Par Nathalie MP Meyer.
Si rien ne change d’ici là, c’est aujourd’hui lundi 27 avril 2020 que Jean Castex, le « Monsieur Déconfinement » nommé au début du mois par le Premier ministre, doit présenter aux élus locaux le cadre général du plan de déconfinement qui s’appliquera en France à partir du 11 mai. Le cadre seulement, autrement dit les grands principes, car pour ce qui est du plan détaillé, il devrait être dévoilé mardi aux députés par Édouard Philippe en personne :
Il semblerait donc que les membres de l’exécutif aient fini par se mettre d’accord sur une stratégie d’ensemble. Car depuis qu’Emmanuel Macron a lancé la date du 11 mai telle une bouée de sauvetage à des citoyens de plus en plus asphyxiés par l’implacable « restez chez vous » qui fonde le confinement français, on ne compte plus les couacs, recadrages et autres changements de pied du gouvernement. Édouard Philippe avait pourtant prévenu ses ministres : pas question de « réfléchir à voix haute ».
Réfléchissent-ils seulement ? La question se pose tant les impréparations et les atermoiements français devant l’épidémie de Covid-19 se sont révélés criants comparativement à la situation allemande, pour prendre un exemple voisin. Toujours est-il que de Macron aux ministres et des ministres aux grands élus territoriaux, chaque jour passé à « réfléchir » au déconfinement apporte son lot de confusions, voire de contradictions supplémentaires :
- La population sera-t-elle déconfinée plus ou moins rapidement en fonction de l’âge et de l’état de santé des personnes comme l’avait suggéré le Président dans son allocution du 13 avril ou cette approche est-elle inutilement discriminante et anticonstitutionnelle ?
- La reprise scolaire sera-t-elle laissée à l’appréciation des parents ou sera-t-elle obligatoire comme l’avait d’abord affirmé le ministre de l’Éducation ?
- Le port du masque sera-t-il imposé partout ou seulement dans les transports en commun ?
- La territorialisation du déconfinement sera-t-elle régionale, comme le réclament la plupart des Présidents de région ou s’agira-t-il d’appliquer des consignes nationales à des réalités plus locales où les maires (dûment contrôlés par les préfets, ne rêvons pas) auront la main ?
- Quid des tests de dépistage, quid de la réouverture des bars, restaurants, et salles de spectacle, quid des coiffeurs et des commerces ? Etc.
À vrai dire, il en va du confinement comme de l’état d’urgence. Une fois que les pouvoirs publics ont décidé d’y plonger un pays jusqu’au cou pour contrer tel ou tel danger spécifique au prix de l’abandon généralisé de quelques libertés individuelles essentielles, il leur est pratiquement impossible d’imaginer comment en sortir. « Vous rendez-vous compte de la responsabilité s’il y avait un nouvel attentat quinze jours après la fin de l’état d’urgence ? » , disait à l’époque Manuel Valls.
Aujourd’hui, même angoisse, même rengaine implicite : vous rendez-vous compte de la responsabilité s’il l’on devait constater un rebond de l’épidémie quinze jours après la fin du confinement ? À suivre ce raisonnement, l’on ne sortirait jamais des situations d’exception imposées en « temps de guerre ».
Du reste, si l’état d’urgence a été levé, nombre de ses dispositions ont été intégrées dans le droit commun.
Par chance, si j’ose dire, le confinement imposé pour nous protéger des dangereux assauts du coronavirus contre notre santé a été assez rapidement identifié comme étant lui-même un danger tout aussi terrible pour notre survie sociale et économique.
Il est donc question d’en sortir.
On a justement sous les yeux l’exemple de l’Allemagne qui a commencé son déconfinement sous conditions il y a une semaine. Or Angela Merkel a dû lancer récemment un rappel à l’ordre en direction de ses compatriotes, les pressant de respecter les consignes de distance sociale ainsi que le calendrier de retour à la normale afin d’éviter toute nouvelle vague épidémique.
Tout montre donc que l’opération n’a rien de simple, y compris dans les pays les mieux équipés sur le plan médical et où le confinement initial fut loin d’être aussi paralysant et déresponsabilisant qu’en France.
Sans compter que la possibilité de voir la contestation sociale reprendre de plus belle dès que le confinement sera allégé n’est pas sans inquiéter le gouvernement.
Le dossier s’annonce ainsi tellement complexe et il est potentiellement si ravageur pour l’exécutif, qu’on est tout étonné d’apprendre qu’il s’est trouvé un « inconscient » en la personne de Jean Castex pour accepter pratiquement du jour au lendemain d’endosser aux yeux des Français le rôle particulièrement exposé de « Monsieur Déconfinement ».
Aucune « inconscience » là-dedans, me rétorquerait probablement Jean Castex s’il en avait l’occasion, mais le sens du devoir qui fait les grands serviteurs de l’État, ainsi qu’il l’a expliqué lui-même dans un entretien au quotidien régional L’Indépendant :
« Je mesure pleinement la très grande difficulté de cette fonction et je reste humble devant la tâche, mais ma doctrine est que quand mon pays va mal, je ne réfléchis pas, j’y vais. […] J’ai été formé pour être serviteur de l’État donc lorsqu’on m’appelle je me dois d’être présent. »
Et de fait, le parcours de Jean Castex, 55 ans, est essentiellement celui d’un haut fonctionnaire très classiquement formé à Sciences-Po et à l’ENA.
Après un passage à la Cour des comptes et à la préfecture du Vaucluse, il intègre le ministère de la Santé comme Directeur de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (époque Chirac, 2005-2006) puis devient le Directeur de cabinet de Xavier Bertrand lorsque celui-ci passe au ministre du Travail après l’élection de Nicolas Sarkozy (2007-2008).
En 2010, il rejoint l’Élysée, d’abord comme conseiller du Président Sarkozy pour les Affaires sociales en remplacement de Raymond Soubie, puis en tant que secrétaire général adjoint de l’Élysée, fonction qui prend fin en 2012 avec l’élection de François Hollande.
Entretemps, en 2008, il a été élu maire UMP (puis LR) de Prades, commune de 6000 habitants située dans les Pyrénées-Orientales, puis réélu au premier tour en 2014 avec plus de 70 % des suffrages et à nouveau réélu au premier tour en mars dernier avec un score de 75 %. Il est également Conseiller départemental des Pyrénées-Orientales depuis 2015 et Président de la communauté de commune « Conflent Canigo ».
Proche du Premier ministre Édouard Philippe qui vient comme lui de la droite, il retrouve le chemin des fonctions officielles avec l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir. C’est ainsi qu’en 2017, il est nommé délégué interministériel aux JO 2024 de Paris, fonction qui s’élargit en 2018 à celle de délégué interministériel aux grands événements sportifs puis, en 2019, à celle de Président de l’Agence nationale du Sport créée à cette occasion.
Pour résumer, disons que Jean Castex a été le « Monsieur Santé et Hospitalisation » de Xavier Bertrand, le « Monsieur Social » de Nicolas Sarkozy puis le « Monsieur Sports et JO » d’Emmanuel Macron avant de devenir maintenant son « Monsieur Déconfinement ».
Sachant qu’à l’instigation d’Édouard Philippe, il a bien failli être aussi « Monsieur Intérieur » en remplacement de Gérard Collomb et « Monsieur SNCF » en remplacement de Guillaume Pepy, on ne peut que s’extasier devant la totale disponibilité et la remarquable polyvalence dont il fait montre. Pas étonnant que ses amis parlent de couteau suisse à son sujet : non seulement il y va « sans réfléchir » quand l’État en détresse l’appelle mais il semble taillé pour le sortir de tous les mauvais pas.
Nul doute que son expérience de la haute fonction publique conjuguée à ses qualités d’élu de terrain plébiscité par ses administrés et à ses relations politiques cultivées aussi bien à droite qu’à gauche y sont pour beaucoup.
Ajoutez son petit accent du sud-ouest qui contribue à faire oublier son profil d’énarque, et vous avez le « super mec » idéal ( terme de l’urgentiste Patrick Pelloux) pour faire passer le plus harmonieusement possible la pilule du déconfinement dans tous les recoins de la société.
Pour le Premier ministre qui l’a nommé, Jean Castex est avant tout :
« un haut fonctionnaire qui connaît parfaitement le monde de la santé et qui est redoutable d’efficacité ».
Une description basée sur ses capacités administratives qui en dit long sur ce qu’on attend de lui : qu’il mobilise toute la technocratie dans laquelle il évolue depuis toujours pour élaborer un de ces plans millimétrés d’autorisations et d’interdictions dont l’État français a le secret.
Une mission captée cinq sur cinq par l’impétrant :
« J’ai été appelé […] pour prendre en charge une mission technique et administrative et en aucun cas politique et ministérielle. »
Sur le papier, ce sera certainement magnifique.
Dans la pratique, il est à craindre que les Français, à nouveau infantilisés et déresponsabilisés, soient une fois de plus les grands exclus de décisions qui les concernent au premier chef. Une situation délétère qui s’auto-alimente en continu puisque tous, particuliers, commerçants, entrepreneurs, en sont à attendre sagement que l’État leur dicte les consignes du déconfinement.