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      Après le passé de l’URSS, voici celui de la Food and Agriculture Organization

      Carl-Stéphane Huot · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 15 December, 2022 - 03:30 · 4 minutes

    L’actuelle demande d’une plus grande protection de la biodiversité via la protection des forêts mondiales à la COP15 de Montréal (décembre 2022) repose sur une falsification importante des données sur les forêts mondiales . Voici l’histoire.

    C’est la Food and Agriculture Organization des Nations Unies (FAO) qui s’occupe à intervalle plus ou moins régulier de prélever et mettre en forme lisible les statistiques sur la superficie que les forêts occupent dans le monde. La première édition date de 1948 et la dernière de 2020. Le résultat peut être lu ici .

    Des données publiques falsifiées

    J’ai repris les différentes éditions du Global forest ressources assessment de la FAO. En ne lisant que la valeur « courante » -celle de l’année de publication- on peut lire d’abord une baisse de 1948 à 1990, la superficie des forêts du monde passant de 40 à 34 millions de km 2 . Par la suite une croissance intéressante  est survenue, amenant une mesure de 41 millions de km² en 2020, au moins égale sinon légèrement supérieure à la valeur de 1948. Déjà là nous avons un premier problème : où est la déforestation massive que se plaisent à dénoncer les groupes environnementalistes depuis des années?

    Si l’on lit un peu plus, on peut s’apercevoir qu’à partir de 1990  à peu près la FAO augmente sensiblement et systématiquement les valeurs passées, ce qui fait apparaître une baisse continue de la superficie des forêts et une disparition assumée des écosystèmes. La valeur de 1990 a été revue à la hausse  à chaque édition successive depuis. De 34 millions de km² en 1990, on est passé à 36 millions en 1995, à 40 millions en 2000, à 41 millions en 2005, et à 42 millions en 2010 et 2020. Pour une différence après 30 ans de « plus » de 7 millions de km². Cela permet donc, par comparaison, oh surprise !, de faire apparaître une baisse de deux millions de km² entre 1990 et 2020 et aux environnementalistes de crier à la déforestation continue.

    Rendu là, on peut quand même éliminer un argument, celui du délai de transmission des données. En effet, les données sur l’agriculture prennent environ trois ans avant d’être (à peu près) complètement transmises par les pays à la FAO. Il est donc possible qu’il y ait une certaine différence entre deux éditions pour cette raison. Il est possible qu’il y ait des erreurs de frappe ou que l’utilisation d’une meilleure méthode permettent de faire apparaître un meilleur estimé des données sylvicoles. Mais cette correction dépasse largement cela. Après 30 ans, il s’agit ni plus ni moins que d’une entreprise de falsification systématique des données publiques.

    On peut y ajouter tout ce qui est dépensé par les gouvernements pour améliorer la qualité de l’air et de l’eau, sans compter toutes les restrictions gouvernementales via les lois et règlements, sous la pression des environnementalistes.

    Je ne vois donc que deux alternatives : ou les actions des gouvernements en environnement sont complètement sans effet, ou la baisse de biodiversité n’est que du gros n’importe quoi.

    Les problèmes qui en découlent sont nombreux

    On peut s’en douter. Et ils dépassent largement le cadre de la FAO.

    Mentionnons-en quelques-uns :

    Ces données nous appartiennent, à vous et à moi en premier lieu. Nous payons des gens par nos taxes pour mesurer ici la superficie des forêts en plus d’évaluer les proportions des différentes espèces et le pourcentage d’arbres morts par exemple. Quelles que soient les valeurs obtenues et la précision (même relative) de celles-ci, nous devons exiger qu’elles soient conservées. Cela permet entre autres de juger de l’efficacité des politiques pour améliorer la situation, quitte à en abandonner certaines si le rapport coût-bénéfice n’est pas au rendez-vous.

    La conservation des données participe aussi à la reddition de compte que nos gouvernements nous doivent. Si celle-ci n’est pas satisfaisante elle doit être prise en considération lors du choix périodique de nos représentants élus.

    Cela finit par semer le doute dans la population sur les intentions réelles de nos gouvernements, sans compter leur capacité à résoudre un problème quel qu’il soit. Ce n’est pas en truquant les données que les gouvernements vont nous prouver leur sérieux.

    On a beaucoup parlé des conspirationnistes durant la crise liée au covid. Ce genre de falsification entraîne probablement à chaque fois une hausse de leur nombre, rendant le débat public tout de même un peu plus difficile chaque fois. Certes les gouvernements peuvent à bon droit se réjouir de la hausse de leur nombre car cela complexifie la reddition de compte.

    En effet, plus les conspirationnistes sont sous le feu de la ramp, moins ils ont à rendre de comptes. Il suffit de balayer toute question, même sérieuse et bien étayée en l’accusant d’émaner de la mouvance conspirationniste.

    Cela a pour effet de focaliser l’attention sur certains problèmes au détriment d’autres qui seraient possiblement plus pressants au gré de l’agenda politique de certains. Il serait bien de pouvoir définir un certain nombre de problèmes, de leur assigner un niveau de préoccupation réaliste et de débattre des méthodes de résolution voire des montants que l’on peut réellement y consacrer. Au lieu de cela, certains peuvent s’immiscer dans le débat politique sans être élus, ni être redevables et imposer leurs vues -même clairement fausses- sans tenir compte du reste.

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      « Due Dilligence » : un pas de côté pour la sécurité alimentaire en Europe

      Alex Korbel · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 9 December, 2022 - 03:50 · 8 minutes

    Un nouveau règlement européen est sur le point de rendre les prix des aliments de base plus chers pour les consommateurs européens en soumettant les aliments importés à des barrières non tarifaires.

    L’UE craint que nombre de ses pays membres ne respectent pas les exigences de durabilité pour leurs produits agricoles et qu’ils doivent donc être soumis à des restrictions supplémentaires sur les importations. En Europe, l’alimentation est une source de fierté et d’identité nationales. Il n’est donc pas surprenant que l’UE travaille sans relâche pour s’assurer que les aliments qu’elle importe sont sûrs, durables et socialement responsables.

    Mais cette nouvelle réglementation de « vérification diligente » ou due dilligence en anglais ne pouvait pas arriver au pire moment. La guerre en Ukraine a eu de nombreuses répercussions sur la sécurité alimentaire de l’Europe. L’invasion russe a perturbé les routes commerciales, endommagé les infrastructures et créé un environnement défavorable à la production agricole.

    En effet, les combats ont forcé de nombreux agriculteurs à abandonner leurs cultures et leur bétail. Ils ont également entraîné une pénurie de main-d’œuvre et une augmentation des prix des intrants tels que le carburant, les engrais et la réparation des équipements.

    Toutefois, selon le vice-président de l’exécutif européen, cette crainte n’est pas fondée.

    « Certaines personnes prétendent qu’il y a un risque de pénurie alimentaire dans l’UE, ce qui n’est pas le cas », a-t-il déclaré lors d’une réunion de la commission de l’environnement du Parlement européen (ENVI) le jeudi 28 avril, ajoutant que faire peur aux gens en leur faisant croire qu’il pourrait y avoir des problèmes de sécurité alimentaire en Europe est « irresponsable et incroyablement malhonnête ».

    Si M. Timmermans a reconnu que la guerre en Ukraine avait provoqué de graves perturbations sur les marchés du blé et du maïs, il a ajouté qu’il s’agissait d’un « problème logistique et financier, et non d’un problème de disponibilité alimentaire ».

    C’était en avril. En octobre, l’inflation alimentaire dans l’UE a atteint le niveau record de 17,3 %. En novembre, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a déclaré avant le sommet du G20 que l’accord autorisant les exportations de céréales ukrainiennes était essentiel pour la sécurité alimentaire mondiale. Il a ajouté qu’il fallait agir de toute urgence pour éviter la famine et la faim dans un nombre croissant d’endroits dans le monde.

    L’Ukraine fournit normalement près de la moitié des céréales (52 % des importations de maïs de l’UE) et des huiles végétales et de colza (respectivement 23 % et 72 % des importations de l’UE), et un quart de la viande de volaille importée en Europe. La Russie est un grand exportateur mondial d’engrais, d’huiles végétales, de blé et d’orge. Les deux pays représentent ensemble plus de 30 % des exportations mondiales de blé et près de 30 % des exportations d’orge.

    L’approvisionnement en huile de tournesol de l’UE est critique. L’industrie alimentaire européenne et mondiale se dispute les approvisionnements et il sera difficile, voire impossible, de remplacer à court terme les quelque 200 000 tonnes par mois normalement importées d’Ukraine dans l’UE. L’huile de tournesol qui était destinée au biodiesel est maintenant redirigée vers le marché alimentaire.

    Le dernier avertissement en date émane de l’industrie de la confiserie, qui commence à manquer de lécithine de tournesol, un émulsifiant essentiel pour ses produits. Les secteurs de la restauration et des services alimentaires ont également souvent recours à l’huile de tournesol pour la cuisson et la friture des repas. L’incertitude quant à l’approvisionnement en huile de tournesol fait également grimper le prix de ses alternatives, telles que l’huile de colza, de palme et de soja.

    Due Dilligence, l’infirmité par choix ?

    En pleine guerre, cependant, et avec son projet de directive de « vérification diligente » , l’Union européenne a décidé de se compliquer la tâche en introduisant des barrières non tarifaires pour les importations d’huiles alternatives.

    Le règlement obligera les entreprises à divulguer la manière dont elles évaluent les pratiques sociales et environnementales de leurs fournisseurs. Elles devront également divulguer les mesures qu’elles prennent pour remédier aux violations constatées.

    Dans le même temps, elle propose un règlement sur la déforestation couvrant une série de denrées alimentaires et d’autres produits de base – dont l’huile végétale – qui imposera des exigences de traçabilité sans précédent, même aux plus petits agriculteurs des pays en développement.

    Ce règlement s’inscrit dans le cadre d’un effort plus large de l’Union européenne pour encourager la durabilité dans sa chaîne d’approvisionnement, mais il portera préjudice aux producteurs étrangers comme aux consommateurs européens.

    Ces exigences risquent d’être difficiles à satisfaire pour les petits producteurs d’huile des pays en développement qui ne disposent pas des ressources financières ou de l’expertise nécessaires pour répondre à ces demandes. Cela pourrait entraîner une perturbation des chaînes d’approvisionnement et une hausse des prix pour les consommateurs européens.

    Cette démarche intervient en dépit des engagements pris par l’Union européenne lors des négociations sur le changement climatique qui se sont tenues à Copenhague en 2009, engagements qui prévoyaient un soutien accru aux pratiques de production durable par la reconnaissance d’autres systèmes de certification. Cette décision va également à l’encontre des appels lancés par les scientifiques qui n’ont cessé de mettre en garde contre les dangers liés à la déforestation causée principalement par des pratiques non durables.

    La Commission affirme que cette mesure est nécessaire afin de « prévenir tout dommage environnemental causé par la déforestation ». Mais en réalité, elle ne fera qu’accroître les problèmes pour les deux parties – et elle pourrait potentiellement conduire à davantage de déforestation et de dégradation de l’environnement.

    Bien plus qu’une question commerciale

    Le problème est que l’UE tente de modifier ses relations commerciales avec des pays tiers comme l’Indonésie et la Malaisie sans chercher à travailler avec eux au préalable. Elle devrait plutôt reconnaître d’autres systèmes de certification comme l’ISPO (Indonesian Sustainable Palm Oil) avant de formuler des exigences et d’imposer de nouvelles règles unilatérales fondées sur des préjugés européens. De cette façon, les entreprises n’auront pas à supporter des coûts supplémentaires et les consommateurs n’auront pas à payer plus cher pour leurs aliments.

    La reconnaissance d’autres systèmes de certification, déjà mis en place par des pays comme la Norvège et la Suisse, présente de nombreux avantages. Sur le plan diplomatique, l’acceptation de la certification ISPO envoie le signal que Bruxelles est disposée à travailler et à maintenir des partenariats avec les pays de l’ASEAN et d’autres nations en développement qui exportent des produits de base essentiels.

    En ce qui concerne l’environnement et l’économie, l’huile de palme reste l’une des bases les plus propres et les plus efficaces pour les biocarburants et la norme ISPO est le plus grand système de certification de l’huile de palme au monde, couvrant 5,45 millions d’hectares (ce qui est quatre fois plus grand que le plus important système de certification du soja au monde).

    Force est de constater que la norme ISPO semble aussi robuste que détaillée : elle contient des incitations financières pour les producteurs de toutes tailles et est pilotée par 141 indicateurs qui en font l’un des systèmes de certification les plus complets au monde. La reconnaissance de la certification garantirait aux petits producteurs indonésiens l’accès aux marchés européens sans coûts supplémentaires ni retards dans les processus de certification.

    Non seulement cela réduirait la lourdeur bureaucratique qui entrave le commerce entre les pays, mais cela contribuerait à garantir la sécurité alimentaire au-delà des frontières, à accroître la transparence des normes de qualité des produits et à rationaliser les processus commerciaux internationaux en permettant aux entreprises de différents pays d’opérer selon une seule norme plutôt que plusieurs.

    D’une certaine manière, il n’est pas exagéré de dire que le libre-échange permet un meilleur partage des ressources, et donc une croissance plus durable de l’approvisionnement alimentaire mondial. Essayons donc de prendre la meilleure décision pour tout le monde, pas seulement pour nous-mêmes.

    L’huile de palme ayant comblé le vide laissé par le tournesol sur le marché, l’UE doit considérer qu’il s’agit d’une question cruciale de sécurité alimentaire.

    Le directive déforestation peut faire partie de la solution, à condition d’essayer de travailler avec les pays exportateurs, au lieu de se contenter de leur faire la morale comme l’Europe l’a trop souvent fait par le passé.

    Il existe de nombreux moyens pour l’UE d’atteindre ses objectifs en travaillant avec les pays tiers plutôt que contre eux – notamment la reconnaissance mutuelle des normes de durabilité. L’huile de palme n’est pas le seul produit de base concerné, mais c’est le plus médiatisé et aborder le sujet de la certification en profondeur serait un début très positif.

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      Régulation déforestation : l’arbre qui cache la forêt

      Alex Korbel · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 29 November, 2022 - 03:40 · 11 minutes

    La couverture médiatique du G20 a été dominée par des sujets brûlants comme l’ Ukraine et Taïwan . Mais une initiative intéressante est passée presque inaperçue : les plus grandes nations tropicales ont formé une triple alliance pour sauver leurs forêts.

    Les trois nations abritant l’essentiel des forêts tropicales du globe, le Brésil, la République démocratique du Congo et l’Indonésie , qui représentent à elles trois 52 % de la forêt tropicale de la planète, ont officiellement lancé, lundi 14 novembre, un partenariat visant à coopérer à la préservation des forêts après une décennie de pourparlers.

    Dans cet accord, l’alliance indique que les pays devraient être incités à réduire la déforestation et à préserver leur biodiversité. Bien que cette annonce soit prometteuse, nous verrons comment celle-ci se traduit dans les actes.

    L’Union européenne contre la déforestation

    Plus près de nous, Bruxelles s’emploie également à sauver les forêts tropicales mais son effort réglementaire méticuleux semble avoir un effet inverse : la proposition de règlement de l’Union européenne (UE) sur la déforestation est un pas dans la bonne direction mais son enjambée est trop courte. À moins qu’il s’agisse plutôt de plusieurs pas dans une direction qui pourrait tout simplement ne pas être la meilleure.

    Commençons par mettre au clair certains faits concernant la déforestation.

    Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le taux de déforestation entre 2010 et 2020 était inférieur de 40 % à celui de 1990-2000. Malgré des reculs occasionnels, la déforestation mondiale continuant à diminuer, la déforestation nette mondiale deviendra très probablement la norme dans les prochaines décennies.

    Il n’en reste pas moins qu’à l’échelle mondiale, le monde continue de perdre des zones forestières. Chaque année, nous déboisons environ dix millions d’hectares de forêt dans le monde. Cela représente une superficie équivalente à celle du Portugal. La moitié environ de cette déforestation est compensée par la repousse des forêts, de sorte que nous perdons globalement environ cinq millions d’hectares chaque année. La quasi-totalité (95 %) de cette déforestation se produit sous les tropiques.

    La deuxième partie tant attendue de la COP15 en décembre prochain, qui est la suite de la conférence des Nations Unies sur la biodiversité d’octobre 2021, a mis le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne sous pression pour finaliser le projet de règlement sur la déforestation qui avait été annoncé pour la première fois le 17 novembre 2021.

    Pour résumer, la nouvelle réglementation rendrait obligatoire pour toute entreprise vendant des biens dans l’Union européenne de vérifier que ces biens n’ont pas été produits sur des terres déboisées ou dégradées.

    En d’autres termes, le règlement vise à interdire l’utilisation de certains produits de base associés à la déforestation à l’échelle internationale.

    La Commission européenne avait initialement proposé six produits de base qui, ainsi que leurs produits dérivés, seraient concernés par le règlement : bois, huile de palme, bétail, café, soja et cacao. Le Conseil de l’Union s’est rangé à l’avis de la Commission. Mais le Parlement veut aller plus loin en ajoutant le maïs, le caoutchouc, la volaille, le porc, la viande de chèvre et le charbon de bois.

    Bien entendu, tout élargissement de la liste des produits de base entraînera l’inclusion directe ou indirecte de beaucoup plus d’industries dans les dispositions du règlement. Déjà dans sa version initiale, le champ d’application s’étend à divers secteurs tels que l’alimentation, l’habillement, la chimie, la pharmacie et les cosmétiques ainsi que les énergies renouvelables.

    Plus inquiétant : il n’y a eu jusqu’à présent qu’un accord limité sur la définition de la déforestation et de la dégradation des forêts dans les trilogues, cette dernière expression n’étant pas reconnue au niveau international et donc controversée. De nombreux pays nordiques sont particulièrement préoccupés par la volonté du Parlement d’inclure la conversion d’une forêt en une forêt de plantation dans la définition de la déforestation car les forêts de plantation jouent un rôle important dans leurs économies et toute tentative de classer une forêt de plantation comme contribuant à la déforestation aurait un impact particulièrement important pour ces États membres.

    Les trois institutions (Parlement, Commission et Conseil) sont toutefois d’accord pour obliger à ce que les entreprises fournissent l’emplacement exact de la parcelle de terrain d’où elles s’approvisionnent en marchandises, bien que les représentants de l’industrie européenne continuent d’être fortement préoccupés par ces exigences au motif que cette information serait trop difficile à obtenir.

    En ce qui concerne les sanctions, le Conseil et la Commission sont favorables à une amende d’au moins 4 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise ou de l’opérateur dans l’État membre concerné, tandis que les députés européens veulent porter cette amende à au moins 8 % des revenus annuels d’une entreprise dans l’UE tout entière.

    Comme vous pouvez commencer à le comprendre, bien que bien intentionnée, la lutte de l’Union européenne contre la déforestation revient à essayer d’utiliser un chalutier pour pêcher des têtards épars, sans savoir exactement comment définir ce qu’est un têtard et sans penser à l’impact du chalut sur l’environnement.

    Une coordination nécessaire

    La déforestation étant réelle et constituant une externalité négative, il est judicieux d’essayer d’y remédier en internalisant son coût. Les produits que nous consommons en Europe devraient être soumis à des normes élevées en matière de durabilité.

    Mais au lieu d’essayer d’imposer des barrières non tarifaires aux produits importés, l’UE pourrait travailler avec les pays d’Amérique du Sud, d’Afrique et d’Asie du Sud-Est à la reconnaissance mutuelle de certaines de leurs meilleures normes afin que leurs efforts en matière de durabilité puissent être acceptés par la législation européenne.

    Pour l’UE, la reconnaissance d’autres systèmes de certification présente de nombreux avantages.

    Si l’on prend l’exemple de l’huile de palme, en 2021, l’UE a importé pour 6,3 milliards d’euros d’huile de palme et de produits à base d’huile de palme, la plupart utilisés pour les biocarburants. L’Indonésie et la Malaisie représentaient respectivement 44,6 % et 25,2 % de ces importations.

    La norme ISPO (Indonesian Sustainable Palm Oil) est le système de certification de l’Indonésie lancé en 2009 pour encourager les plantations de palmiers à huile à rendre leurs activités plus durables. La certification ISPO est obligatoire pour les entreprises d’huile de palme opérant en Indonésie, contrairement aux certifications volontaires disponibles auprès de l’organisme de réglementation pionnier du secteur, la Table ronde sur l’huile de palme durable (RSPO).

    En termes de certification, force est de constater que l’ISPO est assez complète : elle vise à minimiser ou à atténuer les impacts négatifs de la production d’huile de palme sur l’environnement et les communautés.

    Elle exige des producteurs de :

    • veiller à ce que leur chaîne d’approvisionnement soit exempte de déforestation, de développement des tourbières ou d’exploitation des travailleurs ;
    • préserver les zones de conservation ;
    • minimiser les perturbations de l’habitat de la faune et de la flore sauvages ;
    • réduire les émissions de gaz à effet de serre ;
    • adopter les meilleures pratiques en matière de biodiversité ;
    • protéger les ressources en eau ;
    • respecter les coutumes et les traditions locales ;
    • maintenir de bonnes pratiques d’utilisation des terres ;
    • protéger les droits des travailleurs ;
    • se conformer aux lois nationales relatives à l’acquisition de terres et aux compensations en cas de relocalisation.

    En outre, la norme ISPO offre la possibilité à 2,6 millions de petits exploitants en Indonésie d’être certifiés selon cette norme nationale qui aide le pays à atteindre ses objectifs de développement durable. Les zones certifiées ISPO produisent près de 40 % de l’huile de palme mondiale.

    L’acceptation de la certification ISPO par l’UE serait une bonne chose pour les importateurs européens d’huile de palme car elle leur offrirait davantage d’options, créant ainsi un marché concurrentiel capable de répondre à la demande tout en maintenant des prix bas. En effet, la multiplication des systèmes de certification favorise un environnement plus propice à l’innovation dans le secteur. Au final, la reconnaissance mutuelle éviterait des coûts supplémentaires pour les entreprises et des hausses de prix pour les consommateurs.

    La racine du problème

    Au cours de l’été 2019, plusieurs grands incendies ont éclaté dans la forêt tropicale amazonienne.

    La forêt tropicale sert de piège à dioxyde de carbone géant, retirant le CO 2 de l’air et le transformant en ressource naturelle mondiale. Mais la forêt tropicale est menacée par la déforestation par brûlis pour l’exploitation forestière et l’agriculture. Non seulement la déforestation par brûlis réduit l’étendue de ce piège à CO 2 mais elle augmente elle-même les émissions de dioxyde de carbone. Elle déclenche également des feux de forêt et serait à l’origine des incendies de 2019.

    Emmanuel Macron a plaidé en faveur d’une stratégie coercitive. Il a menacé d’opposer son veto à un accord commercial entre la France et le Brésil (et plusieurs autres nations) si les incendies n’étaient pas stoppés.

    Mais est-il éthique de menacer les pays pauvres (le PIB par habitant du Brésil représente un quart de celui de la France) de sanctions économiques s’ils ne cessent pas de nuire à l’environnement dans leur quête de meilleures conditions socio-économiques ? N’oubliez pas que les pays développés qui profèrent ces menaces ont bâti leur richesse en partie grâce à l’utilisation massive de combustibles fossiles.

    Et qu’en est-il de l’efficacité de cette méthode coercitive ? Bien sûr, la France est un partenaire commercial important mais elle n’est guère le seul partenaire potentiel. La Chine ne semble pas préoccupée par la déforestation du Brésil et pourrait simplement remplacer la France en tant que partenaire commercial.

    Ce qui peut être dit pour le Brésil peut l’être pour d’autres pays et régions. Que l’approche soit bilatérale ou régionale, les négociations commerciales de l’UE avec les pays d’Asie du Sud-Est par exemple ont été un test de patience diplomatique.

    A contrario, les pays d’Asie du Sud-Est les plus ouverts et pragmatiques ont signé au moins vingt accords de libre-échange, y compris des accords réputés impossibles à signer comme ceux conclus avec la Chine, le Conseil de coopération du Golfe (CCG) et l’Accord de partenariat transpacifique (CPTPP), cela en se concentrant strictement sur ce qui est véritablement réalisable.

    À l’inverse, l’Europe est en quête de grandes avancées et tente de changer une zone Asie-Pacifique – l’espace au centre du commerce mondial – que les décideurs politiques n’ont pas toujours eu la curiosité ou la patience de comprendre. À cet égard, l’Europe reste une idéaliste, une romantique, partant souvent à la conquête de l’impossible.

    Quid de l’impact social ?

    Il ne s’agit pas seulement d’économie ou de diplomatie.

    De nombreux produits de base comme le café, le cacao et l’huile de palme sont cultivés par de petits exploitants. Le règlement européen sur la déforestation pourrait les exclure complètement des chaînes d’approvisionnement mondiales car ils n’ont pas les moyens de satisfaire aux exigences coûteuses de l’UE en matière de traçabilité.

    Cette hypothèse n’en est même plus vraiment une. Par exemple, Unilever a fixé des conditions similaires à celles contenues dans la réglementation déforestation à ses chaînes d’approvisionnement et a admis qu’elle avait ainsi exclu les petits exploitants, avec des conséquences socio-économiques négatives. Désormais, toutes les entreprises pourraient être contraintes de faire de même.

    Il s’agit d’un impact social négatif massif pour des millions de familles en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Et ce serait le résultat indirect de ce texte européen. Pourquoi cela n’a-t-il pas été pris en compte ? Pourquoi ne pas créer des exemptions ? Les opportunités économiques sont l’élément le plus important pour réduire le niveau de pauvreté et ces produits de base sont une source majeure de croissance pour les populations pauvres du monde entier. Rien qu’en Indonésie, plus de quatre millions de familles gagnent leur vie grâce à la culture de l’huile de palme, par exemple.

    Conclusion

    La politique climatique actuelle est paradoxalement marquée par une grande insularité : la plupart des pays se concentrent sur leurs propres émissions de carbone plutôt que sur les émissions mondiales.

    S’il est louable d’essayer d’internaliser toutes les externalités négatives, cela n’empêcherait pas la déforestation de se poursuivre car les pays producteurs fautifs se tourneraient vers des pays consommateurs moins exigeants.

    Au lieu de fermer sa porte et de perdre ainsi son influence, il serait préférable que l’UE poursuive sa démarche vertueuse en reconnaissant les efforts et les normes qui vont résolument dans la bonne direction.

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      Mathias Poujol-Rost ✅ · Thursday, 3 February, 2022 - 06:03

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    Amazonie en danger : “L’agro-industrie, l’un des principaux responsables de la déforestation” – João Ramos