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      Esclavage moderne au Qatar : les multinationales épargnées par la critique

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Monday, 2 January, 2023 - 17:32 · 11 minutes

    A l’occasion de la Coupe du monde de football, les nations occidentales ont, à juste titre, accusé le Qatar, pays hôte, de se livrer à une exploitation des travailleurs et de faire preuve d’autoritarisme. Le monde post-colonial a de son côté reproché à l’Occident son hypocrisie sur le sujet. Les multinationales, pourtant grandes gagnantes de la compétition, ont elles été épargnées par les critiques. Article de notre partenaire Jacobin , traduit par Alexandra Knez et édité par William Bouchardon.

    La récente Coupe du monde 2022 de la FIFA a suscité de nombreux articles à propos de la politique de soft power par le sport – décrit par certains comme du « sports washing » – pratiquée par le Qatar. Avant le tournoi, les commentateurs occidentaux ont critiqué l’autoritarisme politique et les conditions de travail draconiennes du pays hôte de la compétition. En réponse, les commentateurs des pays anciennement colonisés ont légitimement pointé du doigt l’hypocrisie de l’Occident. Après tout, les anciennes superpuissances coloniales ont bien jeté les bases de la débâcle qui a eu lieu au Qatar.

    Bien que chaque camp soulève des remarques pertinentes, la discussion qui en a résulté n’a guère été productive. Le discours politique autour du mondial 2022 a surtout montré que les récits de « choc des civilisations » continuent de dominer l’imaginaire politique mondial, malgré une réalité moderne toute autre dans laquelle le capital international – qu’il soit oriental ou occidental – règne en maître, et a le pouvoir de mettre les gouvernements au pas. Pendant que nous sommes occupés à nous pointer du doigt les uns les autres, les multinationales se frottent les mains.

    Le scandale de la Coupe du Monde

    Depuis qu’il a obtenu, en 2010, le feu vert pour l’organisation de la Coupe du monde du football dans des circonstances de corruption manifestes , le petit pays pétrolier du Qatar, qui ne possédait que peu ou pas d’infrastructures sportives au départ, a lancé un mégaprojet de 220 milliards de dollars pour accueillir l’événement télévisé le plus regardé au monde.

    Si l’économie qatarie fait depuis longtemps appel aux travailleurs migrants dans tous les secteurs, leur nombre a augmenté de plus de 40 % depuis que la candidature a été retenue. Aujourd’hui, seuls 11,6 % des 2,7 millions d’habitants du pays sont des ressortissants qataris. Il y a eu une augmentation massive de migrants précaires, principalement originaires d’Asie du Sud-Est, embauchés pour effectuer le travail manuel nécessaire à la construction des infrastructures pratiquement inexistantes en vue de 2022.

    Stade de Lusail au Qatar. © Visit Qatar

    Malgré les centaines de milliards investis, les conditions de travail de ces travailleurs manuels ont fait l’objet d’une exploitation flagrante . Les travailleurs migrants du Qatar ont dû faire face à des environnements de travail mettant leur vie en danger, à des conditions de vie précaires, à des paiements tardifs et dérisoires, à des passeports confisqués et à des menaces de violence, tout en effectuant un travail manuel rendu particulièrement pénible par la chaleur étouffante du soleil du Golfe. Selon The Guardian , 6 751 travailleurs migrants sont décédés depuis que le Qatar a obtenu l’organisation de la Coupe du monde.

    Les principaux médias occidentaux n’ont commencé à souligner ces injustices qu’au cours du mois précédant le tournoi, une fois les billets achetés, les hôtels entièrement réservés et toutes les infrastructures terminées.

    Alors que les ONG de défense des droits de l’homme et les journalistes avaient documenté l’exploitation rampante des travailleurs migrants au Qatar depuis environ une décennie avant la Coupe du monde 2022, les principaux médias occidentaux n’ont commencé à souligner ces injustices qu’au cours du mois précédant le tournoi – une fois les billets achetés, les hôtels entièrement réservés et toutes les infrastructures terminées. Le média occidental le plus virulent a été la BBC, qui a même refusé de diffuser la cérémonie d’ouverture , choisissant plutôt de diffuser une table ronde condamnant le bilan du Qatar en matière de droits de l’homme.

    Bien sûr, les critiques de la BBC à l’égard du Qatar sont tout à fait valables. Toutefois, elles ne reconnaissent pas le rôle de l’héritage colonial du Royaume-Uni dans l’établissement des conditions d’exploitation de la main-d’œuvre qui existaient au Qatar bien avant la Coupe du monde. La Grande-Bretagne est en effet intervenue d’une manière matérielle et codifiée qui continue de profiter à la fois à la monarchie qatarie et au marché mondial dominé par le capital international.

    Le kafala , un héritage britannique ?

    Au cœur de l’exploitation systémique des travailleurs d’Asie du Sud-Est au Qatar et au Moyen-Orient en général, se trouve le système de kafala (parrainage), qui dispense les employeurs parrainant des visas de travailleurs migrants de se conformer aux lois du travail protégeant les ressortissants qataris. Les travailleurs migrants n’ont pas le droit de chercher un nouvel emploi, de faire partie d’un syndicat, ni même de voyager.

    La version moderne du système de kafala a pour origine un fonctionnaire colonial relativement inconnu nommé Charles Belgrave. L’actuel Qatar, et plus généralement une grande partie du Golfe de la péninsule arabe, sont tombés sous domination coloniale britannique après la défaite de l’Empire ottoman lors de la Première Guerre mondiale. Belgrave, un vétéran anglais de la Grande Guerre, a été nommé en 1926 conseiller de la monarchie tribale de ce qui allait devenir l’actuel Bahreïn, dans le but d’aider à créer un État-nation moderne doté d’une bureaucratie gouvernementale fonctionnelle.

    L’intention des Britanniques en administrant le Moyen-Orient post-ottoman, composé de « protectorats » ou de « mandats » plutôt que de colonies, était de garantir les intérêts britanniques à long terme dans la région. Ainsi, si le colonisateur disposait d’un certain pouvoir, les élites locales ont également conservé une grande part de leur influence et de leur patrimoine, donnant naissance à une symbiose entre les intérêts des classes dirigeants locales et celles du Royaume-Uni . Prévoyant l’éventuelle non-viabilité de la domination coloniale directe au lendemain de la guerre, l’objectif était de créer des structures stables pour que des gouvernements d’État favorables à l’Occident et alignés sur un système économique de marché libre puissent prendre le relais.

    Avant la découverte du pétrole, Bahreïn et la région environnante abritaient des sociétés côtières et nomades gravitant autour de la pêche et de la culture des perles. L’avènement des frontières tracées par les colonisateurs a créé des obstacles à cette industrie régionale qui reposait sur la libre circulation du commerce et de la main-d’œuvre à travers la mer, désormais restreinte par de nouveaux concepts comme les passeports et les visas.

    Pour y remédier, Belgrave, en coopération avec les élites locales, a codifié la première version du système moderne de kafala , qui s’est rapidement étendu à d’autres gouvernements nouvellement formés dans la région. Cela a finalement permis à Bahreïn, au Qatar, à Oman et à d’autres États du Golfe de faciliter l’immigration et l’exploitation de travailleurs d’Asie du Sud-Est.

    En 1957, la forte impopulaire du kafala au Bahreïn conduit à des protestations qui finissent par faire démissionner Belgrave de son poste. Mais le système a persisté bien après le départ de ce dernier et la fin du pouvoir britannique dans le Golfe dans les années 1960 et 1970, témoignant de l’attachement des dirigeants locaux à cet équivalent moderne de l’esclavage. Si, à la suite des révélations des ONG et d’une enquête de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), le système du kafala a théoriquement été aboli en 2019 , très peu semble avoir changé en réalité. Selon un ancien haut-fonctionnaire international sur Blast , l’OIT aurait même été acheté par les qataris pour qu’une exception leur soit accordée et que la procédure judiciaire soit classée sans suite.

    Les multinationales, véritables vainqueurs du mondial

    Le kafala n’est qu’un des nombreux systèmes modernes d’exploitation du travail dans le soi-disant « tiers-monde » qui remontent à la domination coloniale occidentale. De manière générale, le mode de vie de consommation dont jouissent de nombreux Occidentaux est rendu possible par l’externalisation d’une exploitation économique extrême dans des pays post-coloniaux socialement répressifs et politiquement autoritaires.

    Ignorant les faits historiques, les reproches de l’Occident à l’égard du Qatar ont donc été, à juste titre, qualifiés d’ hypocrites par de nombreux acteurs du monde post-colonial . Un certain nombre de commentateurs se sont empressés de souligner les lacunes des gouvernements occidentaux dans leur propre lutte contre leurs mauvaises conditions de travail, sans parler du racisme, de la misogynie et de l’homophobie (autres griefs légitimes à l’encontre du gouvernement qatari) existant dans leurs propres pays.

    Ces critiques ont des arguments légitimes, tout comme le sont les critiques envers le Qatar lui-même. Mais ce débat n’a mené nulle part, l’Occident reprochant à l’Orient son retard et l’Orient reprochant à l’Occident son éternelle hypocrisie. Ce discours s’appuie sur un clivage Est/Ouest réducteur et ne parvient pas à saisir les intérêts communs des gouvernements occidentaux et orientaux et de leurs entreprises respectives dans le maintien de régimes d’exploitation et de répression sociale.

    L’administration Biden a donné son feu vert à une vente d’armes d’un milliard de dollars au Qatar pendant la mi-temps du match entre l’Iran et les États-Unis.

    Le Qatar, très proche de l’Iran, abrite la plus grande base militaire américaine du Moyen-Orient. Ce n’est donc pas une coïncidence si l’administration Biden a donné son feu vert à une vente d’armes d’un milliard de dollars au Qatar pendant la mi-temps du match entre l’Iran et les États-Unis. Un comportement habituel : les États-Unis ne se privent pas de fermer les yeux sur le despotisme de leurs alliés riches en pétrole dans le Golfe, tout en critiquant leurs ennemis autoritaires qui adoptent pourtant ce même comportement.

    Les gouvernements et les entreprises de l’Union européenne entretiennent également des relations profitables avec le Qatar. À ce sujet, quatre membres du Parlement européen ont été accusés le 11 décembre dernier d’avoir reçu des pots-de-vin de la part de responsables qataris qui cherchaient à influencer des décisions politiques. Pourtant, le fait que l’Occident profite du despotisme qatari – et de celui du Golfe en général – n’a pas été pris en compte dans les critiques adressées au Qatar ces dernières semaines. Cela n’a pas non plus été souligné par ceux qui se sont empressés d’esquiver ces critiques.

    Les critiques et les détracteurs ont très peu parlé des sponsors occidentaux , des marques de vêtements de sport , des diffuseurs sportifs et d’autres entités commerciales internationales qui ont engrangé des bénéfices massifs sur le dos des travailleurs qui ont peiné et sont morts en préparant ce tournoi. La seule organisation occidentale complice de la controverse Qatar 2022 faisant l’objet de critiques justifiées est la FIFA, une entité non corporative ou gouvernementale. À l’instar des gouvernements occidentaux, les entreprises occidentales ont été largement épargnées.

    Les critiques et les détracteurs ont très peu parlé des sponsors occidentaux, des marques de vêtements de sport, des diffuseurs sportifs et d’autres entités commerciales internationales qui ont engrangé des bénéfices massifs sur le dos des travailleurs.

    Ce récit de « choc des civilisations » qui alimente le discours autour du mondial 2022 détourne l’attention d’un autre plus grand problème qui touche à la fois le Moyen-Orient et les travailleurs migrants exploités dans le monde entier, à savoir le capitalisme néolibéral mondialisé. Le véritable gagnant de la Coupe du monde est le capital international, qu’il soit occidental ou qatari, et les véritables perdants sont les travailleurs migrants exploités et les citoyens politiquement réprimés du Qatar et du Moyen-Orient post-colonial.

    La focalisation respective de chaque partie sur des nations orientales vues comme barbares ou sur des nations occidentales hypocrites ne rend pas compte du caractère financiarisé et international du capitalisme du XXIe siècle et de la façon dont il a modifié le paysage politique mondial – unissant souvent l’Est et l’Ouest dans un projet commun visant à tirer un maximum de profit des populations pauvres exploitées de par le monde.

    Sur une note plus optimiste, la Coupe du monde 2022 a également vu l’expression d’une solidarité panarabe et post-coloniale qui va au-delà de ces frontières dessinées par la colonisation, une forme de conscience politique historiquement liées à des tendances anticapitalistes et de gauche dans les décennies passées. La présence continue du drapeau palestinien et le soutien massif dont a bénéficié l’équipe du Maroc de la part des Arabes et des Africains suggèrent le retour possible d’un discours politique post-colonial qui rompt avec ces récits improductifs de « choc des civilisations » souvent liés à l’existence des États-nations.

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      Royaume-Uni : le numéro de Liz Truss était vendu à moins de 8 € sur le web

      news.movim.eu / Numerama · Monday, 31 October, 2022 - 16:40

    Le smartphone de l'ancienne Première ministre britannique aurait été piraté pendant son mandat de secrétaire d'État aux affaires étrangères. Le quotidien Daily Mail révèle que son numéro de téléphone était disponible dans une liste vendue pour un prix ridicule sur internet. [Lire la suite]

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      Pourquoi l’Europe va s’appauvrir à vitesse grand V

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Tuesday, 25 October, 2022 - 16:44 · 8 minutes

    Dans un rare accès de lucidité, le commissaire européen Josep Borrell a récemment évoqué la fin à venir de la prospérité – certes très mal répartie – de l’Europe. Dans le monde multipolaire qui se dessine, le Vieux continent ne pourra plus compter sur l’énergie bon marché issue de la Russie et les marchandises peu chères importées de Chine. La dépendance croissante à l’égard de Washington, et tous les risques qu’elle comporte, ne semble pas davantage être prise en compte par les élites politiques, qui espèrent vainement un retour à la « fin de l’histoire ». Article d’Aaron Bastani pour notre partenaire Novara Media , traduit par Jean-Yves Cotté et édité par William Bouchardon.

    Le 10 octobre dernier, Josep Borrell, vice-président de la Commission européenne, a fait une des déclarations les plus importantes de 2022 . Tandis que le gouvernement britannique de Liz Truss essayait d’imiter la politique de Margaret Thatcher, et que les soutiens de l’opposition travaillistes rêvent d’un retour à 1997 (date d’une victoire écrasante de Tony Blair), il a fallu que ce soit un eurocrate qui assène quelques vérités dérangeantes.

    Le constat dressé par Borrell relève de l’évidence depuis une dizaine d’années, mais la classe politique ne s’en aperçoit qu’aujourd’hui : « Notre prospérité a reposé sur une énergie bon marché en provenance de la Russie », a-t-il déclaré, avant d’ajouter : « Les bas salaires des travailleurs chinois ont fait bien plus […] pour contenir l’inflation que toutes les banques centrales réunies. » Borrel a ensuite résumé en une seule phrase lapidaire le modèle économique européen des 30 dernières années : « Notre prospérité reposait sur la Chine et la Russie – l’énergie et le marché. »

    Venant d’un technocrate bruxellois, ce constat est pour le moins saisissant. Les énergies fossiles bon marché appartiennent au passé, tout comme les biens de consommations à bas prix . Ces trente dernières années, tout en devenant dépendante du gaz russe, l’Europe continentale a également bénéficié d’une faible inflation grâce à ses importations depuis la Chine, devenue l’atelier du monde. Pendant les trois décennies qui suivirent la chute du mur de Berlin, les Occidentaux aux faibles revenus pouvaient donc au moins se procurer toute une panoplie de gadgets et une énergie plutôt abordable. Désormais, cette époque est révolue.

    Pendant 30 ans, la faible croissance des salaires fut compensée par une abondance soudaine de biens bon marché, en particulier de produits électroniques, ainsi que par l’expansion du crédit.

    Au Royaume-Uni, cette période, qui s’étend des années 1990 à la pandémie de Covid-19, fut déterminante pour le phénomène politique que fut le blairisme – qui relevait davantage d’une chance historique que des compétences du New Labour ou de la Banque d’Angleterre. Ainsi, la faible croissance des salaires fut compensée par une abondance soudaine de biens bon marché, en particulier de produits électroniques, ainsi que par l’expansion du crédit. Dans la terminologie marxiste, ce système économique mondialisé et reposant de plus en plus sur la dette était la base économique qui permettait la superstructure de la « fin de l’histoire » (pour les marxistes, la superstructure désigne les institutions politiques et l’idéologie d’une époque, qui est déterminée par des rapports de production, appelés “la base”, ndlr). Si des thinks tanks ou des universitaires avaient déjà annoncé la fin de cette époque, le fait qu’un homme d’Etat à la tête de l’UE finisse par le reconnaître acte la mort définitive de cette ère.

    Les mauvaises nouvelles ne s’arrêtent pas là, car Borrell a ensuite souligné combien l’Europe continentale avait délégué sa défense aux États-Unis. La sécurité énergétique de l’Europe est un autre motif d’inquiétude, Borrell précisant également que le fait d’être moins dépendant des énergies fossiles russes ne devrait pas induire une plus grande subordination à Washington. « Que se passerait-il demain si les États-Unis, avec un nouveau président, décidaient d’être moins favorables aux Européens ? ». « On imagine aisément la situation dans laquelle notre dépendance excessive au GNL (gaz naturel liquéfié) importé des États-Unis poserait également un problème majeur. » Pour les atlantistes, c’est une question capitale : est-il souhaitable de remettre notre destin entre les mains d’un Donald Trump ou d’un Ron DeSantis (gouverneur républicain de Floride, fervent soutien de Donald Trump et potentiel candidat en 2024, ndlr) ? Veut-on qu’un individu comme Mike Pompeo décide si l’Europe peut ou non se chauffer ? Dépendre d’une puissance étrangère aussi profondément divisée n’est pas sans risques.

    Borrell a également insisté sur les défis politiques, à la fois internes et externes, auxquels l’Europe est confrontée. À l’intérieur, le danger vient de la progression continue de l’extrême droite, de Giorgia Meloni en Italie à Viktor Orban en Hongrie en passant par le parti Vox en Espagne. A rebours du discours bruxellois classique, il faut d’ailleurs souligner que Borrell n’a pas attribué ce phénomène à l’influence de puissances étrangères perfides, déclarant que la popularité de tels partis correspondent  « au choix du peuple » et non à « l’imposition d’un quelconque pouvoir ». Des propos qui visaient clairement le centre de l’échiquier politique, qui tend à être de plus en plus complotiste, voyant partout la main de Moscou. Si l’extrême-droite gagne du terrain, c’est bien parce que les crises sociales et économiques ne sont pas résolues, et non à cause des usines à trolls de Saint-Pétersbourg – quand bien même l’intelligentsia libérale voudrait qu’il en soit autrement.

    À l’extérieur, l’Europe est confrontée à la montée du nationalisme radical et de formes d’impérialisme dignes du xix e siècle, parfois jusqu’à l’annexion. Cela ne se limite pas à la Russie, qui après avoir annexé la Crimée en 2014 vient de s’emparer de territoires dans l’est de l’Ukraine, mais aussi de l’occupation turque dans le nord de la Syrie – un territoire que le ministre de l’Intérieur turc Süleyman Soylu a déclaré en 2019 comme « faisant partie de la patrie turque ». Ankara a également menacé d’envahir les îles grecques de la mer Égée . Le déclin de la superpuissance américaine signifie que nous entrons vraisemblablement dans une nouvelle phase, dans laquelle l’accaparement des terres vient s’ajouter à un monde multipolaire.

    Le déclin de la superpuissance américaine signifie que nous entrons vraisemblablement dans une nouvelle phase, dans laquelle l’accaparement des terres vient s’ajouter à un monde multipolaire.

    Tout cela est vu avec une profonde consternation dans les capitales européennes, Londres y compris. Alors que le modèle énergétique du continent se désagrège et face à la plus forte inflation depuis des décennies, le découplage avec la Chine semble acté, ce qui exacerbera la hausse des prix. Quand cela se produira, ce sera un tremblement de terre économique pour le consommateur européen, quand bien même des politiciens comme le conservateur britannique Iain Duncan se plaisent à durcir le ton . L’industrie automobile allemande est-elle désavantagée du fait de l’envolée des prix de l’énergie ? Assurément. Il en va de même pour d’autres pays, comme la France et l’Italie, qui ont déjà vu la ruine de leurs industries manufacturières au cours de ce siècle. Mais ajoutez à cela la disparition des biens de consommation bon marché – qui ont servi de palliatif à la stagnation des salaires pendant des décennies – et une vague massive de mécontentement est inévitable. En résumé, les Européens vont s’appauvrir très vite. Les hivers froids ne sont que le début.

    Ajoutons à cela les autres défis que doit relever l’Europe, comme le vieillissement de la population et la faiblesse de l’innovation. Non que l’Europe continentale soit menacée d’effondrement – bien entendu, elle demeure incroyablement riche – mais elle va relativement s’appauvrir. Le prestige de ses capitales va décliner, sauf en matière de tourisme, tandis que l’attrait mondial de sa culture et de son modèle social vont également s’éroder. Les plaques-tournantes mondiales des peuples, des idées et de l’énergie se situeront ailleurs – essentiellement en Amérique du Nord et en Asie. L’Europe deviendra la Venise des continents : belle mais désuète, un musée plus qu’un acteur de l’histoire.

    Pour le Royaume-Uni, désormais à l’écart de l’Union, cela est vrai à double titre. Le pays est un grand importateur net de produits alimentaires et d’énergies fossiles tout en ayant une classe politique qui – contrairement du moins à certaines du continent – refuse de s’atteler sérieusement à une politique industrielle. Pour l’heure, le réflexe des conservateurs britanniques est d’augmenter les réductions d’impôts, tandis que le New Labour ressasse que la mondialisation est une bonne chose . En définitive, ni l’un ni l’autre n’augmenteront le niveau de vie : les marchés punissent les zélateurs des premières, tandis que la mondialisation craque de toutes parts. La confrontation avec la Russie n’est que le début d’un effondrement plus vaste qu’aucun des partis n’a le courage d’admettre.

    L’inflation est là pour durer et, comme le reconnaît Borrell, il faut apporter des réponses sérieuses aux questions énergétiques, commerciales, de croissance et de sécurité. Dans chaque domaine, le bon sens de ces trente dernières années s’est évaporé. Y aura-t-il au Royaume-Uni un politicien d’envergure assez courageux pour le dire ? N’y comptons pas trop. Un État bipartite, avec un système hiérarchique de whips (parlementaires qui veillent à ce que les élus de leur parti soient présents et votent en fonction des consignes du parti, ndlr) qui écrase toute dissension, signifie que la liberté de pensée est une denrée rare à Westminster. Elle n’a pourtant jamais été aussi nécessaire.

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      En direct du Moyen Âge: les funérailles de la reine du capitalisme réel

      news.movim.eu / Mediapart · Monday, 19 September, 2022 - 16:37


    Les funérailles d’Élisabeth II, moment mondial commenté comme tel, ont enterré davantage qu’une simple reine d’Angleterre. Par-delà la pompe et les circonstances, le capitalisme semblait ouvrir des gouffres sous les pieds de ses parrains en grand deuil.
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      La nostalgie impériale britannique ne sera plus ce qu’elle était

      news.movim.eu / Mediapart · Saturday, 17 September, 2022 - 09:03


    Avec la mort de la reine Elizabeth II disparaît le voile d’oubli ou de cécité volontaire ayant recouvert l’esprit public britannique au sujet de son passé impérial et colonial. Les damnés de la mémoire redresseront l’échine et donneront de la voix.
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      Quelle photo va illustrer la reine Elizabeth II : l’important débat sur Wikipédia

      news.movim.eu / Numerama · Friday, 9 September, 2022 - 13:17

    Le décès de la reine Elizabeth II a évidemment été pris en compte sur les différentes versions de Wikipédia. L'évènement fait aussi naître un débat : quelle photo principale utiliser ? [Lire la suite]

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      Le décès de la reine Elizabeth II a entrainé un trafic colossal sur Wikipédia

      news.movim.eu / Numerama · Friday, 9 September, 2022 - 13:12

    reine Elizabeth II

    La disparition de la reine du Royaume-Uni le 8 septembre 2022 a engendré un trafic hors norme sur Wikipédia, comme à chaque évènement majeur. Le décès d'Elizabeth II a triplé le nombre de requêtes. [Lire la suite]

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      Boris Johnson prochain secrétaire général de l'Otan?

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Wednesday, 27 July, 2022 - 15:35 · 3 minutes

    Boris Johnson, le 20 juillet 2022 à Londres. Boris Johnson, le 20 juillet 2022 à Londres.

    ROYAUME-UNI - Après le 10 Downing Street, Boris Johnson bientôt en poste au siège de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord à Bruxelles? Le nom du Premier ministre britannique démissionnaire circule pour prendre le secrétariat général de l’ Otan , après le départ prévu du Norvégien Jens Stoltenberg en septembre, selon les informations du journal britannique The Daily Telegraph . Malgré un avis plutôt favorable des Américains et des Ukrainiens, cette possible candidature ne pourrait pas convaincre tous les alliés.

    Le dirigeant britannique, qui a démissionné le 7 juillet dernier après une série de scandales, est considéré par les membres de son parti comme le candidat adéquat pour prendre la tête de l’Alliance. Ils font valoir auprès du Telegraph la fermeté de Boris Johnson vis-à-vis de la Russie, qui a lancé une invasion de l’Ukraine fin février, et le soutien politique et logistique à Kiev.

    Un “grand ami de l’Ukraine”, selon Zelensky

    Selon le journal, les États-Unis plaideraient pour une candidature britannique plutôt que pour un candidat issu de l’Union européenne, si Jens Stoltenberg refuse de prolonger son mandat. De son côté, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a fait part mercredi soir de son espoir que Boris Johnson, un “grand ami de l’Ukraine”, ne disparaisse pas de la vie publique quand il aura quitté Downing Street.

    Boris Johnson s’est rendu à deux reprises en Ukraine pendant son mandat. Boris Johnson “a incontestablement fait de bonnes choses pour nous et notre soutien à l’Ukraine est fantastique”, a, quant à lui, indiqué l’ancien chef de l’armée britannique Lord Dannatt, qui émet toutefois de fortes réserves sur une éventuelle nomination de l’ex-chef du Parti conservateur. “J’ai peur que ce soit les affaires personnelles, le manque d’intégrité, le manque de confiance”, qui handicape Boris Johnson, a-t-il détaillé au Telegraph. “Franchement, nous ne voulons pas que Boris Johnson ait l’air encore plus ridicule sur la scène internationale, a-t-il ajouté. Il est une honte nationale.”

    La question du Brexit pourrait également être un frein à une nomination de Boris Johnson à la tête de l’Otan. En effet, le successeur de Jens Stoltenberg doit être élu à l’unanimité et au sein même du Parti conservateur on doute que Boris Johnson puisse obtenir les voix de dirigeants européens, tant les discussions âpres sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE ont laissé des traces.

    Truss et Sunak finalistes pour succéder à Johnson

    Le quotidien écossais The National explique de son côté que Boris Johnson n’en aurait pas fini avec la politique britannique. Alors qu’il quittera officiellement la tête du gouvernement début septembre quand son successeur sera choisi, Boris Johnson répéterait à Downing Street qu’il reprendra ses fonctions dans un an. D’autant plus qu’il garde des fidèles au sein du Parti conservateur. Ces derniers ont multiplié les efforts pour empêcher son départ.

    La cheffe de la diplomatie Liz Truss et l’ex-ministre des Finances Rishi Sunak sont les deux finalistes pour succéder à Boris Johnson. Ils seront départagés par les quelque 200.000 membres du Parti conservateur avant une annonce des résultats début septembre. La patronne du Foreign Office est, pour l’heure, la grande favorite.

    À voir également sur Le HuffPost: “Hasta la Vista, baby”: Boris Johnson se la joue “Terminator” pour son dernier show à la Chambre

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      En Ukraine, l'organisation de l'Eurovision au Royaume-Uni déçoit

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Tuesday, 26 July, 2022 - 10:29 · 2 minutes

    EUROVISION - C’est désormais officiel: malgré la grande victoire du groupe Kalush Ochestra à l’ Eurovision le 14 mai dernier, l’Ukraine n’accueillera pas la prochaine édition du concours . La guerre qui touche le pays a contraint l’ Ukraine à se mettre d’accord avec le Royaume-Uni , arrivé en deuxième position, pour lui céder l’organisation. De quoi décevoir le peuple ukrainien, qui voulait voir l’Eurovision se tenir dans le pays, comme vous pouvez le voir dans la vidéo en tête d’article.

    “J’aimerais que l’Eurovision se déroule dans notre Ukraine pacifique”, a déclaré à l’AFP Yulia Stepova, une femme au foyer de 36 ans. “Nous avons mérité la victoire à l’Eurovision et nous voulons une autre victoire”, a-t-elle ajouté. “Je pense que c’est inapproprié, car nous avons des gens forts, une nation forte”, a rapporté Daryna, une directrice de publicité de 23 ans.

    Pour certains, les Occidentaux avait leur part de travail à effectuer. “Je considère que nos partenaires occidentaux auraient dû assurer la sécurité de cet événement pacifique et sa tenue dans notre capitale”, a estimé Tatiana, 19 ans.

    Cette décision est néanmoins comprise pour Matviy, un étudiant de 20 ans. “Je pense qu’avant que la guerre ne se termine, ou du moins sa phase active, nous ne pouvons pas être sûrs à 100% que les missiles russes ne frapperont pas nos villes”, reconnaît-il. “Nous serons sous la menace d’une attaque de missiles même après la fin de la guerre. Dans cette situation, le transfert [du lieu du concours Eurovision] est la bonne solution”, poursuit-il.

    Kalush Orchestra reconnaissant envers le Royaume-Uni

    Ce scénario était pressenti depuis des semaines. Kalush Orchestra a dans un premier temps été opposé à l’idée d’une édition organisée en dehors de l’Ukraine. Le 20 juin dernier, le collectif était à Paris dans le cadre d’une tournée européenne. Le chanteur Oleh Psiuk avait exprimé son opposition à cette option .

    “Les pouvoirs publics [ukrainiens] l’ont dit, nous considérons que nous sommes capables d’organiser en 2023 ce concours”, avait-il expliqué à BFMTV. “Nous demandons aux autorités de l’Eurovision de revoir cette décision, car c’est important pour nous, c’est important aussi pour notre groupe”, avait-il continué.

    Après l’annonce de l’accord avec le gouvernement britannique, le chanteur, reconnaissable avec son bob rose, s’est exprimé auprès de l’agence de presse britannique PA. “Bien sûr, nous sommes très tristes que le concours Eurovision de la chanson ne se tienne pas en Ukraine l’année prochaine”, a-t-il confié. “Mais nous sommes reconnaissants au Royaume-Uni pour sa solidarité et pour avoir accepté d’organiser l’événement en soutien à notre pays. Nous espérons que l’Eurovision 2023 aura une saveur ukrainienne et qu’elle célébrera notre belle et unique culture”, a-t-il ajouté.

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