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      Aux origines françaises du «soft power»

      news.movim.eu / Mediapart · Saturday, 26 November, 2022 - 17:35


    Dans un livre qui veut renouveler l’historiographie de la colonisation, l’historien David Todd explore les formes oubliées de l’Empire français au XIXe siècle et bat en brèche l’opposition canonique entre les répertoires impériaux français et britanniques.
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      De quoi les data centers sont-ils le nom ? – À propos de À bout de flux de Fanny Lopez

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Wednesday, 16 November, 2022 - 18:39 · 10 minutes

    Depuis quelques années, le système énergétique français est bouleversé par l’arrivée massive et sans précédents des opérateurs privés du numérique, qui transforment l’espace, les réseaux énergétiques et les consommations. C’est à ce « continuum électrico-numérique » que Fanny Lopez s’intéresse dans son dernier ouvrage À bout de flux (Éditions divergences, octobre 2022). L’historienne de l’architecture et des techniques revient sur le développement de ces infrastructures numériques, à la fois omniprésentes et invisibles, et sur les risques liés à leur insertion dans les télécommunications et infrastructures énergétiques nationales.

    Ces données qui modifient le territoire

    Moins visibles que les autres infrastructures de télécommunication, les centres de données, enjeu de stockage industriel et de traitement des données, sont le signe du déploiement sans précédent des infrastructures numériques. Fanny Lopez, auteure d’un rapport pour l’Ademe intitulé « L’impact énergétique et spatial des infrastructures numériques » (2019) revient dans son dernier ouvrage, sur leur insertion à la fois territoriale et énergétique dans les réseaux des télécommunications.

    À bout de flux, Fanny Lopez ((Divergences, octobre 2022)

    Accompagnant les besoins nouveaux des citoyens, mais surtout des entreprises, le nombre et la superficie des centres de données a explosé en quelques années, reconfigurant les territoires. La réduction du prix des câbles – les coûts ayant été divisés par dix pour une capacité multipliée par 50 en vingt ans – a en effet conduit à l’hyper-concentration de ces centres de données et au développement monofonctionnel des territoires, un phénomène que la maîtresse de conférence qualifie d’« effet magnet ». L’étude Data Gravity de l’Université de Berkeley [1] montre ainsi que les données échangées par les 2000 plus grandes entreprises mondiales s’accumulent autour de 50 villes dans le monde. En France, RTE prévoit une multiplication par trois de la consommation des centres de données à l’horizon 2050 [2] .

    Spatialement, cette hyper-concentration se traduit par l’émergence de grandes banlieues autour des grands hubs mondiaux, à l’instar de Ashburn en Virginie, au Nord de Washington qui compte 270 centres de données consommant 2000 MG soit l’équivalent de 200 centrales nucléaires.  Économiquement, le développement de ces « zones numériques monofonctionnelles » est corrélé à une tendance à la monopolisation croissante des acteurs. En 2019, Microsoft comptait 115 partenaires de centres de données, et 20 en 2022.

    Éclairer la matérialité du grand système technique électrique

    Ce renforcement économique et spatial de l’hyperconcentration des données incite Fanny Lopez à produire une déconstruction méthodique des présupposés idéologiques et technologiques qui guident ces processus historiques. L’objectif de l’auteure est de mettre en lumière les conséquences spatiales, environnementales, urbanistiques des « grands systèmes électriques » et les enjeux et perspectives inhérents à ces infrastructures, à l’heure où elles doivent être renouvelées. Selon l’auteur « Éclairer la matérialité du grand système électrique, c’est tenter de recomposer une intelligibilité technique. S’intéresser à la transmission et à la distribution, c’est revenir sur la forme et l’échelle des mailles du réseau et donc questionner les fondamentaux de l’urbanisme des flux : rapport centre-périphérie, production-consommation, densité-étalement, phénomènes de métropolitisation et de hubs ». En d’autres termes, la considération des effets de ces infrastructures invite mécaniquement à une réflexion critique sur l’imaginaire qui sous-tend ce qu’elle nomme « le productivisme des flux ».

    « Avec la digitalisation, les infrastructures numériques et électriques tendent à se confondre dans un continuum électrico-numérique »

    L’électricité a permis l’essor des télécommunications, en assurant la mobilité de toutes les machines. Mais c’est avec l’arrivée de l’informatique couplée aux possibilités permises par l’électricité qu’on assiste à une convergence des machines, et à une fusion de celles-ci dans le cadre d’un système d’interconnexion croissant. Dans la continuité de la pensée du philosophe Günther Anders, Fanny Lopez revient sur cette nouvelle « ontologie des appareils », avec l’idée que le développement sans limite de ces machines fait de l’homme un prolongement de celles-ci et non l’inverse. Ainsi, l’électricité couplée à l’outil numérique forme une « méga-machine » (Günther Anders). Du fait de l’interconnexion de celles-ci, les machines s’autorégulent et précèdent l’intervention humaine. Les échanges « d’individus à machine » (échanges de mails, envoi de données par smartphone, etc.) ne représentent que 20 % des flux de données, tandis que 80 % de la création de données est produite par les entreprises.

    « Il n’y a pas de problèmes de production d’électricité en France »

    Contrairement à l’opinion courante selon laquelle la numérisation des activités économiques et administratives permettrait d’alléger la facture énergétique de la planète, on constate au contraire que   les infrastructures numériques sur lesquelles reposent les services numériques pèsent de plus en plus lourd sur nos infrastructures électriques et, partant, sur notre consommation énergétique globale. En effet, les grands opérateurs privés très énergivores se rattachent au réseau de distribution ou de transport électrique selon l’importance de leur consommation pour leur usage quotidien, tout en s’assurant une production électrique de secours au besoin. Les centres de données disposent de générateurs de secours pour leurs besoins propres, en cas de panne sur le réseau électrique. Ainsi constate-t-on avec la digitalisation à la fois la hausse de la consommation de l’électricité et une redondance infrastructurelle, alors même que les opérateurs publics n’ont pas de leviers d’action vis-à-vis de cette demande croissante.

    D’un côté, les limites de notre modèle énergétique semblent évidentes. À l’heure actuelle, les réacteurs nucléaires vieillissent, l’ EPR de Flamanville ne fonctionne toujours pas . De l’autre, tous les grands scénarios énergétiques présentées par RTE à l’horizon 2050 prévoient l’augmentation de la production d’électricité en lien avec l’électrification des usages. À l’occasion de la présentation des scénarii « Futurs énergétiques 2050 », les dirigeants de RTE insistaient en outre sur la nécessité de restructurer les réseaux à court terme, en s’appuyant sur les outils numériques pour optimiser le réseau électrique. L’idée étant que le numérique assure une utilisation plus flexible de l’électricité, notamment avec les « smart grid » et l’Intelligence artificielle. Pour Fanny Lopez, cela revient à dire qu’« avec la digitalisation, les infrastructures numériques et électriques tendent à se confondre dans un continuum électrico-numérique ».

    « L’hégémonie technicienne repose sur la croissance et le renforcement du grand système électricité comme unique perspective »

    Les investissements économiques importants déployés pour soutenir ce modèle de grand système technique centralisé hérité du début du siècle semblent pourtant de plus en plus incompatibles avec les différentes limites planétaires. L’amélioration de l’efficacité énergétique ne garantit pas à l’heure actuelle des effets équivalents en termes des émissions de gaz à effet de serre à ceux qu’auraient des modifications structurelles des modes de productions qui les conditionnent et les déterminent. Notre modèle de production énergétique reste adossé à la production massive de données, encouragée par des acteurs privés et conduit à l’explosion de ces data centers qui transforment nos territoires. Ainsi, « l’hégémonie technicienne repose sur la croissance et le renforcement du grand système électricité comme unique perspective ».

    Tandis que le débat public énergétique tourne généralement autour des sources d’énergie et dudit « mix énergétique » sans jamais porter sur les infrastructures en elles-mêmes, Fanny Lopez soutient que « sortir de ce cycle infernal, c’est assumer une discussion sur la transformation de toute la structure du réseau, depuis la production jusqu’à la distribution ».

    De la privatisation croissante des infrastructures

    La crise de notre système électrique et énergétique actuel met en évidence les limites de notre modèle, et invite à prendre pleinement la mesure de la déstabilisation des territoires par l’arrivée massive des opérateurs numériques privés : « Alors que les politiques urbaines et les politiques publiques ont fait de la ville connectée, autrement appelé smart city , un objet de prospective urbaine, la réalisation de l’infrastructure reste aux mains d’une industrie privée poussée par la fièvre connectique et les parts de marché associées au grands projet de l’interconnexion des machines dont le nombre, la consommation électrique et le poids environnemental ne pourront se perpétuer, alors même que le cercle de la logique technologique du capitalisme tardif rend la technique de plus en plus étrangère aux besoins fondamentaux ».

    Le déploiement des infrastructures numériques se réalise aujourd’hui sous l’emprise d’entreprises privées. Or, comme le montre l’auteur, l’ampleur des infrastructures des télécommunications a été rendue possible par d’importants investissements publics. Dans le secteur des télécommunications, l’inflexion libérale a été particulièrement manifeste malgré l’invisibilité de ces infrastructures qui nous empêche de prendre la mesure de l’évolution du déploiement de celles-ci.

    Or la dynamique actuelle des infrastructures du numérique se révèle de plus en plus incompatible avec les missions remplies par les infrastructures des services publics, compris au sens large comme un « objet socio-technique dont l’usage partagé est réglementé dans une perspective d’accessibilité et de respect de l’environnement » (p. 33). En effet, les infrastructures numériques captent l’énergie des infrastructures publiques selon le principe de la file d’attente qui prévoit que le premier arrivé est le premier servi sans hiérarchisation ni priorisation des usages. En outre, la consommation électrique et numérique est favorisée, dans le cadre de ce que Günther Anders appelle la « mégamachine » susmentionnée, sans qu’une optimisation des usages ne soient envisagée à l’aune des impératifs climatiques. Pour ces raisons, Fanny Lopez estime ainsi que « les réseaux numériques se développent dans un « âge post-service public » .

    « Changer de société, c’est changer d’infrastructure » (Castoriadis)

    À l’heure où nous avons de nombreux débats publics autour des sources d’énergie et d’électricité, peut-être devrions nous réfléchir aux systèmes mêmes de nos infrastructures, caractérisées par leur interconnexion pour repenser des reconfigurations structurelles. C’est en tout cas ce à quoi ce livre nous invite.

    À la fin de l’ouvrage, Fanny Lopez propose ainsi des pistes de réflexion pour penser une alternative à notre modèle actuel de réflexion sur les infrastructures. Contre l’idée selon laquelle remettre en question notre modèle imposerait d’en passer par des positions technophobe ou réactionnaire, l’auteure avance des éléments de résolution pour reconsidérer notre technostructure électrique. Ce qui suppose d’éviter deux écueils. Le champ de cette réflexion est en effet selon elle considérablement limité, du fait de deux conceptions antinomiques de la technologie. L’imaginaire technique est soit cantonné à l’ « hégémonie culturelle libérale » très techno-solutionniste, soit restreint à l’« imaginaire effrondiste ».

    À rebours de ces conceptions réductrices, il faudrait selon elle réinvestir l’imaginaire des machines, pour nourrir l’idéal d’un réseau efficace et garant d’une égale distribution des services sur l’ensemble du territoire. Pour ce faire, elle invite à considérer deux échelles de gouvernance, nationale et communale : « Parvenir à re-utopiser la grande échelle infrastructurelle tout en tenant la technique proche serait un défi de l’hypothèse redirectionniste ». Cette dialectique du proche et de la grande échelle invite ainsi à penser des infrastructures « habitables », proches des besoins et soucieuses de prévenir les risques environnementaux.

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      (3/3) En Italie, le «pilier antifasciste» de la République a été brisé

      news.movim.eu / Mediapart · Monday, 31 October, 2022 - 11:24


    L’historien Olivier Forlin insiste sur le décalage entre les avancées de la recherche sur le passé fasciste italien et leur négligence ou leur instrumentalisation dans le champ politique. Les années 1990 ont été particulièrement cruciales dans la banalisation du régime de Mussolini.
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      « Un livre est un lieu d’ancrage auquel il faut toujours revenir » – Entretien avec Yann Gomez

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Monday, 31 October, 2022 - 10:29 · 11 minutes

    Les éditions La Tempête empruntent leur nom à une pièce célèbre de Shakespeare et soufflent sur l’époque avec des vents résolument contraires. Lancées par un groupe d’amis, initialement bouquinistes sur les marchés et devenus éditeurs grâce au pari du possible, elles contribuent à exhumer des textes qui discréditent l’un des puissants motifs de la pensée réactionnaire : tout est fini, il n’y a plus rien à faire . Contre ce défaitisme historique, les alliés intellectuels sont en effet plus nombreux qu’il est d’usage de le croire. À la faveur d’une redécouverte de certains courants hétérodoxes du marxisme, ou encore d’un éventuel « moment » Lukács dont la republication de ses ouvrages constitue l’un des premiers signes, les éditions La Tempête se distinguent dans le paysage éditorial par une démarche privilégiant la rareté des titres publiés. Si les lectures sont parfois difficiles, l’objet-livre est quant à lui fabriqué pour durer – gage est donné qu’il n’est plus un « consommable » parmi d’autres, mais qu’il faudra l’éprouver en annotant patiemment ses marges. Entretien réalisé par Laëtitia Riss.

    LVSL – Les éditions La Tempête sont créées en 2015, elles naissent dans les mouvements sociaux et s’accomplissent dans les livres. Quelles sont les raisons qui vous ont conduit à vous lancer dans un projet éditorial et à changer de mode d’intervention politique ?

    Yann Gomez – À l’origine, nous sommes un groupe d’amis de Bordeaux. Tous les quatre, nous nous sommes rencontrés dans les mouvements politiques ; ce qui nous a liés, c’était un refus affirmé d’une certaine idée de la vie, qui laissait entendre qu’on ne pouvait « réussir sa vie » qu’à travers une forme de reconnaissance individuelle. On a fait le choix du collectif, en vivant ensemble, et en essayant de rapprocher la sphère politique et la sphère de la vie. De manière très concrète, on a par exemple commencé à travailler tous ensemble comme bouquinistes sur les marchés. On mutualisait aussi bien le travail effectué, que les sommes gagnées. En plus de cela, on partageait un goût de la lecture et une filiation avec une tradition hérétique du marxisme (de l’école de Francfort à l’autonomie italienne) – des auteurs que nous allons être amenés à publier par la suite, en réalisant qu’ils n’étaient pas ou insuffisamment traduits.

    Le projet de maison d’édition a donc vu le jour au carrefour de ces deux pratiques : il s’agissait pour nous de concrétiser une activité collective. On s’est lancé sous forme associative et bénévole – c’est toujours le cas aujourd’hui – et on a fait le pari de la non-professionnalisation, même si cela n’a pas été sans poser quelques problèmes. Il fallait que chaque membre de la maison d’édition sache tout faire : édition, relecture, graphisme… On a bénéficié également des conseils d’une amie déjà éditrice, lors des débuts, qui nous a encouragés à poursuivre.

    « S’il fallait nommer le geste général qui circule dans nos livres, c’est celui du possible. »

    S’il fallait nommer le geste général qui circule dans nos livres, c’est donc celui du possible. C’est possible de créer une maison d’édition, comme c’est possible de faire l’Histoire. On a commencé en faisant de l’auto-édition pendant trois ans, c’est-à-dire qu’on appelait les libraires nous-mêmes pour diffuser nos livres. Ils ont d’ailleurs toujours été à l’écoute et ont souvent bien reçu ce qu’on proposait. D’une certaine manière, La Tempête s’efforce de démontrer que même dans des livres initialement publiés dans le passé, il y a toujours des éléments à réactiver.

    À l’inverse du goût nostalgique pour le passé, le nôtre est plutôt tourné mélancoliquement vers le présent. Rien n’est plus faux que le leitmotiv qui voudrait que tout soit fini (philosophie, littérature, métaphysique, poésie…), comme le pensent les réactionnaires ; raison pour laquelle nous nous efforçons de publier précisément ce dont on ne cesse de prédire la fin depuis tant d’années.

    LVSL – Le premier livre publié par les éditions La Tempête est un texte de Georg Lukács, intitulé De la pauvreté en esprit (1911), où il est notamment question « du sens d’une existence où se succèdent des tâches inutiles et sans grandeur », comme on peut le lire dans votre présentation. En quoi ce choix est-il révélateur de la ligne éditoriale que vous défendez ?

    Y. G. – On souhaitait initialement publier L’âme et les formes (1911) de Lukács, comme premier livre. Ce dernier nous semblait identifier une contradiction actuelle : la nécessité d’une transformation révolutionnaire et le manque de forces disponibles à sa réalisation. Or, comment penser ce moment tragique de l’existence, où s’affrontent grande nécessité et faibles forces ? C’est la tension à laquelle s’affronte Lukács dans ce texte, avant de la résoudre, plus tard, grâce à sa théorie du prolétariat, développée dans Histoire et conscience de classe (1923).

    Notre ambition a néanmoins été contrariée par des problèmes de droits de publication. C’est en effet Gallimard qui disposaient du titre dans son fonds. Bien que le livre soit épuisé depuis 1974 et qu’il n’ait plus été réédité, il n’a pas été possible de récupérer les droits. Le legs de Lukács est par ailleurs compliqué : ses ayants droits héritent d’une histoire problématique dès lors qu’on garde à l’esprit que ses archives en Hongrie ont été fermées et que sa statue y a été détruite. Nous avons finalement, pour nous lancer, publié un cours texte de cet auteur : « De la pauvreté en esprit ». C’est un dialogue philosophique très dense, écrit juste après la mort de sa compagne, Irma Seidler. Le caractère tragique d’une vie écrasée par la quotidienneté et qui ne parvient à atteindre une forme y est exacerbé à l’extrême.

    Si Lukács est aussi important pour nous, c’est également pour les livres qu’il a rendus possibles à sa suite. De nombreux auteurs peu connu, auxquels nous tenons particulièrement, comme par exemple Giorgio Cesarano (philosophe, poète et traducteur italien du vingtième siècle), ont repris le problème de la centralité du prolétariat dans la théorie de la révolution. Ils en démontrent les limites et interrogent la conjoncture qui peut être la nôtre. Dans le Manuel de Survie , Giorgio Cesarano fait notamment l’hypothèse que ce qu’il reste face au capital, désormais constitué comme communauté matérielle et engagé dans une dynamique de mort, c’est l’espèce humaine en tant que telle, qui doit lutter pour sa propre survie. Une hypothèse discutable, mais qu’on peut juger féconde, surtout aujourd’hui à la lumière de ce qu’on appelle « l’Anthropocène ».

    LVSL – Durant les premiers mois des éditions La Tempête, vous aviez fait le pari de proposer une préface d’éditeur pour chaque livre publié. Était-ce une manière de rendre vos livres moins anonymes et de donner une plus grande cohérence à votre catalogue ?

    Y. G. – C’est vrai qu’il s’agissait d’une exigence du départ. On voulait inscrire les livres qu’on publiait dans les discussions collectives qu’on menait ensemble et dans l’histoire de ceux qui les produisent – de l’auteur à l’éditeur. C’est une idée qu’on a fini par laisser de côté pour des raisons de rythme éditorial : il était plus facile de préfacer un titre par an que les six qui paraissent aujourd’hui. Aussi, on se laisse une plus grande marge de manœuvre, parfois, il n’y a rien à dire sur un livre, il parle de lui-même ; parfois, il appelle une autre écriture.

    « La Tempête se méfie de l’édition « consommable », qui serait toujours chargée de réagir aux débats de l’époque. »

    On se méfie à La Tempête de l’édition « consommable », qui serait toujours chargée de réagir à chaud aux débats de l’époque. Nos livres sont fait pour durer et doivent trouver écho dans dix, quinze ou même vingt ans. Le rapport à l’actualité des titres qu’on publie est en ce sens dialectique : il rencontre cette dernière pour mieux s’en distancier critiquement. À mon sens, un livre peut acquérir une valeur stratégique, selon tel ou tel débat qui se pose, mais il n’est jamais une réponse unique et « prêt-à-porter » à une question que lui adresse son temps.

    LVSL – Cette actualité « inactuelle » n’est pas sans rappeler les ambitions de la théorie critique, énoncée dans un texte fondateur de Theodor Adorno et de Max Horkheimer, Théorie traditionnelle et théorie critique (1937). Ces derniers ont également tenté de penser un nouveau manifeste communiste, bien qu’ils n’aient jamais abouti à un texte définitif. Seuls nous en restent leurs dialogues, que vous avez récemment publié ( Vers un nouveau manifeste , 2020 ), et qui ouvrent à un tout autre héritage du marxisme…

    Y. G. – L’équipe de La Tempête entretient en effet une certaine fidélité à la tradition marxiste et à sa formulation dans la théorie critique. Chez Adorno et Horkheimer, on retrouve le refus des modes intellectuelles et le souci de ne pas désavouer le marxisme. Leurs œuvres témoignent de cette volonté de le repenser à la lumière d’une nouvelle donne historique.

    Vers un nouveau manifeste est un texte curieux, en ce qu’il propose une pensée « en cours » d’élaboration. Ce sont des bribes de discussions, très « free-jazz » où l’on passe d’un sujet à l’autre, comme c’est le cas dans une conversation habituelle. Mais en creux, se dessine aussi le projet central d’un « nouveau manifeste » après 1956 – c’est-à-dire après la répression des conseils en Hongrie, en pleine crise de l’URSS. Adorno et Horkheimer tiennent de ce point de vue une position singulière après la Seconde Guerre mondiale : ils n’abandonnent pas la question du communisme. Ils posent par conséquent des questions essentielles pour l’avenir du marxisme : comment parler de communisme après l’URSS ? Comment envisager l’articulation du communisme et du progressisme ? Le progrès est-il la meilleure porte d’accès à une transformation de la société ? Ces débats, initiés dès les années 1950, sont encore très présents actuellement et loin d’être tranchés.

    LVSL – Vos livres sont aussi particulièrement travaillés par le désir de tenir un discours qui ne soit pas « séparé de la vie ». Comment une maison d’édition parvient-elle à lutter contre la séparation, qu’elle contribue pourtant parfois à fabriquer ?

    Nos livres ne sont pas des objets de consommation courante, c’est l’une des spécificités de ce que nous essayons de faire. Par conséquent, cela ouvre à une tout autre temporalité de la lecture : un livre dure presque toute une vie. Pour un certain nombre de nos titres, leur accès est difficile. Ils demandent un travail de long-terme pour en apprécier la portée. Mais symétriquement, c’est aussi la garantie qu’on puisse en tirer vraiment quelque chose – qu’ils soient des livres dont on se souvient et dont la différence critique est remarquable.

    Par exemple, Culture de droite , écrit par Furio Jesi, un mythologue italien, est un livre indispensable pour expliquer ce qu’est la culture de droite et sa cohérence dans le temps. Son auteur essaie de la caractériser en démontrant qu’elle relève de la production « d’un langage des idées sans mots ». Il décortique longuement les mythologies de la droite et du fascisme pour comprendre comment elles fonctionnent et, par extension, pour éviter que nous tombions dans les mêmes pièges. Ce qui nous intéresse alors dans un livre, c’est sa dimension politique, mais certainement pas son caractère militant.

    « Ce qui nous intéresse dans un livre, c’est sa dimension politique, mais certainement pas son caractère militant. »

    Nos livres sont aussi le produit d’une écriture, qui témoigne d’une extériorité à l’écriture philosophique savante. Nous accordons une attention très grande à la manière dont s’entrecroisent littérature et philosophie, à l’élaboration d’un « style » philosophique, imbriqué dans les idées elles-mêmes. C’est pour cela que nous publions très peu de livres « sur » des auteurs, qui adoptent le ton parfois trop docte du commentaire.

    Enfin, on s’efforce de répondre matériellement à cette question de la séparation, pour que notre projet intellectuel s’incarne dans une forme. Nos livres sont cousus – et non uniquement brochés, « collés », comme la plupart des tirages standards. Leurs marges supérieures sont aussi plus larges que conventionnellement, afin de permettre aux lecteurs d’écrire à même les ouvrages, à l’inverse d’une tendance actuelle d’édition qui réduit la place disponible sur les pages. C’est un détail pour de nombreux lecteurs, mais qui révèle pourtant une certaine conception de ce qu’est un livre : est-ce un support de passage ou, au contraire, un lieu d’ancrage auquel il faut toujours revenir ?

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      Le philosophe Bruno Latour est mort

      news.movim.eu / Mediapart · Sunday, 9 October, 2022 - 09:42


    Le penseur, mondialement connu, est décédé dimanche 9 octobre. Mediapart republie l’entretien qu'il nous avait accordé à l’occasion de la présidentielle, et à propos de la «classe écologique» dont il prédisait l’hégémonie.
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      L’autoritarisme au nom de la République: la critique d’un tour de passe-passe

      news.movim.eu / Mediapart · Wednesday, 7 September, 2022 - 10:37


    Le philosophe Jean-Fabien Spitz publie une réflexion sur le détournement de l’idée républicaine par les défenseurs d’un ordre marchand inique. Selon lui, le véritable objectif d’une République devrait être d’assurer à chacun la maîtrise de sa propre existence.
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      La fin du consensus néolibéral ?

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Saturday, 18 June, 2022 - 11:20 · 1 minute

    Le Vent Se Lève vous invite à une après-midi de réflexion et d’analyse sur la séquence politique, en compagnie de Chantal Mouffe, Evgeny Morozov, Barbara Stiegler, Alain Supiot et François Ruffin. Rendez-vous le samedi 25 juin à la Maison des Métallos à Paris à partir de 15h et en direct sur nos réseaux sociaux.

    PROGRAMME

    LES NOUVEAUX VISAGES DU LIBÉRALISME (15h-17h)

    ➕ Barbara Stiegler, Professeure à l’Université de Bordeaux
    ➕ Alain Supiot, Professeur au Collège de France
    ➕ Evgeny Morozov, chercheur et auteur

    « Retour de l’État », « éclipse du néolibéralisme », « réhabilitation de la souveraineté » : à lire les principaux médias, une véritable révolution est en cours depuis la pandémie. Du « quoi qu’il en coûte » d’Emmanuel Macron à l’élection de Joe Biden en passant par l’interventionnisme croissant des banques centrales, une observation superficielle de la séquence pourrait laisser croire que l’on s’écarte du paradigme néolibéral. Pourtant, celui-ci a toujours toléré un certain degré d’interventionnisme étatique et juridique. Et bien souvent, cet interventionnisme a même été la condition de son fonctionnement ordinaire… Les travaux de Barbara Stiegler, d’Evgeny Morozov et d’Alain Supiot apportent des éclairages sur ces problématiques et nous invitent à penser les mutations du néolibéralisme.

    RECONSTRUIRE L’AVENIR : LA GAUCHE PEUT-ELLE ÊTRE DE NOUVEAU POPULAIRE ? (17h-19h)

    ➕ François Ruffin, député et auteur
    ➕ Chantal Mouffe, Professeure de philosophie à l’Université de Westminster

    Le divorce historique entre la gauche et les classes populaires est-il en train de se refermer ? Le haut score de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle et le succès électoral de la NUPES semblent l’attester. Pourtant, une partie des classes populaires continue à s’abstenir massivement ou à se réfugier dans le vote Rassemblement national. Face à cet état de fait, plusieurs stratégies s’opposent pour les reconquérir. Chantal Mouffe est une théoricienne majeure du populisme de gauche et l’auteure de nombreux livres, dont « L’illusion du consensus » et « Hégémonie et stratégie socialiste » avec Ernesto Laclau. François Ruffin, député de la France insoumise de la 1ère circonscription de la Somme, débattra avec elle.

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      Le métavers et l’ordre économique

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Tuesday, 3 May, 2022 - 16:10 · 26 minutes

    Un monde parallèle dans lequel les frontières physiques, les normes sociales, les contraintes économiques sont abolies : la rhétorique du métavers n’est pas neuve et emprunte son idéologie aux pamphlets des années de la construction d’internet. L’apparition des technologies distribuées et des blockchains lui donne pourtant un nouveau souffle, décrivant l’utopie d’un monde structurellement armé contre la concentration des pouvoirs inhérente au web 2.0. Prototype d’un cyberespace refondé sur les principes de la décentralisation ou nouveau terrain d’affrontement pour les mastodontes technologiques, les enjeux du métavers sont plus profonds qu’il n’y paraît. Par Jonathan Bourguignon, auteur de Internet année zéro (éditions Divergences, 2021).

    En janvier se renforce la rumeur selon laquelle des centaines d’employés chez Apple travaillent secrètement sur un nouvel appareil de réalité augmentée. Quelques jours plus tard, Microsoft rachète les légendaires studios de jeux vidéo du groupe Activision-Blizzard pour soixante-huit milliards de dollars. Cette opération assoit plus encore la position de la maison-mère de la Xbox comme géant du jeu vidéo, mais elle renforce surtout la crédibilité de son projet Mesh for Teams, qui vise à créer des outils de travail en réalité virtuelle et augmentée, annoncé en Novembre 2021.

    Ces grandes manœuvres, associées à l’annonce tonitruante du changement de nom du groupe Facebook en Meta – tentative pataude de faire oublier un nom désormais trop associé aux scandales d’atteinte à la vie privée – annoncent une nouvelle offensive du monde technologique dans la course au métavers, hypothétique monde virtuel résilient qui appartient à la mythologie de la création du web. Cette mythologie annonçait un internet imperméable au pouvoir des monopoles et au contrôle des Etats ; les années 2010 l’ont laissée pour morte. Jusqu’à l’essor des cryptomonnaies et, dans leur foulée, la montée en puissance des technologies distribuées. L’imaginaire d’un internet décentralisé se dessine à nouveau, et se projette dans le concept de métavers. En quoi se distingue-t-il du colonialisme des GAFAM ?

    Du cyberespace au métavers

    Retour en arrière : en 1992, le roman de science-fiction Snowcrash est le premier à utiliser le terme de métavers, et reprend l’idée d’un univers persistant en réalité virtuelle, dans la lignée du cyberespace décrit dans le roman Neuromancer en 1984. Ces deux romans marquent la naissance et l’apogée du genre cyberpunk. Entre les deux, les prophètes de la Silicon Valley reprendront à foison ce terme de cyberespace pour annoncer l’avènement d’internet, nouveau monde émancipateur et sans limites. Plus que la réalité virtuelle, c’est la cohabitation entre des millions de participants et la persistance de l’univers qui distinguent le métavers d’un simple jeu vidéo. Ce sont aussi les usages : le métavers doit être un lieu de commerce, de sport, de travail, de réunion, un lieu dans lequel se transposent la plupart des activités de la vie réelle, affranchies des limites du monde physique.

    A la fin des années 80, se représenter un tel devenir pour le réseau internet, qui ne se matérialise que sous forme de lignes de commandes, demande beaucoup d’imagination. Il en faut déjà un peu moins pour comprendre les interfaces graphiques du Web, qui se démocratise à l’époque de la parution de Snowcrash . Dans les années 2000, la troisième dimension donne son heure de gloire au plus célèbre des métavers à date, Second Life. Les joueurs y créent bâtiments et objets virtuels, qu’ils s’échangent au moyen d’une monnaie numérique, générée par les créateurs du jeu ; Suzanne Vega ou U2 y ont donné des concerts virtuels, les plus grandes marques y ont implanté des boutiques et des showrooms, les principales banques s’y sont installées pour financer cette nouvelle économie virtuelle. Une économie qui s’assèche progressivement à partir de 2007 et la crise des subprimes : la panique bancaire se répand jusqu’aux guichets des agences du monde virtuel. Second Life périclite, l’idéologie du cyberespace est passée de mode, la sociabilisation en ligne passe par les messageries des réseaux sociaux plutôt que par des univers en 3D.

    En 2018, Steven Spielberg donne sa propre interprétation cinématographique du métavers avec Ready Player One , lui-même adapté d’un roman paru quelqeus années auparavant. Dans le film, c’est un jeu vidéo qui peu à peu en vient à happer toutes les activités sociales de ses utilisateurs. Deux ans plus tard, l’épidémie de Covid-19 montrent que Spielberg est toujours un grand observateur de la société. Les confinements successifs marquent le retour en grâce des évènements culturels à l’intérieur même d’univers pensés pour le jeu vidéo. Des marques de luxe participent à la Fashion Week organisée sur Animal Crossing de Nintendo, Parti Démocrate et militants hongkongais investissent World of Warcraft pour s’organiser, les rappeurs Lil Nas X et Travis Scott donnent des concerts virtuels qui rassemblent des dizaines de millions de fans, l’un sur Roblox (une plateforme constituée d’une multitude de mini-jeux créés par ses centaines de millions d’utilisateurs, principalement des enfants et des adolescents), l’autre sur Fortnite (créé par le studio Epic Games, contrôlé par l’entreprise chinoise Tencent, maison-mère de WeChat, la super app qui joue le rôle de Facebook dans l’univers parallèle que constitue l’Internet chinois derrière le Grand Firewall). En parallèle, messageries instantanées et visioconférences deviennent les outils les plus importants du télétravail auquel se rallient à contrecœur des centaines de milliers d’entreprises. Toutes les conditions semblent réunies pour que l’essentiel de la vie en société puisse désormais se dérouler dans des univers virtuels.

    Dans le métavers, la spéculation immobilière va bon train : les parcelles les mieux placées s’arrachent à prix d’or, au gré du trafic des utilisateurs et donc du potentiel commerçant.

    C’est d’ailleurs Epic Games qui exhume et propulse à nouveau sur le devant de la scène en avril 2021 le terme désuet de métavers. Epic frappe les forts et annonce la levée d’un fonds d’un milliard de dollars pour accomplir sa vision d’un univers virtuel persistant pour les joueurs… Mais le terme est rapidement phagocyté par le Web3, l’industrie qui se fédère derrière les concepts de décentralisation, de blockchain et de cryptomonnaie. Le métavers sera crypto ou ne sera pas. Car Second Life l’a prouvé : le métavers est voué à l’échec s’il reste sous le contrôle de quelques plateformes. Comment convaincre les citoyens du monde – et les développeurs, artistes, entrepreneurs – d’investir leurs efforts dans un monde parallèle qui peut s’effondrer ou être manipulé par quelques acteurs ? Une répartition plus juste de la valeur produite, un univers libéré de la mainmise des banques, des plateformes centralisées ou même des Etats : c’est justement la promesse du paradigme technologique et idéologique directement hérité de Bitcoin.

    Les nouvelles promesses du métavers

    Il y a une douzaine d’années à peine, Google et Facebook, fiers rejetons d’un internet émancipateur et libertaire, soignaient encore leur image d’entreprises humanistes et progressistes. A l’époque, le pouvoir des GAFAM, acronyme qui d’ailleurs n’existait pas, inquiétait beaucoup moins que celui des banques. Le pouvoir sans partage de ces dernières, et plus particulièrement leur capacité à créer de la monnaie à travers le crédit, venait de conduire à une nouvelle « pire crise financière depuis la Grande Dépression » – encore une, vraisemblablement pas la dernière. C’est dans ce contexte qu’apparaît Bitcoin en 2009, au sein de la communauté des cypherpunks , un groupe informel qui souligne depuis la fin des années 80 le rôle clé que peut jouer la cryptographie comme vecteur de changement social, notamment en garantissant la sécurité et la confidentialité des données. Selon le papier qui le fonde, Bitcoin s’imagine comme une arme contre l’ordre monétaire fondé sur le pouvoir bancaire et le crédit. Bitcoin est décentralisé : il se déploie simultanément sur tous les ordinateurs qui participent au réseau (incluant les « mineurs »), et écrit la blockchain , registre distribué qui ne peut être manipulé par aucun pouvoir centralisé.

    Une décennie plus tard, la concentration des données au sein des plateformes de la Silicon Valley a engendré une concentration de richesses et de pouvoir sans précédent. Elle a aussi créé des vulnérabilités fondamentales pour les sociétés occidentales, esquissées par les révélations d’Edward Snowden en 2013, ou par les manipulations démocratiques opérées par Cambridge Analytica à partir de 2014. Ces scandales ont terni l’image des géants du web au point que l’entreprise à l’origine de Facebook s’est récemment résolue à se débarrasser d’un nom devenu difficile à porter. Ils ont aussi vu se réaliser les pires prémonitions des cypherpunks, et ont montré la nécessité de déployer des systèmes distribués, chiffrés, à l’abri du pouvoir des entreprises comme de celui des gouvernements. Bitcoin a été le premier de ces systèmes distribués à se répandre à grande échelle. Un nouveau système financier, offrant des services en miroir à la finance traditionnelle, s’est ensuite construit sous le nom de finance distribuée ou DeFi ; en 2021, la révolution prend d’assaut le monde de l’art sous le nom barbare de NFTs  ( Non-Fungible Tokens , jetons non-fongibles, par opposition aux jetons destinés à servir de cryptomonnaie, dont la caractéristique est d’être fongible). Chacun de ces domaines d’application du Web3 esquisse les différences que recèlerait un métavers décentralisé.

    Fondamentalement, le métavers doit assurer la résilience de la valeur créée par les utilisateurs, au-delà des entités centralisées telles que Second Life, Epic ou Meta qui maintiennent la plateforme. C’est ce que garantissent les blockchains : les actifs numériques contenus sur les registres d’Ethereum, Tezos et autres Polkadot – que ces actifs soient des cryptomonnaies ou n’importe quel objet numérique, images ou modèles 3D, avatars, morceaux de code, titres de propriété, dans le monde réel ou dans un métavers – survivront tant qu’il y a aura des ordinateurs connectés à internet pour faire tourner leur programme, même si l’entité-mère (par exemple, l’équipe d’origine qui a créé le projet Ethereum) venait à se dissoudre. En 2021, crypto-zombies dessinés sur soixante-quatre pixels et chatons arc-en-ciel s’échangent pour des millions de dollars. On reproche aux NFTs d’être un outil de spéculation, de blanchiment d’argent, d’être victimes de plagiat, profitant de la crédulité de certains, de se négocier sur des plateformes centralisées. En bref, le crypto art épouse pleinement les pratiques historiques du marché de l’art, outil d’affirmation pour l’individu d’appartenance à une caste sociale, et outil d’affirmation pour cette caste de sa domination culturelle. En l’occurrence, les licornes multicolores de pixels affirment désormais l’emprise de l’écosystème technologique sur la culture mondiale. Mais le crypto-art n’est que la face émergée du potentiel des NFTs. Celles-ci permettent aussi l’invention de nouveaux moyens de financer les artistes traditionnels, par des procédés proches de ceux ayant cours sur les plateformes de financement participatif, avec lesquelles des cinéastes tels que Martin Scorsese font déjà des expérimentations. Surtout et fondamentalement, les NFTs sont des actifs numériques.

    Ces actifs numériques sont très précisément ce qui distingue les métavers issus de l’univers crypto des univers qu’un Facebook / Meta s’apprête à créer. Sur Decentraland, Cryptovoxels ou The Sandbox, la carte du territoire se décompose en parcelles que peuvent acquérir les usagers. Dans le métavers, la spéculation immobilière va bon train : les parcelles les mieux placées s’arrachent à prix d’or, au gré du trafic des utilisateurs et donc du potentiel commerçant. Le voisinage et les célébrités qui investissent un quartier comptent aussi, de même que les créations sur les parcelles d’architectes libérés des contraintes du monde physique. Une nouvelle mécanique immobilière se met en place : selon la rhétorique du Web3, acquérir les bonnes parcelles revient à une opportunité d’investir dans le Londres des années 50, le New York des années 70, le Berlin des années 2000. Une remise à zéro des compteurs du capitalisme, pour qui sait lire le jeu. Mais un capitalisme qui ne sera pas manipulé par un interventionnisme des banques centrales qui exacerbe les inégalités : selon l’interprétation que font certaines franges libertariennes de l’effet Cantillon, chaque nouveau plan de relance par les banques centrales, en renflouant les banques qui ont la mainmise sur le crédit, vient d’abord nourrir l’inflation dans certains secteurs tels que l’immobilier, augmentant le patrimoine de ceux qui possèdent déjà, tandis qu’au global, l’inflation – sur laquelle est indexée les salaires – n’augmente pas. Le nouveau métavers a bien hérité de Bitcoin sa critique des banques.

    D’autres imaginaires anarcho-capitalistes se réinventent par le métavers : ainsi du Liberland, micronation proclamée sur une bande de terre non revendiquée de la rive ouest du Danube entre Serbie et Croatie, et qui, dans le monde réel, n’est guère plus que cela : une bande de terre. Dans le métavers, en revanche, le Liberland s’est associé au cabinet d’architectes de feu Zaha Hadid pour annoncer une cité – dans le métavers, donc – dédiée au cryptomonde, avec incubateur de startups et forums de rencontres.

    Les utopies premières du web se sont précisées : « l’information veut être libre », mais l’information veut aussi avoir de la valeur. Le métavers est donc d’abord une utopie capitaliste, qui voudrait rebattre les cartes du pouvoir financier et numérique.

    En outre, la dynamique de rareté créée par cette nouvelle carte du territoire illustre comment le métavers pourrait aussi mettre à mal l’hégémonie des GAFAM . Des produits ou des services qui s’exposent dans l’univers virtuel du métavers reviennent à la simplicité des places de marché du monde physique, loin des manipulations obscures des algorithmes de recommandation des plateformes publicitaires. Plus généralement, une plateforme de commerce décentralisée a un fonctionnement prédéfini par des contrats exposés sur la blockchain. Les commissions prises par de telles places de marché sont transparentes, de même que les règles de mise en avant des produits. L’opposé d’un Amazon qui fait évoluer à l’envi ses conditions d’utilisation, décide seul des algorithmes de recommandation qui ont droit de vie ou de mort sur les commerçants de son réseau, a seul accès aux données qui lui permettent de commercialiser des produits sous sa propre marque.

    Les moteurs de jeu de Cryptovoxels tournent bien sur des serveurs centralisés, de même que la place de marché OpenSea. Mais la promesse de décentralisation est une conquête qui se fait par étapes : d’abord la monnaie et les échanges de valeurs à travers Bitcoin, puis l’exécution des contrats sur Ethereum ; les bases de données deviennent elles-mêmes décentralisées au travers de technologies comme IPFS, le calcul pourrait se déporter vers la périphérie (le edge computing ). Le monde des cryptoactifs a paradoxalement signé le triomphe de l’open source, au sens où aucun projet décentralisé ne peut être crédible sans dévoiler son code, mais surtout au sens où les smart contracts s’exécutent sur la blockchain aux yeux de tous. Mais alors que le mouvement open source voulait promouvoir le tout-libre, le monde crypto se fait le chantre de la monétisation. Car ce que permettent les nouveaux métavers, à travers l’accès verrouillé cryptographiquement à des objets numériques, c’est essentiellement cela : la possession de biens incorporels. La persistance d’une plateforme à l’autre d’un avatar, des vêtements de créateur acquis pour cet avatar, les droits de propriété sur des œuvres artistiques, des objets créés, de l’immobilier, sont garantis par la blockchain. Les utopies premières du web se sont précisées : « l’information veut être libre », mais l’information veut aussi avoir de la valeur. Le métavers est donc d’abord une utopie capitaliste, qui voudrait rebattre les cartes du pouvoir financier et numérique.

    Une utopie capitaliste

    De l’idéologie affichée à l’implémentation dans les principaux projets émergents, c’est pourtant un champ infini des possibles qui se dessine. La course à la croissance dira si le nouvel univers est une utopie, ou la continuation du précédent paradigme numérique. Ce qui s’illustre fondamentalement dans la diversité des cryptomonnaies qui sous-tendent les transactions dans le métavers. Ces cryptomonnaies sont aujourd’hui en compétition aussi bien comme unité d’échange de valeurs, que comme plateformes par-dessus lesquelles se construisent les projets. Force est de constater que certaines de ces monnaies favorisent la concentration de richesses.

    A commencer par le précurseur Bitcoin, dont la quantité d’unités en circulation sera limitée à 21 millions. Par essence, Bitcoin se veut donc déflationniste à terme, la monnaie devenant une ressource rare qu’il est préférable de garder en réserve que de dépenser.

    Le métavers pourrait bien n’être rien d’autre qu’une version incarnée, en réalité virtuelle ou augmentée, du web actuel dominé par quelques plateformes centralisées, engendrant encore concentration des richesses, surveillance et manipulation de masse.

    Les principales cryptomonnaies de deuxième génération s’appuient elles sur un mécanisme dit de preuve d’enjeu (le staking ) pour sécuriser leurs transactions (Ethereum mise à part, dont la transition de la preuve de travail à la preuve d’enjeu devrait être effective en 2022) . Avec le staking, l’opération de validation qui existe aussi dans Bitcoin devient réservée aux acteurs en mesure de mettre en jeu une certaine quantité de cryptomonnaie comme collatéral ; s’ils se comportent mal, cette mise en jeu leur est confisquée ; s’ils se comportent bien, ils récupèrent la récompense qui correspond à ce qu’on appelle « minage » dans l’environnement Bitcoin. Dit autrement, posséder de la cryptomonnaie et l’utiliser comme collatéral pour sécuriser le réseau est rétribué. En 2021, la rétribution du staking sur les réseaux majeurs évoluait entre 8 et 19%. Il est légitime que le travail de sécurisation du système monétaire soit rétribué, d’autant que la preuve d’enjeu est à l’heure actuelle le mécanisme de validation le mieux maîtrisé qui permette de résoudre le problème de l’impact environnemental massif de Bitcoin et de sa preuve d’enjeu (même si d’autres mécanismes, tels que les preuves à divulgation nulle de connaissance , pourraient bientôt prendre le pas). La grande jeunesse de ces écosystèmes donne encore peu de recul sur ce que serait un juste niveau de rétribution pour le staking . Il faut néanmoins considérer que les cryptomonnaies sont elles-mêmes en compétition : comme dans l’économie traditionnelle, celles qui rétribuent le mieux l’investissement (et donc avec la preuve d’enjeu : le fait de posséder des actifs en réserve) auront plus de moyens de se développer et d’investir dans le développement de leur écosystème, ce qui crée donc une incitation à favoriser la concentration de richesses.

    Et le staking n’est qu’un des mécanismes par lesquels la richesse peut s’accumuler. La plupart des projets cryptographiques s’appuie sur un modèle économique qui prédéfinit les règles d’émission des jetons, leur distribution initiale, leur attribution future aux investisseurs, aux utilisateurs ou aux créateurs de la monnaie. Avec Bitcoin, il n’y avait pas de « pré-minage » : tous les jetons créés l’ont été sous forme de rétribution pour les mineurs qui font tourner le réseau depuis 2009. Fin 2015, lorsque le premier bloc d’Ethereum apparaît, 20% des ethers ont déjà été pré-minés, et sont distribués aux fondateurs, investisseurs, à la fondation elle-même. En 2020, un projet comme Solana a pré-miné 60% de ses jetons Les protocoles présentent une grande disparité, certains rétribuant mieux les investisseurs, d’autres les utilisateurs futurs. Leur adoption par les développeurs n’est pas seulement motivée par leur modèle, difficile à appréhender et à juger pour le commun des mortels, mais surtout par les fonctionnalités, la scalabilité, la vitesse d’exécution, le coût, la communauté active, le succès des projets qui s’y créent, NFTs, métavers et finance décentralisée en particulier. Les cryptomonnaies qui auront survécu dans dix ans seront-elles plus égalitaires que l’euro ou le dollar ?

    Dans ses dimensions utopiques, la rhétorique blockchain parle de revenu universel et d’abondance, dont les premiers signes dans le métavers seraient l’apparition de nouvelles formes de revenu, tels que le Play-to-Earn , ou revenus créés par le jeu. Axie Infinity est un jeu qui voit plusieurs millions de joueurs s’affronter chaque mois, dont près de la moitié aux Philippines. Pour commencer à jouer, il faut dépenser plusieurs centaines de dollars pour acquérir ses premières créatures auprès d’autres joueurs, avant de les faire évoluer à la manière d’un Pokemon. S’appuyant sur les différences de niveaux de vie entre régions du monde, le jeu orchestre une économie dans laquelle les joueurs les plus aisés sont prêts à débourser des sommes suffisantes pour assurer un revenu confortable à d’autres joueurs devenus professionnels. Ce Play-to-Earn inventé par Axie Infinity ne semble guère différent du poker : les joueurs les plus doués peuvent s’en sortir et amasser des fortunes ; au détriment des autres joueurs, et pour le plus grand bénéfice du casino, c’est-à-dire des créateurs de la plateforme et de ses investisseurs. Les plateformes décentralisées permettent d’autres types de casino, prohibés avec de la monnaie fiduciaire : ainsi des prediction markets tels que Augur, l’une des premières applications décentralisées créées par-dessus Ethereum, qui permettent de parier sur la survenue d’évènements dans la vie réelle, parmi lesquels des résultats d’élections ; un type de pari interdit pour les biais qu’ils peuvent faire peser sur le processus démocratique…

    Les règles imparfaites de ces écosystèmes en construction peuvent changer. Leur loi est écrite dans le code (ils aspirent à être trustless , c’est à dire à ce que leur bon fonctionnement ne dépendent jamais de la volonté d’individus corruptibles). Le code évolue, et est généralement soumis au vote démocratique auxquels peuvent participer ceux qui possèdent des jetons de gouvernance. Mais en démocratie aussi, le diable est dans les détails : ces jetons sont souvent eux-mêmes des actifs financiers qui se monnayent sur des plateformes d’échange, constituant de fait des systèmes plus proches de la ploutocratie que de la démocratie.

    Code is law : l’avertissement de Lawrence Lessig en 1999 est devenu un mantra pour l’écosystème blockchain, qui semble avoir oublié que la formule indiquait les risques à se soumettre à la loi d’un code que l’on ne comprend pas, et non l’aspiration à confier au code la confiance perdue dans les institutions et les individus…

    L’équilibre des forces

    Le métavers pourrait bien n’être rien d’autre qu’une version incarnée, en réalité virtuelle ou augmentée, du web actuel dominé par quelques plateformes centralisées, engendrant encore concentration des richesses, surveillance et manipulation de masse.

    S’il doit devenir autre chose, c’est à dire un espace virtuel dans lequel les règles du marché ne sont pas dictées par quelques acteurs, où existent des communs et des espaces d’expression qui ne peuvent être censurés, la tentative la plus sérieuse proviendra de l’écosystème crypto. Rien ne dit que la réalité virtuelle ou augmentée doivent contribuer massivement à ce changement de paradigme : on observe déjà une transformation de la manière dont l’art se finance, dont les marchés financiers s’organisent, pour le meilleur ou pour le pire. La plupart de ces tentatives relèvent d’ailleurs du champ de la monnaie et de l’échange de valeur : le métavers est une utopie profondément capitaliste.

    Malgré ces restrictions, malgré les dérives graves et les dangers d’un écosystème encore aussi immature que le web avant l’explosion de la bulle internet , cet écosystème reste l’un des seuls champs d’expérimentation à grande échelle en-dehors de la doxa économique qui gouverne le monde sans partage depuis la chute de l’URSS. L’hégémonie de la doxa libérale l’avait même amenée dans les années 90 à constater la fin de l’Histoire : qu’est-ce qui pourrait bien remettre en cause la supériorité de son modèle ? Finalement bousculée par la réalité géopolitique, en Chine et ailleurs, elle est aussi inquiète de l’essor des cryptoactifs, qui ont démontré au Salvador qu’ils pouvaient mériter le qualificatif âprement contesté de monnaie : grâce à des surcouches technologiques telles que Lightning (qui permet de générer des paiements en Bitcoin sans inscrire chacune de ces transactions dans la blockchain), Bitcoin a désormais résolu ses problèmes d’échelles. Les théoriciens argumentent encore sur le fait qu’une monnaie doit avoir une institution prête à protéger sa valeur contre la volatilité des marchés ; quoiqu’il en soit, le Salvador a déclaré le Bitcoin monnaie officielle en septembre 2021, aux côtés de la seule monnaie en cours dans le pays depuis vingt ans : le dollar américain. Les habituels chiens de garde de l’orthodoxie libérale ont été prompts à la réaction : en janvier, dans une séquence qui n’est pas sans rappeler les faits d’armes de la Troïka pendant la crise grecque, le FMI exhorte le Salvador à retirer au Bitcoin son statut de monnaie, arguant des coûts budgétaires de mise en service des moyens de paiement associés et de la volatilité des cours. Il y conditionne l’accord de financement en cours de négociation. L’avertissement devient prophétie autoréalisatrice : dans la foulée, les agences de notation dégradent les indices de confiance du Salvador. Alors que de nombreux pays aux régimes instables ont vu leur monnaie souveraine s’effondrer ces dernières années, le message est clair : mieux vaut utiliser des dollars américains.

    Du côté de l’Europe, en parallèle du projet de règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets), la Commission Européenne proposait en mars que les prestataires de services soient tenus de s’échanger les informations personnelles de leurs clients lors de chaque transfert de cryptoactifs, y compris lorsque le transfert est opéré vers un portefeuille auto-détenu – la caractéristique première des cryptomonnaies étant justement que chaque utilisateur peut détenir son propre portefeuille sans passer par l’équivalent d’une banque. Pour justifier cette mesure qui vise à anéantir l’anonymat fondamental que permettent les cryptomonnaies, et dans une réplique parfaite des débats sur la surveillance d’internet au nom de la lutte contre le piratage ou la pédopornographie, les auteurs de la mesure avancent, sans qu’aucune donnée sérieuse ne vienne étayer leur argument (la seule étude mentionnée date de 2014, une époque révolue où Bitcoin, alors seul cryptoactif, circulait effectivement sur des plateformes telles que The Silk Road sur le dark web) qu’il s’agit de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. La vision de la commission est-elle d’anéantir l’anonymat dans toutes les transactions, y compris l’argent liquide ? Quand on n’a rien à se reprocher, on n’a rien à cacher, ont toujours su énoncer les régimes autoritaires…

    En attendant, le candidat Macron propose au détours de son programme la création d’un métavers européen, concept que son secrétaire d’Etat chargé au numérique, acculé, a eu quelque peine à éclaircir, au-delà de l’idée de faire émerger des champions européens des moteurs 3D. Une autre séquence vue auparavant : la tentative par les mêmes acteurs de regagner en souveraineté numérique à travers le projet du cloud souverain s’est soldée par la création d’un label au travers duquel des entreprises françaises distribuent la technologie cloud des GAFAM.

    Il reste donc peut-être peu de temps à l’écosystème Web3 pour faire apparaître un métavers décentralisé faisant vivre des modèles nouveaux pour la finance, les échanges sociaux, le cyberespace. L’ancien monde ne se laissera pas faire aisément ; si du côté des institutions, l’opposition frontale a commencé, GAFAM et autres géants technologiques affrontent la menace autrement. Leur travail de récupération idéologique a commencé : Meta reprend les éléments de langage des plateformes ouvertes (à rebours de toute l’histoire de Facebook), Epic annonce que le métavers qu’elle construit sera ouvert aux NFTs (contrairement à son grand rival Steam), et surtout, les fonds d’investissement les plus emblématiques du web 2.0, parmi lesquels Andreessen-Horowitz et Softbank, sont aussi les plus actifs dans le Web3. Tous promettent que cette fois, et contrairement au  cyberespace construit par les GAFA, le métavers sera bien un nouvel univers qui étendra le champ des possibles, et non la colonisation du réel, capté au travers de smartphones Apple, indexé à l’intérieur de moteurs de recherche Google, du graphe social de Facebook et autres plateformes d’e-commerce d’Amazon, ne demandant qu’à être instrumentalisés par les services de renseignements étatiques et autres partis politiques.

    La bataille idéologique pour le métavers a déjà commencé.