Avec l’effondrement de la plateforme FTX, beaucoup d’observateurs des cryptomonnaies sonnent le tocsin. Les banques centrales en profitent pour avancer leurs pions sur l’échiquier des monnaies numériques centralisées et de la réglementation. Mais forcer les citoyens à aller vers ces monnaies numériques contrôlées par la force publique n’est-ce pas faire indirectement la promotion des monnaies numériques privées ?
On reparle beaucoup des cryptomonnaies depuis la faillite du courtier FTX. Certains se réjouissent que des spéculateurs crédules soient ruinés et donc punis. Selon eux, la faillite de FTX prouverait que la monnaie est une chose trop sérieuse pour être confiée à des personnes privées et ne peut être administrée que par des fonctionnaires irréprochables, soucieux du bien public et de l’intérêt général.
Pourtant, la déclaration de naissance de bitcoin ne pouvait que plaire aux adeptes du libéralisme classique. Mon livre reprend la genèse de cette histoire et le contexte de l’arrivée de bitcoin.
Naissance de Bitcoin : révolte contre la politique monétaire et le flicage des données privées
Depuis 1971, la monnaie n’est plus ancrée à rien de concret. Elle est redevenue du crédit pur. Les registres de dettes sont tenus par les banques et les banquiers centraux. Mais les grands sorciers financiers modernes ont négligé ce que les Anciens avaient appris : pour prévenir les risques de surendettement, il faut adosser les prêts à une garantie concrète et prévoir des jubilés ou des remises de dettes périodiques. Faute de cette sécurité, les crises financières se multiplient.
Simultanément, avec le développement des réseaux de télécommunication, la monnaie papier commence à tomber en désuétude dans les pays développés au profit de compte bancaires, de cartes de débit ou crédit et d’enregistrements électroniques.
Notre monnaie est non seulement une convention sociale abstraite mais elle est aussi largement dématérialisée.
En 2008 au lieu de laisser les faillites se produire, les banquiers centraux multiplient le crédit en abaissant les taux.
Non seulement les taux sont abaissés à zéro mais les banquiers centraux trafiquent sans retenue les registres de dette en se livrant à des opérations de rachat de titres de créance. Ce sont les opérations de quantitative easing ou QE, nouvelle expression chic pour noyer le poisson de la création monétaire.
En janvier 2009, Satoshi Nakamoto (un pseudonyme) crée une nouvelle « monnaie ».
Le réseau Bitcoin est un moyen d’échange ; « bitcoin » est une unité de compte électronique, décentralisée et privée.
C’est pour la monnaie fiduciaire une révolution similaire à celle de l’Internet pour l’information. Nakamato – dont le mystère de l’identité reste entier – entend apporter une réponse à ceux qui s’inquiètent des dérives de la finance et des devises fiduciaires inféodées aux banquiers centraux.
Il est probable que Satoshi Nakamato (ou le groupe d’informaticiens se cachant derrière ce pseudonyme) a été aussi sensible aux dénonciations d’Edward Snowden relatives à l’espionnage par le gouvernement américain des données privées. Les révélations publiques de Snowden – ancien de la CIA et de la NSA- datent de 2013 mais le programme de surveillance généralisé avait débuté en 2007. Certains spécialistes du bitcoin relèvent que le cœur du code repose sur un algorithme de cryptage appelé SHA 256 développé par la National Security Agency, employeur d’Edward Snowden.
Voici ce qu’en pensent ceux qui se penchent alors sur le bébé bitcoin :
« Les racines théoriques de Bitcoin peuvent être trouvées dans l’École autrichienne d’économie et ses critiques du système actuel de monnaie fiduciaire et des interventions menées par les gouvernements et d’autres organismes, qui, à leur avis, provoquent des cycles économiques exacerbés et une inflation massive ». BCE, octobre 2012.
« La concurrence monétaire telle qu’envisagée par Hayek est devenue possible même en l’absence d’auto-limitation par les gouvernements […] la BCE soupçonne (à juste titre) que le travail théorique de Hayek était le spiritus rector des cryptomonnaies d’aujourd’hui » Stoeferle & Valek
« Bitcoin est le début de quelque chose de formidable : une monnaie sans gouvernement, quelque chose de nécessaire et d’impératif ». Nassim Nicholas Taleb
Une « monnaie » pour les geeks et les spéculateurs mais pas les gens ordinaires
Âgé de maintenant 13 ans, le bitcoin a désormais passé l’âge de raison. Hélas, cet enfant un peu autiste n’intéresse surtout que les geeks bienveillants et les spéculateurs.
Voici le constat cruel qui en était récemment fait :
« Descendez dans la rue avec des bitcoins, vous n’achèterez ni pain, ni viande, ni maison. Les cryptos n’ont jamais rempli l’office le plus élémentaire d’une monnaie. Premier mirage.
Si les cryptos étaient un refuge contre l’inflation, elles auraient dû gagner en valeur quand l’inflation est arrivée. C’est le contraire qui s’est produit : l’ensemble du système crypto s’est affaissé à mesure que progressait l’inflation. Dans des proportions du reste nettement plus graves — de l’ordre de moins 70 % — que la plupart des autres catégories d’actifs.
Enfin, le dollar ne s’est jamais aussi bien porté tandis que les cryptos mordent la poussière. Aucune des promesses cryptos initiales n’a été tenue. Aucune.
Pire : c’est tout un écosystème financier crypto qui est venu se greffer aux cryptomonnaies, avec banques cryptos et places financières cryptos. »
Le bulletin de note de l’ado bitcoin est déplaisant, mais ce sont des faits, pas des appréciations subjectives. Ils actent que jusqu’à présent, bitcoin n’a pas conquis le grand public qui ne s’est pas approprié cette monnaie. Peu importe la valeur de la technologie ou l’utilité du concept de monnaie démocratique, c’est-à-dire contrôlée par personne.
La tare de naissance du bitcoin ?
En fait, le bitcoin est né avec la même tare génétique que les monnaies qu’il entend concurrencer : il n’a aucun ancrage dans la réalité. C’est une monnaie immatérielle. Certes elle ne repose plus sur la confiance en un État comme les grandes monnaies fiduciaires mais elle repose sur la confiance dans un algorithme.
Pour le commun des mortels un algorithme est une notion ésotérique et immatérielle. Le commun des mortels utilise sa carte de débit ou un système de paiement par smartphone, exécute de plus en plus de virements depuis une interface bancaire mais le commun des mortels ne se sert pas de bitcoin. Bref, en treize années d’existence, la plus célèbre des cryptomonnaies n’est pas devenue une monnaie d’usage. Elle ne s’est pas démocratisée.
Les monnaies numériques de banques centrales au secours du bitcoin ?
Pourtant plus le temps passe, plus les conséquences des erreurs de politiques monétaires se font visibles. L’ inflation monétaire a finalement donné naissance à une hausse des prix de la vie courante et non plus une augmentation des seuls prix des actifs financiers et de l’immobilier. C’est désormais devenu un sujet sensible.
Si les banquiers centraux prétendent lutter contre la hausse des prix en relevant les taux, n’est-ce pas avouer qu’ils la stimulaient en baissant les taux ? Cette évidence commence à pénétrer dans l’esprit des cobayes de leurs expériences monétaires. Le capital confiance des monnaies fiduciaires s’érode quelque peu.
Compte tenu du niveau d’endettement insoutenable, la hausse des taux va faire long feu et la création monétaire va bientôt reprendre.
Entretemps, la Banque centrale européenne aura probablement pris des dispositions pour faire avancer son euro numérique car il faudra bien emprisonner les gens pour empêcher une fuite devant une monnaie lorsque la majorité aura compris qu’elle est créée à volonté par une élite pour servir sa seule volonté. Dans ce contexte, Bitcoin devient un concurrent à éliminer.
Gérard Dréan estime les monnaies numériques de banques centrales inutiles pour les usagers :
« Le développement de monnaies numériques de banque centrale, que ce soit l’euro ou d’autres, est un phénomène tout à fait secondaire, inutile pour les usagers, et qui ne contribuera que très marginalement aux objectifs des organisations étatiques. Elles ne pourraient prendre une part significative dans les paiements que si l’utilisation des cryptomonnaies était sévèrement entravée par des mesures réglementaires ou juridiques qui en détourneraient les utilisateurs.
Il a raison sur ce point. En revanche, ces monnaies de banques centrales me semblent très utiles « aux objectifs des organisations étatiques » et pas du tout de façon marginale. Car les objectifs sont d’accaparer le plus de pouvoirs possibles. De telles monnaies permettent :
- le contrôle total de toute transaction privée,
- l’orientation des transactions privés vers les secteurs jugés utiles par les omniscients.
Mais en voulant contraindre chacun à adopter une monnaie numérique et à marginaliser la possibilité de paiement en espèces, les banquiers centraux s’avancent aussi sur une pente savonneuse.
Les devises étatiques ne sont plus que des unités de compte de trafic d’influence
Le grand public pourrait enfin prendre conscience que la monnaie actuelle n’est rien d’autre que des unités de compte de trafic d’influences, qu’elle est utilisée à des fins politiques et à rebours de leurs intérêts.
Il pourrait découvrir que finalement la demande de monnaie étatique est artificielle, elle n’est suscitée que par l’impôt et la taxe. Car si les banquiers centraux créent de la monnaie à volonté sans problème pourquoi ne pas couvrir les dépenses publiques avec cette même monnaie au lieu de recourir à la taxe ?
Il pourrait alors constater qu’une technologie concurrente est disponible, exempte des vices de la monnaie centralisée qu’on le contraint à utiliser
Il pourrait être tenté d’y venir, donnant ainsi le dernier mot à Taleb : « une monnaie sans gouvernement, quelque chose de nécessaire et d’impératif. »
Donc les banques centrales feront tout pour éviter la fuite hors de leur monopole monétaire. Elles en ont les moyens : la fiscalité, la réglementation, la restriction. Elles ne rencontrent que peu d’opposition puisque les cryptomonnaies n’ont pas de valeur d’usage. Et la faillite de FTX leur ouvre l’opportunité de tuer la concurrence dans l’œuf.
« L’histoire du contrôle gouvernemental exercé sur la monnaie est, à l’exception de quelques périodes heureuses, une histoire de tromperie et de fraude incessante » Friedrich von Hayek, Pour une vraie concurrence de la monnaie
Pendant des millénaires, la « monnaie sans gouvernement » a existé : c’était l’or et l’argent. Comme je l’explique dans mon livre , les politiques monétaires ne servent jamais le peuple. En ayant boudé l’usage des cryptomonnaies, se pourrait-il que le peuple ait raté une opportunité de s’affranchir ? Qui vivra verra mais une crise monétaire majeure couve.