la qualité des réponses et des adaptations de ce moteur à différents problèmes et jeux qui lui ont été proposés.

    En somme, Microsoft a tenté d’évaluer les capacités intellectuelles du moteur (ou disons ce qui passe pour) et les conclusions de l’article sont pour le moment spectaculaires puisque les chercheurs impliqués soutiennent que pour la première fois ce modèle fait preuve d’une intelligence plus générale que les modèles précédents : selon eux, au-delà de sa maîtrise du langage, GPT4 peut résoudre des tâches nouvelles et difficiles dans les domaines des mathématiques, du codage, de la vision, de la médecine, du droit, de la psychologie, sans avoir besoin d’une aide particulière. En outre, et toujours selon les évaluations des chercheurs détaillées dans l’imposant papier (155 pages tout de même), les performances de GPT4 sont étonnamment proches de celles d’un être humain dans toutes ces tâches et dépassent souvent largement celles de modèles antérieurs tels que ChatGPT.

    Autrement dit, les chercheurs estiment que, compte-tenu de ses capacités, GPT4 peut raisonnablement être considéré comme une première version (encore incomplète, certes) d’un système d’intelligence artificielle générale (AGI).

    Une affirmation aussi forte demande bien sûr des preuves solides et force est de constater que les évaluations détaillées dans le papier imposent de considérer sérieusement cette affirmation. Par exemple, le moteur est capable de reconstituer le plan sommaire d’un appartement à partir de la description textuelle des déplacements d’une pièce à l’autre, obtenue exclusivement par dialogue avec l’utilisateur, ce qui démontre une capacité de modélisation dans l’espace. Il s’agit d’un résultat émergent, puisque cette modélisation n’est pas programmée dans le modèle à proprement parler :

    De même, en demandant au moteur de produire des dessins utilisant TikZ , les chercheurs ont non seulement observé sa capacité à produire un résultat en rapport avec les concepts manipulés, mais ils ont de surcroît constaté sa capacité à affiner ses précédents résultats à mesure que sa maîtrise du langage de dessin et de ces concepts s’améliorait.

    C’est ainsi que l’un des chercheurs, Sebastien Bubeck, a régulièrement demandé à ce moteur de lui dessiner une licorne dont l’apparence finale n’a cessé de s’améliorer .

    Sur d’autres tâches (comme par exemple passer des examens, depuis le barreau jusqu’à des tests de codage), GPT4 s’en est là encore sorti brillamment ; le moteur a par exemple réussi les tests informatiques proposés par Amazon lors de ses entretiens d’embauches, en réalisant un score de 100 % en 4 minutes (là où un humain dispose normalement de deux heures pour finir le test et où aucun ne l’a jamais bouclé en si peu de temps).

    Malgré des erreurs étonnantes (une incapacité assez amusante à faire des calculs mathématiques simple, comme des racines carrées ou dénombrer des éléments dans un ensemble), GPT4 démontre de plus en plus de capacités à comprendre réellement les tâches qu’on lui demande, voire à démontrer un certain bon sens… Même si, parfois, on peut raisonnablement douter :

    Finalement, si « monde d’après » il y a, c’est celui qui se met en place actuellement, avec une vitesse dont bien peu se rendent compte. Et dans ce monde, l’intelligence artificielle semble avoir un impact de plus en plus fort, de plus en plus rapide et de plus en plus profond, à tel point qu’elle prend tout le monde par surprise (beaucoup d’experts n’imaginaient pas voir certains des résultats de GPT4 avant 2027 voire 2030 par exemple).

    Dans ce nouveau monde, il apparaît évident que toute spécialisation poussée – intellectuelle pour le moment – trouvera rapidement dans l’intelligence artificielle un remplaçant redoutable, qui fera plus vite et mieux. Le monde d’après va avoir besoin de généralistes.

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      Petit traité de libéralisme à l’attention de Sandrine Rousseau

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 19 April, 2023 - 03:30 · 21 minutes

    Le 5 avril 2023, la députée Europe Écologie Les Verts Sandrine Rousseau a affirmé dans un tweet que « le libéralisme engendre le fascisme ».

    Comment ne pas être résigné, tant ces manipulations sémantiques sont devenues choses courantes dans le paysage intellectuel et politique français ? Cette déclaration devrait susciter une hilarité à la hauteur du travestissement des mots qu’elle engendre. Pourtant, à l’exception de l’indignation de quelques braves libéraux sur les réseaux, le mutisme a régné, et rares ont été les réactions venues d’ailleurs.

    Qu’une députée et universitaire puisse à ce point parodier le réel dans l’indifférence totale ne manque pas d’intriguer. En fait, tout porte à croire que ce silence est hautement significatif. Le libéralisme et ses variantes ( néolibéralisme , ultralibéralisme , turbo libéralisme , libéralisme sauvage …) sont devenus autant de qualificatifs vidés de leur sens et instrumentalisés péjorativement. C’est parce que l’antilibéralisme et ses lieux communs ont progressivement envahi l’univers mental collectif des Français qu’il est possible, en 2023, de soutenir qu’il y aurait continuité ou équivalence entre la philosophie libérale et le fascisme. Ce tour de passe-passe rhétorique prospère au prix d’une méconnaissance profonde de l’histoire, de la diversité et de la richesse de la pensée libérale.

    50 nuances d’antilibéralisme

    Ainsi n’est-il pas rare de lire ou d’entendre que le libéralisme ne serait qu’un vulgaire économisme se résumant à un « laisser-faire » immoral ; un individualisme forcené, construit sur une forme d’anarchisme sauvage et de darwinisme social, menant à l’atomisation du corps social et détruisant la fraternité et l’altruisme ; un « rouleau compresseur » 1 uniformisant et globalisant ; une pensée « conservatrice », « de droite » ; et enfin… le libéralisme serait le germe, le porte-parole, le concepteur, si ce n’est la réplique d’une forme de « totalitarisme ». Son bras armé ? La « dictature du marché ».

    Si cette dernière idée reçue nous intéresse tout particulièrement, c’est qu’elle procède d’une véritable inversion des valeurs : en réalité, le libéralisme est l’opposé le plus chimiquement pur du totalitarisme ou du « fascisme », pour reprendre les mots de madame Rousseau.

    Plutôt que de réfuter ce qu’il n’est pas , tâchons plutôt de rappeler ce qu’est le libéralisme en évoquant succinctement ses fondations conceptuelles, tout en gardant à l’esprit que, par-delà ce socle commun, la pensée libérale brille par sa diversité, et son histoire est caractérisée par d’innombrables tensions sur des points de doctrines capitaux.

    Le libéralisme est une défense de la souveraineté individuelle

    « La liberté naturelle de l’homme, c’est de ne reconnaître sur terre aucun pouvoir qui lui soit supérieur, de n’être assujetti à la volonté de personne »

    John Locke, Traité du gouvernement civil , 1690.

    « Le but des anciens était le partage du pouvoir social entre tous les citoyens d’une même patrie : c’était là ce qu’ils nommaient liberté. Le but des modernes est la sécurité dans les jouissances privées ; et ils nomment liberté les garanties accordées par les institutions à ces jouissances. »

    Benjamin Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes , 1819.

    « J’ai défendu quarante ans le même principe, liberté en tout, en religion, en philosophie, en littérature, en industrie, en politique : et par liberté, j’entends le triomphe de l’individualité, tant sur l’autorité qui voudrait gouverner par le despotisme, que sur les masses qui réclament le droit d’asservir la minorité à la majorité. Le despotisme n’a aucun droit. »

    Benjamin Constant, Mélanges de littérature et de politique .

    Le libéralisme trouve son origine dans l’absolue nécessité de défendre la souveraineté de l’individu. Au XVII e siècle, John Locke (1632-1704) soutient, dans son Traité du gouvernement civil (1690) que chaque individu possède des droits naturels inaliénables (la vie, la liberté, la propriété) et assigne au gouvernement la mission d’en garantir l’existence.

    Partant de ce constat, la souveraineté de l’individu débouche inévitablement sur la défense des libertés individuelles (liberté d’expression, d’association, de religion, de conscience, d’entreprendre…). Personne n’a exprimé avec plus de brio que Benjamin Constant (1767-1830) le contenu et la spécificité de cette « liberté des Modernes ». Cette dernière, contrairement à la « liberté des Anciens », se concentre sur la protection des droits individuels et la limitation du pouvoir de l’État. Pour Constant, les citoyens devraient être libres de poursuivre leurs propres intérêts et aspirations sans qu’un pouvoir ou une morale extérieure n’interfèrent. Pour ce faire, le pouvoir politique ne peut être absolu, quelle que soit sa source, là où la liberté des Anciens repose sur « l’assujettissement complet de l’individu à l’autorité de l’ensemble » 2 . Le libéralisme défend donc l’autonomie personnelle : à savoir, l’existence d’une sphère d’action propre à l’individu dans laquelle il peut se mouvoir à sa guise, vivre selon ses propres idéaux et convictions, du moment que cette liberté n’altère pas celle d’autrui.

    Contrairement aux caricatures et aux lectures erronées du discours de Constant, La liberté des Anciens comparée à celle des Modernes n’est pas l’éloge d’un individualisme égoïste, de la monade, de l’être replié sur soi. Il avertit au contraire sur les dangers que court la liberté si elle ne s’investit pas dans les arcanes de la cité, dans l’administration de la chose publique. La liberté individuelle et la liberté politique vont de pair. Le citoyen et l’individu doivent cohabiter. Constant nous invite à ne pas mésestimer cette association : « Le danger de la liberté antique était qu’attentifs uniquement à s’assurer le partage du pouvoir social, les hommes ne fissent trop bon marché des droits et des jouissances individuelles. Le danger de la liberté des modernes, c’est qu’absorbés dans la jouissance de notre indépendance privée, et dans la poursuite de nos intérêts particuliers, nous ne renoncions trop facilement à notre droit de partage dans le pouvoir politique » 3 . Ces nuances sont importantes puisqu’elles battent en brèche les caricatures d’un libéralisme et d’un individualisme atomiste, destructeurs du lien social et politique.

    Mais pour qu’elle ne soit pas vidée de son contenu, cette liberté n’est pas une licence, une « liberté métaphysique » illimitée. Elle est encadrée par le réel , qui dessine les contours du faisable et du non-faisable. Et cette liberté va de pair avec la responsabilité individuelle, autre concept maltraité par de nombreuses mécompréhensions et caricatures. Celle-ci est, pour les libéraux, la condition sine qua non d’une liberté bien comprise : « seul un homme maître de ses choix est susceptible d’en recueillir les bienfaits et d’en subir les conséquences » 4 . C’est un point que ses adversaires négligent totalement lorsqu’ils opposent une « liberté réelle » à la « liberté sur le papier » des libéraux. Cette opposition est d’ailleurs intimement liée à l’expression d’un anti-individualisme fort, puisque la croyance en un individu socialement construit implique sa déresponsabilisation. C’est méconnaitre que les libéraux défendent la responsabilité individuelle sur le plan politique avant de la défendre sur le plan métaphysique. Autrement dit, d’un point de vue descriptif, un libéral pourrait totalement admettre l’axiome selon lequel la liberté individuelle n’existe pas réellement car chaque individu serait le produit de sa biologie et de son environnement, tout en continuant à prôner normativement que la responsabilité individuelle est une nécessité d’un vivre-ensemble respectueux des libertés individuelles.

    Les libéraux ne s’accorderaient pas tous sur cette conception de la responsabilité (voir l’anthologie d’Alain Laurent, L’autre individualisme ). Mais ce qui nous importe ici est surtout de défaire l’idée selon laquelle les progrès récents des sciences sociales et des neurosciences rendraient caduques la notion libérale de responsabilité individuelle, et in fine de l’individualisme qu’elle implique.

    Le libéralisme est un système de gouvernement

    « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».

    Charles de Montesquieu, L’Esprit des Lois , 1748.

    « Prions l’autorité de rester dans ses limites ; qu’elle se borne à être juste. Nous nous chargerons d’être heureux ».

    Benjamin Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes , 1819.

    Ce primat donné à l’individu et à sa souveraineté, traduit politiquement, est très loin de se résumer à un simple antiétatisme primaire. Au contraire, le libéralisme intègre la question étatique au cœur de ses préoccupations, et ce depuis ses origines. Seulement, si les libéraux ne s’opposent pas à la présence d’un pouvoir politique, ils s’attachent à lui poser des limites strictes.

    L’émergence du libéralisme politique est intimement liée aux grands débats de la période moderne autour de la légitimité du pouvoir politique. Cette dernière ne résulte plus de l’onction divine ; la monarchie absolue perd de son prestige ; subsiste désormais le contrat social issu du consentement des individus. C’est le contractualisme . Thomas Hobbes (1588-1679) sera le premier théoricien à penser l’individu, né des nécessités de l’état de guerre – s’en prémunir pour sauvegarder sa personne – désormais devenu l’échelon légitime pour céder à l’État la prérogative de garantir sa sécurité via le contrat social. Suivra alors John Locke qui développera, dans sa version « libérale » du contrat social, l’existence de droits naturels inaliénables, qui consacrent dès lors une souveraineté et une dignité préalables à l’instauration de la société politique. En ce sens, l’absolutisme est rejeté dans ses fondations : il y a un droit qui précède l’État, et qui l’astreint. Si le gouvernement venait à sortir du cadre de ses attributions, ou s’il échouait à protéger ces droits, alors les citoyens seraient fondés à le renverser.

    De ce souci de lutter contre le gouvernement absolu naîtra le besoin de limiter et de contrôler le pouvoir. Charles de Montesquieu (1689-1755) est sur ce point un penseur incontournable tant sa théorie de la séparation des pouvoirs a joué un rôle considérable dans l’histoire de la philosophie politique, établissant la nécessité de diviser le pouvoir entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Cet outillage institutionnel serait pour Montesquieu le moyen le plus efficace pour se prémunir contre toute forme de tyrannie. Cette théorie inspirera largement l’un des pères de la Constitution américaine de 1787, James Madison , à laquelle il ajoutera la défense du fédéralisme, autre moyen de partager et décentraliser le pouvoir politique.

    Enfin, pour les libéraux, la séparation des pouvoirs ne saurait constituer un garde-fou suffisant. Il faut aussi et surtout inscrire dans le contrat qu’est la Constitution des limites fixes et indépassables au pouvoir afin de garantir les droits de l’Homme. Ils ajoutent ici, comme le fait merveilleusement Benjamin Constant (voir la citation ci-dessus), que le rôle de l’État n’est pas de « faire le bien », mais d’empêcher le mal en donnant aux individus les moyens de se réaliser et de rechercher leur bonheur. Comme le dit très justement Mathieu Laine dans son dictionnaire 5 , les libéraux s’intéressent davantage au contenu du pouvoir qu’à sa source.

    C’est pour cette raison qu’ils se méfient de la « démocratie absolue » car la légitimité de la source du pouvoir ne l’empêche pas d’être tyrannique. Au contraire même, le surplus de légitimité que confère la décision prise de manière démocratique peut favoriser et justifier la négation des droits de l’individu au nom de l’intérêt général de la collectivité. Constant encore, dans ses Principes de politique (1806), met en garde contre « l’erreur de ceux qui, de bonne foi dans leur amour de la liberté, ont accordé à la souveraineté du peuple un pouvoir sans bornes » 6 . Si ces derniers ont « vu dans l’histoire un petit nombre d’hommes, ou même un seul, en possession d’un pouvoir immense, qui faisait beaucoup de mal ; […] leur courroux s’est dirigé contre les possesseurs du pouvoir, et non contre le pouvoir même. Au lieu de le détruire, ils n’ont songé qu’à le déplacer » 7 .

    Dans son célèbre ouvrage De la démocratie en Amérique (1835), Alexis de Tocqueville fait part d’inquiétudes semblables au sujet du « despotisme de la majorité » : « Les démocraties sont naturellement portées à concentrer toute la force sociale dans les mains du corps législatif. Celui-ci étant le pouvoir qui émane le plus directement du peuple, est aussi celui qui participe le plus de sa toute-puissance. On remarque donc en lui une tendance habituelle qui le porte à réunir toute espèce d’autorité dans son sein. Cette concentration des pouvoirs, en même temps qu’elle nuit singulièrement à la bonne conduite des affaires, fonde “le despotisme de la majorité” » 8 . Pour lutter contre ce despotisme, Tocqueville affirme que « le pouvoir accordé aux tribunaux de se prononcer sur l’inconstitutionnalité des lois, forme encore une des plus puissantes barrières qu’on ait jamais élevée contre la tyrannie des assemblées politiques » 9 .

    L’ordre spontané contre l’interventionnisme

    « Le vice est aussi nécessaire dans un État florissant que la faim est nécessaire pour nous obliger à manger. Il est impossible que la vertu seule rende jamais une Nation célèbre et glorieuse. »

    Bernard Mandeville, Fable des abeilles , 1714

    « La liberté générale d’acheter et de vendre est donc le seul moyen d’assurer, d’un côté, au vendeur, un prix capable d’encourager la production ; de l’autre, au consommateur, la meilleure marchandise au plus bas prix. Ce n’est pas que, dans des cas particuliers, il ne puisse y avoir un marchand fripon et un consommateur dupe ; mais le consommateur trompé s’instruira et cessera de s’adresser au marchand fripon ; celui-ci sera discrédité et puni par là de sa fraude ; et cela n’arrivera jamais fréquemment, parce qu’en général les hommes seront toujours éclairés sur un intérêt évident et prochain. »

    Turgot, Deuxième Lettre à un grand vicaire sur la tolérance , 1754

    Si les principes du libéralisme politique font relativement consensus aujourd’hui, ceux du libéralisme économique sont au contraire presque unanimement rejetés, et c’est sur ce plan que madame Rousseau condamne le libéralisme dans son ensemble, « parce qu’il broie les humains, qu’il se fout des conséquences de son économie, que seul le court terme l’intéresse et surtout le profit et l’accumulation. Il détruit tout, de nos États sociaux à notre planète en passant par nos démocraties ».  Cette diatribe ambiguë et désordonnée, qui ne fait que reprendre de manière confuse la panoplie des clichés sur la pensée libérale, cache en réalité une incompréhension des enjeux que recouvre le thème des libertés économiques.

    Dans ce monde simpliste et manichéen que dessine maladroitement madame Rousseau, les libéraux ne seraient que des financiers cyniques, obsédés par les indices économiques, traversés par une vision statistique et mathématique de la réalité sociale et imprégnés d’un mépris pour le « bas peuple » n’ayant d’égal que sa fascination pour les « élites » dominantes. En fait, la défense du libre marché et d’une économie libérale est tout aussi fondée sur des arguments moraux et politiques qu’utilitaristes. Pour les libéraux, le marché est un outil au service d’un modèle socio-économique basé sur « l’ordre spontané », jugé plus juste, efficace et respectueux des libertés individuelles que son antithèse, l’interventionnisme.

    Loin d’être une machine qui « broie les humains », le concept de marché désigne un « Espace abstrait qui désigne l’ensemble des transactions entre individus, il s’agit d’une procédure qui permet à chacun de découvrir et de recueillir des informations indispensables à sa propre action, […] il s’agit d’un processus de découverte » 10 . Murray Rothbard (1926-1995) explique ainsi que le « laisser-faire ou le libre marché ne supposent pas que chacun connaît toujours le mieux dans son propre intérêt, il affirme plutôt que chacun devrait avoir le droit d’être libre de poursuivre son propre intérêt comme il considère le mieux » 11 . Les libéraux reconnaissent donc l’imperfection du marché, mais ils jugent qu’aucun système socio-économique n’atteint son niveau d’efficacité et de justice.

    L’adhésion au marché et la lutte contre l’interventionnisme sont en fait les pendants politiques d’une très riche réflexion épistémologique soutenant l’individualisme contre le constructivisme . La pensée de Friedrich Hayek (1899-1992) est à ce sujet inégalable. Pour le penseur autrichien, il suffit d’approcher l’immense complexité du monde, et donc notre incapacité à l’appréhender totalement, pour réfuter toute approche constructiviste. Il soutient ainsi que les planificateurs centraux ne disposent jamais de l’ensemble des informations nécessaires pour prendre des décisions économiques optimales, tant ces dernières sont nombreuses, dispersées et difficiles à identifier. Il oppose à cette planification étatique et centralisatrice le concept de catallaxie , qui désigne l’ordre spontané émergeant de l’infinité des interactions prenant place sur le marché. Les prix jouent un rôle important en tant que mécanisme de communication transmettant à l’ensemble des acteurs du marché les informations nécessaires à leurs actions, leur permettant de prendre des décisions « éclairées » sans l’aide d’un acteur central quelconque. Avec la catallaxie, Hayek illustre comment un ordre complexe et coordonné peut émerger des interactions volontaires et décentralisées des acteurs du marché.

    Surtout, cette lutte contre l’interventionnisme s’inscrit dans une lutte contre la croissance du pouvoir étatique. En effet, les libéraux considèrent qu’il ne peut y avoir de libertés individuelles sans libertés économiques. Ils ajoutent que l’absence de ces dernières mène inévitablement à un système politique autoritaire. Lorsqu’Hayek soutient, dans La route de la servitude (1944), qu’un contrôle excessif de l’État dans l’économie conduit nécessairement à une perte de libertés individuelles, il s’inscrit dans la droite lignée de la défense des libertés modernes de Benjamin Constant. Produire et consommer sont des actes profondément intimes et personnels, et une trop grande intervention du pouvoir politique dans la vie économique correspond à une intrusion liberticide d’un pouvoir toujours arbitraire dans la vie des individus.

    L’esprit totalitaire n’a pas disparu…

    « Une élite, qui prétend édifier une société parfaite, incline d’autant plus à la brutalité qu’elle s’imagine viser une fin plus sublime. Du messianisme à la violence, de la violence à la tyrannie, la leçon n’a pas le mérite d’être neuve, et l’on n’ose même pas espérer qu’elle soit jamais retenue. »

    Raymond Aron, Préface de Lénine et la IIIe Internationale (Branko Lazitch), 1950

    Ces quelques lignes auront suffi à démontrer que, loin de tenir la main au fascisme ou au totalitarisme, le libéralisme s’est en fait bâti, tout au long de son histoire, contre toute forme de tyrannie. Les totalitarismes du XX e siècle se sont tous construits autour d’une vision constructiviste de l’Homme et de la société dans une perspective profondément antilibérale. Il est d’ailleurs marquant d’observer à quel point l’illibéralisme et la lutte contre « la bourgeoisie libérale » sont les dénominateurs communs du fascisme italien, du stalinisme soviétique et du national-socialisme allemand.

    Contre ces visions totalisantes et autoritaires « prétendant édifier une société parfaite », les auteurs libéraux se sont soulevés sans aucune forme d’ambiguïté, reconnaissant bien que ces projets visaient à détruire l’individu pour en faire un simple outil au service d’un projet politique holistique. Ce n’est pas un hasard si, parmi les grands analystes du phénomène totalitaire et des religions séculières, on trouve nombre de penseurs libéraux : Élie Halévy, Ludwig Von Mises, Raymond Aron , Friedrich Hayek, François Furet, Jean-François Revel , pour ne citer qu’eux…

    Les prises de position de madame Rousseau autour de la crise environnementale ou des enjeux autour de la défense des minorités montrent bien qu’à travers le contrôle de l’économie, il est en fait question de soumettre l’individu aux exigences d’un intérêt général toujours plus abstrait et arbitraire. N’y a-t-il pas, dans la volonté d’interdire certains types de productions et de consommations (on pense par exemple à la volonté d’ interdire les jets privés ), une vision profondément morale de l’économie, visant à distinguer des « pollutions légitimes » et des « pollutions illégitimes » selon des critères profondément arbitraires et subjectifs ? Dans le monde décroissant et égalitaire de madame Rousseau, quelle sera la place du divertissement sur YouTube ? Légitime ? Illégitime ? Que dira-t-elle à ceux qui veulent voyager ? Visiter de la famille sera-t-il plus légitime que de participer à un colloque universitaire à l’autre bout du monde ? Est-ce que des vacances studieuses dans des musées seront considérées comme plus légitimes que des vacances oisives sur une plage de sable blanc ? N’est-ce pas également une posture potentiellement totalitaire que de considérer que le privé est politique et que, ce faisant, aucun aspect de la vie ne devrait échapper au contrôle du pouvoir politique ? Ou encore, qu’en est-il de la liberté de conscience quand certains se réjouissent de l’apparition de sensibility readers dont le rôle est de réécrire des œuvres , dans le but très admis d’agir jusque dans l’inconscient des individus en expurgeant certains mots ou certaines idées d’œuvres classiques ?

    Ces différents exemples tracent tous un même dessein : la volonté de contrôler l’ensemble de la réalité sociale afin de faire advenir une société parfaite, débarrassée de tous ses maux. Face à cette prétention totalisante, la pensée libérale apparaît plutôt comme un antidote à ces dérives pernicieuses. Pour ne prendre que l’exemple de la crise climatique (puisque madame Rousseau est députée écologiste) : plutôt que d’interdire la viande et les jets privés, de limiter la consommation de débit internet et d’imposer des pratiques, de manière égalitaire, au prix d’une négation totale des individus et de leurs aspirations profondes, les libéraux proposent l’instauration d’un prix carbone afin de laisser arbitrer le marché en donnant à l’ensemble des acteurs privés les informations nécessaires pour faire des choix informés et personnels selon leurs propres conceptions d’une bonne vie. Cette solution permettrait de concilier la sauvegarde des libertés individuelles aux enjeux climatiques, tout en conservant un système économique à même de favoriser les innovations qui seront nécessaires pour nous adapter aux bouleversements déjà enclenchés par le changement climatique et la perte de biodiversité. Madame Rousseau, loin de l’épouvantail que vous dressez et qui est infiniment plus aisé à combattre, le véritable libéralisme, pour qui veut l’appréhender avec un tant soit peu d’honnêteté et de curiosité, révèle une richesse, une vigueur, une force d’âme insoupçonnée qui, pour les « Hommes de bonne volonté », est une source inaltérable face aux maladies de notre temps.

    Tâchons simplement de ne pas confondre le mal et le remède, car assurément, l’esprit totalitaire est ailleurs.

    1. On trouvera une liste des idées reçues les plus fréquentes sur le libéralisme dans l’excellent : Mathieu Laine, Dictionnaire du libéralisme , Paris, France, Larousse, 2012
    2. Benjamin Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes , 1819.
    3. Benjamin Constant, De la liberté des anciens comparée à celle des modernes, 1819.
    4. M. Laine, Dictionnaire du libéralisme …, op. cit. , p. 526.
    5. M. Laine, Dictionnaire du libéralisme …, op. cit.
    6. Benjamin Constant, Principes de politique applicables à tous les gouvernements: version de 1806-1810 , Paris, Hachette Littératures, 2006.
    7. Ibid. Constant Benjamin, Principes de politique applicables à tous les gouvernements: version de 1806-1810 , Paris, Hachette Littératures, 2006
    8. Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique , Paris, France, Garnier-Flammarion, 1981, vol. 2/.
    9. Ibid. , p. 172.
    10. Mathieu Laine, Dictionnaire du libéralisme , Paris, France, Larousse, 2012.
    11. https://www.wikiberal.org/wiki/ Laissez-faire
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      Conseil constitutionnel français : un hybride entre politique et justice ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 19 April, 2023 - 03:15 · 7 minutes

    Après voir accusé le gouvernement de brutalité à l’égard de la Constitution par l’utilisation de l’article 49 alinéa 3, les syndicats et les oppositions laissent maintenant entendre que les Sages du Conseil constitutionnel ne serait pas indépendants. Ainsi, le combat contre la réforme Macron doit continuer par tous les moyens, y compris les plus illégaux.

    Dans une démocratie, la critique est libre. Mais gare aux dérives populistes qui consistent à entamer la confiance des citoyens dans les institutions.

    Comment sont nommés les membres du Conseil constitutionnel ?

    Les neuf membres du Conseil constitutionnel sont nommés par le président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat.

    Il revient ainsi au président de la République mais aussi au président de l’Assemblée nationale et à celui du Sénat de proposer trois membres chacun. Les candidats sont ensuite soumis à l’avis de la commission des Lois – celle de l’Assemblée nationale pour le président du Palais Bourbon, celle du Sénat pour le président de la Chambre haute et les deux commissions réunies lorsqu’il s’agit du chef de l’État. Dans ce dernier scénario, seule l’addition des votes négatifs de chaque commission, si elle atteint trois cinquièmes des suffrages exprimés, peut invalider la proposition.

    Le renouvellement se fait ensuite par tiers tous les trois ans, pour des mandats de neuf ans non renouvelables.

    Les présidents de la République sont également membres de droit, à vie, mais les derniers chefs d’État que sont Nicolas Sarkozy et François Hollande ont refusé ce statut.

    Au sein de ce cénacle, le président du Conseil n’a pas de voix prépondérante. Encore moins la capacité d’imposer sa décision aux autres membres.

    Une nomination essentiellement issue de choix politiques

    À ce jour, on retrouve parmi les membres du Conseil constitutionnel des personnalités nommées par des figures de presque tous les horizons politiques : François Hollande (un membre), Emmanuel Macron (deux membres), le président du Sénat Gérard Larcher (LR, trois membres), les anciens présidents de l’Assemblée nationale Claude Bartolone (PS, un membre) et Richard Ferrand (LREM, deux membres).

    Le Conseil comprend notamment deux ex-ministres de l’actuel chef de l’État (Jacqueline Gourault et Jacques Mézard) et deux anciens Premiers ministres (Laurent Fabius et Alain Juppé). Le président du Sénat Gérard Larcher a nommé son ex-directeur de cabinet, François Seners. S’il n’y a pas de système parfait de nomination, le recrutement des juges constitutionnels par des autorités politiques est un standard européen.

    Les neuf Sages sont bien issus de choix politiques, ce qui est prévu par le texte même de la Constitution qui n’a pas institué une Cour constitutionnelle mais un simple Conseil, lequel n’est pas à proprement parler une juridiction.

    Un devoir d’impartialité

    Les membres sont soumis à la prestation d’un serment dans lequel ils jurent de « bien et fidèlement remplir leurs fonctions » et surtout de « les exercer en toute impartialité dans le respect de la Constitution, ainsi que de garder le secret des délibérations et des votes ».

    Dans les faits, le système de nomination tend à diversifier partiellement les horizons politiques dont sont issus les Sages. Si le devoir d’impartialité est un élément capital de leur prestation de serment qui les oblige devant la loi, il reste que la France apparaît comme une exception avec la présence massive d’hommes politiques au sein de l’institution. Dans les autres démocraties, les juges constitutionnels peuvent certes avoir une coloration politique mais d’abord et avant tout ils sont tous des professionnels du droit.

    Si la question du manque d’indépendance du Conseil constitutionnel, loin d’être originale, est finalement un serpent de mer qui revient épisodiquement depuis les origines de l’institution de la rue de Montpensier en 1958, ce n’est pas pour autant qu’aucune question se pose.

    Aux origines du Conseil constitutionnel…

    Créée en 1958 lors de l’instauration de la Cinquième République pour « rationaliser » le parlementarisme, surnommé à l’époque le « chien de garde du gouvernement » par ses détracteurs, le rôle du Conseil constitutionnel a profondément évolué. Cependant il demeure que cette institution n’est pas une Cour constitutionnelle.

    Les États-Unis ont leur Cour suprême, les Allemands leur tribunal constitutionnel de Karlsruhe, la France doit se suffire d’un simple Conseil, faisant à cet égard exception parmi les grandes démocraties. L’institution de la rue de Montpensier ne figure d’ailleurs pas parmi les articles du titre VIII de la Constitution consacré à l’autorité judiciaire. Elle n’est donc pas la juridiction suprême en France. Organe mi-politique, mi-juridictionnel ad hoc, elle dispose de son propre titre, le VII.

    Concrètement, comment se prend une décision au sein du Conseil

    Après avoir auditionné plusieurs élus ayant déposé les recours, les neuf membres du Conseil constitutionnel se réunissent avec le secrétaire général.

    Chaque membre prend la parole, l’objectif étant d’avoir une décision la plus commune possible sur les problèmes soulevés. Les débats font partie des plus grands secrets de la République. Ils ne sont rendus publics qu’après 25 ans. On ne saura donc pas s’il y a eu consensus ou non.

    Autre particularité française : aucune opinion dissidente ne sera partagée publiquement, comme cela se fait dans d’autres pays, notamment aux États-Unis.

    Qui siège actuellement au Conseil ?

    – Laurent Fabius, 76 ans, président, nommé en février 2016 par le président Hollande.

    Membre du Parti socialiste, il a été ministre du Budget, de l’Industrie, puis Premier ministre sous la présidence de François Mitterrand. Il est ensuite devenu ministre des Affaires étrangères sous la présidence de François Hollande avant de quitter ses fonctions pour rejoindre le Conseil constitutionnel.

    – Michel Pinault, 75 ans, nommé en février 2016 par Gérard Larcher, président du Sénat.

    Juriste et Conseiller d’État, il a exercé des responsabilités dans le monde de l’assurance puis a été président de la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers, et président du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie.

    – Corinne Luquiens, 70 ans, nommée en février 2016 par Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale.

    Haute fonctionnaire française, elle a été secrétaire générale de l’Assemblée nationale et de sa présidence de 2010 à 2016.

    – Jacques Mézard, 75 ans, nommé en février 2019 par le président Macron.

    Avocat de profession, il devient sénateur dans le Cantal en 2008 (et jusqu’en 2019). Il a appartenu au Parti radical de gauche (PRG) puis au Mouvement radical (MR) et a officié dans les gouvernements d’Édouard Philippe en tant que ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, puis en tant que ministre de la Cohésion des territoires.

    – François Pillet, 72 ans, nommé en février 2019 par Gérard Larcher, président du Sénat.

    Avocat de profession, il a été maire de Mehun-sur-Yèvre (dans le Cher), puis sénateur, rattaché à l’UMP puis à LR entre 2007 et 2019. Il a également été membre et vice-président de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale du Sénat, ainsi que vice-président du comité de déontologie du Sénat.

    – Alain Juppé, 77 ans, nommé en février 2019 par Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale.

    Il a été maire de Bordeaux, président de la métropole de Bordeaux, députés français (RPR et UMP) ministre à de multiples reprises, et Premier ministre lors du premier mandat de Jacques Chirac, entre 1995 et 1997.

    – Jacqueline Gourault, 72 ans, nommée en mars 2022 par le président Macron.

    D’abord professeure d’histoire-géographie, elle devient ensuite sénatrice (UDF), puis vice-présidente du Sénat. Elle est nommée ministre auprès du ministre de l’Intérieur lors du premier mandat d’Emmanuel Macron, avant de devenir ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les Collectivités territoriales.

    – François Seners, 65 ans, nommé en février 2022 par Gérard Larcher, président du Sénat.

    Haut fonctionnaire français, diplômé de Sciences Po Strasbourg et de l’ENA, il a été le secrétaire général du Conseil d’Etat, puis le directeur du cabinet du président du Sénat.

    – Véronique Malbec, 64 ans, nommée en février 2022 par Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale.

    Magistrate française, elle a été procureure générale de la Cour d’appel de Rennes et de celle de Versailles, puis secrétaire générale du ministère de la Justice et directrice de cabinet du ministre de la Justice.

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      Une énergie abondante pour pallier le manque d’eau

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 19 April, 2023 - 03:00 · 7 minutes

    En vertu du célèbre constat de Lavoisier, l’eau ne se perd ni ne se crée .

    Ici-bas, sa quantité est rigoureusement constante depuis la nuit des temps où on la trouve sous la forme liquide et sous la forme vapeur, selon ses conditions physiques. L’élément indispensable à la vie et au développement économique de l’humanité peut certes être décomposé en oxygène et en hydrogène, mais l’un et l’autre gaz sont très largement condamnés à redevenir H 2 O à plus ou moins brève échéance.

    Sur environ 70 % de la surface du globe terrestre, la présence d’ eau occupe un volume supérieur au milliard de km 3 , tandis que l’Homme a besoin d’en user environ 1500 km 3 /an pour ses divers usages.

    À première vue, cette considérable différence est plutôt rassurante. Hélas, 97,5 % de cette eau est saline ou saumâtre et 70 % des 2,5 % disponibles sont sous forme de glaces, en Antarctique et au Groenland. Pour ne rien arranger, une grande partie de la fraction restante se trouvant dans l’humidité des sols et dans les nappes profondes, la fraction d’eau effectivement disponible pour une utilisation directe par l’Homme est seulement de l’ordre de 0,007 %, soit 70 000 km 3 environ.

    La prodigalité du cycle de cette eau disponible est très inégalement répartie sur la planète, tant géographiquement que temporellement, selon les caprices d’un climat erratique au moteur non modélisable. Donc, pour faire face à des besoins biologiques et économiques croissants, l’humanité ne tardera plus à se trouver dans l’obligation de recycler localement et/ou régionalement les eaux usées et à plus grande échelle de dessaler l’eau mer et les eaux saumâtres. Pour ce faire, des solutions technologiques, attractives économiquement parlant, existent déjà, vrais outils d’un authentique développement durable.

    Il n’aura pas échappé aux personnes averties dont les gouvernements français semblent de plus en plus dépourvus depuis près de 30 ans que les changements de phases d’une eau bue et excrétée par des générations d’humains, depuis les lointains ancêtres de l’Homme de Neandertal, mettent en jeu des énergies considérables. Il en va a fortiori de même de la dissociation en gaz de cette eau et, comme nous allons le voir, de son recyclage et de son dessalement. S’agissant du recyclage, les niveaux requis de la qualité d’eau à obtenir selon son usage appellent une gradation du traitement partant de la méga station d’épuration et pouvant aller jusqu’au kit individuel de production d’eau potable.

    Cependant, toutes les technologies utilisées ont en commun d’être énergivores.

    La potabilisation des eaux usées par osmose inverse ou par nanofiltration

    L’osmose est un phénomène naturel se manifestant lorsqu’un liquide dilué et un liquide concentré sont séparés par un membrane semi-perméable dont la caractéristique est de laisser passer un type de molécule et pas les autres. L’eau diluée diffuse à travers la membrane vers l’eau salée. Le niveau d’eau salée augmente. À l’équilibre, la différence entre les niveaux « eau douce » et « eau salée » mesure la pression osmotique ; cette dernière dépendant de la différence entre les concentrations en sels des deux liquides.

    Si, par contre, une pression supérieure à la pression osmotique est appliquée sur la partie contenant l’eau concentrée en sels, le processus inverse est observé : l’écoulement à travers la membrane se fait dans le sens contraire et les molécules d’eau passent du côté concentré au côté eau dilué, la perméabilité sélective de la membrane empêchant toute migration des molécules de sel.


    Dans le cas du dessalement de l’eau de mer, la pompe haute pression doit fournir une pression osmotique de 25 bars.

    On ne s’attardera pas à détailler ici les caractéristiques et le fonctionnement de ces dispositifs de très hautes technologies, notamment en ce qui concerne les membranes (à fibre creuse, à spirale…), mais il est très important de mentionner que sur les théâtres de guerre irakiens et syriens, l’armée française sauva de la mort des populations locales au moyen de kits d’osmose inverse et de nanofiltration équipés de dispositifs UV. Demain, ces kits seront probablement détenus par tout un chacun pour usage domestique.

    L’énergie électronucléaire pour alimenter les stations de dessalement d’eau de mer et les stations d’épuration

    Le schéma ci-après dit mieux qu’un long discours pourquoi l’ énergie électronucléaire finira par supplanter toutes ses rivales, quelles que soient les technologies assez semblables retenues pour le dessalement et pour l’épuration.

    Ces procédés réclament de l’énergie sous forme d’une chaleur et d’une électricité que la centrale nucléaire est en effet seule capable de fournir rentablement à l’échelle de production bientôt requise, séparément ou simultanément, moyennant une adaptation technologique des tranches actuelles consistant à pondérer la distribution d’énergie primaire entre chaleur, ce qu’elle est déjà, et production d’électricité.

    Les trois raisons ci-après expliquent l’inéluctabilité de l’installation progressive de l’industrie du dessalement de l’eau de mer :

    1. Les réserves disponibles d’eau de mer sont immenses.
    2. La chute du coût de dessalement est régulière.
    3. Le dessalement est en mesure de répondre aux besoins croissants des usages domestiques, industriels, agricoles et à la nécessité de traiter les eaux usées.

    Dans ces conditions, rien de surprenant à ce que le marché de dessalement soit en plein développement, affichant un taux annuel de croissance de l’ordre de 7 %.

    Pour accéder à un point de vue plus large de la question, le lecteur est vivement invité à consulter l’article intitulé « L’esprit E = mc 2 à la manœuvre de l’économie circulaire ».

    Nécessité de « produire » de l’eau en vue de la « consommer » ?

    Les éminents hérauts du « Plan eau » de diversion présidentielle semblent délibérément méconnaître le truisme scientifique sans doute le plus ignoré de tous, selon lequel, sur cette planète, aucune créature n’est en situation de « produire » ni de « consommer » de l’eau.

    Non seulement toutes en sont largement constituées sans y être pour grand-chose, mais toutes ne peuvent en être que les usagers. Ce que l’idéologie environnementaliste aujourd’hui dominante a intérêt à faire passer pour une raréfaction irréversible de l’eau, à compenser donc par une moindre consommation, n’est que son absence plus ou moins longue durant la phase évaporation-condensation, hélas combinée à un déplacement erratique de cette dernière anormalement durable ces dernières décennies.

    Mais la quantité globale de cette eau terrestre, anarchiquement distribuée dans la période présente, demeure intacte. Ne reste donc à ses usagers qu’à aller la chercher là où elle se trouve principalement et partout où elle subsiste momentanément, après usage. Dans les deux cas, une production énergétique considérable va être de plus en plus requise dont on ne voit pas ce qui peut être en mesure de la fournir à des conditions économiques décentes, en dehors du nucléaire.

    Au demeurant, ceci tombe on ne peut mieux car pour exploiter le principal gisement d’eau planétaire, la France métropolitaine dispose de 5850 km de côtes harmonieusement réparties autour de son territoire, ne laissant que l’embarras du choix des lieux d’implantation de nouveaux sites nucléaires. Cerise sur le gâteau, les tranches de ces derniers seront refroidies à l’eau de mer, épargnant à nos fleuves les prétendus préjudices quantitatifs et qualitatifs que subiraient leurs eaux depuis 40 ans.

    À ce propos, L’auteur de ces lignes se fait fort de démontrer aux accusateurs qu’une tranche de 900 MW en circuit ouvert n’a besoin que de 1 m 3 /s d’eau pour être refroidie et qu’en circuit fermé, elle n’évapore – et non ne consomme ! – que 2 à 4 m 3 /s par ses tours aéroréfrigérantes. Quant à la dégradation thermique et chimique de l’eau, en aval de toute installation nucléaire, il est largement notoire qu’elle est sévèrement règlementée, surveillée et même sanctionnée, le cas échéant.

    Ainsi, réalise-t-on une fois encore, à la faveur de la présente réflexion, que de l’eau au rayonnement solaire, en passant par le vent, il n’y a rien de plus onéreux que ce qui est réputé naturellement gratuit…