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      Comment le marxisme abuse de l’éthique et de la science pour tromper ses adeptes

      Mises Institute · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 3 January, 2023 - 04:00 · 7 minutes

    Par Antony P. Mueller.

    Dans son livre de 1922 sur le socialisme, Die Gemeinwirtschaft , Ludwig von Mises attribue l’attrait du socialisme à l’affirmation selon laquelle la doctrine de Marx serait à la fois éthique et scientifique. En vérité, cependant, le marxisme représente un dogme métaphysique qui promet un paradis terrestre mais menace la civilisation elle-même.

    La thèse de l’inéluctabilité du socialisme

    Le marxisme explique que les économies capitalistes immorales seront nécessairement remplacées par des systèmes socialistes répondant à des normes morales plus élevées. Le socialisme promet de supprimer l’ordre économique privé irrationnel et d’instaurer une économie rationnelle et planifiée. Les socialistes proclament que la production capitaliste hiérarchique fera place à un ordre coopératif sans subordination :

    Le socialisme apparaît comme un but vers lequel il faut tendre parce qu’il est moral et parce qu’il est raisonnable. Il s’agit de vaincre la résistance que l’ignorance et la mauvaise volonté opposent à son avènement.

    Cette combinaison perfide d’éthique et de science s’accompagne de l’affirmation que le socialisme est inévitable. Marx déclare que l’arrivée du communisme représente la fin de l’histoire et la récompense de toutes les luttes historiques. Les socialistes croient qu' »une puissance obscure, à laquelle nous ne pouvons échapper, conduit progressivement l’humanité vers des formes supérieures d’existence sociale et morale. L’histoire est un processus progressif de purification, au terme duquel se dresse le socialisme comme perfection. »

    Karl Marx a appelé son approche la « conception matérialiste de l’histoire ». Sa théorie affirme que le socialisme est le résultat inéluctable des forces naturelles.

    Le matérialisme historique de Marx comporte plusieurs éléments significatifs.

    Premièrement, il fait référence à une méthodologie spécifique de recherche historico-sociologique qui vise à déterminer la structure sociale globale des époques historiques.

    Ensuite, en tant que doctrine sociologique, le matérialisme historique inclut la thèse selon laquelle la lutte des classes est la force historique déterminante.

    Enfin, la perspective historique marxiste est une théorie du progrès qui englobe le but et l’objectif de la vie humaine.

    En affirmant l’inéluctabilité scientifique d’un système socialiste à venir, l’efficacité pratique du matérialisme historique se déploie. Si le socialisme est le résultat positif de la civilisation humaine, tous les critiques réels ou imaginaires du socialisme sont des réactionnaires. Par conséquent, la lutte contre les adversaires du socialisme est une lutte éthique. Les critiques du socialisme doivent être qualifiés de réactionnaires parce qu’ils bloquent le chemin du paradis. Aux yeux de Marx et de ses partisans, la lutte contre le socialisme est particulièrement mauvaise en raison de sa nature superflue. Le socialisme gagnera de toute façon ; par conséquent, toute opposition à la victoire finale ne ferait que prolonger la privation de la classe ouvrière sous le capitalisme et retarder l’avènement du paradis socialiste.

    Comme l’ explique Mises, peu d’affirmations ont favorisé la propagation des idées socialistes plus que la croyance en l’inévitabilité du socialisme. Même les adversaires du socialisme sont tombés sous le charme de cette doctrine. Ils se sentent souvent paralysés par l’inutilité perçue de la résistance. Les « instruits », en particulier, ont tendance à craindre d’être perçus comme vieux jeu lorsqu’ils ne défendent pas le progrès social et politique que le socialisme prétend représenter.

    Mises a observé cela en son temps et peu de choses ont changé depuis. L’opinion publique qualifie de plus en plus les libéraux classiques (ceux qui favorisent la propriété privée et la liberté individuelle) de réactionnaires et suppose que davantage de socialisme signifie davantage de progrès.

    L’attente du salut

    Bien que l’idée que certains développements historiques soient inévitables est clairement métaphysique, elle fascine les gens jusqu’à aujourd’hui.

    Rares sont ceux qui peuvent échapper au charme du chiliasme et de sa promesse religieuse de salut. Pourtant, coupée de ses racines religieuses, la promesse marxiste de paix et de prospérité sous le socialisme devient une incitation à la révolution politique. Avec ce tournant politique, Marx réinterprète l’attente eschatologique judéo-chrétienne du salut. En accord avec les rationalistes du XVIII e siècle et les matérialistes du XIX e siècle, le marxisme sécularise l’événement du salut comme une révolution sociopolitique globale. Dans le marxisme, la métaphysique philosophique et anthropocentrique du développement historique est essentiellement la même que la métaphysique religieuse. L’étrange mélange d’imagination extatiquement extravagante et de sobriété quotidienne, ainsi que le contenu grossièrement matérialiste de sa proclamation du salut, ont ceci de commun avec les plus anciennes prophéties messianiques.

    Tant que le socialisme sera perçu comme étant à la fois scientifique et métaphysique, sa prétention chiliastique au salut restera à l’abri de toute critique rationnelle. Par conséquent, il est inutile de traiter le marxisme de manière rationnelle ou scientifique. Les critiques du socialisme tentent en vain de lutter contre les croyances mystiques du socialisme : « On ne peut pas enseigner aux fanatiques », écrit Mises.

    Le socialisme comme utopie ratée

    La propagande politique marxiste concerne les croyances selon lesquelles le socialisme est plus productif, moralement supérieur et inévitable.

    En tant que tel, le marxisme va au-delà du chiliasme et justifie ses enseignements comme une « science ». Le marxisme s’oppose au libre-échange et à la propriété privée. Les socialistes prétendent que l’économie de marché est individualiste et donc antisociale. Or rien n’est plus faux. Le marxisme prétend faussement que le capitalisme atomise le corps social. Comme le souligne Mises, c’est le contraire qui est vrai car les marchés sont des phénomènes sociaux par nature :

    C’est seulement la division du travail qui crée des liens sociaux, c’est la chose sociale par excellence. Ceux qui défendent les économies nationales et étatiques cherchent à subvertir la société universelle. Quiconque cherche à détruire la division sociale du travail parmi le peuple par la lutte des classes est antisocial.

    Le marxisme prétend être une philosophie sociale mais il s’oppose à la compréhension de la nature coopérative du capitalisme libéral. Au contraire, le marxisme est antisocial.

    Mises nous avertit que « la disparition de la société libérale basée sur la division du travail en marché libre représenterait une catastrophe mondiale ne pouvant même pas être comparée de loin à quoi que ce soit dans l’histoire connue. Aucune nation n’en serait épargnée ». Malgré l’absurdité de réduire l’histoire à la lutte des classes, le marxisme a eu un impact énorme sur la politique qui se poursuit encore aujourd’hui.

    Mises a publié Die Gemeinwirtschaft il y a plus de cent ans et les échecs du socialisme sont encore plus évidents aujourd’hui. L’effondrement de l’Union soviétique a déjà montré que le communisme apporte le contraire de ce qu’il promet. Alors que les premiers socialistes croyaient que la productivité serait plus élevée dans une société sans classes que dans une société fondée sur la propriété privée, le leader révolutionnaire soviétique, Vladimir Lénine , a dû admettre peu après la création de la Russie soviétique que la dictature du prolétariat avait apporté une souffrance plus grande que celle jamais connue dans l’histoire et que la tâche à venir serait la juste répartition de la misère.

    Le socialisme n’a pas tenu ses promesses. Cette doctrine a été réfutée tant en pratique qu’en théorie. Si les socialistes avaient tenu compte des arguments de Mises, ils auraient également été épargnés par les conséquences de la collectivisation agricole. Avec ses millions de morts l’ Holodomor ou Grande Famine du début des années 1930 a été la conséquence de cette erreur socialiste. Ils croyaient pouvoir augmenter la productivité tout en abolissant les droits de propriété et en collectivisant l’agriculture. Ils se sont lourdement trompés.

    Malgré l’horrible héritage du socialisme, les mouvements anticapitalistes se manifestent encore et encore. Ainsi, prévient Mises, la division hautement productive du travail qui a connu sa plus grande réussite dans le capitalisme restera toujours en danger. Les tendances anticulturelles se développent au sein même de la société capitaliste. Il faut être conscient que toute civilisation risque de succomber à l’esprit de décomposition qui s’abat sur les sociétés où les mouvements socialistes réussissent.

    Traduction Contrepoints

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      Foster et Clark : le « pillage de la nature » comme ossature essentielle du capitalisme ?

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Tuesday, 29 November, 2022 - 19:47 · 21 minutes

    Dérèglement climatique, perturbation du cycle de l’eau, sixième extinction de masse, pollution de l’air, des sols et des rivières. Récemment, le dernier rapport du GIEC nous donnait trois ans pour inverser notre courbe d’émissions de dioxyde de carbone pour limiter le réchauffement climatique à un niveau acceptable d’ici la fin du siècle. De même, les niveaux de pollutions atteints dans l’ensemble des écosystèmes ainsi que la baisse rapide de la biodiversité obligent à agir rapidement. Pourtant, la régulation des rapports économiques avec l’environnement nécessite de dresser un constat clair des causes de sa dégradation généralisée. Où faut-il les chercher ? C’est à une analyse sans concession du système à l’origine de cette rupture avec la nature – le capitalisme – qu’il faut se livrer, répondent les chercheurs éco-marxistes John Bellamy Foster et Brett Clark dans leur dernier livre, Le pillage de la nature , dont la traduction française vient de sortir en avril aux Editions critiques.

    Dans cet essai, ils se livrent à une analyse fine du lien entre le mode de production et de valorisation capitaliste et la destruction généralisée de la nature. Ils proposent une minutieuse enquête à partir des œuvres de Marx et Engels pour construire une matrice globale d’analyse de la crise écologique et sociale. L’objectif affiché est de proposer une synthèse plus générale de la pensée de Marx en intégrant les prémisses de la pensée écologique présentes dans son œuvre. L’utilisation des outils d’analyse issus du marxisme est intéressante à plusieurs titres. La matrice idéologique marxiste, et sa doctrine matérialiste, permet de penser l’interaction entre un mode de production, et donc notre rapport à notre environnement, et des rapports sociaux qui émergent de ce mode de production. Ce mode de production repose et est adossé à des conditions de reproduction d’ordre écologique et social, qui permettent de perpétuer le processus d’accumulation.

    Exploitation du travail humain et expropriation de ses conditions de reproduction

    Pour commencer, plonger avec Marx dans sa description de l’accumulation du capital s’impose. Chez Marx, le capitaliste investit son capital dans l’espoir d’en obtenir plus. La création de valeur supplémentaire, la survaleur (ou encore plus-value), se fait grâce aux travailleurs – seuls capables, par leur force de travail, de créer de la valeur et de transformer le capital (moyens de production et ressources apportées par le capitaliste). De là la célèbre formule marxienne d’accumulation du capital : A-M-A’ (Argent → Marchandise → Argent + plus-value), où la marchandise représente l’ensemble des moyens de production capitalistes – capitaux et travail humain. Chez Marx, le capital est avant tout un rapport social, caractérisé par la séparation des travailleurs d’avec les moyens de production (la propriété) et d’avec les produits de la production, le tout dans une visée lucrative de la propriété. C’est donc un rapport de subordination. Le capital, ce « processus circulatoire de valorisation », n’existe qu’en « suçant constamment, tel un vampire, le travail vivant pour s’en faire une âme ».

    « Marx a toutefois une conscience aigüe que le mode de production capitaliste repose sur des conditions écologiques et sociales extérieures à sa sphère de valorisation. »

    Pour Foster et Clark, Marx a toutefois une conscience aigüe que le mode de production capitaliste repose sur des conditions écologiques et sociales extérieures à sa sphère de valorisation. Pour que le cycle d’accumulation se perpétue indéfiniment, le système s’appuie sur des forces gratuites comme la nature ou le travail domestique, qui ne sont pas valorisées mais sont pourtant indispensables pour alimenter la machine A-M-A’. Tandis que dans son cycle de valorisation, le système du capital exploite le travailleur et la travailleuse, ce cycle nécessite aussi l’expropriation, le « pillage », de la nature. Les auteurs postulent l’existence d’une contradiction fondamentale entre la logique d’accumulation du capital et la préservation de ses conditions de reproduction écologiques et sociales. Foster et Clark distinguent dans le système capitaliste deux dynamiques complémentaires : une dynamique interne (à son circuit de valeur) qui le propulse reposant sur un rapport d’exploitation, et une dynamique externe reposant sur des conditions objectives qui « lui échappent et lui fixent ses limites », gouvernée par un rapport d’expropriation sans échange supposé équivalent. Cette expropriation se déroule en dehors du processus de production et de valorisation du capital. L’expropriation de la nature correspond à la « séparation entre les conditions inorganiques de l’existence humaine et son existence active » (le système économique, la sphère du travail), séparation qui est le fruit du développement du travail salarié et du capital.

    Ainsi Marx distingue d’une part « l’exploitation de la force de travail dans l’industrie capitaliste moderne », différente de « l’expropriation au sens historique plus général de pillage ou vol en dehors du processus de production et de valorisation ».

    Les auteurs avancent alors que le capitalisme sape ses propres fondations. Cette hypothèse s’appuie notamment sur les travaux précurseurs portant sur la « seconde contradiction du capitalisme » du penseur éco-marxiste James O’Connor (1992). Celui-ci détaillait déjà en 1992 comment « la logique du profit conduit le capital à refuser d’assumer les coûts de reproduction des ” conditions de production ” : force de travail, infrastructures, aménagement et planification, environnement. » Pour revenir à Marx, « le capital épuise les deux seules sources de toute richesse : la Terre et le travailleur ».

    En cela, les auteurs rejoignent aussi l’analyse formulée par Andreas Malm dans L’anthropocène contre l’histoire . Malm explique que si le travail est « l’âme du capitalisme », la nature et les ressources qu’elle fournit en sont son corps. Sans la nature, les énergies et les ressources nécessaires à la mise en valeur du capital, le processus d’accumulation fondamental du capitalisme ne serait pas possible. Les énergies fossiles, qui permettent de démultiplier dans des proportions considérables la production d’un travailleur, sont l’adjuvant parfait et le corollaire nécessaire au processus de mise en valeur du capital par le travail humain. Le charbon et l’huile, plus tard le pétrole et le gaz, sont les auxiliaires de la production capitaliste. Ils sont, dit Malm, le « levier général de production de survaleur ». Ils sont les matériaux indispensables à la création de valeur capitaliste. En reprenant la terminologie de Foster et Clark, leur expropriation est une des conditions de reproduction indispensable du mode de production capitaliste.

    Mais quelle est donc le mécanisme fondamental conduisant à une exploitation intensive systématisée des ressources naturelles ? Les chercheurs avancent que « les contradictions à la fois économiques et écologiques du capitalisme trouvent leur source dans les contradictions entre le processus de valorisation et les bases matérielles de l’existence indispensables à la production marchande capitaliste. ». Cette affirmation repose sur une analyse renouvelée de la théorie de la valeur marxiste. Il existe en réalité deux contradictions inhérentes à la machine capitaliste. La première, abordée ensuite, qui opère dans la sphère de la marchandise, intrinsèquement liée au processus de valorisation capitaliste, et la seconde, qui opère dans la sphère de la production, où les ressources naturelles sont surexploitées pour maximiser la productivité des agents.

    Ainsi, la dissymétrie entre la logique du capital et l’environnement est issue du processus-même de valorisation du capital. Du point de vue théorique, le constat semble alors limpide. Alors que les conditions écologiques sont indispensables au déroulement de l’accumulation capitalistique, celles-ci ne sont pas prises en compte dans la sphère de valorisation du capital, au même titre que les autres conditions de reproduction à l’image du travail domestique principalement féminin.

    Le paradoxe de Lauderdale

    Au début du XIXème siècle, le comte de Lauderdale énonçait le paradoxe qui porte son nom qui stipule qu’il existe une corrélation négative entre la richesse publique et les fortunes privées. D’une part la richesse publique repose sur des valeurs d’utilité liées par exemple à l’abondance de l’air, de l’eau ou de jolies forêts, tandis que d’autre part, tout au contraire, les fortunes privées sont constituées à partir de valeurs d’échange, valeurs reposant sur le principe de la rareté. Lauderdale soulignait déjà ici la dialectique centrale de la théorie marxiste entre valeur d’usage et valeur d’échange. La logique du capital conduit alors à confondre valeur et richesse, dans un système fondé sur l’accumulation de valeurs d’échange, aux dépens de la richesse réelle. Le capitalisme se nourrit de la rareté et poursuit ensuite une logique de « marchandisation sélective » d’éléments de la nature. Les auteurs résument cela ainsi : « C’est l’opposition entre la forme valeur et la forme naturelle, inhérente à la production capitaliste, qui génère les contradictions économiques et écologiques associées au développement capitaliste. ». Ils rappellent ensuite que la valeur d’échange « est un rapport social spécifique à la société capitaliste, enraciné dans la classe et la division du travail ».

    Certains travaux récents proposent donc de repenser le système de comptabilité actuel en prenant en compte le prix de la nature, le coût des externalités ou en introduisant des notions comme celle de « capital naturel ». Ce sont des travaux de ce type qui sont par exemple entrepris à la chaire de comptabilité écologique à l’Université Paris-Dauphine. Foster et Clark nous mettent toutefois en garde contre cette approche. Même s’ils permettent de mettre en évidence le caractère absurde du système actuel, ils rappellent que celui-ci reflète précisément les réalités capitalistes de la sous-valorisation des agents naturels. La notion de « capital naturel », quant-à-elle, constitue une « internalisation de la nature au sein de l’économie marchande ».

    De là naît un double-enjeu pour un potentiel modèle socialiste de remplacement de la logique capitaliste. Comment créer un système qui est d’une part conscient de ces éléments indispensables au fonctionnement de notre système économique que sont le travail domestique ou bien les services rendus par la nature, mais d’autre part qui protège ces sphères de la logique de marchandisation et de valorisation ?

    La rupture métabolique et l’exemple de l’Irlande au XIXème siècle

    Les contradictions entre mode de production capitaliste et environnement s’expriment de manière concrète par ce que Marx appelle la rupture métabolique et qui constitue le concept central de l’œuvre de Marx écologiste.

    La rupture métabolique repose sur le constat qu’il existe une « séparation entre les conditions inorganiques de l’existence humaine (i.e. les services de la nature) et l’activité humaine, séparation qui n’a été posée comme séparation totale que dans le rapport du travail salarié et du capital » (Marx, Manuscrits dits Grundrisse). Plus précisément, Marx observe qu’il existe dans les rapports entre capitalisme et nature un décalage entre les rythmes de régénération des conditions naturelles de reproduction du capitalisme et la vitesse à laquelle celui-ci dégrade ces conditions naturelles pour satisfaire ses pulsions d’accumulation. Le capitalisme perturbe le métabolisme entre l’Homme et la Terre et engendre une disjonction entre systèmes sociaux et cycles de la nature.

    « Marx observe qu’il existe dans les rapports entre capitalisme et nature un décalage entre les rythmes de régénération des conditions naturelles de reproduction du capitalisme et la vitesse à laquelle celui dégrade ces conditions naturelles pour satisfaire ses pulsions d’accumulation.»

    Cette analyse découle des travaux du chimiste allemand Justus von Liebig (1803-1873), dont Marx a attentivement lu les travaux. Von Liebig s’est employé à analyser l’impact de l’agriculture capitaliste sur les sols et met en évidence une rupture des cycles des nutriments au sein des terres. Plus précisément, la séparation entre les lieux de production agricoles (les campagnes) et les lieux de consommation (les villes) entraîne un déplacement des nutriments des champs vers les flux de déchets issus de la ville (effluents, ordures) qui ne retournent plus aux champs. Marx et Engels ont alors proposé une description fine des conditions et des rapports sociaux à l’origine de cette rupture métabolique dans le cas de l’Irlande du XIXème siècle (chapitre II).

    Marx distingue dans l’organisation de la société agraire irlandaise deux phases, celle dite des « baux usuraires » (1801-1846) et celle « d’extermination » (1846-1866). Au XIXème siècle, l’Irlande est colonisée par les Anglais depuis au moins 1541, et c’est une classe propriétaire terrienne anglo-irlandaise qui possède la terre. Les propriétaires ne sont pas présents sur place et louent à de petits paysans et métayers irlandais des lopins de terre dans un système dit des « baux usuraires ». Les loyers à payer aux propriétaires sont particulièrement hauts et augmentent régulièrement. Toute amélioration technique (irrigation ou drainage) fait l’objet d’un loyer supplémentaire. La production agricole est orientée selon une rotation triple sur une même année : tout d’abord du blé puis de l’avoine, voués à l’exportation vers l’Angleterre, qui suffisent à peine à payer les loyers et dont l’argent des revenus n’est pas réinvesti mais envoyé vers l’Angleterre par les propriétaires terriens. Puis une rotation de pommes de terre pour assurer la survie des familles. La pression financière entraîne l’impossibilité d’organiser des jachères ou de planter du trèfle notamment pour laisser reposer et réenrichir le sol en nutriments (fixation d’azote, etc.). Ces cultures, très intensives en nutriments, obligent les paysans pauvres à déployer une grande ingéniosité pour assurer le renouvellement des nutriments : recours aux algues, aux excréments d’animaux, au sable, avec des techniques agricoles d’enfumage et d’épandage demandant un investissement humain considérable. Cette action permet de limiter la fuite des nutriments et la rupture métabolique qui va avec.

    Figure 1 – Champs en Irlande

    En 1845 survient en Irlande une maladie, le mildiou de la pomme de terre, qui va gravement pénaliser les rendements de pomme de terre. Aux famines s’ensuivent les exils massifs vers l’Amérique de 1846 à 1866. Au total, ce sont 1 millions d’habitants que perd le sol irlandais, et la disparition de près de 120 000 fermes. La main d’œuvre manquant fortement, l’enfumage des terres et l’entretien du cycle de nutriments ne peuvent plus être pratiqués, entraînant une baisse rapide des productions céréalières de l’Irlande. La loi du remplacement des nutriments de Liebig est violée. De 1855 à 1866, Marx indique que « 1 032 694 Irlandais ont été remplacés par 996 877 têtes de bétails ». L’organisation agraire capitaliste a contribué à stériliser l’Irlande en un demi-siècle pour la transformer en terre à vache peu productive.

    Cette rupture dans le cycle des nutriments prend une dimension mondiale au cours du XIXème siècle pour les Anglais. Afin d’enrichir les sols anglais appauvris par l’agriculture capitaliste et pour augmenter les rendements, les Anglais vont littéralement piller des engrais naturels aux quatre coins du globe. Des quantités considérables de guano et de nitrates sont importées, notamment du Chili, jusqu’à épuiser les réserves des pays pillés. Celles-ci servent à soutenir la production agricole de l’hémisphère Nord. Plus extrême encore, les champs de bataille et les catacombes de l’Europe entière sont vandalisés pour en broyer les os et les répandre sur les champs britanniques, afin de répondre à la rupture du cycle des nutriments, dans une forme d’échange écologique inégal.

    Cette analyse est une illustration des liens que peuvent entretenir rapports sociaux de production et maintien de la fertilité du sol dans le cadre du secteur agricole. Marx explique notamment que « la fertilité n’est pas une qualité aussi naturelle qu’on pourrait le croire : elle se rattache intimement aux rapports sociaux actuels ». Cette analyse peut sembler convaincante dans le cas de la destruction de la terre par le capitalisme. Elle peut par exemple faire penser à la stagnation connue par les rendements agricoles du sol français depuis 1990, alors même que l’utilisation d’engrais et de produits phytosanitaires ne cesse d’augmenter. Cette logique de « rupture métabolique » s’observe-t-elle dans nos interactions avec d’autres écosystèmes naturels ? Une telle enquête pourrait être d’une grande pertinence, pour s’intéresser par exemple à l’impact des rapports sociaux de production issus du capitalisme sur l’exploitation des forêts, sur la pêche ou encore en matière énergétique.

    Une exploitation du travail domestique qui suit une même logique

    A partir du même prisme analytique, Foster et Clark tentent dans cet ouvrage de réhabiliter la capacité de la pensée de Marx à théoriser d’autres types de domination s’exerçant sur les femmes, les colonisés [1], les « races inférieures » ou encore les animaux. Ils montrent en particulier l’intersection et la similarité des mécanismes qui existent de manière régulière entre l’expropriation et l’exploitation de la nature d’une part et l’exploitation du travail domestique. Ainsi, au chapitre 3 intitulé « les femmes, la nature et le capital », les auteurs montrent comment la domination de la femme et la non-reconnaissance du travail de reproduction domestique (entendons l’entretien du foyer et le soin des enfants notamment) relèvent d’une logique similaire à l’expropriation de la nature. Marx explique que « la logique interne du capital (…) fait peu de cas de tous les autres rapports naturels et sociaux et des conditions de production héritées, qui restent extérieures à son propre mode de production ». Le travail domestique, principalement accompli par les femmes, est, comme pour la nature, le symbole d’une « externalisation de ses coûts (du capitalisme) sur des domaines situés en dehors de son circuit de valeur interne ». Alors que le travail domestique est une des conditions de reproduction indispensable au mode de production capitaliste (au même titre que les conditions naturelles), celui-ci est exproprié et considéré là encore comme une « force gratuite de la nature ». La logique du capital exproprie le travail de reproduction sociale dans le foyer. En cela, les auteurs se rapprochent beaucoup des analyses faites par les tenants du courant féministe marxistes de la théorie de la reproduction sociale et en premier lieu de Tithi Bhattacharya.

    Pour ce qui concerne l’expropriation du travail de reproduction domestique, les auteurs distinguent deux phases. Une première phase, analysée par Marx et Engels, est celle du 19ème siècle, au cours de laquelle, dans les villes industrielles anglaises, le travail capitaliste détruit profondément ce travail de reproduction pourtant indispensable. Les femmes ouvrières, enchaînées plus de 12h par jour, n’ont, dans l’Angleterre du 19ème, même plus le temps de s’occuper de leurs enfants. Ceux-ci sont confiés à des nourrices, allaités avec des mixtures très peu adaptées. Les taux de mortalité infantile atteignent des niveaux considérables. En somme, un tableau digne des romans de Charles Dickens. La malnutrition et la famine fait tomber à des taux extrêmement bas le nombre de survivants à l’âge adulte. En détruisant et en réduisant plus qu’au strict minimum le travail au foyer, le système capitaliste détruit la santé des travailleurs (et même leur fitness pour reprendre la terminologie spencérienne ou darwiniste sociale) et leur capacité à se reproduire, générant un réel enjeu anthropologique. Les auteurs montrent alors, en s’appuyant sur les travaux de la philosophe Nancy Fraser ou de Maria Mies, comment la société anglaise a paré à ce défi en développant la « femme-au-foyerisation » en faisant reposer ensuite le rôle de soutien de famille uniquement sur les hommes. Un nouveau rôle serait alors dévolu aux femmes, hors de la sphère de valorisation capitaliste, consistant à assurer le travail de reproduction au domicile, avec une nouvelle forme d’expropriation des services rendus par cette sphère.

    Figure 2 – La Spinning Jenny, la machine à filer qui va révolutionner l’industrie du textile britannique et contribuer à exploiter un prolétariat majoritairement féminin et (très) jeune

    Cette analyse du travail domestique reste toutefois à prendre avec des pincettes, dans la mesure où cette dimension est très longtemps restée un impensé de l’analyse de Marx pour la majorité des spécialistes. De surcroît, les progrès scientifiques et médicaux ont profondément transformé le travail de reproduction au foyer au cours des 150 dernières années. En effet, la baisse forte des taux de mortalité infantile ainsi que les évolutions dans l’organisation de la société (déploiement des crèches, médecine infantile) ont permis de nouveau un retour des femmes dans la sphère productive, en retournant au travail. En cela, cette nouvelle dynamique réenclenche un développement des forces productives accru en lien avec la logique d’accumulation du capital.

    Cet essai décrit aussi avec précision l’interaction entre exploitation de la nature et des formes d’oppression raciales. Ils décrivent notamment l’exemple de l’exploitation du guano au Pérou. Cet amas d’excréments d’oiseaux marins, indispensable à la fertilisation des champs britanniques, est exploitée localement par des « coolies », des travailleurs chinois émigrés, traités comme des esclaves et obligés de ramasser le guano dans des conditions épouvantables. Plusieurs autres exemples et analyse viennent émailler les différents chapitres d’illustration du lien entre domination coloniale et dégradation de la nature.

    Capitalisme : un rapport aux frontières dévastateur

    Enfin, l’analyse des auteurs est assez éclairante en ce qui concerne le rapport du système du capital aux limites et aux frontières qu’il rencontre. Selon eux, le capital se distingue par sa « tentative nécessaire et persistante de transcender ou de réajuster ses limites eu égard à ses conditions externes de production, afin de renforcer le processus d’accumulation ». Ainsi, lorsque le capitalisme se heurte à des frontières, à des limites à son expansion, il met en œuvre toute une série de mécanismes et de déplacements pour continuer cette expansion : utilisation de nouvelles ressources, de nouvelles réserves minérales, en changeant le lieu de production ou en développant de nouvelles technologies. Ces déplacements permanents créent de nouvelles frontières d’exploitation et de nouveaux lieux ou mécanismes de domination, de destruction, afin de perpétuer le processus d’accumulation.

    Le capital est guidé par une volonté d’amasser de plus en plus de richesses, « exigeant un débit de plus en plus fort d’énergies et de ressources, (…), générant plus de déchets, (et qui) constitue la loi générale absolue de la dégradation sous le capitalisme ».

    Pillage de la nature : un système socialement et historiquement situé et donc dépassable ?

    Que retenir de cet essai ? Foster et Clark proposent une analyse globalement très convaincante de l’interaction entre logique capitaliste et destruction de la nature. Ils montrent avec précision comment le mode de production capitaliste repose sur des conditions de reproduction sociale et écologique extérieures à sa sphère de valorisation. Le capitalisme reposerait alors sur une externalisation de ses coûts hors de sa sphère productive, coûts qu’il n’assumeraient pas. De là naîtrait alors une contradiction inévitable de la logique du capital, incapable de valoriser ce qui est indispensable à sa reproduction. Cette contradiction est aussi le fruit du conflit entre valeur d’usage et valeur d’échange.

    Le message que tentent de faire passer les auteurs est clair : nous ne pourrons traiter la crise écologique et climatique sans étudier puis transformer les rapports sociaux de production responsables de cette destruction. Pour cela, les auteurs proposent une voie socialiste ayant pour objectif de « sortir de la forme valeur du capitalisme pour permettre le développement d’un monde riche en besoins, tout en régulant le métabolisme entre humanité et nature ». Une sorte de « gouvernance par les besoins » capable de remettre en cause la pratique capitaliste de la valeur d’échange. Crise sociale et crise écologique sont les reflets d’une même image, d’un même système : « la source commune de ces deux crises se trouve dans le processus d’accumulation du capital ». Ou encore « fin du monde, fin du mois, même combat ».

    L’essai livre pourtant une leçon qui permet de nourrir un certain optimisme. La dévastation écologique est le fruit d’un système d’organisation socialement et historiquement situé, celui de la forme capitaliste de l’organisation des modes de production. Loin d’être la conséquence d’une certaine « nature humaine originelle », le rapport dévastateur à l’environnement serait lié au système capitaliste. Pour sortir par le haut de la crise écologique, un dépassement du système d’accumulation du capital s’impose…

    Note :

    [1] Il existe chez les marxistes une controverse quant à la spécificité ou non des rapports entretenus par le capitalisme dans les pays colonisés entre notamment les tenants de « l’accumulation par dépossession » (Harvey) et ceux qui estiment que cette distinction est peu opérante et que le développement rapide du salariat dans les pays colonisés a conduit aux mêmes caractéristiques d’exploitation au Nord qu’au Sud (Wallerstein).

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      La liberté des marchés contre le capitalisme

      Frédéric Mas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 27 November, 2022 - 04:30 · 4 minutes

    On associe régulièrement le libertarianisme , l’aile la plus radicale de la philosophie libérale, aux idéologies de droite ou encore au mouvement conservateur américain. Historiquement et politiquement, l’association n’est pas dépourvue de fondements. Comme l’a très bien rappelé Sébastien Caré dans son essai de 2010 intitulé Les libertariens aux États-Unis : Sociologie d’un mouvement asocial , si le mouvement libertarien aux États-Unis s’est construit en s’autonomisant du conservatisme moderne à partir de la fin des années 1960, il s’enracine dans l’idéologie individualiste de la « vieille droite » d’avant-guerre.

    Seulement, la radicalité critique du libertarianisme qui se traduit institutionnellement par la défense de l’anarchie de marché, c’est-à-dire la reconnaissance de la coopération volontaire entre individus comme seul fondement de l’ordre social, a débouché sur la naissance d’un courant certes minoritaire mais intellectuellement très actif, le libertarianisme de gauche.

    Comme son frère ennemi « de droite », il défend les droits de propriété de l’individu tout comme les échanges volontaires au bénéfice mutuel de ses participants mais contrairement à lui il concentre sa critique contre le capitalisme, non pas au nom du marché libre, mais du marché « libéré ».

    C’est d’ailleurs parce qu’il est anticapitaliste qu’il ne reprend pas à son compte l’étiquette « anarcho-capitaliste » populaire parmi beaucoup de tenants de l’anarchie de marché ou de la « société de droit privé ».

    Trois définitions du capitalisme

    Pour Gary Chartier , l’un de ses principaux théoriciens contemporains, il est possible de distinguer trois définitions du capitalisme :

    1. Un système économique qui se caractérise par des droits de propriété personnels et les échanges volontaires des biens et des services.
    2. Un système économique caractérisé par la relation symbiotique entre les États et les grandes entreprises.
    3. La domination des lieux de travail, de la société et de l’État par les capitalistes, c’est-à-dire par un nombre relativement peu élevé de personnes qui contrôlent la richesse mobilisable et les moyens de production.

    Si les partisans du marché libre ne sont pas opposés au capitalisme au sens 1, ils sont critiques des capitalismes au sens 2 et 3.

    De la confusion entre les trois définitions découlent une confusion parmi beaucoup de libertariens qui ne voient pas à quel point, toujours selon Chartier, le capitalisme implique une interférence directe avec la liberté de marché :

    « Dans le cadre du capitalisme [au sens 2], les politiciens interfèrent avec les droits de propriété et les échanges volontaires de biens et de services pour s’enrichir et enrichir leurs électeurs et les grandes entreprises influencent les politiciens afin de favoriser l’interférence avec les droits de propriété personnelle et les échanges volontaires pour s’enrichir et enrichir leurs alliés 1 ».

    Pour les libertariens de gauche, s’opposer au capitalisme au nom des marchés libérés signifie rappeler le caractère indésirable du capitalisme. Les libéraux critiquent régulièrement le corporatisme ou le capitalisme d’État pour parler de ce qui ne va pas dans le capitalisme réellement existant, mais pour Chartier, ils ne saisissent pas pleinement le problème posé par le système dans son entier. Dans ces critiques est souvent minoré le rôle joué par les grandes entreprises au sein de la symbiose qu’elles entretiennent avec les États.

    L’anticapitalisme de la gauche libertarienne cherche également à se différencier des enthousiastes « vulgaires » du marché, qui confondent défense du marché et défense du capitalisme.

    Plus libertaires que conservateurs

    Plus profondément encore, l’anarchisme de marché défendu par la gauche libertarienne se réclame de Benjamin Tucker , anarchiste individualiste et membre de la première internationale socialiste, ce qui achève de les désaffilier des courants conservateurs et de centre-droit.

    Cette volonté affichée de rupture et de désaffiliation ne va pas d’ailleurs parfois sans excès. Il arrive régulièrement que par anticapitalisme les tenants du libertarianisme de gauche reprennent les théories contemporaines de l’ultragauche liant anticapitaliste, luttes intersectionnelles (féminisme, critique du patriarcat, etc.) et ouvriérisme.

    Contentons-nous ici de rappeler à quel point la nouvelle gauche identitaire qui prospère sur les campus aux États-Unis comme en Europe, par leur anti-universalisme et leur antirationalisme, ne fait que réhabiliter le discours réactionnaire le plus primitif pour détourner le capitalisme – woke cette fois-ci – tant honni en faveur de ses propres clientèles et de son propre personnel bureaucratique 2 .

    Matt Zwolinski remarque également que si les libertariens plus traditionnels ont beaucoup à apprendre de leurs camarades anarchistes « de gauche », en particulier sur le caractère révolutionnaire de leur théorie, tout comme sur les dangers de l’immobilisme, ils peuvent à leur tour modérer leur radicalisme égalitaire parfois exagéré. Nous retrouvons ici une ligne de démarcation bien connue entre deux conceptions de la justice, l’une visant à s’insurger contre les inégalités, l’autre visant à les rendre moins insupportables en enrichissant les plus démunis.

    1. Gary Chartier et Charles W. Johnson, Markets not Capitalism. Individualist anarchism against bosses, inequality, corporate power, and structural poverty . New York, Autonomedias, 2011.
    2. Stéphanie Roza, La gauche contre les Lumières ? Paris, Fayard, 2020.
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      Quand on cherche « Le capitalisme combat le racisme » sur Google

      Foundation for Economic Education · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 27 November, 2022 - 03:40 · 7 minutes

    Par Connor Vasile.

    Si vous cherchez « le capitalisme combat le racisme » dans Google, les premiers résultats de recherche seront des articles comme : « Le capitalisme est-il raciste ? » ;  « Le capitalisme sans racisme : Science ou fiction » ; « L’essor du capitalisme et l’émergence du racisme ».

    À la lecture de ces titres, on pourrait croire que le modèle économique le plus triomphant que le monde ait jamais connu est enraciné dans un environnement raciste et hégémonique destiné à profiter aux seigneurs de la société. C’est une bonne chose d’avoir Google pour nous ouvrir les yeux sur ce système inhumain.

    Au-delà de la facétie, la société occidentale (post)moderne considère le capitalisme comme l’éléphant le plus laid de la pièce ; elle ne veut pas admettre qu’il s’agit d’un rouage essentiel au fonctionnement de la civilisation et préfère contempler des chimères comme le socialisme à travers des lunettes fortement teintées de rose.

    Nous sommes incités à croire que le marché libre est responsable d’une grande partie de l’injustice, du racisme et de l’inégalité observés dans le monde moderne. Mais est-ce vrai ?

    Les bienfaits du capitalisme

    Le fait est que le capitalisme en tant que système a toujours été une force du bien, y compris dans l’histoire tumultueuse des États-Unis. Même pendant les périodes de la reconstruction et de Jim Crow au cours desquelles les communautés noires ont été victimes de violations flagrantes des droits civiques, le capitalisme a été la force salvatrice qui a aidé les gens à surmonter leur situation, l’adversité à laquelle ils étaient confrontés au sein d’une culture encore sous le choc des effets de la guerre civile.

    Comme Milton Friedman l’a déclaré dans son livre Capitalisme et liberté :

    C’est un fait historique frappant que le développement du capitalisme s’est accompagné d’une réduction majeure des discriminations économiques infligées à des groupes religieux, raciaux ou sociaux particuliers.

    Avec la puissance des médias, des réseaux sociaux et du gouvernement qui travaillent à saper l’idée que le capitalisme est une force promouvant la liberté individuelle, il est important de revisiter quelques histoires sur la façon dont le marché libre a sorti les individus de la pauvreté et a combattu le racisme.

    Le père d’Harlem

    Philip A. Payton (1876-1917) était un promoteur immobilier noir du XX e siècle originaire de Harlem à New York. À l’époque, la ségrégation de fait était encore une réalité dans les villes américaines. Manhattan ne fait pas exception. En acquérant des maisons en grès brun après le départ d’un certain nombre de familles blanches, Payton a contribué à fournir davantage de logements aux locataires noirs de l’Upper West Side. Compte tenu des tensions raciales de l’époque, on peut dire que les propriétaires n’étaient pas très contents.

    La Hudson Realty Company visait à de nouveau procéder à une ségrégation dans le quartier en rachetant les logements appartenant à des Noirs et en expulsant les locataires. Payton renvoie l’ascenseur en proposant aux locataires noirs précédemment expulsés des logements appartenant à des Blancs. Payton l’ emporte finalement et la Hudson Reality renonce à son objectif d’une nouvelle ségrégation. Des tentatives ultérieures ont été menées par des sociétés immobilières qui utilisaient des critères raciaux pour empêcher les familles noires d’accéder à une location, mais elles ont également été battues à plate couture par Payton et d’autres entrepreneurs noirs qui s’inspiraient de son exemple.

    L ‘Afro-American Realty Company de Payton a atteint un million de dollars d’actifs et a aidé de nombreuses familles noires à s’installer dans les quartiers où elles voulaient vivre et pas seulement là où la ville les reléguait. Il a utilisé le marché libre et la demande de meilleurs logements pour rendre service à sa communauté. Il l’a emporté malgré les obstacles raciaux, car en fin de compte il a compris que la discrimination n’est pas de taille face à la volonté du peuple.

    Comme il l’a énoncé un jour :

    « Le préjugé qui jusqu’ici a joué contre nous peut être retourné et utilisé à notre profit. »

    La reine de la cosmétique

    Sarah Breedlove est née en Louisiane, quatre ans seulement après la signature de la proclamation d’émancipation par le président Abraham Lincoln. Orpheline à l’âge de sept ans et contrainte à la servitude domestique pour survivre, elle développe très tôt une vision pessimiste de sa vie. Elle se rappellera plus tard qu’étant orpheline de père et de mère elle n’avait que peu ou pas d’opportunités quand elle a débuté.

    Malgré cela, Breedlove a continué à travailler dur et a fini par développer sa propre ligne de soins capillaires. Le marché afro-américain étant largement négligé à l’époque, Breedlove a saisi l’occasion pour répondre aux besoins d’une population en croissance et a commencé à vendre ses propres produits capillaires.

    C’est après avoir épousé Charles Walker en 1906 qu’elle se fait connaître sous le nom de madame C.J. Walker. Comme le pétrole fraîchement exploité, son entreprise se développe rapidement, trouvant un écho dans les communautés noires du pays. La petite entreprise s’est développée avec une usine, une école de beauté et un salon de coiffure. C.J. Walker était connue pour embaucher des femmes à des postes de direction et de personnel, ce qui était inconcevable à l’époque. À l’apogée de l’entreprise, on note que plusieurs milliers de femmes étaient employées comme vendeuses et d’innombrables autres formées aux soins capillaires.

    L’entreprise de madame Walker vaudrait aujourd’hui environ 10 millions de dollars . Elle est la première femme millionnaire autodidacte recensée dans l’histoire américaine. C’est en soi un exploit incroyable, mais il est encore plus étonnant si l’on tient compte du fait qu’elle a vécu à une époque où les Noirs étaient encore considérés comme des citoyens de seconde zone. Mme Walker s’est servie de l’adversité qu’elle a connue pour bâtir une entreprise en partant littéralement de zéro. Sans la culture sous-jacente de l’esprit d’entreprise et du système de marché libre, qui sait si son entreprise aurait même été créée ?

    La vente par correspondance a combattu Jim Crow

    La marche vers la liberté ayant abouti à la loi sur les droits civils de 1964 évoque des images de marches, de sit-in et le célèbre discours de Martin Luther King sur le National Mall.

    Un aspect moins connu est l’essor des marchés alternatifs qui ont contribué à repousser les politiques économiques racistes qui cherchaient en fin de compte à limiter et non à promouvoir les marchés. Sous le régime Jim Crow, les communautés noires étaient limitées dans leurs options d’achats. La fréquentation de certains magasins, restaurants et lieux publics leur était interdite. Si elles parvenaient à accéder à un magasin appartenant à des Blancs, elles étaient confrontées à des remarques racistes, des tons condescendants et même des prix exhorbitants.

    Sears a révolutionné l’acte d’achat grâce aux catalogues qui ont permis aux consommateurs de commander par courrier à partir de leur domicile. Cela a donné à l’entreprise un avantage énorme en élargissant son marché, en servant des milliers de clients par rapport à un magasin traditionnel. Considérée comme allant de soi aujourd’hui, l’idée de commander et de recevoir un produit sans quitter son domicile était une invention inédite – et potentiellement salvatrice – pour les ménages du XX e siècle.

    Cette innovation a permis aux Noirs du Sud de commander des articles indisponibles dans leurs magasins ségrégués. Avec la vente par correspondance, les clients noirs n’avaient pas non plus à subir le racisme et l’inhumanité dont ils étaient victimes lors de certaines sorties publiques ; ils pouvaient commander ce qu’ils voulaient quand ils le voulaient, tout comme le Blanc moyen de l’époque. L’innovation capitaliste n’a pas seulement profité aux entreprises concernées, elle a également servi à apporter de la valeur à diverses communautés ; dans ce cas, elle a servi d’échappatoire à tant de consommateurs noirs contraints par les lois Jim Crow.

    Quelque chose à retenir

    Ce ne sont là que quelques exemples de la façon dont le capitalisme a pu aider des personnes à faire face au racisme.

    L’héritage de madame Walker, de Philip Payton et de nombreux autres entrepreneurs noirs du XX e siècle est toujours présent aujourd’hui. Avec des multimillionnaires et des milliardaires comme Rihanna , Beyonce, Kanye West, Drake, Oprah Winfrey, Tyler Perry, Jay Z ou Michael Jordan, il est clair que le capitalisme est une force socio-économique qui permet d’innover pour s’améliorer et améliorer sa communauté, au lieu d’être le pourvoyeur du racisme et de l’injustice modernes, comme Google voudrait vous le faire croire.

    Traduction Contrepoints

    Sur le web

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      Kazakhstan : 11 millions d’électeurs sur un territoire grand comme l’Europe

      Jean-Baptiste Giraud · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 25 November, 2022 - 04:15 · 11 minutes

    Reportage à Balap, Torgan, Burabay, Schuchinsk, Akmolinskaia oblast, nord du Kazakhstan – Le 20 novembre 2022

    Dimanche 20 novembre 2022 : le Kazakhstan organisait sa septième élection présidentielle depuis la disparition de l’Union soviétique, une élection anticipée provoquée par la démission du président en exercice, Kassym-Jomart Tokaïev, réélu sans surprise dès le premier tour avec le score très confortable de 82 %.

    Caractéristique de ce scrutin : un taux de participation catastrophique dans les grandes villes occidentalisées (27 % à Almaty, capitale économique, 40 % à Astana, capitale politique), quand le Kazakhstan profond, lui, s’est massivement déplacé aux urnes pour lui confier les clefs du pays pour un dernier mandat de sept ans. Immersion au cœur de la steppe enneigée, par -15°C.

    Immersion au cœur de la steppe enneigée, par -15°C

    Nadezhda et Nadezhda sont voisines, portent le même prénom et ont aussi le même âge. Et le jeu des ressemblances ne s’arrête pas là. La plus âgée des deux amies est arrivée d’Ukraine en 1965 à l’âge de 16 ans, accompagnée de sa tante et laissant ses parents derrière elle pour toujours.

    Mariée à un Ukrainien déjà installé au Kazakhstan, six enfants et huit petits-enfants plus tard, Nadezhda est venue en compagnie de… Nadezhda sa voisine afin de voter dans le petit village de Balap, situé une centaine de kilomètres au nord de la capitale Astana. Au total, 200 âmes et 220 votants inscrits, en comptant les petits hameaux voisins. Nadezhda et Nadezhda habitent l’un d’entre eux, à quelques kilomètres. Elles sont veuves, le maire leur a donc envoyé une voiture pour leur permettre de voter. Elles n’auraient manqué cela pour rien au monde : les élections ont toujours été une fête. Héritage soviétique.

    « On vivait vraiment très bien ici quand c’était l’URSS » tient absolument à nous dire Nadezhda, grand sourire édenté aux lèvres, née au Kazakhstan et elle aussi mariée autrefois à un Ukrainien. Ils ont eu un fils et une fille qui leur ont donné trois petits-enfants dont elle est très fière même si elle ne les voit pas assez à son goût. Sa fille vit désormais en Allemagne et la pandémie l’a privée de sa visite pendant deux ans.

    « À la chute de l’URSS, tout a changé et est devenu beaucoup plus compliqué. Ça a été vraiment dur pendant dix ans, plus rien ne marchait car il n’y avait plus d’État » déplore la petite Nadezhda, le regard vide. Mais tout cela est désormais loin derrière. L’une a dirigé une grande partie de sa vie un petit magazin (alimentation et droguerie ) , et son homonyme travaillait dans une ébénisterie d’État. Le pays est généreux avec ses retraités. Les 85 000 tenge (180 euros) de pension mensuelle que chacune reçoit suffisent amplement. Leurs vies de babouchkas sont simples, sans fioritures. Pour les six mois de grand froid, trois tonnes de charbon suffisent largement à Nadezhda la grande, sachant que la tonne livrée lui coûte 10 000 tenge (20 euros), combustible pour sa chaudière increvable qu’elle complète avec du bois ramassé dans la forêt : « c’est totalement gratuit ».

    Les deux homonymes ne se privent de rien et surtout pas de chauffage dans ce coin de steppe où les vents froids font descendre le thermomètre à -35°C certains jours d’hiver. D’ailleurs, le bureau de vote est surchauffé comme tous les bâtiments au Kazakhstan : hôtels, ministères, centres commerciaux, écoles et même vans et taxis règlent tous la température à… + 28°C. Le grand froid n’est pas un problème au pays de l’énergie gratuite.

    Dans le Kazakhstan profond, seul l’État peut tout

    La présidente du bureau de vote coupe le son de la sono qui diffuse Boney M (tous les bureaux de vote diffusent de la musique, autre héritage soviétique), afin de pouvoir mieux entendre nos échanges avec Nadezhda et Nadezhda. D’autres électeurs se mêlent aussitôt à la conversation, opinant de la tête ou commentant en kazakh ou en russe ce que l’un ou l’autre déclare et que notre interprète parvient à attraper plus ou moins facilement au vol, loin d’être impressionnés ou intimidés, bien au contraire ! Dans ce village du bout du monde, en plein cœur de la steppe kazhakstanaise, pouvoir parler à des journalistes occidentaux relève d’une charmante incongruité.

    « Le pays a un bon président » nous dit une femme sans âge dans un élan d’enthousiasme à la limite de l’énervement en plein milieu du bureau de vote.  Д a, Дa, d’autres opinent de la chapka. « O n a besoin de lui ! » lance même un vieillard en passant, qui a capté un bout de la discussion. Tous expliquent que la vie est encore meilleure, comparé aux temps de l’URSS, mais n’oublient pas les années difficiles dont parlait Nadezhda quelques instants plus tôt.

    « Il fallait se débrouiller pour tout, surtout pour manger » lance un autre homme renfrogné . Certains travaillent à la mairie ou à l’hôpital d’Akkol, la grande ville voisine de 6000 âmes qui dispose même d’un cinéma. Les autres travaillent à l’entretien des forêts de la région, un service public. L’État demeure ici comme souvent en Kazakhstan le principal employeur, quand il n’est pas le seul. Diversifier l’économie fait pourtant officiellement partie des grands projets du président réélu. Mais la sortie de la rentre pétrolière et gazière peine encore à se concrétiser dans cette partie septentrionale du pays.

    Une rente d’hydrocarbures a permis au Kazakhstan de recouvrir sa capitale Astana de buildings ultra modernes et d’équiper le pays d’infrastructures flambant neuves, en particulier des autoroutes. Les 15 kilomètres qui séparent Balap de la « grande ville » voisine d’Akkol s’avalent ainsi en quelques dizaines de minutes, au milieu de la steppe glacée balayée par les vents.

    Infrastructures et services publics d’une solidité à toute épreuve

    Ce bureau 127, au bout du bout du monde, dans lequel 83 % des habitants avaient déjà voté à 10 heures du matin, n’est en réalité coupé de rien et ce n’est pas seulement une histoire d’état des routes ou de déneigeuses. Le système scolaire kazakhstanais -encore un héritage soviétique – mise beaucoup sur les sciences dures : mathématiques, physique et informatique. Dans une autre école transformée en bureau de vote visitée plus tôt, un slogan datant de l’URSS peint sur la façade promet d’ailleurs aux petites têtes brunes de pouvoir devenir космонавт (cosmonaute) à condition de « bien travailler ses maths ». Ici, dans le gymnase devenu bureau 127, c’est спорт спорт спорт (sport sport sport) qui trône au-dessus de la porte d’entrée.

    « Parmi nos anciens élèves – Tania dirige une maternelle – l’un est devenu avocat, un autre médecin. On a aussi un ingénieur qui est parti à Moscou. Et l’une de nos anciennes élèves vit maintenant aux États-Unis après avoir travaillé en Allemagne dans le gaz, pays où elle a rencontré son mari, un Allemand. Chaque fois qu’elle revient au village, comme les autres anciens, elle passe nous voir, on est très fiers d’eux. On a aussi un ancien qui aujourd’hui a une entreprise, il est resté ici et fait travailler beaucoup de monde dans le bois. »

    Impossible bien évidemment de refuser l’hospitalité des présidents des bureaux visités tout au long de cette journée d’élection. Comme s’il s’agissait d’un rituel, il faut signer un registre réservé aux observateurs nationaux ou étrangers ainsi qu’aux journalistes accrédités… et donc prendre le thé.

    650 km de route pour traverser une petite partie seulement de l’ oblast de Akmolinskaia, grand comme la France et visiter une dizaine des 10 000 bureaux de vote du pays, en comptant un arrêt technique inédit : la casse moteur en pleine steppe de notre mini-van Toyota ! Probablement une panne de la pompe à eau qui condamne le moteur à la surchauffe malgré les -15°C dehors. Le joint de culasse n’y survivra pas. Le patron de la compagnie privée de VTC nous porte secours au bout d’une heure et demie après avoir foncé sur l’autoroute parfaitement rectiligne au volant de son Audi fatiguée. À peine trois kilomètres plus tard nous arrivons dans un autre bureau de vote pour attendre le van de remplacement.

    Heure du déjeuner oblige, le thé et les beignets des précédents bureaux visités cèdent la place à un repas pantagruélique dans la cantine, destiné aux assesseurs, et partagé de bon cœur par la directrice de l’école aux rescapés de l’autoroute que nous sommes. Le beschbarmak , plat traditionnel kazakh à base d’un mélange de viande de bœuf et de cheval, trône sur la table en formica de la cantine de l’école. Des pâtes saucées à la graisse de cheval et du bouillon de cheval complètent l’ensemble. À la fois remède imparable et carburant pour lutter contre le froid glacial qui sévit ici à l’extérieur.

    Un lycée technique informatique qui glorifie Steve Jobs, Elon Musk, Bill Gates et Jack Ma

    Une start-up au Kazhakstan ? Non, un lycée professionnel informatique ultra moderne.

    Cent kilomètres plus loin, autre ambiance, autre numérotation.

    Le bureau 331 siège dans un lycée absolument flambant neuf de dix étages en périphérie de la cité industrielle de Schuchinsk. Ici des milliers de garçons et de filles âgés de 12 â 17 ans particulièrement chanceux suivent un enseignement technique spécialisé dans une école aux allures de campus de start-up. L’école, baptisée « éducation innovation It » est intégralement dédiée aux enseignements liés à l’informatique. À la sortie, la plupart des élèves iront à l’université dans le pays ou encore à l’étranger, scolarité 100 % prise en charge par le gouvernement dans le cadre du programme келешек, ou avenir . Ici, sur les murs flambant neufs, exit les slogans hérités du soviétisme ! Des logos lumineux géants aux couleurs de Microsoft ou Facebook côtoient des portraits tout aussi géants d’Elon Musk, Steve Jobs ou Jack Ma ! Et de Bill Gates en embuscade. Tous accompagnés d’une de leurs citations célèbres, en anglais. Haut débit, matériel informatique de pointe, professeurs expérimentés… Si les écoles de village avaient encore un parfum d’union soviétique, ce lycée se voit déjà en Californie.

    Le lycée professionnel informatique et bureau de vote de Schuchinsk

    Autre ville, autre école, et donc forcément autre ambiance.

    Les vieux paysans rugueux volontaires bénévoles qui tenaient les petits bureaux ruraux visités le matin sont remplacés ici par un jeune personnel administratif à 100 % féminin du lycée professionnel. Les électeurs ne sont pas les mêmes aussi. Bien que l’établissement soit installé à la lisière d’un quartier résidentiel moderne, alternance de grands immeubles et de maisons à deux étages, le taux de participation franchit péniblement les 40 % à deux heures de la fermeture.

    Au Kazakhstan, l’État est indispensable pour les ruraux, facilitateur pour les urbains

    En réalité, dans les grandes villes modernes où les concessions automobiles disputent la place aux marques occidentales de luxe et aux restaurants, on comprend aisément que les élections sont beaucoup plus importantes aux yeux des Kazakhstanais des territoires ruraux, et même ultra-ruraux.

    Dans des régions à la nature souvent hostile et à l’économie faiblement développée, l’État n’est pas seulement le premier employeur : il est aussi le premier protecteur, que ce soit avec les déneigeuses, les lignes de bus, les écoles et surtout l’énergie peu chère. Dans ces espaces ruraux du Kazakhstan, la stabilité incarnée par Tokayev semble primer sur toutes les divergences politiques autant chez les plus âgés marqués du souvenir du chaos des années 1990 que chez les jeunes qui attendent beaucoup des promesses d’investissements et de diversification de l’économie.

    À l’inverse, dans les grandes villes (Almaty, l’ancien capitale politique et capitale économique, bat un record d’abstention à moins de 30 % de participation), la population est majoritairement tournée vers le reste du monde. Elle travaille dans les ministères, les entreprises publiques mais aussi bien sûr pour les nombreuses multinationales installées dans le pays. La classe moyenne kazakhstanaise est probablement celle issue des pays de l’ancien bloc communiste qui s’en sort le mieux, avec des standards se rapprochant des pays de l’est de l’Europe.

    Le pouvoir d’achat est facilité par à un prix de l’énergie très bas grâce aux ressources naturelles du pays. Avec un litre d’essence à 30 centimes, du chauffage et de l’électricité extraordinairement bon marché et des logements financièrement très accessibles (on se loge en ville dans un F3 pour 500 euros par mois, charges comprises), le reste à vivre après les dépenses contraintes est exceptionnellement élevé.

    Car Apple, plus encore que d’autres marques coréennes ou chinoises (Samsung et Huawei) est omniprésent et pas seulement dans le lycée technique de Schuchinsk à 230 km de la capitale mais aussi dans les boutiques, les publicités, entre les mains des habitants…

    Cette ambivalence ou ce fragile équilibre diplomatique du Kazakhstan est à l’image du fossé, du canyon pourrait-on dire (le pays abrite lui aussi un Grand Canyon, comparable à son homonyme américain), qui sépare le Kazakhstan des villes du Kazakhstan des champs. À charge pour le chef de l’exécutif renouvelé et conforté pour sept ans de réduire le plus vite et le mieux possible la fracture, source sans aucun doute possible des émeutes sanglantes de janvier 2022. À Almaty, où les violences les plus graves ont été constatées, les stigmates sont masqués ou en cours de réparation. Un chantier, parmi tous les autres, pour Kassym-Jomart Tokaïev, deuxième président du Kazakhstan, depuis son indépendance.

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      Le Vietnam avant le capitalisme : la famine

      Rainer Zitelmann · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 21 November, 2022 - 04:00 · 7 minutes

    Phung Xuan Vu, huit ans, et son frère de dix ans étaient chargés de nourrir leur famille qui souffrait constamment de famine.

    La seule façon d’y parvenir, avant que les réformes du Doi Moi de 1986, axées sur le marché libre, ne commencent à produire leurs effets, était d’utiliser des bons d’alimentation. Le bien le plus important de la famille était un carnet de coupons alimentaires qui tenait dans la paume de la main d’un enfant de dix ans, ce qui le rendait facile à transporter mais aussi facile à perdre. Comme il était plus âgé, le frère de Vu veillait sur le carnet et savait que s’il le perdait, la famille n’aurait rien à manger.

    Les coupons étaient imprimés sur du papier de soie jaune, cireux mais peu résistant. Ils faisaient la différence entre avoir faim et avoir quelque chose à manger, même si ce n’était jamais assez. Ils devaient souvent attendre des heures et des heures, parfois toute la journée, pour avoir un peu de nourriture.

    Pour avoir une chance, ils devaient venir la nuit

    « Les enfants et leurs voisins attendaient pendant des heures. Certains sont arrivés à 2, 4 ou 5 heures du matin alors qu’il faisait encore nuit. Certains ont laissé un panier ou une brique pour marquer leur place dans la file et sont partis faire autre chose.

    Une fois le soleil levé, les écoliers étudiaient et faisaient leurs devoirs pendant qu’ils attendaient. Ils ont attendu sous la pluie, lorsque le sol devenait boueux et glissant. Ils sont restés debout sous la chaleur, quand ils ont failli s’évanouir de soif et de faiblesse. »

    Ils faisaient déjà la queue avant la livraison de la nourriture, dans l’espoir d’en recevoir. Des familles ont envoyé leurs enfants, d’autres ont envoyé des personnes en avant pour faire la queue en leur nom – et bien sûr, elles ont dû attendre leur tour.

    Lorsqu’ils atteignaient enfin le début de la file, ils étaient souvent confrontés à des fonctionnaires peu amicaux.

    Vu se souvient :

    « Les fonctionnaires n’étaient pas amicaux. Ils étaient autoritaires et avaient du pouvoir. Nous avions l’impression de devoir mendier pour obtenir la nourriture qui nous revenait de droit. »

    Mais la famille n’avait pas le choix, elle devait accepter tout ce que les fonctionnaires jetaient dans leur sac :

    « Nous tenions nos sacs ouverts pour que les fonctionnaires y déversent du riz. Les travailleurs ont pris un seau, ont pris le riz d’un grand sac sur le chariot et l’ont mis sur une balance pour s’assurer qu’ils ne nous donnaient pas plus que la limite de notre famille.

    Nous savions que les fonctionnaires mettaient parfois des cailloux dans les sacs avec le riz, si bien que nous recevions moins de riz que ce à quoi nous avions droit, et souvent le riz était vieux ou moisi. Nous savions aussi que les travailleurs gardaient le bon riz , s’il y en avait, pour eux ou pour leurs amis – ou qu’ils le vendaient au marché noir pour gagner de l’argent. Cela nous mettait en colère, mais nous ne pouvions pas nous battre ou discuter avec les fonctionnaires. Que pouvions-nous faire, en tant qu’enfants ? »

    La quantité de nourriture reçue dépendait du statut de votre famille

    Les employés de l’État recevaient plus, les ouvriers d’usine moins. Et s’il n’y avait pas assez de riz, ils recevaient du blé à la place, même si beaucoup ne savaient pas quoi en faire. De toute façon, même s’ils savaient comment faire une miche de pain, ils ne pouvaient souvent pas le faire parce qu’ils ne pouvaient se procurer les autres ingrédients nécessaires.

    De plus, il leur fallait un four et de l’électricité pour l’alimenter, mais cette dernière n’était disponible que quelques heures par jour. Et plutôt que d’utiliser leur précieuse électricité pour cuisiner, ils l’utilisaient pour allumer une lampe ou écouter une vieille radio. Parfois, l’électricité était soudainement coupée et ils devaient alors allumer une bougie. Certaines familles volaient l’électricité mais le risque était grand.

    La famille de Vu était très fière de posséder un vieux vélo. Bien qu’il ait 10 ans, pour eux, c’était comme une Rolls Royce. À l’époque, dans les années 1980 et au début des années 1990, presque tout le monde au Vietnam roulait à bicyclette. Aujourd’hui, à Hanoi, on ne voit pas beaucoup de bicyclettes, car environ 85 % des véhicules circulant dans les rues sont des motocyclettes et des cyclomoteurs.

    L’Américaine Nancy K. Napier a compilé les récits ci-dessus des Vietnamiens avant et après les réformes dans son excellent livre The Bridge Generation of Việt Nam , allant jusqu’à intituler « famine» le chapitre sur la période avant les réformes. Elle a commencé à enseigner à l’Université nationale d’économie en 1994 et se souvient encore de ce que ses collègues lui ont dit lorsqu’elle a pris un peu de poids : « Nancy, tu es grosse ! » Elle leur a répondu qu’il ne fallait en aucun cas dire à une Américaine qu’elle était grosse.

    Ils ne comprenaient pas :

    « Oh, mais ça veut dire que vous êtes prospère. Vous avez assez de nourriture à manger pour pouvoir être grosse. Vous devez être heureuse ! »

    Lorsque j’ai donné une conférence dans cette même université en septembre 2022, j’ai vu des étudiants et des professeurs bien habillés et pleins d’ambition pour faire quelque chose de leur vie.

    Nancy Napier se souvient également s’être demandée pourquoi il y avait si peu d’oiseaux à Hanoï. Lorsqu’elle a posé la question, ses collègues vietnamiens ont eu l’air perplexe, comme si elle n’avait pas toute sa tête. Ils lui ont expliqué que les gens qui avaient faim attrapaient des oiseaux pour les manger, même de minuscules moineaux. À l’époque, de nombreuses personnes souffraient de malnutrition ou de carence en vitamine A.

    « Les jeunes mères ne pouvaient parfois pas produire assez de lait pour leurs enfants, alors certaines d’entre elles faisaient bouillir du riz et donnaient le lait de riz à leurs bébés, en espérant que les nutriments suffiraient. »

    Bach Ngoc Chien partage le souvenir suivant :

    « Quand j’étais adolescent, j’avais toujours faim. Ma famille de cinq personnes partageait trois bols de riz pour le déjeuner et trois bols pour le dîner. Nous, les enfants, partagions un bol pour le petit-déjeuner. Nous ne mangions presque jamais de viande, sauf à deux occasions : le nouvel an lunaire et l’anniversaire de la mort de mon grand-père. En 1988, lors de ma dernière année de lycée, je pense que je pesais moins de quatre-vingt-huit livres (quarante kilos). »

    Au Vietnam, cette période est connue sous le nom de Thoi Bao Cap (période des subventions) – c’était l’époque de l’économie socialiste planifiée, le temps avant que le Vietnam ne devienne successivement une économie de marché dans le sillage des réformes du Doi Moi qui ont débuté en 1986.

    Le Vietnam a complètement changé à la suite de ces réformes.

    Dans son livre Vietnam und sein Transformationsweg (en anglais : The Path to Transformation in Vietnam) Tam T. T. Nguyen écrit :

    « Au Vietnam, la pauvreté est passée d’un problème majoritaire à un problème minoritaire. »

    Avec un PIB par habitant de 98 dollars, le Vietnam était le pays le plus pauvre du monde en 1990, derrière même la Somalie (130 dollars) et la Sierra Leone (163 dollars). Avant le début des réformes économiques, l’échec de toute récolte signifiait la famine. Le Vietnam dépendait du soutien du Programme alimentaire mondial et de l’aide financière de l’Union soviétique et d’autres pays du bloc de l’Est.

    En 1993 encore, 79,7 % de la population vietnamienne vivait dans la pauvreté. En 2006, le taux de pauvreté était tombé à 50,6 %. En 2020, il ne sera plus que de 5 %, selon les chiffres de l’évaluation du Groupe de la Banque mondiale intitulée « From the Last Mile to the Next Mile ».

    Le Vietnam est aujourd’hui l’un des pays les plus dynamiques du monde, avec une économie qui crée de grandes opportunités pour ceux qui travaillent dur et les entrepreneurs. D’un pays qui était incapable de produire suffisamment de riz pour nourrir sa propre population, il est devenu l’un des plus grands exportateurs de riz au monde – et un exportateur majeur d’électronique.

    Tout cela a été rendu possible par des réformes capitalistes – car bien que le Vietnam se qualifie toujours officiellement de pays socialiste, vous trouverez moins de marxistes et plus de partisans de l’économie de marché au Vietnam qu’en Europe ou aux États-Unis. Le capitalisme n’est pas le problème, mais la solution – et le Vietnam en est un excellent exemple.

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      Vive la « surpopulation » !

      Ferghane Azihari · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 16 November, 2022 - 03:30 · 6 minutes

    Par Ferghane Azihari.
    Un article de l’Iref-Europe

    Voilà des décennies que prospèrent les scénarios apocalyptiques sur une hypothétique pénurie des ressources. Cette frayeur inaugurée par Thomas Malthus n’a cessé de faire des émules parmi les héritiers du courant dérivé de son nom : le malthusianisme. En 1798, Malthus publie son célèbre ouvrage sur la population. Il craignait que la démographie ne progresse plus rapidement que la production de nourriture et promettait à son pays, le Royaume-Uni, des famines à répétition. Échec de la prévision.

    Dans un vieil article publié en 1997 , le magazine britannique The Economist revenait sur une série de prédictions apocalyptiques écologistes qui se sont toutes révélées fausses. En 1865, rappelle l’hebdomadaire, dans The coal question , William Stanley Jevons évoque une pénurie de charbon au Royaume-Uni. Là encore, il s’est trompé. Quelques décennies plus tard, l’administration américaine s’inquiétait d’une pénurie de pétrole susceptible de survenir au début du XX e siècle. Ce comique de répétition n’a cessé d’être entretenu jusqu’à aujourd’hui. À ceci près que les mouvements écologistes se désolent désormais de la trop grande abondance et de la trop grande accessibilité des énergies fossiles.

    En 1968, le biologiste Paul Ehrlich publiait son best-seller intitulé The Population Bomb qui s’inquiétait des famines que connaîtrait l’humanité dans les années soixante-dix en raison de la surpopulation qu’il identifiait ainsi que la pression sur les ressources et la nourriture qu’elle induirait. Toutes ces prévisions se sont révélées fausses. L’humanité n’a aujourd’hui jamais été aussi proche de l’objectif d’éradiquer la sous-alimentation. Celle-ci frappait un humain sur deux au sortir de la Seconde Guerre mondiale et ne concernait plus que 10,9 % de l’humanité en 2017.

    Dans son célèbre rapport publié en 1972, le très scientifique Club de Rome alertait lui aussi sur les dangers de la croissance de la population et de la pression induite sur les ressources naturelles. Il publiait notamment ce tableau censé anticiper les pénuries de certains matériaux.

    FIGURE 1 : première partie du tableau sur la disponibilité des ressources naturelles selon le rapport sur les limites de la croissance du club de Rome FIGURE 2 : seconde partie du tableau sur la disponibilité des ressources naturelles selon le rapport sur les limites de la croissance du club de Rome

    Pour comprendre ce tableau, on peut se référer au commentaire des auteurs du rapport pour le cas du chrome :

    « Les réserves mondiales connues de chrome sont d’environ 775 millions de tonnes métriques, parmi lesquelles environ 1,85 million de tonnes métriques sont exploitées annuellement à l’heure actuelle. Ainsi, au taux d’utilisation actuel, les réserves connues dureraient environ 420 ans. […] La consommation mondiale réelle de chrome augmente cependant de 2,6 % par année. Les lignes courbes […] montrent comment ce taux de croissance, s’il continue, épuisera le stock de ressources […] en seulement 95 ans. »

    Notons que les auteurs se laissaient une certaine marge d’erreur en supposant qu’on puisse découvrir des réserves cinq fois supérieures à leur estimation. Fort heureusement, cette marge d’erreur nous a évité une pénurie d’aluminium 35 ans après la publication de ce rapport…

    Le capitalisme, système de gestion de la rareté par excellence

    Il n’y eut guère que l’économiste américain Julian Simon pour s’en prendre à ces récits apocalyptiques. Selon Simon, l’erreur des biologistes, des physiciens ou des géologues alarmistes consiste à considérer les sociétés humaines comme des systèmes figés incapables d’innover. D’autant que les inquiétudes néo-malthusiennes témoignent de leur difficulté à saisir le rôle des prix et des mécanismes de l’offre et de la demande dans la gestion de la rareté des ressources . Rappelons que la rareté des ressources est le point de départ de l’analyse économique. Sans rareté, la propriété privée, l’échange, le commerce, les prix et toutes les institutions qui sous-tendent le capitalisme n’auraient plus aucun intérêt.

    Une économie de marché où les prix sont librement fixés est précisément ce qui protège l’humanité du risque de pénurie. Toutes choses égales par ailleurs, la raréfaction d’un matériau augmente son prix. Cela encourage les producteurs à trouver des techniques plus sophistiquées de production et d’extraction de la ressource ou des substituts. Sa cherté régule parallèlement sa consommation, incite à sa conservation, à son recyclage et invite les populations à se tourner vers des substituts. L’ingénierie humaine est donc l’ultime ressource , pour reprendre le titre de l’ouvrage de Simon publié en 1981.

    Les ressources n’ont jamais été aussi abondantes

    Passé ces considérations théoriques, place à la pratique.

    Afin de mesurer l’accessibilité des ressources naturelles, le site Human Progress , édité par le think tank libertarien américain Cato Institute, s’est mis en tête de créer le Simon abundance index en hommage à l’économiste susmentionné. Le but de ce projet est d’évaluer l’évolution de l’accessibilité des ressources pour l’humanité.

    Comment ? En calculant l’évolution du temps de travail moyen nécessaire à l’achat d’une unité de ressource particulière à l’échelle mondiale. Le prix d’une cinquantaine de produits de base référencés par la Banque mondiale ont ainsi fait l’objet d’un examen pour savoir s’ils étaient aujourd’hui en moyenne plus accessibles pour l’ensemble de l’humanité. Les résultats sont compilés dans le tableau suivant.

    TABLEAU 1 : évolution du prix des ressources naturelles en temps de travail (1980 – 2018)

    En moyenne, le prix des 50 ressources naturelles listées en temps de travail a baissé de 72,34 %. Cela signifie qu’en 2018 un individu peut s’offrir 3,6 fois plus d’unités de ressources qu’en 1980 pour une même quantité de travail.

    Vive la surpopulation !

    La démocratisation et l’abondance des ressources naturelles sont allées de pair avec la croissance de la population. Cette évolution permet d’ infirmer le discours néo-malthusien qui suggère qu’une croissance soutenue de la population humaine dilue la sécurité et le confort matériels de l’humanité. Il serait tout aussi erroné de considérer que cette démocratisation des ressources s’est faite en dépit de la population humaine. La théorie économique suggère que cette tendance a partiellement été favorisée par la croissance démographique. Celle-ci a en effet accru la taille du marché et la concurrence tout en augmentant la qualité de la division du travail internationale et de la spécialisation des industries.

    Il est d’usage de considérer un être humain comme une bouche à nourrir et un consommateur de ressources. Pourtant, un être humain qui vient au monde est aussi un cerveau supplémentaire potentiellement tourné vers la créativité et l’innovation. Deux qualités qui nous permettent collectivement d’optimiser la production de richesses avec le temps.

    Les auteurs du Simon Abundance Project, l’économiste Gale L. Pooley et le politologue Marian L. Tupy notent à ce propos que le prix moyen des ressources listées a décliné de 1,016 % pour chaque pourcent d’augmentation de la population humaine ces 38 dernières années.

    Chaque naissance nous rend collectivement plus riche pour peu que les institutions permettent aux talents de chacun de s’exprimer librement dans la division internationale du travail.

    À partir de l’évolution du prix des ressources en temps de travail ainsi que celle de la démographie, les auteurs se proposent d’établir un indice baptisé Simon Abundance Index destiné à évaluer l’abondance des ressources pour l’ensemble de l’humanité. La progression de cet indice est illustrée via l’infographie ci-dessous tirée du site Human Progress.

    FIGURE 3 : évolution du simon abundance index (1980 – 2018)

    Cela fait plus de deux siècles que Malthus et ses disciples se trompent . Gageons qu’ils continueront à se tromper.

    Sur le web

    Article publié le 18 juillet 2019

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      « L’échange écologique inégal » : destruction de la nature et accumulation du capital

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Friday, 6 May, 2022 - 10:02 · 16 minutes

    L’appropriation des ressources naturelles est le socle sur lequel reposent les sociétés contemporaines. Terres agricoles, forêts, eau, ressources énergétiques et minières constituent leur soubassement matériel. Cette appropriation est marquée du sceau de l’inégalité. Les pays les plus riches imposent au reste du monde une division du travail permettant d’assurer l’approvisionnement nécessaire à l’accumulation capitaliste dans les centres de l’économie-monde. Cette appropriation repose sur un mécanisme mondialisé d’exploitation et d’accaparement des ressources biophysiques – terres, eau, matières premières, biodiversité – des pays périphériques. L’échange écologique inégal soutire aux pays pauvres les ressources nécessaires à leur développement de long-terme. Pour penser l’interaction entre régime d’accumulation et destruction de la nature, la réflexion sur l’échange écologique inégal semble déterminante.

    Le mode de vie des pays développés repose sur un large socle de ressources matérielles. Ce constat est d’autant plus vrai dans les pays les plus riches. Un Français moyen utilise par exemple annuellement environ 21,6 tonnes de matériaux, son empreinte eau est de 1 786 m 3 par an, soit l’équivalent du volume intérieur de deux Boeing 747, ou encore 1 600 litres de produits pétroliers. Toute la société et le mode de consommation contemporains reposent donc sur un apport constant en ressources naturelles venues du monde entier. Les enquêtes du journaliste Guillaume Pitron ont récemment mis en lumière l’impact massif du numérique en matière de consommation de ressources ou d’énergie.

    Pour les pays les plus riches, les ressources biophysiques utilisées pour soutenir un mode de vie consumériste proviennent pour une part conséquente de l’étranger, tandis que le poids de l’impact environnemental est déplacé vers les pays les plus pauvres. Ainsi, la France, au même titre que nombre de pays développés, importe près de 1,5 fois plus de matières premières qu’elle n’en exporte (voir graphique). Ce constat est le même en matière d’émissions de CO 2 où l’ensemble des émissions sur le territoire français (émissions territoriales) ne représente que la moitié de l’empreinte carbone totale des consommations françaises (émissions territoriales + émissions importées – émissions exportées). De même, de nombreux indicateurs de déforestation importée liée à notre consommation de viande, de café ou de cacao, voient le jour.

    Figure 1 : Importations et exportations de matières premières (en net et en prenant en compte les utilisations matérielles intermédiaires dites RME, nécessaires à l’exportation de la matière première finale)

    Bien qu’à première vue hétérogènes, tous ces phénomènes répondent à une même logique qui est celle de l’échange écologique inégal.

    L’échange écologique inégal comme appropriation des capacités biophysiques des pays pauvres par les pays riches

    Pour bien comprendre la notion d’échange écologique inégal, une prise de recul temporelle et spatiale est nécessaire. Comme l’analyse B. Schmitt, la théorie de l’échange écologique inégal repose sur une analyse globale des rapports socio-écologiques entre les sociétés. Dans une approche braudélienne, notre système-monde est dominé depuis des siècles par la logique d’accumulation infinie du Capital dans les régions-centres du système-monde. Cette logique d’accumulation nécessite l’apport croissant de matières premières et de ressources écologiques venues des régions périphériques pour faire croître le stock de capital. L’échange écologique inégal stipule que l’exploitation et les dégradations de l’environnement dans les pays périphériques les plus pauvres sont le fruit de la logique d’accumulation des acteurs économiques dominants. Les pays dominants imposent une division du travail spatiale et hiérarchisée qui détermine et impose la circulation des flux de matière et d’énergie.

    L’échange écologique inégal stipule que l’exploitation et les dégradations de l’environnement dans les pays périphériques les plus pauvres sont le fruit de la logique d’accumulation des acteurs économiques dominants.

    A. Honborg (2011) définit l’échange écologique inégal comme une appropriation indue des ressources biophysiques des pays périphériques par les pays les plus riches. Ainsi, chaque année ce sont des millions de tonnes de matières premières, de térajoules d’énergie ou des millions d’hectares qui sont exploités dans les pays pauvres au service des pays les plus aisés. L’échange écologique inégal est donc caractérisé en premier lieu par des flux asymétriques de ressources biophysiques des pays pauvres vers les pays riches. L’exportation massive par les pays périphériques de leurs ressources biophysiques crée des entraves importantes à leur développement et à l’accumulation d’infrastructures et de technologies pour générer du développement économique.

    L’échange écologique inégal peut aussi s’analyser comme une asymétrie dans la capacité des pays pauvres à valoriser leurs ressources écologiques. Le prix payé pour leurs ressources aux pays pauvres, qui correspond aux prix de marché des matières premières, ne reflète ni les pollutions, ni les dégradations environnementales, ni les conséquences désastreuses pour le développement des pays sur le long-terme.

    L’échange écologique inégal au cœur du système colonial

    L’analyse de l’échange écologique inégal passe par une analyse historique de long terme des dynamiques d’échanges des ressources biophysiques des nations. De fait, certaines formes d’échanges écologiques inégaux ont toujours existé, notamment entre ville et campagne. La ville a toujours centralisé et accumulé les ressources des campagnes avoisinantes. L’historien Fernand Braudel note ainsi que Paris consommait en 1789 près de deux millions de tonnes de bois et de charbon de bois, et utilisait pour alimenter ses boulangers en farine l’énergie de près de 2 500 moulins répartis tout le long de la Seine. Ces déséquilibres de flux de matières, observables à mille endroits – autour de telle ville, le long d’une certaine rivière ou à la frontière de tel écosystème – ne peuvent être considérés comme un fait global, c’est-à-dire mondial, qu’à partir des XVIe et XVIIe siècles avec la construction et la mise en place des systèmes coloniaux et la mise en exploitation du monde par les nations européennes.

    Figure 2 – Echanges de ressources et de biens à la moitié du XVIII ème siècle

    Nombreuses sont les illustrations qui mettent en évidence l’existence d’échanges écologiques inégaux au cours de la première phase d’expansion européenne, entre XVe et XVIIIe siècles. Les travaux structurants de S. G. Bunker ont par exemple décrit avec précision les cycles d’exploitation successifs que l’Amazonie a connus pour répondre aux besoins des centres d’accumulation européens. Le bois, le caoutchouc et les ressources minières ont été tour à tour exploités. Chaque cycle est caractérisé par la mise en place d’un échange écologique inégal, imposé par les pays colonisateurs. Sur place, l’extraction des ressources se fait grâce à l’exploitation et la mise en esclavage des populations indigènes locales ou amenées d’autres régions du monde. Bunker détaille comment l’ensemble des institutions économiques, juridiques et politiques, des infrastructures de transport et des termes de l’échange commercial a été mis en place pendant quatre siècles pour répondre aux intérêts économiques étrangers.

    Ainsi, les conditions d’exploitation ont été élaborées pour servir des intérêts économiques extérieurs.

    Ainsi, les conditions d’exploitation ont été élaborées pour servir des intérêts économiques extérieurs. C’est un constat similaire qui peut être dressé pour l’ensemble des régions sous emprise coloniale, que ce soit dans les Amériques, en Afrique ou en Asie. Les pays dominants ont imposé une division du travail visant à exploiter au maximum les ressources biophysiques des terres colonisées. Ainsi se développent les cultures intensives destinées à l’export. La production du tabac, du café, de l’indigo, du cacao puis surtout de la canne à sucre suivent cette même logique. Les structures d’exploitation des ressources imposées ont créé des sociétés fortement inégalitaires et hiérarchisées, fortement dépendantes de leur capacité à exporter les productions agricoles et minérales demandées par les centres. Les territoires colonisés fournissent aux puissances européennes les terres dont elles manquent, le travail humain via l’esclavage et les ressources écologiques locales. Au fur et à mesure que se déroule le processus d’accumulation capitaliste au sein des centres du système-monde, les frontières d’exploitation sont repoussées et de nouvelles contrées sont intégrées à l’économie-monde capitaliste.

    L’échange écologique inégal comme facteur explicatif de la révolution industrielle

    L’échange écologique inégal est un fait historique dûment documenté. L’accaparement des ressources écologiques et biophysiques des périphéries a joué un rôle-clé dans l’accumulation au sein des centres de gravité de l’économie-monde. Certains historiens proposent une thèse encore plus forte. Ils arguent que la capacité à mettre en place un échange écologique inégal a pu jouer une fonction déterminante dans la révolution industrielle et le boom économique des XVIIIe et XIXe siècles. Sans évoquer directement la notion d’échange écologique inégal, c’est bien un argument de ce type que propose l’historien K. Pomeranz dans son livre La grande divergence . À partir d’une comparaison entre deux régions du monde en 1750, l’Angleterre et la vallée du delta du Yangzi en Chine, il met en évidence le rôle-clé joué par l’exploitation à la fois des colonies et des ressources en charbon du sous-sol pour expliquer la divergence économique qui a eu lieu entre ces deux régions et la naissance de la révolution industrielle en Angleterre. Selon lui ce qui explique la « grande divergence » en matière de développement économique entre ces deux régions, ce ne sont ni les différences géographiques et écologiques, ni les différences institutionnelles, ni l’organisation des marchés ou des familles, ni les différences de niveau ou d’espérance de vie, ni le niveau technologique et la productivité agricole, mais bel et bien la capacité de l’Angleterre à échapper à ses contraintes naturelles en exploitant le charbon des sous-sols ainsi que les terres et les ressources de ses colonies.

    [Certains historiens] arguent que la capacité à mettre en place un échange écologique inégal a pu jouer une fonction déterminante dans la révolution industrielle et le boom économique des XVIIIe et XIXe siècles.»

    Alors que la Chine a été obligée, face à sa croissance démographique, d’intensifier la production agricole en augmentant la part du travail humain par hectare, l’Angleterre a déplacé les secteurs intensifs en travail humain et en terres au sein de ses colonies, et ainsi délocalisé la production intensive en travail. Cette thèse entre en résonance avec celle des « hectares-fantômes ». Ce sont l’ensemble des surfaces terrestres que l’Angleterre a économisées en utilisant le charbon de son sous-sol et les ressources biophysiques de ses colonies. Grâce à l’exploitation du charbon et la mise en place d’un échange écologique inégal avec ses périphéries, l’Angleterre a dépassé ses contraintes écologiques et consommé bien plus de ressources écologiques et énergétiques qu’initialement permises par ses capacités biophysiques propres (ressource en bois et rivière en premier lieu).

    L’échange écologique inégal s’illustre parfaitement avec l’exemple de l’industrie du textile britannique. L’industrie textile repose sur l’utilisation massives de terres dans les colonies pour faire pousser le coton. Un exemple concret vient corroborer cette allégation. A. Hornborg (2011) indique qu’en « 1850, en échangeant sur le marché mondial 1 000 livres de textiles contre 1 000 livres de coton provenant de ses colonies, la Grande-Bretagne échangeait en fait 4 092 heures de travail britannique contre 32 619 heures de travail à l’étranger, soit un gain de près de 700%, et l’usage de moins d’un hectare de terres britanniques contre l’usage de 58,6 hectares de terres à l’étranger. ». Par ailleurs, au sein des colonies, la Grande-Bretagne met en place un ensemble d’institutions permettant l’émergence de l’échange écologique inégal : société esclavagiste, hiérarchisée et tournée vers la satisfaction des besoins de la métropole, sans prendre en compte le développement propre des régions exploitées. Le coton cultivé requiert plus de travail humain et appauvrit les sols, contribuant ainsi à la dégradation environnementale des périphéries.

    L’échange écologique inégal, plus présent que jamais

    L’asymétrie des flux biophysiques n’a cessé depuis de se renforcer et de s’accroître à travers les décennies et les siècles. De plus en plus de régions sont constamment intégrées au système-monde pour répondre aux besoins exponentiels des centres d’accumulation. Aux centres d’accumulation historiques (Europe et Etats-Unis) sont venus s’ajouter de nouveaux acteurs importateurs nets de ressources écologiques, contribuant à la mise en exploitation de l’intégralité du globe. Ces nouveaux centres s’ajoutant aux premiers sont en particulier les pays du Golfe ou l’Est asiatique. La division internationale du travail assujettit de nombreux pays à rester éternellement exportateurs nets de contenu écologique pour les pays les plus riches. Ce constat s’articule au sein de nombreux domaines de recherches et courants théoriques et idéologiques : post-colonialisme, ingérences étrangères dans les pays les plus pauvres, exploitation des ressources par les multinationales, impérialisme.

    Figure 3 – Avancée du front de déforestation au Pérou sous la poussée des cultures exigeantes du café, province du Junin

    Recul de la ligne de frondaison des forêts au bénéfice des cultures de café et de cacao, exploitation de gisements miniers toujours plus importants et polluants aux quatre coins du monde dont le projet de Montagne d’or en Guyane n’était que le dernier exemple, épuisement des ressources halieutiques par les flottes de pêche des pays dominants. Les illustrations de cette mise en exploitation du monde au bénéfice des centres d’accumulation ne manquent pas. Ce fait global a été récemment mis en évidence de manière empirique et systématique dans une étude mondiale concernant les flux de ressources biophysiques. Ainsi, une vaste enquête (Dorninger et al.,2021) démontre que l’échange écologique inégal est un fait empirique prouvé des 25 dernières années et que la valorisation des ressources écologiques est bien plus faible pour les exportations des pays les plus pauvres. À l’exception de l’Inde et de la Chine, l’ensemble des pays du monde sont des exportateurs nets de ressources vers les pays les plus riches du monde (peu ou prou ceux de l’OCDE). L’échange écologique inégal leur permet simultanément de s’approprier les ressources écologiques indispensables à l’accumulation de capital et de réaliser un gain monétaire net grâce à l’échange international. Ainsi, la valeur ajoutée par tonne d’une matière première extraite dans un pays riche est 11 fois plus importante que celle de la même matière première extraite dans les autres pays.

    Le graphique ci-dessous, tiré de l’étude susmentionnée, illustre ces transferts de ressources biophysiques entre pays riches (HI : high-income), moyennement riches (UMI), moyennement pauvres (LMI), et pauvres (LI) auxquels on ajoute la Chine (CHN) et l’Inde (IND). Le graphique (a) représente les transferts en termes d’empreintes matières, le (b) en matière d’énergie incorporée dans les exportations, le (c) en matière d’utilisation incorporée de terre et le (d) en matière de travail incorporé. Pour chaque indicateur on observe des flux nets allant des pays pauvres vers les pays les plus riches, illustrant parfaitement le concept d’échange écologique inégal. Enfin le dernier graphique met en évidence le gain à l’échange des pays les plus riches en terme de valeur ajoutée nette de l’échange de ressources biophysiques, alors même qu’en valeur absolue, ils en importent bien plus qu’ils n’en exportent.

    Figure 4 – Flux de matériaux, d’énergie, d’hectares et de travail incorporés entre groupes de pays par niveau de vie, Dorninger et al.

    Quelles implications de l’échange écologique inégal ?

    L’échange écologique inégal est donc un fait empirique majeur de l’histoire des sociétés depuis plusieurs siècles. Sa conceptualisation recoupe et synthétise un grand nombre de concepts et de courants théoriques et idéologiques. Par ailleurs, il offre des éclairages nouveaux ou complémentaires sur différentes hypothèses-clés de la réflexion sur les interactions entre les sociétés capitalistes modernes et l’environnement. En particulier, il entre en résonance avec la théorie marxiste de la rupture métabolique, issue des travaux de Marx sur les liens entre agriculture et capitalisme. L’hypothèse de la rupture métabolique énonce l’idée que la production capitaliste « épuise en même temps les deux sources d’où proviennent toute richesse : la terre et le travailleur » et qu’il existe une rupture métabolique entre les lieux de production des conditions matérielles d’existence (les campagnes) et de consommation de celle-ci (les villes). Par ailleurs, le support de la croissance capitaliste est un support biophysique fixe qui occasionne un échange à somme nulle de ressources écologiques entre les pays. La notion d’échange écologique inégal vient alors parfaitement s’articuler autour de la question de la possibilité d’un capitalisme sans croissance ou stationnaire.

    Ainsi, et ce depuis des siècles, les pays les plus riches imposent au reste du monde une division du travail permettant d’assurer l’approvisionnement en ressources nécessaires à l’accumulation capitaliste dans les centres de l’économie-monde. Cette appropriation ne se fait pas au travers d’un échange d’égal à égal mais repose sur un mécanisme mondialisé d’exploitation et d’accaparation des ressources biophysiques, terres, eau, matières premières, biodiversité, des pays périphériques. L’échange écologique inégal soutire aux pays en développement les ressources pourtant nécessaires à leur développement de long-terme et accroit les inégalités entre pays. Pour penser la crise de la biodiversité et des baisses des contributions de la nature aux sociétés, la réflexion sur l’échange écologique inégal semble pour l’instant indépassable.

    Bibliographie :

    Bunker, Stephen. 2003. « Matter, Space, Energy, and Political Economy: The Amazon in the World-System ». Journal of World-Systems Research , août, 219‑58. https://doi.org/10.5195/jwsr.2003.241 .

    Dorninger, Christian, Alf Hornborg, David J. Abson, Henrik von Wehrden, Anke Schaffartzik, Stefan Giljum, John-Oliver Engler, Robert L. Feller, Klaus Hubacek, et Hanspeter Wieland. 2021. « Global Patterns of Ecologically Unequal Exchange: Implications for Sustainability in the 21st Century ». Ecological Economics 179 (janvier): 106824. https://doi.org/10.1016/j.ecolecon.2020.106824 .

    Hornborg, Alf. 1998. « Towards an Ecological Theory of Unequal Exchange: Articulating World System Theory and Ecological Economics ». Ecological Economics 25 (1): 127‑36. https://doi.org/10.1016/S0921-8009(97)00100-6 .

    Schmitt, Boris. 2016. « Exploitation des ressources naturelles et échange écologique inégal : une approche globale de la dette écologique ». VertigO , n o Hors-série 26 (septembre). https://doi.org/10.4000/vertigo.17522 .

    Pomeranz, Kenneth. The Great Divergence: China, Europe, and the Making of the Modern World Economy . NED-New edition. Vol. 117. Princeton University Press, 2021. https://doi.org/10.2307/j.ctv161f3dr.