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      Gustave Le Bon, un penseur oublié de l’individualisme libéral

      Matthieu Creson · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 28 December, 2022 - 04:00 · 5 minutes

    Un article de l’Iref-Europe

    Tombé dans l’oubli (exception faite de sa Psychologie des foules , parue initialement en 1895), Gustave Le Bon (1841-1931), auteur d’une quarantaine d’ouvrages , mérite d’être redécouvert aujourd’hui, notamment en ce qu’il fut un véritable penseur de l’individualisme libéral. Si l’on peut certes demeurer critique à l’égard de Le Bon – et ainsi rappeler l’existence de certaines ombres aux tableaux comme sa défense du colonialisme (que le libéral Paul Leroy-Beaulieu avait au demeurant lui aussi soutenu) -, reste que c’est l’image d’un penseur fondamentalement libre, défenseur sans concessions de l’individu et farouche opposant à tous les collectivismes, qui se dégage à l’évidence lorsqu’on lit son œuvre sans prévention.

    La critique du « constructivisme »

    Dans sa Psychologie du socialisme (initialement parue en 1898), Le Bon constate que le monde moderne a subi de profondes et rapides mutations (p. IV-V), qui résultent essentiellement des idées nouvelles, des découvertes scientifiques et des innovations industrielles survenues depuis un demi-siècle. Faisant fi de ces mutations, les théoriciens et doctrinaires socialistes veulent en fait, observe Le Bon, reconstruire de fond en comble l’organisation des sociétés.

    À cet égard, de nombreuses pages de Le Bon préfigurent étonnamment ce que Hayek ou Popper appelleront le « constructivisme » ou l’ingénierie sociale. C’est d’ailleurs notamment son hostilité au constructivisme qui a conduit Gustave Le Bon à se montrer si souvent critique de la Révolution française. En effet, « philosophes et législateurs considéraient (alors) comme certain qu’une société est chose artificielle que de bienfaisants dictateurs peuvent rebâtir entièrement » (Ibid, p. IX). « Un Latin (contrairement aux individualistes anglo-saxons), ajoute Le Bon, déduit toujours tout de la logique, et reconstruit les sociétés de toutes pièces sur des plans tracés d’après les lumières de la raison. Ce fut le rêve de Rousseau et de tous les écrivains de son siècle. La Révolution ne fit qu’appliquer leurs doctrines » (Ibid, p. 146).

    La défense de l’individu contre le collectivisme social-étatiste

    La critique faite par Le Bon du socialisme, de l’ étatisme et du collectivisme s’inscrit dans le droit fil de sa critique de la Révolution.

    Pour Le Bon, le socialisme est une croyance, une foi comme il le dit souvent, mais c’est aussi une doctrine idéologique assimilable à « une réaction de la collectivité contre l’individualité, (à) un retour au passé » (Ibid., p. 5-6). Le Bon a ainsi très bien vu que l’un des grands ressorts du socialisme est la détestation viscérale de l’individu .

    Anthropologue et psychologue des sociétés humaines, Gustave Le Bon pense que l’on peut distinguer entre peuples individualistes et peuples étatistes ou collectivistes : « on observe (chez les premiers), dit-il, l’extension considérable de ce qui est confié à l’initiative personnelle, et la réduction progressive de ce qui est abandonné à l’État » (Ibid., p. 7). Chez les seconds, au contraire, « le gouvernement est toujours un pouvoir absorbant tout, fabriquant tout et régissant les moindres détails de la vie du citoyen ». Incapable d’advenir aux États-Unis (« pays de l’égalité réelle », comme l’écrit Le Bon dans L’Évolution actuelle du monde – paru en 1927 -, du fait que les ouvriers y sont « les collaborateurs du capitalisme » (p. 185) et non les adversaires de celui-ci), le socialisme est en revanche une menace mortelle pour l’Europe : « Il serait une dictature impersonnelle, mais tout à fait absolue » ( Psychologie du Socialisme , op. cit. , p. 7)

    Le Bon a d’ailleurs parfaitement noté que c’est la passion de l’égalité (qui découle de la haine de la liberté individuelle), si répandue dans un pays comme la France, qui sous-tend la doctrine socialiste, laquelle « veut modifier la répartition des richesses en dépouillant ceux qui possèdent au profit de ceux qui ne possèdent pas » (Ibid., p. 31).

    La dénonciation de la tyrannie bureaucratique

    Un autre danger, consubstantiel au danger social-étatiste, préoccupe Le Bon dans plusieurs de ses livres : le péril bureaucratique. « C’est la bureaucratie qui gouverne aujourd’hui la France, et nécessairement elle la gouvernera de plus en plus » (Ibid., p. 182). Il en résulte ainsi une inquiétante diminution de l’initiative privée dans les pays dominés par la nouvelle classe bureaucratique. Un « réseau de règlements se développe chaque jour à mesure que l’initiative des citoyens devient plus faible ».

    Or c’est en fait nous, par peur d’exercer nos propres responsabilités en tant qu’individus, qui exigeons toujours plus d’État et toujours plus de bureaucratie. Comme le disait Léon Say – que cite Gustave Le Bon – dans Le Socialisme d’État : conférences faites au cercle Saint-Simon (1884), « il s’élève un cri de plus en plus fort pour demander une réglementation de plus en plus minutieuse ».

    Pressé par les réclamations incessantes d’un public avide de tutelle, l’État, poursuit Le Bon, légifère et réglemente sans relâche. Obligé de tout diriger, de tout prévoir, il entre dans les détails les plus minutieux. Un particulier est-il écrasé par une voiture, une horloge est-elle volée dans une mairie : immédiatement on nomme une commission chargée d’élaborer un règlement, et ce règlement est toujours un volume.

    Annonciateur des périls socialiste, étatiste et bureaucratique parmi les plus lucides de son temps, Le Bon, quoique marqué intellectuellement, comme Herbert Spencer qu’il admirait, par le « darwinisme social », nous parle rétrospectivement peut-être autant de notre temps que du sien. C’est la raison pour laquelle son œuvre doit être redécouverte et examinée sur pièces : on la critiquera pour ses préjugés (qui sont souvent les préjugés de toute une époque), mais on l’admirera aussi pour ses fulgurances prémonitoires.

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      Alain Besançon : le libéralisme face au mal

      Pascal Avot · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 14 December, 2022 - 03:50 · 7 minutes

    Le fait est peu connu du public libéral, et il doit être souligné avec énergie, tant nos motifs de fierté intellectuelle sont rares quand notre pays sombre dans un inexorable socialisme : la France peut s’enorgueillir d’avoir donné naissance à une foule de très grands experts du communisme en général et de la Russie en particulier. Il faut évoquer Jean-François Revel , Annie Kriegel, Françoise Thom, Galia Ackerman , Stéphane Courtois , Thierry Wolton , Nicolas Werth, tous esprits de grande qualité, tous dévoués corps et âme à la double cause de la vérité et de la liberté, tous combattant pied à pied, bec et ongles, décennie après décennie, les mensonges planétaires du Kremlin.

    Mais le plus grand d’entre eux est indiscutablement Alain Besançon.

    La soviétologie

    La soviétologie est l’étude scientifique du régime soviétique. Elle s’appuie sur l’histoire et au-delà. Car un de ses présupposés est que le long règne du communisme soviétique sur la Russie, sur l’URSS et, via la propagande, la manipulation, la guerre et la corruption, sur le XX e siècle tout entier, est un phénomène entièrement neuf, qui exige de mobiliser plusieurs disciplines. L’histoire, bien entendu, mais également l’économie, la sociologie, la polémologie, l’anthropologie, la métaphysique et même, pour certains, la théologie.

    En somme, le soviétologue est un historien qui, confronté à la puissante énigme du collectivisme, bat le rappel des sciences disponibles pour en former une nouvelle, seule à même d’affronter les destructions sans précédents commises par Lénine , Staline , Mao , Castro , Pol Pot , la dynastie des Kim , d’autres encore. Dans cet exercice ô combien difficile, Alain Besançon est le maître.

    Le soviétologue

    Né en 1932 à Paris dans une famille de la bonne bourgeoisie travailleuse et appliquée, fils et petit-fils de médecins, il adhère au Parti communiste français en 1951. Il s’y montrera un militant discipliné, soumis et aveugle comme ses camarades, considérant Staline comme un génie, conformément aux injonctions de l’organisation politique la plus influente et la plus totalitaire de France.

    Mais, en 1956, survient la dénonciation des crimes de Staline par Krouchtchev. Elle détruit d’un coup les convictions d’Alain Besançon. Il se sent trahi, la colère l’envahit. Il quitte le PCF et décide de consacrer sa vie à comprendre pourquoi et comment il a été manipulé et sali. Il ne le fait pas uniquement par désir de prendre sa revanche, mais également et surtout par volonté de se racheter.

    Il écrit :

    « Tout ce temps que j’ai passé sur l’histoire russe et le communisme soviétique, à l’étudier et à l’analyser, j’espère qu’il me sera compté à pénitence ».

    Commence alors une brillante carrière d’historien universitaire. Il enseigne à Columbia, à Stanford, à Washington, à Princeton, à Oxford, à l’EHESS. Au long d’une œuvre qui fait aujourd’hui internationalement référence, il forge une vision originale du communisme. C’est elle que les libéraux français contemporains doivent impérativement connaître s’ils veulent, un jour, peut-être, vaincre le socialisme qui ravage leurs existences.

    L’idéologie

    Alain Besançon fixe un centre de gravité au phénomène communiste : l’idéologie.

    À la suite de Soljenitsyne , il considère qu’elle seule peut expliquer les catastrophes observées en Russie, en Chine et ailleurs. Certes, il y a les contextes différents, les événements imprévisibles, les individus, la complexité de leurs profils psychologiques et leurs dévorantes ambitions, mais ce qui lie ensemble l’histoire du communisme, ce qui la rend homogène et cohérente malgré sa folie, systémique malgré sa sauvagerie, et incomparable avec le reste de l’aventure humaine, c’est l’idéologie.

    « Qu’est-ce que l’idéologie ? » Voilà la question fondamentale de la pensée d’Alain Besançon.

    Il y répond en ouverture de son chef-d’œuvre, Les origines intellectuelles du léninisme . Dans cet essai d’une densité et d’une profondeur remarquables, le soviétologue signale que l’idéologie est à la fois un tout et un rien.

    Un tout parce qu’elle est le cerveau qui dirige tous les organes du communisme. Elle dicte leurs pensées, leurs paroles et leurs actes aux dirigeants, même les plus mégalomanes. Mao et Staline peuvent bien se faire passer pour des dieux vivants, il n’en sont pas moins les humbles esclaves du dogme marxiste-léniniste : ils lui doivent tout, ils le savent, et ils n’imaginent pas un seul instant lâcher cette rampe d’acier qui les a menés si haut dans la hiérarchie universelle. Ils sont hantés, possédés par elle. Jusqu’à la fin de sa vie, dans la solitude de ses insomnies, Staline l’étudiera avec fièvre, tel un alchimiste penché sur ses grimoires. Aujourd’hui encore, comme lui, malgré les dizaines de millions de morts qu’elle a occasionnés, d’innombrables étudiants de gauche tentent de percer les secrets du « matérialisme dialectique ».

    Et l’idéologie est un rien parce qu’elle se trompe invariablement sur tous les sujets, qu’elle peut se résumer en quelques formules incroyablement vaines et creuses, et qu’elle s’exprime dans une langue de bois d’une pauvreté sans égale. L’idéologie est d’une médiocrité qui saute aux yeux et devrait suffire, en soi, à dénoncer son inanité. Pourtant, elle se présente aux foules comme la science des sciences, le savoir le plus parfait, le plus définitif auquel soit jamais parvenu l’humanité. Elle prétend rendre obsolètes toutes les connaissances, y compris, chez Lénine, les sciences exactes, qu’il réécrit à grands traits de plume, démontrant que la dialectique annule et remplace la chimie, l’astronomie et la physique. Ainsi l’idéologie, dans sa criante nullité, s’arroge-t-elle le droit de ridiculiser le génie civilsationnel. Tout irait bien si son influence sur la réalité se maintenait à un stade groupusculaire, sous une forme sectaire et anecdotique. Or, elle a conquis sur les cinq continents une myriade d’esprits au XX e siècle, et son extension ne semble pas prête de s’éteindre. C’est que l’idéologie, explique Alain Besançon, est contagieuse. Le vaccin reste à inventer.

    L’œuvre

    De cette alignement de l’histoire du communisme sur l’étrangeté idéologique, Alain Besançon tire des livres passionnants.

    À un public libéral, on signalera Anatomie d’un spectre , formidable dissection de l’indigence économique du communisme.

    À qui veut saisir la différence exacte entre communisme et nazisme, on recommandera Le malheur du siècle .

    Les fans de 1984 se lanceront dans la lecture de La falsification du bien : Soloviev et Orwell .

    Quiconque s’intéresse au poutinisme trouvera dans Sainte Russie des éclairages décisifs.

    Et, bien entendu, Les origines intellectuelles du léninisme , monument d’érudition et de clairvoyance, où Alain Besançon nous plonge dans les méandres cauchemardesques de l’âme de Lénine. Mais notons que tous ces essais se trouvent désormais dans un très gros et très beau volume réunissant l’essentiel d’Alain Besançon : Contagions , aux éditions des Belles Lettres. 1500 pages superbement mises en page, d’une lisibilité idéale, pour 55 euros. Ne pas se le faire offrir pour Noël serait masochiste. Ne pas l’offrir serait sadique.

    Alain Besançon ne se contente pas d’être un auteur de tout premier ordre, à la culture spectaculaire, aux idées d’une précision chirurgicale et au style d’une admirable élégance – et, par moments, à l’humour délicieusement incisif. Il est un professeur de pensée. Si Galia Ackerman, Françoise Thom et bien d’autres, disent volontiers de lui avec une émotion particulière dans la voix « C’est mon maître », c’est que cet élève de Raymond Aron a fondé sa propre école invisible, à laquelle appartiennent à vie la plupart de ceux qui l’ont lu. Voyager dans l’univers conçu par Alain Besançon laisse une trace dans l’intelligence : c’est une expérience unique et elle fait un bien fou.

    Pour finir, signalons qu’Alain Besançon est un libéral. Vous n’avez donc maintenant plus guère d’alibi pour ne pas faire le salutaire achat de Contagions .

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      Le libéralisme caricaturé

      Jacques Garello · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 3 December, 2022 - 03:50 · 7 minutes

    Un article de La Nouvelle Lettre

    Pas enseigné, pas pratiqué, le libéralisme est caricaturé : loi de la jungle, vol organisé, égoïsme débridé, inégalités croissantes, victoire de l’avoir sur l’être, société de consommation, concurrence sauvage, obsession de la rentabilité, etc. Il est facile de réfuter ces attaques : la réalité est autre.

    Il y a mieux à faire : il est temps d’appliquer les vrais principes libéraux. Pourquoi préciser les « vrais » principes ? Parce qu’il est dit beaucoup de choses ridicules et mensongères à propos du libéralisme et ce n’est pas par hasard : les antivax sont à l’œuvre.

    Le libéral à la mode américaine

    Il faut tout d’abord dénoncer le mensonge qui consiste à définir le libéral à la mode dite américaine (mais qui a tendance, récemment, à s’étendre à la France).

    Le liberal américain est tout le contraire d’un libéral classique.

    Il n’existe en fait que depuis les années 1930, quand les socialistes anglo-saxons, principalement américains, ont prôné et réalisé, notamment avec Roosevelt , une politique tendant à confier à l’État le rôle d’organisateur de la société. Aux États-Unis la planification économique a été mise en place, les nationalisations se sont multipliées, les pouvoirs fédéraux ont été renforcés.

    Pourquoi les tenants de cette révolution voulaient-ils se dire libéraux ?

    Parce qu’il s’agissait de libérer le peuple du système capitaliste auquel les socialistes attribuaient la crise de 1929 et le chômage naissant (que Roosevelt ne cessa de multiplier jusqu’à le rendre massif). Aujourd’hui en France on voit l’extrême gauche (et en particulier les Insoumis) se déclarer libérale pour soulever le peuple contre un régime dénoncé artificiellement comme complice des riches. Il n’y a pas eu autant de défenseurs de la liberté dans notre pays, y compris de gens qui souhaitent la révolution prolétarienne. L’adjectif libéral est confisqué et trafiqué comme l’adjectif « démocratique » pour jadis qualifier les républiques communistes d’Europe centrale et de l’est et aujourd’hui désigner les dictatures algériennes ou autres.

    Certes le pouvoir en place chez nous aujourd’hui a multiplié les atteintes à la liberté individuelle en prenant notamment prétexte de la pandémie. Mais de là à faire honneur à notre gouvernement en le dénonçant comme « libéral » voire même « néo ou ultra libéral » (c’est ce que fait en particulier l’extrême droite), il y a méprise et mensonge.

    Plus mensongers encore, et ceux-ci de façon délibérée et inacceptable : ceux qui se réfèrent aux grands noms et aux grands thèmes du libéralisme classique pour soutenir que l’État est le seul à pouvoir réformer l’État et qui voient volontiers le président actuel à la tête de cette tranquille révolution, au cours d’un nouveau mandat bien sûr.

    Pourquoi ces gens-là ont-ils le front de s’afficher « libéraux » ? Pourquoi aiment-ils le despotisme au prétexte qu’il se dit « éclairé » ?

    Le libéral classique n’aime pas le despotisme.

    Il est vrai que tous ces mensonges sur le libéral et le libéralisme font mouche dans un pays qui depuis des siècles n’a pratiquement jamais connu ni vécu une politique libérale. C’est pourquoi il convient d’insister sur ce que n’est pas le libéralisme. Voici ce qu’on entend dire du libéralisme, et ce qu’il n’est pas. La liste est hélas assez longue.

    Le renard libre dans le poulailler libre

    « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».

    Célèbre sentence de Lacordaire mais tout à fait ambiguë , car les êtres humains seraient-ils à l’image des animaux condamnés à des rapports de force ? Leur liberté est aussi d’aimer et de servir les autres. Et quelle est la loi à laquelle Lacordaire se réfère ? Si c’est celle de l’État ou du Parlement, elle peut bien souvent opprimer et asservir pour avantager une minorité au pouvoir. Le droit positif est moins efficace que les accords spontanés inscrits dans les contrats, les arbitrages, la coutume.

    La propriété c’est le vol

    Tout aussi célèbre sentence de Proudhon , qui la reniera en fin de compte.

    L’être humain affirme son identité et sa personnalité en développant ses capacités et à travers ses œuvres propres. Ne pas reconnaître ce que chacun a en propre c’est l’aliéner, le réduire à un simple numéro comme l’ont fait les régimes collectivistes : l’homme naît propriétaire (Bastiat). On ne gère bien que ce qu’on possède (Aristote).

    Le triomphe du « chacun pour soi »

    L’intérêt personnel ne signifie pas l’ignorance des autres.

    Tout au contraire, nul ne peut se suffire à lui-même et on ne peut satisfaire ses propres besoins qu’en satisfaisant le besoin de quelqu’un d’autre. L’échange est aussi le propre de l’Homme . On n’a jamais vu des chiens échanger des os (Smith). C’est le souci des autres (empathie) qui apporte satisfaction et concourt à l’intérêt général. Le libre échange est catalectique : il transforme des intérêts opposés en accord réciproque.

    Une société libre est une société où règne la confiance mutuelle.

    Entre riches et pauvres l’écart se creuse

    Sans doute le plus grand mensonge actuel.

    Les menteurs manipulent les statistiques et en particulier ne tiennent aucun compte des revenus de redistribution largement perçus par les personnes dont les revenus d’activité sont insuffisants. Les indices de développement humain prennent en compte non seulement le produit par habitant mais aussi l’espérance de vie à la naissance et le niveau d’éducation des enfants.

    Les famines ont disparu : en moins d’un siècle sept milliards et demi d’êtres humains ont pu survivre et les pays naguère du tiers-monde sont aujourd’hui émergents quand ils ont accepté la liberté économique.

    L’avoir et l’être

    La société de consommation a privilégié l’avoir au détriment de l’être : c’est Jacques Delors qui prétendait que la rentabilité et la productivité poussaient les entreprises à asservir les consommateurs en leur imposant des biens et services qu’ils ne désirent pas réellement.

    Aujourd’hui il est aussi jugé indispensable de ralentir la croissance pour économiser les ressources naturelles menacées par l’appât du gain. Mais qui peut dire ce qui est nécessaire ou superflu ? Les choix du consommateur sont purement personnels et il est difficile de juger les préférences des autres. Quant à la dignité de l’être (à travers ses choix), c’est sans doute affaire d’éducation et de responsabilité plutôt que de consommation.

    La concurrence sauvage

    Cette idée participe sans doute d’ une fausse conception de la concurrence qui impliquerait que tous les concurrents soient égaux. Il faudrait donc « harmoniser la concurrence ».

    Tout au contraire la concurrence signifie la diversité, qui permet la sélection et la découverte de meilleurs biens et services. Mais cette idée est accréditée par une réalité incontestable : les États font tout pour protéger et promouvoir les producteurs nationaux et bloquer la concurrence étrangère élargie par la mondialisation. Ainsi existe une collusion entre monde des affaires et classe politique : c’est ce qu’on appelle le capitalisme de connivence .

    À qui profite la loi du profit ?

    Aux grandes sociétés internationales, comme les GAFAM dit-on.

    Mais les profits concernent aussi des millions de PME, notamment des start up. En fait, la méfiance à l’égard du profit et de la rentabilité vient de Marx qui a fait du profit une rente pour les capitalistes constituée au détriment des salariés qui ne reçoivent jamais leur dû. La réalité est autre : dans une entreprise tout le monde profite de la performance réalisée. D’ailleurs le profit est un signe de bonne gestion . C’est aussi un signal du marché : comme les prix relatifs il révèle les priorités exprimées par la communauté. Il rémunère l’art d’entreprendre ( entrepreneurship ) démontré par l’entrepreneur individuel ou les administrateurs des sociétés sous gouvernance des associés et actionnaires.

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      James Madison, Père de la Constitution – Les Héros du progrès (44)

      Alexander Hammond · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 5 March, 2022 - 03:40 · 10 minutes

    Par Alexander Hammond.
    Un article de HumanProgress

    Voici le quarante-quatrième épisode d’une série d’articles intitulée « Les Héros du progrès ». Cette rubrique est une courte présentation des héros qui ont apporté une contribution extraordinaire au bien-être de l’humanité.

    Notre héros de la semaine est James Madison . Il est l’un des Pères Fondateurs et le quatrième président des États-Unis. Il a composé les premières ébauches, et donc le cadre de base, de la Constitution des États-Unis et de la Déclaration des Droits (le Bill of Rights ).

    On le surnomme souvent le « Père de la Constitution ». Il a passé la plus grande partie de sa vie à s’assurer qu’elle soit ratifiée et que les libertés de religion, d’expression et de la presse soient protégées par la loi.

    James Madison est né le 16 mars 1751 à Port Conway, en Virginie. Il grandit sur la plantation familiale. Son père est l’un des plus gros propriétaires terriens de la région du Piedmont. Il est l’aîné d’une fratrie de douze enfants, mais seuls six d’entre eux atteindront l’âge adulte, ce qui est assez courant à l’époque, même chez les riches. Au début des années 1760, la famille part s’installer sur le domaine de Montpelier en Virginie.

    Adolescent, il est instruit par plusieurs précepteurs célèbres. À l’inverse de la plupart des Virginiens aisés de son époque, il ne fréquente pas le Collège de William et Mary.

    Au lieu de cela, en 1769, il s’inscrit au Collège du New Jersey, aujourd’hui Université de Princeton, principalement en raison de l’hostilité de l’établissement envers l’épiscopat. Tout en étant Anglican, il est opposé à un épiscopat américain. Pour lui, c’est une façon d’affirmer le pouvoir de la monarchie britannique ainsi qu’une menace pour les libertés civiles et religieuses des colons.

    Au Collège du New Jersey, il achève son programme d’études de quatre ans en deux années seulement. Après l’obtention de son diplôme en 1771, il y reste pour étudier l’hébreu et la philosophie politique sous l’égide de son président John Witherspoon, un autre Père Fondateur à venir, qui influence fortement ses opinions en matière de philosophie et de morale.

    Terence Ball, un biographe de Madison, a écrit qu’au New Jersey, il « était immergé dans le libéralisme des Lumières et converti au radicalisme politique du XVIIIe siècle ».

    En 1773, il entre à Montpelier. Sans carrière en vue, il se plonge dans la lecture des livres de droit et s’intéresse rapidement aux relations entre les colonies américaines et la Grande-Bretagne.

    En 1775, quand la Virginie se prépare à la Guerre d’Indépendance, il est nommé colonel dans la milice du comté d’Orange. Comme il a fréquemment des problèmes de santé, il ne prend pas part aux combats et abandonne rapidement toute carrière militaire et se lance en politique.

    En 1776, il représente le comté d’Orange à la Convention constitutionnelle de Virginie, où il contribue à concevoir un nouveau gouvernement d’État, indépendant du droit britannique.

    Pendant le temps passé à cette Convention, il lutte souvent pour la liberté de religion et réussit à convaincre des délégués de modifier la Déclaration des Droits de Virginie pour que l’exercice de la religion bénéficie d’une « égalité de droits » plutôt qu’une simple « tolérance ». Il y rencontre aussi son ami de toujours, Thomas Jefferson, un Père Fondateur qui devait devenir le troisième président des États-Unis.

    Après la promulgation de la Constitution de Virginie en 1776, Madison entre à la Chambre des Délégués et se fait bientôt élire au Conseil d’État pour le gouverneur de Virginie, à l’époque, Thomas Jefferson.

    En 1780, il se rend à Philadelphie en tant que délégué de la Virginie au Congrès Continental, un ensemble de délégués des treize colonies américaines qui allaient créer les États-Unis d’Amérique.

    Les articles de la Confédération sont ratifiés par le Congrès Constitutionnel en 1781 et servent de première Constitution aux treize colonies. Ils donnent de grands pouvoirs aux États qui agissent plus comme des pays indépendants que comme une union.

    Madison sent que cette structure place le Congrès en position de faiblesse et ne lui donne pas la possibilité de gérer la dette fédérale ou de maintenir une armée nationale. Déterminé à changer cet état de fait, il commence à étudier de nombreuses formes de gouvernements.

    En 1784, il revient dans la législature de Virginie et s’assure rapidement que soit rejeté un projet de loi qui promettait d’accorder un soutien financier payé par les contribuables aux « enseignants de religion chrétienne ». Au cours des années suivantes, il est à la tête d’un mouvement qui incite à des changements dans les articles de la Confédération et qui a abouti à la Convention Constitutionnelle de 1787, là encore, à Philadelphie.

    Madison y présente son projet pour un gouvernement efficace connu sous le nom de « Plan de Virginie ». Il observe que les États-Unis ont besoin d’un gouvernement fédéral fort, séparé en trois branches (législative, judiciaire et exécutive) et gérées avec un système de poids et contrepoids, de sorte qu’aucune branche ne puisse dominer une autre. Tout au long du Congrès, il prend des notes et modifie son plan pour le rendre plus acceptable. Au final, le Plan de Virginie est la base de grandes parties de la Constitution des États-Unis.

    Une fois la Constitution rédigée, il fallait qu’elle soit ratifiée par neuf des treize États. Au départ, le document est reçu avec réticence, beaucoup d’États considérant qu’il accordait trop de pouvoir à l’État fédéral. Afin de promouvoir la ratification de la Constitution, il collabore avec les Pères Fondateurs Alexander Hamilton et John Jay . Ensemble, ils écrivent une série d’essais anonymes de soutien à la Constitution intitulés les Papiers fédéralistes.

    Après la publication de 85 essais et des débats approfondis à la Convention Constitutionnelle, la Constitution des États-Unis est signée en septembre 1787. Le document est finalement ratifié en 1788, après que le New Hampshire soit devenu le neuvième État à le faire.

    En 1790, le nouvel État fédéral devient effectif. Les idées innovantes et éclairées de la Constitution des États-Unis ont résisté à l’épreuve du temps et c’est aujourd’hui la plus ancienne Constitution écrite en usage dans le monde.

    Madison est immédiatement élu à la nouvelle Chambre des Représentants et commence à travailler sur l’ébauche du Bill of Rights , une liste de 10 amendements à la Constitution énoncant les droits fondamentaux détenus par chaque citoyen américain. Ils incluent, entre autres, la liberté d’expression, de religion et le droit de porter des armes.

    Dans le neuvième amendement, il stipule également l’existence de droits non énumérés. Après un important débat, son travail porte ses fruits et le Bill of Rights est promulgué en 1791.

    Ces amendements uniques pour leur époque soulignent que les États n’accordent pas de droits à la population : ce sont les citoyens qui lui concèdent des pouvoirs afin de protéger les droits « pré-existants » du peuple.

    Après un désaccord avec le leader fédéraliste Alexander Hamilton au sujet de sa proposition de créer une banque nationale, Jefferson et Madison fondent le parti républicain-démocrate en 1792.

    C’est le premier parti d’opposition aux États-Unis. Madison quitte le Congrès en 1797. Il revient à la politique en première ligne en 1801, en rejoignant le cabinet du président Thomas Jefferson . En tant que secrétaire d’État, il supervise l’acquisition de la Louisiane à la France en 1803, ce qui a doublé la taille du nouveau pays.

    De 1809 à 1817, il est le quatrième président des États-Unis. Une grande partie de sa présidence est entachée de problèmes outre-mer. En 1812, il prononce une déclaration de guerre contre la Grande-Bretagne. Les échanges commerciaux entre les États-Unis et l’Europe cessent, ce qui impacte sévèrement les commerçants américains.

    Au même moment, la Nouvelle Angleterre menace de faire sécession de l’Union. En 1814, Madison est forcé de fuir Washington, la nouvelle capitale, après que les troupes britanniques l’ont envahie et incendié plusieurs bâtiments dont la Maison Blanche, le Capitole et la Bibliothèque du Congrès.

    En 1815, la guerre se termine dans une impasse. Après deux mandats comme président, il retourne à Montpelier en 1817 et ne quitte plus la Virginie. Il demeure un écrivain actif et respecté. En 1826, il devient recteur de l’université de Virginie, fondée par Thomas Jefferson en 1819.

    Comme beaucoup de ses contemporains du sud, il possédait des esclaves. Cela dit, il a œuvré pour abolir l’esclavage. Sous sa direction, l’État fédéral a racheté des esclaves à leurs propriétaires pour les réinstaller au Liberia.

    Madison passe ses dernières années malade et alité. En juin 1836, âgé de 85 ans, il meurt d’un arrêt cardiaque.

    Il a contribué à la rédaction de la Constitution des États-Unis et du Bill of Rights . La Constitution était la première de son genre, sous la forme d’un document unique au monde. Les principes des Lumières sur les droits et libertés individuels qu’elle défendait sont devenus les fondations de dizaines d’autres constitutions libérales créées par des États partout dans le monde. Pour sa création du cadre légal qui protège d’innombrables personnes des abus de l’État, James Madison est à juste titre notre quarante-quatrième héros du progrès.

    Article publié initialement le 22 novembre 2020.

    Traduction par Joel Sagnes pour Contrepoints de Heroes of Progress, Pt. 44: James Madison

    Les Héros du progrès, c’est aussi :

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      Laissez-faire français, conclusion (22)

      Benoit Malbranque · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 7 February, 2021 - 04:20

    Par Benoît Malbranque.

    Certainement, les Jean-Baptiste Say, les Frédéric Bastiat, les Gustave de Molinari, les Yves Guyot, ont marqué l’histoire de la pensée économique française. Mais à les étudier seuls, on ne peut les comprendre. Car tous ces représentants de l’école française d’économie politique sont issus des travaux des économistes du XVIIIe siècle. Leurs idées sont déjà, en germe, chez ces prédécesseurs du siècle des Lumières.

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      Laissez-faire français : Condorcet (21)

      Benoit Malbranque · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 31 January, 2021 - 04:20

    Par Benoît Malbranque.

    Infatigable critique de l’intolérance, Nicolas de Condorcet était préparé à soutenir la liberté quand son ami Turgot accéda au Contrôle général des finances. Dès lors la carrière de Condorcet prend un tournant et il s’insère dans le débat économique, soutenant inlassablement les réformes libérales du nouveau ministre. Favorable à la concurrence, à la liberté du commerce, Condorcet réclamait aussi la suppression des corvées, des corporations, et la juste répartition des impôts…

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      Laissez-faire français : Turgot, le réformateur (19)

      Benoit Malbranque · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 17 January, 2021 - 04:20

    Par Benoît Malbranque.

    « Point de banqueroute. Point d’augmentation d’impôts. Point d’emprunts. » Voilà les exigences très claires de Turgot nouveau ministre de l’Économie et des finances de Louis XVI, à son Roi. Turgot tentera de libéraliser, sans succès, le prix du blé pour régler le problème récurrent des disettes. De même sa cible sera les privilèges – position politiquement dangereuse… On le sait moins mais en Limousin, il supprime la corvée, l’impôt en nature. Bref, un grand économiste qui aura tenté de réformer un pays décidément irréformable…

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      Responsabilité : au cœur de la tradition intellectuelle libérale

      Frédéric Mas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 29 December, 2020 - 04:15 · 6 minutes

    responsabilité

    Un entretien réalisé par Frédéric Mas.

    Un entretien exclusif avec Alain Laurent à propos de son dernier ouvrage : Responsabilité – Réactiver la Responsabilité Individuelle , paru le 7 février aux éditions Belles Lettres.

    Frédéric Mas : Qui est responsable ? Être responsable, c’est être à soi sa première cause. Cela implique qu’il n’y a de morale qu’individualiste ?

    Alain Laurent : Puisque dans l’ordre humain seul l’individu (et non pas les « collectifs ») est un être pensant et doté d’intentionnalité agissante, il est donc forcément seul à pouvoir être tenu pour responsable de ses choix et actions : être considéré comme leur cause principale et avoir à répondre de ce qui lui est imputé.

    La responsabilité individuelle se situe donc à la fois en amont, dans le libre arbitre , de la prise de décision et en son aval, en assumant ou revendiquant les conséquences de ses décisions. S’il n’était pas le libre auteur de de ses actes, on ne voit d’ailleurs pas au nom de quoi on lui demanderait d’en rendre compte !

    De ces considérations découle une éthique de la responsabilité individuelle qu’on peut en effet qualifier d’individualiste au sens classique de la notion d’individualisme , telle qu’elle est par exemple spécifiée dans le Trésor de la langue française (CNRTL – CNRS) qui fait autorité en la matière : ce qui privilégie l’indépendance d’esprit et de décision de l’individu ainsi que sa capacité d’autonomie ou d’autodétermination – à rebours de l’actuel individualisme bashing cher au gauchisme ou au conservatisme réactionnaire qui le réduit et l’assimile au narcissisme, à l’égoïsme trivial ou l’asocialité…

    La France n’est pas un pays très libéral, mais vous estimez qu’un vrai déclin de la responsabilité culturelle et institutionnelle s’est amorcé après-guerre. Quelles en sont les sources ?

    Le reflux de l’inscription institutionnelle du primat de la responsabilité morale et sociale de l’individu et sa déresponsabilisation subséquente ont en effet véritablement commencé en France aux lendemains de la Deuxième Guerre mondiale, et cela à un double égard.

    D’une part, sur le plan juridique, avec dans certains domaines la substitution d’une abstraite « personne morale » aux personnes humaines concrètes dans l’imputation des fautes commises et des réparations aux victimes (un point admirablement repéré, documenté, analysé et déploré en 1965 par l’éminente juriste Geneviève Viney dans son bien nommé Le déclin de la responsabilité individuelle ).

    Et d’autre part avec la mise en place d’ un État social ou providence impliquant une déresponsabilisation croissante des individus dans la protection contre la maladie ou le chômage et la préparation de leur retraite (en France, cela s’est traduit par l’application du programme à fort relent collectiviste du Conseil national de la Résistance) : cette mise sous tutelle a été en son temps dénoncée par des penseurs libéraux de sensibilités diverses : Walter Lippmann , Jacques Rueff et surtout Wilhelm Röpke , que j’ai fréquemment cité dans mon livre.

    Vous montrez bien que la responsabilité individuelle est au cœur de la tradition intellectuelle libérale. Cependant, c’est Proudhon qui pour vous est le premier à mettre en avant cet aspect dans son projet philosophique. Il serait le premier libertarien d’extrême gauche… Avant Bastiat ?

    L’apparition de l’expression « responsabilité individuelle » constitue dans l’histoire des idées un marqueur lexical fort pour repérer l’émergence d’une philosophie morale et sociale centrant l’imputation de responsabilité sur l’individu.

    Elle est intervenue dans le courant du XIXe siècle, avant tout en France ; et de l’enquête généalogique que j’ai menée il ressort que le premier penseur à l’avoir utilisée et positivement et à plusieurs reprises est… Proudhon – mais il s’agit du Proudhon d’après 1848-50, qui avait rompu avec le socialisme et rejoint la pensée libérale sur bien des points (libre concurrence, critique de l’impôt, respect du droit de propriété). En cela et sur le fond, il se rapproche de Bastiat avec qui il avait tant polémiqué et qui, paradoxalement venait de décéder (1850) mais n’avait, lui, jamais explicitement parlé de « responsabilité individuelle » bien qu’il ait été, cette fois-ci le premier à exposer sur un mode consistant les ressorts et la logique de la responsabilité de l’individu.

    Que cela fasse de Proudhon dans la deuxième partie de sa trajectoire intellectuelle un « libertarien d’extrême gauche », je n’irai pas jusque là. J’ai depuis longtemps toujours vu en lui plutôt un radical et authentique libéral de gauche .

    La responsabilité individuelle, et son pendant, le libre arbitre, n’est pas seulement menacée par les différents collectivismes de droite et de gauche qui cherchent à la diluer. L’émergence récente des neurosciences remet aussi au goût du jour le déterminisme matérialiste le plus extrême, qui tend à réduire la conscience de nos actions à néant. Comment surmonter ce néoscientisme sans pour autant rejeter les évolutions certaines de la science dans le domaine de la conscience ?

    La critique fondamentale à adresser à nombre de neuroscientifiques décrétant, en invoquant leurs travaux, l’enterrement d’un libre arbitre (pour eux une antique superstition « métaphysique ») ou « free will » qui est le socle d’une substantielle et cohérente responsabilité individuelle, est de s’aventurer inconsidérément et péremptoirement hors de leur champ scientifique de compétence. D’autant qu’ils le font de manière expéditive, en croyant le liquider définitivement en quelques pages voire quelques lignes, ce qui est bien léger pour une problématique d’une complexité telle qu’elle leur échappe.

    En se comportant de la sorte, ces suppôts d’un déterminisme réducteur et sommaire contreviennent aux rigoureux critères de la scientificité telle que les a avec soin posés Karl Popper : les extrapolations qu’ils avancent sans prudence ni parfois cohérence ne sont pas « falsifiables » (réfutables), et relèvent bien plutôt de l’opinion et de convictions idéologiques.

    La moindre des choses serait qu’ils renoncent au prétendu monopole de l’explication cognitive de la vie morale de l’être humain, qui plus est réduit à l’état d’un automate irresponsable qui s’ignore. J’ajouterai enfin que l’existence non niable d’un « inconscient cognitif » peut être interprétée de manière toute différente, sans revêtir la toute-puissance liberticide qu’ils lui attribuent dans une grave rechute scientiste. C’est le cas d’autres neuroscientifiques et non des moindres, pour lesquels inconscient cognitif et libre arbitre sont compatibles.

    Certains d’entre eux, dans le sillage d’un Karl Popper (qui fut d’abord un scientifique) acquis à l’indéterminisme, soutiennent même que la plasticité des déterminismes de l’esprit humain les rend ouverts à l’action d’une libre volonté – ou que dans l’état actuel des connaissances, la question est indécidable. Avec ceux-là, non seulement le dialogue est possible, mais nécessaire et fécond.

    Un entretien initialement publié le 11 février 2020.

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      Comment est né le mouvement libertarien ? (1)

      Fabrice Copeau · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 15 November, 2020 - 04:25 · 11 minutes

    mouvement libertarien

    Par Fabrice Copeau.

    Durant les années 1960, le mouvement libertarien est marqué par un rejet de l’impérialisme conservateur, la condamnation de la violation des principes libéraux et le refus de la confusion du droit et de la morale religieuse.

    À travers l’héritage des trois traditions anti-étatistes américaines classiques (Old Right, isolationnisme, libéralisme classique), une avant-garde libertarienne, au début coupée de ses partisans, émerge et quitte le Grand Old Party.

    À partir du début des années 1950, les nouveaux conservateurs 1 dotent la droite américaine d’une idéologie englobante qui lui fait défaut. Des revues comme Modern Age et la National Review en sont le fer de lance. La seconde, fondée par William Buckley, est le véritable centre de gravité de ce nouveau traditionalisme.

    La résistance du libertarianisme : une synthèse réactive

    Dans le cadre de la lutte contre le communisme et l’URSS, Buckley distingue clairement entre ce qu’il appelle les « conservateurs de l’endiguement » et les « conservateurs de la libération », pour finalement prendre position en faveur des seconds.

    Une querelle l’oppose ainsi au libertarien Chodorov, pour qui la guerre a créé une dette colossale, entraînant une augmentation continuelle des impôts, la conscription militaire et un accroissement de la bureaucratie. C’est la revue The Freeman qui abrite ces échanges musclés.

    « Pendant la guerre , écrit Chodorov, l’État acquiert toujours du pouvoir au détriment de la liberté » . Schlamm lui répond dans la livraison suivante de la revue que la menace soviétique est telle qu’elle ne saurait être contenue par l’indifférence.

    Ce à quoi Chodorov répond, toujours dans le Freeman , qu’il n’est pas convaincu « de la capacité du gang de Moscou à envahir le monde » . « La suggestion que la dictature américaine serait « temporaire » , ajoute-t-il, rend suspect l’ensemble de l’argument, car aucune dictature ne s’est jamais donné de limite dans la durée de son office » . La guerre, termine-t-il, « quels que soient les résultats militaires, est certaine de rendre notre pays communiste » .

    Une deuxième ligne de rupture est constituée par la politique économique. Au début des années cinquante, la crainte de voir les nouveaux conservateurs sacrifier les dogmes du libéralisme classique à la satisfaction d’un impérialisme messianique catalyse les premières réactions libertariennes.

    C’est du reste à cette occasion que Dean Russell invente le mot même de « libertarien ».

    L’émergence d’un double leadership

    Depuis le début des années 1950, Murray Rothbard trace les contours de la doctrine libertarienne à travers différents articles, en prenant presque systématiquement comme repoussoir les principes conservateurs.

    Toujours dans The Freeman , Schlamm doit en découdre avec Rothbard cette fois, qui avait présenté la célèbre thèse de Mises selon laquelle le communisme s’effondrerait de lui-même et qu’il n’était pas besoin de gaspiller des efforts inutiles pour faire advenir une chute imminente.

    Schlamm s’en prend pour la première fois nommément aux « libertariens », qui, selon lui, « ont raison en tant qu’économistes, mais fatalement tort comme théologiens : ils ne voient pas que le diable est réel et qu’il est toujours là pour satisfaire la soif insatiable des hommes pour le pouvoir » .

    À l’élection présidentielle de 1956, Rothbard soutint le candidat indépendant T.C. Andrews, tout en précisant que parmi les deux principaux candidats, le républicain D. Eisenhower et le démocrate A. Stevenson, le second lui paraissait préférable.

    Pour la première fois, le mouvement libertarien se positionne donc à gauche de l’échiquier politique. Cela a marqué une rupture intellectuelle avec le mouvement conservateur, en attendant la rupture organisationnelle.

    Ayn Rand joue également, durant cette période, un rôle déterminant dans les préparatifs à la constitution du mouvement libertarien. Le cercle de ses adeptes, qui se réunit dans le salon de la romancière, s’agrandit sans cesse, et écoute l’initiatrice lire les épreuves de son nouveau roman, Atlas Shrugged .

    Parmi eux 2 , le futur président de la Fed, Alan Greenspan, est des plus assidus, tout comme Barbara et Nathaniel Branden.

    Comme dans La source vive , son précédent roman, on trouve dans Atlas Shrugged une opposition manichéenne entre des créateurs égoïstes et des parasites étatistes. Parmi les premiers, Dagny Taggart et Hank Rearden sont les principaux protagonistes du roman. Respectivement directrice d’une compagnie ferroviaire et magnat de l’acier, ils s’efforcent l’un et l’autre de résister tant bien que mal aux ingérences du gouvernement et de faire vivre leurs affaires dans le contexte d’une crise sans précédent.

    À mesure que l’État se montre de plus en plus intrusif dans l’économie, les membres du cercle très fermé des créateurs égoïstes disparaissent un à un. On apprend au milieu du roman qu’ils se sont tous réunis dans les montagnes du Colorado, au sein d’une communauté capitaliste utopique, appelée Galt’s Gulch, le « ravin de Galt ». John Galt , dont la recherche de l’identité est martelée tout au long du roman par la question « Who is John Galt ? », est un ingénieur surdoué à l’initiative de la grève.

    Inventeur d’un moteur révolutionnaire alimenté à l’énergie statique, il refuse d’en offrir l’usage à la masse ignorante. « Les victimes sont en grève […] Nous sommes en grève contre ceux qui croient qu’un homme doit exister dans l’intérêt d’un autre. Nous sommes en grève contre la moralité des cannibales, qu’ils pratiquent le corps ou sur l’esprit. »

    Hank Rearden et Dagny Taggart sont tellement attachés à leurs propres commerces qu’ils déclinent toutes les sollicitations de John Galt. Mais la retraite des principaux acteurs de l’économie rend leur situation de plus en plus insupportable. La société américaine traverse des crises de plus en plus préoccupantes, et imputées conjointement aux ingérences des gouvernants et à la forfaiture des créateurs.

    La fin du roman décrit avec emphase une situation apocalyptique. Les hommes d’État, désœuvrés, reprennent tour à tour l’aphorisme éculé de Keynes : « Dans le long terme, nous sommes tous morts. »

    John Galt interrompt soudainement les programmes radiophoniques pour expliquer les causes du déclin. Son discours, comparable à celui de Howard Roark lors de son procès, tient lieu de prolégomènes à la philosophie objectiviste randienne. Galt commence par énumérer les perversions morales sous-tendant l’étatisme ambiant.

    De là le dédain de la masse pour les créateurs égoïstes qui lui apportaient pourtant la plus grande richesse. À la fin, John Galt annonce leur retour à la condition que l’État se retire. Les hommes du gouvernement abdiquent. Ainsi s’achève le roman : « La voie est libre, dit John Galt, nous voici de retour au monde. Il leva la main puis, sur la terre immaculée, traça le signe du dollar. »

    Atlas Shrugged a été désigné comme le deuxième livre le plus influent pour les Américains, juste après la bible, par la Library of Congress en 1991.

    À peine eut-il lu le livre que Murray Rothbard adressa à Ayn Rand une lettre élogieuse dans laquelle il alla jusqu’à reconnaître avoir auprès d’elle une dette intellectuelle majeure.

    Rand accueillit chez elle les membres du Cercle Bastiat, et en particulier Rothbard. Le rapprochement fut cependant de courte durée. Pour soigner sa phobie des voyages, Rothbard fit appel aux services de Nathaniel Branden, qui diagnostiqua qu’il avait fait un « choix irrationnel d’épouse ».

    Rand et Branden invitèrent donc Rothbard à quitter sa femme, et lui offrirent leurs services matrimoniaux pour lui substituer une compagnie plus conforme aux canons randiens.

    Rothbard déclina l’invitation, ce qui mit Rand dans une rage folle ; elle orchestra un procès en excommunication contre Rothbard, ce qui marqua la fin définitive de leur collaboration.

    Les ténors libertariens exclus des instances conservatrices

    Les conservateurs s’employèrent alors à écarter l’avant-garde libertarienne sans toutefois rejeter le mot « libertarien ». Pour faire profiter les militants de ce que la pensée libertarienne était susceptible d’apporter, sans toutefois lui permettre de s’exprimer et de corrompre leurs propres idéaux, les conservateurs ont ainsi œuvré pour priver les principaux leaders libertariens d’expression, en les écartant de la National Review .

    Bien que seul représentant des libertariens parmi les contributeurs de la National Review , Chodorov se désolidarisa rapidement des positions prises par la revue. Dès 1956, celle-ci commença à refuser des articles contestant la légitimité et l’utilité d’une intervention des États-Unis à l’extérieur.

    Rothbard contribua quelques années encore à contribuer à cette revue, mais, comme Justin Raimondo l’explique 3 , les idées économiques exposées par Rothbard étaient purement ornementales, et promettaient de disparaître à la première occasion.

    En 1959, il soumit à la revue conservatrice un article dans lequel il préconisa un désarmement nucléaire mutuel pour mettre un terme à la guerre froide. Le refus, pourtant attendu, de Buckley de publier l’article marqua définitivement la fin de leur impossible collaboration.

    L’exclusion la plus retentissante du mouvement conservateur reste toutefois celle d’Ayn Rand. La condamnation virulente d’ Atlas Shrugged par les éminences du nouveau conservatisme la conduisit à prendre ses distances d’avec le mouvement conservateur en voie d’institutionnalisation.

    Whittaker Chambers va jusqu’à qualifier la perspective de Rand de « totalitaire » en comparant cette dernière au dictateur omniscient du roman de Orwell. Par ailleurs, Rand condamnait sans préavis toute forme de religion. Pour Buckley et les nouveaux conservateurs, un athéisme aussi agressif ne pouvait faire bon ménage avec la composante traditionaliste et religieuse de la coalition en formation.

    Rand présenta même une critique structurée du nouveau conservatisme, en dénonçant ce qu’elle identifiait comme ses trois piliers : la religion, la tradition et la dépravation humaine.

    Comme elle le dit : « Aujourd’hui, il n’y a plus rien à conserver : la philosophie politique établie, l’orthodoxie intellectuelle et le statu quo sont le collectivisme. Ceux qui rejettent toutes les prémisses du collectivisme sont des radicaux. » 4

    À leur corps défendant, les conservateurs se brouillent aussi avec des auteurs qu’ils auraient pourtant aimé conserver dans leur giron. C’est tout particulièrement vrai de Friedrich Hayek. Dans un article célèbre, intitulé « Pourquoi je ne suis pas conservateur » 5 , il regrette que le contexte de l’époque associe les libéraux aux conservateurs.

    Il congédie l’axe gauche-droite qui insinue que le libéralisme se trouverait à mi-chemin entre le conservatisme et le socialisme, et propose de lui substituer une disposition « en triangle, dont les conservateurs occuperaient l’un des angles, les socialistes tireraient vers un deuxième et les libéraux vers un troisième ».

    La « peur du changement », typique de la pensée conservatrice, se traduit chez eux par un refus de laisser se déployer librement les forces d’ajustement spontanées, et par un désir de contrôler l’ensemble du fonctionnement de la société. De là « la complaisance typique du conservateur vis-à-vis de l’action de l’autorité établie » .

    « Comme le socialiste, le conservateur se considère autorisé à imposer aux autres par la force les valeurs auxquelles il adhère. » L’un comme l’autre se révèlent ainsi incapables de croire en des valeurs qu’ils ne projettent pas d’imposer aux autres. « Les conservateurs s’opposent habituellement aux mesures collectivistes et dirigistes ; mais dans le même temps, ils sont en général protectionnistes, et ont fréquemment appuyé des mesures socialistes dans le secteur agricole. »

    Hayek condamne aussi l’impérialisme conservateur, emprunt d’un nationalisme et d’un autoritarisme des plus délétères.

    Enfin, il convient de noter qu’Hayek ne rejette pas le terme « libertarien », comme on le lit souvent. Il lui reproche simplement son irrévérence à l’endroit d’une tradition qu’il entend pourtant perpétuer, mais ne rejette en rien ce qu’il recouvre, et encore moins l’inspiration qui l’a fait naître. Toutes ces ruptures intellectuelles ne font que précéder la rupture partisane, qui ne tarda pas à intervenir.

    Article initialement publié en décembre 2010.

    1. Il convient de distinguer ces nouveaux conservateurs des néoconservateurs. Ces derniers interviendront un peu plus tard, à la fin des années 1960 autour de journaux comme Public Interest et Commentary , et derrière des personnalités comme Daniel Bell, Irving Kristol, Patrick Moynihan et Norman Podhorez. Pour simplifier, on peut décrire les nouveaux conservateurs comme des traditionnalistes anticommunistes, qui se réfèrent à l’histoire et s’autorisent de Burke ; les néoconservateurs comme d’anciens démocrates hostiles à l’évolution progressiste de la gauche, ayant pour code le droit naturel et se réclamant de Tocqueville. Les deux mouvements conservateurs se coalisèrent dans les années 1970 pour préparer la victoire de Reagan en 1980.
    2. Le groupe se baptise ironiquement The Collective.
    3. Justin Raimondo, Reclaiming the American Right , p. 189.
    4. A. Rand, « Conservatism : An Obituary » (1960), in Capitalism : The Unknown Ideal , New York, Signet, 1967, p. 197.
    5. F. A. Hayek, « Pourquoi je ne suis pas conservateur », in La Constitution de la liberté , 1960.