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      Le partage du temps de travail : une fausse bonne idée

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 6 March, 2023 - 04:30 · 3 minutes

    Le partage du temps de travail est un magnifique coup de marketing politique mais se révèle sur la durée une fausse bonne idée.

    Il a été imaginé il y a une quarantaine d’années par la gauche. Nous en payons lourdement les effets aujourd’hui.

    Imparable sur le plan de la communication : être généreux en travaillant moins et en donnant du travail aux autres. C’est ce type de raisonnement qui a conduit à pousser le concept de la retraite à 60 ans : en partant plus tôt à la retraite, on donne du travail aux plus jeunes. Et cerise sur le gâteau, dans cette affaire nous avons tous davantage de temps libre, condition nécessaire pour se réaliser pleinement.

    Un bémol à ce tableau idyllique : les résultats tangibles. Depuis que cette vision de la société et du travail s’est répandue et que nous sommes devenus de loin le pays où le temps de travail est le plus bas, nous déclinons régulièrement dans les classements mondiaux de PIB par tête, passant en quarante ans de la 7 e à la 33 e place. Et notre chômage reste élevé par rapport à celui de nos voisins.

    On vous expliquera que le PIB par tête n’est pas une bonne mesure de la prospérité. Il n’empêche qu’il faut regarder les choses en face : en Suisse , en 50 ans le PIB par tête qui était au niveau du nôtre dans les années 1970 est le double aujourd’hui ; fait significatif, le SMIC est à 4000 dollars, le pays affiche un chômage nul, un emploi industriel double et une balance commerciale largement excédentaire.

    Eh oui, nous sommes dans une économie ouverte où par la diminution du temps passé à son poste, toutes les mesures ayant pour effet d’augmenter le coût du travail handicapent nos industries manufacturières particulièrement exposées à la concurrence mondiale.

    Ramener le goût du travail

    Il faut reprendre les choses à la base et ne plus parler de travail mais de métier, d’un métier dont on est fier et que chacun pratique où qu’il se situe, à un niveau d’excellence mondiale.

    « Tous champions dans ce que l’on fait » : là réside la source de la compétitivité dans un monde ouvert. Il n’y a pas de petits métiers. Dans les années 1960, le fondateur du Singapour moderne Lee Kuan Yu avait fait de la propreté dans la rue et dans les logements le point de départ de sa politique. Il tenait tous les matins à balayer lui-même 50 mètres de trottoir et donnait des conseils sur le choix des balais et l’art de les manier. C’était une façon de montrer que toute tâche mérite d’être effectuée parfaitement. Il répétait qu’il avait davantage de respect pour un ouvrier pratiquant son métier au meilleur niveau que pour un cadre ou un fonctionnaire médiocre, fut-il très haut placé. Y a-t-il un meilleur moyen pour créer l’unité dans un pays ? Sans compter que lorsque l’excellence devient une valeur de la société, les produits s’améliorent dans tous les domaines, les clients du monde entier ne s’y trompent pas et les ventes explosent.

    Quand la dignité de chacun, conférée par l’excellence de ce qu’on produit, devient une valeur plus élevée que l’égalité formelle, l’harmonie se diffuse et la compétitivité ne tarde pas à se traduire en prospérité.

    Il faut repenser notre rapport au travail et redire à tous, notamment aux plus jeunes qu’un métier bien pratiqué est passionnant, qu’il permet de prendre des responsabilités, meilleur moyen pour s’épanouir. Quand le travail est bien fait, il est source légitime de fierté. Il est une façon unique de découvrir le monde quand on est porté par le déploiement international de son entreprise.

    Enfin, au contact de ses meilleurs concurrents mondiaux on peut ressentir les émotions des champions que nous applaudissons dans les stades. Le travail bien pratiqué n’est ni un enchaînement ni une punition, il peut être la voie la plus efficace pour pleinement s’accomplir en tant qu’être humain.

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      L’inflation est-elle causée par des hausses de salaires trop importantes ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 6 March, 2023 - 04:00 · 4 minutes

    Une hausse des salaires signifierait une augmentation des coûts de production que les entreprises répercuteraient sur les prix. D’où l’exigence, en termes de politique économique, de limiter la croissance des salaires lorsqu’elle dépasse la croissance de la productivité du travail.

    D’un point de vue théorique, on peut toutefois se demander si les entreprises sont réellement en mesure de répercuter la hausse des coûts salariaux sur les prix dans des conditions de concurrence ou si la baisse des taux de profit n’est pas plutôt la conséquence de la hausse des salaires.

    En outre, on peut se demander si les entreprises ne réagissent pas à la hausse des salaires en remplaçant la main-d’œuvre par des machines, réduisant ainsi la masse salariale qu’elles doivent payer. Les investissements de rationalisation pourraient entraîner une hausse du chômage, affaiblir le pouvoir de négociation des syndicats et limiter ainsi la hausse des salaires. La question est donc de savoir si une spirale prix-salaires se met en place.

    En tout état de cause, seules des augmentations de salaires supérieures à la croissance de la productivité pourraient entraîner une hausse des taux d’inflation. Le fait qu’elles entraînent plutôt une baisse des taux de profit ou une hausse de l’inflation devrait dépendre des conditions de concurrence. En outre, la question de la causalité se pose également ici : des augmentations salariales nominales élevées pourraient être une conséquence plutôt qu’une cause de taux d’inflation élevés.

    Par ailleurs, l’augmentation des coûts pour les entreprises ne résulte pas uniquement de la hausse des salaires mais également de l’augmentation des coûts des moyens de production. Ce point de vue est probablement le plus pertinent pour les hausses de prix actuelles, si l’on pense par exemple à l’augmentation des prix des énergies fossiles.

    En 2022, les salaires nominaux ont augmenté de 3,7 % 1 , mais l’indice des prix à la consommation a augmenté de 5,9 % 2 . Les salariés ont donc subi en moyenne une baisse de salaire réel de 2,2 %.

    En revanche, dans la phase actuelle d’inflation accélérée, les augmentations nominales de salaires ne pourront plus compenser la hausse des prix – les salariés vont perdre une grande partie de leur pouvoir d’achat.

    Une autre explication de l’inflation met certes aussi l’accent sur les salaires en tant que moteur supposé de l’inflation. Elle ne part pas de la pression sur les coûts du côté de l’offre mais de l’attraction de la demande déclenchée par la hausse des salaires. La hausse des salaires entraînerait une augmentation de la demande qui pousserait les prix à la hausse. Ce faisant, on occulte le fait que la hausse des profits est également une source de demande. Si la part des salaires dans le produit de valeur augmente, la part des profits diminue – et inversement : si la part des profits augmente, la part des salaires diminue.

    Les prix ne peuvent être poussés à la hausse que si le pouvoir d’achat combiné des salaires et des profits augmente – et si la production ne peut pas suivre cette augmentation du pouvoir d’achat. C’est ce dernier point qui semble être le plus important pour expliquer la récente vague d’inflation.

    La situation internationale : cause de l’inflation

    La théorie monétariste de l’inflation basée sur la théorie quantitative de l’argent, et la théorie des pressions salariales, ne peuvent pas expliquer la récente hausse des taux d’inflation. L’inflation ne peut être attribuée ni à une trop forte expansion de la masse monétaire ni à une trop forte augmentation des salaires. Il est plus plausible que les perturbations des chaînes d’approvisionnement internationales dues à la pandémie aient contribué à l’inflation et que la production fortement limitée en 2020 par la pandémie n’ait pas pu suivre la reprise de la demande en 2021.

    La baisse des investissements dans ce secteur et la limitation des livraisons de gaz par la Russie à l’été 2021, suite au conflit autour du gazoduc Nord Stream 2 , ont probablement également contribué à la hausse des prix des énergies fossiles.

    Les prix de l’énergie et des denrées alimentaires, en particulier, ont ensuite encore été poussés à la hausse par l’escalade de la guerre en Ukraine ainsi que par les sanctions de l’Occident contre la Russie.

    Les théories inflationnistes du courant dominant de la science économique ne sont manifestement pas plausibles .

    Le débat critique sur la nouvelle vague d’inflation n’en est en fait qu’à ses débuts. Il faudrait également discuter plus en détail de l’importance de la formation spéculative des prix sur les marchés à terme des marchandises. Le problème au fond n’est-il pas là ?

    1. Banque de France : Fin 2022, le salaire mensuel de base (SMB) (c’est-à-dire le salaire effectivement versé, hors primes et heures supplémentaires) et le salaire moyen par tête (SMPT, qui prend aussi en compte les primes, les heures supplémentaires et les effets de composition de la main-d’œuvre) ont tous les deux augmenté de 3,7 % sur un an alors qu’au dernier trimestre 2021, leur croissance sur un an était de 1,7 %.
    2. INSEE : En décembre 2022, les prix à la consommation augmentent de 5,9 % sur un an Indice des prix à la consommation – résultats provisoires (IPC) – décembre 2022
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      Discours de Poutine : un keynésianisme nationaliste et militaire

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 22 February, 2023 - 04:30 · 3 minutes

    Hier, Vladimir Poutine s’est adressé à la Douma, l’Assemblée nationale russe. Discours très attendu, il marque l’anniversaire du début de l’invasion de février 2022. Si le président russe n’annonce pas de mesures exceptionnelles concernant l’« opération spéciale » en Ukraine, ses propos sont instructifs sur la direction interne que prend la Russie.

    La majorité du discours met l’accent sur le développement et le futur de la Russie à l’aune du conflit ukrainien. Si l’on retrouve l’idée de prendre ses distances avec l’Occident qui aurait profité de la Russie , c’est le modèle économique promu par Poutine qui est plus apparent que jamais. Une forme de keynésianisme nationaliste et militaire où l’État, bien que ne rejetant pas l’économie de marché en soi, intervient activement pour pousser de grands projets de développement.

    Si l’interventionnisme économique de l’État est aussi monnaie courante en Occident, le modèle promu par Poutine se distingue par des valeurs nationalistes et rejetant l’Occident, tout en rapprochant le pays de la Chine.

    Une Russie traditionnelle et militarisée

    Le président russe a mis l’accent sur les valeurs de la Russie. Rejetant un Occident jugé décadent (Poutine déclare que « la pédophilie est la norme en Occident »), il prône un discours sociétal clairement réactionnaire (toujours selon Poutine, « le mariage est une union entre un homme et une femme »).

    Plus importante encore est la dimension militariste qui domine les propos de l’autocrate. Même si l’action russe en Ukraine est toujours présentée comme une action antiterroriste, Poutine est conscient que la Russie est de fait dans un conflit de haute intensité. Cela l’amène à prôner un modèle économique tourné vers la guerre avec un investissement et une intervention de l’État accrus, notamment dans les secteurs visant à soutenir l’armée.

    Il annonce la création d’un fonds spécial pour assurer un soutien financier aux combattants et à leur famille. Mais surtout, il appelle au renforcement du complexe militaro-industriel et à un soutien pour les travailleurs de ces industries comme par exemple des logements et des aides.

    Le président a aussi axé ses propos sur la reconstruction et le développement des régions du Donbass annexées en 2022. Il a annoncé des programmes de planification d’infrastructures visant à développer le pays. Rejetant l’influence jugée délétère de l’Occident, il souhaite une économie davantage tournée vers le marché intérieur et vers le reste du monde. Poutine réaffirme que la Russie est une civilisation est qu’elle doit être considérée comme telle.

    La guerre fortifie l’État

    Ce discours est encore une preuve que la guerre tend à renforcer l’interventionnisme de l’État au détriment de l’économie de marché et de l’individu. Dans Du Pouvoir, Histoire naturelle de sa croissance , Bertrand de Jouvenel pointe la manière dont la guerre conduit au renforcement des pouvoirs du commandant et du chef au détriment des libertés sociales.

    La Seconde Guerre mondiale a conforté la puissance de Staline en URSS, mais aussi, dans une moindre mesure, de l’État fédéral américain (qui s’était déjà renforcé durant la « red decade » rooseveltienne). L’émergence de ce que Eisenhower appela le complexe militaro-industriel en est une des conséquences, couplée à la guerre froide.

    Dès lors, le conflit ukrainien n’a pas affaibli l’emprise de Poutine sur la Russie, mais au contraire est en train de lui donner un prétexte et une situation favorable à son renforcement.

    Un tournant vers la Chine ?

    Ce tournant vers une économie de marché contrôlée rapproche Moscou du modèle chinois d' »économie socialiste de marché ». Ce système combine l’existence d’un capitalisme avec un contrôle autoritaire de l’économie. Ce dernier se faisant au prétexte collectiviste de « l’intérêt général » du pays et de ses valeurs.

    Au final, ce discours acte le tournant du régime russe vers le modèle chinois et sa prise de distance vis-à-vis de l’Occident. Reste à voir quelles seront les conséquences pour l’économie russe et pour l’économie mondiale.

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      Comment est déterminée la valeur des choses ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 14 February, 2023 - 03:30 · 6 minutes

    En ce qui concerne la valeur des choses, faites l’essai de demander à votre entourage comment se déterminent les prix ? On vous répondra soit qu’on n’en sait rien, soit que c’est par l’offre et la demande, soit que ce sont les marges que prennent les différents intervenants y compris les fabricants. Si vous cherchez à savoir quelle est la différence entre la valeur et le prix, la plupart du temps on vous dira que c’est la même chose. Qu’en est-il réellement ?

    Il a été posé que le travail représente la valeur absolue d’un bien. Il est également de toute évidence que la concurrence et la négociation, aussi appelées « l’offre et la demande », interviennent dans son prix.

    Le propos serait alors contradictoire puisqu’il existerait deux moyens d’évaluer un même objet :

    • d’une part le travail pour le fabriquer,
    • d’autre part l’intensité avec laquelle on négocie son prix.

    Pour être plus près du réel, on peut illustrer la question de la façon suivante : lorsqu’une mauvaise récolte provoque une pénurie, un cultivateur vendra plus cher sa marchandise alors qu’il aura travaillé le même temps. Si à l’inverse la récolte est abondante, il se trouvera contraint de vendre moins cher pour un même travail. Comment dans ce cas prétendre que le travail en est la mesure, puisque la force du marché va en modifier le prix ?

    Ce fut David Ricardo qui formula la réponse définitivement :

    « C’est le coût de production qui détermine en définitive le prix des marchandises, et non, comme on l’a souvent dit, le rapport entre l’offre et la demande . »

    On pourra être surpris, douter même de la réalité d’une telle assertion. Mais alors où est le bon sens, que penser ?

    Si dans le cas évoqué le paysan ne peut plus subvenir à ses besoins faute d’une récolte suffisante, il est évident qu’il va en hausser le prix, sous peine d’être contraint de devoir mettre un terme à son activité. Mais que doit-on voir dans cette hausse ? Rien d’autre que la modification de son coût de production qui détermine la valeur de sa récolte. Autrement dit, lorsque l’on parle de pénurie ou de surproduction influant sur les prix, on ne doit pas mettre en cause un marché dont le besoin moyen reste à peu près stable, mais les variations dues aux aléas de la fabrication. Ceci n’est évidemment valable que dans un marché libre, c’est-à-dire sans intervention de l’État. Si des contraintes règlementaires ou des quotas interviennent, ce sont eux qu’il faudra considérer pour comprendre les mouvements du marché. Les modifications opérées par ces quotas seront directement proportionnelles à leurs rigueurs et influenceront du même coup les prix.

    Dans le cas où l’État est en charge lui-même de la production, cette organisation centralisée utilisera également le meilleur des moyens dont elle dispose afin de servir les consommateurs. Quel que soit le système choisi, les coûts des produits resteront essentiellement déterminés par les contraintes liées à leur fabrication.

    Suite à ce qui vient d’être dit sur les prix de production, que se passe-t-il en aval, juste après que les distributeurs se sont approvisionnés chez les producteurs ?

    Dans un marché libre, ces commerçants ont fait leurs achats à certains prix, ils ne peuvent plus modifier ce qu’ils proposent ou très peu. Ils débutent les ventes avec un résultat dont la limite leur est déjà connue, calculée sur des coûts de revient déjà payés. S’ils peuvent vendre plus cher c’est une aubaine, mais dans la plupart des cas un marché ouvert ne le permet pas, ou seulement pendant un laps de temps court. En deçà d’un certain prix ils perdront de l’argent et ne maintiendront pas cette offre. Ils se retourneront alors vers les fournisseurs, seuls capables de modifier réellement la donne. Pour cette raison, ceux-ci revoient en permanence leurs moyens de production, en bref ils améliorent constamment la division du travail . Tout cela doit être planifié sur plusieurs mois ou plusieurs années en fonction des biens considérés. C’est pour cette raison qu’ils n’attendent pas qu’on leur demande quoi que ce soit et anticipent continuellement les évolutions possibles du marché. Les meilleurs sont évidemment ceux qui arrivent à voir clair avant les autres. Observateurs méticuleux de la demande, ils investissent vers de nouveaux horizons, on peut même affirmer que leur métier trouve dans cette fonction créatrice sa plus belle expression.

    En bout de chaîne, les utilisateurs ne font que réagir à une offre déjà entièrement construite, assortie de prix fermement établis, même s’ils engagent parfois la discussion afin d’obtenir quelques avantages. Il s’agit d’une relation constante entre un marché avide des meilleures conditions possibles, face à une production lente à se modifier. Cette dernière possède cependant une portée définitive quant au résultat. David Ricardo prend l’exemple d’une fabrique de chapeaux où l’on a réussi à diminuer fortement les coûts de fabrication. Il affirme que, même si la demande devait doubler ou tripler, leurs prix baisseraient nécessairement sur le marché. Il avait parfaitement raison, la suite de l’histoire vérifiera ses dires. En condensé, on peut dire que le marché ajuste les prix mais ne les détermine pas.

    Il existe toutefois deux exceptions au fait que le prix de production détermine la valeur.

    Une première famille est celle des marchandises non reproductibles. Elle est constituée par les œuvres d’art et les objets de collection. Il est certain qu’une bague datant de l’époque romaine ne sera pas évaluée par le seul travail qu’il faudrait pour la fabriquer à nouveau. Elle est en réalité non reproductible quelle que soit la qualité envisagée. L’explication est en fait une tautologie, ces biens échappent aux mécanismes de production tout simplement parce qu’ils ne peuvent plus être produits.

    Une seconde famille de marchandises n’est pas non plus directement liée au travail quant à son coût. Elle est définie d’après un critère simple : la rareté permanente. Cette contrainte empêche définitivement toute fabrication en quantité. Les pierres précieuses ainsi que toutes les matières premières peu courantes ou celles en train de le devenir constituent cette catégorie.

    En définitive, que tout ceci ne vous empêche surtout pas d’être satisfaits d’obtenir de bonnes remises quand vous faites vos emplettes. Trouver les meilleurs prix reste efficace pour gérer son propre budget. Par contre, en ce qui concerne l’évolution d’une société, voire d’une civilisation, ce critère n’est en rien déterminant. Les comparaisons à long terme livrent une vision très différente de ce que l’on perçoit immédiatement avec facilité.

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      Il faut accélérer l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 11 February, 2023 - 04:30 · 6 minutes

    Par .
    Un article de l’IREF Europe

    Alors que des pays comme l’Allemagne et la Grande-Bretagne ont entrepris la libéralisation des transports ferroviaires dès 1994, la France a ouvert depuis peu le rail domestique à la concurrence, bien que très timidement encore à ce jour. Alors que le monopole de la SNCF sur le fret a pris fin en 2006, les lignes grande vitesse sont ouvertes à la concurrence depuis décembre 2020. Ne bénéficiant plus, notamment, du monopole de l’exploitation de la ligne Paris-Lyon-Milan, depuis décembre 2021 la SNCF se trouve désormais en situation de concurrence avec Frecciarossa , opéré par l’Italien Trenitalia. D’autres opérateurs devraient apparaître progressivement sur le réseau ferré national, ce qui devrait engendrer une augmentation non seulement de l’offre mais aussi de la demande au bénéfice des usagers.

    La libéralisation du rail en Allemagne et en Italie : deux exemples pour la France

    L’IREF a déjà écrit dès 2014 que la SNCF devrait prendre pour modèle son équivalent allemand, la Deutsche Bahn (DB). Si la SNCF suit son exemple, on peut raisonnablement conjecturer qu’elle pourra enregistrer à terme des résultats comparables. Issue de la fusion de la Bundesbahn à l’ouest et de la Reichsbahn à l’est, la Deutsche Bahn, nouvelle compagnie nationale apparue en 1994, a été transformée en société anonyme.

    Accusant une dette de 35 milliards d’euros en 1994, la Deutsche Bahn a finalement enregistré un bénéfice en 2016 ! (il est vrai que pour 2021 elle affiche une perte de 1,6 milliard d’euros, les recettes s’étant toutefois accrues de 18,4 % par rapport à 2020.) En 2018 , le trafic avait augmenté de 50 % par rapport à son niveau de 1994. Comment expliquer de tels résultats ? Certainement par l’ouverture à la concurrence, qui est totale depuis 2004. Mais aussi par le fait que 130 000 postes sur 350 000 ont été supprimés lors de la refonte complète du système ferroviaire allemand, tout comme l’a été le statut de fonctionnaire pour les nouveaux arrivants.

    L’Italie fait elle aussi figure de modèle en Europe en matière de libéralisation du transport ferroviaire. L’entreprise historique Trenitalia et la compagnie privée Nuovo Trasporto Viaggiatori (NTV), qui a créé la marque Italo, se partagent le marché des lignes à grande vitesse depuis 2012. S’inspirant des compagnies aériennes, Italo tente de se différencier en proposant notamment trois classes : Smart (classe économique), Prima (classe affaires) et Club (première classe). Après plusieurs années déficitaires et une augmentation de capital en 2015, Italo a réalisé ses premiers bénéfices en 2016. En 2017 elle enregistre un bénéfice net de 34 millions d’euros et en 2018 elle détient 35 % du marché.

    L’ouverture du rail à la concurrence profite à tout le monde

    Décriée par beaucoup, l’ouverture du transport ferroviaire à la concurrence a pourtant des conséquences très positives , ainsi que l’Allemagne et l’Italie l’ont déjà montré comme nous venons de le voir.

    Grâce au « service librement organisé » (ou open access ), les opérateurs qui exploitent une même ligne ferroviaire en France peuvent désormais concevoir librement leur offre commerciale (politique tarifaire, villes desservies, choix du matériel roulant homologué, service à bord…). C’est en vertu de ce principe que la SNCF a été amenée à adapter ses services et ses prix à la demande du marché, à travers la création de l’offre low cost Ouigo. De plus, l’introduction de la concurrence s’est traduite par une hausse substantielle des taux de remplissage , aussi bien pour la SNCF que pour Trenitalia.

    En définitive, l’ouverture à la concurrence n’a pas seulement été bénéfique pour les usagers qui peuvent désormais comparer plusieurs offres entre elles et choisir celle qui leur semble la plus intéressante, au meilleur prix ; elle l’a aussi été pour Trenitalia et même pour la SNCF ! Preuve que l’opérateur historique ne pâtit pas nécessairement de l’ouverture à la concurrence à condition qu’il sache s’adapter à la nouvelle donne concurrentielle.

    Malgré des notifications de nouveaux services en hausse, des barrières à l’entrée encore trop dissuasives

    L’Autorité de régulation des transports ( ART ) a reçu à ce jour plusieurs notifications de nouveaux services (parmi lesquelles Le Train – qui devrait relier plusieurs villes dans l’ouest de la France par TGV à compter de 2025), Midnight Trains, RENFE, et, comme nous l’avons dit, Trenitalia).

    À côté de barrières à l’entrée évidemment justifiées comme la détention d’un certificat de sécurité, l’habilitation du personnel de conduite, ou encore l’homologation du matériel roulant, d’autres n’ont pas lieu d’être, telles que les difficultés d’approvisionnement en rames de seconde main, inhérentes au fait que le marché de l’occasion n’est pas assez développé en France. Se heurtant à une quasi-impossibilité d’acquérir des rames de TGV d’occasion, le nouvel opérateur Le Train a dû revoir entièrement son modèle économique, choisissant finalement de passer commande pour des trains neufs au constructeur espagnol Talgo. Au grand dam de la nouvelle compagnie ferroviaire française, dont l’entrée sur le marché, initialement prévue pour 2023, a dès lors été reportée à 2025 .

    Il serait également souhaitable que le marché de la location de trains puisse s’élargir en France. On compte certes déjà des acteurs comme Alpha Trains, qui achète des trains et les loue ensuite aux opérateurs en Europe. Alpha Trains dispose d’une flotte de près de 500 trains, mais elle ne comporte pas de TGV. Quant à Akiem ( ancienne filiale de la SNCF ), qui propose également à la location du matériel roulant, sa flotte ne comprend pas non plus de TGV. On peut donc considérer qu’un nouvel opérateur potentiel qui souhaiterait pouvoir louer des TGV – du fait qu’il n’aurait pas la possibilité d’investir dans des TGV neufs – est ainsi dissuadé d’entrer sur le marché.

    Une ouverture à la concurrence encore trop limitée

    À compter de décembre 2023 , les régions et l’État seront tenus de faire des appels d’offres pour les TER et les Intercités. Déjà, en 2021, à la suite d’un appel d’offres lancé par la région PACA pour l’exploitation de la ligne Marseille-Nice, la SNCF a perdu son monopole historique au profit de Transdev . Ainsi, à compter de 2025, et ce pour une durée de 10 ans, elle devra doubler le nombre d’allers-retours quotidiens . On peut se réjouir que la SNCF ait été mise en concurrence de la sorte avec un autre opérateur. Mais on ne fait ici que remplacer en quelque sorte un monopole par un autre, fût-il limité dans le temps. D’autre part, il serait préférable que les clients aient le choix entre plusieurs compagnies de chemin de fer.

    Enfin, on peut déplorer que le nouvel opérateur choisi, Transdev, ne soit pas un opérateur privé, puisqu’il s’agit d’une filiale de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) – depuis 2018, Transdev est détenu à 66 % par la CDC et à 34 % par l’Allemand Rethmann. On notera au passage que Transdev bénéficie aussi de l’ouverture à la concurrence du rail européen, faisant partie en 2018 des quelque 450 opérateurs présents sur le réseau allemand et arrivant même à la deuxième place derrière Deutsche Bahn avec 7 % du marché. La SNCF profite d’ailleurs elle aussi de cette ouverture à la concurrence en Europe : outre des filiales comme Eurostar ou Thalys, elle compte aussi une activité low cost , Ouigo España, assurant les trajets Madrid – Barcelone et Madrid -Saragosse. La SNCF peut donc se montrer compétitive au niveau européen lorsqu’elle sait adapter ses offres et ses tarifs selon les pays.

    On le voit, l’ ouverture à la concurrence du rail en France reste encore fort limitée. Il faut donc continuer à l’intensifier.

    Car comme le dit Bernard Roman , président de l’ART :

    « La concurrence a pour objectif de réintroduire ce qui peut faire défaut dans une situation historiquement monopolistique. Elle incite à l’innovation, à la performance, à la mise en œuvre de politiques de prix permettant d’accroître la demande ».

    Sur le web

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      La France : une puissance pauvre

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 9 February, 2023 - 03:35 · 3 minutes

    « N’eo ket a-walc’h dañsal ; Ret eo paeañ ar soner. » 1

    La Puissance Pauvre est le titre d’un livre de Georges Sokoloff, sous-titré « Une histoire de la Russie de 1815 à nos jours », paru en 1996 chez Fayard.

    Il mettait en évidence que l’Union soviétique, qu’il concentrait avec raison sur la Russie , était devenue une puissance nucléaire, spatiale, avec de beaux organismes de recherche… mais que l’arbre cachait la forêt, autrement dit que cet empire n’avait pas les moyens de ses ambitions et que, conséquemment, le niveau de vie de la plupart des habitants demeurait précaire.

    Quelques faits et données accumulés depuis le début du XXI e siècle permettent d’attribuer ce titre à la France et à sa République une et indivisible. Il n’est pas question ici de contribuer aux chœurs des pleureuses déclinistes ou collapsologues, mais, avec quelques repères, tenter de voir comment remédier à ce statut de Puissance Pauvre. Ou bien est-il devenu impossible d’y remédier ?

    La chute de la France

    En 1975 la France occupait le cinquième rang mondial en termes de RNB /habitant, en 2020 nous sommes arrivés au 26e rang ! 2

    Ainsi donc, en moins d’un demi-siècle, de nombreux « petits » pays ont supplanté la France ce qui signifie qu’ils sont armés socio-économiquement pour se payer des dépenses collectives et de protection sociale… à la hauteur de leurs ambitions. Pas nous.

    Notons que tous les pays qui nous ont dépassé en RNB/habitant sont tous moins peuplés que la France. Small is beautiful ?

    Par ailleurs, couplée avec l’IDH – Indicateur de Développement Humain de l’ONU – la combinaison de trois critères que sont l’alphabétisation, la transparence, et les résultats des enquêtes PISA, sur les 194 États officiellement membres de l’ONU ayant signé et ratifié la Charte de San Francisco, il en reste 17 admissibles pour être reconnus comme « démocratiques ». La France n’y figure pas. 3

    En référence au contenu du proverbe breton placé en exergue, nous trouvons la dette de l’État français, autrement dit la dette des contribuables français. À ce jour, elle dépasse les 3000 milliards d’euros .

    Nombre de discussions oiseuses d’orateurs dont les propos sont l’alliage de l’arrogance et de l’incompétence, alimentent régulièrement les gazettes. Le résumé est pourtant simple : nos descendants paieront. 4

    À propos de descendants, les données 2022 nous indiquent que la France (métropole + ultra-marins) compte 68 millions d’habitants. De facto , en considérant l’Europe élargie sans la Russie, la France est le deuxième pays le plus peuplé derrière l’Allemagne (83,5 millions). Or, cette dernière augmente chaque année avec une immigration importante, le solde naturel (naissances moins décès) étant négatif.

    Sur le continent africain, l’État le plus peuplé est le Nigéria avec une population estimée à 225 millions. Estimée, car les recensements sont approximatifs. Il n’en demeure pas moins qu’à l’horizon de l’année 2050, il sera toujours l’État le plus peuplé d’Afrique, les projections lui attribuant 350 millions. La trajectoire démographique repose sur un indice de descendance finale [IDF] de l’ordre de quatre enfants par femme.

    En France, si l’obsession de la natalité se poursuit et que l’IDF national se poursuit, le pays deviendrait le plus peuplé d’Europe (hors Russie), une sorte de « Nigéria européen ». Pas sûr que les habitants soient plus riches pour autant. 5

    Faut-il désespérer ?

    Oui, si la soumission aux ukases « écolos » antiscience, antiéconomie, antimodernité… se poursuivent. 6 Non, si une véritable réindustrialisation de la France se produit : pour ce faire, il faudra se remonter les manches, installer des usines (voire « polluantes »), élargir le périmètre des activités productives, réduire drastiquement les doublons/triplons bureaucratiques, former des dizaines de milliers d’ingénieurs, de techniciens, d’ouvriers qualifiés… bref produire à un niveau nous permettant de nous payer nous-mêmes ( Sinn Fein, en gaélique) les politiques sociales, de santé, d’enseignement, de cultures, d’environnement, etc. que nous souhaitons.

    Les Français sont-ils prêts ?

    1. Ce n’est pas le tout de danser, il faut payer le musicien . Proverbe breton.
    2. Les Échos , 25 août 2021.
    3. Liam Fauchard, Surdémocratie , D’Autres Univers 2022.
    4. François Lenglet, Tant pis ! Nos enfants paieront , Albin Michel 2016.
    5. Universalia + Eurostat.
    6. Ferghane Azihari, Les écologistes contre la modernité , La Cité 2021.
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      « Il ne suffit pas de sortir de l’euro pour redevenir souverain » – Entretien avec David Cayla

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Wednesday, 8 February, 2023 - 19:31 · 32 minutes

    La crise de 2008, celle des dettes souveraines du Sud de la zone euro, la pandémie et maintenant la crise inflationniste ne cessent de montrer les limites d’un modèle économique où le marché est censé permettre la meilleure allocation des ressources. Contrairement aux néolibéraux, qui pensent que le marché doit être simplement mieux organisé grâce à l’action de l’Etat, l’économiste David Cayla considère que le marché est incapable de remplir la mission qui lui a été donnée. Pour ce membre des Économistes Atterrés, d’autres approches sont nécessaires. Celle de la théorie monétaire moderne (MMT) propose selon lui une réflexion intéressante, mais ne pourra suffire à elle seule à définir une nouvelle doctrine capable de remplacer le néolibéralisme mourant. Entretien.

    Le Vent Se Lève : En 2020, dans votre livre Populisme et néolibéralisme , vous faisiez un lien entre les doctrines néolibérales et l’essor de mouvements populistes. Vous poursuiviez aujourd’hui votre étude du néolibéralisme – et son exégèse, avec Déclin et chute du néolibéralisme . Dans votre chronologie, ce courant de pensée naît dans les années 1920 et sa disparition a débuté en 2008. Ne vivons-nous pourtant pas toujours en régime néolibéral ?

    David Cayla : En 2008, le monde connaît la plus grave crise financière depuis le krach de 1929. La soudaine faillite de la banque d’investissement Lehman Brothers contraint le gouvernement américain, puis la banque centrale, à intervenir massivement pour sauver le système financier de la faillite. Ainsi, à partir de cette date, le rôle des banques centrales change et se politise. C’est la fin d’une époque fondée sur le principe de la neutralité de la monnaie et le désengagement continuel de l’État.

    Le livre entend démontrer que le néolibéralisme est en déclin depuis cette date. Cela ne veut pas dire qu’il ait disparu, mais plutôt que nous ne sommes jamais vraiment revenus au monde d’avant. Ainsi, les banques centrales, du moins dans les pays développés, ont largement contribué à financer les besoins financiers des États lors de la pandémie de Covid. Pour autant, on ne va pas jusqu’à remettre en cause l’indépendance des banques centrales. Même si un certain nombre de pratiques néolibérales ont été abandonnées, le néolibéralisme continue de dominer les esprits et les représentations. Nous sommes donc dans une phase de transition et il est difficile de prévoir quelle nouvelle doctrine succédera au néolibéralisme.

    LVSL : Dans votre ouvrage, vous rappelez en effet que la neutralité des banques centrales vis-à-vis du pouvoir politique est un élément central du néolibéralisme. Vous pointez notamment la grande proximité entre la création de la Bundesbank après-guerre, qui dispose d’un statut indépendant et du mandat centré sur la stabilité des prix, et la Banque Centrale Européenne. Pourquoi s’être aligné sur l’Allemagne ?

    David Cayla : L’Union Européenne s’est construite sur un accord franco-allemand dans les années 1950. Lors de cette discussion, il y a eu une sorte de compromis fondé en partie sur l’ambiguïté des textes. Quand on lit le traité de 1957 qui instaure la CEE, il y a beaucoup de choses qui peuvent aller dans des directions opposées. Au fur et à mesure du développement de la CEE, puis de l’Union Européenne, l’interprétation allemande des textes s’est mise à prédominer. Ainsi, on peut dire que la vision allemande a gagné en influence à partir des années 1980-1990. La monnaie unique apparaît dans ce contexte de domination de l’interprétation allemande. De plus, pour que les Allemands acceptent de perdre leur monnaie fondée sur des principes ordolibéraux (la version allemande du néolibéralisme), ils ont exigé que l’euro fonctionne comme le Deutsche Mark, c’est-à-dire avec une banque centrale indépendante, centrée sur l’objectif de stabilité des prix.

    Le Vent Se Lève : Pourquoi la France dirigée alors par un président socialiste, accepte-t-elle l’institutionnalisation du monétarisme via le traité de Maastricht ? De manière générale, comment expliquer la prédominance de politiques français issus du Parti Socialiste dans la constitution de la mondialisation financière, par exemple avec Pascal Lamy ou Jacques Delors ?

    David Cayla : Il faut se replacer dans le contexte de l’époque et rappeler que la mondialisation financière s’est construite en trois temps. Lors de la première phase, celle issue du capitalisme encastré des accords de Bretton Woods : les taux de change des monnaies étaient administrés, les droits de douanes élevés et les flux financiers internationaux contrôlés. Il y avait des échanges financiers internationaux bien sûr, mais ces derniers étaient sous la coupe des institutions politiques. La plupart des banques centrales n’étaient alors pas indépendantes. Ce système s’effondra à partir de l’été 1971, lorsque Nixon annonça la fin de la convertibilité en or du dollar.

    La deuxième phase, la phase d ’internationalisation financière , apparaît lorsque des pays comme les États-Unis, décident unilatéralement de libéraliser les flux financiers et de laisser flotter leurs monnaies. Lors de cette phase, certains pays tentent d’attirer les capitaux internationaux. Cette deuxième phase fondée sur la concurrence permet à chacun de réguler son système financier comme il l’entend. Il n’y a pas d’harmonisation des règles.

    La troisième phase, celle de la mondialisation financière proprement dite, apparaître dans les années 80. C’est une phase qui engendre l’harmonisation des règles en matière de régulation financière. Cette harmonisation nécessite un cadre commun qui sera négocié au sein d’institutions telles que le FMI, l’OCDE ou l’Union Européenne. C’est en 1986 que l’acte unique européen est signé. C’est cette troisième phase qui va être promue par des socialistes français et qu’a étudié l’historien britannique Rawi Abdelal . Elle va conduite à interdire le contrôle les mouvements de capitaux et à sacraliser partout dans le monde l’indépendance des banques centrales. Les normes de la gouvernance néolibérale vont alors s’imposer.

    Dans la perspective des socialistes français qui les ont promues, il y avait l’idée qu’on pourrait ainsi mieux contrôler et canaliser la mondialisation financière. Sauf que les effets sont allé dans le sens inverse : en interdisant aux États de contrôler leurs flux financiers et en libéralisant les marchés financiers, on a nourri les paradis fiscaux et organisé la concurrence fiscale à l’échelle mondiale. La mondialisation financière est sans conteste la conséquence la plus importante des politiques néolibérales.

    LVSL : Vous expliquez aussi clairement que le néolibéralisme a été, paradoxalement, planifié. Il a été sciemment mis en place alors qu’il prône la spontanéité du marché. Comment expliquer ce paradoxe ?

    David Cayla : Précisions d’abord que, dans l’histoire du XXe siècle, il y a eu des phases de régulation économique, comme celle des 30 glorieuses, et des phases de libéralisation. Là où il y a un paradoxe, c’est que la phase de régulation qui s’ouvre aux États-Unis avec la crise des années 1930 prend les États et les économistes de court et n’a donc pas été théorisée au préalable. Lorsque survient la Seconde guerre mondiale, les États en viennent à contrôler l’essentiel des prix pour permettre de réorienter l’économie d’un système productif fondé sur les besoins civils à une économie devant répondre aux impératifs de la guerre. Cette phase de contrôle des prix sera allégée une fois la paix rétablie, mais ce n’est qu’à partir des années 1970 qu’elle sera véritablement abandonnée.

    La phase de libéralisation de l’économie apparaît lorsque le système économique des 30 glorieuses commence à s’essouffler, à partir de la fin des années 1960. Et c’est à ce moment qu’interviennent les économistes néolibéraux. Ces derniers avaient une théorie toute prête qui disait que l’État ne peut pas contrôler les prix sans engendrer de l’inefficacité.

    Il se trouve que la doctrine néolibérale fut conçue dans les années 1920 et 1930 pour contester le système soviétique. A l’époque, il y a un débat chez les économistes pour savoir le système soviétique pouvait ou non être efficace. Certains économistes l’affirmaient, parce qu’il y a un côté rationnel dans la planification et parce qu’ils pensaient que le contrôle de l’économie par l’Etat pouvait éviter un certain nombre de coûts de marché. D’autres économistes, comme Ludwig von Mises ou Friedrich Hayek, tentèrent alors de démontrer que lorsque l’État contrôle les prix, il se prive du marché. Or, ce dernier constitue pour eux un outil indispensable pour agréger et diffuser l’information dispersée détenue par les agents économiques.

    Pour les néolibéraux, la fonction première du marché est de déterminer un système de prix, lequel constitue un système d’incitations permettant de coordonner la société et de parvenir à l’efficacité. Cette réflexion, qui est la base du néolibéralisme, n’a pu être mise en œuvre alors en raison d’un renforcement inverse de régulation étatique pour faire face à la crise et à la guerre. De plus, l’Union Soviétique n’a pas périclité, contrairement à ce qu’ils pensaient. Au contraire, le système soviétique a tenu 70 ans et l’URSS est devenue une superpuissance dans les années 1950 et 1960.

    En fin de compte, les néolibéraux ont dû attendre 50 ans et la chute du système de Bretton Woods pour que le néolibéralisme soit enfin mis en œuvre. On a alors progressivement libéralisé les marchés afin de faire éclore des prix n’émanant pas du pouvoirs politique.

    LVSL : Vous mettez en avant une corrélation entre croissance et limitation de la liberté de marché. Plus le marché est libre et plus le taux de croissance serait faible. Pouvez-vous étayer ?

    David Cayla : C’est un constat plutôt qu’une analyse. Je constate que les moments de forte croissance, sont des moments où les marchés ont été davantage contrôlés, comme lors de la période des 30 glorieuses. À l’inverse, les périodes néolibérales n’ont pas été très porteuses de croissance.

    Pour autant, je ne dis pas que c’est directement à cause des politiques de libéralisation qu’on a connu un affaiblissement de la croissance. La fin de la forte croissance est plutôt liée à la désindustrialisation, qui est elle-même la conséquence des progrès de la productivité du travail et du changement des habitudes de consommation (les ménages consommant davantage de services en proportion de leurs revenus). Il y a néanmoins eu un effet négatif de la mondialisation : les pays riches se sont trouvés concurrencés par les pays en développement où les salaires sont beaucoup plus faibles et ils se sont affaiblis industriellement.

    Il faut comprendre que la hausse de la productivité est liée à la mécanisation du travail et dépend donc, pour l’essentiel, du nombre des salariés travaillant dans des métiers mécanisables. Or, ce qui est mécanisable c’est surtout la production industrielle. En perdant son industrie, un pays comme la France a donc perdu son potentiel de croissance.

    LVSL : Les néolibéraux s’appuient souvent sur des modèles mathématiques pour justifier leur politique. On peut citer par exemple celui d’Andrew K. Rose pour l’euro, ou de Rogoff sur les taux d’endettement public à ne pas dépasser pour ne pas affaiblir la croissance. Comment cette doctrine a-t-elle pu dominer si longtemps alors que ses modèles ont bien souvent été démentis par la réalité ?

    David Cayla : Il faut d’abord distinguer la théorie économique de la doctrine. Les économistes font de la théorie : ils essaient de construire des modèles pour comprendre des phénomènes économiques, et ces modèles n’impliquent pas nécessairement des politiques particulières. La doctrine, c’est différent. C’est une forme d’acte de foi. On porte des jugements de valeur : « ça c’est bien » ou « ça c’est mal ».

    Le néolibéralisme est une doctrine qui vise à diriger l’action politique : elle est normative, elle dit le bien. En tant que telle, les doctrines néolibérales s’occupent surtout des rapports entre l’État et le marché. Contrairement au libéralisme, le néolibéralisme n’est pas favorable au laissez-faire. Il dit au contraire que l’intervention de l’État est indispensable au bon fonctionnement des marchés parce que les marchés ne sont pas des espaces naturels, mais s’appuient sur des institutions sociales et politiques, sur le droit, etc. Autrement dit, le néolibéralisme entend mettre l’État au service des marchés afin qu’ils fonctionnent le mieux possible.

    « Contrairement au libéralisme, le néolibéralisme n’est pas favorable au laissez-faire. Le néolibéralisme entend mettre l’État au service des marchés afin qu’ils fonctionnent le mieux possible. »

    Dans les théories économiques, on a aussi aujourd’hui une mise en avant assez systématique du marché. Pourtant, à l’origine, chez Adam Smith ou David Ricardo par exemple, la pensée économique s’intéressait surtout à la production. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que la pensée économique met l’échange et l’allocation (donc le marché) au cœur de son analyse. De même, à la différence des économistes classiques qui pensaient en termes de classes sociales, la pensée économique contemporaine s’appuie sur des modèles fondés sur des agents individuels cherchant à maximiser leur utilité dans un cadre concurrentiel. Ainsi, l’approche dominante en économie, la théorie néoclassique, alimente clairement la doctrine néolibérale, même si elle s’en distingue et qu’on peut trouver des économistes adeptes de l’économie néoclassique qui ne sont pas néolibéraux et inversement.

    De la même façon, ce qui caractérise les économistes hétérodoxes, c’est-à-dire ceux qui refusent le paradigme théorique dominant, n’est pas qu’ils soient contre le néolibéralisme mais que leurs théories relève d’un autre cadre intellectuel. Être hétérodoxe aujourd’hui, c’est souvent considérer que les marchés ne peuvent, par nature, être efficaces et que créer des institutions pour résoudre les défaillances de marchés est vain. Les approches hétérodoxes se distinguent donc clairement de la vision néolibérale.

    Pour la plupart des économistes hétérodoxes, même en situation de concurrence parfaite, même avec des agents parfaitement rationnels et informés l’allocation d’un marché ne sera jamais optimale. C’est ce qu’on constate dans la finance. Pour les économistes mainstream , par exemple pour Jean Tirole dont j’étudie la pensée dans le livre, les crises financières telles la crise des subprimes relèvent toujours d’une défaillance de marché, des mauvais systèmes d’incitations, d’une insuffisance des régulateurs, etc. À l’inverse, les économistes hétérodoxes affirment qu’il ne suffit pas de rendre les marchés parfaits pour que mécaniquement le système économique fonctionne mieux et que c’est le principe même de la régulation par les marchés qui engendre des crises.

    LVSL : Les monétaristes considèrent que la stagflation des années 1970 est due à l’excessive régulation des marchés. Quelle explication retenez-vous de cet événement ? Comment comprendre l hégémonie de l’explication monétariste dans le débat public jusqu’à maintenant ?

    David Cayla : Dans les années 1950 et 1960, l’inflation était relativement faible. Elle apparaît soudainement dans les années 70, notamment lors des deux chocs pétroliers de 1973 et 1979 et dépasse alors les 10 %. Cette forte inflation, qui dure, pose question à tout le monde, d’autant qu’elle entraine des tensions sociales.

    Pour expliquer l’inflation des années 1970, les monétaristes disposent d’une réponse simple, à l’image de Milton Friedman qui déclare que l’inflation a toujours une cause monétaire, autrement dit qu’elle résulte d’une politique monétaire trop expansive. Dans la vision monétariste, c’est parce que les banques centrales créent trop de monnaies que l’inflation émerge. Ainsi, la seule manière de réduire cette inflation serait de mener des politiques restrictives en augmentant le coût de l’argent, quitte à déclencher une récession, pour solder, en quelque sorte, les politiques « laxistes » qui auraient été menées auparavant. Cette politique d’austérité monétaire est engagée dès 1979 par le président de la Réserve fédérale Paul Volcker, qui augmente brutalement le taux de refinancement des banques à 20% pour combattre une inflation de 10%. Il s’agit d’un taux d’intérêt extrêmement élevé qui entraine immédiatement une récession et qui vaut au président démocrate Jimmy Carter de perdre l’élection présidentielle de novembre 1980 face à Reagan.

    On dit aujourd’hui que Volcker a fait preuve de courage et que grâce à lui l’inflation a été enraillée (au prix de millions de chômeurs). Mon interprétation est différente. Je ne crois pas que l’inflation soit due à des politiques monétaires laxistes. Contrairement à Friedman je ne crois pas que l’inflation puisse se résumer à des phénomènes monétaires. Si c’était vrai, pourquoi aurait-elle commencé à la fin des années 1960 et non dans les années 1950 ? Après tout, cela faisait longtemps qu’on avait mis en place un système d’économie régulée. Et puis évoquer les causes monétaires de l’inflation c’est oublier tout un ensemble d’événements qui se sont passés dans les années 1970 et qui méritent de faire partie de l’explication. Par exemple, il est évident que les chocs pétroliers ont joué. Mais ces derniers, notamment celui de 1973, est lui-même le produit d’une volonté tout à fait compréhensive des pays producteurs des matières premières de reprendre le contrôle de leurs économies.

    Avant même le choc pétrolier, il y eut la nationalisation du secteur pétrolier par les pays producteurs en 1970-71. Ce phénomène touche d’ailleurs d’autres pays producteurs de matières premières ou agricoles. Plus largement, à partir de la fin des années 1960, les pays en voie de développement cherchent à se décoloniser économiquement en reprenant le contrôle de leurs matières premières, de leurs produits agricoles et des puits de pétrole qui étaient sur leur sol. Les occidentaux avaient, pendant des années, exploité sans vergogne les pays producteurs parce qu’ils contrôlaient les entreprises qui exploitaient ces gisements ou parce qu’ils étaient les pays anciens colonisateurs.

    L’inflation peut tout à fait s’expliquer ainsi, par le basculement d’une économie auparavant extrêmement dirigée par les pays consommateurs de matières premières dans les années 1950 et 1960 vers une économie où les rapports de force s’équilibrent. Je n’ose pas dire s’inversent. Tout cela se passe dans le cadre des mouvements tiers-mondistes et avec l’appui de l’URSS. On peut ajouter d’autres événements comme la tendance à la désindustrialisation qui s’amorce et engendre des tensions sociales. Cette époque des années 1970 est aussi une période au cours de laquelle les taux de profit des entreprises diminuent, ce qui les incitent à augmenter leurs prix. La désorganisation des systèmes productifs et industriels dans les pays capitalistes développés est aussi une cause de la stagflation qui mérite d’être prise en compte sans qu’il soit nécessaire d’évoquer le « laxisme » des banques centrales.

    Le narratif monétariste s’appuie sur une théorie très simple à comprendre : « Regardez, il y a trop de monnaie, donc il y a de l’inflation ». C’est une pensée un peu mécanique et globalement fausse.

    L’autre raison pour laquelle les économistes keynésiens ne sont pas parvenus à proposer un narratif différent de celui des néolibéraux c’est qu’ils ne sont jamais vraiment intéressés à la question du contrôle des prix. Le keynésianisme n’a pas vraiment de théorie sur la régulation des prix, ce qui signifie qu’on interprété en général les 30 glorieuses uniquement à travers le prisme d’un État régulant, par ses dépenses, les grands équilibres macroéconomiques. Or, ce qu’il se passe dans les années 1970 c’est que les États ne parviennent plus à contrôler les mécanismes de régulation des prix qui avaient fonctionné depuis la guerre. Faute d’une réponse théorique adéquate de la part des Keynésiens, c’est donc le narratif monétariste qui l’a emporté à la faveur de la montée de l’inflation.

    LVSL : Dans votre ouvrage, vous expliquez que les prix ne seraient pas forcément capables de refléter de manière efficace toute l’information disponible. Qu’est-ce qu’un tel constat implique dans un contexte économique de plus en plus marqué par des pénuries ?

    David Cayla : Pour un néolibéral, le rôle du marché est d’agréger l’information pour construire des prix qui soient pertinents et reflètent la réalité économique. Les néolibéraux estiment que chaque personne a une certaine connaissance partielle de l’économie et elle utilise cette connaissance pour effectuer des opérations d’achat ou de vente sur les marchés. Et en faisant cela, les agents contribuent à apporter de l’information au marché. En somme, pour les néolibéraux, le marché serait une sorte de gigantesque algorithme permettant de produire des prix à partir des comportements, ces prix reflétant une grande partie de l’information disponible dans la société.

    « Pour les néolibéraux, le marché serait une sorte de gigantesque algorithme permettant de produire des prix à partir des comportements. »

    Le problème de cette théorie est qu’elle fonctionne rarement et que les comportements ne sont pas toujours ceux qui sont attendus. Dans les marchés financiers par exemple il peut y avoir des bulles spéculatives au cours desquels lorsque les prix montent, les gens achètent davantage en espérant revendre plus cher. Mais un tel comportement est contraire avec l’idée qu’une hausse des prix entraîne une diminution des achats.

    L’autre problème avec la vision néolibérale des marchés c’est que les gens n’ont pas de l’information ou de la connaissance en tête, mais des croyances. On le mesure par exemple avec le Bitcoin. Les gens qui achètent des bitcoins sont convaincus, on pourrait même dire qu’ils ont la foi. Ainsi, des communautés, des croyants achètent du bitcoin parce qu’ils ont une vision techno-prophétique selon laquelle l’avenir est aux cryptomonnaies. Mais il ne s’agit pas là d’information, cela ne relève pas de la réalité, c’est un point de vue construit socialement. Autrement dit, ce qu’on met dans l’algorithme ce ne sont pas des faits mais des constructions sociales, des croyances partagées. Les prix ne reflètent donc pas une quelconque réalité mais la force des convictions. Le problème est que si les prix représentent par exemple des croyances sur l’avenir, et non l’avenir réel, cela pose la question de savoir si ces prix sont fiables et si on peut organiser un système économique résilient sur le long terme à partir d’une telle base.

    Prenons le cas des ressources naturelles. Comme elles sont naturelles, elles sont limitées en quantité et non renouvelables. Une fois qu’on aura tout extrait, il n’y en aura plus. En économie, il faudrait distinguer ce qui est produit par le travail et qui peut être renouvelé de ce qui est produit par la nature et qui ne peut pas être renouvelé. Si on réfléchit comme un marché parfait, on pourrait penser que plus on consomme un stock non renouvelable, plus la quantité disponible de cette ressource diminue et plus le prix devrait augmenter. Or, ce n’est jamais ce qu’il se passe sur les marchés. C’est la raison pour laquelle les marchés ne peuvent pas déterminer la valeur des ressources naturelles.

    Étudions le cas des pénuries. Lorsqu’un bien devient rare et qu’il n’est pas possible d’en augmenter l’offre les prix du marché peuvent exploser, surtout quand il s’agit d’un bien indispensable comme l’électricité. Cette explosion des prix ne peut pas être acceptée sans broncher par les populations car elle engendre des injustices. De plus, quand les prix augmentent cela ne pèse pas sur les riches. Prenons un cas concret. Le carburant peut être utilisé par un ouvrier pour aller à son boulot ou par une infirmière pour aller faire les visites à domicile. Ce même carburant peut aussi être utilisé par Elon Musk pour offrir aux milliardaires une expérience de tourisme spatial. Or, si on laisse le marché décider de ce qui doit être fait du carburant qui reste, il y a de fortes chances pour que l’ouvrier ou l’infirmière ne puissent se rendre à leur travail alors que les milliardaires pourront continuer à aller dans l’espace. Le problème est que si toutes nos ressources non renouvelables sont utilisées pour le tourisme spatial, mais que les ouvriers et les personnels soignants ne peuvent plus travailler, on en arrive à une situation où la société elle-même est mise en péril.

    Autrement dit, il manque quelque chose au marché. Il lui manque une conscience politique, une conscience sociale. En fin de compte, il faut aussi raisonner en sortant du cadre de l’économie pour s’intéresser à notre survie en tant que société… et aussi à la survie de notre écosystème. Or, tout ça ne peut pas être intégré dans le fonctionnement des marchés tel qu’il est présenté par les néolibéraux.

    LVSL : Pourquoi parlez-vous de « prix administrés » en ce qui concerne les marchés financiers ? Et en quoi seraient-ils amenés à s’étendre au-delà des marchés monétaires et financiers ?

    David Cayla : Lors de la crise de 2007-2008 le monde s’est retrouvé dans une situation d’événement systémique. Autrement dit, le système bancaire et financier américain était sur le point de s’effondrer. Quand un tel événement survient, l’État ne peut pas rester sans rien faire et assister à l’effondrement. Il doit agir. C’est ce qu’il s’est passé en 2008. Le gouvernement américain a dû chercher à sécuriser le monde financier en rachetant aux banques les actifs immobiliers dont elles ne voulaient plus de manière à leur redonner un prix. En effet, comme plus personne ne voulait ne certains actifs immobiliers américains, il n’y avait plus d’achats, donc plus de prix : le marché, pour ces titres, avait disparu.

    Dans le monde néolibéral, la disparition des prix pose de sérieux problèmes car on ne sait plus évaluer la valeur, et donc faire des choix. De plus, on ne peut plus établir les bilans des sociétés qui détiennent les actifs en question. Le fait qu’un actif n’ait plus de prix contraint à le considérer sans valeur. Cela entraîne des pertes comptables et peut conduire des sociétés à la faillite.

    En 2008, la décision du gouvernement américain a été de racheter ces actifs en pensant, à juste titre, que même s’ils n’étaient plus demandés, ils avaient tout de même une certaine valeur. Il a donc fallu que l’État « invente » des prix à l’issue d’une évaluation négociée avec les parties prenantes, afin d’éviter au système financier de faire faillite. Des gens se sont plaints en estimant que le gouvernement fédéral dépensait des milliards pour sauver des banques qui avaient fait n’importe quoi. Le gouvernement a donc modifié sa politique en décidant de prendre des participations dans les entreprises au lieu de leur racheter leurs titres. C’est alors la Réserve fédérale qui a pris le relais et s’est mise à racheter ces titres sans valeur de marché. C’est ainsi que la banque centrale américaine s’est mise à pratiquer des politiques dites « non conventionnelles » en intervenant directement sur les marchés.

    Au début de l’année 2009, la question du financement du plan de relance de Barack Obama s’est posée. À l’époque, il fallait sauver l’industrie automobile américaine. Obama a donc lancé un plan de près de 800 milliards de dollars. La banque centrale américaine va alors aider l’État à se refinancer en rachetant des obligations publiques sur les marchés afin d’augmenter leur valeur. Ce faisant, elle a contribué à diminuer les taux d’intérêt que paie l’État sur sa dette. C’est ce qu’on a appelé les politiques de « quantitative easing » (QE), ou « assouplissement quantitatif » en français. Ces politiques se sont ensuite généralisées, d’abord au Royaume-Uni puis, quelques années plus tard, dans la zone euro.

    « Les politiques de quantitative easing ne sont pas des politiques de création monétaire. »

    Les politiques de quantitative easing ne sont pas des politiques de création monétaire. Il n’y a pas de monnaie créée dans ces opérations de rachat. Ce sont des politiques qui visent surtout à faire baisser les taux d’intérêt pour les États, mais aussi pour les ménages et les entreprises, afin de les aider à se financer et à investir. Autrement dit, ces politiques de QE relèvent bien d’une forme d’administration des prix. Certes, il ne s’agit pas d’une administration directe. Ce n’est pas le ministre des Finances qui décide directement des taux. Mais, de manière indirecte, les banques centrales se sont mises à piloter la baisse des taux d’intérêt. La BCE l’a fait en particulier pour sortir de la crise des dettes souveraines et éviter la faillite des États d’Europe du Sud.

    De plus il faut noter que même si aujourd’hui les banques centrales ont cessé de racheter des actifs en raison du retour de l’inflation, elles n’ont absolument pas renoncé au principe du contrôle des taux d’intérêts. C’est ce que j’appelle la finance administrée, c’est-à-dire le retour de l’intervention de l’État au sein des marchés financiers par l’intermédiaires des banques centrales.

    LVSL : Un autre courant économique, la Modern Monetary Theory (théorie monétaire moderne ) a gagné en intérêt ces dernières années. Les conditions d’effectivité de la MMT pourraient-elles être réunies prochainement ? Cette théorie pourrait-elle être succéder au néolibéralisme ?

    David Cayla : Dans l’ouvrage, je me réfère surtout à l’approche de Stéphanie Kelton telle qu’elle est exprimée dans Le mythe du déficit (2021). La MMT n’est pas vraiment une théorie, c’est un éclairage spécifique sur la monnaie. Ce qu’elle essaie de démontrer, c’est qu’un État souverain monétairement est libre de dépenser comme il le souhaite puisqu’il dépense dans une monnaie qu’il contrôle. Autrement dit, d’après la MMT, il n’y a pas de limite financière à la dépense publique.

    Cependant la MMT ne permet pas à l’État de faire tout ce qu’il veut. Car une autre contrainte apparaît : c’est la contrainte réelle. Ainsi, dans une économie avec un secteur public et un secteur privé, si l’État commence à dépenser sans limite, il va devoir embaucher beaucoup et il ne restera plus grand monde pour produire des services marchands. Stéphanie Kelton en déduit que l’État ne doit intervenir que lorsque le taux de chômage est élevé et que cela permettrait de mettre en place une garantie fédérale de l’emploi. Autrement dit, on pourrait supprimer le chômage en imaginant que l’État régule directement le marché du travail en créant autant d’emplois publics (payés au salaire minimum) qu’il le faut pour supprimer le chômage.

    « Le problème avec la MMT est qu’elle suppose qu’un État soit pleinement souverain monétairement. »

    Le problème avec la MMT est qu’elle suppose qu’un État soit pleinement souverain monétairement. Or, la souveraineté monétaire c’est un concept qui mérite discussion et débat. Il est clair que dans une économie fermée, un État est totalement souverain monétairement et peut faire ce qu’il veut. Mais nous ne vivons pas dans des économies fermées. Aujourd’hui, on ne peut quasiment rien produire sans importer du pétrole, des minerais, des terres rares, des produits industriels qu’on ne sait pas faire mais que d’autres savent fabriquer. Ça veut dire qu’il faut qu’en échange de nos importations on ait quelque chose à vendre. Il faut que les flux financiers s’équilibrent à peu près avec les autres pays. Cela signifie qu’on ne peut pas dépenser tout ce qu’on souhaite. L’État ne peut pas, par exemple, assécher le secteur privé, car alors on ne pourrait plus vendre des choses que nos partenaires commerciaux voudront acheter en contrepartie de ce que nous on a besoin pour produire.

    Ce que je veux dire, c’est que la souveraineté monétaire implique des conditions économiques pour être garantie et pas uniquement des conditions institutionnelles et politiques. Il ne suffit pas de dire qu’on peut créer la monnaie qu’on veut parce qu’on contrôle la banque centrale pour être souverain monétairement. Il faut aussi qu’on puisse payer nos achats de pays étrangers avec une monnaie qui ait de la valeur et il faut que ces pays acceptent de commercer avec nous en échange de nos marchandises ou de garanties qu’on leur apporte. Ainsi, l’ouverture commerciale implique une limite à la souveraineté monétaire et économique d’un pays.

    Et ce que je reproche à la MMT c’est de ne pas beaucoup discuter les limites de la souveraineté monétaire. Stéphanie Kelton explique dans son livre que les États-Unis et le Japon ont un gouvernement monétairement souverain. Elle range en revanche la Turquie ou la Russie dans une autre catégorie. Pourtant ils ont eux aussi une monnaie nationale et une banque centrale. Pourquoi alors seraient-ils moins souverains ? Et puis il y a des pays qui ne sont pas du tout souverains mais qui disposent pourtant de leur propre monnaie… En fin de compte, qu’est-ce que ça signifie être souverain monétairement ? La MMT ne répond pas vraiment à cette question.

    Ce que j’en déduis, ce n’est pas que la MMT serait fausse ou qu’il faudrait la balayer d’un revers de main, mais plutôt qu’il faudrait s’intéresser sérieusement aux principes qui garantissent la souveraineté économique et monétaire d’un pays. Par exemple, il ne suffit pas de sortir de l’euro pour redevenir souverain. Le retour au franc ne constituerait pas un réel gain de souveraineté pour la France. Pour que ce soit le cas, il faudrait mener des politiques visant à limiter nos dépendances en matière énergétique et industrielle, et cela demande une politique économique protectionniste. Il faudrait également mettre en place des systèmes de coopérations hors marché avec les pays producteurs de matières premières. En faisant du troc, on peut davantage préserver notre politique monétaire et notre indépendance financière que si on achète avec de la monnaie.

    Ainsi, à mon sens la MMT ne peut constituer une réponse pertinente que si elle sort de son cadre purement monétaire et financier pour s’intéresser plus largement au fonctionnement global de l’économie, à la politique commerciale et aux conditions de la souveraineté économique. Plus largement, je pense qu’on ne peut pas penser l’économie à partir du seul prisme de la monnaie. L’économie est un ensemble d’institutions politiques, sociales, de rapports de force, c’est une histoire, une sociologie. Ce n’est pas en utilisant un seul levier, la politique monétaire ou les dépenses publiques, que l’on peut résoudre tous les problèmes.

    C’est pour cette raison que j’inscris ma pensée dans le cadre intellectuel de l’économie institutionnaliste. Je pense qu’il faut comprendre l’économie non pas en analysant des modèles abstraits mais en combinant la pensée économique avec les apports des autres sciences sociales. C’est ce qui manque à certaines approches hétérodoxes telles que la MMT.

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      Grèves : économiquement désastreuses, socialement aléatoires

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 8 February, 2023 - 04:30 · 5 minutes

    582 milliards d’euros de dette et une inflation record. Ce sont les conséquences désormais bien connues des deux années de politiques publiques contre le Covid-19. Des conséquences qui en appellent sans doute d’autres compte tenu du mouvement de grève qui frappe aujourd’hui la France.

    Alors qu’une pétition en ligne depuis début janvier frise le million de signatures et qu’ Élisabeth Borne évoque des ajustements du projet sans doute destinés aux carrières longues sans toucher aux 64 ans, la manifestation du 7 février s’est inscrite à rebours des 1 à 2 millions de manifestants du 19 janvier et des 2,8 du 31 avant une nouvelle journée annoncée pour le 11 février.

    Des mouvements loin d’avoir un impact négligeable sur l’ économie française .

    Les transports particulièrement touchés

    À la SNCF, certains syndicats ont appelé à prolonger le mouvement mercredi, avec Intercités et TER touchés.

    Outre la SNCF, la RATP est également concernée et en particulier les métros parfois fermés entièrement. Cette situation dans les transports urbains touchent également les grandes métropoles comme Lyon ou Marseille.

    Dans l’aviation, près de un vol sur cinq au départ d’Orly a été annulé durant les mouvements précédents.

    L’éducation est également touchée, accompagnée des habituels manifestations étudiantes et plusieurs dizaines d’établissements bloqués durant les deux premières journées.

    Une mobilisation en baisse

    Après des grèves par à-coups dans le secteur ferroviaire, la proportion de cheminots grévistes est passée de 46 à 36,5 % entre le 19 et le 31 janvier dernier.

    Dans l’éducation, le taux de grévistes diminue également et passe de 38,5 à 25,9 %, lorsque les syndicats évoquaient un agent gréviste sur deux.

    Dans le secteur de l’énergétie, enfin, le mouvement semble également se tarir mais de façon bien moindre que dans les autres secteurs, passant de 44 à 40 % de grévistes chez EDF, alors que la CGT continue d’appeler à la mobilisation pour les journées d’action suivantes.

    Ce mardi, ces baisses semblent s’être poursuivies et malgré cette démobilisation, les grèves et blocages qui égrènent l’actualité hexagonale sont loin d’être indolores.

    Un impact global limité

    Notons tout d’abord que toutes les études, notamment menées par des cabinets privés et soutenues par l’INSEE, montrent un impact limité de ces grèves sur la croissance générale du PIB français.

    En reprenant les mouvements de 1995 (plan Juppé), 2007 (réforme des régimes spéciaux), 2010 (passage de 60 à 62 ans), 2016 (réforme El Khomri), 2018 (grève perlée à la SNCF et mouvement des Gilets jaunes) et 2019 (mouvement contre la retraite à points), les études évoquent une perte de 0,1 à 0,2 % du produit intérieur brut. Ces pertes dépendent évidemment de la durée et de l’ampleur du mouvement. À titre d’exemple, le mouvement de 1995 a entraîné une perte de 0,2 % du PIB sur 22 jours de grève contre 0,1 % pour les 10 jours du mouvement de 2007.

    Cependant, ces pertes sont rapidement compensées au semestre voire au trimestre qui suit grâce à un effet rebond.

    À titre d’exemple, après le mouvement de blocage des raffineries en octobre dernier qui provoqua une baisse de production de près de 46 %, celle-ci a rebondi de 90 %. Un faible impact à mettre en parallèle de la démocratisation du télétravail à la faveur de la crise covid.

    Deuxièmement, et contrairement à ce que l’on peut penser, également, l’impact de ces mouvements sur l’image et les investissements étrangers semble limité. Selon l’OCDE, à la suite du mouvement de 2010 contre la réforme Woerth, les investissements étrangers ont étonnamment doublé sur 1 an.

    Troisièmement, on note depuis quarante ans une baisse du nombre de jours de grèves qui n’est corrélée ni avec le PIB ni avec sa croissance.

    Cependant, si, au global, les grèves sont loin d’avoir un impact significatif, leur nuisance se niche dans les détails.

    Un impact sectoriel réel

    Selon l’économiste Marc Touati, une grève générale et nationale aurait un impact de deux milliards d’euros par jour ; un impact qui semble minime sur un PIB français de 3140 milliards d’euros en 2022, mais dont la compensation évoquée plus tôt n’est souvent que partielle.

    Et cela est particulièrement marqué au niveau microéconomique puisque très fluctuante selon le secteur. Ainsi, si l’impact d’une grève peut représenter 20 % du PIB journalier, il peut monter jusqu’à 50 % dans le secteur commercial, qui voit sa clientèle se reporter sur le commerce en ligne.

    Outre ce secteur, le tourisme, fondamental dans l’Hexagone, est particulièrement touché par ces pertes non compensées. En effet, il n’y a généralement pas d’effet rebond à la perte d’une nuitée, d’une tablée ou d’un approvisionnement.

    Ces deux secteurs représentent près de un emploi sur six .

    Cependant, ces pertes touchent également les secteurs dits grévistes, comme le transport. Ainsi, en 2016, Air France et la SNCF ont perdu respectivement 40 et 20 millions d’euros par jour de grève.

    Alors que les commerces physiques sont sensibles à la concurrence du e-commerce, à l’époque la SNCF a vu une hausse du transfert de clientèle vers les chauffeurs Uber, alors en plein boom.

    En octobre 2018, le rail comme l’aérien ont eu une baisse de 2 % de leur volume de production de transport, dont 6,5 pour le transport de voyageurs.

    Air France est particulièrement sensible à la chose, puisque les 15 journées de grève qui ont frappé la cinquième compagnie aérienne mondiale par chiffre d’affaires au printemps 2018 lui ont coûté 335 millions d’euros .

    À ces impacts s’ajoutent l’inconnue de l’influence conjuguée des grèves et de l’inflation, qui a été de 6 % en janvier.

    C’est l’occasion de s’interroger sur les conséquences sociales de ces mouvements.

    Des résultats incertains

    S’ajoute donc la question des conséquences sociales et en particulier de l’opportunité des grèves.

    S’il est reconnu qu’il existe un différentiel entre revendications satisfaites et gains de productivités, pas toujours corrélés, qu’en est-il des résultats de ces mouvements ?

    Comme le notent François Dubet et Jean-François Amadieu dans La Tribune du 31 janvier dernier , si la grève de 1995 est devenue le mythe du mouvement social victorieux, aucune mobilisation des années 2010 n’a abouti. En vérité, les grèves ne sauraient être efficaces que dans des secteurs et des métiers en tension, à la manière des mouvements de cet été.

    Plusieurs organisations syndicales évoquent une victoire en parlant de la suspension de la retraite à points en 2020, mais elles oublient qu’elle ne l’a été qu’à la faveur du premier confinement annoncé le même 16 mars.

    Outre les conséquences économiques, le principe de la grève n’a donc d’intérêt que dans un nombre limité de cas et la démobilisation en cours n’est pas là pour inverser cette impression.

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      Quelle transformation de l’économie marocaine à l’horizon 2035 ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 1 February, 2023 - 03:30 · 8 minutes

    Au Maroc, la volonté du changement est exprimée au plus haut sommet de l’État. Sous l’impulsion du Roi Mohammed VI que Dieu l’assiste, et conformément à une méthode de travail qui a donné ses preuves, le souverain a mis au travail une Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD) qui a passé au scanner tous les sujets anxiogènes, notamment les inquiétudes et insatisfactions des citoyens marocains. À cet effet, la transformation de l’ économie marocaine comme moteur de développement et d’essor du pays et de sa population, occupe une place de choix dans le rapport du Nouveau modèle de développement remis au Roi le 26 mai 2021 par le président de la Commission.

    Ainsi, la question qui se pose est de savoir quelle transformation de l’économie marocaine à l’horizon 2035 dans le cadre du modèle de développement ?

    Réussir la transformation de l’économie marocaine nécessite une nouvelle génération de réformes plus complexes, inscrites sur le long terme et portées par un soutien politique fort. Afin de déclencher une dynamique économique systémique mobilisant l’ensemble des acteurs, le nouveau modèle de développement propose une feuille de route fondée sur cinq choix stratégiques :

    1. Sécurisation de l’initiative privée pour éliminer les entraves réglementaires, les barrières administratives et l’économie de rentes.
    2. Orientation des acteurs économiques vers les activités productives à forte valeur ajoutée à travers un dispositif complet d’appui et d’incitations.
    3. Choc de compétitivité pour réduire les coûts des facteurs de production et améliorer leur qualité.
    4. Cadre macroéconomique au service du développement.
    5. Émergence de l’économie sociale comme nouveau pilier du développement.

    Les choix stratégiques proposés par le nouveau modèle de développement doivent être mis en œuvre d’urgence pour construire l’économie de l’après Covid-19 , lit-on dans le rapport. L’épidémie de la Covid-19 a provoqué une crise économique d’une profondeur inédite qui a révélé les faiblesses du tissu productif national et altéré fortement son potentiel de croissance.

    Selon les membres de la CSMD, cette crise nécessite une action volontariste pour la sauvegarde des entreprises, et laisse présager de nouvelles opportunités avec le développement des industries de la vie et la relocalisation des chaînes d’approvisionnement, qu’il s’agira de saisir pleinement par une libération de l’initiative entrepreneuriale et par l’émergence d’une nouvelle génération d’entreprises porteuses de transformation productive.

    Sécuriser l’initiative entrepreneuriale

    La sécurisation de l’initiative privée vise à garantir des règles stables et impartiales à tous les opérateurs économiques qui doivent trouver dans l’administration publique un partenaire de confiance.

    La libération des énergies entrepreneuriales requiert une amélioration notable de l’environnement des affaires pour résorber les foyers de blocage, d’incertitude et de corruption. Pour instaurer une nouvelle relation de confiance, les membres de la CSMD proposent entre autres d’éliminer de manière systémique les barrières administratives et réglementaires.

    À cela doit s’ajouter impérativement une concurrence saine et une régulation renforcée. Garantir un fonctionnement sain et concurrentiel des marchés est une condition nécessaire à la dynamisation de l’initiative privée. Et ce sans oublier une meilleure protection des entreprises grâce à des mécanismes de recours efficaces.

    Orienter les acteurs économiques vers les activités productives

    Selon le rapport de la CSMD remis au Souverain par son président, Chakib Benmoussa, les interventions publiques doivent encourager les opérateurs privés à s’orienter vers de nouvelles activités porteuses de modernisation, de diversification, de montée en gamme et d’internationalisation.

    Pour concrétiser cet objectif, plusieurs actions sont formulées notamment l’élaboration d’une politique nationale de transformation économique pour libérer le potentiel de croissance du Maroc sur tous les secteurs. Ceci doit impérativement s’accompagner par la mise en place d’un mécanisme de pilotage et de mise en œuvre harmonisés pour réaliser les ambitions sectorielles stratégiques.

    Le rapport appelle à une révision du cadre incitatif pour orienter les investisseurs vers les activités productives et soutenir plus fortement le développement des PME. De même que financer de manière volontariste la diversification productive et la montée en gamme de l’économie. Un accompagnement des entreprises pour renforcer leurs capacités managériales, organisationnelles et technologiques est également préconisé.

    Par ailleurs, le rapport recommande la mise en place d’un cadre favorable pour promouvoir l’innovation au sein des entreprises et faire émerger des start-ups de dimension régionale et mondiale.

    Il réitère l’importance de la commande publique comme levier stratégique de développement productif. Enfin, le rapport appelle à intégrer l’informel par une logique incitative, progressive et adaptée à la nature des acteurs.

    Réaliser un choc de compétitivité

    Un choc de compétitivité est indispensable pour créer les conditions de la transformation productive et concrétiser la vocation du Maroc en tant que hub régional attractif pour les investissements.

    Bien que le Maroc dispose de nombreux atouts compétitifs, les facteurs de production sont relativement chers au regard de leur qualité, ce qui limite la compétitivité des entreprises marocaines et pénalise l’attractivité du pays auprès des investisseurs étrangers.

    Le nouveau modèle de développement préconise quatre actions pour que le Maroc devienne le pays le plus compétitif de la région en investissant dans la qualité des facteurs de production et en réalisant les réformes structurelles nécessaires pour optimiser leurs coûts.

    Il s’agit particulièrement de réduire les coûts de l’énergie par la réforme du secteur et le recours aux énergies renouvelables et à bas carbone, ainsi que de réduire les coûts logistiques et améliorer la qualité des services par la restructuration du secteur.

    Le rapport souligne l’impératif de développer des zones d’activité de qualité et à prix compétitifs accessibles à toutes les entreprises et de faire du numérique et des capacités technologiques un facteur majeur de compétitivité, de modernisation des entreprises et de développement de nouveaux métiers et secteurs en phase avec les transformations mondiales.

    Il appelle par ailleurs à un dialogue social régulier intégrant les transformations en cours et à venir du monde du travail.

    Un cadre macroéconomique au service du développement

    La stabilité et la compétitivité du cadre macroéconomique sont déterminantes pour l’initiative privée.

    Le Maroc bénéficie d’un environnement macroéconomique et d’un système financier stables qu’il convient de préserver. Néanmoins, ce cadre doit être amélioré pour servir davantage la croissance économique, à travers quatre actions :

    1. Optimiser les dépenses budgétaires par de nouveaux instruments de gestion.
    2. Réduire la charge fiscale pesant sur les activités productives et concurrentielles.
    3. Prendre en compte l’objectif de multiplication des acteurs et de diversification des mécanismes de financement de l’économie dans les politiques monétaires et bancaires.
    4. Mettre en place les conditions pour développer les marchés des capitaux.

    Faire émerger l’économie sociale comme pilier de développement

    Aux côtés du secteur privé et du secteur public, le nouveau modèle vise à faire émerger plus fortement le troisième pilier de développement porté par l’économie sociale. Ce pilier sera animé par une diversité d’acteurs afin de concilier activité économique et intérêt général (associations, coopératives, entreprises sociales, etc.).

    Il s’agit de rompre avec une vision de l’économie sociale dominée par les activités de subsistances à faible valeur ajoutée pour en faire un secteur économique à part entière, porté par des entrepreneurs dynamiques, structurés et innovants, pourvoyeur d’emplois en complémentarité avec les emplois marchands et publics, producteur de services publics notamment dans la santé et l’éducation, et vecteur de promotion des territoires.

    Trois actions sont proposées pour initier la dynamique d’émergence de la nouvelle économie sociale.

    D’abord, adopter un cadre fondateur pour la nouvelle économie sociale. L’émergence d’une nouvelle économie sociale est une innovation majeure du Nouveau Modèle de Développement.

    Ensuite, promouvoir la délégation de services publics aux acteurs de l’économie sociale par une démarche expérimentale. Certains domaines prioritaires du nouveau modèle de développement peuvent mettre à contribution l’économie sociale à travers la délégation de services publics, notamment dans les domaines de la santé, l’assistance sociale, l’éducation, la petite enfance, la culture, l’économie circulaire et l’insertion professionnelle.

    Enfin, développer l’entrepreneuriat social innovant.

    Afin de structurer les acteurs de l’économie sociale et faire émerger une nouvelle génération d’entrepreneurs sociaux innovants, il est proposé de :

    • mettre en place des programmes d’accompagnement dédiés à l’entrepreneuriat social dans les territoires, à travers notamment des incubateurs spécialisés ;
    • développer des centres de recherche et développement pour l’innovation sociale en collaboration avec les établissements d’enseignement supérieur destinés à élaborer et diffuser des pratiques innovantes productrices d’impact ;
    • créer un nouveau statut juridique adapté à l’entreprise sociale.

    Prospérité, capacitation ( empowerment ), inclusion, durabilité, et leadership régional : tels sont les objectifs de développement fixés par les membres de la CSMD pour changer la face du Maroc d’ici 2035. Reste à savoir si ladite commission sera au rendez-vous.