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      La réforme des retraites est-elle constitutionnelle ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 24 January, 2023 - 04:30 · 7 minutes

    Si le débat sur la « réforme » des retraites est d’abord politique, il peut aussi s’engager sur le terrain de la Constitution. D’ailleurs, on apprend par le Canard enchaîné que Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, émettrait des doutes sur la constitutionnalité de cette réforme, au regard du véhicule législatif utilisée et de la procédure adoptée. Il redoute notamment un vice de procédure voire un détournement de procédure. En contentieux constitutionnel, il y a vice de procédure quand la violation est substantielle (voir en ce sens la décision n°88-248 DC ). Le détournement de procédure n’a, quant à lui, jamais été sanctionné pour l’instant.

    Cette utilisation pose des questions relatives à la validité à la procédure (I) et à la recevabilité des amendements (II) portant sur la réforme des retraites.

    Validité de la procédure comme dépendante de la jurisprudence du Conseil constitutionnel

    Le gouvernement souhaite passer par un projet de Loi de financement de la sécurité sociale rectificatif (PLFSSR). Il faut donc savoir si la procédure de l’article 47-1 relative au PLFSS s’applique au PLFSSR.

    L’ article LO 111-3 du Code de la sécurité sociale qualifie les PLFSSR de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). On peut donc, en s’appuyant aussi sur l’ article LO 111-7 du même Code, estimer que le PLFSSR tombe sous le coup de l’ article 47-1 de la Constitution et de ses délais.

    Mais l’inverse peut aussi être soutenu si l’on s’en tient à une interprétation téléologique des dispositions de cet article. On peut en effet soutenir que ni l’article 47-1 ni l’article LO.111-7 ne font référence aux PLFSSR. On peut aussi soutenir que les délais de l’article 47-1 se comprennent au regard de la nature particulière des PLFSS mais ne s’appliquent pas au PLFSSR qui par principe, vient modifier les prévisions du PLFSS. Tout dépendra in fine de la manière dont le Conseil constitutionnel interprétera l’article 47-1.

    Il faut donc revenir plus en détail sur cet article.

    La procédure législative des PLFSS est prévue à l’article 47-1 de la Constitution. Cet article dispose dans son alinéa 2, que « si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours. Il est ensuite procédé dans les conditions prévues à l’article 45 ». L’article 45 disposant quant à lui le cas de la Commission mixte paritaire si le projet ou la proposition de la loi n’a pas pu être adoptée (art.45 al. 2). L’alinéa 3 de l’article 47-1 précise que, « si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance ».

    Cependant, c’est l’utilisation même de l’article 47-1 qui est en soi contestable.

    En effet, par cet article, le gouvernement n’aurait pas besoin d’obtenir l’adoption du texte par l’Assemblée car le texte sera automatiquement transmis au Sénat dans les délais précédemment détaillés. Or, Laurent Fabius semble peu enclin à l’accepter. On peut estimer, par analogie, que la décision n°86-209 portant sur les PLFR s’applique aux PLFSSR. Mais pour être conforme à la Constitution, l’objet d’un PLFSSR doit concerner les « mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale » ; ce qui peut interroger sur la réforme des retraites et la précipitation dans laquelle elle se fait. Ne produisant des effets sur l’équilibre des comptes qu’à partir de 2030 environ, on voit mal comment elle pourrait tomber sous la validité de la jurisprudence. Que la réforme soit faite en janvier, en mars ou en juillet, cela n’empêchera pas pendant ce temps que la vie nationale continue, même en l’absence de réforme. De même, d’un point de vue plus « politique », le Conseil constitutionnel pourrait estimer que ce genre de passage en force risque, à terme, de nuire au Parlement. Il pourrait, par des policy arguments , estimer qu’il est loisible que dans une démocratie, la chambre basse représentant la Nation, adopte le texte.

    En exigeant officieusement que le texte soit adopté par l’Assemblée avant transmission au Sénat, Laurent Fabius fait peser sur le gouvernement la responsabilité du choix d’une telle procédure et le contraint sans le dire vraiment à utiliser l’article 49 al.3. Or, se pose aussi la question de savoir si ce PLFSSR pourra faire l’objet d’un 49.3. Si l’on s’en tient à la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision n°2022-847 DC) et si l’on raisonne par analogie, il semble possible d’affirmer, comme le fait Jean-Philippe Desrosier, que son utilisation est possible pour le cas des PLFSSR. Encore une fois, tout dépendra de l’interprétation du Conseil constitutionnel.

    Qualification des amendements de « cavaliers législatifs » dépendante du Conseil constitutionnel

    Le gouvernement souhaite faire passer la réforme de la retraite au travers d’un amendement à ce PLFSSR.

    Se pose la question de la constitutionnalité d’une telle mesure. Si le droit d’amendement est souvent considéré comme étant assez large, il faut néanmoins que l’amendement « ne soit pas dépourvu de tout lien avec le projet de loi en discussion » (CC, n°85-198 DC, cons. 4). Il faut donc que l’amendement proposé soit en lien avec l’objet du PLFSS. Or, quel est l’objet d’un PLFSS ?

    Au regard de l’article 34 de la Constitution, « les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ».

    L’amendement doit donc concerner les « conditions générales de son équilibre financier ».

    Reste à savoir ce qui entre dans cette notion indéterminée. S’il est probable qu’une augmentation de la durée de cotisation ou que la fixation d’un minimum de retraite à 85 % du SMIC entre dans cette catégorie, il est peu probable que l’allongement de l’âge de départ à 64 ans y entre. Le lien n’est pas direct ni automatique. Tout sera – encore une fois – question d’interprétation par le Conseil constitutionnel.

    Ainsi, le Conseil constitutionnel sera probablement amené à trancher plusieurs questions de droit :

    • Le PLFSSR peut-il passer par l’article 47-1 et les délais de cet article lui sont-ils imposables ?
    • Le 49.3 peut-il être utilisé pour les PLFSSR ?
    • L’amendement portant la réforme des retraites au PLFSSR constitue-t-il un cavalier législatif ?

    Conclusion

    Ce rapide tour du problème permet d’illustrer deux choses.

    En premier lieu, on voit que les dispositions de la Constitution, les énoncés, ne contiennent au mieux que des règles (et non des normes juridiques) et au pire des principes. Les règles de procédures (comme l’article 47-1), n’étant pas des normes juridiques, bénéficient d’une grande marge d’interprétation. C’est en ce sens que les énoncés de la Constitution ne sont pas « impératifs ». Si ces dernières habilitent, permettent, abrogent ou commandent une certaine conduite , il n’en demeure pas moins que, revêtant le caractère de « règle », elles sont soumises à une indétermination dans leur contenu et dans leur application. Leur application sera déterminée par l’interprétation qu’en tireront les acteurs de la scène politique. Ce n’est que si les énoncés revêtent le caractère de normes juridiques, par le produit de l’interprétation du juge constitutionnel (ou à défaut par le Président) que les énoncés seront impératifs car déterminés dans leurs significations.

    En second lieu, la marge entre la règle et la norme représente deux choses. D’un côté, c’est dans cet espace que se situe la vie politique et parlementaire. De l’autre côté, c’est dans cet espace que vivent les interprétations du Conseil constitutionnel (D.Baranger).

    Enfin, cela montre que le Conseil constitutionnel est finalement au centre de la procédure législative et qu’il est un participant au processus concurrentiel d’élaboration des normes (D.Rousseau).

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      « Les institutions populaires sont issues de conflits violents » – Entretien avec Nicolas Da Silva

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Thursday, 19 January, 2023 - 18:18 · 40 minutes

    Alors que l’actualité sociale est marquée par la grève des médecins libéraux et par l’obstination d’Emmanuel Macron à faire passer sa réforme des retraites, nous nous sommes entretenus avec Nicolas Da Silva, auteur de La bataille de la Sécu . Une histoire du système de santé (La Fabrique, 2022). Maître de conférences en sciences économiques à l’université Sorbonne Paris Nord, spécialiste de la médecine libérale et du système de santé français, Nicolas Da Silva développe dans cet entretien l’opposition qu’il dresse entre l’État social et la Sociale, à savoir l’auto-organisation des travailleurs. Il insiste sur les moments historiques fondateurs de ces deux traditions de protection sociale, nées du conflit, et sur leurs évolutions récentes, marquées par des réformes politiques et financières qui prouvent que la bataille pour la Sécu n’est pas terminée…

    LVSL : Vous faites de la distinction entre l’État social et la Sociale le cœur de votre ouvrage. Comment les définissez-vous et sur quels fondements cette opposition repose-t-elle ?

    Nicolas Da Silva : Cette opposition entre les politiques sociales portées par l’État et les politiques sociales portées par les intéressés eux-mêmes – ce que je nomme la Sociale – est le résultat de mon propre parcours intellectuel. En effet, pour comprendre ce qui m’a amené à faire cette distinction, il faut revenir à mon point de départ en tant qu’économiste institutionnaliste. J’ai été formé, à l’université et en tant que citoyen, à cette idée que la Sécurité sociale était un bien commun à défendre, principalement contre le processus de marchandisation. Si elle était à défendre, c’est parce que malheureusement, depuis trente ou quarante ans, des politiciens conduisaient une mauvaise politique à la tête de l’État et dès lors, il suffirait de changer de politiciens pour changer de politique.

    C’est d’ailleurs dans cette perspective que je fais ma thèse d’économie, à travers laquelle je m’intéresse à des dispositifs particuliers de régulation de la médecine de ville. Je montre que ces dispositifs ne fonctionnent pas, ou très mal, et que pourtant, les gouvernements s’entêtent à les mettre en place. À ce moment-là, je pense que le rôle de l’économiste critique est d’avertir sur les risques de la marchandisation, de redonner de la légitimité à l’intervention de l’État et de montrer quels dispositifs peuvent permettre au système de santé de relever les défis contemporains. Ce n’est que progressivement que je commence à renouveler ma façon de penser mon objet de recherche. Je ne me demande plus « est-ce que ça marche ? » mais « quelles ont été les conditions pour imposer une institution qui marche – la Sécu – et pourquoi ce qui était possible autrefois ne l’est plus aujourd’hui ? ». L’enjeu pour moi devient la genèse des institutions et non leur efficacité.

    « Pourquoi ne serions-nous pas capables, aujourd’hui, d’étendre la Sécu, alors qu’elle a été créée et développée à des périodes bien plus critiques et de pauvreté extrême ? »

    De là vient ma curiosité historique. Bien que je ne sois pas historien de formation et que je n’utilise pas la méthode historique de façon aussi rigoureuse que mes collègues de cette discipline, je me pose la question de l’histoire parce que je me rends bien compte que dans le contexte actuel, nous sommes face à un grand paradoxe : pourquoi ne serions-nous pas capables, aujourd’hui, d’étendre la Sécu, alors qu’elle a été créée et développée à des périodes bien plus critiques et de pauvreté extrême ?

    Au fil de mes recherches et de mes lectures de l’historiographie, je me rends compte qu’il y a deux grandes façons de raconter cette histoire. La première, relativement traditionnelle, insiste sur l’idée d’une croissance du rôle de l’État dans la vie publique à partir de la Révolution française, qui va s’opposer au marché et essayer de réguler les conflits entre travail et capital. Je tiens d’emblée à signaler que cette vision est à mon avis tout à fait légitime, du point de vue académique et historique. Néanmoins, je n’adhère plus à cette vision car j’observe que c’est que ce n’est pas en conquérant l’État que les politiques sociales progressistes commencent à naître. C’est au contraire en contestant deux rapports sociaux de domination que sont le capital et l’État que naissent ces politiques sociales. Plutôt que d’opposer marché et État comme on le fait traditionnellement en sciences sociales, je pose l’hypothèse que ce sont des alliés irréductibles l’un à l’autre.

    Pourquoi opposer l’État social et la Sociale ? Car ce que j’observe, à différents moments de l’histoire, c’est que très tôt se pose la question de l’intervention de l’État dans le champ de la politique sociale et très tôt s’exprime un refus des élites politiques d’investir ce champ. Évidemment, de leur côté, les élites économiques, le capital en particulier, refusent aussi de mettre en place des politiques sociales, alors que les conditions de travail, dans le contexte de l’industrialisation, sont de plus en plus difficiles et de plus en plus dangereuses. Face à ce double refus, que font les travailleurs urbains et ruraux ? Ils ne se résignent pas, ils ne demandent gentiment la permission de créer des politiques sociales et des institutions de protection sociale, ils le font par eux-mêmes. C’est sans doute ce que j’ai trouvé le plus incroyable, notamment à travers la création des premières mutuelles ouvrières.

    LVSL : Justement, vous accordez à la mutualité une place d’autant plus importante dans votre ouvrage qu’elle est selon vous révélatrice de la lutte entre la Sociale et l’État social. Ce dernier va tout faire pour se réapproprier l’esprit mutualiste dans un but de maintien de l’ordre établi. Dans sa préface, Bernard Friot la qualifie même de « cheval de Troie particulièrement efficace du couple État social/capital ». Comment cette évolution des mutuelles, d’un outil de subversion à un outil d’intégration à l’ordre social, s’opère-t-elle ?

    N. D. S. : À la suite de la Révolution française, la mutualité est une institution qui démontre toute l’originalité et la détermination du mouvement ouvrier. Les travailleurs s’auto-organisent contre les entreprises capitalistes qui les exploitent et contre l’État qui leur interdit de se réunir, à la suite des lois d’Allarde et Le Chapelier de 1791 et d’une série de dispositions empêchant les classes populaires de s’organiser politiquement. Ces dernières sont même fortement réprimées lorsqu’elles dérogent à cette interdiction.

    Les sociétés de secours mutuel sont très ambivalentes parce qu’il y a cette dimension subversive de l’ordre établi, mais il n’y a pas que cela. Comme le montre par exemple l’historien Bernard Gibaud, il y a aussi une dimension davantage liée à la pratique du pouvoir des dominants. C’est-à-dire qu’on va utiliser des sociétés de secours mutuels pour calmer les revendications ouvrières. C’est le cas par exemple dans les mines, où les accidents du travail sont très importants et suscitent de nombreuses agitations ouvrières. Le préfet ou bien le patron peuvent décider de mettre en place une société de secours mutuel qui va prendre en charge les travailleurs blessés, avec pour objectif de calmer les revendications qui pourraient menacer l’ordre social. Suivant les pas de Bernard Gibaud ou de Michel Dreyfus, j’accorde également beaucoup d’importance au décret napoléonien de 1852 qui entame une réappropriation par l’État de la mutualité subversive. C’est progressivement que la mutualité va être donc vidée de sa subversion.

    Dès ses origines, la mutualité peut donc à la fois être subversive de l’ordre établi ou bien chercher à le reproduire. Ses évolutions ont été telles qu’aujourd’hui, l’esprit subversif de la mutualité a complètement disparu. La Fédération nationale de la Mutualité française qui représente la grande majorité des mutuelles en France, n’a plus aucun objectif politique. Elle avance deux arguments principaux pour justifier son existence et sa singularité par rapport aux sociétés d’assurance capitalistes : elle ne fait pas de profit et est gouvernée de façon démocratique. Ces deux éléments seraient au cœur de son identité, de son originalité. Or, quand on regarde dans le détail ce qui se passe aujourd’hui, pour plusieurs raisons liées principalement à la mise en concurrence des complémentaires santé, la Mutualité française est contrainte à se comporter comme des assureurs privés à but lucratif. Aujourd’hui, la mutualité sert simplement d’excuse pour ne pas remettre en cause les complémentaires santé.

    « Il y a une histoire glorieuse de la mutualité. Mais elle ne doit pas être instrumentalisée pour nous aveugler sur le présent. »

    Je répète que je ne pense pas pour autant qu’il faille rejeter en bloc toute la mutualité. Même après la création du régime général de la sécurité sociale en 1945-1946, donc après l’épisode vichyste où la mutualité, au niveau national, validait complètement le régime, il y avait encore des mutuelles ouvrières faisant des choses extraordinaires. Je pense notamment aux travaux de Benoît Carini-Belloni, qui montrent à quel point, par exemple, la Mutualité ouvrière des Bouches-du-Rhône a construit tout un réseau de centres de santé pour faire de la médecine autrement. Ces militants ont construit une alternative crédible à la médecine libérale et à ses défauts les plus insupportables. Il y a une histoire glorieuse de la mutualité. Mais elle ne doit pas être instrumentalisée pour nous aveugler sur le présent.

    Pour en revenir à l’opposition entre l’État social et la Sociale, en matière de santé, ce qui compte n’est pas simplement la quantité d’argent que l’on y met. Il faut aussi se demander qui détient et exerce le pouvoir de décision. La distinction que j’opère est essentiellement sur cet aspect-là. Avec la Sociale, nous sommes dans le champ de l’auto-gouvernement, dans le sens où ce sont les intéressés eux-mêmes, qui décident à des niveaux différents, quitte à se fédérer. Le régime général de la sécurité sociale se fonde dans cet esprit, puisque ce sont avant tout les intéressés eux-mêmes qui gèrent les caisses et qui détiennent ainsi un pouvoir de décision sur la politique de santé et d’accès aux droits. Pour ce qui est de l’État social, le centre de décision réside dans les mains du gouvernement et des institutions traditionnelles de l’État.

    « C’est parce que l’État se réapproprie le pouvoir sur la Sécurité sociale progressivement après 1945 qu’il peut plus facilement en organiser la réforme d’un point de vue économique. »

    Évidemment, tout l’enjeu de la distinction entre l’État social et la Sociale est que celui qui détient le pouvoir va pouvoir orienter la politique publique. C’est parce que l’État se réapproprie le pouvoir sur la Sécurité sociale progressivement après 1945 qu’il peut plus facilement en organiser la réforme d’un point de vue économique. L’instauration du régime général de la Sécurité sociale avait imposé à l’État une situation de double pouvoir, où il devait négocier avec les ouvriers. Grâce au contrôle et à la gestion par les intéressés eux-mêmes des caisses, l’État ne pouvait pas faire ce qu’il voulait.

    Ainsi, on comprend mieux pourquoi l’État a rapidement fait de la liquidation de ce double pouvoir l’une de ses priorités. Les premières réformes de la Sécurité sociale ne sont pas économiques, elles ne concernent pas son financement mais son organisation. Elles visent à se réapproprier le pouvoir, notamment à travers les ordonnances Jeanneney en 1967, qui suppriment les élections des administrateurs de caisses par les salariés et instaure le paritarisme, de telle sorte que les représentants des salariés, qui pesaient pour 75% des membres des caisses, ne sont plus que 50%, à égalité avec ceux du patronat. Ce dernier peut désormais imposer ses vues en s’alliant au syndicat le plus complaisant. De même, c’est le cas avec les ordonnances Juppé en 1995-1996, qui étatisent encore davantage la Sécurité sociale en soumettant son budget à un vote annuel du Parlement avec le Projet de Loi de Financement de la Sécurité sociale (PLFSS).

    LVSL : En parallèle de l’opposition entre la Sociale et l’État social, vous en proposez une autre entre public et étatique. Là encore, sur quoi cette opposition repose-t-elle et dans quelle mesure n’est-elle pas potentiellement un piège tendu par les libéraux ?

    N. D. S. : L’idée de distinguer le public de l’étatique est totalement liée à l’idée de distinguer la Sociale et l’État social. Le public, dans le livre, est défini d’une façon assez simple : c’est la protection sociale obligatoire. Celle-ci peut être soit contrôlée par l’État, auquel cas, c’est de l’étatique, soit par les intéressés eux-mêmes, auquel cas c’est la Sociale. Mais cette opposition concerne bien plus que la Sécurité sociale en tant que mode de financement des soins de santé. Elle concerne les producteurs eux-mêmes comme l’hôpital ou la médecine de ville. Historiquement, l’hôpital devient public parce que l’Église, qui s’en occupait durant plusieurs siècles, perd progressivement son pouvoir après la Révolution de 1789. L’hôpital est alors mis sous la tutelle des communes, disposant d’un fort pouvoir local – un pouvoir public mais qui n’est pas étatique.

    Progressivement, des lois, notamment en 1941, commencent à transférer le pouvoir sur l’hôpital des communes vers le gouvernement, le ministère puis les agences de santé qui en dépendent. On observe là aussi une situation de pouvoirs multiples dans l’hôpital public : le pouvoir de plus en plus faible des communes, face au pouvoir croissant de l’État et, entre les deux, celui des professionnels de santé, qui ont pu jouer par le passé un rôle beaucoup plus important qu’aujourd’hui dans l’organisation des hôpitaux. Le public ne se réduit donc pas à l’étatique. Au contraire, avec la Sociale, on peut désirer plus de public et, simultanément, moins d’étatique.

    LVSL : Pour autant, ne semble-t-il pas compliqué voire illusoire de concevoir un hôpital public sans aucune intervention de l’État, et plus largement un secteur public obligatoire, pour reprendre la Sécu, sans garantie de cette obligation par l’État et par la force de la loi ?

    N. D. S. : Je ne conteste pas du tout le fait historique qu’il y a un État en France, qu’il est fort et que, par l’usage ou la menace de l’usage de la violence, il permet de faire respecter la loi. En revanche, j’essaie de mettre en évidence que les lois écrites et votées par le gouvernement et le Parlement ont souvent pour origine le mouvement social – la Sociale. Évidemment, le cadre légal est validé par l’État, mais cela ne signifie pas que ce dernier en soit forcément à l’origine et qu’il le dirige.

    « Ce n’est pas l’État qui se charge de la mise en œuvre des ordonnances, mais bien les milliers de personnes issues de la CGT qui vont constituer ces fameuses caisses du régime général de la sécurité sociale, au niveau local, régional et national. Ce sont ces militants qui le font, et non l’État. »

    Les ordonnances d’octobre 1945, qui portent création de la Sécurité sociale, ne sont que de l’encre sur du papier. Elles font suite au contexte de la guerre totale, avec un mouvement de résistance à l’État collaborateur important. Des projets de réforme des assurances sociales de 1928-1930 circulent dans les ministères à la veille de la guerre et des discussions avancées se déroulent sous Vichy. Là aussi, ce n’est que de l’encre sur du papier. Les ordonnances doivent leur naissance non pas tant à une volonté étatique ou bureaucratique qu’à un contexte politique et social nouveau. De plus, ce n’est pas l’État qui se charge de la mise en œuvre des ordonnances, mais bien les milliers de personnes issues de la CGT qui vont constituer ces fameuses caisses du régime général de la Sécurité sociale, au niveau local, régional et national. Ce sont ces militants qui le font, et non l’État.

    Enfin, l’idée selon laquelle on ne fait rien sans l’État est selon moi une idée qui nous mutile du point de vue de la pensée et de l’action. Au contraire, il faut penser l’existence d’une pluralité de pouvoirs, y compris des pouvoirs qui peuvent s’exercer contre l’État. Le public, c’est-à-dire le fait qu’on puisse organiser des choses obligatoires comme la Sécurité sociale, comme l’existence d’un hôpital, n’implique pas nécessairement que le pouvoir de décision soit centralisé au niveau de l’appareil étatique. On le voit dans les hôpitaux ou dans les caisses de Sécurité sociale.

    LVSL : La conception de l’État qui apparaît dans votre livre le réduit tout de même régulièrement à un outil de domination. Or, l’État est le résultat d’un long processus de construction historique, qui évolue au fil des périodes et qui est aussi le lieu d’expression de rapports de force entre des valeurs et des intérêts divergents. Dès lors, ne concevez-vous pas la possibilité d’un État émancipateur, véritable garant de l’intérêt général et en même temps de transformations sociales qui seraient souhaitables ?

    N. D. S. : Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas d’un livre théorique, ce qui ne veut pas dire que je n’ai pas réfléchi aux questions théoriques en amont. Mon arrière-plan théorique s’oppose justement à la coutume qu’on a en sciences sociales de considérer que l’État est un champ de bataille. C’est une conception partagée par de nombreux courant progressistes, qui considèrent l’État comme le lieu de cristallisation de différents intérêts, dont la conquête est possible par le camp du travail. D’ailleurs, je trouve que les collègues qui mobilisent ce cadre théorique pour penser leurs objets de recherche font un travail très souvent remarquable. Je n’ai aucune intention d’entrer dans des querelles théoriques qui n’intéressent personne. Je propose un autre regard et le soumets au jugement.

    Je pose une hypothèse peu habituelle lorsqu’elle concerne l’État mais très traditionnelle lorsqu’elle concerne d’autres rapports sociaux. Elle consiste à dire que l’État est un rapport de domination, une modalité de l’exercice du pouvoir politique, mais qu’il y en a d’autres, potentiellement meilleures. Je ne formule pas une théorie de l’État. Je conserve simplement cette hypothèse en arrière-fond, et je la pose de la même façon qu’on pose souvent l’hypothèse selon laquelle le capital est un rapport d’exploitation qui est problématique et dont il faut se débarrasser sans développer pour autant toute une théorie du capital. Dans le livre, je m’intéresse en particulier à deux rapports sociaux de domination, l’un étant l’État, l’autre le capital, et je pose l’hypothèse que ce sont deux rapports sociaux de domination qu’il peut être utile de dépasser.

    « L’enjeu est de sans cesse dépasser le progrès d’hier, en pensant de nouvelles formes politiques encore plus avancées. »

    Quand le capital, lien de dépendance impersonnelle, a remplacé le servage, lien de dépendance personnelle, ce fut un progrès. Les théories socialistes, communistes ou encore anarchistes considèrent cette évolution comme un progrès, tout en imaginant d’autres rapports sociaux de production, encore plus émancipateurs. C’est sur cette base que se fondent toutes les critiques radicales du capitalisme, qui ne cherchent pas tant à le changer, à le réguler, qu’à en sortir. Je procède de la même façon pour l’État que pour le capital. Évidemment, l’État moderne est un progrès par rapport à l’absolutisme, puisqu’il instaure un pouvoir politique impersonnel qui n’est pas lié à la personne du Roi. L’État né de la Révolution française est un progrès par rapport à l’État absolutiste. L’enjeu est de sans cesse dépasser le progrès d’hier, en pensant de nouvelles formes politiques encore plus avancées.

    J’observe dans le champ de la protection sociale que les travailleurs auto-organisés peuvent produire des institutions publiques non-étatiques qui, sous beaucoup d’aspects, sont un progrès par rapport à l’État. J’ai bien sûr conscience qu’avoir ce type de discours, à une époque où se multiplient les prises de position libertarienne, peut sembler peu stratégique. Néanmoins, si je le tiens malgré tout, c’est parce que les politiques sociales progressistes, dans le champ de la santé notamment, n’ont jamais été le produit de la conquête de l’appareil d’État ou d’un État social bienveillant.

    « Heureusement que l’État social existe encore et que le capital n’a pas tout emporté. […] S’il est indéniable que l’État est une institution de la prédation, il a développé au cours du temps des logiques de protection. Paradoxalement, la protection est la meilleure technologie de prédation. »

    Dire que la Sociale est supérieure à l’État social n’implique pas de nier l’importance des politiques sociales portée par l’État. Heureusement que l’État social existe encore et que le capital n’a pas tout emporté. Je m’inscris dans l’approche théorique développée par Mehrdad Vahabi sur l’État prédateur. S’il est indéniable que l’État est une institution de la prédation, il a développé au cours du temps des logiques de protection. Paradoxalement, la protection est la meilleure technologie de prédation. Comme l’éleveur de bétail qui prend soin de son cheptel pour ensuite mieux l’exploiter, l’État développe des politiques sociales généreuses pour que son action prédatrice soit plus facilement acceptée. On ne peut pas séparer la main droite de la main gauche de l’État. Pendant le confinement de 2020, le gouvernement a largement étendu les droits sociaux mais c’était pour éviter toute remise en cause de son pouvoir. Il fallait protéger l’ordre social de la rébellion.

    LVSL : Dans votre ouvrage, vous insistez à juste titre sur le fait que l’histoire de la protection sociale, et en particulier celle du régime général de la sécurité sociale mis en place en 1945-1946, est une histoire de conflits. Qui cette histoire opposait-elle et sur quels éléments principaux ces conflits portaient-ils ?

    N. D. S. : Le livre entreprend de distinguer deux grands types de conflits : les conflits sociaux d’une part, au sens classique de la lutte des classes ; les conflits armés d’autre part. Loin de l’idée courante selon laquelle la Sécu et plus largement les institutions de la protection sociale sont le produit du consensus, j’insiste sur le fait que les grands moments de l’histoire de la protection sociale sont des moments très conflictuels. La création des mutuelles intervient à la suite de la Révolution. Le fameux décret de 1852 fait suite à la Révolution de 1848. En réalité, comme le montre le sociologue Numa Murard, en France, avant 1914, l’État social n’existe que dans les débats. Au niveau économique, la part des dépenses publiques accordée à la protection sociale est identique en 1914 à celle de la Révolution de 1789 (environ 10%).

    Il faut des moments de grande conflictualité pour observer des changements significatifs dans l’ordre de la protection sociale. En m’appuyant sur des travaux en sciences sociales, notamment de politistes et d’historiens, je montre que l’État social naît véritablement en France avec les guerres mondiales. Que ce soit dans le cadre de la préparation de ces guerres, dans la conduite de ces guerres ou encore du fait de leurs conséquences, la place de l’État dans l’économie change, de telle sorte que ce qui était autrefois impossible devient possible.

    « Après la guerre, la création d’une assurance publique obligatoire pour couvrir les risques santé et vieillesse ne fait plus débat. Le consensus ne vient pas de la qualité de l’argumentation des députés mais des conditions politiques et sociales créées par le conflit mondial. »

    Alors que l’idée d’une politique de santé étatique est en débat depuis la Révolution française, il faut attendre la fin de la Grande guerre pour que les paroles laissent place aux actes. Après la guerre, la création d’une assurance publique obligatoire pour couvrir les risques santé et vieillesse ne fait plus débat. Le consensus ne vient pas de la qualité de l’argumentation des députés mais des conditions politiques et sociales créées par le conflit mondial. S’il faut attendre 1928-1930 pour que les lois d’assurance sociales soient votées, ce n’est pas en raison d’une opposition de l’État mais à cause de l’opposition des médecins et des mutualistes supposés mettre en œuvre la loi. En résumé, les guerres changent la place de l’État dans l’économie et rendent légitime son intervention là où auparavant elle ne semblait ni légitime ni nécessaire.

    Pour ce qui est de la naissance du régime général de la sécurité sociale en 1945-1946, les historiens montrent qu’il n’y a aucune opposition au fait de donner plus d’argent pour les politiques sociales après la guerre. Le débat public actuel donne l’impression que les historiens sont d’accord pour dire que la Sécu est née d’un grand consensus national. En fait, quand on lit leurs travaux dans le détail, notamment Bruno Valat et son Histoire de la Sécurité sociale , on se rend compte que dès le début, il y a un grand désaccord sur la question du pouvoir : est-ce que cette organisation va être laissée aux mains des maîtres d’antan, qui géraient les institutions de protection sociale d’avant 1945 ? Est-ce qu’on donne plus de pouvoir à l’État ? Ou bien, est-ce qu’on va faire ce qu’on a finalement fait, à savoir donner le pouvoir aux intéressés directement ?

    L’enjeu du conflit social se situe donc à ce niveau-là en 1945. Tout le monde est d’accord pour réformer le système de sécurité sociale d’avant-guerre et pour lui attribuer plus d’argent, mais personne n’est d’accord pour savoir qui va diriger la nouvelle institution. La CGT, comme avant-guerre, veut diriger elle-même, en tant qu’organisation représentative des travailleurs. Son mot d’ordre est alors « un homme une voix ». En face, les anciens maîtres des institutions sociales veulent garder leur pouvoir, et maintenir des formes de paternalisme social. Qui veut d’un régime général aux mains des intéressés ? Le patronat ne veut pas du pouvoir des ouvriers, donc il s’oppose. La mutualité veut garder son pouvoir sur les assurances sociales, donc elle s’y oppose. Le clergé veut lui aussi conserver son pouvoir, notamment sur les caisses d’allocations familiales, donc il s’y oppose. Les assureurs privés perdent le bénéfice de la gestion des accidents du travail, donc ils s’y opposent. Même les médecins libéraux, qui tiennent à leurs libertés d’exercice et ne veulent pas être gouvernés par la CGT, s’y opposent.

    Du point de vue des organisations politiques, le MRP chrétien-démocrate cherche à sauver ce qu’il peut de la mutualité, tout comme la SFIO socialiste, notamment avec le vote de la loi Morice en 1947. Finalement, l’existence de la mutualité aujourd’hui est le produit d’une résistance opiniâtre au régime général. Cela montre donc bien les enjeux du conflit. Que ce soit Colette Bec, Bernard Friot ou Bruno Valat, tous disent que dès le début, il y a des victoires, des concessions ou des défaites. Le conflit est le maître mot.

    LVSL : Par rapport à la question du pouvoir, et en parallèle des mobilisations sociales, pensez-vous que le régime général de la Sécurité sociale aurait pu être réalisé de cette façon sans la présence d’un personnage comme Ambroise Croizat au ministère du Travail et de la Sécurité sociale, et plus largement sans la présence de dirigeants cégétistes et communistes dans les instances étatiques ? N’est-ce pas une réalisation à mettre au crédit de la stratégie de neutralisation et de subversion de l’appareil d’État employée à l’époque par les communistes ?

    N. D. S. : C’est une question piège. J’aurais envie d’y répondre en disant que c’était important, mais pas décisif. Je le dis sans minorer le rôle de Croizat et d’autres militants ou dirigeants du mouvement ouvrier qui étaient dans les instances décisionnaires officielles, ou même à l’Assemblée. Ce sont des gens incroyables. Quand on regarde à quel point ils se battent dès le début, alors qu’il n’y a aucune unanimité, aucune union nationale, pour défendre le régime général avant même qu’il n’existe, on ne peut être qu’admiratif de ces combats. Cependant, ce qu’ils font, ils peuvent le faire car un mouvement social déterminé à changer la société met le feu aux poudres.

    De toute façon, je suis incapable de dire que si cela aurait été différent avec ou sans la présence de communistes dans les instances étatiques. Je ne suis pas voyant. Ce que j’observe néanmoins est que leur enjeu à l’époque n’est pas d’abord la conquête du pouvoir d’État, parce qu’ils savent qu’ils ne peuvent l’obtenir. L’un des aspects historiques que j’ai appris en faisant ces recherches est qu’évidemment, le contexte d’après 1945 est plus favorable qu’en 1939, mais qu’il n’y a pas du tout de grande majorité ouvrière capable de conquérir l’appareil d’État. L’enjeu est donc de prendre ce qu’il y a à prendre.

    Toujours est-il que cette attitude est à replacer dans un cadre stratégique plus général du Parti communiste, de la CGT et d’une grande partie du mouvement social qui est moins souvent citée dans l’ouvrage mais qui reste attachée à des formes de mobilisations anciennes, à tendance anarchiste, dont l’enjeu principal n’est pas la conquête du pouvoir d’État pour le pouvoir État, mais de changer la société. Là encore, il me semble qu’il faut distinguer la conquête de l’appareil d’État de la conquête du pouvoir politique, qui ne se réduit pas à l’appareil d’État. Cela signifie tout simplement que le but du mouvement social n’est pas de « gérer » les institutions de la domination mais de les détruire.

    « La prise de pouvoir d’État peut être au mieux un moyen, mais en aucun cas un objectif en soi. L’enjeu n’est pas de diriger l’État et de discipliner les capitalistes, il est de construire des formes politiques et économiques alternatives. »

    Dans le livre, je ne discute pas de l’hétérogénéité du mouvement social notamment quant à son rapport à l’État. Faut-il le conquérir ou le dépasser ? Par l’usage des moyens légaux ou par la force ? Je regroupe cette hétérogénéité sous le concept d’auto-organisation. C’est bien entendu une simplification critiquable mais elle prend son sens lorsque l’on compare le mouvement social d’alors avec le nôtre. Dans le contexte actuel, les forces politiques qui se disent progressistes n’ont pour seul horizon que la prise du pouvoir de l’appareil d’État pour réguler le capitalisme. Cela tranche nettement avec les pratiques des organisations politiques et syndicales qui naissent à la fin du XIX e siècle dont le but est d’en finir avec le capitalisme et pour qui l’appareil d’État est au mieux un moyen pour y parvenir mais certainement pas une fin en soi. C’est ce sur quoi je souhaite insister avec cette opposition entre l’État et la Sociale : la prise de pouvoir d’État peut être au mieux un moyen, mais en aucun cas un objectif en soi. L’enjeu n’est pas de diriger l’État et de discipliner les capitalistes, il est de construire des formes politiques et économiques alternatives. C’est comme cela que sont nées les institutions que nous chérissons.

    LVSL : Dans ce cadre-là, ne faut-il pas voir davantage la Sociale et l’État social tels que vous les définissez comme les deux pôles d’un continuum de prise en charge de la protection sociale par le public ?

    N. D. S. : Je comprends que cela puisse sembler binaire. Évidemment, je présente cette opposition de façon idéale-typique, pour penser la réalité concrète et les tendances historiques. Croizat, qui pour moi représente la Sociale, est au gouvernement, il y a donc bien des passerelles, des aspérités. J’imagine que cette présence au gouvernement puisse être prise comme un argument à l’encontre de ma thèse centrale qui est de dire que l’État social et la Sociale ne sont pas la même chose, et que justement on peut conquérir l’État. Mais, comme je l’ai déjà dit, la présence au gouvernement ne parait pas l’élément le plus important permettant d’expliquer l’avènement du régime général. D’ailleurs, des personnages politiques bien intentionnés, communistes ou non, il y en a eu beaucoup dans les gouvernements. Cela n’a jamais été suffisant ou nécessaire pour insuffler le progrès social.

    Pour prendre un autre exemple, les élites du Welfare , qui travaillent actuellement dans les institutions de la protection sociale à des niveaux hiérarchiques élevés, doivent appliquer la politique anti-sociale désastreuse du gouvernement, alors qu’elles sont souvent contre ces dynamiques à l’œuvre. Un jour ou l’autre, elles pourraient sans doute faire leur métier différemment, si toutefois le contexte politique venait à changer. À l’instar de Pierre Laroque, impliqué dans la mise en œuvre des assurances sociales avant-guerre, membre du cabinet du ministre du Travail du premier gouvernement de Vichy avant d’en être révoqué pour ses origines juives, et qui joue un rôle important à la Libération en tant que premier directeur de la Sécurité sociale.

    On trouve des personnes formidables dans l’État à toutes les époques et elles réalisent toujours un travail utile lors des périodes de progrès. Mais ce n’est pas leur présence dans l’État qui explique le changement institutionnel. C’est beaucoup plus la contestation de l’État par la Sociale qui leur permet de jouer un nouveau rôle.

    LVSL : Votre ouvrage s’intéresse enfin aux évolutions récentes des politiques publiques de santé. Vous analysez notamment le nouveau management public comme un produit à part entière de l’État social, et non pas tant comme un outil du néolibéralisme, notamment à travers le recours à une forme de capitalisme sanitaire…

    N. D. S. : Je n’utilise pas le mot néolibéralisme dans mon ouvrage, de telle sorte qu’il n’y apparaît que lorsque je mobilise certaines références bibliographiques. Si je ne l’utilise pas, c’est parce qu’il y a une tendance à résumer beaucoup d’analyses académiques au « tournant des années 1980 », alors que ce que montrent les spécialistes du sujet c’est qu’il y a une archéologie du néolibéralisme qui commence en fait bien avant ces fameuses années 1980. Ce qui me gêne le plus dans le concept de néolibéralisme n’est pas les analyses des auteurs qui le mobilisent mais certains usages militants. Tout se passe comme si le monde d’avant le néolibéralisme était un monde désirable, fait de consensus et de prospérité, un monde tragiquement évanoui du fait des crises pétrolières des années 1970. Tout cela est bien entendu une fable : l’après-guerre est une période très conflictuelle et l’exploitation d’alors n’a rien à envier à la situation actuelle.

    « Il faut en finir avec l’idée d’une période des « Trente Glorieuses » et d’un régime fordiste qui aurait été une ère de concorde sociale relative ayant permis le développement d’institutions auxquelles nous sommes tous très attachés. »

    Si je n’utilise pas ce concept, ce n’est pas parce que je le trouverais mauvais, mais parce qu’en fait, je n’en ai pas besoin. Je souhaite avant tout montrer que l’opposition aux politiques sociales portées par le régime général est inscrite dès la naissance-même du régime général. Il n’y a pas de grand tournant idéologique à partir des années 1970 ou 1980, par lequel on se serait rendu compte que la Sécurité sociale coûte trop cher. Tout cela n’existe pas et comporte un aspect mythologique, puisque dès le début, de nombreuses forces politiques, idéologiques et sociales s’y sont fortement opposées. Il faut en finir avec l’idée d’une période des « Trente Glorieuses » et d’un régime fordiste qui aurait été une ère de concorde sociale relative ayant permis le développement d’institutions auxquelles nous sommes tous très attachés.

    Je ne pense pas qu’il soit pertinent d’être nostalgique de cette période. Ce qui pose problème à ce moment-là comme aujourd’hui n’est pas tant le type de capitalisme (fordiste ou néolibéral) mais le capitalisme. Cela n’enlève rien à l’importance des travaux sur les différentes formes du capitalisme. Je les trouve essentiels. Il s’agit simplement de changer la focale et de parler du capitalisme plutôt que des variétés du capitalisme. À quoi servirait une lutte victorieuse contre le néolibéralisme si elle conduisait à une autre forme de capitalisme ?

    Que se passe-t-il après 1945 ? À partir du moment où l’État se réapproprie le régime général de la sécurité sociale, alors il a les mains libres pour faire ce qu’il veut. Le pouvoir politique sur le système de santé permet de changer son économie. On observe que dès 1945-1946, il n’y a pas de la part de l’État une volonté claire de privilégier la production publique de soins par rapport à la production capitaliste. Un bon exemple de cette ambiguïté est le cas des cliniques. À partir de 1945, il est beaucoup plus facile par la législation de construire des cliniques privées à but lucratif que de construire des hôpitaux.

    Aujourd’hui, si la sphère du capitalisme sanitaire se développe aussi rapidement et efficacement, c’est parce que l’État a réussi à se réapproprier politiquement la Sécu et que se réappropriant complètement la Sécu, il a les mains libres et peut faire ce qu’il veut (sans parler des multiples conflits d’intérêts régulièrement révélés). L’État social est aux manettes, c’est lui qui décide de la politique, et la politique qu’il mène aujourd’hui repose sur l’acceptation qu’il faut une sphère publique importante. La sphère publique, même si elle est en train de reculer sur divers aspects, existe encore, car du point de vue statistique, l’État social existe encore. En revanche, il a complètement changé de principe d’organisation.

    « Au fond, l’État social cherche à favoriser ses alliés politiques. Au XIX e siècle, cela pouvait être le clergé, les médecins ou encore les mutuelles. Aujourd’hui, c’est davantage le capital. »

    Par rapport à la santé, ce discours se traduit par l’idée qu’il faut une politique de santé publique généreuse, mais pour les plus pauvres seulement, ou les plus malades, ou là où ça n’est pas rentable. Et on va développer le capital ailleurs, avec des complémentaires santé et des cliniques privés, ou avec des dépassements d’honoraires. Au fond, l’État social cherche à favoriser ses alliés politiques. Au XIX e siècle, cela pouvait être le clergé, les médecins ou encore les mutuelles. Aujourd’hui, c’est davantage le capital. Et c’est vrai dans plusieurs secteurs, autres que la santé.

    LVSL : Vous écrivez également que la crise actuelle du système de santé n’est pas tant une crise financière qu’une crise politique. En quoi cette crise politique consiste-t-elle et quelles seraient vos préconisations pour y remédier ?

    N. D. S. : Il est évident qu’une production publique de santé satisfaisante demande beaucoup de moyens financiers, et que ceux-ci peuvent venir à manquer. Néanmoins, pour toutes les raisons évoquées dans le livre, le premier problème n’est pas financier mais politique. La politique sanitaire de l’État social produit des gabegies terrifiantes de telle sorte que l’on pourrait économiser des sommes conséquentes. Il serait contre-productif de dire qu’il n’y a aucune économie à faire. Il faut regarder qui produit quoi, dans quelles conditions. C’est en ce sens-là que je dis que la crise est politique.

    Par exemple, les complémentaires santé sont un véritable gouffre financier. Un rapport rendu en 2022 par le Haut Comité sur l’Avenir de l’Assurance Maladie estime les économies réalisées si la Sécurité sociale prenait en charge le ticket modérateur à la place des complémentaires. Pour rappel, le ticket modérateur est la part du prix administré qui n’est pas remboursée par la Sécurité sociale. Sur les 25 euros de votre consultation, la Sécurité sociale vous rembourse 70%, et les 30% restants qui constituent le ticket modérateur sont en général pris en charge par les complémentaires (sans compter un euro qui reste à votre charge). Selon ce rapport, les économies annuelles seraient de l’ordre de 5 milliards d’euros par an. Pour donner un ordre de grandeur, le Ségur de la santé sur son volet investissement pour l’hôpital proposait 13 milliards sur dix ans. Une telle mesure permettrait donc de faire un Ségur de la santé tous les deux ans et demi.

    « Les complémentaires santé ne reposent sur aucune rationalité économique. »

    Comment l’expliquer ? Tout simplement parce que les complémentaires santé sont beaucoup moins efficaces que la Sécurité sociale. Ce sont des ordres de grandeur qu’il faut avoir en tête car ils permettent de démontrer que le problème n’est pas d’abord financier. Tout le monde sait que cela coûte un « pognon de dingue », pour reprendre une expression devenue populaire. Des hauts-fonctionnaires, qui ne sont pas du tout connus pour être des radicaux, signent régulièrement des tribunes pour dire que cette politique sanitaire n’est pas rationnelle. Je pense notamment à une tribune citée dans l’ouvrage, dans laquelle Martin Hirsch et Didier Tabuteau prennent position publiquement pour dire que les complémentaires santé ne reposent sur aucune rationalité économique.

    Mais dans le champ politique, les complémentaires santé sont aussi des soutiens. Les liens entre les élites politiques et les assurances privées à but lucratif, les mutuelles et les instituts de prévoyance sont nombreux. Il est donc délicat politiquement d’ôter à tous ces soutiens leur part du gâteau. Le secteur des complémentaires santé est une économie de rente à l’abri de la concurrence et de la critique démocratique… le tout au détriment du plus grand nombre.

    Cette économie de rente, ou ce capitalisme politique comme je l’appelle dans le livre, se donne aussi à voir avec l’industrie pharmaceutique et la financiarisation de la Sécurité sociale. Nous pourrions faire des économies très importantes, mais on le refuse pour des raisons politiques. Bien entendu, il faut des investissements massifs dans l’hôpital public, dans les centres de santé, dans les maternités, etc. Mais le premier problème n’est pas l’argent, c’est le pouvoir de décision. Parce que si l’on a plus d’argent, mais que cela sert à enrichir l’industrie pharmaceutique sur le dos des patients et de la Sécu, cela ne sert à rien.

    LVSL : Pour gagner cette bataille de la Sécu, pour regagner ce pouvoir de décision que vous venez d’évoquer, quel rôle jouent les imaginaires liés à la Sociale, les représentations que l’on se fait de cette histoire populaire ? Que ce soit dans des productions culturelles, par l’éducation populaire ou encore dans les médias, quelle est, selon vous, l’importance de mener cette bataille dans le champ culturel et quelles pistes souhaiteriez-vous peut-être partager, pour atteindre ce but ?

    N. D. S. : Indépendamment des conflits d’interprétation qu’on peut avoir, sur l’utilité de conquérir le pouvoir d’État ou non, le gros enjeu est de mettre en évidence le fait que ce n’est pas en attendant la bienveillance des classes dominantes que les classes dominées ont réussi à imposer des politiques sociales progressistes. Le conflit est un moteur du changement institutionnel bien plus puissant que le débat parlementaire ou l’expertise.

    Ce n’est pas en quémandant, en suscitant la pitié ou la bienveillance d’autrui, que la situation matérielle des classes dominées s’est améliorée. Les institutions sociales les plus populaires proviennent d’un conflit extrêmement violent. Le conflit est un moteur du changement institutionnel bien plus puissant que le débat parlementaire ou l’expertise. Diffuser cette idée-là peut faire réfléchir beaucoup de gens et amener à faire évoluer les stratégies militantes.

    En termes de productions culturelles permettant de diffuser les imaginaires liés à la Sociale, il y a évidemment le film de Gilles Perret qui porte ce titre de La Sociale , un film extraordinaire, qui joue d’ailleurs sur cette ambivalence entre le conflit et le consensus. Des films et autres productions de ce type peuvent diffuser beaucoup plus facilement et efficacement ces représentations positives de la lutte des classes que des ouvrages souvent moins accessibles. Si ce livre et plus largement les travaux sur lesquels ils s’appuient peuvent nourrir ce type d’initiatives j’en serai forcément heureux.

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      La santé va faire naufrage mais il n’est pas trop tard pour la sauver

      Bernard Kron · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 11 January, 2023 - 03:50 · 7 minutes

    La médecine connaît d’immenses progrès. Après ceux des greffes, de l’imagerie, du robot opératoire, de la chirurgie mini invasive cœlioscopique, l’Intelligence Artificielle et le métavers annoncent de nouvelles révolutions. Il y aura donc toujours une médecine de pointe mais elle coûte de plus en plus cher.

    Les progrès de la génétique et les thérapies géniques sont à la croisée des chemins avec les nouveaux vaccins ARNm. La longévité prônée par le transhumanisme est plus inquiétante. Si on prolonge la vie il faudra dépeupler la planète en ayant moins de naissances car ses ressources ne pourront pas faire face à une surpopulation !

    Face à ces progrès, la crise des soins est pourtant au devant de la scène et tout le système recule.

    C’est à se demander si nos dirigeants, les tutelles et les doyens sont totalement incompétents ou s’ils n’obéissent pas à de sombres projets. L’âge moyen des médecins est de 51 ans. Beaucoup sont proches de la retraite et leur imposer de prendre des gardes les ferait partir.

    Les urgences sont en crise. Des dizaines de décès en décembre ont été comptabilisés par le SAMU – Urgences de France. Pour le président du syndicat, Marc Noizet ils auraient pu être évités si les patients avaient pu être pris en charge rapidement. Selon lui ce chiffre serait largement sous-estimé et se rapprocherait de 150 pour l’ensemble du pays. Le tri par le 15 ne permet pas encore de connaître le chiffre des décès généré par ce procédé mis en place pendant l’été 2022, supposé soulager les urgences. On sait qu’il y a eu de nombreux drames.

    Pourquoi la médecine est-elle en crise ?

    Les soignants ne sont pas responsables des erreurs de la politique de santé .

    Ils ne se sentent pas écoutés ni soutenus et se mobilisent à nouveau comme ce fut le cas en 2019 car ils sentent leurs métiers menacés. Ils ne peuvent plus faire face aux soins à cause des contraintes qui les paralysent et de la pénurie de soignants dans toutes les disciplines.

    Les déficits chroniques de la Sécurité sociale laissent peu de marges pour de vraies réévaluations des tarifs.

    Le déficit cumulé de la Sécurité sociale, soit 226 milliards, était cantonné dans la Caisse d’amortissement de la dette sociale ( CADES ). Il a été partiellement remboursé par la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) ainsi que par la contribution sociale généralisée (CSG). Le covid a recreusé ce déficit en 2020 qui dépasse 39 milliards. En 2021 il était encore de 21 milliards et celui de 2022 devrait atteindre les 20 milliards. Quant aux mutuelles, pour 100 euros cotisés seulement 57 euros sont destinés à rembourser les prestations. On comprend dans ces conditions la lassitude des soignants qui ne voient poindre aucune solution.

    Le numerus clausus est inadapté. Il était descendu à 3500 et n’est remonté à 8500 que trop tardivement. Le chiffre actuel de 10 000 est encore beaucoup trop bas pour faire face aux demandes de soins car les modes d’exercices ont changé. Seulement 10 % des nouveaux médecins veulent s’installer en libéral.

    Dans les CHU les médecins consacrent en moyenne seulement 50 % de leur temps à soigner, compte tenu de la multiplication des pressions administratives et des réunions qui les paralysent. La notion d’équipe a disparu. Les personnels sont de plus en plus nombreux à démissionner, harassés par les obligations administratives.

    Pour les praticiens universitaires et hospitaliers la triple tâche, soins enseignement et recherche, ne peut plus être assurée. Ils baissent les bras et les démissions se font sans bruit. Les trop faibles salaires à l’hôpital n’attirent plus. Beaucoup partent vers des cieux plus cléments. Il faut donc regarder la vérité en face. Nous sommes proches de l’effondrement.

    Les responsabilités

    Avec les dilutions des responsabilités politiques dans cette crise organisationnelle qui dure depuis plus de 40 ans on ne voit pas quel élu serait capable de redresser la barre.

    Les drames dans la santé se multiplient, le patient ne sait plus qui est responsable : le ministre, l’ARS, l’hôpital ou le soignant ? Au cours de sa vie, le citoyen court en effet le risque d’être un jour justiciable et un risque beaucoup plus réel d’être un jour malade. S’il est mal pris en charge, il devra recourir à la justice ce que facilite la Loi Kouchner de 2002 . Il devrait pourtant pouvoir faire confiance aux praticiens qu’ils soient hospitaliers ou médecins de ville, ce qui n’est plus possible avec les dérives actuelles.

    Cette confiance a totalement disparu et force est d’admettre qu’elle s’inscrit dans la même démarche qui a conduit à détruire l’école. En conséquence la qualité de la formation des praticiens est obérée depuis la fin des concours avec le système LMD et le wokisme qui ont vicié la sélection.

    Le projet de Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023 a été adopté. L’ Objectif national de dépenses d’assurance maladie ( Ondam ) augmentera de 3,7 % si l’on exclut les dépenses exceptionnelles liées à la crise sanitaire. Cela correspond à 8,6 milliards d’euros supplémentaires de dépenses courantes par rapport à 2022. Ce budget ne pourra pas préserver l’hôpital.

    Avec l’inflation on est loin du compte car elle dévore ces aumônes. La croissance sera de 4,1 % (soit 4 milliards d’euros) et 5,1 % pour les établissements. L’ administration est pléthorique , elle représente 34% de la masse salariale contre 22 % en Allemagne. La grille des salaires empêche de donner une priorité à la revalorisation des soignants, seule solution pour stopper les démissions et pouvoir recruter. Avec un salaire moyen de 2000 euros par mois il est impossible de se loger à Paris pour les salariés de l’AP-HP. À quoi servent les logements sociaux de la ville de Paris s’il n’y a pas de logements dédiés pour les soignants ?

    Les soins de ville

    Le coût de l’exercice en libéral oblige les médecins à travailler toujours davantage, ce qui détourne les jeunes de cet exercice. Plus de six millions de Français n’ont plus de médecin traitant. Les médecins généralistes libéraux n’ont plus le temps de soigner. Ils consacrent 20 % de leur temps à l’administration et au moins 50 % de leur activité financent les charges de leur cabinet.

    La surcharge est telle que les anciens ne veulent pas prendre de nouveaux patients et l’on meurt encore aux urgences sur un brancard faute de lits et de personnels. Face à une telle situation de plus en plus de soignants baissent les bras, choisissent le salariat et l’industrie ou s’expatrient.

    La progression n’est que de + 2,9 %, soit 2,9 milliards d’euros supplémentaires. Le gouvernement assure que cette enveloppe permettra de financer la montée en charge des conventions des infirmiers libéraux ainsi que des pharmaciens et de financer les prochaines conventions des médecins et des kinésithérapeutes.

    Cela ne réglera rien car avec une telle enveloppe les négociations conventionnelles ne pourront pas satisfaire les demandes. Pour porter la consultation de médecine générale à 50 euros il faudrait 7 milliards d’euros. La rémunération sur objectif ( ROSP ) permet une rémunération maximale de 6580 euros en supplément. Si tous les indicateurs sont satisfaits le forfait structure s’èlève à 5145 euros. De la convention on est passé à la subvention. Cette situation est d’autant plus malsaine qu’elle ne récompense pas la qualité mais la discipline.

    L’objectif de résorber les déserts médicaux ne pourra pas être atteint avec le numerus clausus actuel, d’autant qu’en diversifiant les recrutements le profil des futurs médecins a changé. La plupart ne veulent pas travailler au-delà de 40 heures par semaine, ce qui est incompatible avec l’exercice en cabinet libéral.

    C’est donc tout le système qu’il faut revoir et réfléchir à une régionalisation de la santé tant pour les études que pour l’organisation. C’est un vaste défi que le président de la République a promis de relever face aux soignants à l’Hôpital de Corbeille-Essonnes.

    Si l’internat de médecine générale commencait en cinquième année on pourrait déjà avoir des milliers de médecins bien formés très rapidement.

    La suppression d’un tiers des administratifs de la santé dégagerait un budget qui permettrait d’augmenter le nombre de soignants de 100 000 postes.

    Les solutions sont à notre portée mais il manque la volonté de le faire.

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      Le financement de la sécu 2023 : un catalogue indigeste et impécunieux

      Bernard Kron · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 16 December, 2022 - 03:40 · 6 minutes

    Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 est considéré comme adopté par l’Assemblée nationale.

    Le déficit chronique de la Sécu a laissé peu de marges aux négociations. Ce déficit cumulé de 130 milliards était cantonné dans la CADES . Il a été partiellement remboursé.

    Le covid l’a recreusé en 2020 et il dépasse les 39 milliards d’euros. En 2021 il s’élevait encore à 21 milliards. Celui de 2022 devrait atteindre les 20 milliards.

    L’ objectif national des dépenses de santé augmentera de 3,7 %, ce qui correspond à 8,6 milliards d’euros supplémentaires de dépenses courantes par rapport à 2022. Avec l’inflation on est loin du compte.

    Ce budget ne pourra pas préserver l’hôpital.

    La croissance sera de 4,1 % (soit 4 milliards d’euros) et 5,1 % pour les établissements.

    L’administration est pléthorique , elle représente 32 % de la masse salariale contre 22 % en Allemagne . La grille des salaires empêche de donner une priorité à la revalorisation des soignants seule solution pour stopper les démissions et pouvoir recruter.

    Les soins de ville

    La progression n’est que de + 2,9 %, soit 2,9 milliards d’euros supplémentaires.

    Le gouvernement assure que cette enveloppe permettra de financer la montée en charge des conventions des infirmiers libéraux ainsi que des pharmaciens et de financer les prochaines conventions des médecins et des kinésithérapeutes. Cela ne réglera rien car les négociations conventionnelles dans une telle enveloppe ne pourront pas satisfaire les demandes.

    Le texte ne dit pas si la majoration de 15 euros pour toute prise en charge effectuée dans les 48 heures par les médecins effecteurs à la demande de la régulation médicale du SAMU ou du SAS pour un patient hors patientèle médecin traitant sera également pérennisée, comme le réclament des syndicats de médecins libéraux.

    Les contrats d’aides à l’installation seront simplifiés avec un guichet unique. Le conventionnement sélectif n’a pas été retenu. À travers ce PLFSS, le gouvernement prévoit un « choc de simplification » des contrats d’aide proposés à la fois par l’Assurance maladie et l’État pour inciter les médecins libéraux à s’installer ou à maintenir leur activité dans les zones les plus fragiles.

    L’ensemble des dispositifs, en particulier le contrat de début d’exercice est renvoyé au champ conventionnel. Pour l’accès des étudiants à l’intérim et pour les remplaçants de nouvelles restrictions ont été votées.

    La certification périodique ou ré accréditation des médecins diplômés sera applicable au 1er janvier 2023 : en se plaçant au-dessus des ordres professionnels auprès desquels on cotise l’État pourra interdire d’exercer aux médecins réfractaires. C’est reconnaître implicitement que dix années d’études formeraient de mauvais médecins.

    Une quatrième année d’internat

    La quatrième année d’internat de médecine générale proposée par le Sénateur Bruno Retailleau a été actée.

    C’est une fausse bonne idée pour lutter contre la désertification médicale.

    Au lieu de s’attaquer à l’origine du mal, c’est-à-dire la pénurie de soignants, les internes de médecine générale devront effectuer une quatrième année d’internat dans les déserts médicaux. Les internes ont déjà choisi leur région après l’ examen classant l’ECNi . Ils ne veulent plus repartir loin de leurs bases sauf pour des remplacements avant de s’installer.

    La désertification des campagnes a gagné les grandes villes, il n’y a plus de zones surdenses.

    Faire une quatrième année de médecine générale sans encadrement est inepte. Les maîtres de stages à ce stade d’études sont anachroniques. Ces jeunes médecins vont manquer ailleurs. Les vieux médecins ne trouveront plus de remplaçants et cesseront d’exercer. Qui sera assistant à l’hôpital s’ils partent à la campagne un an ? Le risque de démission des praticiens hospitaliers déjà sous pression est réel.

    Cette loi qui satisfait les partisans de certains élus est un contresens. Elle obtiendra l’effet inverse comme ce sera le cas avec les nouvelles contraintes comme le conventionnement sélectif ou les délégations de tâches.

    J’ai exprimé mes craintes au Pr Philippe Juvin lors d’un long entretien. Malheureusement un médecin élu est avant tout un politique otage de ses électeurs. Il est persuadé qu’il a raison et quand il se trompe, il persiste sur la même voie.

    La vérité est que les études médicales sont trop longues, trop théoriques et ne qualifient plus les plus motivés. Ce sont donc ces études qui devraient être réformées.

    Des économies à la marge

    Sans une réelle volonté politique de s’attaquer aux fraudes et aux dépenses inutiles cette situation perdurera. C’est pourtant la mère de toutes les batailles.

    Le médicament

    Un « effort d’efficience » de 1,1 milliard d’euros est réclamé sur les produits de santé, dont 900 millions d’euros sur des baisses de prix sur un marché en forte croissance, de l’ordre de +6 % par an.

    La biologie et la radiologie

    « Premier poste de dépense des actes médicaux – à hauteur de 4,8 milliards d’euros de remboursements en 2021 – l’imagerie médicale devra afficher plus de transparence. Nous allons appeler à la responsabilité le secteur de la biologie médicale et de la radiologie ».

    250 millions d’euros de baisses de tarifs seront exigés. Le gouvernement note que la concentration du secteur et le développement de l’activité ont permis à la biologie médicale d’augmenter sa rentabilité de façon très importante, à hauteur de 23 % en 2020 et de 6,7 % pour les cliniques privées.

    La prévention

    Le texte prévoit la mise en place de bilans de santé complets pris en charge à 100 % par l’assurance maladie à trois périodes clés de la vie : 25, 45 et 65 ans. Pour les moins de 26 ans, il est prévu la prise en charge à 100 % du dépistage des infections sexuellement transmissibles autres que le VIH et la gratuité de la contraception d’urgence à toutes les femmes sans condition de prescription médicale.

    Enfin, le prix du tabac « va augmenter comme l’inflation », annonce le cabinet de François Braun.

    La lutte contre les fraudes

    Elle vise essentiellement les soignants.

    Le gouvernement souhaite mieux sanctionner la fraude des offreurs de soins et prestataires de services en étendant la possibilité de déconventionnement d’urgence « à l’ensemble des catégories ». Des cyber-enquêtes pourraient être ouvertes pour ces contrôles.

    Les arrêts de travail délivrés en téléconsultation seront encadrés : « La téléconsultation représente 1 % des indemnités journalières des arrêts qui sont prescrits », précise le ministère des Comptes publics.

    Rien n’est dit sur les fraudes avec les cartes vitales estimées par Charles Prats à une fourchette de 15 à 45 milliards.

    Le CNRS ( Conseil National de la Refondation Santé ) peut-il sauver notre système de soins ?

    Après la lecture de l’ interview de notre collègue Philippe Denormandie dans Le Quotidien du Médecin du 10 novembre, ma réponse est NON ! Comme les autres politiques il est sourd aux appels des médecins et des internes. Il ne donne que de vagues indications alors que l’on sait parfaitement ce qu’il faudrait faire. Il n’y a malheureusement ni volonté politique ni savoir-faire dans les ministères et les autorités de la santé.

    Les raisons de ce désastre sanitaire sont décrites dans Blouses blanches colère noire . Des remèdes simples sont pourtant à notre portée. Malheureusement, rien ne point à l’horizon, qu’il s’agisse des déserts médicaux, de la crise hospitalière et du déficit de tout le système.

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      Médecine générale : et si l’on faisait confiance au marché ?

      Nathalie MP Meyer · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 6 March, 2021 - 04:30 · 8 minutes

    médecine générale

    Par Nathalie MP Meyer 1 .

    La pandémie de Covid-19 est là pour nous le rappeler : nous avons besoin de services de santé disponibles, efficaces et financièrement abordables. En France, on aime à répéter que de ce côté-là, tout est accessible, tout est efficace, tout est gratuit. Ce serait même notre grande fierté que de pouvoir soigner le plus riche comme le plus démuni sans avoir à réclamer un sou ni à l’un ni à l’autre grâce à notre grande sécu nationale.

    Enfin ça, c’est la partie idéologico-corico de l’iceberg.

    Dans la réalité, il y a bien quelques sous assez nombreux qui circulent sous la forme des cotisations sociales prélevées sur les salaires versés par les entreprises.

    Cotisations qui, additionnées les unes aux autres, finissent par nous placer parmi les pays de tête de l’OCDE pour les dépenses de santé rapportées au PIB. Avec 11,2 % en 2018, la France est à égalité avec l’Allemagne et n’est devancée que par la Suisse et les États-Unis :

    médecine générale

    Mais en avons-nous pour notre argent ? La question se pose car notre système de santé semble perpétuellement en crise, et pas seulement à cause du Coronavirus.

    Début janvier 2020, alors que la pandémie n’était pas encore entrée dans nos vies, plus de 1000 médecins hospitaliers étouffés par les contraintes administratives qui pèsent sur eux ont menacé de démissionner .

    Juste avant, c’était la crise des urgences . Juste avant, c’était les déserts médicaux . Juste avant, c’était les grèves du personnel infirmier . Juste avant, c’était les pénuries de médicaments . Etc.

    Puis le Covid-19 est arrivé et il a fallu transférer des patients en Allemagne faute des équipements nécessaires et/ou faute de l’organisation adéquate en France. D’où l’émergence d’un débat sur la qualité réelle de notre système de soins et d’où le Ségur de la Santé censé tout remettre à plat.

    Ce dernier a finalement abouti à des hausses de salaires pour les soignants conformément au fameux « plus de moyens » qui semble être l’alpha et l’oméga de toute réforme dans ce pays, mais n’a engendré aucune remise en question des rigidités bureaucratiques induites par un système entièrement collectivisé et centralisé qui considère tous les médecins comme des fonctionnaires parfaitement obéissants et interchangeables – donc peu incités à faire évoluer leurs pratiques en dehors des demandes et autorisations de la Sécu.

    Il y aurait pourtant moyen de faire autrement, à la satisfaction médicale, financière, relationnelle et professionnelle de toutes les parties prenantes, ainsi qu’en témoigne le système Direct Primary Care qui se développe aux États-Unis et dont j’aimerais vous parler aujourd’hui (voir vidéo en fin d’article, 07′ 13″).

    L’expression Primary Care recouvre peu ou prou notre médecine générale, celle qui assure le premier accueil des malades, mais elle inclut aussi un certain nombre de tests et de petites interventions chirurgicales plus spécialisées ainsi que des soins d’urgence sans complication (réduction de fracture simple, sutures, ablation d’un kyste, etc.) Il s’agit de resituer le généraliste dans toute son ampleur de soignant.

    Le terme direct , le plus important dans l’affaire, fait référence au fait qu’il n’y a plus de tiers entre le médecin et son patient. Ni la sécu ( Medicare aux États-Unis), ni aucune mutuelle complémentaire, ni aucune assurance santé. Donc plus de nomenclature compliquée qui décide de façon autoritaire et opaque ce qui est pris en charge et à quel prix, et ce qui ne l’est pas. Et plus aucun des coûts de ces structures intermédiaires qui se surajoutent aux coûts de la pratique médicale elle-même.

    Tous les soins ci-dessus, délivrés en cabinet médical, en visite à domicile ou via la télémédecine, ainsi que le suivi du patient en cas de redirection vers un spécialiste, un laboratoire d’analyses ou une hospitalisation sont intégralement pris en charge en échange d’un abonnement se situant généralement entre 50 et 100 dollars par mois et par personne. C’est tout simplement le système Netflix appliqué à la médecine.

    Si des analyses ou de l’imagerie médicale complémentaires sont nécessaires, les patients bénéficient en outre des tarifs avantageux négociés par leur médecin avec des radiologues ou des laboratoires de leur quartier, éventuellement même avec le pharmacien.

    La disparition du tiers assureur permet ainsi de faire baisser les dépenses médicales de routine dans des proportions significatives et il permet également aux médecins de se montrer plus flexibles et plus adaptables.

    Dans le nouveau contexte de la pandémie de Covid, par exemple, pas besoin d’attendre des semaines pour avoir le feu vert de Medicare ou des compagnies d’assurances sur le niveau de prise en charge des consultations par internet. L’abonnement prenant par définition en charge tout ce que le médecin juge nécessaire pour assurer le meilleur service possible, toute nouveauté, toute adaptation est automatiquement adoptée pour peu que le médecin le décide.

    Au cabinet Epiphany Health des docteurs William Crouch et Lee Gross présentés dans la vidéo, les tarifs sont de 75 dollars par mois pour un adulte, 30 dollars par mois pour un enfant et 15 dollars par mois pour les autres enfants de la famille, l’idée étant de se situer dans un ordre de prix comparable à l’utilisation d’un téléphone portable. Pour éviter les abus toujours possibles, toute consultation au-delà de 25 par an et par personne est facturée 25 dollars :

    Il faut croire que leurs patients sont contents de leurs services car ils sont passés à ce système en 2010 après avoir connu comme tous leurs collègues les lourdes exigences administratives des prises en charge médicales dictées par Medicare ou les compagnies d’assurance et ils s’en félicitent encore en 2021. Aujourd’hui, plus de 1400 cabinets médicaux répartis dans 49 États américains fonctionnent de cette manière.

    Mais que se passera-t-il pour eux si un cabinet s’installe à proximité du leur et propose aux patients des tarifs de 40 dollars par personne et par mois au lieu de 75 dollars ? Eh bien, c’est exactement ce qu’on appelle le jeu de la concurrence dans un marché libre – une situation que de nombreuses autres professions comme la boulangerie-pâtisserie ou le prêt-à-porter connaissent bien.

    Réponse du docteur Gross, qui pourrait très bien s’appliquer à la boulangerie :

    Ce nouveau cabinet et nous, nous allons nous faire concurrence sur le prix et la qualité. Nous allons devoir justifier pourquoi notre prix est presque deux fois plus élevé. Peut-être est-ce parce que nous offrons un meilleur service, ou parce que notre formation est meilleure, ou parce que nous avons plus d’expérience. Ou alors nous allons devoir baisser nos prix pour ne pas perdre de patients.

    On constate encore une fois qu’une situation de concurrence non faussée est un formidable levier pour procurer aux consommateurs de services médicaux (ou de babas au rhum) le meilleur produit ou le meilleur service au meilleur prix.

    Si le Direct Primary Care reste encore assez confidentiel aux États-Unis, au moins n’est-il pas empêché d’exister et de faire ses preuves. En France, malheureusement, la Sécu est un monopole qui ne tolère aucune concurrence au sens fondamental de ce mot. Il existe certes des cliniques privées, il existe certes une médecine dite libérale, mais la réalité de notre système de santé est exactement celle que l’on retrouve inéluctablement (et malheureusement) dans tous les systèmes socialistes.

    Le libre choix des médecins et des patients, la loi de l’offre et de la demande et la clarification de l’information par le système des prix libres ont été évincés du système au profit d’une planification bureaucratique qui prétend savoir mieux que les médecins où, quand et comment ils doivent soigner, et mieux que les patients s’ils sont malades et où et quand ils doivent se faire soigner.

    Alors évidemment, on voit mal comment on pourrait seulement tenter une expérimentation du type Direct Primary Care en France. Mais il n’est pas interdit d’en parler autour de soi et de susciter le débat…

    Vidéo « These Doctors Exemplify the Virtues of Free Market Medicine » (ces médecins sont un exemple des bienfaits du marché libre pour la médecine) publiée par le site libéral Reason le 3 mars 2021 (07′ 13″) :

    Sur le web

    1. Article de la série Les Lib’Héros du Quotidien inspiré par une récente vidéo du site libéral américain Reason (voir en fin d’article) à propos du système de soins Direct Primary Care (ou médecine générale en direct) qui se développe aux États-Unis.
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      Olivier Véran et le « Ségur de la santé » : même recette, plus d’argent !

      Margot Arold · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 18 May, 2020 - 03:35 · 5 minutes

    olivier Véran

    Par Margot Arold.

    Travailler plus pour gagner plus : on connaissait la chanson dans sa version sarkozyenne. La voici remise en musique par le ministre de la Santé, qui se fait fort de marquer de son empreinte personnelle le grand chambardement à l’Hôpital.

    Le nouveau « plan » signé Olivier Véran

    Il a prévu un « Ségur de la Santé » , du nom de la rue de son ministère. Comme il y a eu un Grenelle de l’Environnement. On aurait aussi bien pu nommer ce plan le Plan Touraine ou le Plan Bertrand : il n’y sera question que de recettes déjà testées, déjà mauvaises, déjà bourratives, de celles où chacun ne fait qu’ajouter sa petite sauce personnelle sur un plat déjà maintes fois assaisonné.

    Une petite nouveauté : la remise en cause des sacro-saintes 35 heures. Reste à voir si l’usine à gaz pour en sortir ne sera pas encore une fois pire que l’actuelle.

    Comme Sarkozy, Olivier Véran veut « aller vite ». Comme ses prédécesseurs au ministère, il prévoit de « revaloriser », « mieux rémunérer ». Avec quel argent ?

    Cette caresse habile dans le sens du poil des hospitaliers, toujours contents d’entendre du « plus de moyens » , laisserait presque penser que c’est le manque d’argent qui est fautif dans cette catastrophique gestion de la crise sanitaire en France. C’est en partie vrai seulement.

    Bien sûr, des finances saines, ainsi qu’aime à le rappeler Gérald Darmanin à propos du budget de la France, ça aide à la dépense pour acheter des masques à ses concitoyens.

    La pénurie vient d’une mauvaise gestion, pas d’un manque d’argent

    Mais la crise des masques n’est pas liée à un manque d’argent , comme aimeraient le faire croire les syndicalistes et les fustigeurs du « néolibéralisme » français. Elle est liée à l’imposante bureaucratie, lente, lourde, inepte. Les stocks de masques, il y en avait, il y en avait eu, mais le comptage et la gestion ont été un peu… aléatoires.

    Les commandes de nouveaux masques, il y en a eu, enfin on le suppose, mais pas tout de suite, il fallait vérifier, faire des comptes d’apothicaire là où d’habitude on balance l’argent par les fenêtres.

    Et puis il y a eu les réquisitions. Les masques ont disparu. Les pharmaciens interdits de vente. Les masques chirurgicaux pour le Grand Hôpital, mais du masque « grand public » pour la populace sommée de se confectionner sa protection personnelle, comme au bon vieux temps de la RDA .

    Les solutions d’Olivier Véran

    Olivier Véran voudrait sans doute effacer tout cela, et d’un coup de baguette magique qui fait sortir des euros et des soignants heureux (et qui votent « bien »), il propose de « sortir du dogme de la fermeture de lits » . Situation qui a été créée par ses prédecesseurs, du même bord politique que lui.

    Et puis il y a cette « revalorisation des carrières ». Évidemment. Le vieux poncif dont on ne se dépare pas, en France, parce que chez ces gens-là, monsieur, on ne compte pas : on dépense.

    Oui c’est une bonne idée de revaloriser les salaires via l’escalade laborieuse des échelons du personnel médical le plus mal traité d’Europe. Fallait-il donc attendre une crise sanitaire pour s’apercevoir que, tiens, oui, finalement, nous en avons bien besoin dans les moments cruciaux ? Pour se rendre compte qu’applaudir à 20 heures au balcon, ça ne nourrit pas son homme ? Qu’ une médaille en chocolat , ça fait un peu radin ?

    Mais encore une fois, il n’est question que de « carrières hospitalières », de « rémunération ». Où sont donc les améliorations pour les médecins de ville, les infirmiers, les horribles praticiens libéraux , qui eux non plus n’avaient pas de masques, qui eux aussi ont accompli un sacerdoce pendant cette crise, qui eux aussi, ont payé un lourd tribut ?

    Alors, cet argent, où le trouver ?

    La seule solution pour qu’un système de santé soit suffisamment bénéficiaire pour pouvoir affronter une crise sanitaire sereinement, c’est qu’il soit géré comme une entreprise . On ne peut pas balancer de l’argent, de la revalorisation à tout-va sans jamais se soucier d’où il vient ni où il finit par arriver.

    Avoir créé un monstre administratif à l’Hôpital public , c’est ce qui absorbe la plus grande partie du budget attribué à l’Hôpital. On ne sortira pas de ce cercle vicieux tant qu’on continuera à considérer qu’il faut créer toujours plus de strates, et mettre toujours plus d’argent, sans se poser la question de créer aussi de la richesse.

    La santé est un domaine comme un autre. Il n’y a qu’en France, et dans une moindre mesure, au Royaume-Uni, que l’on s’acharne à faire perdurer le mythe de la santé gratuite.

    Le ministre reconnaît lui-même d’ailleurs « qu’il faudra « de l’argent nouveau ». C’est nécessaire, il n’y a pas d’argent magique, il faudra donc faire des choix » , indique France 24 qui rapporte ses propos. En effet, l’arbitrage sera bien entre taxer les contribuables pour obtenir cet argent, ou réduire les dépenses de l’État.

    Le système de santé s’assainira quand nous arriverons à nous sortir de ce dogme indéboulonnable d’une Sécurité sociale sans laquelle les gens mourraient sur le trottoir et seraient mal soignés.

    Voyez d’ailleurs combien elle a été performante avec ses confortables recettes qui se chiffrent en centaines de milliards d’euros : pendant la crise du Covid, les soignants étaient équipés, en France, de sacs-poubelle en guise de blouses. En 2020.

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      En France, le déficit de la Sécu ne sert à rien

      Claude Robert · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 26 April, 2020 - 03:30 · 6 minutes

    Sécu sécurité sociale

    Par Claude Robert.

    La France croule de façon chronique sous les déficits de toutes sortes. Profitons de ces temps de pandémie pour nous pencher sur celui de la Sécurité sociale. Il en dit tellement long sur l’efficacité socialiste en comparaison de notre voisin allemand.

    Le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin vient de nous alerter : cette année, le déficit de la Sécurité sociale atteindra la bagatelle de 41 milliards d’euros ! Motif invoqué ? La crise pandémique qui, d’une part, réduit fortement les rentrées de cotisations du fait du chômage partiel, et qui, d’autre part, impose des dépenses complémentaires en matière de prévention et de soins ( Le Figaro 22 avril 2020).

    Un tel chiffre donne le vertige. Il n’est pourtant pas le premier du genre. Les comptes de la Sécurité sociale ne sont qu’une longue litanie de déficits, tous plus ou moins abyssaux. Certes, le contexte sanitaire actuel est historique. Mais qu’en est-il vraiment chez nos voisins outre-Rhin ?

    On sait que l’Allemagne a considérablement mieux géré la crise . Les conséquences de l’épidémie de coronavirus y seront-elles aussi importantes sur les comptes ? Au fait, les Allemands dépensent-ils moins que les Français pour la santé ?

    La Sécurité sociale française et son interminable déficit

    Il suffit de regarder l’évolution des comptes de notre Sécurité sociale pour prendre peur. Véritable serpent de mer, ce déficit n’a toujours pas disparu, et refait parler de lui à chaque nouveau dérapage. Le dernier en date était celui de 2009/2010. S’en est suivi une espèce de prise de conscience qui a permis une diminution progressive, jusqu’à cette nouvelle rechute, encore plus grave que les autres, cette année…

    Un simple coup d’œil sur le solde général de la Sécurité sociale germanique (en % du PIB) suffit pour appréhender le fossé culturel qui sépare les deux systèmes. Depuis 2006, seule l’année 2009 a été déficitaire 1 :

    Ô surprise, dans son rapport du 14 mai 2015, la Cour des comptes avait recommandé au gouvernement français de prendre exemple sur le système en vigueur en Allemagne. Non pas parce que celui-ci n’atteint l’équilibre qu’au prix d’une moindre prise en charge des frais de santé, mais au contraire, parce qu’il est conçu pour l’intérêt et la responsabilisation de tous ! Ainsi que le résume le rapport, « l’exemple allemand montre que des règles strictes dans le contrôle de certaines dépenses sectorielles permettent en définitive à toutes les parties prenantes du système de santé d’en retirer des bénéfices » 2 .

    L’Allemagne, modèle d’excellence en matière de santé

    Contrairement à ce que racontent les gauchistes, toujours prompts à dépeindre l’Allemagne comme sauvagement libérale et donc sans pitié pour ses habitants (ce qui est finalement assez drôle compte tenu de l’actuelle hécatombe française), la santé apparaît comme l’un de ses nombreux domaines d’excellence.

    France et Allemagne dépensent un peu plus de 11 % de leur PIB pour la santé ce qui les positionne toutes les deux au-dessus de la moyenne européenne. Mais par habitant et en parité de pouvoir d’achat, il apparaît que l’Allemagne consacre 4200 euros par personne, contre seulement 3626 euros pour la France 3 . Le déficit de la Sécurité sociale française ne peut donc même pas s’expliquer par un meilleur effort sanitaire ! Où passe l’argent en comparaison de chez nos voisins ?

    La répartition des coûts donne une réponse assez claire à cette question . Selon l’étude réalisée par l’IFRAP, les dépenses hexagonales sont nettement plus orientées vers l’hôpital et « l’administration » de la santé, tandis que les dépenses allemandes vont davantage vers la médecine libérale et la prévention. En deux mots : les dépenses y sont plus proches des gens, plus ciblées sur l’ efficacité opérationnelle et moins absorbées par la bureaucratie !

    Quant aux capacités hospitalières, la comparaison est encore plus défavorable à la France, avec une moyenne de 3,09 lits pour 1000 habitants, contre 6,02 outre Rhin 4 . Pour un soi-disant monstre ultra-libéral, n’est-ce pas confondant ? Pour un pays socialiste comme la France, n’est-ce pas révélateur ?

    L’Allemagne, modèle d’efficacité contre le coronavirus

    L’inconséquence hexagonale est désespérante. Alors qu’il n’a toujours pas déclenché de vaste opération de dépistage et qu’il n’a toujours pas distribué des masques de protection, le gouvernement français parle déjà de dé-confinement.

    Encore plus troublant, président, Premier ministre et ministre de la Santé se relaient dans les médias pour mettre en doute la fiabilité des tests et l’utilité des masques, après avoir opposé une fin de non-recevoir à l’utilisation de tests proposés par des laboratoires vétérinaires , ceci pour des raisons de normes ISO ou de risques 5 .

    Comment nos gouvernants osent-ils mettre en doute les recettes qui ont prouvé leur efficacité contre la pandémie ? Est-ce simplement pour dissimuler leur incurie en matière de stocks ?

    Cette incurie que le Conseil Scientifique a d’ailleurs fini par admettre, en filigrane, puisqu’il qualifie le confinement de « seule stratégie réellement opérationnelle , l’alternative d’une politique de dépistage à grande échelle et d’isolement des personnes détectées n’étant pas pour l’instant réalisable à l’échelle nationale » 6 .

    Pendant ce temps, de l’autre côté du Rhin, les commerces ont rouvert leurs portes et les établissements scolaires en feront de même à partir du 4 mai. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’épidémie est « sous contrôle », ainsi qu’a pu le déclarer très légitimement le gouvernement allemand ce 17 avril 7 !

    En corollaire logique de ce relâchement précoce des mesures de restriction de nature à minimiser l’impact sur l’économie et sur les comptes de la nation, le port du masque est décrété obligatoire par une dizaine de Lands, en particulier dans les transports en commun et dans les magasins.

    La comparaison des chiffres de la pandémie est sans appel. L’Allemagne semble avoir freiné la propagation du virus. Selon le tableau ci-dessous, seulement 1815 cas par million d’habitants y ont été relevés, contre 2387 dans l’Hexagone.

    Certes, des raisons culturelles (on se fait moins la bise que dans le Sud) et sanitaires (le virus n’a pas été aussi invasif au départ) ont sans doute contribué à cet écart. Mais au final, grâce notamment à une politique de dépistage quatre fois plus intensive que la nôtre, le nombre de décès par million d’habitants est cinq fois moindre :

    Que faire après un tel tableau qui montre que si l’épidémie avait été affrontée comme chez nos voisins, nous aurions probablement pu sauver jusqu’à 17 000 vies à ce jour ? Pleurer ? Se désoler d’être citoyens d’un pays qui semble géré comme une république bananière ?

    Ne faut-il pas au contraire se demander pourquoi un État qui possède le record des prélèvements de l’OCDE, et qui est donc de facto socialiste, puisse obtenir des résultats aussi époustouflants de médiocrité ?

    Sur le web

    1. Et depuis 2017, l’excédent budgétaire allemand s’est révélé encore plus important que prévu !
    2. BFM 15 septembre 2015.
    3. Source IFRAP 15 avril 2020 – Eurostat.
    4. Source Toute l’Europe.eu, 3 avril 2020.
    5. LCI 30 mars 2020.
    6. L’internaute 22 avril 2020.
    7. L’Express 17 avril 2020.