Par Pierre Robert.
En 1957, alors que sévissait l’inflation, Guy Mollet, président du Conseil, prétendait l’éradiquer en bloquant les prix. La droite qui s’opposait à cette politique de gribouille fut alors qualifiée de « droite la plus bête du monde » par un chef du gouvernement manifestement ignorant des réalités économiques les plus élémentaires : on ne fait pas baisser la température (la hausse des coûts) en cassant le thermomètre (l’indice des prix).
Un scénario du même type se rejoue aujourd’hui. La CGT , la FSU et d’autres organisations de gauche exigent que soient bloqués les licenciements. Le 4 février ils étaient quelques milliers à battre le pavé un peu partout en France aux cris de « aucun licenciement, augmentation de tous les salaires » ou encore « à bas le capitalisme ».
Là encore la bêtise et l’ignorance sont du côté de ceux qui pensent qu’en bloquant les variables-clés de notre économie, on améliore le bien-être général.
Les deux visages du marché du travail
Les économistes savent qu’en permanence le marché du travail non seulement détruit des emplois mais en crée simultanément. Chaque année environ 15 % d’entre eux disparaissent mais 15 % d’emplois nouveaux, un peu plus ou un peu moins selon la conjoncture, réapparaissent.
Ce processus est un élément-clef de la destruction créatrice , ce processus qui par l’innovation a permis aux pays développés d’emprunter le chemin de la prospérité et d’atteindre un niveau de vie incomparablement plus élevé que celui qui prévalait avant la Révolution industrielle.
Bloquer ce flux permanent en multipliant les obstacles au licenciement a un impact désastreux sur les gains de productivité et le pouvoir d’achat. À la limite on se retrouve dans la configuration de la défunte Union soviétique.
Les licenciements y étaient interdits mais le niveau de vie y était extrêmement médiocre. Fonctionnant dans un état permanent de pénurie, l’économie a fini par s’y effondrer.
Une gestion longtemps désastreuse du capital humain
« En réalité croissance et chômage sont déterminés conjointement par le processus de destruction et de créations d’emplois » . Dans Les ennemis de l’emploi (Flammarion, 2015), Pierre Cahuc et André Zylberberg ajoutent : « C’est la manière dont chaque pays gère ce processus qui conditionne ses performances en matière de chômage et de croissance ».
Or en France nous l’avons longtemps très mal géré.
Ce qui est ici en cause c’est le manque de pertinence de nos choix politiques passés : semaine de 35 heures , protection excessive des salariés en CDI, règles d’ indemnisation du chômage , rigidités de tous ordres.
À cet égard les politiques dites néo-libérales qui en ont pris le contrepied avec plus ou moins de conviction depuis la loi El Khomri ont été bénéfiques. Durant les quatre années qui ont précédé la crise sanitaire le nombre d’emplois n’a cessé de progresser et le chômage de diminuer en lien direct avec le desserrement des contraintes qui étouffaient leurs créations.
Subsiste toutefois un énorme point noir dû aux mauvaises performances de notre système de formation aussi bien initiale que continue. Il se dégrade et affaiblit de plus en plus notre économie comme le montre le score très médiocre obtenu par la France dans les enquêtes internationales menées par l’OCDE pour suivre les acquis des élèves de 15 ans (programme PISA) et évaluer les facultés cognitives des adultes (programmes PIAAC).
Ce qui est ici en cause c’est le degré insuffisant de compétence de la main-d’œuvre disponible, c’est l’inefficacité de notre lourde bureaucratie éducative pour y remédier. L’interdiction des licenciements ne pourrait en rien répondre à cette carence. Bien au contraire, procédant d’une ignorance profonde des mécanismes économiques, une telle mesure n’aurait que des effets désastreux
Les ressorts de la création d’emplois
Ce sont les entreprises qui créent des emplois , et non l’État. C’est en fonction de leur activité et donc des commandes de leurs clients qu’elles peuvent ou non le faire.
Interviennent aussi les anticipations de leurs dirigeants sur l’état futur des affaires, l’évolution des prix grâce auxquels elles se procurent ce dont elles ont besoin pour produire et le cours pris par le progrès technique. Des licenciements peuvent en résulter.
Mais si l’administration les empêche d’ajuster leurs effectifs, cela a toutes les chances de les mener à terme à la faillite ou de les inciter à ne pas grandir.
En outre cela ne règle en rien la question du chômage car simultanément on dissuade les entreprises d’augmenter leurs effectifs. C’est un moyen très sûr pour faire exploser le taux de chômage.
Les administrations publiques ne peuvent créer des emplois que sur la base des prélèvements qu’elles opèrent sur la valeur ajoutée par les entreprises privées. Là encore ce n’est pas en les accablant de charges qu’on les encourage à investir et à augmenter leurs effectifs.
Les effets pervers d’un excès de protection
En outre, l’analyse économique montre qu’une protection excessive des salariés a des effets pervers en créant une segmentation très forte du marché du travail. Dès lors que la réglementation protège trop les salariés en place, ceux qui ont un contrat à durée indéterminée ont des emplois stables et bien payés.
Mais simultanément se constitue un volant de plus en plus important de travailleurs précaires et mal rémunérés. La surprotection des uns se fait au prix d’une plus grande précarité pour les autres avec en France une coupure plus marquée qu’ailleurs entre les insiders titulaires de bons emplois et les outsiders en situation de vulnérabilité.
Les premiers y sont protégés par leur statut dans le cadre d’un système corporatiste. En revanche, enfermés dans un circuit où ils enchaînent des périodes d’emploi, de formation souvent inadaptée et de chômage, les précaires supportent tout le poids des ajustements.
Le fait qu’en France des millions de fonctionnaires bénéficient de l’ emploi à vie renforce cette coupure qui est une prodigieuse source d’inégalités. Défendre les services publics ne devrait pas consister à grossir des effectifs déjà pléthoriques.
Il serait bien plus pertinent de recentrer les administrations sur les missions essentielles de l’État au lieu d’entretenir une armée de mécontents occupant des postes nombreux mais déqualifiés et de peu d’utilité sociale.
Licenciements : faites ce que je dis, pas ce que je fais
Le Parti socialiste porte une lourde responsabilité dans la mauvaise gestion de la question de l’emploi qui a trop longtemps caractérisé notre pays. Le 4 février, soit le même jour que celui où la CGT et la FSU appelaient à manifester, il a présenté son projet pour l’emploi pour la présidentielle de 2022 prônant notamment la mise en place d’un dispositif « former plutôt que licencier » .
Cela n’a pas empêché cet organisme qui vit sur fond public et dispose selon un de ses responsables d’un confortable magot d’annoncer le 26 janvier un plan social prévoyant la suppression d’au moins un quart de ses effectifs salariés .
Comme le déclare sa trésorière :
Un parti politique, ce n’est pas une association de macramé ! Il faut que les métiers s’adaptent aux transformations, et par ailleurs, il y avait des doublons, on ne pouvait pas se le permettre.
Cela est a fortiori encore plus vrai pour des entreprises qui chaque jour doivent se battre pour affronter la concurrence, développer leurs activités ou tout simplement survivre lorsque les temps deviennent vraiment difficiles.