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      Comment réveiller la démocratie ?

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Wednesday, 26 October, 2022 - 11:18 · 18 minutes

    Alors que le gouvernement tente de passer en force son budget à l’aide de l’article 49-3, l’opposition parlementaire a répondu par plusieurs motions de censure, qui « n’avaient a priori aucune chance d’être adoptées » . Face à une telle asymétrie, comment réveiller la démocratie ? C’est notamment le titre d’un ouvrage dirigé par Nicolas Dufrêne, Matthieu Caron et Benjamin Morel, qui donne la parole à des économistes, politologues et journalistes afin de réfléchir, proposer, et étudier les possibilités d’un renouveau démocratique. Entretien réalisé par Aitana Pérez et Albane Le Cabec.

    LVSL – Le contexte actuel est marqué par certaines tensions démocratiques : les Français sont de plus en plus nombreux à bouder les urnes mais ils sont aussi de plus en plus nombreux à réinventer les formes de mobilisations – les gilets jaunes ayant constitué une mobilisation exemplaire de ce point de vue – et réclamer plus de démocratie – avec la proposition du RIC par exemple. Avec ce livre, souhaitiez-vous éclairer le débat, nourrir les aspirations des Français de revendications concrètes ?

    Nicolas Dufrêne – La démocratie est fragilisée par l’abstention et la montée des vieux démons – l’extrême droite et ce que Léon Poliakov appelait la causalité diabolique, c’est-à-dire le fait de désigner des boucs émissaires. Elle est fragilisée également par l’absence de tuyaux qui permettraient un contrôle citoyen de la politique ou une participation directe. En conséquence, les citoyens perdent le contact démocratique et l’envie de s’intéresser à la démocratie. Or il n’y a pas de République sans républicains. Lorsque ceux-ci s’en détournent, elle ne peut qu’être dégradée. Avec cet ouvrage, nous voulions proposer aux citoyens des débouchés concrets à cette crise démocratique sans verser dans une prise de position excessive car nous ne vivons pas en dictature.

    Matthieu Caron – Le débat public est extrêmement dégradé. D’une part, ce qu’on appelle la démocratie juridique va très bien : nous vivons dans un grand État de droit, même si certaines libertés publiques ont pu être fragilisées ces dernières années. Mais d’autre part, la démocratie politique est très fatiguée à cause de l’arrivée des chaines d’information en continue et des réseaux sociaux, qui ont participé à appauvrir le débat public. Au contraire, ces technologies favorisent les fake news , l’ère du complotisme et le tout-émotionnel. Nous avons voulu sortir du tout-émotionnel pour prendre de la hauteur. En formulant des solutions concrètes, nous espérons revenir à des postures saines et sortir des clivages idéologiques stériles.

    Benjamin Morel – Je rajouterais que la crise de la démocratie est à la fois structurelle et conjoncturelle. Malgré des différences sociales et des systèmes politiques distincts, toutes les grandes démocraties occidentales vont mal ; les dernières élections en Suède nous montrent que même le modèle scandinave – sur lequel on s’est extasié pendant longtemps – est lui aussi entré en crise.

    Le sentiment général de beaucoup de gens est qu’ils n’ont pas la capacité d’agir sur les grandes décisions et, qu’en retour, le politique ne peut rien non plus. Devant cette situation sans issue, les citoyens ont généralement deux réactions. D’abord le repli sur soi et l’abstention ; les citoyens pensent que si le politique ne peut rien pour eux, alors la seule solution est de protéger sa petite tribu. Cette réaction est amplifiée par la croyance selon laquelle les problèmes économiques et sociaux d’aujourd’hui seraient trop complexes et que seul un régime technocratique est de taille face aux enjeux de nos sociétés. La deuxième réaction possible est le désir de « faire péter le système ». Mais sans désir de changer les institutions politiques, ces citoyens désœuvrés se tournent vers celui ou celle qui se présente comme un Bonaparte, promettant de faire tomber à lui seul le système. Carl Schmidt, en bon critique de la démocratie, expliquait très bien ce mécanisme : un homme qui incarnerait cette capacité à agir sur le réel aurait toujours un avantage en cas de crise du politique.

    Proposer des solutions concrètes permet justement d’éviter cette disjonction funeste. Mais ne soyons pas dupes, si les institutions sont un outil pour sortir de la crise, elles ne font pas de bonnes thématiques de campagne. Ces thématiques ne convainquent pas encore dans le champ électoral. C’est pourquoi nous cherchons davantage à réengager les citoyens avec ces propositions .

    LVSL – Depuis 2017, et l’élection d’Emmanuel Macron, la volonté de l’exécutif de légiférer toujours plus efficacement et rapidement, notamment par un recours accru aux ordonnances, a accentué les craintes relatives à un affaiblissement du Parlement, qui serait dessaisi de sa fonction législative. Comment revaloriser le rôle du Parlement et des parlementaires ?

    B. M. – La soumission politique du Parlement français est son principal problème. Son mode de scrutin, mais aussi sa faible autonomie d’expertise est en cause. Le manque de moyen du Parlement est criant : le coût d’un collaborateur en France est trois fois moins élevé en France qu’en Allemagne ; de sept par rapport aux États-Unis – ce qui les empêche de construire un contre-projet.

    Toutefois les ressources ne sont pas seulement en jeu concernant le travail parlementaire. On donne aux parlementaires une tâche impossible : palier par l’abondance de lois, des problèmes qui ne relèvent justement pas de la rédaction de la loi. Pour comprendre l’enjeu des ressources, il suffit de considérer le problème de la sécurité publique : celui-ci ne peut être réglé qu’avec plus d’argent, de policiers, de juges, de coûts de force diplomatique avec les pays exportateurs de drogue, mais non en passant de nouvelles lois. Le problème de la sécurité publique n’est pas législatif, les lois qui sont passées pour le résoudre servent essentiellement à satisfaire un électorat.

    C’est de cette façon qu’on alimente le phénomène communément appelé « inflation législative ». Or cela participe à délégitimer l’action du Parlement et favorise l’arbitraire, car ces lois ambiguës sont ensuite interprétées par des juges dont le pouvoir est de fait étendu, alors qu’ils ne sont pas élus par le peuple.

    M. C. – Guy Carcassonne disait que « ce qu’il manque au Parlement, ce ne sont pas des droits mais des parlementaires pour les exercer ». Le Parlement a de nombreux pouvoirs, mais les parlementaires ne les exercent pas de crainte notamment de la dissolution. Et il faut dire que le Président porte peu d’estime au travail des parlementaires. Si l’on peut légiférer à coups de 49-3 pour résoudre une crise, il n’est pas acceptable ni légitime d’utiliser cet instrument pour réformer le marché du travail ou les retraites.

    Il faudrait que le Président entre dans une logique de co-construction avec le Parlement en évitant d’avoir recours à ce type d’instrument lorsqu’il rencontre une opposition ou en acceptant les propositions du Parlement.  Renforcer les rôles du Parlement ne nécessite pas de réformer la constitution comme on l’entend souvent. Commençons par respecter et valoriser le Parlement par une autre pratique politique de la Constitution.

    LVSL – Les événements politiques de ces dernières années ont montré que les Français aspirent à plus de démocratie participative et directe. Vous alertez également sur les risques de « consultation washing », sorte d’ersatz de la démocratie participative. Qu’est-ce que la démocratie participative et directe et qu’est-ce qu’elle n’est pas ?

    B. M. – Tout d’abord j’aimerais définir ces deux concepts, souvent utilisés de manière interchangeable alors qu’ils ne renvoient pas exactement aux mêmes revendications. La démocratie participative c’est chercher à consulter les citoyens, à les intégrer dans le processus de décision, en soit en consultant les citoyens qui veulent entrer en dialogue, grâce à des consultations citoyennes ou le droit d’amendement, soit en recourant au tirage au sort par exemple.

    La démocratie directe consiste plutôt à ne pas déléguer la formulation de la volonté générale aux représentants et s’ancre dans les traditions rousseauistes et celles des Montagnards. Elle repose sur l’idée que les représentants ne peuvent pas connaître la volonté générale, ils peuvent seulement la deviner ; c’est pourquoi il faut des outils d’expression directe pour que les citoyens puissent corriger leurs représentants lorsqu’ils ont mal interprété leur volonté.

    Notre ouvrage étudie les façons de faire de la démocratie participative et directe, en étudiant les avantages et les inconvénients de chacune d’entre elles et en formulant des propositions concrètes qui permettent d’éviter leurs écueils. Par exemple, les consultations citoyennes ne permettent d’inclure qu’un échantillon restreint de la population, peu représentatif de son ensemble, puisqu’y participeront ceux qui sont déjà politisés. C’est pourquoi le modèle a ses limites et peut être caricaturé à la façon des conventions citoyennes organisées par Macron pendant son premier mandat. De l’autre côté, le tirage au sort permet un meilleur brassage de la population mais il faut bien avoir en tête que les citoyens non-politisés se politiseront auprès d’experts, ce qui suppose qu’un cadre de formation des citoyens et de délibération soit pensé pour favoriser l’expression citoyenne la plus éclairée possible.

    Mais je tiens à dissiper d’entrée de jeu des peurs infondées. Nous craignons souvent que le peuple choisisse mal, qu’il soit populiste. Or les nombreuses expérimentations de démocratie directe dans certains États américains, ou certains de nos voisins européens, montrent que non seulement ces initiatives sont techniquement et juridiquement possibles à mettre en place, mais aussi que l’avortement n’a jamais été interdit ni la peine de mort rétablie par référendum. La raison en est que les citoyens s’informent et se politisent lorsqu’ils sont consultés. L’exemple du référendum de 2005 est assez significatif, il n’aurait pas constitué un aussi grand traumatisme démocratique si les citoyens ne s’étaient pas instruits dans le but de formuler un choix éclairé : les gens ont lu et écouté les politiques et les universitaires pour préparer leur vote. Il faut se souvenir que l’école forme à la politique mais que la politique forme le citoyen, faisons donc confiance aux citoyens.

    N. D. – Il faut des instruments plus fréquents de consultation des citoyens par l’usage des référendums d’initiative populaire, et assurer les conditions d’une expression populaire informée en communiquant suffisamment pour impliquer les citoyens autrement que de façon ponctuelle, et/ou sous l’initiative des politiques.

    La proposition d’amendement citoyen de Beverley Toudic va dans ce sens, car ce droit permettrait à des citoyens de proposer un amendement et, s’ils obtiennent plus de 100 000 soutiens, ils verraient leur texte étudié par l’Assemblée nationale et participeraient de fait au processus législatif.

    Cette proposition aurait une vertu démocratique majeure : il serait difficile pour la majorité de traiter sous la jambe un amendement issu directement de l’expression populaire.

    Pour revenir à la question du « consultation washing », il n’y a rien de pire pour la démocratie que de faire semblant d’associer des citoyens à une décision sans que cela ne se reflète dans les faits, comme nous l’avons vu avec la Convention citoyenne pour le climat. Cela a pour effet de tenir la parole des citoyens – la seule légitime pourtant – comme suspecte, ou peu légitime tant qu’elle n’est pas corrigée par celle des experts. En 2005, le peuple a refusé un projet de traité par référendum et ce choix n’a pas été respecté. Les gouvernants peuvent penser que le peuple s’est trompé, mais ils ne peuvent pas bafouer son choix. Lorsque le peuple est consulté, les politiques doivent respecter leur expression, peu importe le choix des citoyens, au risque de dévaluer leur parole et de renforcer le sentiment que « ceux d’en haut » méprisent la parole populaire

    M. C. – Face à l’effondrement culturel que nos sociétés connaissent, le réengagement politique des citoyens est crucial. Pour cela, il ne suffit pas de légiférer et de changer les règles du jeu institutionnel, il faut aussi accompagner les citoyens tout au long de leur vie pour leur donner le bagage culturel nécessaire la participation.

    Notre ouvrage formule plusieurs propositions parmi lesquelles la formation citoyenne tout au long de la vie afin de sensibiliser à l’écologie, l’entrée de la philosophie beaucoup plus tôt dans la formation scolaire, ou encore l’enseignement de l’économie à l’école pour que les citoyens comprennent les mécanismes de base de ce domaine.

    LVSL – L’éveil de la démocratie suppose non seulement de renouveler les structures démocratiques existantes mais aussi d’étendre la démocratie à des domaines qui ne sont aujourd’hui régulés par aucun principe démocratique – l’entreprise, le marché de l’emploi, la politique monétaire… Sans cette dimension de démocratisation de l’économie, le réveil démocratique est-il compromis ?

    M. C. – Plus j’avance, plus je pense que les grandes réponses démocratiques sont du côté de l’économique, du social et de l’environnemental. L’entreprise est par exemple un impensé démocratique. En France, nous sommes enfermés dans une vision caricaturale de l’entreprise entre ceux qui la résument à un lieu du profit, et ceux qui la réduisent à un lieu d’antagonisme de classes. L’entreprise mérite plus que cela : elle est un lieu de création des richesses humaines, de socialisation et d’innovation. La transformation économique et sociale n’adviendra pas sans elle. Or il faut construire les conditions pour qu’elle favorise l’« altercroissance », imaginer les conditions de l’avènement d’une « écolo-démocratie ».

    N. D. – On a tendance à penser les questions du pouvoir et de la démocratie en termes d’institutions politiques. En réalité, ces questions dépassent ce cadre institutionnel. Les questions relatives aux médias, à la finance ou à la monnaie sont également cruciales pour la vie démocratique et pour l’expression de la population. On ne peut pas avoir une démocratie qui s’arrête aux portes de l’entreprise et du fonctionnement du marché. Cela résulte d’un choix idéologique qui n’a rien de naturel ou d’inaltérable, même si un certain nombre de pratiques ultralibérales, comme le dogme de la libre concurrence, ont été constitutionnalisés par les traités européens. De la même manière, les autorités administratives indépendantes ou les institutions indépendantes comme la BCE posent un problème démocratique majeur : leur indépendance du pouvoir politique est un moyen de soustraire leur action au jugement collectif et démocratique. Il y a ainsi une série d’institutions et de pouvoirs qui pourraient être élus. À titre d’exemple, on peut penser à l’ancien fonctionnement de la Sécurité sociale. Si on ne démocratise pas ces institutions, on court le risque qu’elles deviennent impuissantes. En effet, ces institutions indépendantes n’ont par définition pas la « légitimité » d’opérer par elles-mêmes des changements majeurs, car ces derniers ne peuvent venir que d’une décision politique. Par conséquent, leur indépendance conduit à une forme d’immobilisme. En outre, ceci génère un jeu malsain entre les différents pouvoirs : le gouvernement se déresponsabilise en affirmant que telle ou tell politique (par exemple la politique monétaire de la BCE) ne relève pas de son domaine tandis que les institutions indépendantes se déresponsabilisent également en disant qu’elles se limitent à respecter son mandat.

    Nous sommes donc face à une déresponsabilisation croissante du pouvoir, que nous souhaitons combattre par le récit des biens communs, qui supposent une gouvernance commune entre l’Etat et le corps social de toute une série de fonctions fondamentales : la sécurité sociale, la politique monétaire (nos ancêtres du CNR voulaient ainsi établir un « parlement du crédit et de la monnaie »), les règles relatives au chômage ou à la retraite. Il n’y a aucune raison pour que ces biens communs échappent au regard de la collectivité. Au lieu de fossiliser l’État social par un recours excessif à des normes et à des institutions indépendantes, nous devons réintroduire la pratique et l’idée du dialogue permanent.

    B. M. – La démocratie est confrontée à trois crises distinctes. D’abord, la crise de la représentativité, qui est ressentie en France et dans le monde entier. Ensuite, nous connaissons une crise du débat public : la campagne présidentielle, tout comme les élections départementales, régionales et municipales, n’ont pas été couvertes, noyées dans les informations sur la guerre en Ukraine ou l’épidémie de Covid. Tout ceci est la conséquence d’une certaine façon de prioriser l’information. Les réseaux sociaux favorisent un système d’information en silos où prospèrent les fake news , par lequel les points de vue se confrontent et dont peut surgir une forme de vérité qui est entrainée par une dialectique du débat.

    Le troisième aspect de la crise de la démocratie est l’impuissance politique. L’élément central de l’action politique reste l’économie : reprendre le contrôle de la sphère économique est un impératif démocratique. En ce sens, la réimplication du peuple dans l’appareil économique est nécessaire. Mais il y a aussi le rôle de l’État. Au début de la crise des gilets jaunes, on ne parlait pas de RIC. Le sujet initial du mouvement concernait le fait de remplir son frigo pour nourrir ses enfants, et de faire en sorte que l’État en prenne sa part de responsabilité. Mais l’État s’est dit incapable de le faire. Le RIC n’est donc pas à l’origine des gilets jaunes, mais c’est le moyen que les gens ont trouvé pour forcer l’instrument de souveraineté qu’est l’État à mener une politique économique qui semble légitime car nécessaire. En pleine crise du Covid, les gens disaient que l’État était en incapacité d’agir. Or, les enquêtes montrent que les Français croient que le niveau d’intervention adéquat n’est pas international ou local mais national. L’État reste ainsi l’instrument dans lequel se projette le peuple pour agir sur lui-même et son destin. Si jamais on ne donne pas les moyens d’agir à l’État, les citoyens feront soit le choix du renversement du système en votant Le Pen, soit le choix de la désaffection et de l’abstention politique.

    LVSL – Certaines institutions françaises ont perdu les principes démocratiques qui guidaient leur organisation. Comme vous le rappelez, les assurés votaient pour élire les administrateurs de la Sécurité sociale jusqu’en 1962.  Alors que le gouvernement semble aujourd’hui prêt à mettre en œuvre une réforme des retraites largement rejetée par les Français, quel rapport de force permettrait le retour de ce modèle démocratique de la Sécurité sociale ?

    B. M. – Lors du premier quinquennat Macron, la question du pouvoir des partenaires sociaux s’est posée. Macron a pu recevoir les syndicats, mais uniquement pour faire de la pédagogie et les consulter de manière fictive puisque les projets de loi étaient déjà écrits et n’avaient pas vocation à évoluer. Il s’agit d’un Président totalement omnipotent en ce sens, avec une majorité pléthorique à ses ordres, qui est d’ailleurs peu représentative de la population. Les députés LREM-MODEM au premier tour représentaient 30% des votants, soient 17% des inscrits. Les contrepouvoirs au sein des institutions démocratiques sont ainsi totalement neutralisés. Macron peut faire la réforme des retraites grâce au 49-3 ; pourquoi dialoguerait-il alors ? Le peuple a perdu la possibilité de s’opposer à ses représentants : pour mettre en place le référendum d’initiative partagée, un nombre très élevé de signatures est nécessaire, et les deux chambres doivent refuser d’examiner le texte pour qu’il y ait référendum. Un changement de perspective est nécessaire pour intégrer les citoyens dans les institutions.

    M. C. – Les gens ont compris qu’une réforme des retraites est nécessaire, mais ils ne veulent pas entendre qu’il n’y a qu’une seule solution possible : celle de travailler plus longtemps. Ils savent bien qu’un changement peut advenir en agissant sur bien d’autres facteurs – la durée des cotisations, la pénibilité, le travail à temps partiel ou le plafonnement des pensions notamment. L’enjeu aujourd’hui est de créer des nouveaux corps intermédiaires et de nouveaux contrepouvoirs pour penser ces réformes de manière sereine. Les syndicats sont de moins en moins légitimes aux yeux des Français car ils s’enferment trop souvent dans une logique de conflictualité. Les nouveaux corps intermédiaires pourraient ressembler à la Convention citoyenne pour le climat qu’on aurait dû respecter. Ce modèle mériterait d’ailleurs probablement d’être utilisé pour la réforme des retraites.

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      Mathias Poujol-Rost ✅ · Thursday, 2 December, 2021 - 07:21

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    Ce gouvernement abîme la Démocratie | Reflets.info
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      Vers la fin des critères de Maastricht ? La Commission va réexaminer les règles budgétaires

      eyome · Thursday, 16 September, 2021 - 20:29

    Elle a précisé que l’objectif était de parvenir à un consensus sur la voie à suivre «bien avant 2023».

    2023... Il n'y a pas les élections présidentielles françaises en 2022 ?

    Ursula a l'air d'en avoir rien à cirer :(

    Peut être parce quelque soit le résultat, sauf ENORME surprise, cette "voie à suivre", sera celle que nous suivrons.

    #France, #Politique, #fr, #UE, #Démocratie.

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      Mathias Poujol-Rost ✅ · Sunday, 16 May, 2021 - 16:47

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    Démocratie : La France bascule dans l’obscurité  | Blast - Le souffle de l’info
    • Démocratie : La France bascule dans l’obscurité | Blast - Le souffle de l’info

      En septembre 2020, l’ONU nous alertait : la pandémie de Covid 19 a mis à mal la démocratie partout dans le monde, en restreignant les libertés publiques notamment. Nous nous sommes progressivement habitués à ce que notre comportement soit dicté par un gouvernement, à vivre, entravé, confiné, et souvent désoeuvré. Tous suspects. Et la France ne fait malheureusement pas exception. Pourtant, dans notre pays, ce recul des libertés et de la démocratie est en réalité le fruit d’une dérive progressive.

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      Il faut sauver la démocratie américaine

      Charles Castet · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 4 March, 2021 - 03:30 · 11 minutes

    démocratie

    Par Charles Castet.

    Maintenant que le cycle électoral américain est terminé et que les esprits commencent à se refroidir, deux articles, l’un de Time Magazine , l’autre du New York Times font un récit captivant de certains aspects de cette campagne.

    « There was a conspiracy unfolding behind the scenes, one that both curtailed the protests and coordinated the resistance from CEOs » .

    Planifier le sauvetage

    Généralement dans la presse, combien de conspirations d’extrême droite sont dévoilées, et combien de conspirations d’extrême gauche ?

    Il y a deux explications possibles pour ce phénomène.

    La première est que la gauche est du bon côté de l’histoire, elle n’a donc pas besoin de conspirer.

    L’autre hypothèse est que la gauche, étant au pouvoir, a le droit de conspirer et la droite, étant hors du pouvoir, a le devoir de ne pas conspirer.

    Donc ce n’est en aucun cas une nouvelle quand la gauche conspire, et si l’on part du principe que le rapport de force est le droit, beaucoup d’éléments retranscrits dans l’article deviennent intelligibles.

    Time Magazine et le New York Times donnent d’excellents exemples de ces deux règles à l’œuvre et en même temps.

    « Both surprises were the result of an informal alliance between left-wing activists and business titans. The pact was formalized in a terse, little-noticed joint statement of the U.S. Chamber of Commerce and AFL-CIO published on Election Day. Both sides would come to see it as a sort of implicit bargain–inspired by the summer’s massive, sometimes destructive racial-justice protests–in which the forces of labor came together with the forces of capital to keep the peace and oppose Trump’s assault on democracy. »

    « They executed national public-awareness campaigns that helped Americans understand how the vote count would unfold over days or weeks, preventing Trump’s conspiracy theories and false claims of victory from getting more traction. After Election Day, they monitored every pressure point to ensure that Trump could not overturn the result. »

    Ces deux passages sont remplis de conjugaisons de Russel. « Je planifie, tu complotes, il conspire. »

    Regardons ces histoires de plus près, non pas pour en dénoncer l’hypocrisie, (les élections américaines sont terminées, Biden est président), mais pour observer comment elles fonctionnent dans notre société, Trump ne servant ici que de révélateur.

    Il ne sera pas question d’inverser la conjugaison en disant « la gauche conspire » , ce qui serait puéril, mais d’observer comment l’hypocrisie fonctionne et peut nous enseigner où réside véritablement le pouvoir politique et comment celui-ci, pour citer un ancien professeur de sciences politiques, « s’exerce dans la manipulation de résultats procéduraux ». La fonction de ces processus est de détruire la transparence.

    « Suddenly, the potential for a November meltdown was obvious. In his apartment in the D.C. suburbs, Podhorzer began working from his laptop at his kitchen table, holding back-to-back Zoom meetings for hours a day with his network of contacts across the progressive universe: the labor movement; the institutional left, like Planned Parenthood and Greenpeace; resistance groups like Indivisible and MoveOn; progressive data geeks and strategists, representatives of donors and foundations, state-level grassroots organizers, racial-justice activists and others. ’ »

    Le nom des organisations mentionnées est un premier révélateur intéressant de l’idéologie partagée. Serait-il tout aussi intéressant de savoir si cette coalition avait un nom, et une organisation permanente ?

    Non. Cela voudrait dire un seul Parti et une seule tête et si il y a une leçon que la gauche occidentale a retenue c’est le pouvoir de la décentralisation. Il n’y aura plus de convention Bridgman . Il faut reconnaître à la gauche occidentale sa capacité à inventer des noms et à passer par des associations-écrans.

    En France on nomme cela habituellement « tissu associatif » ce qui traduit en langage simple, au détriment d’une certaine nuance sémantico-politique, par : « gens de gauche n’appartenant pas directement à un parti politique ».

    Revenons aux séances de Zooms. Qui a pressé le bouton ? Qui a annoncé le set-up call ? Qui a été l’organisateur ? Pouvait-on rejoindre ce lien librement ou sur invitation ? Si c’est une invitation, qui a sélectionné les 900 personnes ? Sur la base de quelle liste ? Le call a été organisé on short notice mais 900 personnes l’ont rejoint.

    « They convened to craft a plan for answering the onslaught on American democracy, and they soon reached a few key decisions. They would stay off the streets for the moment and hold back from mass demonstrations that could be exposed to an armed mob goaded on by President Donald J. Trump. »

    Personne ne se souvient de l’été 2020 ? Les émeutes de BLM et des antifas ont coûté près de un milliard de dollars en dommages et assurances. Visiblement des key decisions peuvent déterminer si oui ou non ils descendent dans la rue. Dès le moment où un tel lien de causalité existe, on ne peut plus parler de manifestations spontanées. Encore une fois c’est dans le New York Times , donc c’est certainement vrai et les manifestants en rouge et noir se sont-ils montrés le 6 janvier pendant la prise du Capitole ?

    Des récits comme ceux-ci, s’ils sont fascinants à lire, sont néanmoins des passifs, ils ne devraient pas être publiés. Ils ne le sont que pour une seule raison : le besoin de se vanter d’avoir gagné, notamment ceux avec une conscience coupable. À défaut d’être neutralisée, cette conscience coupable doit donc être transformée en vertu. Ce n’est pas un crime, c’est une action nécessaire pour une cause juste.

    « By the time rioters ransacked the Capitol, the machinery of the left was ready: prepared by months spent sketching out doomsday scenarios and mapping out responses, by countless hours of training exercises and reams of opinion research. »

    Un travail de bénévole bien sûr, et pro bono par des personnes ayant le temps et l’énergie de faire du monde un endroit meilleur.

    « The meeting was no lucky feat of emergency organizing, nor was the highly disciplined and united front that emerged from it. »

    Rien à ajouter, rien à enlever.

    « At each juncture, the activist wing of the Democratic coalition deployed its resources deliberately, channeling its energy toward countering Mr. Trump’s attempts at sabotage. Joseph R. Biden Jr., an avowed centrist who has often boasted of beating his more liberal primary opponents, was a beneficiary of their work. »

    Le journaliste du New York Times est à deux doigts d’écrire que les militants de l’intégrité électorale de la démocratie américaine avaient tous en commun une préférence pour l’un des deux candidats.

    C’est exactement le genre de prose de guerre qui a si profondément affecté Orwell. Vous pouvez lire des exemples de cette langue chargée dans n’importe quel rapport sur la Seconde Guerre mondiale. C’est un martèlement incessant d’aspersions, d’insinuations et de connotations.

    Un langage chargé émotionnellement a un fort effet polarisant. Tant que vous n’avez pas maîtrisé l’art du détachement politique, ou que le temps et l’espace ne vous ont pas donné une distance involontaire par rapport au texte, vous ne pouvez pas l’approcher. Lorsque vous lisez ce texte, notamment quand les faits cités sont encore si proches, vous êtes avec ou contre lui.

    Le pouvoir du journaliste est tel que sabotage et conspiration peuvent avoir en même temps un sous-texte positif ou négatif selon à qui il est appliqué. Voici de la propagande à un très haut niveau. Bien que ce soit une mauvaise chose, c’est fait avec brio.

    « Since the violence of Jan. 6, progressive leaders have not deployed large-scale public protests at all. »

    Par contre l’article du New York Times ment lorsqu’il cite « conflicting ideological priorities. » Les communistes et les fascistes ont certainement des conflits idéologiques. Ou bien les libéraux/libertariens avec les premiers et les seconds.

    Mais il n’y a aucune différence catégorique de principe ou de nature entre les membres des sessions Zooms de Podhorzer.

    Il est néanmoins vrai que la gauche radicale ou sociale-démocrate a une longue histoire de scission. Elle déteste avoir une seule tête et l’a appris par la manière forte. Cela est dû aussi à la nature profondément chaotique de l’idéologie socialiste et de l’histoire des révolutions.

    Ces actions font partie d’une expérience naturelle à son meilleur, car elle génère des informations qui ne peuvent jamais être détruites, un bruit qui ne peut pas être réduit au silence.

    Ce qu’elle nous a montré, parce que les personnes mentionnées dans les deux articles n’ont pu réprimer un désir de se la raconter, c’est que les rouages derrière des phénomènes politiques actuels qui passent pour naturels et spontanés sont complexes et nombreux.

    Ils ne se réduisent pas à une seule personne ou même à un seul groupe. Yann Le Cun, qui dirige la branche IA de Facebook, écrivait dans un post sur son profil que l’État profond renvoyait à « un schéma d’activités cachées en plein milieu d’une hiérarchie multicouches. »

    Formulé autrement, le pouvoir est distribué, mais jamais également. C’est cette nature vague qui ne s’incarne ni dans un individu ni dans un seul groupe déterminé que l’on nomme le système ou bien l’État profond.

    Qui détient le pouvoir ?

    Pendant 2020, la gauche et la droite ont agi. Ces actions (des émeutes de l’été à la prise du Capitole ) sont des actions réelles. Mais dans leur planification et leur conception, elles furent élaborées comme si le rêve était réel. Trump a tenté d’être le patron de l’exécutif, au pire moment possible, de la plus mauvaise manière possible et pour la pire des raisons possibles.

    Les manifestants du 6 janvier ont donc tenté de donner au régime américain une dose du « pouvoir du peuple » sauf que ce dernier n’est jamais que le prétexte pour déstabiliser dans le monde des régimes que les États-Unis n’affectionnent pas. Donc fin de la récréation. Le 46e président a été intronisé le 20 janvier.

    La vérité n’est pas seulement que la politique américaine est un rêve, mais qu’elle a toujours été un rêve. Pas seulement depuis la fondation des États-Unis, mais bien avant, la réalité du gouvernement et le discours public de la démocratie ont toujours été profondément divergents. Les électeurs n’ont jamais été en contact avec la réalité du pouvoir.

    Ce qui se passe, tant à droite qu’à gauche, ce n’est pas que le rêve américain s’écarte de la réalité américaine. C’est juste le contraire. Le rêve converge avec la réalité. Pourtant à bien y regarder, c’est la gauche qui a la plus forte gueule de bois.

    Les quatre prochaines années seront une sorte de crise de la quarantaine pour la gauche américaine, à l’occasion de laquelle elle se rendra compte qu’elle n’est plus jeune. Il n’y aura plus jamais de gauche rebelle . La gauche est mariée au pouvoir – la gauche a une femme, une maison, une hypothèque, deux voitures, un enfant et un chien. La gauche est riche. La gauche est ancienne. Et la gauche est ennuyeuse.

    Et pourtant, dans son esprit la gauche est toujours Luke Skywalker et ses amis ; un groupe hétéroclite de héros fous affrontant un empire vaste et sans visage. Et pourtant, nous venons de voir de quel côté est le groupe hétéroclite, et qui a des appels de Zoom aussi gros que la chambre des députés italienne.

    L’état d’esprit d’être consciemment au pouvoir, d’accepter de donner la loi, d’encourager vos cosaques quand ils chargent une foule de moujiks mêlés de hooligans au grand galop, puis de battre sans pitié ces péquenauds avec le lourd knout de cuir – c’est une nouvelle situation inconnue de la gauche américaine. Pas dans la pratique, mais dans la théorie.

    Non pas que la gauche fut absente du pouvoir ces dernières années. Bien au contraire. Mais pendant tout ce temps et jusqu’à présent, elle a brillamment réussi à se faire passer pour rebelle. Grâce à Trump et à sa réponse à Trump cette mascarade n’est plus viable.

    Désormais, la gauche devra adopter l’état d’esprit d’un parti du pouvoir. Le système est toujours fort, en l’absence d’alternative, mais seulement matériellement.

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      Face à la résurgence du tout collectif, revenir aux leçons de Jean-François Revel

      IREF Europe · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 22 February, 2021 - 04:35 · 9 minutes

    collectif

    Par Matthieu Creson.
    Un article de l’Iref-Europe

    La crise du Covid-19 aura remis au premier plan de nos sociétés les valeurs du tout collectif. Le 15 octobre 2020, Emmanuel Macron déclarait ainsi :

    On s’était progressivement habitués à être une société d’individus libres, nous sommes une nation de citoyens solidaires.

    Remarquons ici deux choses : la substitution du mot citoyen au mot individu ; l’opposition apparente entre liberté et solidarité.

    La crise du Covid nous aura conduits à porter à nouveau aux nues les valeurs de la seule collectivité

    Depuis la conférence prononcée en 1819 par Benjamin Constant, « De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes », on sait pourtant que l’individu moderne, s’il est en effet un citoyen, ne se réduit pourtant nullement à celui-ci : sa liberté ne réside en effet pas uniquement dans la possibilité pour lui de participer aux débats de la Cité, mais dans son aptitude à s’affranchir des grands desseins collectifs pour exercer son autonomie propre et se rendre ainsi le plus possible maître de sa propre existence.

    Faut-il donc croire que la crise du Covid-19 nous fera revenir plus de 200 ans en arrière en nous conduisant à ne plus pouvoir penser l’être humain autrement que comme simple atome social et politique ?

    Quant à la solidarité , celle-ci présuppose au contraire la liberté des individus : ne méritent vraiment d’être qualifiés de solidaires que les comportements d’individus décidant librement de s’entraider, de se porter mutuellement assistance lorsque les circonstances l’imposent.

    Nous voyons donc que la crise du Covid-19 s’est accompagnée d’un retour à l’exaltation des valeurs collectivistes au détriment des valeurs individuelles . Elle nous aura ainsi fait oublier la grande leçon qui avait tout d’abord semblé devoir s’imposer à nous après plus de 2500 ans d’histoire de l’Occident : à savoir que la civilisation que nous avons bâtie au fil des siècles, assise sur la démocratie, la science moderne et le capitalisme, avait peut-être principalement pour but la libération de l’individu.

    Les totalitarismes, les collectivismes du XXe siècle avaient justement tenté de contrecarrer cette aspiration de l’individu à l’autonomie personnelle, pour la remplacer par un mortifère désir de soumission envers le seul pouvoir politique. Les totalitarismes ayant été à jamais discrédités et balayés par l’histoire du XXe siècle, on avait cru que l’individu allait enfin pouvoir s’épanouir durablement dans une société qui le laisserait être libre de ses propres choix et acteur de sa propre destinée.

    Eh bien voilà que la survenue d’une crise sanitaire, certes grave, voilà maintenant un an, semble avoir remis en cause cet héritage essentiel qui est pourtant à la base même de notre civilisation moderne.

    « Il incombe à la politique de débarrasser l’homme de la politique »

    Cette leçon sur le sens de notre civilisation, Jean-François Revel (1924-2006) l’a rappelée dans plusieurs de ses écrits. On peut par exemple lire dans sa préface à la traduction française du livre de Dinesh D’Souza What’s so great about America – Pourquoi il faut aimer l’Amérique en français (Paris, Grasset, 2003) :

    Outre le développement économique, scientifique et démocratique, ce qui caractérise la civilisation moderne, c’est la libération de l’individu. (page 17)

    Dans Le Regain démocratique (Paris, Fayard, 1992), Revel va même jusqu’à écrire :

    Il incombe à la politique de débarrasser l’homme de la politique, ou, pour mieux dire, de lui apprendre à se déterminer par lui-même au lieu d’être déterminé par la collectivité. (pages 473-474)

    Cette dernière phrase de Revel, étonnante de perspicacité sur les conditions du bon fonctionnement de la démocratie libérale, aucun commentateur n’oserait aujourd’hui l’écrire, tant la crise du Covid nous aura conduits à porter à nouveau aux nues les valeurs de la seule collectivité.

    Ainsi les professionnels de la politique semblent-ils avoir renoué avec leurs rêves ancestraux de définir et de mettre en œuvre un programme régissant le fonctionnement de l’ensemble de la société, société dans laquelle l’individu n’a plus d’autre raison d’être que de se conformer, bon gré mal gré, au rôle social qui lui est imparti par le pouvoir politique.

    Nos dirigeants et collectifs médico-sanitaires – ces derniers ayant été omniprésents dans les médias depuis presque un an – nous proposent ainsi un nouvel idéal hygiéniste , à la réalisation duquel les individus sont tenus d’œuvrer collectivement. Entendons-nous bien : par sa gravité, la crise actuelle doit certainement nous conduire à modifier rationnellement, pour une durée déterminée, certains de nos comportements individuels habituels.

    Reste qu’elle ne devrait pas permettre aux inconditionnels surmédiatisés du tout-sanitaire d’imposer aussi facilement à la société tout entière leur nouvel idéal de santé publique, pour bien intentionné qu’il se voulût. Car rappelons-nous que vouloir à tout prix faire advenir le Bien peut aussi finir par causer beaucoup de mal.

    Ils veulent confisquer notre liberté, notre autonomie de jugement et notre capacité à nous montrer responsables

    Nous touchons ici sans doute à l’une des clefs de l’extraordinaire soumission du politique au médical de par le monde depuis le début de la crise sanitaire : ne pouvant sans doute concevoir qu’il soit possible de faire de la politique sans proposer d’idéaux collectifs, nombre de dirigeants en exercice s’en sont alors remis à une certaine classe médico-sanitaire, qui semble avoir décidé quasiment à elle seule du sort de nos sociétés : confinements, couvre-feux, fermetures de commerces déclarés non essentiels , des restaurants, des théâtres, des cinémas, des musées, autant de mesures prises pour lutter contre la crise sanitaire, « quoi qu’il en coûte » .

    Il fallait en effet écouter les médecins , mais il fallait aussi à l’évidence donner davantage la parole aux autres acteurs de la société civile (économistes, entrepreneurs, innovateurs, commerçants, travailleurs, etc.), et ne pas laisser certains professionnels de la santé confisquer notre liberté, notre autonomie de jugement et notre capacité à savoir nous montrer responsables en tant qu’individus .

    La soumission du politique au médical durant la crise du Covid s’explique ainsi peut-être en partie par une certaine incapacité que nous avions déjà depuis longtemps à accepter l’idée que la société ne doit plus s’attacher à dicter à l’individu la conduite que celui-ci devrait adopter.

    Ici encore, relisons Revel dans Le Regain démocratique :

    C’est une erreur de reprocher à la société libérale de ne plus proposer d’idéal. C’est justement là sa noblesse, et même son but. L’individu a besoin que la société lui propose un idéal lorsqu’il est incapable de s’en proposer un à lui-même. Ce n’est alors pas un adulte, ce n’est même pas un adolescent. (pages 473-474)

    Les politiques n’ont pas à proposer un idéal collectif, sanitaire ou autre, aux individus : ils doivent pouvoir leur garantir le respect de leurs droits fondamentaux afin qu’ils soient en mesure de réaliser leur propre idéal.

    En d’autres termes, il ne devrait y avoir d’idéaux dans une société moderne que ceux que les individus se proposent à eux-mêmes d’accomplir : la tendance persistante des États à l’infantilisation des individus vient précisément de ce fait qu’il leur est toujours difficile d’accepter une fois pour toutes que seuls les individus sont fondés à tenter de mettre en œuvre les idéaux qu’ils se sont forgés.

    Il appartiendrait donc plutôt aux politiques en temps de crise comme celle que nous vivons d’émettre des recommandations et de garantir le libre accès des personnes à l’information, à toute l’information, et non pas uniquement à celle qui relève d’un certain politiquement ou sanitairement correct, qu’il est de bon ton de véhiculer dans la société.

    « C’est la démocratie qui permet à l’homme libre de naître, mais c’est l’homme libre qui permet à la démocratie de durer »

    La crise sanitaire actuelle ne doit pas non plus nous amener à occulter le caractère déterminant de l’éducation de l’individu, dans le sens d’accès à l’indépendance intellectuelle et culturelle.

    C’est encore ce que nous rappelle Revel dans le même passage déjà cité du Regain démocratique :

    La condition du bon fonctionnement de la démocratie et de sa solidité, c’est cette accession du citoyen à l’autonomie personnelle, autrement dit à la culture comprise comme capacité de se conduire tout seul… »

    Certes, en écrivant ces lignes en 1992, Revel l’exemple d’une pandémie sous les yeux. Reste que la vraie question est de savoir si, au nom de la lutte légitime contre une épidémie aux conséquences indéniables, nous devons accepter d’abdiquer aussi facilement en tant qu’individus nos aspirations et notre autonomie personnelles pour nous fondre dans une nouvelle masse guidée par une sphère politico-médicale qui entend œuvrer au nom d’un même idéal collectif.

    Tranchant sur les propos couramment colportés par cette dernière concernant les vertus supposées de l’idéal collectif du tout médical et du sanitairement correct, cette autre citation de Revel semble ainsi retrouver toute sa pertinence dans le contexte mondial actuel :

    Ce sont les politiques professionnels qui veulent nous faire croire que seul le collectif importe, parce qu’ils redoutent de perdre leur champ d’action. C’est quand les sociétés s’enfoncent dans les tempêtes et les utopies que l’homme retombe au rang d’atome impersonnel, balloté par des forces qui le noient dans l’uniformité, l’écrasent et décident de son destin à sa place.

    Mais quoi de plus ennuyeux que ces grands mélodrames de l’abrutissement grégaire ? Où voit-on davantage les hommes se ressembler entre eux et psalmodier plus de sottises identiques, inventées par d’autres ?

    Il n’est pas de démocratie durable sans autonomie culturelle des individus, de chacun des individus. C’est la démocratie qui permet à l’homme libre de naître, mais c’est l’homme libre qui permet à la démocratie de durer. (pages 474-475)

    Pour légitime qu’elle puisse donc paraître, la focalisation depuis près d’un an sur la seule santé collective comme nouvel horizon social ne doit donc pas pour autant nous conduire à oublier que notre civilisation se définit avant tout par la place centrale accordée à la liberté et à l’autonomie des individus, lesquelles conditionnent ni plus ni moins la bonne marche de nos démocraties libérales.

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