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      Pourquoi la censure devrait vous faire froid dans le dos

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 24 February, 2023 - 04:00 · 8 minutes

    Par Lawrence W. Reed.

    Le premier empereur de Chine, Qin Shi Huang, a dit un jour : « J’ai rassemblé tous les écrits de l’Empire et brûlé ceux qui n’étaient pas utiles. » Les amoureux de la liberté du monde entier ont combattu l’arrogance des censeurs au cours des 2400 ans qui se sont écoulés depuis qu’il a prononcé cette phrase.

    « Donnez-moi la liberté de savoir, de dire et d’argumenter librement selon ma conscience, par-dessus toutes les libertés », déclarait John Milton dans sa célèbre polémique de 1644 connue sous le nom d’ Aeropagitica . Il défendait avec passion la liberté de la presse et de la parole à une époque où le roi et le Parlement tentaient de censurer la dissidence.

    Un peu plus de deux siècles plus tard, John Stuart Mill a exprimé des sentiments similaires dans un célèbre essai intitulé On Liberty .

    Il y affirmait que les opinions ne devraient jamais être réduites au silence, car :

    1. Elles peuvent être correctes.
    2. La confrontation de points de vue différents, corrects ou incorrects, est souvent la meilleure voie vers la vérité.
    3. En l’absence de toute perspective contestataire, même une vérité peut se transformer en un simple préjugé irréfléchi.

    Ce sont là quelques-unes des raisons pour lesquelles les défenseurs des libertés civiles soutiennent que le meilleur remède aux discours faux ou préjudiciables est davantage de discours, et non moins.

    Nous voici au XXI e siècle, longtemps après les puissants arguments de Milton, Mill et d’innombrables autres, et la censure reste un problème. Elle est peut-être même plus importante aujourd’hui qu’il y a quelques décennies. Selon le classement de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières , l’étouffement de l’opinion est un problème dans un très grand nombre d’endroits.

    La censure est généralement considérée comme l’apanage des gouvernements car ils ont le monopole requis de la force légale. Ils peuvent vous faire taire et envoyer les flics à votre porte si vous ne vous tenez pas tranquille. Si une entreprise privée, comme un journal, choisit de ne pas publier quelque chose, nous pouvons qualifier cavalièrement son action de « censure », mais ce journal ne peut pas interdire à d’autres de le faire. Ce journal peut se taire mais ne peut pas faire taire les autres. Il ne peut pas envoyer des hommes armés pour faire taire un concurrent (du moins pas légalement).

    L’une des raisons pour lesquelles la censure est au cœur de l’actualité est l’alliance contre nature entre certains services privés (telles que les sociétés de médias sociaux) et le gouvernement. Exemple : le FBI a collaboré avec Twitter pour censurer l’article du New York Post sur le fameux ordinateur portable de Hunter Biden . Lorsque des services privés conspirent avec le gouvernement pour faire taire l’opinion, nous obtenons le pire des deux mondes : la force brute de l’État combinée à la technologie et à l’efficacité de la libre entreprise. Le projet raté de l’administration Biden de créer une sorte de « ministère de la Vérité » orwellien aurait probablement officialisé une alliance de censure entre le grand gouvernement et les grandes entreprises technologiques. Pour l’instant du moins, nous avons évité une balle sur ce point !

    Pour la même raison que nous devrions craindre de telles combinaisons, nous devrions redouter l’idée que l’IRS engage des entreprises privées pour collecter les impôts ; pour cela je préfère faire confiance à des bureaucraties maladroites.

    Les défenseurs de la liberté devraient également se méfier de l’autocensure. Nous la pratiquons tous dans une certaine mesure. En tant qu’adultes, par exemple, nous évitons généralement certains mots et sujets en présence d’enfants. Mais lorsque l’autocensure découle de l’intimidation ou de l’intolérance (par exemple, la cancel culture ), nos libertés sont en danger. Brad Polumbo a averti dans ces pages que « l’autocensure menée par la culture, et non par le gouvernement, érode tout de même notre découverte collective de la vérité ». Nous aurions besoin d’un débat plus sérieux sur le caractère subtil mais omniprésent de l’autocensure de nos jours, et de plus de courage pour la repousser.

    Pour nous rappeler les dangers inhérents à la censure, je souhaite partager avec les lecteurs certaines des déclarations les plus éloquentes à son sujet. La première provient de Woodrow Wilson, 28e président des États-Unis, dans une lettre adressée à un certain Arthur Brisbane le 25 avril 1917 :

    Je ne peux imaginer un plus grand préjudice pour le pays que d’établir un système de censure qui refuserait au peuple d’une république libre comme la nôtre le droit indiscutable de critiquer ses propres fonctionnaires. Tout en exerçant les grands pouvoirs de la fonction que j’occupe, je regretterais, dans une crise comme celle que nous traversons actuellement, de perdre le bénéfice de la critique patriotique et intelligente.

    Avant de déclarer que Wilson est un libertarien, considérez le contexte : il a écrit cette lettre trois semaines après avoir obtenu du Congrès une déclaration de guerre contre l’Allemagne et deux semaines seulement après avoir signé un décret créant le Comité de l’information publique. Il a chargé cette nouvelle agence fédérale d’une tâche que Christopher B. Daly, dans le Smithsonian Magazine , a qualifiée de « plan de contrôle, de manipulation et de censure de toute la couverture médiatique, à une échelle jamais vue dans l’histoire des États-Unis » ; en d’autres termes, il s’agissait de mener à bien la mission ignoble qu’il avait qualifiée quelques jours auparavant de « mauvais service rendu au pays ».

    Si la duplicité de Wilson ébranle votre confiance dans le comportement du gouvernement en matière de censure, alors vous êtes prêts pour le reste des citations :

    « Supprimer la liberté d’expression est un double mal. Elle viole les droits de l’auditeur aussi bien que ceux de l’orateur. Il est tout aussi criminel de priver un homme de son droit de parler et d’entendre que de lui voler son argent » – Frederick Douglass, 1880

    « Ne rejoignez pas les brûleurs de livres. Ne pensez pas que vous allez dissimuler des pensées en dissimulant les preuves qu’elles ont jamais existé » – Dwight D. Eisenhower, 1953

    « Si tous les imprimeurs étaient déterminés à ne rien imprimer avant d’être sûrs que cela n’offense personne, il y aurait très peu d’imprimés » – Benjamin Franklin, 1730

    « Les livres ne resteront pas interdits. Ils ne brûleront pas. Les idées n’iront pas en prison. Au cours de l’histoire, le censeur et l’inquisiteur ont toujours perdu. Le seul moyen sûr contre les mauvaises idées, ce sont les meilleures idées. La source de meilleures idées est la liberté » – Alfred Whitney Griswold, 1952

    « Là où ils ont brûlé des livres, ils finiront par brûler des êtres humains » – Heinrich Heine, 1823

    « À qui attribuez-vous le droit de décider quel discours est nuisible, ou qui est l’orateur nuisible ? Ou de déterminer à l’avance quelles seront les conséquences néfastes que nous connaissons suffisamment à l’avance pour les prévenir ? À qui allez-vous confier cette tâche ? À qui allez-vous confier la tâche d’être le censeur ? N’y a-t-il pas une vieille histoire célèbre selon laquelle l’homme qui doit lire toute la pornographie, afin de décider ce qui peut être adopté et ce qui ne peut pas l’être, est l’homme le plus susceptible de devenir débauché ? Avez-vous entendu un seul orateur de l’opposition à cette motion, aussi éloquent que soit l’un d’entre eux, à qui vous délégueriez la tâche de décider pour vous de ce que vous pouvez lire ? À qui vous confieriez la tâche de décider pour vous – de vous décharger de la responsabilité d’entendre ce que vous pourriez avoir à entendre ? Connaissez-vous quelqu’un ? Levez la main. Connaissez-vous quelqu’un à qui vous donneriez ce travail ? Quelqu’un a-t-il un candidat ? » – Christopher Hitchens, 2006

    « L’héritage inestimable de notre société est le droit constitutionnel illimité de chaque membre à penser comme il l’entend. Le contrôle de la pensée est un droit d’auteur du totalitarisme, et nous n’y avons pas droit. Ce n’est pas la fonction du gouvernement d’empêcher le citoyen de tomber dans l’erreur ; c’est la fonction du citoyen d’empêcher le gouvernement de tomber dans l’erreur. Nous ne pourrions justifier une quelconque censure que si les censeurs sont mieux protégés contre l’erreur que les censurés » – Robert H. Jackson, 1950

    « Toutes les censures existent pour empêcher quiconque de remettre en question les conceptions actuelles et les institutions existantes. Tout progrès est initié par la remise en question des conceptions actuelles, et exécuté en supplantant les institutions existantes. Par conséquent, la première condition du progrès est la suppression de la censure » – George Bernard Shaw, 1893

    « La censure reflète le manque de confiance d’une société en elle-même. Elle est la marque d’un régime autoritaire. Il y a longtemps, ceux qui ont rédigé notre Premier amendement ont suivi une voie différente. Ils pensaient qu’une société ne peut être vraiment forte que lorsqu’elle est vraiment libre. Dans le domaine de l’expression, ils ont fait confiance, pour le meilleur et pour le pire, au choix éclairé du peuple, libre de l’interférence du pouce intrusif d’un policier ou de la main lourde d’un juge. C’est ainsi que la Constitution protège l’expression grossière aussi bien que raffinée, et la vulgarité non moins que l’élégance » – Potter Stewart, 1965

    Traduction Contrepoints

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      Faut-il tolérer l’intolérance ? (2/2)

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 14 February, 2023 - 03:40 · 13 minutes

    Suite de notre recension de l’ouvrage collectif écrit sous la direction de Nicolas Jutzet (voir ici Première partie ).

    Enjeux contemporains. Tolérance et liberté d’expression

    En spécialiste de John Stuart Mill, Camille Dejardin s’intéresse à la liberté d’expression, se fondant sur les enseignements du philosophe du XIX e siècle pour les appliquer aux enjeux contemporains.

    Il s’agit en effet de l’un des acquis les plus précieux de la modernité politique, nous montre-t-elle, mais qui se trouve parfois instrumentalisé et dévoyé au point de saper en certains cas les conditions du débat démocratique. C’est pourquoi s’interroger sur ses ressorts et limites se justifie dans une optique libérale, pour mieux « la défendre contre ses adversaires et la sanctuariser dans ses fonctions essentielles ».

    Il s’agit de lutter contre les lieux communs tout en défendant le pluralisme et donc l’expression y compris minoritaire, comme source de confrontation entre l’erreur et la vérité. En veillant à la fois à la prémunir contre les excès d’autoritarisme, mais aussi des « formes plus insidieuses du conformisme », les assauts du communautarisme et du politiquement correct médiatique ou économique ayant pour effet de dissuader les prises de position discordantes.

    En ce sens, John Stuart Mill défendait les vertus du débat contradictoire. S’appuyant sur la thèse fondamentale selon laquelle l’erreur renforce la vérité, à condition toutefois d’être systématiquement combattue. Selon le principe de la vérité provisoire, à l’instar des idées poppériennes, l’appel à la raison et au jugement critique devant servir la recherche de la vérité.

    Mais si le philosophe britannique était contre la censure et défendait le droit de tout dire, il le faisait dans l’exigence de la bonne foi et du débat, de même que de l’importance accordée à la contradiction. Défendant également un devoir d’équité, la question du manque de pluralité des médias et de la mainmise des opinions majoritaires sur la parole – et le conformisme que cela induit – étant de fait mise en cause aujourd’hui, prolongée par celle des dérives de réseaux virtuels s’assimilant plus souvent à un instrument de publicisation de soi qu’à l’usage de véritables discours structurés, donnant ainsi lieu à de nombreux excès, à des injures, des propos discriminatoires, ou encore à une communautarisation qui ne sont pas sans poser de nombreux problèmes, dont Camille Dejardin donne des exemples concrets. Sans oublier la question délicate des « fausses nouvelles ».

    Les tensions entre liberté et responsabilité, expression personnelle et publicité de contenu exprimé ainsi que ses conséquences, latitude éthique et normes implicites, ou encore encadrement juridique, sont multiples et complexes. C’est ce que la philosophe étudie de manière passionnante dans sa contribution (et que ne saurais résumer en quelques lignes).

    Elle [la liberté d’expression] rappelle ce faisant combien est sinueux le chemin qui cherche à éviter aussi bien l’individualisme narcissique et concurrentiel que la pression conformiste ou autoritaire d’instances massifiées et jamais idéologiquement neutres. En réaffirmant les idéaux chers aux libéraux que sont le pluralisme, la responsabilité individuelle, la rationalité et la représentativité de la parole médiatisée contre leurs contraires, la dictature émotionnellement chargée pouvant émaner tant de la majorité que de certaines minorités, elles mettent en lumière combien une éducation exigeante demeure requise pour les faire vivre.

    On en revient une nouvelle fois à la nécessité de cultiver la connaissance et l’esprit critique . C’est par une éducation ambitieuse et une culture humaniste , universaliste et libérale que les libertés formelles pourront trouver une meilleure assise.

    Tolérance et défense du pluralisme

    Alexandre Curchot traite lui aussi des enjeux contemporains liés à la liberté d’expression en abordant notamment sa dimension juridique d’inspiration libérale puisque la liberté d’expression en est le principe de base fondamental, assorti d’exceptions ou limites, déterminées par la sauvegarde des droits d’autrui. Comme dans le cas de l’incitation à la haine.

    À l’ère du clash et des mouvements extrémistes qui menacent la presse libre, des discours binaires et indignations simplistes, la perte de nuances et de la pensée complexe au profit du format court, du zapping permanent et du caractère clivant des réseaux sociaux, suscitent une défiance à l’encontre de toute forme d’autorité, de l’incrédulité et l’émergence d’une post-vérité qui n’a que faire des faits, laissant place au règne des émotions et croyances personnelles. Attaquant de la sorte le socle de notre monde commun, comme seul le négationnisme pouvait le faire auparavant. Le problème est que le relativisme propre à l’ère du clash exclut la confrontation des points de vue et aboutit en définitive à la négation même de la liberté d’expression telle que conçue par la tradition juridique.

    À partir du moment où toute forme d’argumentation se trouve exclue, qu’en est-il du débat, du pluralisme, des discussions rationnelles, s’interroge Alexandre Curchot ?

    Le relativisme conduit alors à l’intolérance, à l’anarchie, à l’absence de droit, et au règne de la violence , ainsi que l’analysait Karl Popper. En ce sens, les dérives numériques et le règne de l’indignation ou de la morale conduisent à la futilité, à l’expression souvent anonyme de haines, aux opinions inconsistantes et aux polémiques stériles. Avec un effet multiplicateur et viral qui n’a souvent plus grand-chose de démocratique, cédant le pas à des formes nouvelles d’intégrisme ou de destruction de la dignité d’une personne jetée en pâture (rendant inopérantes nos conceptions juridiques), versant dans le sensationnel, le tribunal médiatique, ou encore la création de « bulles cognitives » qui polarisent la société.

    Certains journalistes jouant le rôle d’amplificateur en n’exerçant plus tout à fait leur rôle de diffuseur d’information, tandis que des journalistes ou caricaturistes jugés incorrects par certains indignés ou même par la majorité ( voire, de manière ahurissante, certaines chaînes de télévision jugées incorrectes par Mme la ministre de la Culture ) se trouvent écartés, puis bannis, sans autre forme de procès, y compris pour un simple propos anodin. Toujours au nom de la morale. Sonnant le glas de la tolérance et du pluralisme pourtant au cœur de nos traditions. La présomption d’innocence n’étant par ailleurs elle-même plus toujours respectée.

    Là encore, la cancel culture , s’appuyant sur la « génération offensée » et l’appropriation culturelle, amplifie l’œuvre de désinformation bien entamée par certains réseaux sociaux ou groupes complotistes, la liberté d’expression étant alors perçue comme un obstacle.

    Il n’y a dans un tel référentiel plus de place pour la contradiction, le doute, l’ironie ou les nuances. Chaque émetteur d’avis critique est taxé d’ennemi de la cause.

    Selon Alexandre Curchot, les solutions passeront par un renforcement du cadre législatif, selon des modalités qu’il définit précisément, mais aussi par une remise en cause par les médias des fondements de leur métier et une meilleure formation de leurs journalistes, ainsi que par l’éducation au numérique et aux droits fondamentaux.

    La tolérance à l’ère des technologies de la communication

    Pierre Schweitzer dresse un panorama des grandes évolutions qui nous ont conduits vers l’avènement du cyberespace, qui constitue une véritable révolution, dont il analyse à la fois les atouts en termes de liberté d’expression, mais aussi les limites ou dérives.

    Sa réflexion porte à la fois sur l’intérêt et les apports fantastiques qu’ont permis les technologies en matière de connaissances et de possibilités d’exprimer des idées mais aussi sur les dérives engendrées au fur et à mesure que les technologies se sont développées. Conduisant, de fait, vers une grande tendance à la paresse intellectuelle , au règne de l’insignifiant, de l’immédiateté, de l’ego, de l’émotion, au détriment de la réflexion, de la qualité, des rapports à autrui. Quand ce ne sont pas des prêches radicaux appelant au meurtre , du harcèlement scolaire à grande échelle, de la fabrication douteuse ou malveillante d’information partagée sans esprit critique. Sans oublier, là encore, les menaces très nettes et effectives que font régner le politiquement correct et le wokisme sur la liberté d’expression.

    Pour autant, dans une optique libérale, il n’est nullement question d’interdire ces opinions en remettant les libertés entre les mains de l’État. Ni de « s’infliger une perte de temps infinie sous prétexte de devoir respecter et discuter de toutes les opinions ». C’est pourquoi Pierre Schweitzer privilégie plutôt de faire appel à des solutions de marché. Qui ne passent pas forcément par les seuls réseaux sociaux. Les forums, newsgroups, réseaux sociaux alternatifs ou décentralisés, sites web, clubs de discussion en ligne, sont d’autres moyens de participer à des débats, en stimulant la liberté d’expression et l’esprit critique, sans tomber dans les travers précédents et en évitant le monopole du prêt-à-penser – public ou privé – visant à éliminer toute concurrence. Ce qui nécessite, bien entendu, des efforts et une volonté de travailler à la confrontation des idées, à travers ces espaces de liberté. Il s’agit, en somme, « de protéger la société libre contre des ennemis qui utilisent pernicieusement ses plus belles conquêtes pour mieux la saper ».

    Thierry Aimar apporte à son tour sa contribution, en proposant une lecture hayékienne de la tolérance face au communautarisme en s’appuyant sur l’exemple de l’affaire du burkini et mettant en cause les tournures qu’ont parfois pu prendre les débats sur le sujet, dont il déplore certaines dérives.

    De son point de vue, la seule universalité possible est le respect de toutes les singularités individuelles et l’acceptation de la liberté des uns de faire différemment des autres. Ce qu’il reproche est l’incohérence dans les décisions prises à divers égards dans la vie publique, qui ne sont pas à même d’apaiser les tensions, ainsi que les raccourcis mentaux et procès d’intention qui, selon lui, ont présumé des motivations des initiateurs en les appréhendant uniquement en tant que revendication communautaire. Heureusement, considère-t-il, la décision du Conseil d’État pour trancher l’affaire ne s’est basée que sur la seule considération des risques sanitaires et sécuritaires des baigneurs, ce qui a évité les risques liés à l’arbitraire.

    Sauvegarder nos libertés

    Jean-Pierre Chamoux clôt l’ouvrage en rendant notamment hommage au passage aux grands auteurs libéraux célébrés par Mario Vargas Llosa dans son livre L’appel de la tribu , qui ont inspiré bon nombre de nos réflexions actuelles, en particulier dans les sphères qui nous intéressent ici, à savoir la liberté et la tolérance. Deux thèmes que Jean-Pierre Chamoux aborde à l’aune de sa longue expérience en matière de technologies de l’information et de la communication.

    Il commence ainsi par s’interroger sur l’impact de ces technologies en matière de libertés individuelles. La disruption numérique n’est pas terminée et pourtant elle révèle déjà ses atteintes envers la liberté d’expression et d’autres libertés fondamentales qu’elle contribue à fragiliser. Des procédures bureaucratiques impersonnelles au problème de la protection des données, nombreux sont les dangers qui menacent les garanties liées à notre intégrité, sans même aller jusqu’au cas extrême du contrôle social à la chinoise . Qu’il s’agisse des administrations fiscales, sociales, ou douanières, l’informatisation favorise les procédures inquisitrices. Les réseaux sociaux, quant à eux, induisent des problèmes nouveaux, tant dans les formes de communication que dans les modalités de surveillance. Par leurs excès, ils « encouragent la vanité, découragent la mesure, la réflexion, la prudence et la modestie ». Au lieu de cela, ils encouragent les pires excès, l’exposition de soi, l’impudeur , l’indiscrétion, et « l’imposture de la transparence ».

    Non, la transparence n’est pas un principe de société ; oui, c’est un venin qui encourage la délation (par exemple en matière de voisinage, de fiscalité ou de mœurs) et qui monte les uns contre les autres, sous n’importe quel prétexte, sérieux ou futile. Érigé en principe de droit, ce travers déboucherait sur une guerre civile larvée ; qui peut en espérer du bien ? Délétère, la transparence s’oppose à la tolérance qui est une vertu de l’homme civilisé : entre les deux, il n’y a pas photo !

    Jean-Pierre Chamoux souligne le fait qu’à travers son paradoxe, Karl Popper n’exclut pas pour autant le débat avec les intolérants. En effet, il n’est nullement question de prendre le risque de sombrer dans les propos sanguinaires d’un Saint-Just proclamant « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! », réprimant ici toute liberté d’expression. On ne voit que trop où cela pourrait mener. Il s’inscrit en cela en accord avec la pensée de Raymond Aron , qui lui aussi considérait que c’est « toute la beauté et la fragilité du libéralisme » que de ne pas étouffer les voix, même dangereuses.

    C’est uniquement lorsque l’intolérant devient tyrannique, développe une intolérance criminelle ou incitant au meurtre que les limites de la tolérance sont franchies. Or, en temps de guerre, poursuit Jean-Pierre Chamoux, les conditions ne sont souvent plus réunies pour que les principes libéraux de l’État de droit, de la libre expression et l’exercice des libertés fondamentales en général soient respectés. Sans aller jusqu’au cas de la guerre en Ukraine, c’est ce que nous avons pu constater y compris en Europe à la suite des États-Unis depuis 2001, à travers les mesures liberticides de nos gouvernements qui ont tendu à se multiplier. Sous prétexte de guerre au terrorisme, puis à la pandémie.

    Face aux intolérants dogmatiques, le libéral doit tenter seulement d’entretenir le contact, mais pas à n’importe quel prix. Il peut donc être contraint de mettre temporairement entre parenthèses ce à quoi il tient le plus ; et s’effacer devant ceux qui, depuis la nuit des temps, administrent les passions à leur paroxysme : au soldat et au diplomate qui font la guerre et tenteront ensuite de refaire la paix !

    Alors vient le temps pour les libéraux de reprendre les rênes, dès que la paix reprend ses droits ; depuis trois siècles, ils ont souvent tenté de restaurer les libertés, de tolérer les différences et de gérer les crises du temps de paix, en évitant le pire : seul le péché d’orgueil qui suggère aux Hommes que leur seule volonté peut maîtriser l’avenir, pourrait les dissuader !

    — Nicolas JUTZET (sous la direction de), Faut-il tolérer l’intolérance ? Défis pour la liberté , Editions Institut Libéral, novembre 2022, 188 pages.

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      Arbitraire macronien : les tentatives de censure de la ministre de la Culture

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 13 February, 2023 - 09:16 · 5 minutes

    Alors que la réforme des retraites déclenche une opposition de plus en plus farouche que Macron et sa clique ne pensaient pas devoir affronter, la nervosité gouvernementale grimpe à mesure que les langues se délient sur les plateaux télé et que les “éléments de langage” officiels ne passent plus sans critique sur certaines chaînes. Zut et zut, voilà qu’il va falloir composer avec des gens pas tous d’accord avec Jupiter !

    Et cette opposition s’est illustrée dans la présence, notamment sur certaines chaînes de la TNT, d’intervenants clairement opposés aux points de vue gouvernementaux à différents sujets, depuis la gestion de la pandémie jusqu’à l’actuel débat parlementaire sur la réforme des retraites en passant par les chroniques et commentaires sur différentes affaires judiciaires qui éclaboussent (régulièrement) le petit monde macronien.

    Cette opposition est devenue virulente très récemment lors d’une émission d’Hanouna, le 16 janvier dernier, dans laquelle l’animateur étrillait l’audiovisuel public en dénonçant un budget de près de 4 milliards d’euros pour une qualité discutable, et appelait à le privatiser intégralement. L’horreur, quasiment l’ultranéolibéralisme sans frein ni loi !

    C’en était probablement trop pour l’actuelle ministre de la Culture, une certaine Rima Abdul-Malak dont l’existence n’a été confirmée qu’assez récemment, qui s’est empressée de faire connaître son point de vue lors d’une émission tenue commodément sur un média de révérence du service public : pour elle – et c’est très simple – on ne peut conserver son droit d’émettre qu’à partir du moment où on ne fait pas trop dans la critique acide.

    Eh oui, pour les petits rigolos qui croyaient que la France était un pays où les “droits de l’Homme” s’appliquaient encore, le réveil est quelque peu rude : non, vous n’avez pas le droit de dire ou d’émettre ce que vous voulez. La liberté d’expression, comme absolument tout le reste en France, doit être sévèrement encadrée et ce, d’autant plus si vous commencez à utiliser niaisement cette liberté pour critiquer vertement l’emploi des fonds publics ou pour remettre en cause le discours officiel.

    Pour l’actuelle ministricule – et comme pour beaucoup d’autres politiciens actuellement en poste, du reste – la libre-expression n’est pas un droit, mais bien un privilège. Privilège qui pourrait donc être résilié ad nutum par le pouvoir en place en prétextant (admirez la beauté de l’argument !) un “manque de pluralité” depuis un plateau radiophonique pourtant réputé pour ses débats et intervenants hémiplégiques soigneusement choisis dans les 50 nuances de rouges, de pourpres et de carmins d’une gauche germanopratine caricaturale d’entre-soi et certainement pas plurielle.

    Sans grande surprise, les explications de la ministre n’ont guère convaincu les intéressés : Hanouna a facétieusement rappelé qu’en 2025, date à laquelle les fréquences attribuées à CNews et C8 – chaîne où il officie – pourraient ne pas être renouvelées par l’État, l’actuelle ministre pourrait ne plus être en poste. De la même façon, Pascal Praud n’a pas goûté les arguments de la ministre et a même accusé Léa Salamé, le passe-plat de la ministre au service public, d’être complice de l’opération menée par Abdul-Malak pour préparer les esprits au prochain refus de renouvellement. Bock-Côté, de son côté , s’est fendu d’une tribune dans Le Figaro pour dénoncer la tentative de musèlement de la ministre au profit de cette “idéologie diversitaire” , ce pluralisme à sens unique où seul le discours d’extrême-centre est autorisé.

    Signalons enfin Christine Kelly , ex-membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), qui rappelle que les décisions de l’autorité compétente en la matière sont, normalement, réalisées en indépendance totale du ministère, ce que les déclarations de la Ministre semblent remettre en cause.

    Soyons lucides : il est particulièrement amusant de voir certains se réveiller en 2023 devant ce qui était apparent depuis plusieurs années pour ceux qui se sont donné la peine de regarder la réalité en face. L’épisode particulièrement douloureux et dramatique de la gestion pandémique a largement illustré l’absence réelle de toute possibilité d’un débat serein, scientifique et argumenté dans les médias, et C8 comme CNews ne s’en sont pas mieux sorties à l’époque que les autres chaînes, publiques ou privées.

    Cela fait en réalité plusieurs années que le débat démocratique n’existe plus en France, et que la fameuse pluralité d’opinions et de points de vue n’existe plus sur à peu près aucun plateau télé, aucune émission radio ou quasiment aucune tribune journalistique. Parfois, il y a quelques résurgences, quelques épisodes où un intervenant va, subitement et inconsciemment sans doute, sortir une opinion parfaitement contraire à la doxa officielle, plombant l’ambiance et aboutissant à des journalistes à la bouche bée qui font ensuite des mèmes rigolos sur les intertubes. L’émission suivante, l’impétrant n’est d’ailleurs pas réinvité.

    En réalité, toute la société française s’est maintenant accommodée d’un discours quasi-unique et de débats sur les détails, à la marge et surtout pas en profondeur : le moindre écart à cette marge est immédiatement taxé, sans la moindre nuance, de complotisme , de discours fasciste , d’ extrême-droite (ou ultradroite , n’hésitons pas). Les intervenants qui ont émis une opinion différente ont dérapé , le doute ou leurs questionnements les propulse dans les antivax , les pro-Poutine ou les ultralibéraux , autant de termes qu’on voudra aussi infâmants que possible.

    Dans cette ambiance délétère maintenant bien installée, toute opposition clairement exprimée, voire – pire que tout – argumentée sera non seulement combattue avec absolument tous les procédés rhétoriques les plus vils (depuis l’ ad hominem jusqu’à l’insulte pure et simple en passant par l’homme de paille ou les diversions plus ou moins grossières) mais elle sera surtout cachée, tue et effectivement censurée par action et par omission dès que cela sera possible.

    En exprimant ainsi ces menaces même pas voilées à l’encontre de groupes privés, la ministricule Rima Abdul-Malak ne fait en réalité qu’entériner un état de fait déjà bien présent dans le pays. On ne pourra que s’étonner de l’incohérence de la même ministre qui, il y a quelques semaines, s’exprimait sur les dangers de la Cancel culture .

    Manifestement, certaines opinions semblent importantes à étouffer, mais d’autres peuvent revendiquer l’application et la protection de la loi… Bienvenue dans la confusion générale et dans l’arbitraire macronien.

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      Faut-il tolérer l’intolérance ? (1/2)

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 12 February, 2023 - 04:15 · 13 minutes

    Première partie de la recension de l’ouvrage collectif sous la direction de Nicolas Jutzet .

    La tolérance a des vertus pacificatrices. Historiquement, il s’agissait au départ notamment de définir un concept qui allait rendre possible la fin des conflits entre religions. Plus largement, cette notion vise à l’adoption d’une attitude consistant à admettre que d’autres aient une manière différente de la nôtre de penser ou de vivre. En effet, quoi de plus sain que de respecter les opinions, croyances, idées d’autrui même si elles s’écartent de celles que l’on peut avoir ? Une manière, en somme, de coexister pacifiquement en respectant les différences.

    Mais voilà. Jusqu’à quel point ce socle de valeurs que l’on pourrait considérer comme communes est-il mis en cause par certains ? Et quelle attitude avoir à l’égard de ceux qui ne le partagent pas ? Autrement dit – et c’est la question posée dans ce livre – la tolérance ne risque-t-elle pas tout simplement de disparaître si on se montre tolérants à l’égard de ceux qui sont ennemis de la tolérance, à l’image de ceux qui s’en servent de marchepied pour tenter de miner de l’intérieur les sociétés libres , ou encore ceux qui la fragilisent par leur relativisme ?

    Paradoxe – déjà mis en lumière par Karl Popper en son temps – qu’il convient d’autant plus d’étudier de près à l’ère du numérique , des réseaux sociaux et du multiculturalisme , que c’est tout simplement la liberté – les libertés – qui est en jeu.

    Tolérance et liberté

    L’histoire de la tolérance est intimement liée au libéralisme et à la défense des droits des individus. C’est ce que nous montrent les auteurs qui composent la première partie de l’ouvrage, consacrée à l’histoire des rapports entre tolérance et liberté.

    C’est Alain Laurent qui ouvre le bal, en commençant par mettre en garde contre l’image déformée que l’on peut avoir aujourd’hui de la tolérance, devenue une sorte de conformisme intellectuel individuel qu’il est de bon ton d’afficher, en se revendiquant comme quelqu’un de vertueux , quitte à perdre de vue ce qu’étaient ses exigences originelles. D’où son retour aux sources historiques, en partant d’une « archéologie d’une tolérance avant le mot » pour ensuite présenter sa consécration, qu’il fait remonter à Erasme en 1533, et même avant lui à Thomas More , avant que Montaigne , dans ses Essais , en fasse un instrument de paix civile face aux troubles de l’Inquisition et des guerres de religion. Puis, au siècle suivant, il s’agira pour d’autres auteurs (notamment John Milton ), d’y voir un moyen de défendre la liberté d’expression, face à la censure du pouvoir politique sous le règne de l’absolutisme monarchique, particulièrement en matière de religion. La libre confrontation des idées devient (encore avec certaines limites) la condition du progrès.

    Mais c’est surtout au cours de la seconde moitié du XVII e siècle que des philosophes signant l’avènement du libéralisme moral et politique (Baruch Spinoza , John Locke , et plus encore Pierre Bayle ) approfondissent véritablement la question, fondant leur approche sur les droits imprescriptibles d’une conscience autonome, et donc du libre individu. Avant qu’à la fin du siècle suivant les philosophes des Lumières ( Emmanuel Kant , dans une moindre mesure Voltaire , puis surtout Wilhelm Von Humboldt , et à sa suite John Stuart Mill ) y apportent les ultimes contributions.

    Dès lors, la tolérance « passe par la reconnaissance effective du droit souverain de l’individu de penser et de vivre comme il l’entend sous condition de ne pas imposer ses propres choix aux autres ».

    Du strict terrain religieux, on est ainsi passés progressivement à la lutte contre l’absolutisme politique puis, grâce aux apports du libéralisme , au despotisme des opinions majoritaires en matière de mœurs, et à la liberté d’opinion et d’expression.

    De la tolérance à l’hypertolérance

    C’est surtout à 1968 (et son « Il est interdit d’interdire ») que remonte cette dérive qui a consisté à ériger la tolérance en une sorte de « religion civile », nous dit Alain Laurent.

    Mais à tout vouloir tolérer, le socle moral sur lequel avait été fondée cette notion s’est mué « en lâche indifférence d’abstention, en tolérance « molle », passive, où l’on accepte des évolutions et des états de fait comme solution de facilité pour éviter de faire preuve d’autorité , d’entrer en conflit ». Pire, en sombrant désormais dans le conformisme de l’époque , sous peine d’être « taxé de conservateur obtus et donc d’intolérant à bannir », on s’est laissé dériver vers une permissivité puis des formes de militantisme peu disposé à pratiquer la tolérance au sens classique.

    Le multiculturalisme sur lequel cela a débouché s’est traduit par la coexistence de communautés closes sur elles-mêmes et par un culturalisme tribal qui a perverti les limites de la tolérance telles que définies par John Stuart Mill en une intolérance à l’égard de ceux accusés de porter atteinte aux droits d’autrui. En une forme « d’ordre moral » formaté, avec l’appui de l’industrie culturelle, des médias, de l’éducation et mêmes des entreprises. Un laxisme et un relativisme bien à l’opposé des valeurs du laissez faire , aboutissant « à priver les générations les plus jeunes de repères assurés et à ne plus pouvoir que tout tolérer – ou presque ».

    En ce sens, le wokisme (antiracisme hystérisé, cancel culture, ultraféminisme) constitue certainement l’apogée de ces dérives dangereuses car extrêmement intolérantes et inquisitrices, recourant à l’intimidation, la dénonciation publique, parfois les menaces de mort, la police idéologique de la pensée et l’épuration du langage, mais aussi la privatisation de la censure, ainsi que « la mise à l’index de ceux qui osent ne pas se conformer à ses diktats dogmatiques », ou encore la chasse aux sorcières.

    Bref, tout l’opposé de ce qui fondait les réflexions sur la tolérance. Une régression historique terrible. Donnant ainsi raison à Karl Popper lorsqu’il soutenait son paradoxe de la tolérance, selon lequel

    Une tolérance illimitée [même envers les intolérants […] qui se refusent à toute discussion logique et ne répondent aux arguments que par la violence ] a pour conséquence fatale la disparition de la tolérance.

    Pour autant, ajoute Alain Laurent, il ne s’agit pas non plus de dénier « un droit individuel de professer à titre privé des opinions intolérantes sous peine de se transformer en politique étatique intrusive de rééducation des mal-pensants ». Il relève, en effet, le recul des nations tolérantes au profit de celles qui répriment la liberté d’expression (Chine, Russie, pays islamiques, mais aussi désormais des pays comme l’Inde ou les États-Unis, où wokisme et autres fanatismes religieux progressent), révélant la fragilité des acquis en matière de tolérance.

    Une valeur individuelle fragile par nature

    Matthieu Creson s’intéresse quant à lui à la notion de tolérance de Turgot à Gustave Le Bon , montrant qu’il s’agit d’une conquête individuelle fragile, puisant des origines dans l’esprit des Lumières mais soumise aux soubresauts de la « psychologie des foules ».

    La tolérance est une attitude qui ne va pas de soi, montre-t-il. Elle exige tout à la fois la maîtrise de soi et l’acquisition d’une autodiscipline, qui relève donc de la culture, tandis que l’absence de tolérance relèverait plutôt de la nature, à l’inverse de ce que pouvait par exemple considérer un René Descartes . Elle apparaît donc comme une conquête fondamentale de la modernité et le fruit d’un long combat intellectuel, « considérée comme l’un des principes directeurs de la civilisation occidentale moderne ». Cependant aujourd’hui menacée, à l’ère des foules.

    De ce point de vue, la tolérance ne saurait être séparée de l’individualisme , dont elle constitue bien au contraire une composante essentielle […] Ainsi, un individu, considéré isolément, peut parfaitement se montrer tolérant dans certaines circonstances, voire la plupart du temps, et se muer subitement par ailleurs en un farouche intolérant, lorsqu’il se trouve plongé au milieu d’une masse grégaire, étant par là même conduit à abdiquer son sens du jugement personnel pour céder le pas à la collectivité.

    Là où l’individu peut accepter la contradiction et la discussion, la foule peut se montrer aussi autoritaire qu’intolérante, pouvant renverser les valeurs morales de l’individu en son exacte antithèse .

    Ainsi que le montrait en outre Jean-François Revel , la tolérance repose sur la réfutation des thèses d’un contradicteur ou adversaire, dont on tente de démontrer la fausseté « au moyen d’arguments rationnels, de preuves et de faits tangibles ». En pratique, cependant, l’histoire des intellectuels des XIX e et XX e siècles est jalonnée de calomnies, invectives, injures, troncatures et falsifications de la pensée. Mais surtout, elle a tendance aujourd’hui à sombrer dans le relativisme .

    L’originalité de la culture occidentale est d’avoir établi un tribunal des valeurs humaines, des droits de l’Homme et des critères de rationalité devant lequel toutes les civilisations doivent également comparaître. Elle n’est pas d’avoir proclamé qu’elles étaient toutes équivalentes, ce qui reviendrait à ne plus croire à aucune valeur.

    Matthieu Creson cite aussi Raymond Massé , qui défend l’idée d’une tolérance « critique et engagée », s’opposant à celle qu’il qualifie de passive, « se limitant à un devoir fataliste d’acceptation de la différence, condescendance envers la réalité , abdication paresseuse ou indulgence face à des écarts aux normes ».

    Là encore, Matthieu Creson met en garde contre le danger wokiste et le regain d’intolérance qu’il induit, « au nom même du principe de tolérance brandi comme nouvel étendard du dogmatisme bien-pensant ». Avec son lot de censures, bannissements, déboulonnages, et actes intolérants en tous genres (dernier épisode fantasque, à l’heure où j’écris ces lignes, l’annulation d’une représentation d’ En attendant Godot , pour des motifs stupides et surtout absurdes ).

    C’est aussi, partant, le principe même d’indépendance de la pensée qui se trouve être désormais à la merci de ce nouveau radicalisme, intransigeant dans le respect qui serait dû selon lui à sa nouvelle orthodoxie.

    Le libéralisme comme solution au paradoxe de la tolérance

    Arkadiusz Sieron revient à son tour sur le paradoxe de Karl Popper.

    La difficulté étant que si tolérer de manière illimitée les intolérants peut se révéler fatal pour la tolérance, savoir où poser les limites est délicat. Cela peut même être dangereux. Si c’est l’État qui est chargé de les définir, alors nous ne sommes pas à l’abri de l’arbitraire. Quelles que soient les bonnes intentions qui en sont à l’origine.

    C’est pourquoi, selon lui, « le principe libéral de non-agression est la seule réponse rationnelle au paradoxe de la tolérance, garantissant la coexistence harmonieuse de divers individus dans une société libre ». Idée qu’il développe à travers tout un chapitre débouchant sur quelques illustrations concrètes, se basant sur l’idée qu’en tant que philosophie, le libéralisme se garde de tout jugement moral ou de hiérarchie des valeurs qu’il tendrait à imposer.

    Par nature, le libéralisme se base en effet naturellement sur des principes de tolérance respectueux de la diversité des principes, sur les vertus du commerce, de l’échange, de la coopération en divers domaines – indépendamment de ses jugements, convictions morales ou préférences personnelles – l’agression, la violence, le meurtre, le vol, constituant les limites que l’on ne peut tolérer. Principes fondamentaux qui distinguent, selon Friedrich Hayek, les libéraux des conservateurs ou des socialistes, partisans quant à eux du recours au pouvoir coercitif de l’État en divers domaines.

    Sans pour autant que l’on puisse assimiler les libéraux à des libertins – sortes de nihilistes moraux qui ne se soucieraient pas du mal -insiste-t-il à travers une argumentation implacable, même si certains peuvent bien sûr en être, comme d’autres peuvent être conservateurs, chrétiens fervents ou de gauche. La liberté doit être entendue comme un préalable. Qui n’empêche pas ensuite le recours à d’autres moyens (incitatifs, dissuasifs, ou fondés sur l’aide volontaire) que la coercition, pour tenter de changer certains comportements jugés nuisibles ou moralement critiquables.

    Niclas Berggren et Therese Nilsson montrent eux aussi, à travers un autre chapitre, comment la liberté économique constitue un moteur de la confiance et de la tolérance, dans le cadre d’un État de droit et d’une économie de marché où le libre-échange constitue un facteur de cohésion et de rapprochement entre personnes étrangères. Ils montrent ainsi que, loin d’affecter les valeurs culturelles, comme le prétendent certains, l’économie libre de marché tendrait au contraire à réduire sensiblement les a priori et croyances stéréotypées à l’égard des autres, favorisant les interactions et la confiance sociale mutuelle et améliorant, au final, le bien-être de tous.

    À l’inverse, ainsi que le montre Olivier Kessler , la société du risque zéro entraîne des risques cachés. Transférer de plus en plus la compétence décisionnelle de l’individu vers l’État, et donc vers les politiques, accroît le lobbying, le népotisme et les abus de pouvoir. Servir des intérêts spécifiques au lieu du bien commun aboutit à des formes de corruption qui conduisent à se demander alors qui peut encore nous protéger de l’État. Le risque étant par ailleurs de faire exploser l’ordre social, politique et économique et de ne plus savoir gérer les risques en cas de crise systémique inattendue. Les effets pervers multiples de l’interventionnisme finissent par déformer complètement la structure économique et mener lentement vers le déclin, sans oublier les comportements de type « aléa moral », atteignant en profondeur le principe de responsabilité et remplaçant le capitalisme traditionnel par un capitalisme de connivence suscitant un rejet croissant du capitalisme tout court.

    Le problème est que cela se diffuse ensuite aux médias. Qui à leur tour, et à mesure de leur financement public, entrent en collusion avec l’État, ne jouant plus tout à fait leur rôle critique pour tomber dans un « politiquement correct » ravageur. Conformisme, tribalisme , peur de la nouveauté, sont autant de comportements qui conduisent alors à la jalousie, au désir d’égalitarisme, à la recherche de sauvegarde de ses privilèges et à l’angoisse existentielle. Haro sur les réformateurs et appel à encore de nouvelles réglementations et interventions des pouvoirs publics et autres dogmes qui renforcent les comportements à l’origine des problèmes que l’on entend pallier. C’est sur ce terrain que prolifèrent les ralliements à la majorité, le développement de la cancel culture , la division et la discorde. La mécanique de la connaissance est alors cassée et pervertie, le rationalisme critique cher à Karl Popper anéanti.

    À suivre… (La seconde partie de cette recension portera sur les enjeux contemporains).

    — Nicolas JUTZET (sous la direction de), Faut-il tolérer l’intolérance ? Défis pour la liberté , Editions Institut Libéral, novembre 2022, 188 pages.

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      Pourquoi Twitter a-t-il été bloqué en Turquie après le séisme ?

      news.movim.eu / Numerama · Wednesday, 8 February, 2023 - 16:34

    Séisme tremblement de terre

    Plusieurs opérateurs en Turquie ont entravé l'accès à Twitter, alors que le pays a été secoué par deux puissants séismes cette semaine. [Lire la suite]

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      Maroc : la liberté d’expression malmenée

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 7 February, 2023 - 03:30 · 5 minutes

    Toute société démocratique se fonde sur un pilier fondamental et indispensable : la liberté d’expression . C’est le droit propre à chaque individu qui lui permet de rendre publics ses émotions, ses sentiments et ses opinions. La participation des citoyens à la vie politique garantit le fonctionnement démocratique de l’État.

    Cette participation peut prendre différentes formes mais elles relèvent toutes du droit à la liberté d’expression : critiquer le pouvoir en place, révéler des vérités, exprimer son refus des politiques instaurées, etc. La garantie de ce droit requiert des institutions répondant aux normes démocratiques, soit un ensemble de règles et de principes encadrant leur fonctionnement transparent, responsable, équitable et indépendant.

    Dans les régimes autoritaires le pouvoir doit être nécessairement centralisé autour d’une seule personne ou un petit nombre de personnes ayant le pouvoir de contrôle et de manipulation des institutions de l’État. Les règles démocratiques qui assureraient leur bon fonctionnement doivent être brisées par le recours à des restrictions de la liberté d’expression afin de limiter la capacité des individus à observer, réfléchir, critiquer et remettre en question le contrat établi.

    Même les démocraties avancées peuvent recourir à des restrictions de la liberté d’expression mais pas de façon fréquente et structurelle comme celle des pays où règne l’autoritarisme, où le pouvoir politique réprime et censure dès qu’il se sent en danger.

    Au Maroc, comme dans plusieurs pays arabes ou du tiers monde, les individus sont confrontés à des atteintes à leur liberté d’expression, des journalistes aux activistes et jusqu’au citoyen lambda.

    La répression n’est pas un intrus dans la vie politique du Maroc , elle en est un élément crucial qui fait partie de l’ADN marocain. Des professeurs à l’université ou à l’école ont cette relation autoritaire répressive avec les étudiants, des parents avec leurs enfants, des responsables des administrations publiques, et toute personne pouvant jouir d’un tout petit pouvoir supplémentaire sur une autre pourra appliquer son autoritarisme. Pas seulement le régime.

    Depuis 2017, la répression a explosé

    Le nombre de détenus politiques et d’expression est allé crescendo. Depuis la crise du covid la limitation du droit de réunion et de manifestation s’est accrue grâce notamment à la promulgation de l’état d’urgence sanitaire toujours d’actualité. Les arrestations arbitraires des activistes rifains du Hirak en 2017 et les peines de prison surréalistes par rapport aux présumés crimes, les procès se caractérisant par la non-équité des journalistes et des activistes des droits humains, et les détentions des blogueurs des réseaux sociaux à cause de leurs opinions.

    De nombreuses fondations et associations de défense des droits de l’Homme tant marocaines qu’étrangères ont critiqué ces atteintes à la liberté des citoyens et ont plusieurs fois demandé des procès équitables pour tous les détenus, la libération de certains d’entre eux et la fin de ces pratiques qui nuisent à l’image du pays et provoquent des dégâts multidimensionnels sur les individus de cette génération et la suivante. La résolution adoptée par le Parlement européen sur la dégradation de la situation de la liberté d’expression n’a rien apporté de nouveau mais a appuyé les affirmations et les dénonciations des activistes et des victimes qui n’ont pas de crédibilité pour l’opinion publique marocaine. Mais pour beaucoup, même la majorité du Parlement européen ayant voté pour l’adoption de la résolution manque de crédibilité et d’objectivité, et considèrent qu’il s’agit d’un complot contre le Maroc et sa politique étrangère avec les États-Unis, Israël et les pays d’Afrique.

    L’expansion des discours médiatiques influencés par le régime ont renforcé la polarisation sociale ainsi que l’extension des faux comptes de réseaux sociaux pour influencer l’opinion publique et diffuser les campagnes de diffamation contre les « ennemis du régime » et leur entourage.

    Cependant, il semble que le régime néglige les effets de la propagation de la désinformation et des discours de haine, lui qui réprime et justifie ses comportements et politiques autoritaires par la garantie de la stabilité et la paix et la lutte contre la discorde qui sème la zizanie et se retrouvera in fine comme la Syrie. Cet exemple de la Syrie diffusé largement par les discours politiques et médiatiques, continue d’être évoqué par un nombre non négligeable de Marocains comme une forte motivation de leur silence : « on accepte les atteintes à notre égard pour éviter la situation actuelle de la Syrie » ; « On peut vivre sans liberté mais pas sans pain » ; « ils l’ont arrêté parce qu’il ne se mêle pas de ses affaires » ; « vous voulez revenir à l’ère du siba (l’anarchie) ? Alors taisez-vous et foutez la paix au Makhzen » etc. Les manifestations et les révolutions ont été largement associées au chaos et aux guerres civiles déclenchées après les mouvements du Printemps des peuples en 2011, les gens ont cru en ces idées et les ont adoptées.

    Cette polarisation accrue a biaisé les visions et les opinions vis-à-vis des opposants aux politiques émanant du pouvoir et toute personne qui ose exprimer un avis contraire ou révéler des vérités en relation avec ce pouvoir. Accepter un certain statu quo consiste en fait à se rebeller contre les lois de la nature à caractère dynamique fondamentalement. L’univers s’inscrit dans une continuité de mutations et de changements infinis, le soleil, les planètes, les étoiles et les galaxies se déplacent constamment, les espèces naturelles et les races humaines depuis leur création sont en évolution constante et les régimes politiques à leur tour ne sont pas rigides, sont soumis aux transformations et n’échappent pas à la loi du dynamisme.

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      Nouvelle-Zélande : la liberté d’expression sous contrôle

      Auteur invité · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 14 January, 2023 - 03:50 · 6 minutes

    Par Jonathan Ayling.

    Le spectre du terrorisme est présent partout en Occident (et bien au-delà) mais en raison de notre passé récent en Nouvelle-Zélande, cette menace joue sur notre esprit de manière unique.

    Le 15 mars 2019, 51 fidèles musulmans ont été tués par un terroriste australien solitaire, inspiré en partie par les actions du Norvégien Anders Behring Breivik . Plus explicitement cependant, comme le note Foreign Policy , ce sont des idées françaises (notamment celles de Renaud Camus ) qui ont inspiré à Brenton Tarrant cette action extrême.

    Ce n’est pas le seul lien français avec ces événements tragiques à l’autre bout du monde. Deux mois exactement après l’attentat de Christchurch, la Première ministre néo-zélandaise, Jacinda Ardern, et le président français, Emmanuel Macron , se sont rencontrés à Paris pour fonder l’appel à l’action de Christchurch. Cette initiative a depuis rassemblé une communauté de plus de 120 gouvernements, fournisseurs de services en ligne et d’organisations de la société civile, qui travaillent à l’élimination des contenus terroristes et extrémistes violents en ligne.

    S’il est tout à fait conforme au rôle de l’État de protéger ses citoyens contre les attaques étrangères et nationales, nous payons souvent la sécurité en monnaie de liberté. Il est essentiel que la société civile joue le rôle de chien de garde contre les excès du gouvernement qui sapent les libertés civiles essentielles, notamment la liberté d’expression , qui est à la base de tant d’autres libertés fondamentales.

    En tant que directeur général de la Free Speech Union New Zealand, une organisation qui a des groupes frères dans toute l’anglophonie, je suis profondément investi dans l’idée que le droit à la liberté d’expression et de parole rend nos communautés plus sûres et non plus dangereuses. Pourtant, dans cette optique, je dois passer beaucoup de temps à expliquer que l’incitation directe à la violence et le matériel extrémiste violent en ligne qui promeut ou appelle directement au terrorisme ne sont pas protégés par la liberté d’expression et sont « inadmissibles ». La raison en est que la violence est l’antithèse du discours.

    Toutefois, le fait de noter que l’incitation directe à la violence n’est pas protégée par la liberté d’expression introduit un élément de subjectivité dans la distinction entre l’incitation directe et l’expression plus générale d’une opinion.

    Cette distinction et la difficulté de l’évaluer sont illustrées dans un document récent publié par l’agence de sécurité responsable de la lutte contre le terrorisme en Nouvelle-Zélande.

    En octobre 2022, le Service de renseignement de sécurité de Nouvelle-Zélande (NZSIS) a publié le document « Know the Signs : a guide to identify signs of violent extremism » . Ce guide décrit les principales caractéristiques pouvant indiquer l’intention d’un individu de commettre une attaque violente, comme le fait de se retirer de la communauté, de posséder des instructions sur la fabrication d’armes, de discuter de la volonté de mourir pour ses croyances, etc.

    De nombreuses personnes se sont inquiétées de ce guide, affirmant qu’il reléguait simplement tous ceux ayant des opinions différentes de celles du courant dominant, ou qui « développent une vision du monde hostile « nous contre eux » », comme des extrémistes et des terroristes potentiels. Cette question est particulièrement sensible en Nouvelle-Zélande, où un gouvernement particulièrement censuré continue de diviser la nation et de dénigrer ceux qui ont des opinions différentes des siennes. Selon certains, des initiatives telles que l’appel de Christchurch menacent de renforcer la censure de l’État et de punir tous ceux qui expriment des idées dissidentes ou provocantes – tout cela au nom de la lutte contre l’extrémisme et de la sécurité. Le fait que le Parlement soit actuellement saisi d’un projet de loi qui permettrait à l’État d’accuser quelqu’un de terroriste s’il possède du « matériel répréhensible », même si cela n’a rien à voir avec le terrorisme ou la promotion du terrorisme, montre pourquoi certains sont inquiets.

    Une distinction essentielle entre le guide du NZSIS et d’autres documents qui portent atteinte au droit d’autrui de s’exprimer librement est le fait qu’il ne concerne explicitement que la menace de violence. Le guide affirme que « le guide parle spécifiquement de l’extrémisme violent plutôt que des formes non violentes d’extrémisme ». Il s’agit d’une mise en garde importante.

    Mais qu’en est-il de ceux qui affirment que « les mots sont une violence » ? Chaque jour, nous voyons des universitaires renvoyés de leur poste pour cause de « pensée erronée », des activistes et des bureaucrates du gouvernement qui pathologisent le rôle de la parole dans la division de nos sociétés. Les mots doivent-ils être traités comme de la violence s’ils sont « nuisibles » ? En réalité, les mots sont le contraire de la violence et nous ne devons jamais cesser de l’affirmer.

    C’est ce que nous avons affirmé après une autre attaque terroriste perpétrée en Nouvelle-Zélande en 2021 par un extrémiste islamique. Nous avons écrit :

    « La violence au nom d’une idéologie est le contraire de la liberté d’expression. C’est la tentative ultime de réduire au silence ceux qui ne partagent pas votre vision du monde. Les différences d’opinions politiques et religieuses doivent être gérées par la raison et le dialogue. Jamais par la violence. Jamais par la peur.

    Ceux qui refusent de résoudre les différences idéologiques avec des mots sont ceux qui se tournent vers la violence. Ceux qui refusent de s’engager respectueusement dans un dialogue civil avec ceux avec qui ils ne sont pas d’accord sont ceux qui deviennent des extrémistes haineux en premier lieu.

    La liberté d’expression – le droit humain fondamental d’exprimer pacifiquement son opinion – est un principe intrinsèquement non violent. C’est pourquoi nous cherchons à la protéger ».

    Comme le notent Jonathan Haidt et Greg Lukianoff , cette affirmation rendra nos sociétés « plus anxieuses et plus disposées à justifier les dommages physiques ». Lukianoff poursuit en affirmant que « redéfinir l’expression d’une opinion comme une violence est une formule pour une réaction en chaîne de violence, de répression et de régression sans fin ».

    C’est Sigmund Freud qui a affirmé que « le premier être humain qui a lancé une insulte au lieu d’une pierre a été le fondateur de la civilisation ». Une culture de la liberté d’expression affirmant résolument le droit de chacun à exprimer ouvertement ses convictions est cruciale si nous voulons que nos pays soient à l’abri de ceux qui utilisent la violence et le terrorisme pour faire avancer leur cause, plutôt que la raison, le dialogue et le débat. Si la censure peut sembler être une solution simple pour éliminer les idées qui nous déplaisent le plus, il s’agit en réalité d’une solution à court terme dont le prix est élevé. Elle oblige les points de vue potentiellement dangereux à se réfugier dans la clandestinité, où ils s’enveniment et restent incontestés.

    À l’inverse, la liberté d’expression est le meilleur moyen de prévenir les idéologies extrêmes qui prônent la violence, car elle place ces points de vue au grand jour, où ils peuvent être contestés et, par le biais du débat et de la raison, révélés comme étant erronés. Nos gouvernements et nos services de sécurité doivent garder cela à l’esprit.

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      La liberté d’expression désormais malade d’algorithmie

      Yannick Chatelain · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 12 January, 2023 - 04:25 · 2 minutes

    Dans un article publié le 30 janvier 2020 : « On peut rire de tout… mais pas avec la loi Avia ! » titre clin d’œil à la phrase de l’inénarrable Pierre Desproges : « On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui ! », j’évoquais la problématique de la censure algorithmique augmentée prévisible et inhérente à cette la loi. Je m’interrogeais sur la suite et « plaisantais » sur une prévisible censure augmentée des réseaux sociaux en faisant référence à la phrase culte de Coluche : « je ne suis pas raciste mon chien est noir ! » qui moque naturellement le racisme et qui n’a aucune chance de faire rire un algorithme aux éclats.

    Néanmoins, au regard d’un curseur poussé vers le haut de la censure ou d’une personne travaillant pour une plateforme ne comprenant pas l’ironie ou détestant Coluche nous pouvons émettre l’hypothèse que sous la loi Avia visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet adoptée à l’Assemblée nationale le 22 janvier dernier, ce type de phrase n’aura plus lieu d’être publiée ! Pas moins de 12 organisations non gouvernementales avaient alors lancé un appel pour s’opposer à cette loi . Celle-ci partait d’une bonne intention, mais pour autant, l’enfer en est pavé. Mesurant la dangerosité d’une telle loi, du Conseil national du numérique à la Commission nationale consultative des droits de l’Homme , en passant par la Quadrature du Net , tous étaient alors unanimes quant à sa dangerosité pour la liberté d’expression.

    Ces organismes étaient-ils alors trop alarmistes ? Étais-je complotiste ? Est-ce que j’exagérais ? Comme l’époque est à voir du complotisme partout pour annihiler tout débat, que dire ?

    Depuis cette publication, deux années ont passé… Les faits sont là, avec leur lot de sanctions aberrantes. Il n’est pas besoin d’utiliser trop de mots, deux écrans suffiront. Je laisse le lecteur juge de mon post sous mon nom de plume « Tonvoisin » et les conséquences désastreuses pour l’une de mes abonnées critique de publications : un an d’avertissement. Pour rappel, les blocages ou avertissements Facebook sont clairement expliqués par la structure :

    Il arrive que nous bloquions certaines fonctionnalités sur Facebook lorsque :

    • nos systèmes de sécurité estiment que le contenu que vous avez publié ou partagé semble suspect ou abusif ;
    • certains de vos messages ou invitations ont été marqués comme indésirables ;
    • vous avez effectué une action qui va à l’encontre de nos Standards de la communauté.

    La durée d’un blocage dépend de la gravité de l’infraction commise et de vos antécédents sur Facebook.

    Cela soustend que pour cette simple réplique parfaitement anodine, une critique de publications dont une partie de l’activité est sur Facebook va possiblement perdre des possibilités d’interactions et va désormais relire plus de sept fois ses posts pour ne pas être prise à nouveau par la milice algorithmique de l’ombre qui lui occasionnerait d’autres sanctions. Je vous laisse juge de la liberté d’inexpression qui, sous couvert de lutter contre la cyberhaine confiée à des algorithmes hautement sensibles et totalement désincarnés, se met en place et gangrène les réseaux de façon totalement absurde : la liberté d’expression est désormais malade… d’algorithmie !

    Mon post

    La réplique sanctionnée

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      Charlie Hebdo : 8 ans après, la liberté d’expression en berne

      Alexandre Massaux · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 12 January, 2023 - 03:40 · 1 minute

    Il y a 8 ans a eu lieu l’attentat contre Charlie Hebdo . En réaction à celui-ci des manifestations de soutien à la liberté d’expression avaient été organisées. L’expression « Je suis Charlie » comme slogan de soutien au journal satirique est restée dans l’opinion publique.

    Huit années plus tard, un sondage IFOP interroge la population française : l’esprit Charlie est-il encore présent ? Dans l’absolu, il existe toujours mais la jeunesse et la gauche radicale l’ont de moins de moins.

    Un « esprit Charlie » majoritaire mais qui s’affaiblit

    En 2016, soit un an après l’attentat, 71 % des Français se sentaient Charlie. En 2017, ce pourcentage était de 61 %. En 2023, il n’est plus que 58 %. Au niveau politique, se sont les sympathisants du parti socialiste qui se sentent le plus Charlie (84 %), suivis des Verts (69 %) et des sympathisants de LREM (69 %). Inversement, ceux proche de la France Insoumise sont les moins attirés par l’esprit Charlie avec une courte majorité de 53 %. Les républicains et les sympathisants du Rassemblement national se situent dans la moyenne avec un soutien de 58 % et 57 %.

    Ironiquement ce sont les partisans d’ Éric Zemmour qui à droite se sentent le plus Charlie avec 68 %.

    Politiquement, on constate que le sujet divise. La droite nationaliste d’Éric Zemmour pourtant plus conservatrice que celle de la RN, se sent davantage Charlie que le RN plus progressiste. Et à gauche, la gauche mélenchoniste est moins Charlie que la gauche traditionnelle.

    Les indépendants sont Charlie, la jeunesse beaucoup moins

    Parmi les catégories socioprofessionnelles ce sont les commerçants et artisans qui se sentent le plus Charlie (75 %), les employés non ouvriers étant les moins Charlie (52 %).

    Mais c’est surtout l’opinion des jeunes de moins de 35 ans qui montre une particularité. Ils se sentent majoritairement pas Charlie (54 %).

    Si l’on part du principe que « Je suis Charlie » était un soutien à la liberté d’expression, certaines tendances sont problématiques. La jeunesse est moins attachée à celle-ci tout comme l’électorat de la gauche radicale. Le centre gauche, les Verts et les zemmouristes se sentent actuellement les plus concernés.