• Co chevron_right

      Bilan du Covid : l’Homme, un « virus pour la planète » ?

      Benoit Rittaud · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 23 May, 2020 - 03:35 · 6 minutes

    Homme

    Par Benoît Rittaud.

    Vous pensez bêtement que le principal virus dont il y aurait lieu de parler aujourd’hui est le SARS-CoV-2 et sa maladie associée qu’est le covid-19 ? Alors vous n’êtes sûrement pas digne de devenir anthropologue au Collège de France.

    Philippe Descola, lui, sait remettre les pendules à l’heure : « Nous sommes devenus des virus pour la planète » , explique-t-il dans Le Monde .

    L’une des facultés les plus étonnantes du discours écologiste contemporain est de savoir tout recycler à son profit sans la moindre retenue.

    C’est ainsi qu’à la lecture de cette interview on apprend que le mode de vie capitaliste serait bien plus responsable de la pandémie que les pratiques ancestrales qui ont pourtant conduit à l’émergence du virus et de sa transmission à l’Homme dans un marché traditionnel de Wuhan.

    L’on découvre aussi tout le bien qu’il faudrait penser d’un monde dans lequel on « ne sépare plus de manière radicale les humains et les non-humains » (sans que soit précisé le statut du pangolin).

    Ce n’est pas tant le contenu de l’interview qui pose problème, car celui-ci est tout aussi convenu que les autres sur le sujet. C’est plutôt que nul événement, si considérable soit-il, ne semble capable de faire opérer un retour au réel à certaines de nos élites intellectuelles.

    En l’occurrence, le panorama global est pourtant clair : le covid-19 a montré une fois de plus que la nature n’est pas notre amie — ce que savent depuis longtemps les agriculteurs et plus généralement tous ceux qui voient plus loin que la mythologie néo-Rousseauiste urbaine. Nous devons batailler ferme chaque jour en tant qu’espèce pour garantir notre survie et notre confort.

    L’épisode montre aussi que nos systèmes de santé et de production stratégique étaient insuffisamment préparés à faire face, et que si nous avons eu la grande chance de pouvoir compter sur un personnel hospitalier au dévouement héroïque, une fois de plus s’est révélée une grave fracture entre le terrain et les hautes sphères décisionnelles. Voilà le réel, dans toute sa banalité.

    Parmi les poncifs de l’interview qu’il serait trop long de démonter en entier il y a l’inévitable couplet contre la mondialisation et sa « règle du profit le plus rapide possible » , paraît-il en lien direct avec la rapidité inédite (du moins supposée telle) de la propagation du virus.

    Un argument à moitié faux et à moitié trompeur typique de ces discours qui font flèche de tout bois d’autant plus facilement qu’ils ne sont pas questionnés. La complaisance du journaliste va jusqu’à dire que son interviewé du jour serait à l’origine d’un « tournant anthropologique » , comme quoi l’esprit de cour n’est pas mort.

    D’abord, la rapidité de la diffusion de la maladie est en trompe-l’œil, car elle tient pour une bonne part à notre capacité, elle véritablement inédite dans l’Histoire, à identifier en quelques semaines un virus nouveau et à comptabiliser en temps réel le nombre de malades de par le monde.

    Il y a deux siècles, les symptômes banals du covid (fièvre, toux, fatigue…) aussi bien que sa prévalence limitée (au plus quelques pourcents) n’auraient peut-être pas même permis de l’identifier comme maladie nouvelle.

    Ses victimes auraient été noyées dans le bruit de la mortalité générale alors bien plus considérable, et il n’est pas évident que quiconque se serait seulement posé la question d’une éventuelle surmortalité des plus âgés — lesquels étaient de toute façon bien moins nombreux qu’aujourd’hui, et d’ailleurs même pas comptabilisés, le recensement de la population d’un pays étant alors hors de portée technique et économique.

    Si cette pandémie est considérée comme majeure, c’est de façon relative à notre situation présente, qui fait de nous une espèce si puissante que nous pouvons nous focaliser sur un mal qui, par le passé, aurait été à peine remarqué. Un membre du Collège de France devrait savoir éviter ce piège, qui n’est pas sans rappeler celui de la pollution : si tant de particules nous effraient, c’est avant tout parce que nous sommes capables de les détecter.

    Alors que s’ils étaient disponibles, les indices de pollution urbaine des époques passées feraient dresser les cheveux sur la tête de n’importe quel écologiste. Voilà un beau sujet pour un anthropologue que cette profonde relativité de la peur.

    L’argument de la rapidité est également trompeur en ce que même si, en effet, la mondialisation a permis au virus d’aller plus vite, c’est aussi cette même mondialisation qui nous a donné des armes bien plus considérables pour le combattre : séquençage de son génome en à peine quelques semaines, résultats des tests de médicaments en temps réel, échanges instantanés d’informations…

    De nos jours, lorsqu’un président de la République décide d’un confinement général, l’ensemble de la population est informé en quelques heures, alors qu’il aurait fallu des semaines par le passé. Tout cela grâce à quoi ? Tiens donc : grâce à nos smartphones et nos moyens de communication, ces mêmes outils si volontiers présentés comme symboles de notre « décadence ».

    Il y a, certes, des arguments que la crise du covid donne contre certains aspects de la mondialisation, notamment géostratégiques. Par exemple, nous devons nous demander sérieusement à qui nous sommes prêts à confier la fabrication de nos médicaments. Toutefois, sur ce sujet l’idéologie écologiste devrait faire profil bas, tant nos normes environnementales toujours plus exigeantes ont été l’un des grands moteurs des délocalisations industrielles qui ont frappé notre pays.

    On attendrait d’un anthropologue qu’il nous parle de l’évolution à prévoir de notre regard collectif sur la santé, ou bien des risques d’un hygiénisme potentiellement liberticide, ou encore de ce qu’implique la distanciation sociale dans les rapports interpersonnels. Car, oui, là-dessus l’anthropologie a beaucoup à nous apprendre. Sur les vieilles lunes de l’impôt écologique, beaucoup moins.

    L’utopie est étanche même aux tsunamis
    Le réel ne lui est qu’une donnée seconde.
    Comme à Nostradamus, tout l’avenir du monde
    Dans ses moindres détails lui a été transmis.

    Pour la secte du jour l’humain est l’ennemi.
    Les prêtres de Gaïa, la planète féconde,
    Font de l’Homme un coupable de chaque seconde.
    Sans le poids du concret tout envol est permis.

    Le paganisme ancien, après sa longue éclipse,
    Revient auréolé de son apocalypse.
    Ses dévots sont partout, tout de morgue vêtus.

    Les ramasseurs d’idées ont embrassé leur cause.
    Inquiétons-nous d’un temps qui maintenant propose
    Que la haine de soi soit appelée vertu.

    Sur le web

    • Co chevron_right

      Le problème du système de santé en France n’est pas le manque de moyens

      Philippe Alezard · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 31 March, 2020 - 03:15 · 10 minutes

    Par Philippe Alezard.

    Le 24 mars, l’Inde a annoncé le confinement de la totalité de sa population , soit 1,3 milliard d’habitants. Un peu plus de deux milliards d’habitants de la planète sont confinés. Tous les continents sont touchés. L’Europe est le principal foyer. L’Italie cumule les tristes records du nombre de cas et de morts, le taux de létalité y atteint 8,3 %.

    À l’exception du Royaume-Uni, bien que le gouvernement semble faire machine arrière , et des Pays-Bas, l’Europe a choisi la stratégie du confinement strict et généralisé. C’est le choix de la gestion de la propagation du virus afin de ralentir sa progression. En Asie du Sud-Est, le choix s’est porté sur la gestion du virus lui- même, au travers d’une gestion de dispositif épidémiologique avec un suivi et des actions individualisées et non généralisées.

    Au-delà de la pandémie, des approches différentes

    Cette crise du Covid-19 a mis en exergue les approches différentes entre les pays en matière de gestion et d’efficacité des dépenses de santé, de discipline collective ainsi que d’intégration de la technologie, de l’intelligence artificielle, du big data , dans toutes les strates de la démocratie.

    Dans les pays de l’OCDE, les dépenses de santé ont atteint 8,8 % du PIB en 2018. Les dernières projections font apparaître une croissance à 10,2 % du PIB à horizon 2030. L’espérance de vie est de 81 ans. La part des personnes âgées de plus de 80 ans va plus que doubler d’ici 2050.

    La moyenne des dépenses de santé est de 4000 dollars par habitant, ajusté des pouvoirs d’achat. Mais on note de fortes disparités entre les États-Unis par exemple, où elles dépassent les 10 000 dollars par habitant et le Mexique avec 1150 dollars par habitant.

    L’objectif de tout système de santé est d’améliorer la santé des individus et de la population tout en respectant un cadre budgétaire soutenable. Le cadre conceptuel pour l’évaluation de la performance de celui-ci est très complexe. Il fait intervenir le contexte démographique, économique et social des pays.

    La France dépense un peu plus de 11 % de son PIB dans son système de santé . C’est au même niveau que l’Allemagne, 0,5 % de plus que le Japon et 3 % de plus que la Corée du Sud. À l’exception des États-Unis, la France, l’Allemagne et la Suisse sont les pays qui ont les dépenses de santé les plus élevées des pays de l’OCDE.

    Selon les pays, les dépenses de santé sont constituées par des régimes obligatoires et/ou volontaires, les assurances maladies, qui donnent un droit automatique aux soins pour les individus. Pour les pays de l’OCDE, les trois-quarts des dépenses de santé sont couverts par des régimes publics. Dans ce domaine, seule la Corée du Sud, avec 60 %, se différencie de l’Allemagne, de la France et du Japon dont les dépenses sont prises en charge à 85 % ou plus par un dispositif public obligatoire.

    Les offres de soins ont évidemment une incidence sur les dépenses. L’éventail est large, hôpitaux, cabinets médicaux, pharmacies. Les activités hospitalières représentent la plus forte proportion des dépenses de santé pour l’ensemble des pays. Dans ce domaine également, on note de fortes disparités. La Grèce, par exemple, consacre 43 % de sa dépense dans les soins hospitaliers alors qu’ils représentent 28 % en Allemagne. La France y consacre la moyenne de l’OCDE, à savoir 38 %.

    Un autre poids lourd des dépenses de santé est le personnel du secteur médico-social. Ce secteur est un rouage essentiel au bon fonctionnement d’une société. Il représente plus de 10 % de l’emploi des pays de l’OCDE, en progression de plus de 42 % depuis 2000. En France ce secteur représente 14 % des emplois. Cette tendance devrait se poursuivre sous l’effet du vieillissement des populations. De nombreux pays mettent en place de nouvelles structures, de nouveaux métiers, aidés par les nouvelles technologies pour accompagner ce phénomène. Des basculements technologiques sont à attendre pour gagner en productivité.

    L’Allemagne compte 4,3 médecins pour 1000 habitants, la France 3,2, le Japon et la Corée 2,4. Pour le personnel infirmier, l’Allemagne en compte 13 pour 1000 habitants contre 12 au Japon, 10 en France et 7 en Corée.

    En matière de rémunération, la France se classe parmi les plus mauvais élèves, particulièrement pour le personnel infirmier. Un médecin salarié de la fonction publique hospitalière est rémunéré en moyenne 2,2 fois le salaire moyen français. C’est 40 % inférieur à son collègue allemand. Le personnel infirmier est à 0,9 fois le salaire moyen, 20 % de moins qu’un Allemand et 40% de moins qu’un infirmier espagnol.

    Le nombre de lits par habitant donne une bonne mesure des ressources disponibles pour fournir des services aux patients hospitalisés. On recense en moyenne 4,7 lits pour 1000 habitant dans les pays de l’OCDE. Le Japon en compte 13, dont 4,5 en réanimation ; la Corée 12, dont 4 de réanimation ; l’Allemagne 8 dont 2,9 de réanimation ; et la France 6 dont 1,2 est consacré à la réanimation.

    Les dépenses d’investissement dans le domaine de la santé, les dépenses dites « en capital », sont d’une importance vitale. Les besoins en nouveaux dispositifs de santé, en équipements de diagnostics, de thérapeutiques, en systèmes d’information et de communication, en intelligence artificielle auront une incidence déterminante sur la capacité de notre système de santé à satisfaire les besoins de la population . Le manque d’équipement, IRM, scanners, a des répercussions directes sur les capacités de dépistages précoces. On a vu combien le manque de respirateurs, de salles de réanimation a influencé la gestion de la crise du coronavirus.

    La France investit 0,6 % de son PIB dans ces nouvelles technologies pour l’hôpital alors que l’Allemagne et le Japon y consacrent près du double. Dans ces pays, ce sont 10 % des dépenses de santé qui sont investis pour le futur, contre 5 % en France.

    Résumons ces quelques points de benchmark par rapport à l’Allemagne, le Japon et la Corée.

    La France est le pays qui a la plus lourde dépense de santé, soit 11 % de son PIB. Elle compte deux fois moins d’infirmières qu’en Allemagne et 50 % de moins de médecins. De plus, les médecins et personnels soignants sont payés entre -20 % à -40 % de moins que leurs collègues allemands. Il y a deux à trois fois moins de lits par habitant en France qu’en Allemagne, au Japon ou Corée du Sud. Pour finir, la France investit deux fois moins que les autres pays dans les nouvelles technologies et intelligence artificielle pour l’hôpital.

    Il est donc évident que le problème de l’hôpital en France ne provient pas du manque de moyens .

    Un bouc émissaire tout trouvé

    Et une fois de plus les mêmes antiennes reviennent. Un bouc émissaire est désigné , le capitalisme, le libéralisme, ou néo, ultra-libéralisme, ainsi que son corollaire, la globalisation. Dans une tribune, signée dans L’Humanité du 27 mars, Philippe Martinez, Cécile Duflot et 16 autres responsables syndicaux, crient « Plus jamais ça ! Préparons le jour d’après » . Ils dénoncent la mainmise des forces économiques et le néolibéralisme qui ont réduit à peau de chagrin la capacité de nos États à répondre à des crises telles que celle-ci.

    Les pays du Sud-Est asiatique, Singapour, Japon, Corée du Sud, Taiwan, ont retenu les leçons malheureuses du SRAS en 2003 et du MERS en 2015. Des procédures ont été instaurées et respectées. Les stocks étaient suffisants : quatre masques FFP2 par foyer et par semaine étaient prévus à Singapour.

    Des centres nationaux pour maladies infectieuses avaient été mis en place en 2018 en Corée du Sud et 2019 à Singapour avec des unités spécialisés et des chambres d’isolement. Les kits de test par écouvillons ainsi que les salles de dépistages aux différents points de contrôles d’entrée des pays, aéroports, ports, frontières ont été développés dès mi-janvier.

    Surtout ces pays ont eu recours à un usage massif de la technologie pour le suivi des patients et des contaminés.

    L’usage massif de la technologie

    Le partenariat public-privé joue à fond le développement de plateformes. L’application Face Mask Map permet de localiser instantanément les pharmacies disposant de masques. Cette même application permet la gestion de la fabrication de masques en pilotant les stocks, leur distribution et leur réallocation.

    D’autres exemples se sont multipliés. La géolocalisation s’est généralisée, permettant de cibler le virus, d’éviter les mises en contact mais également les anticipations de moyens à allouer aux hôpitaux.

    L’investissement et la technologie sont présents à tous les échelons de la santé, l’épidémiologie, la médecine préventive, l’urgence, le diagnostic. L’ innovation privée et/ou associative est intégrée, connectée aux systèmes de santé public. La société civile, Civic Technology a un rôle prépondérant dans les systèmes de soin. Les scientifiques, les universitaires, les sociétés de hautes technologies, les big data et les data scientists sont parties prenantes du système de santé.

    Dans ces démocraties libérales, respectueuses des libertés individuelles, l’intérêt collectif peut prendre le pas momentanément sur l’intérêt individuel. Le doute envers les institutions n’existe quasiment pas. En France, la défiance envers celles-ci est à son paroxysme.

    La France souffre de la complexité de son fonctionnement . Il aura fallu attendre le plus haut degré d’urgence pour voir la création d’un conseil scientifique pour aider à la gestion de la crise.

    La mondialisation a bon dos

    Ce n’est pas à cause de la mondialisation que le pays n’avait aucun stock de masques ou de gel hydro-alcoolique. Ce n’est toujours pas la mondialisation, mais ce serait plutôt grâce à elle, que LVMH et Pernod-Ricard doivent se substituer à l’État pour fournir aux hôpitaux ce minimum d’équipements.

    C’est l’impréparation.

    Cette société qui a sanctuarisé le principe de précaution a institué un système hiérarchisé dans lequel toutes les facettes de l’individu sont gérées par des procédures, des règles, des normes, des dispositifs de régulation, à un point tel que tout est prévu. Une armée de fonctionnaires écrit des textes de plus en plus abscons alors qu’une autre armée tente de les faire appliquer.

    Tout est prévu sauf l’imprévisible. Et quand il se présente, tout se bloque. Tout le monde est surpris et personne n’est responsable. Le système est totalement imperméable au sens commun, à la responsabilité, à l’intelligence.

    La France est le système le plus « socialisé » des pays de l’OCDE. La dépense publique engouffre 57 % de la richesse créée . Les prélèvements obligatoires ont également le record de l’OCDE. La pression fiscale est à son comble. Et cependant, le système éducatif s’enfonce chaque année un peu plus dans les limbes des classements, les tribunaux sont tous submergés par les retards accumulés, la police n’a plus les moyens de travailler, l’hôpital est sous-équipé et les investissements ont disparu depuis des années. L’efficacité et l’efficience de ces dépenses posent question.

    Il n’y aura pas un avant et un après coronavirus comme il n’y a pas eu d’avant et d’après 2008. Pour la France, un jour, il y aura un avant et après prise de conscience que notre modèle social doit changer . L’efficacité, la responsabilité, le courage politique doivent être les points de triangulation qui devront guider cette évolution avant que n’éclate la bulle technocratique et administrative.

    Dans L’ordre social , Jacques Rueff écrivait déjà :

    « Toutes les turpitudes de notre régime, j’en ai toujours trouvé la source dans les interventions de l’État. Les systèmes malthusiens donnent à leurs auteurs toutes les apparences de l’action généreuse alors qu’ils organisent la misère et la ruine. »