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      Chine : la stratégie zéro covid pourrait être le nouveau Tien An Men

      Frédéric Mas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 29 November, 2022 - 04:30 · 4 minutes

    Partout en Chine , des protestations populaires s’élèvent contre une politique de confinements sanitaires qui étouffe le pays depuis des années. En cause, une politique « zéro covid » autoritaire initiée dès 2020 pour contenir la progression du Covid-19, qui a abouti à une paralysie sans précédent du pays, notamment suite à l’isolement forcé de la ville de Shanghai.

    Des gardes blancs pour succéder aux gardes rouges

    Au nom de la politique « zéro covid », des bataillons entiers de fonctionnaires en combinaisons blanches et en masques ont imposé aux populations les pires restrictions, les confinements les plus redoutables et se sont attirés la haine des citoyens ordinaires. Les confinements et les couvre-feux n’ont pas seulement transformé certaines grandes villes de Chine en prisons géantes. Ils ont fait plonger l’économie nationale, menaçant jusqu’à une croissance économique mondiale déjà chancelante.

    En réaction, ce sont des foules compactes qui protestent parfois violemment dans plusieurs grandes villes du pays en appelant à plus de libertés et un allégement des restrictions.

    Impossible de ne pas rapprocher ces protestations spontanées de celles qui ont fleuri partout en Occident et particulièrement en France au pire moment de la crise covid. Au sein des médias, de nombreux médecins, soignants et bureaucrates avaient dès le début de la crise pris la Chine comme exemple de politique publique adaptée en réponse à la pandémie.

    La stratégie « zéro covid », populaire parce que radicale, a séduit, inspirant les confinements et les couvre-feux les plus impitoyables, les restrictions de libertés publiques les plus exceptionnelles et les mesures les plus irrationnelles. La stigmatisation des opposants à l’autoritarisme sanitaire, démocratie oblige, fut beaucoup plus soft à Paris qu’à Pékin. Reste que la logique bureaucratique d’ingénierie sociale fut assez semblable et s’est traduite par une commune hostilité aux libertés individuelles.

    La crainte d’un nouveau Tien An Men

    Pour un pays cornaqué par un parti communiste pétrifié à l’idée d’un nouvel événement de type Tien An Men , cela pourrait être le début d’une nouvelle ère. La nomenklatura du parti redoute depuis des décennies un destin semblable à celui de l’URSS. Après l’effondrement idéologique du communisme, c’est celui du pays qui a suivi, le tout au nom des revendications en matière de libertés publiques et d’autonomie nationale. Il faut donc à tout prix éviter un nouveau 1989 pour éviter un 1991.

    L’arrivée de Xi Jinping à la tête de l’État témoigne de cette glaciation réactionnaire, après une ère de relative ouverture à la mondialisation au début des années 2000. Le culte de la personnalité et le petit catéchisme marxiste-léniniste pourront-ils conjurer le sort et permettre à la dictature de s’en sortir ?

    La crainte bioterroriste

    Reste une grande inconnue qui intrigue tous les observateurs de la Chine contemporaine : pourquoi Pékin a-t-il choisi de durcir à l’extrême sa politique sanitaire au point de fragiliser sa croissance et même, comble du comble, risquer le désordre civil tant redouté par sa classe bureaucratique ?

    Pour l’économiste et spécialiste de géopolitique Philippa Malmgren , il y a un lien entre cette politique sanitaire radicale et le changement d’attitude de Xi en politique étrangère, devenue depuis quelques temps beaucoup plus belliqueuse et défiante à l’endroit des États-Unis.

    Aussi absurde que cela puisse sonner aux oreilles des Occidentaux, il est probable que les élites du parti pensent que Washington prépare une guerre biologique pour conserver sa suprématie mondiale et supplanter ses concurrents engagés dans la même course aux armements d’un nouveau genre. Dans ce climat de menace bioterroriste alimenté par la découverte des biolabs en Ukraine, la Chine, devenue paranoïaque, aurait donc sur-réagit face au covid et aux vaccins devenus tout à coup suspects.

    Comment Xi Jinping va-t-il réagir face à ces protestations de la base contre un autoritarisme sanitaire délirant ? Cela se traduira-t-il en véritables exigences démocratiques, ou au contraire en nouveau cycle de répressions au nom du totalitarisme communiste ? Aujourd’hui un espoir est né mais la route pour sortir de la servitude demeure longue.

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      Moukhtar Abliazov : un nuage au-dessus de la relation franco-kazakhe

      Auteur invité · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 29 November, 2022 - 03:50 · 4 minutes

    Par Gabriel Robin.

    Il arrive parfois que la Cour nationale du droit d’asile ait à traiter des affaires géopolitiquement plus sensibles que le tout-venant. C’est notamment le cas du milliardaire Moukhtar Abliazov, recherché notamment par les justices britannique et kazakhe. La juridiction administrative traite des demandeurs d’asile qui ont vu leurs dossiers refusés par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

    Alors que le président de la République du Kazakhstan s’apprête à rendre visite à Emmanuel Macron mardi 29 novembre, cette affaire sensible pourrait bien venir ternir des relations au beau fixe depuis déjà quelques années. Elle s’invitera sans nul doute à la rencontre officielle.

    La réélection de Tokaïev

    Le 20 novembre dernier, Kassym-Jomart Tokaïev était réélu à la tête de la République du Kazakhstan. Grande puissance d’Asie centrale, l’État kazhak a su s’émanciper astucieusement de la tutelle moscovite depuis le déclenchement du conflit en Ukraine, marquant à plusieurs reprises son opposition à la politique du Kremlin. Le ministère des Affaires étrangères du Kazakhstan a ainsi, par la voix d’Aibek Smadiyarov, déclaré ne pas reconnaître les résultats des référendums organisé dans les territoires occupés :

    « Notre président a à plusieurs reprises, en particulier dans son récent discours à la tribune de l’ONU, clairement affirmé l’importance d’une adhésion indéfectible au principe du droit international, qui est fondé sur la Charte de cette organisation universelle mondiale. La Charte fait référence à la responsabilité des États membres de l’ONU de maintenir la paix et de respecter l’intégrité territoriale des États ».

    En outre, le Kazakhstan est étroitement engagé avec la France qui est son septième exportateur. De son côté, la France importe une grande quantité d’uranium kazakh ainsi que du pétrole brut, deux ressources énergétiques rendues d’autant plus indispensables depuis le début de l’année, la filière russe s’étant tarie. De grands groupes français opèrent d’ailleurs au Kazakhstan, comme Orano qui coopère avec Kazatomprom dans l’extraction d’uranium ou encore Total. Le Kazakhstan est aussi friand de produits français de pointe à l’image des locomotives Asltom ou des avions Airbus A400m. Tout va donc pour le mieux entre nos deux pays, l’Asie centrale jouant depuis la plus haute antiquité le rôle de route commerciale et de pont entre l’Extrême-Orient et la péninsule européenne dont la France occupe l’Occident atlantique.

    Les liens avec la France

    Dans ce contexte, l’affaire Abliazov complexifie une donne en apparence idéale.

    Ancien ministre de l’Énergie du gouvernement Noursoultan Nazarbaïev, Moukhtar Abliazov a été condamné à 20 ans de prison au Kazakhstan en 2017 pour avoir accordé « frauduleusement des prêts sans garantie à des sociétés-écrans dont il était le réel bénéficiaire économique ». En fuite, il a été encore condamné à la prison à perpétuité en 2018 pour avoir ordonné l’assassinat de son associé Yerzhan Tatishev en 2004.

    L’homme est aussi condamné au Royaume-Uni, la banque BTA ayant réussi à obtenir le gel de ses actifs devant la Haute Cour de justice britannique. Au total, Abliazov a été visé par sept actions en justice britanniques pour un montant total de 3,7 milliards d’euros. Son parcours criminel est d’ailleurs si édifiant que les magistrats de la Haute Cour de Londres ont déclaré qu’il était « difficile d’imaginer qu’une partie à un contentieux commercial puisse agir avec plus de cynisme, d’opportunisme et de fourberie à l’égard des décisions de justice que M. Abliazov ».

    En 2015, Manuel Valls avait donné son feu vert à une procédure d’extradition de l’oligarque avant que le Conseil d’État n’annule le décret ; notons toutefois la constance de cette juridiction à protéger les criminels étrangers, qu’ils soient en col blanc ou en jogging. Plus comique encore, la Cour nationale du droit d’asile accordait l’asile politique à Abliazov en septembre 2020… soit tout juste un mois avant que la police française ne l’arrête et ne le mette en examen pour « abus de confiance aggravé et blanchiment aggravé » dans l’affaire BTA. En Ukraine, Moukhtar Abliazov est aussi connu comme le loup blanc, accusé de prêts fictifs, de détournements de fonds, d’absence de nantissement ou de « cascade de société offshore ».

    Nouveau président de la CNDA et ancien directeur de cabinet du ministère de la Justice, Mathieu Hérondart a l’occasion d’en finir avec une affaire qui empoisonne les relations de la France avec le Kazhakstan et la Grande-Bretagne. Avons-nous vraiment besoin d’accorder l’asile à un personnage aussi gênant ? Il est permis d’en douter. Surtout au vu des enjeux que la visite du président Tokaïev comporte, parmi lesquels la perspective d’une augmentation de la livraison d’hydrocarbures, la construction de centrales nucléaires, la livraison de matériel militaire, et, last but not least , une éventuelle coopération militaire qui marquerait une nouvelle étape du partenariat stratégique unissant les deux pays.

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      Zéro covid en Chine. Source de désinformation ?

      Christophe de Brouwer · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 26 November, 2022 - 03:40 · 6 minutes

    Commenter des images de France 24 , la voix de son maître gouvernemental s’il en est, qui montre, à travers des images choquantes, les effets néfastes de la politique du zéro covid en Chine.

    Pourquoi ?

    Par exemple, la photo de droite montre le dos d’un travailleur qui escalade une clôture. Il s’agit du recadrage sur un travailleur d’un groupe de travailleurs de Foxconn, entreprise taïwanaise, filiale d’Apple, dont l’immense usine est située à Zhengzhou en Chine. Elle fabrique 70 % des iPhone de ce groupe (500 000 par jour). La légende de la série de photos dont celle où le recadrage a été effectué dit ceci : « Le véritable voyage de retour : les employés de Foxconn à Zhengzhou ont escaladé la clôture pour retourner à pied dans leur ville natale. Les villageois se sont pris en charge et se sont entraidés » (le texte original est en mandarin). On voit plusieurs travailleurs quitter le parc industriel (clôturé comme chez nous) bouclé à cause du covid afin d’éviter les centres de quarantaine de mauvaises réputations.

    Presque tous portent le masque. Après une traversée de champs, on les voit emprunter le bas côté de l’autoroute. Des personnes les attendent avec eau et nourriture. Leur but est d’être de retour chez eux pour les fêtes de fin d’année. Les photos viennent en appui d’un article où Apple s’attend à une diminution importante de la production de son produit phare, ce qui serait assez catastrophique à cette époque-ci de l’année, causée par ces départs inopinés dans un contexte de plaintes et troubles sociaux récurrents dans cette usine, notamment pour des salaires jugés trop faibles. Le manque de travailleurs s’élèverait déjà à 100 000 . Les autorités chinoises ne semblent pas très empressées. Je pense que l’entreprise va reconstruire une clôture plus efficace…

    Évidemment, le zéro covid est une politique liberticide qui touche temporairement de larges régions lors de la résurgence du virus, ce qui est actuellement le cas, notamment à Zhengzhou où se trouve l’usine iPhone qui compte entre 200 000 et 250 000 travailleurs. Politique qu’il faut par ailleurs résolument proscrire compte tenu de ses effets collatéraux sur les personnes qui la subissent. D’ailleurs, lors des réunions internationales, je n’ai vu nulle part leur dirigeant Xi Jinping porter un masque ou observer la distance réglementaire durant les discussions avec les dirigeants laowai (étrangers). De plus, cette politique semble être actuellement (très) timidement remise en cause par les autorités chinoises elles-mêmes .

    Dans le même registre de réactions médiatiques à la mode, on voit fleurir dans nos médias énormément d’articles concernant le statut des femmes en Iran – et il est mauvais –, ou de troubles sociaux et autres images péjoratives de la politique des dirigeants iraniens. Je gage que si demain l’Iran se plie aux exigences de Washington sur le nucléaire et nous livre gaz et pétrole, tout ce fatras d’images larmoyantes sera balayé instantanément, nihil lacrima citius arescit : nous verrions les mollahs comme des héros ! Il y a pourtant là un véritable combat de fond qui touche aux libertés fondamentales, combat qui doit se soustraire aux effets de mode qui lui font, en réalité, du tort.

    Ainsi vont les médias aux ordres dans nos pays occidentaux, surtout en France où la censure est très active. Moins en Belgique où, par exemple, il n’y a actuellement aucun problème pour accéder à Rumble ou d’autres médias passés à la trappe. Et c’est tant mieux : je me sens assez grand pour faire la part des choses et ne pas tomber dans le binaire imbécile du vrai et du faux (j’ai raison, donc tu as tort).

    Alors pourquoi cette mode maintenant et pas avant ? Nous le savons : l’Ukraine. Car au temps du confinement ou même du passe sanitaire, que de louanges par ces mêmes médias de la politique musclée de contrôle social par la Chine sous prétexte de covid. Certaines de nos « élites » s’en pourléchaient d’ailleurs les babines.

    Il y a du reste une coupure entre l’Occident et le reste du monde.

    Une récente étude (octobre 2022) de l’Université de Cambridge en Angleterre « A World Divided: Russia, China and the West » montre cela, même si les auteurs de l’étude sont de l’Ouest. Bien que la Russie ait mauvaise presse en Occident, son image reste la meilleure au niveau des pays en développement, devant la Chine et les USA. Cela devrait nous alerter sur l’arrogante politique des « je sais tout mieux que vous » que nous projetons à l’extérieur.

    Comprendre ce qui se passe en Chine concernant le zéro covid

    N’habitant pas en Chine et ne connaissant pas le mandarin, mes sources d’information restent limitées. Les politiques et mesures prises sont en conséquence d’une population gigantesque.

    Un texte émanant du Consulat de Chine à Durban , édité sur le site du ministère des Affaires étrangères en juillet 2022, déclare que la Chine, d’où le virus serait parti, est le pays avec le niveau de dégâts sanitaires directs causés par le covid le plus faible au monde.

    Et d’expliquer le pourquoi/comment de ces mesures. Et ce n’est pas faux, si l’on ramène les chiffres publiés par worldometer par million d’habitants, tant en nombre de cas qu’en nombre de décès. Certains me diront que ces chiffres sont truqués. Peut-être, mais encore faut-il le démontrer. Pourquoi changeraient-ils une politique qui leur donne apparemment satisfaction, du moins sur le plan sanitaire ? Bien sûr il faut creuser plus avant sur le plan scientifique la réalité et les conséquences de telles mesures afin d’ajuster cette belle image.

    Par ailleurs, il faut replacer cela dans un contexte plus général. La crise mondiale accélérée par la crise liée au covid, puis la crise ukrainienne, a modifié les rapports d’échanges entre pays.

    La militarisation du dollar (et de l’euro) a comme conséquence ce qu’on appelle une « dédollarisation des échanges commerciaux ». Elle est en route. Elle s’accompagne pour la Chine d’un retrait lent mais déterminé de ses avoirs aux États-Unis : elle se défait progressivement de ses obligations sur le trésor américain.

    Autre exemple sur le plan de la micro-électronique , elle semble avoir acquis la technologie de la miniaturisation sous 10 nanomètres des semi-conducteurs. La Russie, quant à elle, pourrait avoir réalisé de réels progrès avec notamment son elbrus 16C dans le domaine des microprocesseurs, mais peine toujours avec les semi-conducteurs où son retard apparaît conséquent. Quant à savoir exactement ce qu’il en est dans ce pays où le secret est un art… L’interdépendance des uns vis-à-vis des autres semble une évidence.

    Ces quelques exemples montrent que sur un plan global les échanges commerciaux sont en train de se modifier ; les sanctions américaines prises à l’encontre de la Chine en sont un des puissants moteurs. Et là aussi, les bouleversements sont d’une ampleur difficilement imaginable.

    Dans quelle mesure le zéro covid, qui semble contraindre la croissance chinoise, doit être vu selon un autre angle ?

    Dans un contexte de ralentissement mondial de l’économie (et donc de celle de l’Occident principalement ), le FMI (et non l’OMS) demande à la Chine de limiter la politique du zéro covid pour relancer son économie . Au-delà de l’aspect sanitaire, la vraie réponse est sans doute là. Peut-être qu’une croissance plus faible, mais malgré tout présente, aide le pays à opérer ce glissement à la fois vers des produits de qualité, c’est-à-dire possédant davantage de valeur ajoutée, mais également vers plus de diversité dans les partenariats commerciaux, ce qui implique moins d’Occident et plus du reste ? L’avenir nous le dira.

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      Kazakhstan : 11 millions d’électeurs sur un territoire grand comme l’Europe

      Jean-Baptiste Giraud · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 25 November, 2022 - 04:15 · 11 minutes

    Reportage à Balap, Torgan, Burabay, Schuchinsk, Akmolinskaia oblast, nord du Kazakhstan – Le 20 novembre 2022

    Dimanche 20 novembre 2022 : le Kazakhstan organisait sa septième élection présidentielle depuis la disparition de l’Union soviétique, une élection anticipée provoquée par la démission du président en exercice, Kassym-Jomart Tokaïev, réélu sans surprise dès le premier tour avec le score très confortable de 82 %.

    Caractéristique de ce scrutin : un taux de participation catastrophique dans les grandes villes occidentalisées (27 % à Almaty, capitale économique, 40 % à Astana, capitale politique), quand le Kazakhstan profond, lui, s’est massivement déplacé aux urnes pour lui confier les clefs du pays pour un dernier mandat de sept ans. Immersion au cœur de la steppe enneigée, par -15°C.

    Immersion au cœur de la steppe enneigée, par -15°C

    Nadezhda et Nadezhda sont voisines, portent le même prénom et ont aussi le même âge. Et le jeu des ressemblances ne s’arrête pas là. La plus âgée des deux amies est arrivée d’Ukraine en 1965 à l’âge de 16 ans, accompagnée de sa tante et laissant ses parents derrière elle pour toujours.

    Mariée à un Ukrainien déjà installé au Kazakhstan, six enfants et huit petits-enfants plus tard, Nadezhda est venue en compagnie de… Nadezhda sa voisine afin de voter dans le petit village de Balap, situé une centaine de kilomètres au nord de la capitale Astana. Au total, 200 âmes et 220 votants inscrits, en comptant les petits hameaux voisins. Nadezhda et Nadezhda habitent l’un d’entre eux, à quelques kilomètres. Elles sont veuves, le maire leur a donc envoyé une voiture pour leur permettre de voter. Elles n’auraient manqué cela pour rien au monde : les élections ont toujours été une fête. Héritage soviétique.

    « On vivait vraiment très bien ici quand c’était l’URSS » tient absolument à nous dire Nadezhda, grand sourire édenté aux lèvres, née au Kazakhstan et elle aussi mariée autrefois à un Ukrainien. Ils ont eu un fils et une fille qui leur ont donné trois petits-enfants dont elle est très fière même si elle ne les voit pas assez à son goût. Sa fille vit désormais en Allemagne et la pandémie l’a privée de sa visite pendant deux ans.

    « À la chute de l’URSS, tout a changé et est devenu beaucoup plus compliqué. Ça a été vraiment dur pendant dix ans, plus rien ne marchait car il n’y avait plus d’État » déplore la petite Nadezhda, le regard vide. Mais tout cela est désormais loin derrière. L’une a dirigé une grande partie de sa vie un petit magazin (alimentation et droguerie ) , et son homonyme travaillait dans une ébénisterie d’État. Le pays est généreux avec ses retraités. Les 85 000 tenge (180 euros) de pension mensuelle que chacune reçoit suffisent amplement. Leurs vies de babouchkas sont simples, sans fioritures. Pour les six mois de grand froid, trois tonnes de charbon suffisent largement à Nadezhda la grande, sachant que la tonne livrée lui coûte 10 000 tenge (20 euros), combustible pour sa chaudière increvable qu’elle complète avec du bois ramassé dans la forêt : « c’est totalement gratuit ».

    Les deux homonymes ne se privent de rien et surtout pas de chauffage dans ce coin de steppe où les vents froids font descendre le thermomètre à -35°C certains jours d’hiver. D’ailleurs, le bureau de vote est surchauffé comme tous les bâtiments au Kazakhstan : hôtels, ministères, centres commerciaux, écoles et même vans et taxis règlent tous la température à… + 28°C. Le grand froid n’est pas un problème au pays de l’énergie gratuite.

    Dans le Kazakhstan profond, seul l’État peut tout

    La présidente du bureau de vote coupe le son de la sono qui diffuse Boney M (tous les bureaux de vote diffusent de la musique, autre héritage soviétique), afin de pouvoir mieux entendre nos échanges avec Nadezhda et Nadezhda. D’autres électeurs se mêlent aussitôt à la conversation, opinant de la tête ou commentant en kazakh ou en russe ce que l’un ou l’autre déclare et que notre interprète parvient à attraper plus ou moins facilement au vol, loin d’être impressionnés ou intimidés, bien au contraire ! Dans ce village du bout du monde, en plein cœur de la steppe kazhakstanaise, pouvoir parler à des journalistes occidentaux relève d’une charmante incongruité.

    « Le pays a un bon président » nous dit une femme sans âge dans un élan d’enthousiasme à la limite de l’énervement en plein milieu du bureau de vote.  Д a, Дa, d’autres opinent de la chapka. « O n a besoin de lui ! » lance même un vieillard en passant, qui a capté un bout de la discussion. Tous expliquent que la vie est encore meilleure, comparé aux temps de l’URSS, mais n’oublient pas les années difficiles dont parlait Nadezhda quelques instants plus tôt.

    « Il fallait se débrouiller pour tout, surtout pour manger » lance un autre homme renfrogné . Certains travaillent à la mairie ou à l’hôpital d’Akkol, la grande ville voisine de 6000 âmes qui dispose même d’un cinéma. Les autres travaillent à l’entretien des forêts de la région, un service public. L’État demeure ici comme souvent en Kazakhstan le principal employeur, quand il n’est pas le seul. Diversifier l’économie fait pourtant officiellement partie des grands projets du président réélu. Mais la sortie de la rentre pétrolière et gazière peine encore à se concrétiser dans cette partie septentrionale du pays.

    Une rente d’hydrocarbures a permis au Kazakhstan de recouvrir sa capitale Astana de buildings ultra modernes et d’équiper le pays d’infrastructures flambant neuves, en particulier des autoroutes. Les 15 kilomètres qui séparent Balap de la « grande ville » voisine d’Akkol s’avalent ainsi en quelques dizaines de minutes, au milieu de la steppe glacée balayée par les vents.

    Infrastructures et services publics d’une solidité à toute épreuve

    Ce bureau 127, au bout du bout du monde, dans lequel 83 % des habitants avaient déjà voté à 10 heures du matin, n’est en réalité coupé de rien et ce n’est pas seulement une histoire d’état des routes ou de déneigeuses. Le système scolaire kazakhstanais -encore un héritage soviétique – mise beaucoup sur les sciences dures : mathématiques, physique et informatique. Dans une autre école transformée en bureau de vote visitée plus tôt, un slogan datant de l’URSS peint sur la façade promet d’ailleurs aux petites têtes brunes de pouvoir devenir космонавт (cosmonaute) à condition de « bien travailler ses maths ». Ici, dans le gymnase devenu bureau 127, c’est спорт спорт спорт (sport sport sport) qui trône au-dessus de la porte d’entrée.

    « Parmi nos anciens élèves – Tania dirige une maternelle – l’un est devenu avocat, un autre médecin. On a aussi un ingénieur qui est parti à Moscou. Et l’une de nos anciennes élèves vit maintenant aux États-Unis après avoir travaillé en Allemagne dans le gaz, pays où elle a rencontré son mari, un Allemand. Chaque fois qu’elle revient au village, comme les autres anciens, elle passe nous voir, on est très fiers d’eux. On a aussi un ancien qui aujourd’hui a une entreprise, il est resté ici et fait travailler beaucoup de monde dans le bois. »

    Impossible bien évidemment de refuser l’hospitalité des présidents des bureaux visités tout au long de cette journée d’élection. Comme s’il s’agissait d’un rituel, il faut signer un registre réservé aux observateurs nationaux ou étrangers ainsi qu’aux journalistes accrédités… et donc prendre le thé.

    650 km de route pour traverser une petite partie seulement de l’ oblast de Akmolinskaia, grand comme la France et visiter une dizaine des 10 000 bureaux de vote du pays, en comptant un arrêt technique inédit : la casse moteur en pleine steppe de notre mini-van Toyota ! Probablement une panne de la pompe à eau qui condamne le moteur à la surchauffe malgré les -15°C dehors. Le joint de culasse n’y survivra pas. Le patron de la compagnie privée de VTC nous porte secours au bout d’une heure et demie après avoir foncé sur l’autoroute parfaitement rectiligne au volant de son Audi fatiguée. À peine trois kilomètres plus tard nous arrivons dans un autre bureau de vote pour attendre le van de remplacement.

    Heure du déjeuner oblige, le thé et les beignets des précédents bureaux visités cèdent la place à un repas pantagruélique dans la cantine, destiné aux assesseurs, et partagé de bon cœur par la directrice de l’école aux rescapés de l’autoroute que nous sommes. Le beschbarmak , plat traditionnel kazakh à base d’un mélange de viande de bœuf et de cheval, trône sur la table en formica de la cantine de l’école. Des pâtes saucées à la graisse de cheval et du bouillon de cheval complètent l’ensemble. À la fois remède imparable et carburant pour lutter contre le froid glacial qui sévit ici à l’extérieur.

    Un lycée technique informatique qui glorifie Steve Jobs, Elon Musk, Bill Gates et Jack Ma

    Une start-up au Kazhakstan ? Non, un lycée professionnel informatique ultra moderne.

    Cent kilomètres plus loin, autre ambiance, autre numérotation.

    Le bureau 331 siège dans un lycée absolument flambant neuf de dix étages en périphérie de la cité industrielle de Schuchinsk. Ici des milliers de garçons et de filles âgés de 12 â 17 ans particulièrement chanceux suivent un enseignement technique spécialisé dans une école aux allures de campus de start-up. L’école, baptisée « éducation innovation It » est intégralement dédiée aux enseignements liés à l’informatique. À la sortie, la plupart des élèves iront à l’université dans le pays ou encore à l’étranger, scolarité 100 % prise en charge par le gouvernement dans le cadre du programme келешек, ou avenir . Ici, sur les murs flambant neufs, exit les slogans hérités du soviétisme ! Des logos lumineux géants aux couleurs de Microsoft ou Facebook côtoient des portraits tout aussi géants d’Elon Musk, Steve Jobs ou Jack Ma ! Et de Bill Gates en embuscade. Tous accompagnés d’une de leurs citations célèbres, en anglais. Haut débit, matériel informatique de pointe, professeurs expérimentés… Si les écoles de village avaient encore un parfum d’union soviétique, ce lycée se voit déjà en Californie.

    Le lycée professionnel informatique et bureau de vote de Schuchinsk

    Autre ville, autre école, et donc forcément autre ambiance.

    Les vieux paysans rugueux volontaires bénévoles qui tenaient les petits bureaux ruraux visités le matin sont remplacés ici par un jeune personnel administratif à 100 % féminin du lycée professionnel. Les électeurs ne sont pas les mêmes aussi. Bien que l’établissement soit installé à la lisière d’un quartier résidentiel moderne, alternance de grands immeubles et de maisons à deux étages, le taux de participation franchit péniblement les 40 % à deux heures de la fermeture.

    Au Kazakhstan, l’État est indispensable pour les ruraux, facilitateur pour les urbains

    En réalité, dans les grandes villes modernes où les concessions automobiles disputent la place aux marques occidentales de luxe et aux restaurants, on comprend aisément que les élections sont beaucoup plus importantes aux yeux des Kazakhstanais des territoires ruraux, et même ultra-ruraux.

    Dans des régions à la nature souvent hostile et à l’économie faiblement développée, l’État n’est pas seulement le premier employeur : il est aussi le premier protecteur, que ce soit avec les déneigeuses, les lignes de bus, les écoles et surtout l’énergie peu chère. Dans ces espaces ruraux du Kazakhstan, la stabilité incarnée par Tokayev semble primer sur toutes les divergences politiques autant chez les plus âgés marqués du souvenir du chaos des années 1990 que chez les jeunes qui attendent beaucoup des promesses d’investissements et de diversification de l’économie.

    À l’inverse, dans les grandes villes (Almaty, l’ancien capitale politique et capitale économique, bat un record d’abstention à moins de 30 % de participation), la population est majoritairement tournée vers le reste du monde. Elle travaille dans les ministères, les entreprises publiques mais aussi bien sûr pour les nombreuses multinationales installées dans le pays. La classe moyenne kazakhstanaise est probablement celle issue des pays de l’ancien bloc communiste qui s’en sort le mieux, avec des standards se rapprochant des pays de l’est de l’Europe.

    Le pouvoir d’achat est facilité par à un prix de l’énergie très bas grâce aux ressources naturelles du pays. Avec un litre d’essence à 30 centimes, du chauffage et de l’électricité extraordinairement bon marché et des logements financièrement très accessibles (on se loge en ville dans un F3 pour 500 euros par mois, charges comprises), le reste à vivre après les dépenses contraintes est exceptionnellement élevé.

    Car Apple, plus encore que d’autres marques coréennes ou chinoises (Samsung et Huawei) est omniprésent et pas seulement dans le lycée technique de Schuchinsk à 230 km de la capitale mais aussi dans les boutiques, les publicités, entre les mains des habitants…

    Cette ambivalence ou ce fragile équilibre diplomatique du Kazakhstan est à l’image du fossé, du canyon pourrait-on dire (le pays abrite lui aussi un Grand Canyon, comparable à son homonyme américain), qui sépare le Kazakhstan des villes du Kazakhstan des champs. À charge pour le chef de l’exécutif renouvelé et conforté pour sept ans de réduire le plus vite et le mieux possible la fracture, source sans aucun doute possible des émeutes sanglantes de janvier 2022. À Almaty, où les violences les plus graves ont été constatées, les stigmates sont masqués ou en cours de réparation. Un chantier, parmi tous les autres, pour Kassym-Jomart Tokaïev, deuxième président du Kazakhstan, depuis son indépendance.

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      Xi Jinping : les habits sales du président Mao lui vont si bien

      Nathalie MP Meyer · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 15 November, 2022 - 04:15 · 7 minutes

    Quand Xi Jinping arriva à la tête du Parti communiste chinois (PCC) en 2012, puis à celle de l’État chinois en 2013, on pouvait facilement penser qu’il allait s’inscrire dans les pas réformistes de son illustre prédécesseur Deng Xiaoping.

    Et de fait, c’est à Shenzhen, haut lieu du développement économique de la Chine et de son ouverture sur le monde tels qu’encouragés par Deng dès 1978 qu’il emmena ses collègues du Comité permanent du PCC pour inaugurer symboliquement son premier mandat. À cette époque, on le vit même écumer la scène internationale jusqu’au Forum économique de Davos (janvier 2017), n’ayant à la bouche que les mots « libre-échange », « fin du protectionnisme » et « libéralisation du commerce et des investissements ». Vous imaginez le ravissement occidental. La Chine s’éveille enfin et elle nous ressemble !

    C’était oublier un peu vite que si Deng avait eu une influence décisive sur l’aspect économique du développement humain et s’il avait bien perçu à travers l’exemple de Mao que le pouvoir personnel illimité est facteur de corruption et de stagnation économique, au point d’avoir été l’auteur en 1982 de la réforme constitutionnelle limitant le mandat des présidents chinois à deux quinquennats, il fut aussi celui qui donna l’ordre d’envoyer les chars sur les étudiants contestataires de la place Tiananmen en 1989.

    Ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire précédemment, il n’a jamais été prévu , ni par Mao, ni par Deng, et certainement pas par l’actuel président chinois que la modernisation de la Chine puisse s’étendre le moins du monde aux libertés individuelles.

    Dans la foulée de ses grandes déclarations sur les beautés du commerce international, Xi Jinping s’est empressé de faire annuler (en 2018) la limitation des mandats présidentiels afin de revenir à la présidence à vie voulue par Mao – ce qui lui permet maintenant d’entamer un troisième quinquennat triomphalement entériné à l’issue du XX e Congrès du PCC qui s’est tenu le mois dernier.

    De même, il s’est empressé de « continentaliser » Hong Kong, c’est-à-dire de dépouiller ses habitants de leurs intolérables libertés civiles et politiques et de museler l’opposition démocratique au mépris des accords de 1997 qui prévoyaient que le territoire continuerait à bénéficier de l’État de droit instauré par les Britanniques ainsi que d’une relative autonomie par rapport à la Chine communiste pendant encore au moins cinquante ans. Mais pour Xi, l’intervention chinoise a permis à Hong Kong de passer « du chaos à la gouvernance » – il l’a redit avec force dans son discours inaugural du XX e Congrès.

    Ah, la gouvernance ! C’est son grand mot. Et il l’applique non sans une gourmandise maladive à la gouvernance des masses. Les masses de Ouïghours , les masses religieuses, les masses des malades potentiels du covid – les masses chinoises, finalement. Aucun pays au monde n’exerce de contrôle plus étroit et plus terrifiant sur l’ensemble de ses citoyens.

    Nul besoin d’en passer par une répression de type Tiananmen pour domestiquer la population et faire rentrer dans le rang les éventuelles fortes têtes, puisque le développement technologique du big data et la multiplication hallucinante des caméras dans l’espace public permettent d’instaurer une surveillance de tous les instants sur tous les citoyens. Le contrôle social bat son plein en Chine avec l’objectif ultime d’éteindre toute velléité d’opposition politique via un subtil maniement de carotte et de bâton.

    Mais là aussi, toujours revenir à Mao. Dans les années 1960, ce dernier avait mis au point un modèle de surveillance aussi low tech que terriblement efficace appelé « modèle de Fengqiao » ( ici , ici ), du nom du village où le système en question avait donné des résultats exceptionnels. Il s’agissait de combattre les éléments réactionnaires de la société, les éléments hostiles à la brillante révolution maoïste… par appel à la délation des voisins. Concrètement, les familles sont placées par groupe de dix sous la surveillance d’un chef qui signale les comportements ou les discours inopportuns des uns et des autres aux autorités.

    Encore une tradition revitalisée par Xi qui l’a évoquée dans son discours du XX e Congrès comme permettant de redonner du pouvoir de gouvernance au niveau local ! Police numérique d’un côté, police citoyenne de proximité de l’autre – pas de doute, « la lumière brillante de la vérité », ainsi que Xi qualifie les théories de Karl Marx, et « la pensée de Xi Jinping » (oui, oui, vous avez bien lu, la sienne) qu’il a fait inscrire dans la Constitution en même temps que sa présidence à vie ne risquent pas de subir la moindre critique.

    Outre que la personnalisation du pouvoir atteint chez Xi un niveau de démesure quasiment pathologique, tout est en place pour le conformisme le plus étroit, l’identité de vue, l’acquiescement à tout, la fin de la réflexion personnelle, autrement dit la zombification de la population.

    Ajoutez à cela une lutte sans merci contre la corruption qui signifie surtout mise au pas ou élimination des ennemis du peuple dans la société civile comme dans les instances nationales et locales du PCC, et vous obtenez un nouveau Comité central plus verrouillé que jamais par Xi Jinping. À ce titre, le sketch de la sortie sous escorte de l’ancien président chinois Hu Jintao du XX e Congrès est incroyablement révélateur. Message probable de cet incident non élucidé : tout ce qui peut être assimilé de près ou de loin à des sympathies occidentales – et Hu est réputé plutôt ouvert à l’Occident – doit disparaître du paysage. Xi nous ferait-il sa petite Révolution culturelle ?

    Oh, bien sûr, le nouveau Bureau politique du PCC regorge d’ingénieurs en aérospatial ou en sûreté nucléaire. Cela tombe bien ; du quantique à l’intelligence artificielle, Xi a fixé des objectifs ambitieux à la Chine.

    Progrès fulgurants assurés ? C’est à voir. Il n’y a pas la prospérité économique garantie par un autocrate, présumé un peu vite omniscient, d’un côté ; et tout le reste, la liberté d’expression, d’opinion, d’information, la liberté de créer et d’expérimenter – ces folles lubies d’Occidentaux décadents – de l’autre. Il n’y aura jamais de réel bien-être économique et social s’il n’est pas possible de faire savoir à l’autocrate qui règne en distillant la crainte qu’il se trompe quand il se trompe.

    En attendant, alors que les perspectives de croissance se rétractent, que l’immobilier chinois est résolument entré en phase d’éclatement de bulle et que la politique zéro covid toujours en cours accentue le freinage économique et l’écrasement des libertés individuelles, Xi Jinping suit la pente Mao et le fait savoir. À votre avis, où a-t-il emmené son nouveau Comité permanent pour fêter sa réélection cette année ? À Yan’an, ville où Mao et ses compagnons ont achevé la Longue Marche de 1934 – 1935.

    Par parenthèse, encore un épisode glorieux du communisme chinois : d’après l’encyclopédie Larousse , « des 100 000 hommes du départ, il n’en restait plus que 8000 à l’arrivée » , du fait des combats contre les troupes nationaliste, certes, mais surtout en raison de la faim, de la fatigue, des maladies et des très nombreuses désertions. Pour Mao, cependant, opération très profitable puisqu’elle lui a permis de consolider définitivement son pouvoir sur le PCC avant de prendre le pouvoir à Pékin en 1949.

    Et pour Xi, déterminé comme jamais « à transmettre les gènes révolutionnaires » qui ont fondé le communisme chinois , une nouvelle occasion de se glisser avec délice dans les habits sales du président Mao. Je dérive ma formule du titre du livre de Simon Leys intitulé Les Habits neufs du président Mao (1971) dans lequel cet auteur soutient la thèse que la Révolution culturelle initiée en 1966 par Mao ne fut qu’une « gigantesque imposture ». Une affaire connue aujourd’hui, mais très mal reçue par la gauche et même une partie de la droite occidentale à l’époque.

    Quand on sait que ladite révolution était clairement destinée à purger les « traîtres » et les « capitalistes » prétendument infiltrés dans le PCC et à implanter l’idéologie socialiste dans toutes les têtes, on ne peut que s’alarmer du rapprochement toujours plus concret et toujours plus élogieusement revendiqué que Xi Jinping opère entre sa gouvernance et celle d’un idéologue irresponsable et meurtrier comme Mao. Pas tant en nombre de morts – je le soulignais plus haut, la menace constante d’un contrôle social intensif permet d’écarter une telle extrémité – mais précisément, par accentuation du contrôle social et élimination systématique de toute dissidence jusqu’à obtenir un peuple et des élites sans volonté propre. Ça promet.

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      Xi Jinping : la Chine se réforme par la purge et la terreur

      Frédéric Mas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 27 October, 2022 - 03:20 · 4 minutes

    Avant même d’organiser le congrès du Parti communiste chinois, le président Xi Jinping a pris soin d’organiser une série de purges, officiellement au nom de la lutte anti-corruption. Officieusement, il s’agissait surtout d’asseoir son pouvoir sur le parti en éliminant les factions concurrentes. Loin de cacher son ambition, Xi Jinping a même pris soin de mettre en scène ce coup de balai politique : Hu Jintao, son prédécesseur, s’est ainsi fait dégager en plein congrès sous l’œil des caméras.

    Les médias d’État ont pris soin de signaler que l’ancien chef d’État a été pris d’un malaise, mais personne n’est dupe, surtout pas les Chinois eux-mêmes. Le signal est fort, destiné à tous : qui s’opposera au nouveau maître du pays et à sa nouvelle politique de retour au communisme orthodoxe doit craindre pour son existence même. Le procédé est connu depuis les « procès pédagogiques » de l’ère stalinienne. On désigne un bouc émissaire au peuple pour détourner l’attention des problèmes du moment.

    Pas d’alternance politique pour la Chine

    Cette purge spectaculaire au sommet du PCC nous rappelle un trait fondamental du modèle chinois : il n’y a pas d’alternance politique au sens des démocraties occidentales contemporaines, et la compétition pour le pouvoir se traduit par des luttes violentes entre factions qui se comportent en gangs criminels les unes envers les autres. C’est un trait fondamental des régimes totalitaires.

    La purge n’y est pas un élément accidentel et contingent, mais la condition de sa « bonne santé ». Comme l’explique Hannah Arendt dans Le système totalitaire (1951) :

    « [les] opérations de sabordage telles que la grande purge ne furent pas des épisodes isolés, ni des excès provoqués par des circonstances extraordinaires, mais [elles] constitu [ent] une institution de terreur et [doivent] reparaître à intervalles réguliers – à moins que ne change la nature du régime. »

    Au moment où Arendt finit son œuvre sur le totalitarisme, la Chine maoïste entame sa révolution culturelle. Tout en demeurant prudente sur un régime qu’elle connaît mal, elle écarte l’Asie de son étude. Il faudra attendre plus d’une décennie pour comprendre que le même ressort terroriste se déploie en Chine comme en Allemagne et en Russie avant elle.

    La purge fonctionne comme une manière de réformer de l’intérieur un système politique qui n’a pas les outils politiques pour évoluer et se corriger pacifiquement.

    La démocratie face à l’administration de la vérité

    En démocratie libérale, l’élection sanctionne politiquement des gouvernants responsables devant les citoyens, les tribunaux fonctionnent en toute indépendance des désirs de l’exécutif pour sanctionner les gouvernants coupables de violation de la loi. La régulation de la compétition politique se fait par le droit, pas par la force. Ce qui rend aux yeux de Hayek la forme démocratique appréciable est à la fois sa nature pacificatrice et la possibilité de son encadrement pour protéger les droits individuels.

    À l’inverse, les régimes totalitaires sont des idéocraties, ils affirment la primauté absolue du Politique et propose d’étendre son empire, verticalement, sur toute la société et cela pour imposer une idéologie qu’il s’agit de faire triompher par la terreur.

    On n’élit pas un gouvernement chargé d’administrer la Vérité au suffrage universel. On conteste encore moins ses décisions. La structure bureaucratique inhérente au totalitarisme comme régime est par essence pétrifiée, presque cléricale, et ne peut évoluer qu’au prix de la paranoïa permanente de son leader, cette soupape de sécurité insane mais bien réelle d’une organisation par essence viciée.

    En découvrant des complots permanents, des contre-révolutions, des koulaks à exterminer, des saboteurs de l’intérieur, des fonctionnaires corrompus et autres « têtes de chiens capitalistes », le système se régénère en éliminant physiquement les coalitions politiques perdantes et autres « ennemis objectifs » tout en fortifiant le leader charismatique.

    Comme Marcel Gauchet l’explique pour l’URSS :

    « Le complot est l’envers maléfique du pouvoir de lumière qui s’incarne en Staline ; il en définit par contraste la puissance bénéfique, puissance qui triomphe dans l’écrasement de l’ennemi absolu dont les ‘chiens enragés’ que l’on élimine ne sont que des instruments dérisoires. Le retranchement de ce corps étranger qui s’était introduit jusqu’au sommet de l’État confère sa portée tangible à l’union sans faille du peuple avec son guide 1 . »

    Xi Jinping triomphe, et le PCC a définitivement enterré l’ère d’ouverture au monde entamée dans les années 1990.

    Maintenant, place au bon vieux totalitarisme et à ses ressorts barbares.

    1. Marcel Gauchet, L’avènement de la démocratie , tome 3. À l’épreuve des totalitarismes 1914-1974, Gallimard, 2010.
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      Les Japonais s’opposent aux funérailles nationales de Shinzo Abe

      news.movim.eu / Mediapart · Friday, 23 September, 2022 - 11:36


    Une semaine après le Royaume-Uni, c’est au tour du Japon d’organiser des funérailles nationales: mardi 27 septembre, l’archipel rendra un dernier hommage à son ancien premier ministre, assassiné le 8 juillet. Mais l’heure n’est pas au recueillement: cette cérémonie suscite la polémique.
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      www.mediapart.fr /journal/international/230922/les-japonais-s-opposent-aux-funerailles-nationales-de-shinzo-abe

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      Le courage des Afghanes face aux talibans: «Manifester aujourd’hui est bien plus risqué qu’il y a un an»

      news.movim.eu / Mediapart · Tuesday, 16 August, 2022 - 11:13


    Un an après leur retour en Afghanistan, les talibans ont mis au pas et invisibilisé les femmes et, pour elles, manifester est de plus en plus risqué, comme on l’a vu ces derniers jours. Entretien sur ce sujet mais aussi sur la grave crise sociale et économique avec Hervé Nicolle, codirecteur du centre sur les migrations Samuel Hall, qui mène des enquêtes de terrain dans le pays.
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      www.mediapart.fr /journal/international/160822/le-courage-des-afghanes-face-aux-talibans-manifester-aujourd-hui-est-bien-plus-risque-qu-il-y-un