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      Pourquoi le libéralisme n’est ni le laisser-faire, ni le laisser-aller

      Johan Rivalland · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 2 January, 2023 - 03:40 · 8 minutes

    Par Johan Rivalland.

    « Laissez-nous faire, laissez passer le grain. »

    Voilà le cri du cœur lancé par un certain Legendre, marchand de son État, répondant à Colbert sur les moyens d’aider le commerce. Une formule sortie de son contexte et manipulée par la suite… mais toujours d’actualité.

    Douzième volet de notre série « Ce que le libéralisme n’est pas ».

    La liberté d’action et de circulation

    Voici ce que rappelait Jean-Yves Naudet , en lien avec l’actualité en 2014, à ce sujet :

    « Il faut remonter au XVII e siècle et à Colbert. Celui-ci recevait une délégation de chefs d’entreprises menée par Legendre. Colbert, en interventionniste fondateur du colbertisme, leur demande « que puis-je faire pour vous aider ? » . Dans son esprit, cela signifie : subventions, privilèges, monopoles, réglementations, fermeture des professions… La réaction de Legendre a laissé Colbert perplexe : « Laissez-nous faire » . Nous n’avons pas besoin de votre aide et de vos fonctionnaires, pas besoin que l’État se mêle de ce que nous savons faire nous-mêmes. Mais au moins ne nous mettez pas de bâtons dans les roues, rendez-nous notre liberté, le reste, nous nous en chargeons. »

    Cet épisode et ce Legendre ont-ils vraiment existé ou s’agit-il d’une formule qui serait en réalité l’œuvre de Vincent de Gournay, dont Turgot dressait un éloge vibrant , celui-ci l’ayant largement inspiré dans ses réflexions et ses actions ?

    Peu importe.

    Ce qui est sûr est que les disettes étaient courantes encore à l’époque et qu’il était d’une complète aberration et proprement inouï que, par ses mesures réglementaires et protectionnistes, empêchant la libre-circulation des grains d’une contrée à une autre en France, des gens souffrent ou meurent alors même qu’à quelques kilomètres à peine de chez eux des excédents de récoltes leur auraient permis de manger à leur faim. Tout cela parce que, par son interventionnisme criminel, l’État empêchait la liberté du commerce .

    Et on voudrait incriminer le libéralisme, lui prêter des intentions dites « égoïstes » n’ayant rien à voir avec ses principes ? Nous n’avons affaire là qu’à pure ignorance. Et il est un fait que l’ignorance prend bien plus souvent le pas sur la connaissance que l’inverse.

    Laissez-nous faire, cessez de nous mettre des bâtons dans les roues !

    Plus de 300 ans après, c’est un autre cri du cœur similaire qui est lancé par le maire de Mandelieu-la-Napoule le 25 novembre 2019, suite aux inondations qui ont touché de manière impressionnante les Alpes-Maritimes. Là encore, on peut qualifier l’interventionnisme de criminel – même si ce n’est bien évidemment nullement intentionnel – pour ne pas dire absurde, en tous les cas inconséquent.

    Car c’est une nouvelle fois le poids de la réglementation – pire, ses contradictions parfois absurdes – qui mène à la catastrophe et à la mort d’individus. Lisons un extrait de l’article de presse mis en lien ci-dessus concernant l’appel de ce maire (et de plusieurs autres responsables publics locaux en accord avec ses propos) :

    « … Il dénonce « une contrainte totalement contradictoire » en matière d’urbanisme : « On nous demande de faire des logements en nombre – je dois en faire 2500 pour être dans la loi et on me punit de ne pas les faire et de l’autre côté on me demande de rendre à la nature le plus de sols possible », explique-t-il. « Moi, je préfère privilégier la lutte contre l’inondation mais pour faire des aménagements contre l’inondation, il me faut des dizaines d’années de procédures puisque c’est très compliqué », poursuit-il. « J’en appelle donc au président de la République et aux parlementaires : je leur demande de simplifier la législation, de simplifier les réglementations, de rendre le pouvoir aux locaux pour pouvoir aménager. Laissez-nous faire, on peut le faire, mais laissez-nous agir et arrêtez de nous contraindre avec des procédures qui n’en finissent pas.

    Le libéralisme, un « laisser-aller » ?

    Le « laisser-fairisme » n’est donc qu’une simple vision de l’esprit créée par des ennemis du libéralisme, puis répandue médiatiquement, pour s’ancrer dans les esprits de tout un chacun de manière insidieuse et difficilement réversible.

    La philosophie libérale est bien plus fine que les caricatures que l’on veut bien en dresser de manière souvent scandaleuse . Et lorsque d’aucuns prônent le « laissez faire » (avec un « z » et non un « r ») dans tel ou tel domaine ce n’est jamais avec l’intention qui lui est généralement prêtée.

    Pire encore, il en va de même avec cette idée parfaitement insidieuse qui consiste à associer le libéralisme avec le « laisser-aller ». Une nouvelle fois nous sommes dans la grossière caricature. Et le plus désolant est que des gens, même de bonne foi, sont parfaitement convaincus de la validité de ce type d’assertion.

    Hier encore, j’écoutais face à moi quelqu’un de tout à fait sympathique et agréable, nullement mal intentionné et plutôt assez instruit, qui devisait – à la veille des grandes grèves qui allaient débuter ce 5 décembre 2019 – sur les risques et dérives de notre société actuelle. Les inquiétudes face aux mouvements sociaux, les Gilets jaunes, casseurs et autres voyous venant de banlieues jusqu’à Paris, Christophe Guilluy et la France périphérique … jusqu’au moment où, évoquant certains quartiers fermés à la police où règne la loi des dealers, cette personne se met à sortir un couplet sur l’ultralibéralisme qui régnerait dans ces quartiers.

    Je n’ai rien dit – parfois c’est vain et je n’avais de toute façon pas du tout le temps car j’étais très occupé – mais c’était hélas tout à fait représentatif ce que beaucoup pensent, emportés par leurs croyances et ignorants des fondements philosophiques du libéralisme. Poursuivant sa pensée, cette personne mélangeait alors loi de la cité, absence d’autorité, trafic en toute impunité, règlements de comptes par le moyen d’une balle dans la tête et « ultralibéralisme » à la Alain Madelin (qui, si d’aventure il lit ces lignes, ne pourra que s’en attrister, tant cette caricature est d’une ignominie consternante). Je ne pouvais que prendre ma plume pour tenter de lutter à ma toute petite échelle contre de telles horreurs d’attributions intellectuelles…

    Laisser-aller et État-gendarme

    Ceci m’a aussi laissé entrevoir la contradiction incroyable qui peut régner dans certains esprits (universitaires) entre d’un côté cette idée absurde que nous venons d’évoquer d’un « laisser-aller », et une autre facette souvent caricaturale – en parfaite contradiction – prêtée au libéralisme, souvent apparenté à une sorte « d’État-gendarme ». Avec toute l’évocation péjorative que l’on peut imaginer derrière cette formule réductrice… Comme quoi nous ne sommes plus à une contradiction près et que lorsqu’on évoque le libéralisme, on ne sait pas très bien de quoi on parle, si ce n’est d’une sorte d’épouvantail protéiforme qui a bon dos et permet une forme de défoulement apaisante.

    Rappelons, si besoin est, que le libéralisme est par nature attaché au respect des droits des individus, aux libertés fondamentales, au droit de propriété, à la protection de la personne à la fois dans son intégrité physique et morale, à la responsabilité.

    Comment imaginer un seul instant que « loi de la cité » et libéralisme auraient quoi que ce soit à voir ensemble ?

    Laisser-aller : mais de qui parlons-nous ?

    Pour conclure, car le thème de cet article pourrait largement occuper un ouvrage entier à lui seul – mais il faut ici faire court – j’aurais tendance à renverser les propos contenus dans les idées reçues esquissées précédemment en faisant remarquer que c’est plutôt l’État, par son interventionnisme excessif , qui a tendance – malgré lui – à conduire dans de nombreux domaines au laisser-aller. Joli paradoxe. À vouloir se mêler de tout et de rien il finit par être très souvent inefficace et causeur de troubles. Cela ne date pas d’hier, ainsi que nous l’avons vu, et ses interventions, par leur absurdité parfois et leurs contradictions comme nous l’avons vu aussi, peuvent s’avérer nuisibles.

    Un seul exemple – en lien avec l’actualité : le système des retraites. Avec un petit rappel à tous ceux qui marquent leur refus inflexible de toute réforme ( ou changement de système ) quelle qu’elle soit : à force de laisser-aller et d’inconséquence politique de la part de « l’État » et ceux qui le représentent, la Grèce dos au mur a fini par devoir consentir d’autorité une baisse généralisée des retraites de 30 % du jour au lendemain. Voilà qui laisse songeur. Et qui pourrait bien nous arriver. Mais c’est sans doute là un autre sujet… quoique.

    À lire : articles de la série « Ce que le libéralisme n’est pas » :

    Article initialement publié en décembre 2019 .

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      Le libéralisme n’est pas un matérialisme

      Florent Ly-Machabert · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 31 December, 2022 - 03:40 · 9 minutes

    Par Florent Ly-Machabert .

    Le bon sens, loin d’être comme le pensait René Descartes la chose la mieux partagée au monde, semble avoir déserté le débat public : sur le plan sanitaire, peu de voix se sont fait entendre pour dénoncer, entre autres, qu’on n’impose pas le port du masque au plus fort de l’épidémie ; sur le plan économique, où l’on ne s’étonne même plus que la relance quasi ininterrompue depuis la fin des Trente Glorieuses n’ait toujours pas tiré notre beau pays de l’ornière dans laquelle il n’a en réalité cessé de s’enfoncer.

    Il devient urgent de restaurer le libéralisme , non comme système politique, encore moins économique, mais comme philosophie du droit. Dans cette entreprise, un courant de pensée, d’abord économique, auquel mon indéfectible attachement n’a plus de secret pour le lecteur, y a singulièrement contribué depuis la fin du XIX e siècle : l’École autrichienne .

    Connue surtout pour sa condamnation – de facto libérale – de toute forme d’interventionnisme étatique dans la sphère économique, la tradition autrichienne s’est en réalité imposée dans le champ des idées par ses positions épistémologiques et méthodologiques, d’abord en matière économique, cela est vrai, mais en embrassant plus largement la question de l’action des êtres humains 1 , ou praxéologie , dans laquelle elle voit à l’œuvre des moyens pour atteindre des fins.

    Cette tradition postule néanmoins immédiatement que les relations entre moyens et fins ne reposent que sur la raison et le libre arbitre (de la volonté) de chaque individu. Il n’y a là d’ailleurs rien de surprenant pour qui fait l’effort de découvrir que cette école dite de Vienne, encore nommée école psychologique, puise une grande partie de ses sources dans la tradition scolastique luso-espagnole du XVIe siècle qu’un Joseph Schumpeter , entre autres économistes du XXe siècle, baptisera du nom d’ École de Salamanque 2 .

    Celle-ci, sous la férule du théologien dominicain Francisco de Vitoria, également philosophe et juriste, tente en effet de réinterpréter la pensée du maître Thomas d’Aquin en postulant que les concepts de justice, de droit et de morale s’examinent désormais selon « l’ordre naturel à la lumière de la raison » .

    Dans ce contexte l’École élaborera de nombreuses théories envisageant pour la première fois l’économie d’un point de vue moral, prenant ainsi le contrepied de la doctrine catholique de l’époque qui condamnait le désir d’enrichissement de ces négociants venus justement adresser leurs scrupules de conscience à Vitoria.

    Ce dernier, considérant la liberté de circulation des idées, des biens et des personnes comme conforme à « l’ordre naturel à la lumière de la raison » au motif qu’elle accroît le sentiment de mutuelle fraternité, conclura que lesdits négociants contribuent au bien-être général.

    Loin de ne voir que la valeur matérielle, le libéral autrichien ne conçoit en réalité de valeur qu’immatérielle et subjective, comme jugement qu’un être pensant porte sur la capacité que tel bien a de servir ses projets. Encore faut-il que l’individu soit authentiquement pensant, c’est-à-dire qu’il soit réellement rationnel et libre.

    À ce stade de notre réflexion, il nous est donc loisible de soutenir que le libéralisme n’est pas une approche déterministe , puisqu’il ne postule en rien que le monde est prédictible ; ni constructiviste , puisqu’il défend l’ordre naturel ou spontané qui repose sur des logiques fondamentalement décentralisées qu’Hayek nommera la « catallaxie » 3 ; ni réductionniste , puisque, s’appuyant sur une doctrine juridique qui a sonné la fin des concepts médiévaux du droit, il adopte la description d’un monde fait d’interactions multiples, valorise les échanges entre individus et revendique un nouveau centre d’intérêt, « antérieur et supérieur à toute législation humaine » dira Frédéric Bastiat , qu’il érige en obligation morale faite au Souverain (qu’il s’agisse du peuple en démocratie ou du roi en monarchie) : le respect des droits naturels de l’individu, c’est-à-dire de ses droits fondamentaux en tant que créature de Dieu, tant relatifs au corps (droit à la vie 4 , droit de propriété) qu’à l’esprit (liberté de pensée, dignité).

    Aussi, pour prouver que, contrairement à la pensée dominante 5 , le libéralisme n’est pas un matérialisme , nous reste-t-il à démontrer qu’il adopte une approche fondamentalement ouverte au champ de la spiritualité, c’est-à-dire transcendantale, comme semblent le suggérer ses références répétées à la doctrine scolastique 6 .

    Pour ce faire, à présent, explorons plus avant le concept augustinien de libre arbitre ( liberum arbitrium ) de la volonté humaine, dont le professeur Marian Eabrasu rappelle dans Moral disagreements in business (2019) qu’associé à une conception restreinte de la violence, il est l’apanage des libéraux, ce qui conduit ces derniers à considérer le travail comme l’expression de la créativité humaine et la violence physique comme la seule forme de contrainte capable d’entraver la liberté de l’Homme et de le mettre en esclavage 7 .

    Par libre arbitre ( free will dans le monde anglo-saxon), saint Augustin désigne d’abord une « volonté libre » qui fonde la dignité humaine 8 :

    La volonté libre sans laquelle personne ne peut bien vivre, tu dois reconnaître et qu’elle est un bien, et qu’elle est un don de Dieu, et qu’il faut condamner ceux qui mésusent de ce bien plutôt que de dire de celui qui l’a donné qu’il n’aurait pas dû le donner.

    En tant que don de Dieu, le libre arbitre augustinien qui rend l’Homme capable du bien comme du mal invalide donc l’hérésie manichéenne qui attribue au divin la responsabilité du mal ; mais, dans le même temps, comme faculté perdue à cause du péché originel, le libre arbitre augustinien s’oppose aussi à l’hérésie pélagienne qui exagère la responsabilité de l’Homme et sa liberté dans ses rapports avec Dieu, niant donc la principale conséquence de la transgression d’Adam : l’Homme ne peut être restauré dans le libre arbitre dont l’a doué Dieu que par Dieu, c’est-à-dire par la Grâce 9 .

    S’il semble donc impossible d’appréhender la notion de libre arbitre si centrale dans le libéralisme sans recourir aux doctrines du péché originel et de la grâce salvifique affirmées par le seizième concile de Carthage (418) et approuvées par le pape Zosime, il n’en demeure pas moins que la scolastique réinterprètera le libre arbitre, neuf siècles après Augustin, comme une faculté de la volonté et de la raison ( facultas voluntatis et rationis 10 ), c’est-à-dire, pour reprendre cette fois les attributs qu’ Aristote lui reconnaît dans son Éthique à Nicomaque , comme la double capacité d’un individu à agir spontanément (donc à suivre volontairement une fin) et intentionnellement (donc à choisir rationnellement un moyen, en sachant ce qu’il fait).

    En combinant philosophie grecque et théologie chrétienne, cette approche présente d’abord l’intérêt de faire émerger le libre arbitre comme une faculté à trouver le principe de ses actes à l’intérieur de soi (critère de spontanéité), alors même que l’individu, du fait même de la chute d’Adam, s’en est rendu incapable, enchevêtré qu’il est dans son environnement qui conditionne ainsi grandement ses actes.

    On comprend mieux que seuls le retour à soi, l’introspection, la méditation, la prière, la reconnexion avec le divin puissent préparer son esprit à recevoir de la grâce de Dieu le « principe intérieur » de ses propres actes.

    Enfin, l’approche scolastique du libre arbitre fait émerger à travers le critère d’intentionnalité la condition de la responsabilité morale – et donc de la dignité – de l’individu, qui est dès lors réputé agir « en conscience », c’est-à-dire, une fois de plus, éclairé par le divin dans sa prise de décision.

    Notamment fondé sur le principe de libre arbitre, le libéralisme fait donc sienne une approche nécessairement ouverte à la transcendance spirituelle par le truchement de la scolastique, donc de la théologie chrétienne, en dehors de laquelle il lui est impossible de rendre compte, d’un même tour, de la propension de l’Homme à être déterminé par son environnement (puisque déchu dans le jardin d’Eden) plutôt qu’à se déterminer en vertu d’un principe intérieur, en même temps que de l’intentionnalité de sa conscience qu’éclaire, de façon privilégiée dans la prière et les sacrements catholiques, la grâce que le croyant reçoit de Dieu et par laquelle chacune de ses actions contribue au salut de son âme.

    Inséparable des doctrines chrétiennes du péché originel et de la grâce salvifique, le concept le libre arbitre de la volonté humaine ne saurait être au cœur du libéralisme sans faire immédiatement de cette philosophie du droit une approche du monde à la fois non réductionniste, non constructiviste, non déterministe et non immanente, donc sans lui retirer de facto tous les attributs d’un matérialisme.

    On comprend mieux pourquoi certains ont osé le qualifier de réalisme abstrait et d’autres de spiritualisme. Je me contenterai d’affirmer que le libéralisme ne peut pas être un matérialisme, sauf à se dénaturer instantanément.

    Article publié initialement le 25 septembre 2020.

    1. Voir L’action humaine de Ludwig von Mises.
    2. Dans son Histoire de l’analyse économique, 1954.
    3. Dans La route de la servitude, Hayek explique qu’il « n’y a rien dans les principes du libéralisme qui permette d’en faire un dogme immuable ; il n’y a pas de règles stables, fixées une fois pour toutes. Il y a un principe fondamental : à savoir que dans la conduite de nos affaires nous devons faire le plus grand usage  possible des forces sociales spontanées et recourir le moins possible à la coercition. »
    4. Seul droit-créance (« droit à ») reconnu par les libéraux, comme composante de la sûreté, de la résistance à l’oppression et du principe de non-agression.
    5. Qui associe par exemple le libéralisme au consumérisme, alors que ce dernier est une déviance de la consommation érigée en ultime réconfort, en horizon de l’âme et fruit – pour paraphraser E Todd – d’un « libre-échange zombie ».
    6. Doctrine à la fois philosophique, juridique et théologique qui, au XIII e siècle, en tentant de concilier philosophie grecque et théologie chrétienne des Pères de l’Eglise explore pour la première fois les notions de propriété privée, de risque, d’intérêt et de contrat, travail qui culminera dans l’Espagne du XVI e siècle avec ladite École de Salamanque.
    7. Contrairement donc à la conception marxiste de la « servitude involontaire » qui nie tout libre arbitre et adopte une conception très large de la violence (symbolique, économique, hiérarchique…) ainsi qu’aux tenants de la « servitude volontaire », qui partagent cette même conception extensive de la violence mais la combinent à un libre arbitre.
    8. De libero arbitrio , II, 18, 48.
    9. Encore appelée « grâce salvifique » puisqu’elle accomplit l’œuvre du Salut.
    10. Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique , I, q. 82, a.2, obj. 2.
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      Plus que deux jours pour aider Contrepoints !

      Contrepoints · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 30 December, 2022 - 04:30 · 1 minute

    Cher lecteur,

    Il y a quelques jours, nous vous disions avoir besoin de 28 000 euros pour continuer à faire vivre Contrepoints . Beaucoup d’entre vous ont répondu à l’appel et nous avons réuni plus de 10 000 euros en trois jours. Merci à vous !

    Mais nous avons encore besoin de l’aide de ceux qui n’ont pas donné. Depuis le début de l’aventure Contrepoints , vous avez été environ 5000 à nous soutenir financièrement. Cela peut sembler beaucoup, mais c’est moins de 1 % des gens qui nous lisent .

    L’argent récolté en cette fin d’année 2022 nous servira à boucler notre budget courant et à investir dans Contrepoints afin de maintenir nos acquis. Face aux millions de subventions déversés sur nos concurrents par les États, nous n’avons besoin que de quelques milliers d’euros.

    Nous savons que beaucoup d’entre vous ne donnent que le 31 décembre, alors nous sommes presque certains de réunir les 18 000 euros qui nous manquent ! Ceci ne correspond qu’à 180 donateurs.

    Si vous cherchez de bonnes raison pour nous faire un don, vous pouvez :

    • Écouter les messages vidéo des auteurs de Contrepoints, pour vous rappeler que notre journal est le seul à conserver une ligne authentiquement libérale ;
    • Lire notre rapport pour comprendre à quoi nos fonds sont employés et avoir une idée de notre audience ;
    • Les donateurs et participants à l’Enquête auprès des lecteurs de Contrepoints ont reçu hier un résumé des résultats de ce sondage – en quelques mots :
      • 90 % d’entre eux recommandent fortement la lecture de Contrepoints ;
      • ils lisent Contrepoints une fois par jour, en se concentrant sur les deux ou trois articles de la journée qui les intéressent ;
      • Contrepoints est avant tout perçu comme un média différent du reste des médias, dans le ton et dans la forme.

    PS : Si vous avez déjà donné cette année, cet appel ne vous est pas adressé et nous vous remercions du fond du cœur pour votre don. Nous vous transmettrons votre reçu fiscal lors de notre clôture comptable du mois de janvier.

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      3 conseils pour réparer des relations brisées par un désaccord politique

      Foundation for Economic Education · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 30 December, 2022 - 03:40 · 7 minutes

    Par Julian Adorney et Geoff Laughton.
    Un article de la Foundation for Economic Education

    Si vous avez perdu des amis ou des membres de votre famille en raison de désaccords politiques au cours des deux dernières années, vous n’êtes pas seul. Selon une étude réalisée en 2021 par l’American Enterprise Institute, pas moins de 15 % des adultes ont mis fin à une amitié pour des raisons politiques.

    Beaucoup d’autres personnes ont des relations qui, sans être perdues, sont définitivement sur la corde raide à cause de disputes politiques.

    Alors, comment reconstruire vos relations avec des amis proches ou des membres de votre famille qui sont de l’autre côté de l’allée politique ? En tant que coach matrimonial et relationnel depuis 25 ans, qui a aidé des couples à faire tomber leurs blocages et à passer de l’acrimonie à l’harmonie, et en tant qu’ancien rédacteur d’éditoriaux politiques qui parvient à maintenir des relations étroites avec des membres de sa famille et des amis de tous les bords, nous avons quelques idées.

    Conseil n° 1 : parlez des valeurs

    Les bonnes relations se construisent sur un socle de points communs ; il est difficile d’avoir une relation avec quelqu’un avec qui vous n’avez rien en commun. Lorsque vous discutez de politique, le fait de parler de valeurs communes plutôt que d’une position politique spécifique peut aider à mettre ces points communs en évidence… et à rétablir un lien commun avec l’autre.

    Par exemple, disons que votre femme est favorable aux subventions pour l’énergie solaire et éolienne. Vous vous opposez à cette politique parce que vous pensez qu’elle est injuste pour les entrepreneurs qui travaillent dans d’autres sources d’énergie (comme le nucléaire) qui ne bénéficieraient pas de subventions similaires. Plutôt que d’argumenter sur le dernier projet de loi sur l’énergie verte du président Biden, il serait plus utile de souligner comment votre opposition découle de la valeur de l’équité. Votre femme n’est peut-être pas d’accord avec vous sur ce point particulier, mais de nombreuses positions progressistes (comme le fait de vouloir augmenter les impôts des 1 %, par exemple) sont souvent fondées sur un désir d’équité.

    Mettre en avant cette valeur commune peut vous aider tous les deux à prendre conscience d’un terrain d’entente, et même à comprendre les positions politiques sur lesquelles vous êtes en désaccord.

    Pour être honnête, cela ne fonctionnera pas pour toutes les questions. Dans The Righteous Mind , le psychologue social Jonathan Haidt identifie six valeurs fondamentales, ou fondements moraux, qui constituent la façon dont les individus pensent la politique.

    Ces valeurs sont les suivantes :

    1. Bienveillance/malveillance (vouloir se préoccuper des personnes moins bien loties, par exemple)
    2. Équité/tricherie (vouloir empêcher le parasitisme et les gains injustes)
    3. Loyauté/trahison (se préoccuper d’abord de sa propre communauté et s’opposer aux personnes de sa communauté qui ne s’en préoccupent pas)
    4. Autorité/Subversion (respect de l’autorité justifiée)
    5. Sainteté/Dégradation (accent mis sur la propreté en tant que composante morale, par exemple, « Mon corps est un temple »)
    6. Liberté/Oppression (préférence pour la liberté et aversion pour la tyrannie, ce pour quoi les libertariens sont célèbres)

    Haidt souligne que la politique conservatrice a tendance à exploiter les six fondements moraux. La politique progressiste ne fait généralement appel qu’à trois d’entre eux (soin/préjudice, équité/tricherie et tyrannie/oppression). De nombreux libertariens (mais pas tous) se soucient principalement d’un seul.

    Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que si votre père est progressiste et que vous êtes très patriotique, ce n’est peut-être pas une valeur qu’il est prêt à comprendre ou à comprendre par empathie.

    Mais, surtout, Haidt souligne que la plupart d’entre nous partagent certaines valeurs fondamentales. La plupart d’entre nous se soucient de l’équité, qu’il s’agisse de dénoncer les gains « mal acquis » des 1 % (libéraux), de critiquer les capitalistes de connivence qui s’enrichissent en sollicitant les faveurs du Congrès (libertariens) ou de s’inquiéter des champions de l’aide sociale qui conduisent des cadillacs aux frais de l’État (conservateurs). La plupart d’entre nous veulent aider les pauvres. Et la plupart d’entre nous craignent que les excès du gouvernement ne se transforment en tyrannie, même si les libéraux, les conservateurs et les libertariens ont tendance à s’inquiéter de ces excès dans des domaines différents.

    Conseil n° 2 : trouver une compréhension commune

    Une bonne communication repose sur la compréhension et l’empathie de l’autre, même en cas de désaccord.

    Voici un moyen efficace d’y parvenir : lorsque vous êtes tenté de dire pourquoi vous êtes favorable ou opposé à une certaine politique, allez plus loin et expliquez pourquoi votre position est si importante pour vous. Qu’est-ce qui, dans votre vie, vous a amené à vous intéresser à cette position ?

    Par exemple, l’un des amis de Julian n’est pas d’accord avec la politique vaccinale et refuse de se faire vacciner contre le Covid-19. La raison en est qu’alors qu’elle était enceinte, sa mère a été fortement encouragée par son médecin à prendre une pilule dont les effets secondaires se sont révélés terribles. Si elle avait suivi la recommandation du médecin, sa fille serait née très malade et n’aurait probablement pas vécu jusqu’à son premier anniversaire.

    Cela a ancré en elle un profond scepticisme à l’égard de la médecine nouvelle ou expérimentale.

    S’ouvrir aux raisons pour lesquelles vous tenez à une certaine politique peut aider votre partenaire, ami, frère ou sœur, enfant ou parent à comprendre vos convictions, même s’ils ne sont pas d’accord. Réciproquement, cela peut favoriser la compréhension et la compassion plutôt que la colère et le mépris.

    Cette pratique requiert également de l’humilité, car vous devez admettre que vous n’êtes pas arrivé à toutes vos idées par le biais de la raison pure et parfaite. L’humilité est un puissant antidote à l’acrimonie.

    Conseil n° 3 : considérez votre humanité commune

    Comme nous l’avons dit, les bonnes relations se construisent sur un socle de points communs. Idéalement, certains de ces points communs proviennent de valeurs et d’expériences politiques partagées. Mais s’il n’y en a pas, vous pouvez trouver un autre type de point commun dans des expériences en dehors de la politique.

    Par exemple, Julian est à Nairobi pour servir des organisations à but non lucratif, et l’un de ses amis est un partisan de Trump qui donne des cours particuliers aux enfants des quartiers défavorisés. Chaque fois que Julian est tenté de considérer son ami comme un étranger en raison de leurs opinions politiques, il se rappelle qu’ils ont en fait beaucoup de choses en commun en dehors de la politique : dans ce cas, une passion commune pour l’action en faveur des personnes défavorisées.

    Voici une raison pour laquelle cette idée est si puissante : comme Geoff l’a constaté dans sa pratique du coaching relationnel, la rancœur partisane ne surgit pas du néant. C’est généralement le symptôme d’un conflit plus profond.

    Les points communs entre vous et votre ami/sœur/conjoint/enfant/parent éloigné peuvent reconstruire la relation entre vous deux sur des bases plus solides. Cela peut guérir la relation dans son essence même, plutôt que de se contenter de régler les symptômes politiques.

    Vouloir changer

    Nous conclurons par une mise en garde.

    Une règle du coaching relationnel est que les deux parties doivent vouloir changer. Autrement dit, la douleur (perçue) du changement doit être compensée par la douleur du statu quo.

    Si l’autre personne ne veut pas réparer les pots cassés, il n’y a malheureusement pas grand-chose que vous puissiez faire.

    Toutefois, si vous souhaitez tous deux reconstruire une relation saine et florissante, ces conseils peuvent vous aider à y parvenir.

    Article publié initialement le 24 mars 2022

    Sur le web

    Traduction Justine Colinet pour Contrepoints

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      Six leçons de Ludwig von Mises

      Francis Richard · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 29 December, 2022 - 03:30 · 7 minutes

    À la fin de 1958, l’économiste Ludwig von Mises donna une série de conférences à des étudiants en Argentine . En 1979, après sa mort, sa femme Margit les publia sous la forme de Six Leçons.

    Avec l’ Institut Mises France , les Éditions John Galt viennent de publier une traduction en français de ces leçons d’économie ignorées par beaucoup, en particulier par les soi-disant élites.

    Le capitalisme

    Les améliorations des conditions de vie des Hommes sont dues aux entreprises capitalistes dont les dirigeants, innovateurs, ont fabriqué des produits bon marché pour les besoins de chacun :

    Ce fut le début de la production de masse, le principe fondamental de l’industrie capitaliste.

    En économie, une des erreurs répandues est de supposer ou de prétendre qu’il y a une différence entre les producteurs et les consommateurs des grandes entreprises .

    Pourtant, en effet :

    La plus grande des entreprises perd son pouvoir et son influence lorsqu’elle perd ses clients.

    Mais pour produire il faut investir de l’argent. Cet argent provient de l’épargne de l’entrepreneur et/ou de celle d’autres épargnants, sans quoi il n’est pas possible de se lancer dans un projet.

    Pour réussir, l’entrepreneur ne doit pas uniquement copier ou imiter ce qu’un autre a fait. Dans une nouvelle branche d’activité ou un secteur d’activité existant, il doit bien payer ses salariés :

    Chaque consommateur doit, d’une manière ou d’une autre, gagner l’argent qu’il dépense, et l’immense majorité des consommateurs sont précisément les mêmes personnes qui travaillent comme employés des entreprises qui produisent les choses qu’ils consomment.

    De même :

    Si les acheteurs ne paient pas l’employeur assez pour lui permettre de payer ses ouvriers, il devient impossible pour l’employeur de rester en affaires.

    Il ne suffit pas d’améliorer les conditions sanitaires d’une population : il faut en outre investir du capital par habitant pour que son niveau de vie augmente, sinon c’est la pauvreté qui augmente.

    Le socialisme

    Le marché n’est pas un lieu, c’est un processus, c’est-à-dire la façon dont, à vendre et à acheter, à produire et à consommer, les individus contribuent au fonctionnement global de la société.

    L’économie de marché signifie que l’individu peut choisir sa carrière, qu’ il est libre de faire ce qu’il veut. Sans cette liberté, combattue par le socialisme, toutes les autres sont illusoires :

    La liberté dans la société signifie qu’un homme dépend autant des autres que les autres dépendent de lui. La société dans l’économie de marché, dans les conditions de « la economia libre » , signifie une situation sociale où chacun sert ses concitoyens et est servi par eux en retour.

    Être libre ne veut pas dire que les individus ne font pas d’erreurs et/ou qu’ils ne se fassent pas du mal. Le socialisme veut les en empêcher en les réprimant plutôt qu’en cherchant à les en dissuader.

    Dans le socialisme, qui interdit la liberté de choisir sa propre carrière, ou dans le système de statuts du pré-capitalisme, il n’y a pas de mobilité sociale comme dans le système capitaliste.

    Dans le socialisme, la planification est globale, alors que l’homme libre planifie quotidiennement ses besoins, quitte à se tromper, et le calcul économique est ignoré par refus qu’il y ait un marché :

    Le calcul économique, et donc toute planification technologique, n’est possible que s’il y a des prix en monnaie, pour les biens de consommation et en outre pour les facteurs de production.

    Dans le socialisme, les conditions de vie ne s’améliorent pas, ou moins bien, parce que sans calcul économique, le plus avantageux des projets, du point de vue économique, n’est pas précisé.

    L’interventionnisme

    Le gouvernement se doit de faire toutes les choses pour lesquelles il est nécessaire et pour lesquelles il fut établi. Le gouvernement se doit de protéger les individus au sein du pays des attaques violentes et frauduleuses de gangsters, et il devrait défendre le pays des ennemis étrangers.

    L’État devrait se limiter à assurer la sécurité intérieure des individus et celle du pays vis-à-vis de l’extérieur. C’est là sa seule fonction légitime. C’est une protection, ce n’est pas une intervention :

    L’interventionnisme signifie que l’État veut en faire plus. Il veut interférer dans les phénomènes de marché.

    Que fait-il ? Il ne protège pas le fonctionnement fluide de l’économie de marché ; il perturbe les prix, les salaires, les taux d’intérêt et les profits. Bref, il restreint la suprématie des consommateurs.

    Ludwig von Mises prend deux exemples historiques, en période d’inflation : le contrôle des prix et le contrôle des loyers qui ont pour conséquences pénuries de produits et de logements :

    L’idée de l’intervention étatique comme « solution » aux problèmes économiques conduit, dans tous les pays, à des conditions pour le moins insatisfaisantes et souvent fort chaotiques. Si le gouvernement ne s’arrête pas à temps, il amènera le socialisme.

    L’inflation

    Si la quantité de monnaie est augmentée, le pouvoir d’achat de l’unité monétaire diminue et la quantité de biens qui peut être obtenue pour une unité de monnaie diminue aussi.

    Le résultat est la hausse des prix : c’est ce qu’on appelle l’inflation. Qui n’est donc pas due à la hausse des prix, comme on le croit malheureusement, mais à l’augmentation de la quantité de monnaie .

    Le mécanisme s’explique par le fait qu’avec l’augmentation de la quantité de monnaie des gens […] ont désormais plus d’argent tandis que tous les autres en ont encore autant qu’ils avaient avant .

    Ceux donc qui reçoivent de l’argent neuf en premier reçoivent un avantage temporaire , si bien qu’ils pensent que c e n’est pas si grave . Et la hausse des prix, avec ses effets de ruine, se fait pas à pas :

    L’inflation est une politique. Et une politique peut être changée. Il n’y a donc aucune raison de céder à l’inflation. Si l’on considère l’inflation comme un mal, alors il faut arrêter d’enfler la masse monétaire. Il faut équilibrer le budget de l’État.

    L’investissement étranger

    La différence [de niveau de vie] n’est pas l’infériorité personnelle ni l’ignorance. La différence est l’offre de capital, la quantité de biens d’équipement disponibles. En d’autres termes, la masse de capital investi par unité de population est plus grande dans les pays dits avancés que dans les pays en voie de développement.

    Pour combler cette différence entre pays, l’investissement étranger en provenance de pays dits avancés a permis et aurait dû permettre le développement de pays qui sont en retard sur eux.

    C’était sans compter avec les expropriations des capitaux investis dans un certain nombre de pays, ce qui est catastrophique pour les pays en retard et l’est malgré tout moins pour les avancés.

    Protectionnisme et syndicalisme ne changent pas la situation d’un pays pour le mieux : industrialiser nécessite du capital ; obtenir des hausses de salaires provoque un chômage permanent et durable :

    Il n’y a qu’une seule façon pour une nation d’atteindre la prospérité : si on augmente le capital, on augmente la productivité marginal du travail et l’effet sera que les salaires réels augmentent.

    La politique et les idées

    L’Homme n’a pas un côté politique d’une part et un côté économique de l’autre. Or les idées politiques et économiques ont changé radicalement avec l’avènement de l’interventionnisme.

    Le but ultime des partis n’est plus le bien-être de la nation et celui des autres nations. Simples groupes de pression, ils ne défendent plus le bien commun. Cette démocratie est critiquable :

    Selon les idées interventionnistes, il est du devoir de l’État de soutenir, de subventionner, d’accorder des privilèges à des groupes particuliers .

    Les dépenses publiques ne cessent d’augmenter sans que les impôts puissent les financer. Ce qui explique pourquoi il est presque impossible pour tous les gouvernements d’arrêter l’inflation .

    Faut-il alors parler de déclin de la liberté et de la civilisation ?

    Les idées interventionnistes, les idées socialistes, les idées inflationnistes de notre temps, ont été concoctées par des écrivains et des professeurs :

    Ce dont nous avons besoin, ce n’est rien d’autre que de substituer de meilleures idées à de mauvaises idées. J’espère et je suis confiant que cela sera fait par la génération montante.

    Six leçons, Ludwig von Mises, 86 pages, Éditions John Galt


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      Gustave Le Bon, un penseur oublié de l’individualisme libéral

      Matthieu Creson · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 28 December, 2022 - 04:00 · 5 minutes

    Un article de l’Iref-Europe

    Tombé dans l’oubli (exception faite de sa Psychologie des foules , parue initialement en 1895), Gustave Le Bon (1841-1931), auteur d’une quarantaine d’ouvrages , mérite d’être redécouvert aujourd’hui, notamment en ce qu’il fut un véritable penseur de l’individualisme libéral. Si l’on peut certes demeurer critique à l’égard de Le Bon – et ainsi rappeler l’existence de certaines ombres aux tableaux comme sa défense du colonialisme (que le libéral Paul Leroy-Beaulieu avait au demeurant lui aussi soutenu) -, reste que c’est l’image d’un penseur fondamentalement libre, défenseur sans concessions de l’individu et farouche opposant à tous les collectivismes, qui se dégage à l’évidence lorsqu’on lit son œuvre sans prévention.

    La critique du « constructivisme »

    Dans sa Psychologie du socialisme (initialement parue en 1898), Le Bon constate que le monde moderne a subi de profondes et rapides mutations (p. IV-V), qui résultent essentiellement des idées nouvelles, des découvertes scientifiques et des innovations industrielles survenues depuis un demi-siècle. Faisant fi de ces mutations, les théoriciens et doctrinaires socialistes veulent en fait, observe Le Bon, reconstruire de fond en comble l’organisation des sociétés.

    À cet égard, de nombreuses pages de Le Bon préfigurent étonnamment ce que Hayek ou Popper appelleront le « constructivisme » ou l’ingénierie sociale. C’est d’ailleurs notamment son hostilité au constructivisme qui a conduit Gustave Le Bon à se montrer si souvent critique de la Révolution française. En effet, « philosophes et législateurs considéraient (alors) comme certain qu’une société est chose artificielle que de bienfaisants dictateurs peuvent rebâtir entièrement » (Ibid, p. IX). « Un Latin (contrairement aux individualistes anglo-saxons), ajoute Le Bon, déduit toujours tout de la logique, et reconstruit les sociétés de toutes pièces sur des plans tracés d’après les lumières de la raison. Ce fut le rêve de Rousseau et de tous les écrivains de son siècle. La Révolution ne fit qu’appliquer leurs doctrines » (Ibid, p. 146).

    La défense de l’individu contre le collectivisme social-étatiste

    La critique faite par Le Bon du socialisme, de l’ étatisme et du collectivisme s’inscrit dans le droit fil de sa critique de la Révolution.

    Pour Le Bon, le socialisme est une croyance, une foi comme il le dit souvent, mais c’est aussi une doctrine idéologique assimilable à « une réaction de la collectivité contre l’individualité, (à) un retour au passé » (Ibid., p. 5-6). Le Bon a ainsi très bien vu que l’un des grands ressorts du socialisme est la détestation viscérale de l’individu .

    Anthropologue et psychologue des sociétés humaines, Gustave Le Bon pense que l’on peut distinguer entre peuples individualistes et peuples étatistes ou collectivistes : « on observe (chez les premiers), dit-il, l’extension considérable de ce qui est confié à l’initiative personnelle, et la réduction progressive de ce qui est abandonné à l’État » (Ibid., p. 7). Chez les seconds, au contraire, « le gouvernement est toujours un pouvoir absorbant tout, fabriquant tout et régissant les moindres détails de la vie du citoyen ». Incapable d’advenir aux États-Unis (« pays de l’égalité réelle », comme l’écrit Le Bon dans L’Évolution actuelle du monde – paru en 1927 -, du fait que les ouvriers y sont « les collaborateurs du capitalisme » (p. 185) et non les adversaires de celui-ci), le socialisme est en revanche une menace mortelle pour l’Europe : « Il serait une dictature impersonnelle, mais tout à fait absolue » ( Psychologie du Socialisme , op. cit. , p. 7)

    Le Bon a d’ailleurs parfaitement noté que c’est la passion de l’égalité (qui découle de la haine de la liberté individuelle), si répandue dans un pays comme la France, qui sous-tend la doctrine socialiste, laquelle « veut modifier la répartition des richesses en dépouillant ceux qui possèdent au profit de ceux qui ne possèdent pas » (Ibid., p. 31).

    La dénonciation de la tyrannie bureaucratique

    Un autre danger, consubstantiel au danger social-étatiste, préoccupe Le Bon dans plusieurs de ses livres : le péril bureaucratique. « C’est la bureaucratie qui gouverne aujourd’hui la France, et nécessairement elle la gouvernera de plus en plus » (Ibid., p. 182). Il en résulte ainsi une inquiétante diminution de l’initiative privée dans les pays dominés par la nouvelle classe bureaucratique. Un « réseau de règlements se développe chaque jour à mesure que l’initiative des citoyens devient plus faible ».

    Or c’est en fait nous, par peur d’exercer nos propres responsabilités en tant qu’individus, qui exigeons toujours plus d’État et toujours plus de bureaucratie. Comme le disait Léon Say – que cite Gustave Le Bon – dans Le Socialisme d’État : conférences faites au cercle Saint-Simon (1884), « il s’élève un cri de plus en plus fort pour demander une réglementation de plus en plus minutieuse ».

    Pressé par les réclamations incessantes d’un public avide de tutelle, l’État, poursuit Le Bon, légifère et réglemente sans relâche. Obligé de tout diriger, de tout prévoir, il entre dans les détails les plus minutieux. Un particulier est-il écrasé par une voiture, une horloge est-elle volée dans une mairie : immédiatement on nomme une commission chargée d’élaborer un règlement, et ce règlement est toujours un volume.

    Annonciateur des périls socialiste, étatiste et bureaucratique parmi les plus lucides de son temps, Le Bon, quoique marqué intellectuellement, comme Herbert Spencer qu’il admirait, par le « darwinisme social », nous parle rétrospectivement peut-être autant de notre temps que du sien. C’est la raison pour laquelle son œuvre doit être redécouverte et examinée sur pièces : on la critiquera pour ses préjugés (qui sont souvent les préjugés de toute une époque), mais on l’admirera aussi pour ses fulgurances prémonitoires.

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      La liberté est-elle un projet libéral ?

      Christophe Didier · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 19 December, 2022 - 03:50 · 9 minutes

    Un des principes fondamentaux autour duquel se regroupent les libéraux est celui de la liberté individuelle.

    Il serait donc logiquement en tête des arguments que porterait un candidat libéral à une élection. Ce serait pourtant une assez mauvaise idée.

    Un principe assez difficile à expliquer et à défendre

    On vous renverra souvent les objections suivantes.

    Objection 1 : nous avons déjà la liberté individuelle . C’est vrai, si nous mettons de côté les confinements, contraintes administratives, codes et autres lois qui finalement ne donnent pas l’impression de briser cette liberté. Il suffit d’en parler autour de soi pour constater que la plupart de vos interlocuteurs n’y verront pas beaucoup d’inconvénients. Pas plus tard que ce midi, sur une chaîne de grande écoute (malheureusement), l’idée de couper l’électricité pendant deux heures était présentée comme « pas si grave ». Ce n’est d’ailleurs effectivement pas si grave.

    Objection 2 : si on laisse un totale liberté individuelle , les gens feront n’importe quoi. Cet argument est appuyé par la désormais incontournable preuve par l’exemple devenue tellement utilisée qu’elle a remplacé l’enquête journalistique. Nous avons tous en mémoire des personnes faisant n’importe quoi malgré un cadre que l’on peut qualifier de « très présent », à tout le moins. Ces exemples n’ont pas d’autre objectif que de laisser penser : imaginez ce qui se passerait si nous réduisions les règles ?

    Objection 3 : moi ça va, mais les autres… ce qui sous-entend que le Français moyen n’est pas très malin, il a besoin d’un cadre strict pour vivre, comme un enfant.

    Ces objections sont difficiles à contrer mais il existe un concept plus simple à expliquer et plus intéressant d’un point de vue politique car beaucoup moins flou que celui de la liberté.

    La liberté de choix

    Ce concept est bien plus important qu’il n’y paraît.

    La liberté n’est pas ce que je peux faire ou ne pas faire mais le choix qui s’offre à moi quand je dois prendre une décision.

    Par exemple, vous préférez avoir le choix entre plusieurs médecins ou toujours le même qui vous est imposé, même s’il est mauvais ? Vous préférez choisir un établissement scolaire qui correspond aux attentes de votre enfant ou suivre la carte scolaire décidée… Par qui d’ailleurs ?

    Restons d’abord au niveau du quotidien du citoyen lambda. Ma dernière conversation avec mes amis de gauche portait sur le libéralisme et sa promesse de liberté. Nous sommes en pleine crise énergétique et arrive sur la table le sujet du moment.

    Je cite :

    « Donc, d’après toi, les gens devraient avoir le choix de leur fournisseur d’énergie, d’eau, faire jouer la concurrence ? Pourtant l’eau est absolument indispensable, vitale et de très haute valeur sociétale. Moi je pense, dit mon ami de gauche, que l’eau et l’électricité devraient être un bien public, national, pour lequel tout le monde en France devrait payer le même prix. D’ailleurs, ajoute-t-il, il n’y a aucune raison objective à ce que le prix de l’eau ou de l’électricité soit différent d’une ville à l’autre. »

    Je ne suis pas spécialiste mais il a sûrement raison. Globalement l’adduction et le traitement de l’eau, sauf cas particulier, me paraît être un processus technique reproductible à l’identique à peu près partout et donc facturable au même prix. Mais je laisserai les spécialistes venir éclairer notre lanterne.

    L’intéressant de cette conversation c’est la position libérale face à cette situation. Doit-on laisser l’eau et l’énergie au marché ou les réguler nationalement pour que chacun en profite avec équité et égalité ?

    La liberté de choix permet de répondre à cette question.

    Avons-nous le choix de notre fournisseur d’eau ? Non. Il est impossible de brancher trois fournisseurs d’eau par maison et donc de laisser le choix au consommateur.

    Même pour l’énergie, je ne crois pas que l’on soit un traître à la cause libérale si on décide que le marché de l’électricité n’est pas un marché libre . Les investissements à venir sont gigantesques, complexes à rentabiliser à des tarifs acceptables par tous. Et de toute manière nous obtiendrons un marché qui n’en sera pas vraiment un mais plutôt un partage des capacités de production. Partant du principe que l’électricité ne se stocke pas, difficile d’en faire un marché libre et non contraint.

    Là encore, il n’y aura pas trois boutons à la maison pour chacun des fournisseurs. On se retrouve un peu dans la situation des transports publics théoriquement mis en concurrence mais qui ne sont en fait que délégués pour un temps donné. C’est assez logique d’ailleurs pour les lignes de TER ou les bus, je ne vais pas choisir mon TER entre trois fournisseurs, je prends celui en fonction de mon heure d’arrivée à destination, quel que soit le transporteur. A contrario, si je pars en vacances ou pour un voyage d’affaires aux USA, je peux modifier mes horaires de voyage pour profiter des services d’une compagnie aérienne plutôt qu’une autre. D’ailleurs ce système fonctionne très bien sur la ligne TGV Paris-Lyon. Dans ce cas, l’offre est effectivement équitable et un choix s’offre au client.
    Pour rester sur le dossier énergie, on a laissé le sujet des éoliennes au secteur privé subventionné ce qui est un non-sens industriel. La localisation des éoliennes n’est pas liée à l’offre et la demande mais à la quantité de vent, ce qui en fait une utilité qui doit être implantée là où le vent souffle le plus.

    La liberté de choix offre la liberté au client et au citoyen. Avoir le choix est un des éléments clés de la liberté individuelle. La vocation d’un gouvernement libéral sera de multiplier ces possibilités de choix et de les créer là où objectivement elles apporteront un confort nécessaire ; en redonnant le choix d’accès aux services publics par exemple. Arrêter la marche forcée vers les applications et offrir le choix du présentiel ou du distanciel.

    Trop de choix peut réduire la liberté

    Choisir, c’est faire le choix de la frustration, décider une direction plutôt qu’une autre et donc se priver de certaines possibilités offertes par l’autre solution. Apprendre à gérer ces frustrations, c’est grandir, devenir adulte et devenir libre. Sans ce processus, on reste éternellement insatisfait à moins d’imaginer un monde entièrement débarrassé de toute contrainte.

    Alors un gouvernement libéral devra aussi limiter certains choix.

    Par exemple, la double nationalité : on a une nationalité et pas deux. C’est trop facile de jouer sur les deux tableaux.

    Le pantouflage : un fonctionnaire qui part pour le privé ne redevient pas fonctionnaire et inversement. Un conseiller politique du ministre part définitivement dans le privé. Sans billet retour. Au passage, un gouvernement libéral devra très sérieusement réduire le nombre de ces conseillers, très sérieusement étant un très sérieux euphémisme. Ça règlera le problème du pantouflage, il y aura beaucoup de pantoufles et peu de pieds.

    Autre situation : un entrepreneur qui fait des choix ne peut pas venir réclamer de l’argent à l’État en cas d’erreur. Dans un monde libéral les décisions sont le seul fait des individus qui doivent donc en supporter les conséquences. Le seul moyen de compenser peut être l’assurance privée, pas l’argent du contribuable.

    Pour parvenir à cette possibilité de choix l’éducation doit redevenir une priorité : pas en termes de moyens, car elle est déjà le plus gros budget de la nation mais en termes d’investissement du personnel, d’implication des établissements et de projets innovants. La liberté de décision doit être redonnée aux établissements . Même les classements aux résultats doivent être supprimés car ils conditionnent le comportement. Si l’État fait confiance à ses fonctionnaires pour assurer leur mission, le contrôle peut être réduit très fortement.

    Pour choisir il faut être informé. Le rôle d’un gouvernement libéral n’est pas d’informer ses citoyens mais de garantir que cette information est équitable et disponible.

    Sans le soutien permanent de l’État à « l’information », la recherche d’informations individuelle devient capitale. L’information du citoyen relève de sa propre responsabilité et l’autonomie de décision qu’entraîne l’autonomie de l’information lui redonne cette liberté. Avec les risques que cela comporte mais vivre libre c’est aussi vivre avec le risque de se tromper.

    Cette manière de voir va à l’encontre des deux principaux systèmes actuellement proposés aux Français lors des élections : la social-démocratie macronienne qui propose de protéger les Français et le néocommunisme basé sur la planification d’État.

    D’un côté un État nounou qui occupe le rôle d’adulte que la population souhaite lui déléguer.

    De l’autre un État organisateur qui prend la place des citoyens et les relègue au rang d’exécutant.

    Un État libéral devra redonner le pouvoir de décision au peuple. La période de transition sera longue tant l’opération d’infantilisation a été efficace mais elle est nécessaire. La croyance fondamentalement fausse des régimes dirigistes est de croire et faire croire que la centralisation fonctionne.

    C’est faux. La centralisation fonctionne quand l’objectif et les solutions sont connus, éprouvés et simples. Pour tout le reste, le plus efficace est le bouillonnement créatif de la liberté, l’essai-erreur qui conduit à trouver une solution innovante.

    On parle beaucoup en ce moment de quiet quitting , de démobilisation et de démotivation des Français. Ils seraient les effets des confinements et l’angoisse de la guerre en Ukraine. C’est faux. La démotivation française est l’effet collatéral de l’infantilisation et de la déresponsabilisation. Le retour de la décision individuelle permettra aussi le retour de la motivation.

    Dans tous les cas, laisser la décision à l’individu réduira drastiquement la quantité de lois votées chaque année en réservant le travail législatif aux lois sociétales et en arrêtant d’utiliser le temps de débat pour des questions que chacun pourra prendre en charge.

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      Test politique : êtes-vous progressiste, conservateur ou libéral ?

      Damien Theillier · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 19 December, 2022 - 03:30 · 21 minutes

    Par Damien Theillier.

    Un test politique facile pour se positionner Question By: Ryan CC BY 2.0

    En politique, certains penchent vers ceux pour qui l’ordre doit être imposé à tout prix, ce sont les conservateurs. Certains penchent vers ceux pour qui l’égalité doit être appliquée à tout prix, ce sont les progressistes. Les libéraux se retrouvent parfois avec les conservateurs et d’autres fois avec les progressistes, mais la plupart du temps ils sont isolés et peu représentés dans le paysage politique. Et vous ? Dans quelle famille politique vous situez-vous ?

    Dans un article déjà ancien (Test politique : existe-t-il un autre choix que la droite ou la gauche ?), j’avais repris et exposé le diagramme de Nolan. J’expliquais que le problème principal de l’axe gauche-droite est qu’il ne laisse aucune place à la pensée libérale, celle-ci ne pouvant être rangée ni avec l’égalitarisme de la gauche (le progressisme), ni avec le nationalisme de la droite (le conservatisme). Par ailleurs, il y a des conservateurs à gauche et des progressistes à droite. Donc l’axe gauche-droite n’est pas le plus pertinent pour penser la politique.

    La thèse que je voudrais exposer cette fois est celle du sociologue et économiste américain Arnold Kling , dans un petit livre intitulé The Three Languages of Politics ( Les trois langues de la politique ). Selon Kling, trois grandes familles divisent le paysage politique contemporain : les progressistes, les conservateurs et les libéraux. Or chacune de ces trois familles parle une langue différente. Chacune voit la politique selon un axe différent.

    Pour les progressistes, l’axe principal est l’axe opprimés/oppresseurs. Pour les conservateurs, l’axe principal est civilisation/barbarie. Pour les libéraux, l’axe principal est libre choix/coercition.

    nicmq

    L’auteur m’a permis de mieux comprendre pourquoi nous sommes enclins à diaboliser nos adversaires politiques. Pourquoi nos discussions politiques, même entre amis, sont aussi clivantes et finalement profondément frustrantes, voire toxiques.

    En effet, en tant que libéral je suis souvent frustré dans mes discussions avec des progressistes ou des conservateurs parce qu’ils ne se soucient pas de ce qui compte pour moi (et le sentiment est réciproque.) Par exemple quand je parle avec un conservateur du mariage gay ou de l’immigration, il croit systématiquement que je ramène tout à l’économique et que je dénigre le politique. De mon côté, j’ai tendance à penser qu’il réduit le politique à l’État et qu’il dénigre la puissance du marché comme facteur de régulation et de coopération . Quand je parle d’économie avec un progressiste et que je plaide pour une réglementation du travail plus souple, il m’accuse facilement de défendre l’oppression des travailleurs tandis que je le soupçonne de haïr la liberté.

    Il est tentant de penser que nos opposants sont autoritaires, fascistes, racistes, homophobes etc. Nous avons beaucoup de mal à entendre leurs arguments et nous les rejetons d’emblée comme manifestement erronés, stupides, immoraux. Nos désaccords viennent-ils d’erreurs de bonne foi  ou de la méchanceté et de la stupidité d’autrui ?

    En réalité, sans nier qu’il existe de réels clivages philosophiques, nous ne parlons pas la même langue. Car la politique est habituellement une affaire de tribus et donc aussi de dialectes. La plupart du temps, la politique n’est pas pratiquée comme un effort pour changer l’esprit de nos adversaires ou de nos alliés, mais comme un moyen de renforcer notre statut au sein de la tribu. La politique récompense ce type de comportement tribal et contribue à polariser davantage les débats (voir sur ce point l’Annexe à la fin de l’article).

    L’hypothèse de Kling est que nous avons l’habitude naturelle de voir le monde sur un axe unique avec une extrémité qui représente le bien et l’autre qui représente le mal. Et dès lors qu’une personne est en désaccord avec nous, elle doit se trouver à l’autre bout de l’axe, dans le camp du mal. On sait déjà fort bien que ce type de polarisation fonctionne à plein avec les religions. Le fait de se trouver dans un camp religieux (ou de rejeter toute religion), incite à penser que ceux des autres camps sont forcément stupides et incapables de raisonner correctement.

    Or pour Arnold Kling, la politique fonctionne exactement de la même manière. Les camps opposés jugent le monde selon des axes perpendiculaires et parlent ainsi des langues différentes. Chaque camp voit une réalité donnée et l’interprète d’une manière cohérente pour lui mais qui semble néanmoins incompréhensible, ou sans importance pour les autres. Et nous réalisons rarement que le langage politique que nous utilisons implique une vision du monde selon un certain axe de valeurs.

    C’est pourquoi quand nous pratiquons notre propre langue dans une discussion avec un partisan d’un autre camp, le dialogue ne passe plus. Pire, il tourne très vite à l’affrontement verbal et aux insultes. Chacun réagissant au désaccord en criant encore plus fort dans une langue que l’autre ne comprend pas.

    Typologie des familles politiques

    Les progressistes

    Pour eux, les problèmes de société sont envisagés principalement comme des rapports de domination, des formes d’oppression des faibles par les forts. Et par oppression, il faut entendre, en tout premier lieu l’absence d’égalité, pas seulement formelle mais aussi et surtout matérielle.

    Par ailleurs, ils pensent en termes de groupes. Ainsi, certains groupes de personnes sont les opprimés, et certains groupes de personnes sont les oppresseurs. Le bien implique de s’aligner contre l’oppression et les personnages historiques qui ont amélioré le monde ont lutté contre l’oppression, c’est-à-dire contre les inégalités.

    Les progressistes ont tendance à vénérer la science. Ils croient qu’elle peut faire avancer leur projet d’amélioration de la société et de l’Homme. Ils mettent les sciences sociales à égalité avec les sciences physiques et en font un guide de l’action publique.

    Les progressistes croient en l’amélioration de l’espèce humaine. Ils croient en une perfectibilité quasi illimitée dans le domaine matériel et, plus important encore, dans le domaine moral et politique.

    En revanche, pour eux les marchés sont sujets à des échecs inéluctables. Le succès des hommes d’affaires reflète souvent la chance et peut s’avérer être la récompense injuste d’une forme d’exploitation. Mais ces défaillances peuvent et doivent être traitées par les interventions du pouvoir politique : la redistribution, la fiscalité, les réglementations.

    Les conservateurs

    Chez eux le bien s’identifie au fait de défendre les valeurs et les institutions traditionnelles qui se sont accumulées au cours de l’histoire et qui ont résisté à l’épreuve du temps. Et le mal est incarné par les barbares qui tentent de s’opposer à ces valeurs et qui veulent détruire la civilisation.

    Les conservateurs sont très disposés à voir l’utopie comme une menace qui ne peut être arrêtée que par l’autorité politique. Ils voient la barbarie comme étant une inclination de la nature humaine d’où la nécessité de recourir aux institutions politiques pour protéger la civilisation. Alors que les progressistes sont moins préoccupés par l’utopie, car ils ont tendance à voir les humains comme intrinsèquement bons, mais simplement affaiblis par l’oppression. Du point de vue de l’axe civilisation/barbarie, il faut s’opposer à la légalisation de la marijuana, à l’avortement et au mariage homosexuel dans la mesure où l’on pense que l’avenir de la civilisation en dépend, ou du moins qu’elle risque d’en sortir affaiblie.

    Les conservateurs croient dans la faiblesse humaine. En termes bibliques, l’Homme est « originellement pécheur ». Ce côté sombre de la nature humaine ne sera jamais éradiqué. Mais il peut être domestiqué par les institutions sociales, notamment la famille, la religion et l’autorité politique. Supprimez ces institutions et ce qui émerge est Sa majesté des Mouches (le roman de William Golding). C’est pourquoi ils sont enclins à vénérer le passé, notamment les traditions et l’ordre établi.

    Les conservateurs reconnaissent aisément avec les libéraux que les marchés récompensent les vertus de prudence et de patience. Mais ils les accusent systématiquement de saper les traditions culturelles, en mettant la vulgarité à égalité avec le sublime, sans hiérarchisation morale. Ils voient dans la défense libérale du marché une promotion de la marchandisation du monde et de l’humain.

    Les libéraux, classiques ou libertariens

    La principale menace est pour eux l’empiétement du pouvoir sur les choix individuels.

    Le bien consiste dans la possibilité pour les individus de faire leurs propres choix, de contracter librement entre eux et d’en assumer la responsabilité. Le mal réside dans l’initiative de la menace physique, en particulier de la part des gouvernements, contre des individus qui ne portent préjudice à personne, sinon éventuellement à eux-mêmes.

    Pour eux, la coercition sous quelque forme que ce soit, y compris celle des gouvernements, est plus un problème qu’une solution. Chacun a le droit de décider pour lui-même ce qui est meilleur pour lui et d’agir selon ses préférences, tant qu’il respecte le droit des autres à faire de même. Le corollaire de ce principe est le suivant : « personne n’a le droit d’engager une agression contre la personne ou propriété de quelqu’un d’autre » . L’usage de la force ne se justifie qu’en cas de légitime défense. Pour le reste, il faut s’en tenir à la persuasion.

    Les libéraux voient la nature humaine comme imparfaite, corruptible, mais éducable. Ils croient en une rationalité humaine limitée. Tant qu’ils respectent la propriété d’autrui, les individus sont les meilleurs juges de leurs intérêts et il faut les laisser libres de les poursuivre. C’est pourquoi les libéraux refusent l’idée un gouvernement qui ferait le bien à la place des gens.

    En revanche, ils pensent que les dysfonctionnements du pouvoir politique et les interventions excessives de la loi représentent une menace pour la paix, bien plus grande que les dysfonctionnements du marché. Le marché s’auto-régule dans le temps par le mécanisme de la concurrence, l’État non car il exerce un monopole. Il tend à s’accroître de façon exponentielle.

    Par ailleurs, les libéraux sont enclins à penser la technologie comme une force libératrice dont les effets néfastes sont largement compensés par les bénéfices estimés. Enfin ils considèrent que les marchés encouragent la coopération pacifique parce que chaque échange volontaire profite aux deux parties. Et l’ensemble de ces échanges volontaires crée une prospérité qui profite au plus grand nombre.

    Les controverses politiques actuelles

    D’une façon générale, les conservateurs et les progressistes se rejoignent sur un point. Ils jugent le processus politique plus efficace que le processus de marché. Par processus politique j’entends ici la capacité d’un gouvernement central à créer un ordre social à la fois juste et stable pour le plus grand nombre. Et par processus de marché, j’entends l’échange libre et volontaire comme mode d’interaction et mécanisme de coopération. Or les conservateurs et les progressistes sont tous favorables à l’augmentation du pouvoir de l’État central et à son intrusion dans la vie privée, mais pour des raisons différentes. Pour les uns c’est au nom de la défense de la civilisation, pour les autres c’est au nom de la défense des opprimés.

    Philosophiquement, le libéral pourra adhérer à certains objectifs des conservateurs et des progressistes, mais empiriquement il sera en désaccord avec leurs moyens. Ainsi le libéral sera d’accord avec les progressistes pour aider les travailleurs opprimés, mais il ne pensera pas que le salaire minimum puisse atteindre cet objectif, en tout cas pas un salaire minimum uniforme et imposé partout. De même, le libéral sera d’accord avec l’idée conservatrice que la civilisation doit être défendue, mais il ne sera pas d’accord pour dire que la civilisation est menacée par le mariage homosexuel ou par l’ouverture des frontières, en tout cas pas de façon alarmiste.

    Examinons quelques-uns de ces sujets.

    Le mariage gay

    Les conservateurs voient dans le mariage traditionnel une institution fondamentale de la civilisation occidentale qui remonte à 2500 ans. Une redéfinition radicale du mariage serait une menace pour la société civilisée.

    Les progressistes voient une majorité hétérosexuelle opprimer une minorité homosexuelle en leur refusant le mariage et donc soutiennent naturellement la réforme.

    Les libéraux sont partagés sur le sujet. Certains pensent que le mariage est un droit universel et militent avec les progressistes pour l’égalité des droits. D’autres pensent que le mariage est une institution qui ne relève pas de l’État et que ce dernier n’a pas à s’impliquer juridiquement pour forcer les autres à reconnaître le mariage traditionnel ou le mariage gay. La solution ? Se débarrasser du mariage civil obligatoire une bonne fois pour toutes et laisser ce rôle aux associations privées : les églises, les synagogues, les mosquées ou les organisations privées laïques. Cette solution politique pourrait s’appeler l’abolition du mariage comme fonction étatique, ou, plus précisément, la séparation du mariage et de l’État. Personnellement c’est cette solution qui m’a toujours parue la seule bonne.

    La discrimination

    Un boulanger qui s’oppose au mariage gay a-t-il le droit de refuser de vendre un gâteau de mariage à un couple gay ? Non pour un progressiste, bien sûr, ce serait pour lui une forme d’oppression.

    Mais la réponse du libéral serait de dire que :

    • le boulanger doit avoir un tel droit et que le pouvoir central ne devrait jamais forcer un commerçant à faire des affaires avec un client qu’il juge indésirable.
    • une association libre de boulangers devrait pouvoir exclure un de ses membres indésirable, par exemple un boulanger raciste ou homophobe.
    • une association de consommateurs devrait pouvoir également appeler ses membres à boycotter le boulanger raciste ou homophobe.

    Une réponse libérale complémentaire consisterait à dire que :

    • il doit exister une concurrence suffisante sur le marché de sorte que si vous étiez victime de discrimination par x, vous pourriez facilement obtenir ce que vous désirez ailleurs.
    • le gouvernement ne devrait intervenir que si la discrimination est omniprésente. Le principe de subsidiarité s’appliquerait.

    L’État laisserait le marché résoudre le problème autant que possible et n’interviendrait qu’en dernier recours.

    L’immigration

    Les progressistes considèrent les immigrants illégaux comme un groupe d’opprimés et les natifs blancs, hostiles aux immigrants, comme leurs oppresseurs.

    Pour les conservateurs le fait d’avoir des frontières et une population bien définies fait partie des valeurs civilisées. Ils craignent qu’en permettant l’immigration on détruise l’identité des nations et qu’on fragilise un peu plus le travail des citoyens les plus modestes.

    Les libéraux, qui n’aiment pas l’idée de coercition politique, sont favorables à l’ouverture des frontières . Du point de vue de l’axe liberté/coercition, une frontière ouverte donne à l’individu le choix de son gouvernement et la capacité de voter avec ses pieds. Par ailleurs la relation de travail est un accord volontaire qui profite aux deux parties, peu importe l’origine ou le lieu de naissance de l’une ou de l’autre.

    Mais l’immigration, comme le mariage gay, est un sujet qui divise la famille libérale. Car dans un monde fortement étatisé, l’immigration est toujours subventionnée et crée un droit fâcheux sur le travail des autres, c’est-à-dire un faux droit, une forme de spoliation.

    Comme l’explique le professeur Pascal Salin dans un article fort éclairant sur ce sujet :

    « L’émigration et l’immigration devraient être totalement libres car on ne peut pas parler de liberté individuelle si la liberté de se déplacer n’existe pas. Mais la liberté de se déplacer n’implique pas que n’importe qui a le droit d’aller où bon lui semble. Les droits de chacun trouvent en effet pour limites les droits légitimes des autres. »

    C’est ainsi que le prix Nobel d’économie Gary Becker a proposé d’instaurer un marché des droits à immigrer ou, éventuellement, des droits à acquérir une nationalité. D’autres ont proposé que l’immigration soit libre mais que les immigrants n’aient pas le droit aux bénéfices de la protection sociale.

    En fin de compte, la meilleure politique d’immigration consisterait à désétatiser la société et à laisser les citoyens décider dans quelle mesure ils souhaitent établir des contrats avec des individus d’autres nationalités.

    L’obésité

    Pour les progressistes, le problème de l’obésité, c’est le problème des industriels qui commercialisent des sodas. Ainsi, taxer les sodas correspond à la narration selon laquelle les obèses sont des opprimés et les fabricants ou les vendeurs de sodas sont les oppresseurs. Peu importe l’incidence fiscale et autres concepts économiques. Une taxe soda fait avancer le récit oppresseurs-opprimés et c’est son principal attrait.

    Pour les libéraux, les taxes sur le soda n’ont aucune efficacité pour atteindre l’objectif politique déclaré de réduire l’obésité. Ils chercheront des moyens d’atteindre cet objectif sans utiliser la coercition. Par exemple en ciblant la sortie, plutôt que l’entrée. Certaines solutions sont à l’étude comme le fait d’accorder des crédits d’impôt pour les personnes obèses qui perdent du poids.

    Les économistes américains Richard Thaler et Cass Sunstein appellent cela un nudge . Ils ont choisi le terme étrange de paternalisme libertarien (un oxymore) pour désigner cette doctrine, qu’ils définissent comme « une version relativement modérée, souple et non envahissante de paternalisme, qui n’interdit rien et ne restreint les options de personne ; une approche philosophique de la gouvernance, publique ou privée, qui vise à aider les hommes à prendre des décisions qui améliorent leur vie sans attenter à la liberté des autres » .

    Les nudges sont des moyens d’inciter les individus à prendre les bonnes décisions sans les priver de leur liberté d’action.

    Plaidoyer pour une éthique du dialogue politique

    Nos débats politiques sont souvent frustrants et sans fin car chaque groupe s’exprime uniquement d’après son axe de valeurs privilégié. Par conséquent, chacun parle devant l’autre au lieu de dialoguer avec lui. Chaque camp émet ses arguments presque exclusivement selon ses propres termes et ne voit pas que les opinions contraires sont les manifestations d’une autre façon de penser plutôt que la preuve de la stupidité ou de la duplicité du camp adverse.

    Alors, que pouvons-nous faire pour éviter de céder à nos instincts tribaux, sans renoncer pour autant à nos convictions ?

    La prescription de Kling est simple : résister à la tentation d’argumenter uniquement à partir de notre axe préféré et apprendre à voir les choses à partir des autres axes. Il faut prendre le point de vue le plus charitable de ceux avec qui nous sommes en désaccord et résister à la tentation de se dire : « je suis raisonnable et eux non ».

    Bien sûr, selon moi, les conservateurs et les progressistes ont tort sur ces questions. Mais je pense qu’ils sont raisonnables, que leurs idées sont dignes d’intérêt et comportent une part de vérité. Compte tenu de leurs préoccupations respectives, leurs idées politiques sont parfois pertinentes et peuvent m’apprendre des choses.

    C’est pourquoi je propose une sorte d’éthique de la discussion consistant à s’imposer de respecter les quatre points suivants :

    • Essayer de ré-exprimer le plus clairement possible la position de son adversaire de telle sorte qu’il puisse dire : « Merci, je pense exactement de cette façon »
    • Lister tous les points d’accord.
    • Mentionner tout ce qu’on peut apprendre de son adversaireAlors seulement s’autoriser à le réfuter ou à le critiquer.

    Je voudrais finir cet article avec une citation du philosophe britannique Michael Oakeshott qui écrivait en 1939 :

    « L’action politique implique la vulgarité mentale, non seulement parce qu’elle implique le concours et le soutien de ceux qui sont vulagaires mentalement, mais à cause de la fausse simplification de la vie humaine implicite même dans le meilleur de ses objectifs » ( The Claim of Politics ).

    Tâchons tout de même de le faire mentir ! 1

    Article publié initialement le 26 avril 2016.

    Sur le web

    1. Annexe 1 : Jonathan Haidt et Arnold Kling sur la psychologie des croyances politiques

      À certains égards, la thèse de Kling est une adaptation au domaine politique des idées du philosophe et psychologue social Jonathan Haidt sur la morale dans The Righteous Mind: Why Good People Are Divided by Politics and Religion (2013). Selon ce dernier, les personnes sont prédisposées à envisager les questions morales selon un ou plusieurs axes éthiques :
      loyauté/déloyauté, autorité/subversion, sainteté/dépravation,
      fidélité/trahison, équité/tricherie etc. (Je conseille de voir cette vidéo TED )

      Par ailleurs, Haidt explique que nous avons évolué au cours des millénaires pour développer notre statut au sein de groupes constitués. Un moyen important d’acquérir un statut au sein d’un groupe est de respecter et de défendre ses normes. Or la psychologie cognitive expérimentale nous apprend que nous sommes enclins naturellement à des processus de diabolisation et de mauvaise foi à l’égard des membres des autres tribus. Nous avons ainsi acquis une série de traits sociaux-psychologiques qui ont pour rôle de favoriser notre propre groupe et de l’aider à supplanter les autres. L’un de ces traits est la préférence pour les proches et l’autre est la diabolisation de ceux qui sont en dehors de notre groupe. Nous héritons donc de processus de pensée biaisés car conçus exclusivement pour la survie du groupe auquel nous appartenons. Haidt cite les recherches de Richard Sosis qui a constaté que les communautés religieuses avaient tendance à survivre plus longtemps que les communautés laïques. Haidt en conclut que « demander aux gens de renoncer à toutes les formes d’appartenance sacralisée et vivre dans un monde de croyances purement rationnelles pourrait être comme demander au gens d’abandonner la Terre et d’aller vivre en orbite autour de la Lune » .

      En effet, le sentiment d’appartenance à une tribu, c’est-à-dire à un groupe humain qui partage une même culture fondée essentiellement sur la langue, est un phénomène culturel universel. Il reflète en chaque homme la conscience de son identité et des devoirs liés à cette identité. Le tribalisme en tant qu’affirmation d’une identité culturelle, politique ou religieuse, n’est en rien un vice. Dans ce contexte, les langues agissent comme de puissants ancrages sociaux de notre identité.

      Et au sein d’une tribu, le langage est souvent utilisé pour rassurer les autres sur notre loyauté à leur égard et pour attiser l’hostilité contre les tribus étrangères. Nous avons l’habitude de parler à l’intérieur de notre tribu, dans une langue que les adeptes de notre tribu comprennent. Ainsi toute personne qui peut parler notre langue partage un peu nos valeurs et notre histoire culturelle. En revanche, ceux qui ne parlent pas notre langue sont toujours spontanément identifiés comme une menace pour notre propre tribu.

      Annexe 2 : Facebook et la paranoïa politique, quand chacun met en avant un récit qui accuse l’autre d’un complot.

      Progressistes, conservateurs et libéraux disposent chacun d’un récit dans lequel ils sont les héros et les autres sont les méchants. C’est là que le réflexe tribal devient un danger. Non seulement il conduit à diaboliser les membres des autres tribus par une rhétorique sophistique, mais il conduit également à certaines formes de délires paranoïaques.

      Dans ce modèle à trois axes, la paranoïa consiste à voir son adversaire comme représentant le mal incarné, à l’opposé de notre axe préférentiel. Par exemple, quand un libéral pense que les conservateurs et les progressistes n’ont d’autre but que d’écraser la liberté et d’augmenter la coercition, c’est un libéral paranoïaque. De même, quand un conservateur pense que les progressistes et les libéraux sont en train de démolir la civilisation et de faire advenir la barbarie, c’est un conservateur paranoïaque. Enfin, lorsqu’un progressiste pense que les conservateurs et les libéraux n’agissent que pour aider les oppresseurs à dominer les opprimés, alors c’est un progressiste paranoïaque.

      Or ce type de délires prolifère sur Facebook et je m’interroge de plus en plus sur les effets pervers des réseaux sociaux. Il y a une forte impulsion à réagir immédiatement aux sujets politiques, en impliquant des émotions et des réflexes tribaux plutôt que des raisonnements posés. Le débat s’en trouve considérablement faussé et appauvri, quand il n’est pas tout simplement inexistant. Bien sûr, diaboliser nos adversaires en déformant leurs points de vue est un réflexe aussi vieux que l’humanité, mais Facebook amplifie ce phénomène à l’excès car la communication politique sur les réseaux sociaux est par définition tribale. À chacun d’en prendre conscience pour éviter de tomber dans le piège.

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      Le LR deviendra-t-il le parti de l’ordre ou le parti libéral ?

      Jacques Garello · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 14 December, 2022 - 04:30 · 4 minutes

    Les militants du parti ont fait le choix d’ Éric Ciotti . Ce choix a-t-il une connotation libérale ? Au lendemain de la joute télévisée entre les trois candidats (le 21 novembre sur LCI) la rédaction du site www.nouvelle-lettre.com faisait un constat plutôt pessimiste :

    « Il n’y a pas eu de quoi stimuler des électeurs libéraux […] les candidats sont loin de la position libérale (du moins dans la ligne de celle que nous diffusons).

    Toutefois, deux positions semblaient positives pour des libéraux : d’une part Éric Ciottti avançait un programme de réduction massive des impôts, d’autre part Bruno Retailleau souhaitait que le parti se donne enfin une doctrine claire. Mais sur ces deux points il y avait antinomie : Bruno Retailleau préférait une baisse des dépenses plutôt qu’un allègement des prélèvements obligatoires et Éric Ciotti se réclamait de la famille gaulliste dont la doctrine est de ne pas en avoir (comme disait Michel Debré, à juste titre).

    Moins d’État ou mieux d’État ?

    La victoire d’Éric Ciotti (très discrètement commentée à cause des matches de foot au Qatar) ne manque pas d’interroger les libéraux et je me pose comme tant d’autres la question impertinente : où va-t-il mener le parti ?

    Sa toute première déclaration a été pour se féliciter du retour à la famille gaulliste mais il a aussi laissé entendre qu’il faut réformer pour libérer. Son plaidoyer pour la flat tax et l’ effet Laffer , jadis pièces maîtresses de la reaganomics , a de quoi séduire les libéraux.

    Le gaullisme, c’est plus d’État, le libéralisme c’est moins d’État. Nous voici donc confrontés au paradoxe très français : peut-on libérer les Français en restaurant l’autorité de l’État français ?

    Il est vrai que dans l’opinion publique les deux approches correspondent à un besoin profond : le déclin et le désordre règnent actuellement grâce au macronisme insaisissable et impuissant et le poids des impôts, des taxes et des règlementations devient intolérable.

    Il est donc tentant de se demander si le parti LR sera celui de l’ordre (capable de reconstruire l’électorat de droite voire de l’extrême droite) ou celui de la liberté (capable de répondre à l’attente d’un électorat libéral aujourd’hui exclu du débat public). Vieille affaire : la droite française a-t-elle été un jour libérale comme elle l’est dans la plupart des pays libres ? J’enfonce donc une porte ouverte.

    Mais je crois précisément que l’opposition entre ordre et liberté est mal comprise et je me fais un devoir de répondre à ceux qui s’interrogent sur sa nature. Je n’ai aucun mérite à relever le défi puisque tout revient à l’opposition qu’Hayek a marquée entre ordre créé et ordre spontané.

    Ordre créé ou ordre spontané ?

    L’exception française bien repérée par Jean-Philippe Feldman est celle de l’ordre créé : c’est le pouvoir politique en place qui décrète ce que les gens doivent faire. Il n’y a aucune limite à cette ingérence de l’État, on va même jusqu’à considérer la Constitution comme une déclaration solennelle des droits individuels.

    Le pamphlet de Bastiat La Loi dénonce l’erreur (de Rousseau) sur la « volonté du peuple » : le législateur élu peut tout régenter. C’est un excellent chemin vers la dictature et la servitude volontaire.

    Par contraste l’ordre spontané est le fruit de la liberté et le garant de la liberté.

    Fruit de la liberté parce que les institutions, règles du jeu social, évoluent naturellement à travers un processus d’essais et d’erreurs.

    Garant de la liberté parce que les règles du jeu ont pour mérite d’anticiper le comportement prévisible des autres individus et rendent possible l’harmonie sociale née de la catallaxie , qui transforme des intérêts contraires en accords réciproques.

    Il y a donc, comme Mises le soulignait, une praxéologie , un pari sur le comportement des êtres humains. Bien qu’Hayek n’ait pas voulu (pour diverses raisons) se référer au droit naturel, il y a bien quelque chose dans la nature de l’être humain qui le pousse à préférer la liberté, la responsabilité, la propriété et la dignité. Sans doute cette nature est-elle encouragée par l’éducation, par l’expérience, capables d’épanouir la personnalité. Voilà pourquoi le parti LR, sous la houlette d’Éric Ciotti, devrait donner priorité à l’école, à la famille, au contrat, là où existent actuellement tous les foyers de haine, de discorde, animés par les tenants de la lutte des classes, des races, des sexes.

    Voilà l’ordre libéral. Puisse-t-il enfin devenir une vraie doctrine pour un vrai parti libéral.