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      Écologisme, wokisme, féminisme : les leurres de l’hydre

      Pascal Avot · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 24 November, 2022 - 04:15 · 6 minutes

    Si, à la suite d’ Alain Besançon, l’on considère que l’idéologie est :

    1. Une croyance délirante
    2. qui se prend pour une science exacte et
    3. qui entend prendre le pouvoir afin de
    4. mettre en coupe réglée la totalité de l’activité humaine
    5. dans le but ultime d’anéantir toute forme de civilisation,

    nous vivons à n’en pas douter une ère idéologique.

    Le mouvement woke , l’ écologisme , le féminisme , pour ne prendre que ces trois exemples les plus frappants du moment, correspondent parfaitement à la définition besançonienne de la prise d’assaut du réel par l’incendie idéologique.

    Les trois ressemblent étrangement à des maladies mentales. Les trois sont persuadés d’être intellectuellement aussi rationnels, aussi certains, aussi fiables que l’astrophysique.

    Les trois ont pour objectif la conquête de l’État, soit par l’élection, soit par la révolution, soit par une guerre civile froide et hybride composée de pression médiatique, de combats juridiques et d’entrisme institutionnel.

    Les trois ont la ferme intention de changer le monde en changeant l’Homme, qu’il le veuille ou non.

    On affirmera donc volontiers que wokisme , écologisme et féminisme sont de dangereuses idéologies. Toutefois, la prudence doit nous inciter à aborder le problème sous un autre angle.

    L’histoire de l’idéologie

    L’idéologie a une histoire. Elle a même une préhistoire : la Révolution française . C’est avec elle que naît la volonté enragée de quadriller la vie au nom de la Raison. Cette volonté se traduit par un système politique athée, monopolistique et tout-puissant. Et cette toute-puissance mène droit à la Terreur , à la famine et aux massacres de masses. La Révolution française met en place un prototype du totalitarisme qui servira de diapason à Lénine et à ses disciples sous toutes les latitudes.

    Mais Robespierre n’a que des idées et de la rage et cela ne suffit pas : il ne dispose pas d’une idéologie suffisamment structurée, architecturée, systémique. Au pouvoir, il improvise. Il a une vision dépourvue de méthode et, malgré l’intensité de ses intuitions, il échoue.

    Ce n’est qu’au XIX e siècle que ses chimères se dotent d’un squelette et d’organes et deviennent le monstre totalitaire : l’idéologie se constitue comme une science de la réalité et une science du pouvoir. Netchaïev et Bakounine , Marx et Engels , seront les premiers docteurs Frankenstein de cette évolution. Il y en aura bien d’autres par la suite.

    À la fin du XIX e siècle, la bête est prête à bondir sur le monde. Selon les périodes, les pays et les auteurs, elle se nomme « social-démocratie », « socialisme », « communisme ». Le premier parti de Lénine est le Parti ouvrier social-démocrate de Russie, fondé en 1898. Il compte une poignée de membres. Nul ne peut deviner qu’un siècle plus tard, descendant direct de ce groupuscule, le Parti communiste chinois, muni d’exactement la même idéologie, comptera des dizaines de millions de membres.

    Tout bascule à la fin de la Première Guerre mondiale.

    Faisant preuve d’un flair et d’un opportunisme impressionnants, Lénine renverse le tsarisme. À part lui et son gang, la planète entière pense que le nouveau régime bolchévique est une pitoyable farce et qu’il ne tiendra pas plus de quelques semaines. Hélas, la farce est une tragédie et elle va durer beaucoup plus longtemps qu’on ne pense et s’étendre sur les cinq continents. Malgré les succès spectaculaires de la démocratie et du capitalisme, le XX e siècle sera constamment pris en otage par l’idéologie de gauche comme Saint-Pétersbourg l’a été par les Bolchéviques. Il est fort possible que le XXI e lui ressemble.

    Parfaite illustration de cette mainmise du socialisme sur l’Histoire : la Seconde Guerre mondiale . Elle est déclenchée par un socialiste, Adolf Hitler , et elle a pour conséquence l’extension cyclopéenne de l’empire d’un autre socialiste, Joseph Staline . L’alpha et l’omega de ce conflit inouï, c’est l’idéologie. C’est elle qui se répand comme une pandémie. C’est elle qui rend fous les peuples et qui les extermine. C’est elle qui invente des maux que l’humanité n’avait aucunement imaginés jusque là.

    Wokisme, écologisme, féminisme : l’idéologie est contagieuse

    Le dernier livre d’Alain Besançon s’appelle Contagions . L’idéologie est contagieuse. Elle progresse suivant le même schéma que la mégalomanie et la paranoïa, ces « folies partagées », comme disent les psychiatres.

    Elle se transmet par la parole, par l’image, par le sentiment d’injustice, par la peur, la violence, la torsion du bon sens et le détournement de l’intelligence. Elle peut prendre l’apparence d’un bain de sang ou d’un cours de philosophie.

    Impossible d’en isoler le virus, sinon dans cette formule : « S’il existe des gens malheureux, c’est parce qu’il existe des gens heureux et il suffit d’éliminer ces derniers pour que règne le bonheur universel. » Vous pouvez remplacer « gens heureux » par « bourgeois », « riches », « juifs », « chrétiens », « réactionnaires », « pollueurs », « mâles », « blancs ». L’idéologie est tout-terrain.

    Les idéologies actuelles comme l’écologisme devraient-elles exister ?

    C’est pourquoi il est loisible de se demander si les mouvements woke , écologiste et féministe existent vraiment : s’ils ne sont pas, tout bonnement, des excroissances conjoncturelles du socialisme et, ce qui devrait nous inquiéter, des leurres. Car plus on s’indigne pour une statue de Victor Hugo barbouillée par des imbéciles, pour un délire supplémentaire au sujet de l’empreinte carbone, ou un lynchage de plus de la mentalité masculine par des lesbiennes endurcies , moins on prend pour cible prioritaire, nécessaire et suffisante, la maison-mère de toutes ces gargouilles : le socialisme.

    Greta Thunberg n’est pas Trotsky, ni Himmler, ni Pol Pot. Elle n’a tué personne.

    « Ça ne saurait tarder ! », répondent les catastrophistes de droite. Pendant ce temps, tandis qu’ils s’escriment sur les trolls de la déconstruction, Xi Jinping achète la dette de notre Sécurité sociale. Et lui, des camps de concentration emplis d’innocents qui agonisent, il en a à revendre.

    Comparée à la CGT qui bloque le pays à la moindre occasion, que pèse une manif d’adolescents arc-en-ciel brandissant des pétitions et des hashtags ? « Greta Thunberg, combien de divisions ? », aurait judicieusement demandé Staline. Ainsi nous égarons-nous et nous nous épuisons dans des batailles de polochons contre des dragons en mousse.

    Et s’il n’y avait qu’un seul combat à mener, toujours identique depuis 1917 et qui a donné tant de héros, Churchill, Soljenitsyne , Orwell ?

    On ne peut qu’être frappé par le fait que ni Le Pen, ni Zemmour, ni Pécresse, n’ont frontalement attaqué le socialisme pendant l’élection présidentielle. C’est pourtant bien lui qui hante le cerveau d’Emmanuel Macron : s’il est woke , écologiste et féministe, c’est parce qu’il est socialiste.

    Certes, le président est à géométrie variable, flou, insaisissable, mais il est profondément contaminé : idéologisé.

    « La langue de bois ne veut pas être crue, elle veut être parlée », écrit Alain Besançon. Elle est la langue maternelle de Macron. La dette au grand galop, le confinement aveugle, l’antiracisme de salon, c’est du socialisme.

    Distraits par les innombrables gueules de l’idéologie crachant des fumées multicolores, nous ne faisons plus notre travail, le seul qui vaille : poignarder le cœur rouge de l’hydre.

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      Contraste entre les flammes d’Artemis et nos aspirations à la décroissance

      Pierre Brisson · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 21 November, 2022 - 04:30 · 6 minutes

    Artemis 1, la première mission ayant pour objectif le retour des Américains sur la Lune, a pris son envol ce mercredi 16 novembre. On peut voir cet événement comme la manifestation de la volonté des Américains de renouer avec leur dynamisme des années Kennedy. Il faut l’espérer, mais il faut aussi souhaiter que ce dynamisme ait un effet d’entrainement sur les mentalités dans ce que, plus que jamais, on doit appeler « la vieille Europe » dans laquelle s’est enfermée une France fatiguée.

    En effet, de ce côté-ci de l’Atlantique il semble que l’on s’englue de plus en plus dans un collectivisme mou qui tend à empêcher toute initiative qui ne serait pas « humanitaire » ou « sociale » au sens large.

    L’Europe et la décroissance

    La réaction de notre société à la détérioration de la situation internationale conduisant à la montée des prix de l’énergie, c’est la subvention pour tous – comme si tout était bon pour étendre l’épaisseur de l’édredon plutôt que de remédier aux vraies causes que sont des sanctions stupides contre un pays qui ne nous agressait pas et qui ne nous menaçait pas, dans un pays déjà épuisé par un socialisme lourd.

    C’est aussi la demande de taxation des « super-profits », comme si la marge inhabituelle dégagée par une activité qui de facto profite de la situation serait mieux gérée par les petits hommes gris de l’administration que par les locomotives du secteur privé qui, certes, gagnent aujourd’hui mais avaient perdu il n’y a pas si longtemps. Les socialistes voient toujours les gains et ignorent la réalité des pertes comme la nécessité de prévoir le risque.

    Le résultat de tout cela c’est qu’au lieu d’investir pour produire et en particulier pour produire plus efficacement en profitant de l’innovation, on diffuse la richesse difficilement acquise dans la consommation, ce qui ne fait qu’accentuer les déficits commerciaux et perpétuer la spirale vers l’appauvrissement toujours plus grand de ceux que l’on veut « aider ». On se retrouve dans le même contexte mental que celui dans lequel se trouvait la bourgeoisie catholique de la fin du XIX e ou du début du XX e siècle qui avait besoin de ses pauvres pour pouvoir continuer à pratiquer ses bonnes œuvres. Le problème est que cet esprit larmoyant inspirateur d’un assistanat systématique au niveau de l’État moderne est beaucoup plus puissant aujourd’hui car cet État a déjà hypertrophié l’assistance publique dans tous les domaines et détruit les différentes puissances privées qui pouvaient lui résister. Nous sommes ainsi entrés de fait dans un régime autoritaire.

    Comment l’État socialiste tue l’innovation

    Si encore l’État était dirigé par des personnes éclairées ayant reçu une formation économique libérale et ayant eu l’expérience de la vraie vie du fait d’une activité professionnelle au cours de laquelle elles auraient réellement été exposées à la concurrence et à la nécessité de « gagner de l’argent », l’investissement qu’elles décident pourrait avoir un certain sens et une certaine efficacité.

    Mais « avoir fait » l’ENA ne donne aucune qualification pour savoir investir et l’irresponsabilité généralisé du statut de fonctionnaire , combinée à l’atmosphère bien-pensante également généralisée, ne motive absolument pas les détenteurs de la richesse captée par l’impôt pour lancer des politiques qui permettraient de rentabiliser l’action, autrement dit d’avoir un retour sur investissement aussi élevé que possible dans un délai aussi court que possible tout en préparant l’avenir.

    Dans la France « moderne », l’investissement consiste à financer des ronds-points à l’entrée des villes ou en pleine campagne ou à construire des éoliennes en décidant qu’elles seront rentables en créant des distorsions de marché par une réglementation absurde pour qu’elles le deviennent fictivement.

    Car l’obsession de gouvernements à inspiration socialiste et coupés complètement du peuple qui travaille donc produit pour vivre, c’est « réduire l’empreinte carbone » de ce peuple au détriment de sa productivité et de sa compétitivité avec des marchés sur lesquels ces considérations n’ont pas cours. Dans ce contexte, certains économistes diplômés en France, mais qui n’auraient sans doute pu l’être nulle part ailleurs, prônent la décroissance , donc l’effacement progressif.

    L’idée est de produire moins donc de polluer moins.

    Mais ce principe est la graine de l’appauvrissement, du mal-être et du totalitarisme. En effet, pendant ce temps-là, d’autres produisent à des conditions meilleures des biens qui écrasent par leur compétitivité les biens produits en France et qui sont consommés en France car moins chers. On se retrouve donc dans une spirale ou les « travailleurs » français produisent de moins en moins de valeur ajoutée, ont de plus en plus « besoin » d’assistance et dans laquelle l’État se croit obligé de prendre aux quelques riches qui restent pour donner aux pauvres de plus en plus nombreux sans penser qu’il pourrait laisser agir plus librement les capitalistes privés qui les feraient travailler grâce à des investissements réellement productifs.

    La frilosité du détenteur public du capital français se retrouve bien dans sa politique spatiale. On ne veut surtout pas gaspiller d’argent ; on ne veut surtout pas faire des choses inutiles ou moralement non conformes à ce que pense l’opinion « anti-capitaliste ». On décide donc de continuer la recherche scientifique pure aussi éthérée et discrète que possible et on rejette tout ce qui pourrait paraître comme fantaisiste ou tellement nouveau que cela pourrait paraître de la science-fiction.

    Dans ce contexte, les gens « sérieux » de l’administration ont décidé une fois pour toutes que la présence de l’Homme dans l’espace profond était une fantaisie inutile et coûteuse. Pas question de sortir des ornières où l’on s’est enfoncé, pas question de tenter « autre chose » ou de regarder en l’air, le seul objectif est d’adoucir autant que possible la suite du voyage en arasant tout ce qui pourrait dépasser. Dans ce contexte, la décroissance est forcément au bout du chemin puisque c’est cela l’idéal de ceux qui n’en ont aucun, une société totalement plate à l’empreinte carbone complètement nulle qui n’imagine même pas que le progrès technologique pourrait arranger les choses. L’idéal n’est plus le progrès ou surtout pas le bonheur individuel, mais l’égalité, quel qu’en soit le prix, sans aucune échappatoire.

    Les Américains regardent la Lune et les Français regardent la flaque d’eau que le moteur à hydrogène de la fusée Artemis a laissé sur le sol en brûlant avec délectation son hydrogène dans l’oxygène lors de son départ puissant vers la Lune en attendant les étoiles.

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      Le Vietnam avant le capitalisme : la famine

      Rainer Zitelmann · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 21 November, 2022 - 04:00 · 7 minutes

    Phung Xuan Vu, huit ans, et son frère de dix ans étaient chargés de nourrir leur famille qui souffrait constamment de famine.

    La seule façon d’y parvenir, avant que les réformes du Doi Moi de 1986, axées sur le marché libre, ne commencent à produire leurs effets, était d’utiliser des bons d’alimentation. Le bien le plus important de la famille était un carnet de coupons alimentaires qui tenait dans la paume de la main d’un enfant de dix ans, ce qui le rendait facile à transporter mais aussi facile à perdre. Comme il était plus âgé, le frère de Vu veillait sur le carnet et savait que s’il le perdait, la famille n’aurait rien à manger.

    Les coupons étaient imprimés sur du papier de soie jaune, cireux mais peu résistant. Ils faisaient la différence entre avoir faim et avoir quelque chose à manger, même si ce n’était jamais assez. Ils devaient souvent attendre des heures et des heures, parfois toute la journée, pour avoir un peu de nourriture.

    Pour avoir une chance, ils devaient venir la nuit

    « Les enfants et leurs voisins attendaient pendant des heures. Certains sont arrivés à 2, 4 ou 5 heures du matin alors qu’il faisait encore nuit. Certains ont laissé un panier ou une brique pour marquer leur place dans la file et sont partis faire autre chose.

    Une fois le soleil levé, les écoliers étudiaient et faisaient leurs devoirs pendant qu’ils attendaient. Ils ont attendu sous la pluie, lorsque le sol devenait boueux et glissant. Ils sont restés debout sous la chaleur, quand ils ont failli s’évanouir de soif et de faiblesse. »

    Ils faisaient déjà la queue avant la livraison de la nourriture, dans l’espoir d’en recevoir. Des familles ont envoyé leurs enfants, d’autres ont envoyé des personnes en avant pour faire la queue en leur nom – et bien sûr, elles ont dû attendre leur tour.

    Lorsqu’ils atteignaient enfin le début de la file, ils étaient souvent confrontés à des fonctionnaires peu amicaux.

    Vu se souvient :

    « Les fonctionnaires n’étaient pas amicaux. Ils étaient autoritaires et avaient du pouvoir. Nous avions l’impression de devoir mendier pour obtenir la nourriture qui nous revenait de droit. »

    Mais la famille n’avait pas le choix, elle devait accepter tout ce que les fonctionnaires jetaient dans leur sac :

    « Nous tenions nos sacs ouverts pour que les fonctionnaires y déversent du riz. Les travailleurs ont pris un seau, ont pris le riz d’un grand sac sur le chariot et l’ont mis sur une balance pour s’assurer qu’ils ne nous donnaient pas plus que la limite de notre famille.

    Nous savions que les fonctionnaires mettaient parfois des cailloux dans les sacs avec le riz, si bien que nous recevions moins de riz que ce à quoi nous avions droit, et souvent le riz était vieux ou moisi. Nous savions aussi que les travailleurs gardaient le bon riz , s’il y en avait, pour eux ou pour leurs amis – ou qu’ils le vendaient au marché noir pour gagner de l’argent. Cela nous mettait en colère, mais nous ne pouvions pas nous battre ou discuter avec les fonctionnaires. Que pouvions-nous faire, en tant qu’enfants ? »

    La quantité de nourriture reçue dépendait du statut de votre famille

    Les employés de l’État recevaient plus, les ouvriers d’usine moins. Et s’il n’y avait pas assez de riz, ils recevaient du blé à la place, même si beaucoup ne savaient pas quoi en faire. De toute façon, même s’ils savaient comment faire une miche de pain, ils ne pouvaient souvent pas le faire parce qu’ils ne pouvaient se procurer les autres ingrédients nécessaires.

    De plus, il leur fallait un four et de l’électricité pour l’alimenter, mais cette dernière n’était disponible que quelques heures par jour. Et plutôt que d’utiliser leur précieuse électricité pour cuisiner, ils l’utilisaient pour allumer une lampe ou écouter une vieille radio. Parfois, l’électricité était soudainement coupée et ils devaient alors allumer une bougie. Certaines familles volaient l’électricité mais le risque était grand.

    La famille de Vu était très fière de posséder un vieux vélo. Bien qu’il ait 10 ans, pour eux, c’était comme une Rolls Royce. À l’époque, dans les années 1980 et au début des années 1990, presque tout le monde au Vietnam roulait à bicyclette. Aujourd’hui, à Hanoi, on ne voit pas beaucoup de bicyclettes, car environ 85 % des véhicules circulant dans les rues sont des motocyclettes et des cyclomoteurs.

    L’Américaine Nancy K. Napier a compilé les récits ci-dessus des Vietnamiens avant et après les réformes dans son excellent livre The Bridge Generation of Việt Nam , allant jusqu’à intituler « famine» le chapitre sur la période avant les réformes. Elle a commencé à enseigner à l’Université nationale d’économie en 1994 et se souvient encore de ce que ses collègues lui ont dit lorsqu’elle a pris un peu de poids : « Nancy, tu es grosse ! » Elle leur a répondu qu’il ne fallait en aucun cas dire à une Américaine qu’elle était grosse.

    Ils ne comprenaient pas :

    « Oh, mais ça veut dire que vous êtes prospère. Vous avez assez de nourriture à manger pour pouvoir être grosse. Vous devez être heureuse ! »

    Lorsque j’ai donné une conférence dans cette même université en septembre 2022, j’ai vu des étudiants et des professeurs bien habillés et pleins d’ambition pour faire quelque chose de leur vie.

    Nancy Napier se souvient également s’être demandée pourquoi il y avait si peu d’oiseaux à Hanoï. Lorsqu’elle a posé la question, ses collègues vietnamiens ont eu l’air perplexe, comme si elle n’avait pas toute sa tête. Ils lui ont expliqué que les gens qui avaient faim attrapaient des oiseaux pour les manger, même de minuscules moineaux. À l’époque, de nombreuses personnes souffraient de malnutrition ou de carence en vitamine A.

    « Les jeunes mères ne pouvaient parfois pas produire assez de lait pour leurs enfants, alors certaines d’entre elles faisaient bouillir du riz et donnaient le lait de riz à leurs bébés, en espérant que les nutriments suffiraient. »

    Bach Ngoc Chien partage le souvenir suivant :

    « Quand j’étais adolescent, j’avais toujours faim. Ma famille de cinq personnes partageait trois bols de riz pour le déjeuner et trois bols pour le dîner. Nous, les enfants, partagions un bol pour le petit-déjeuner. Nous ne mangions presque jamais de viande, sauf à deux occasions : le nouvel an lunaire et l’anniversaire de la mort de mon grand-père. En 1988, lors de ma dernière année de lycée, je pense que je pesais moins de quatre-vingt-huit livres (quarante kilos). »

    Au Vietnam, cette période est connue sous le nom de Thoi Bao Cap (période des subventions) – c’était l’époque de l’économie socialiste planifiée, le temps avant que le Vietnam ne devienne successivement une économie de marché dans le sillage des réformes du Doi Moi qui ont débuté en 1986.

    Le Vietnam a complètement changé à la suite de ces réformes.

    Dans son livre Vietnam und sein Transformationsweg (en anglais : The Path to Transformation in Vietnam) Tam T. T. Nguyen écrit :

    « Au Vietnam, la pauvreté est passée d’un problème majoritaire à un problème minoritaire. »

    Avec un PIB par habitant de 98 dollars, le Vietnam était le pays le plus pauvre du monde en 1990, derrière même la Somalie (130 dollars) et la Sierra Leone (163 dollars). Avant le début des réformes économiques, l’échec de toute récolte signifiait la famine. Le Vietnam dépendait du soutien du Programme alimentaire mondial et de l’aide financière de l’Union soviétique et d’autres pays du bloc de l’Est.

    En 1993 encore, 79,7 % de la population vietnamienne vivait dans la pauvreté. En 2006, le taux de pauvreté était tombé à 50,6 %. En 2020, il ne sera plus que de 5 %, selon les chiffres de l’évaluation du Groupe de la Banque mondiale intitulée « From the Last Mile to the Next Mile ».

    Le Vietnam est aujourd’hui l’un des pays les plus dynamiques du monde, avec une économie qui crée de grandes opportunités pour ceux qui travaillent dur et les entrepreneurs. D’un pays qui était incapable de produire suffisamment de riz pour nourrir sa propre population, il est devenu l’un des plus grands exportateurs de riz au monde – et un exportateur majeur d’électronique.

    Tout cela a été rendu possible par des réformes capitalistes – car bien que le Vietnam se qualifie toujours officiellement de pays socialiste, vous trouverez moins de marxistes et plus de partisans de l’économie de marché au Vietnam qu’en Europe ou aux États-Unis. Le capitalisme n’est pas le problème, mais la solution – et le Vietnam en est un excellent exemple.

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      La fracture existentielle qui sépare le Brésil en deux

      Michel Faure · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 1 November, 2022 - 04:20 · 4 minutes

    Luíz Inácio Lula da Silva, élu de justesse (50,9 % des voix) le 30 octobre 2022, va présider deux Brésil irréconciliables : le sien et celui de Jair Bolsonaro, son adversaire et mauvais perdant (49,1 % des voix).

    Le premier promet l’illusion d’un retour au passé, celui d’un socialisme tropical assez inopérant, dépensier et solidaire avec des dictatures locales comme Cuba ou le Vénézuéla , mais aussi plus lointaines, avec la Russie et la Chine, cette dernière étant devenue son premier et encombrant partenaire commercial depuis 2009. Un passé par ailleurs révolu, alors que le présent annonce une récession mondiale, et pas très glorieux aussi pour avoir été entaché par la corruption et l’inaptitude à investir à long terme dans les infrastructures, l’industrialisation, les écoles et la santé.

    Le pays bénéficiait pourtant alors du boom des matières premières et des échanges commerciaux, et Lula en a profité pour subventionner les pauvres, ce qui suggère une empathie envers ces derniers – lui-même eut une enfance misérable -, mais aussi un clientélisme bien brésilien. Les pauvres sont les plus nombreux, et ils votent. Lula dit vouloir créer des emplois pour relancer l’économie. Mais avec quel argent ?

    Il exprime également son désir de préserver ce qui reste de l’Amazonie, mais en a-t-il les moyens ? Jadis farouche adversaire du projet de Washington d’une zone de libre commerce des Amériques, il va sans doute tenter de revitaliser sa diplomatie Sud-Sud et chercher à dominer l’arc de la gauche latino américaine, désormais articulé autour de Cuba, du Mexique, du Nicaragua, du Vénézuela, de la Colombie, du Pérou, de l’ Argentine et du Chili .

    Lula va également relancer les BRICS, une association dont l’intérêt reste à prouver. Brésil et Inde se retrouvent ainsi liés à une dictature communiste , la Chine, à une Russie soviétisée et belliqueuse, enfin à l’Afrique du Sud, démocratie à la probité problématique.

    Durant sa présidence, Jair Bolsonaro , ancien militaire et député obscur, ne s’est pas révélé un grand champion de la démocratie, et n’a pas non plus inventé l’eau tiède. Comme Lula, il fait référence au passé, mais un passé radicalement différent quand il chante les louanges d’une longue dictature militaire (1964-1985) au bilan économique calamiteux qui laissa à la démocratie renaissante une inflation à trois chiffres et un bilan humain désolant.

    Bolsonaro, traditionaliste radical, fervent évangéliste hostile à l’avortement, se présente comme le défenseur de la famille et de la liberté. Il a fait campagne en 2017 sur un programme économique très libéral, avec aux manettes un vieux banquier « Chicago Boy », Paulo Guedes, qui promit de déréguler  l’économie, privatiser des entreprises publiques, instaurer une flat tax et une réforme des retraites, alors extraordinairement inégalitaires. C’est finalement la seule réforme qui sera accomplie. La pandémie de la covid – que Bolsonaro traite de grippette pour ne pas entraver l’économie – met la politique entre parenthèses et frappe le Brésil, causant la mort de 600 000 personnes.

    À l’heure où sont écrites ces lignes, Bolsonaro n’a pas encore accepté sa défaite et reste silencieux. Dans un pays de 215 millions d’habitants, seuls deux millions de voix lui ont manqué. Il a perdu, mais avec un score honorable. Le sera-t-il, lui aussi ? Ou va-t-il refuser sa défaite et menacer le pays d’un coup d’état militaire dont on peut espérer qu’il n’aura pas lieu, mais qui doit inquiéter.

    La fracture du Brésil

    Le Brésil est cassé en deux, non pas entre les riches et les pauvres, ni entre les blancs et les autres, ou le sud contre le nord. La fracture est existentielle.

    Les partisans de Bolsonaro, parmi lesquels se trouvent de nombreux déçus de Lula, veulent la sécurité, la défense de leurs droits, voient la famille comme le réseau essentiel de la vie et du bonheur. Ils croient à la liberté d’entreprendre et à la défense de la propriété. Beaucoup sont croyants, et parmi eux, nombreux sont évangélistes. Tout cela ressemble à une classe moyenne conservatrice, mais en réalité elle se sent fragile, craint de tomber dans la pauvreté, laquelle est une réalité, et souvent un souvenir familial. Son inquiétude la conduit à chercher une autorité qui prône la main ferme et la foi en Dieu. De telles caractéristiques forment un Brésil idéal. Un Brésil d’extrême droite ? Je le vois plutôt conservateur.

    Les fidèles de Lula ont eux aussi une vision essentialiste de la gauche. Ils se souviennent de la générosité des subsides de Lula, de son charisme d’ancien ouvrier champion des pauvres et des démunis.L’emprisonnement de Lula pour corruption ne fut pas pour eux la justice rendue, mais un piège tendu par la droite. Dès lors, Bolsonaro est vu comme un militariste obtus, un personnage détestable et dangereux, ami de l’agro-business prêt à dévorer la forêt amazonienne .

    On voit mal ces « deux Brésil »  se réconcilier un jour alors que chacun d’eux incarne un pays singulier. Le rapport de force est équilibré, ce qui risque d’attiser des affrontements. Bolsonaro bénéficie de la majorité au Congrès et du soutien de nombreux gouverneurs de région. Lula a le peuple avec lui, lequel se voit, lui aussi, en incarnation d’un Brésil idéal.

    La désillusion, d’un côté comme de l’autre, est pour bientôt.

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      Le socialiste d’aujourd’hui n’est pas le socialiste d’antan

      Finn Andreen · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 28 January, 2021 - 04:00 · 9 minutes

    le socialiste

    Par Finn Andreen.

    Les libertariens se demandent souvent pourquoi le socialisme continue à être si populaire, alors qu’il s’est avéré être un tel échec en tant qu’idéologie politique et système économique. Bien que l’idéologie de l’éducation publique et des médias traditionnels soient des raisons importantes qui expliquent cela, la persévérance obstinée du socialisme est aussi quelque peu fictive, car le socialisme a évolué : le socialiste d’aujourd’hui n’est pas le socialiste d’antan.

    Cette distinction est importante à garder en tête lors de l’élaboration d’une éducation libertarienne pour contrer cette évolution.

    La différence entre le socialiste traditionnel et le socialiste moderne

    La différence entre le socialiste traditionnel et le socialiste moderne correspond à la distinction que Ludwig von Mises a proposée entre le socialisme et l’intervention de l’État dans le libre marché. Les socialistes traditionnels, d’influence marxiste directe, ont presque disparu, en même temps que les expériences socialistes ont échoué, l’une après l’autre, au cours du XXe siècle. Personne se qualifiant aujourd’hui de socialiste ou de gauche ne pense que la nationalisation des moyens de production est la meilleure façon d’organiser la société. Aucun socialiste moderne ne justifie l’oppression politique et l’étouffement économique typiques de l’État socialiste.

    Cependant, les socialistes modernes ferment toujours les yeux sur les preuves, maintenant irréfutables, montrant que le marché libre est le plus grand créateur de richesse de l’ histoire , même quand il est entravé par l’intervention de l’État. Ils refusent toujours d’accepter que des milliards de personnes ont été sauvées de la pauvreté par le capitalisme – en version dégradée – et que des centaines de millions de personnes aient rejoint la classe moyenne grâce à la libéralisation du commerce international et à l’ouverture de larges pans des économies des pays en développement.

    Le socialiste moderne est donc une créature paradoxale

    Il accepte le libre marché et en même temps le rejette. Croire au libre marché dans certains cas mais pas dans d’autres est une position idéologique pour le moins ambiguë, qui semble intellectuellement intenable et qui devrait au moins être défendue. Mais les socialistes modernes n’ont généralement pas cette incohérence intellectuelle. Ils considèrent plutôt, souvent sans donner de précisions, que le libre marché fonctionne dans une certaine mesure et qu’il doit être limité et contrôlé.

    Ils sont convaincus que l’État doit jouer un rôle fondamental dans la société, pour protéger les travailleurs contre le capitalisme sauvage, qui autrement non seulement continuera à les opprimer, mais détruira la civilisation elle-même.

    Parmi les socialistes modernes on trouve évidemment la gauche radicale et les sociaux-démocrates, ainsi que les élites libérales et la droite, mais aussi tous les conservateurs ayant abandonné le libéralisme classique pour s’adapter au temps. Les socialistes modernes représentent donc une grande et hétérogène majorité, mais ils ont une chose en commun : leur confiance dans l’État.

    Suivant la dichotomie de Mises ci-dessus, les socialistes modernes peuvent donc aussi être appelés étatistes . Comme le nom l’indique, les étatistes estiment que l’État doit intervenir sur le marché pour corriger ses nombreux excès imaginés et fournir un cadre réglementaire sans lequel, ils sont convaincus, il partirait en vrille. De vastes secteurs de l’économie (comme l’éducation ou la santé) doivent être placés sous le contrôle de l’État, s’ils ne le sont pas déjà.

    Les secteurs qui peuvent, selon eux, rester dans le domaine privé, doivent néanmoins être réglementés par l’État et protégés, si nécessaire, par des subventions, des tarifs , et d’autres types de redistribution . Les étatistes aimeraient souvent, même s’ils ne l’admettent pas toujours ouvertement, que les valeurs sociales et culturelles considérées comme inappropriées, comme le consumérisme ou le conservatisme, soient étouffées par l’État.

    La popularité de ces idées a eu de graves conséquences économiques, politiques et sociales au cours des dernières décennies, en France comme ailleurs. La plupart des étatistes ont de bonnes intentions, mais ils ont été éduqués avec une idéologie souvent basée sur des convictions erronées, des malentendus, et franchement, de l’ignorance.

    Le socialiste moderne et le capitalisme

    L’erreur la plus fondamentale que font les étatistes, et qui trahit leur manque de connaissance libertarienne, est peut-être la façon dont ils définissent le capitalisme. Ce qu’ils nomment capitalisme est en fait capitalisme d’État . C’est le capitalisme en tant que corporatisme, avec ses abus de pouvoir, ses monopoles artificiels, ses stratégies industrielles, et sa capture réglementaire.

    Les libertariens ont depuis longtemps dénoncé ces pratiques injustes et précisé qu’elles sont inévitables lorsque l’État s’immisce dans la vie économique de la société. En d’autres termes, ce que beaucoup d’étatistes pensent confusément être du capitalisme débridé, est en fait l’économie de marché bridée par l’État. Ils confondent cause et effet, puisque c’est l’implémentation de leurs propres idées étatiques qui ont créé les conditions politiques et économiques qu’ils critiquent aujourd’hui.

    Autrement dit, ils sont convaincus que l’État doit intervenir dans la société pour corriger les problèmes dont il est lui-même largement responsable.

    La plupart des étatistes ne sont pas conscients de cette contradiction, ni des conséquences néfastes de leurs convictions politiques. Ceci n’est pas surprenant, car ils n’ont pas appris comment fonctionne réellement l’économie de marché et les nombreuses façons dont l’intervention de l’État la déforme. Ils adhèrent simplement aux idées et valeurs étatistes qu’ils ont reçues dès leur très jeune âge par l’éducation publique, les média s, et souvent involontairement, par la famille et les amis.

    L’écrasante majorité de la population n’a malheureusement jamais été initiée au libertarianisme, et ne possède donc pas les outils conceptuels pour comprendre pourquoi cette doctrine étatiste de la société est erronée.

    Un besoin urgent d’éducation libertarienne

    Il y a donc un besoin criant pour un autre type d’éducation – une éducation aux piliers économiques et politiques du libertarianisme ; respectivement, l’ économie autrichienne et le droit naturel . Il peut sembler présomptueux, voire condescendant, de suggérer que les socialistes modernes ont besoin d’être éduqués. Il serait en effet présomptueux de proposer une éducation alternative à celle que reçoit la grande majorité si la société moderne était libre, pacifique, harmonieuse et riche. Mais ceci n’est pas le cas, comme la plupart des étatistes le reconnaissent immédiatement.

    En outre, les libertariens gardent souvent une certaine humilité, car la plupart étaient eux-mêmes étatistes avant de recevoir cette même éducation de la liberté. D’ailleurs, c’est peut-être pour cela que les libertariens comprennent si bien les étatistes, alors que l’inverse n’est presque jamais le cas.

    La distinction entre les socialistes traditionnels et modernes est pertinente pour l’élaboration d’une telle éducation libertarienne. Puisque les socialistes modernes interprètent et expriment le socialisme différemment des socialistes traditionnels, l’éducation nécessaire pour convaincre les étatistes de la folie de leurs idées politiques et économiques ne peut pas être la même que celle utilisée dans le passé.

    Les socialistes traditionnels devaient être sensibilisés avant tout à la définition de la liberté, aux conséquences désastreuses de la planification centralisée, et au rôle essentiel des prix dans la société. C’est pourquoi ils devaient apprendre la critique du marxisme de Böhm-Bawerk, la critique de Mises sur le calcul en économie socialiste, l ’avertissement de Hayek contre le collectivisme, ainsi que sa théorie non moins connue sur l’ utilisation de la connaissance dans la société.

    Cette éducation, bien que toujours fondamentale, n’est plus aussi importante qu’elle ne l’était autrefois, car les socialistes modernes ont déjà implicitement appris ces leçons. Ils se rendent compte que la théorie de la plus-value de Marx est erronée, qu’une économie planifiée et la tentative d’abolir la propriété privée conduisent à l’effondrement de la société. Les étatistes ont plutôt besoin de recevoir une éducation aux causes et conséquences de l’intervention de l’État dans une société libre.

    L’éducation du socialiste moderne devrait donc contenir des concepts clés tels que l’ effet Cantillon, la loi de Say, le sophisme de la vitre cassée de Bastiat, l’ analyse de l’État par Rothbard, et la critique de la taxation par Hoppe.

    Ces lois économiques et ces principes libertariens sont essentiels pour comprendre pourquoi une société basée sur le capitalisme d’État devient insoutenable et instable à long terme. Une telle société ne peut plus s’améliorer et s’engage alors inévitablement dans un déclin économique, social et culturel.

    L’éducation libertarienne est fondamentale pour renverser cette tendance, pour apprendre aux jeunes générations que le socialisme moderne est intrinsèquement décadent, car elle génère une diminution de l’épargne individuelle, un affaiblissement des liens familiaux, une disparition de la responsabilité personnelle, et une crise de confiance dans le système politique. Ce sont des conséquences prévisibles du socialisme moderne.

    La faillite morale et économique du système politique actuel, et avec celle-ci la réalisation que ce système arrive maintenant au bout du rouleau, pourrait rendre de nombreux étatistes plus réceptifs qu’avant aux réponses que le libertarianisme propose. L’éducation du socialiste moderne devrait aussi être plus simple que la conversion d’un socialiste traditionnel au libertarianisme.

    Ce dernier était souvent armé d’une dialectique solide basée sur les textes de Hegel, Marx, Engels et Lénine. Mais la plupart des socialistes modernes n’ont jamais lu ces auteurs et ne connaissent au mieux que vaguement leurs idées, aussi erronées et dangereuses soient-elles. Les étatistes n’ont pas réellement d’idéologie à proprement parler ; leurs convictions politiques sont souvent basées davantage sur des émotions que sur des principes. Un exemple typique est celui où payer ses impôts est fièrement considéré comme un acte de solidarité.

    L’éducation du socialiste moderne doit donc aussi inclure la moralité. Les étatistes ont besoin d’être convaincus que l’adoption des idées libertariennes fera d’eux de meilleures personnes. S’ils s’embarquent dans cette éducation avec un esprit ouvert, s’ils prennent le temps de vraiment comprendre les arguments politiques et économiques du libertarianisme, ils verront que le capitalisme, correctement définie, conduit à la société la plus pacifique, stable et juste.

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      L’État français, à des années-lumière du citoyen

      Jean Kircher · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 28 January, 2021 - 03:45 · 3 minutes

    état français

    Par Jean Kircher

    Pour nos sociétés modernes et démocratiques l’un des objectifs prioritaires devrait être le bien-être et le confort des citoyens afin qu’ils puissent vérifier et utiliser quotidiennement les progrès que nos gouvernements mettent en œuvre.

    En voyageant régulièrement dans toute l’Europe on se rend compte que pour la France et les Français le compte n’y est pas.

    L’État français très éloignés du citoyen, à bien des niveaux

    Ainsi le téléphone et les connections internet dont le réseau est supposé couvrir tout le territoire. Les zones blanches sont innombrables et il est courant que les services en cause répondent que nous sommes en bout de ligne. En dehors des grandes agglomérations c’est le cas partout. Dans le petit Luxembourg le moindre ménage dispose d’une connexion de 80 gigas. Pour avoir la même chose en France il faut passer par les grands opérateurs contre paiement supplémentaire.

    Ainsi les routes. En dehors du réseau autoroutier privé un tiers des autres routes sont en mauvais état . En période de neige les sableuses sont notoirement en sous-effectifs. Le seul service qui fonctionne remarquablement c’est le contrôle des vitesses.

    Sur les 800 000 ronds-points installés en Europe, 600 000 se trouvent en France . C’est la solution économique que notre grand pays a trouvé pour éviter de construire ponts, tunnels et contournements. L’automobiliste, lui, se démène dans des bouchons interminables et polluants.

    Rares sont les villes contournées. En Allemagne, toutes les grandes villes le sont et les villes moyennes sont traversées par des tunnels. La Suisse a voté un budget de 250 milliards sur dix ans pour relier toutes les grandes villes par des tunnels souterrains .

    Sur les autoroutes , les aires dédiées aux camions sont minuscules, les entrées en station deviennent donc de vrais parcours de combattant afin d’éviter que les poids-lourds n’encombrent le passage. Aménager de grands « Lorry-center » à l’allemande n’est pas prévu.

    Ainsi les voies navigables. Le gouvernement Jospin a définitivement enterré le projet Rhin-Rhône qui aurait pu devenir l’axe majeur européen de circulation des marchandises. Tant pis pour la pollution économisée et les routes dégagées.

    N’abordons même pas la monstrueuse désindustrialisation de la France dont nous n’avons pas fini de payer le prix.

    Nos villes deviennent tabou pour les automobilistes mais on ne construit pas pour autant les parkings de dégagement. Il s’agit juste de contenter les écologistes. Contourner définitivement la région parisienne ne fait pas partie des projets de nos penseurs.

    Tout se fait à l’économie car l’État n’a plus les budgets nécessaires pour ce genre d’investissements. Il s’agit prioritairement de payer les six millions de fonctionnaires dirigés par une oligarchie généreusement entretenue et très éloignée des réalités au-delà du périphérique parisien.

    Donc les besoins du peuple, on s’en moque. On embarque la populace dans de grands projets prestigieux qui font la grandeur de la France.

    Ainsi le Centre Pompidou qui fut en son temps un phare de la culture moderne française n’a jamais été entretenu pendant plus de 15 ans. Aujourd’hui il est fermé pour près de quatre années de rénovation . C’est typiquement français : on inaugure en grande pompe mais on ne prévoit plus les budgets d’entretien pour finalement recommencer à zéro. Pour beaucoup plus cher.

    Nous vivons de plus en plus dans une société virtuelle ou l’on confond webinars et télétravail avec efficacité et avenir, santé avec économie en berne, distantiel avec  présentiel pour finir avec un peuple appauvri et  méprisé.

    À force de prioriser le social assisté, les revendications des minorités bruyantes, le bien-être animal, celui des citoyens finit par être méprisé. Avec un niveau de vie en baisse, un chômage en hausse, un déficit désespérément chronique et un endettement sans fin, nous ne sommes pas prêts de voir notre quotidien s’améliorer.

    Mais le coq sur son tas de fumier continue de chanter…

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      Santé.fr ou le nouveau raté de l’État providence français

      Jean-Philippe Feldman · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 19 January, 2021 - 04:00 · 3 minutes

    Santé.fr

    Par Jean-Philippe Feldman.

    Alors que le tourisme français est en berne, notre État providence préféré a eu la bonne idée de promouvoir cette charmante ville d’Auxerre pour s’y faire vacciner.

    La mésaventure est arrivée en fin de semaine dernière à l’un de mes proches, une personne âgée (on ne dit plus « vieux » selon le politiquement correct) de plus de 75 ans. Seul hic, cette personne est parisienne et après de nombreuses tentatives infructueuses pour s’y connecter le site déjà proverbial Sante.fr l’a envoyée se faire vacciner à 169 kilomètres de Paris, soit à peu près plus de deux heures de la capitale par la route ou par le train.

    Le désastre de Sante.fr

    Ce cas n’est manifestement pas isolé puisque le journal télévisé de samedi soir sur une chaîne nationale, dont l’antimacronisme n’est pourtant pas la caractéristique la plus notable, contait la même mésaventure arrivée à moult personnes.

    Rappelons que le site Sante.fr a pour objet de trouver le centre de vaccination le plus proche de chez soi et de prendre rendez-vous en ligne. Paris doit être une modeste ville pour ne disposer d’aucun centre de vaccination… À moins que le vaccin bourguignon soit plus efficace arrosé de chablis ? Je vois déjà les heureux élus trinquer à votre bonne santé.fr !

    L’anecdote incite à l’humour, mais elle est aussi révélatrice de gouvernements qui ne maîtrisent rien depuis l’origine de la pandémie . Initialement, on pouvait encore trouver l’excuse ou l’explication de la sidération ou du fait que la sphère publique n’avait comme de bien entendu rien anticipé.

    Mais, depuis lors, tant la centralisation extrême que la bureaucratie galopante ont provoqué ratage sur ratage. Après les masques, les appareils de réanimation, les super-réfrigérateurs, voici l’épisode des prises de rendez-vous pour se faire vacciner… ce qui suppose qu’il y ait des vaccins et rien n’est moins sûr !

    Le boulet de l’État providence

    On aurait envie de faire preuve d’indulgence car si la critique est aisée, l’art est difficile. Mais ce n’est pas une question de personne pour l’essentiel. Ce sont les caractéristiques mêmes de l’« exception française » qui expliquent les atermoiements et en définitif les échecs des gouvernants.

    Avec un système aussi centralisé et bureaucratique qu’est l’État français, de deux choses l’une. Soit les décisions centrales sont en elles-mêmes « bonnes » à l’origine, peut-être par hasard, mais leur exécution pâtit de ce centralisme exacerbé. Soit les décisions centrales sont mauvaises car elles ne prennent pas en compte la « complexité » du monde contemporain.

    Dans les deux cas, la bureaucratie, le fonctionnarisme, les lourds prélèvements obligatoires, l’écrasement de la société civile font de l’État providence français non pas un modèle, mais un repoussoir.

    Si la pandémie a une vertu, c’est au moins que les discours sur le « système social que le monde entier nous envie » ont presque disparu. Il reste malheureusement celui selon lequel « il faut lui donner des fonds supplémentaires car il a été victime de la rigueur budgétaire ». Faut-il rappeler que le socialisme ne se réforme pas, il se supprime ?

    Jean-Philippe Feldman vient de publier Exception française. Histoire d’une société bloquée de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron , Odile Jacob, 2020.

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      11 novembre, armistice et suicide de l’Europe libérale

      Daniel Tourre · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 11 November, 2020 - 04:17 · 6 minutes


    Par Daniel Tourre.

    Extrait de Pulp Libéralisme, la tradition libérale pour les débutants , Éditions Tulys .

    Le 11 novembre 1918 marque l’armistice de la Première Guerre mondiale mais malheureusement pas la fin du suicide européen par le nationalisme guerrier ou le socialisme.

    Car par-delà ses massacres de masse et ses destructions, cette Première Guerre mondiale marque la fin de l’âge d’or européen, un âge d’or largement libéral.

    Dans son autobiographie Le monde d’hier , souvenirs d’un Européen Stefan Zweig (1881-1942) raconte l’Autriche et la Vienne de la Belle Époque. Il ne s’agit pas d’une société complètement libérale sur le plan institutionnel comme sur le plan des mœurs, mais par bien des aspects, elle l’était davantage que l’Europe et la France de 2012.

    J’ai connu avant-guerre la forme et le degré les plus élevés de la liberté individuelle et, depuis, le pire état d’abaissement qu’elle eût subi depuis des siècles…

    Son livre, tragique et émouvant, nous fait suivre la longue descente aux enfers de l’Europe, à travers sa vie de jeune étudiant juif viennois jusqu’à son exil au Brésil , fuyant le nazisme, peu avant son suicide.

    Il n’est pas libéral mais son témoignage est intéressant à plus d’un titre par sa description d’une société largement libérale (et bourgeoise) de la Vienne de la Belle Époque.

    Notre monnaie, la couronne autrichienne, circulait en brillantes pièces d’or et nous assurait ainsi son immutabilité. Chacun savait combien il possédait ou combien lui revenait, ce qui était permis ou défendu. Qui possédait une fortune pouvait calculer exactement ce qu’elle rapportait chaque année en intérêt […] Chaque famille avait son budget bien établi, elle savait ce qu’elle aurait à dépenser pour le vivre et le couvert, pour les voyages estivaux et la représentation […] Le XIXe siècle, avec son idéalisme libéral, était sincèrement convaincu qu’il se trouvait sur la route droite qui mène infailliblement au « meilleur des mondes possibles ». On ne considérait qu’avec dédain les époques révolues, avec leurs guerres, leurs famines et leurs révoltes, on jugeait que l’humanité, faute d’être suffisamment éclairée, n’y avait pas  atteint la majorité. Il s’en fallait de quelques décades à peine pour que tout mal et toute violence soient définitivement vaincus, et cette foi en un progrès fatal et continu avait en ce temps là toute la force d’une religion. Déjà l’on croyait en ce « Progrès » plus qu’en la Bible, et cet évangile semblait irréfutablement démontré par les merveilles sans cesse renouvelées de la science et de la technique… On ne croyait pas plus à des retours de barbarie, tels que des guerres entre les peuples d’Europe, qu’on ne croyait aux spectres et aux sorciers ; nos pères étaient tout imbus de la confiance qu’ils avaient dans le pouvoir et l’efficacité infaillibles de la tolérance et de l’esprit de conciliation. Ils pensaient sincèrement que les frontières et les divergences entre nations et confessions se fondraient peu à peu dans une humanité commune et qu’ainsi la paix et la sécurité, les plus précieux des biens, seraient impartis à tous les hommes. Stefan Zweig, Le monde d’hier , 1944.

    Il décrit ainsi sur plusieurs pages une société libre mais où prédomine un sentiment incroyable de sécurité. Une société dynamique sur le plan culturel, scientifique, technique et économique sans pour autant une haine rageuse contre le passé. Une société où l’on peut aller, venir et s’établir d’un bout à l’autre de l’Europe sans passeport. Une société avec une monnaie saine, une société où les plus démunis sortent massivement de la misère noire sous la poussée du capitalisme libéral. Pour ceux qui ont un peu voyagé, cet optimisme vibrant n’est pas sans rappeler l’atmosphère qui règne aujourd’hui dans certains pays émergents asiatiques.

    Cette société avait bien sûr ses tares, son puritanisme, sa pauvreté et ses hypocrisies, mais elle donne une vision vertigineuse de ce que le XXe siècle et ses idéologies totalitaires ont fait à notre culture commune, l’Europe libérale . Prisonniers d’un État-nounou omniprésent, d’une haine de soi latente forgée par ces deux guerres et le colonialisme, d’une peur de l’avenir, de rancœurs, d’une course institutionnelle à la victimisation, nous réalisons tout ce que nous, Européens, avons perdu en liberté et en âme avec le nationalisme guerrier et le socialisme du XXe siècle.

    Cette autobiographie permet de voir que la liberté ne s’oppose pas à un sentiment de sécurité économique, au contraire. L’État mammouth et sa bureaucratie coûteuse limitent la liberté sans même servir la sécurité. L’angoisse collective dans laquelle nous baignons actuellement en témoigne.

    Les opéras de Vienne de 1900 montrent aussi que la liberté n’entraine pas mécaniquement la médiocrité mais peut être source d’une excellence à tous les niveaux.

    Elle permet en passant de renvoyer dans les cordes les nouveaux nationalistes étatistes – de Zemmour à Le Pen – se lamentant sans fin sur l’ultra-libéralisme foudroyant la France ou l’Europe. L’Europe foudroyée, c’est la conséquence de leurs doctrines politiques et économiques, pas de la doctrine libérale. Ils peuvent garder leurs leçons, nous payons encore collectivement le prix de leurs idéologies protectionnistes, socialistes ou nationalistes, qu’ils tentent de nous resservir aujourd’hui parfois à l’identique.

    La guerre est toujours un désastre. Elle est aussi comme le savent depuis longtemps les libéraux , un prétexte parfait pour augmenter de manière démentielle le périmètre de l’État. Nous ne nous sommes pas encore remis des deux guerres mondiales, ni de leurs conséquences institutionnelles.

    Nous allons bientôt fêter le centenaire du suicide de l’Europe libérale. 1914-2014 semble être une bonne occasion de fermer la parenthèse de l’étatisme délirant de ce XXe siècle, dans nos têtes et dans nos institutions. Il ne s’agit pas d’une nostalgie pour une époque révolue, ni de nier les évolutions favorables qu’a apporté le XXe siècle, mais de sortir de ce monde crépusculaire que nous nous infligeons et que nous infligeons à nos enfants,  il s’agit de retrouver le cap perdu de la liberté.

    … Malgré ce que moi-même et mes innombrables compagnons  d’infortune avons souffert d’humiliations et d’épreuves, il ne m’est pas possible de renier sans recours la foi de ma jeunesse et de désespérer d’un relèvement et d’une nouvelle renaissance. De l’abîme de terreur où nous marchons comme des aveugles, l’âme bouleversée et le cœur brisé, je jette encore un regard vers ces anciennes constellations qui resplendissaient sur ma jeunesse et me console avec la confiance héréditaire que cette décadence ne paraîtra qu’une interruption momentanée dans le rythme éternel de l’irrésistible progrès… Stefan Zweig, Le monde d’hier, 1944 .

    – Stefan Zweig, Le monde d’hier, Souvenirs d’un Européen , 1944, 506 pages, Le Livre de Poche, 1996.

    Cet article a été publié une première fois en 2018.

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      Marc Fumaroli, l’esthète libéral contre le socialisme culturel

      Henri Astier · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 3 July, 2020 - 03:35 · 6 minutes

    Par Henri Astier.

    Les ouvrages de Marc Fumaroli sur le XVIIe siècle et l’histoire de la littérature lui ouvrirent les portes du Collège de France, de l’université américaine, et de l’Académie française. Mais sa célébrité auprès du grand public, sa transformation d’érudit distingué en intellectuel reconnu, il les doit à un court essai polémique paru en 1991, L’État culturel .

    Fumaroli ne fut pas le seul à dénoncer les politiques culturelles de l’après-1981. De talentueux auteurs tels que Michel Schneider ou Maryvonne de Saint-Pulgent ont mis en évidence la gabegie, le copinage et le détournement idéologique qui ont caractérisé les années Lang. Régulièrement brocardé par les satiristes du Bébête Show, le mandarin de la place des Vosges avait déjà perdu beaucoup de sa superbe.

    Marc Fumaroli analyse le système étatique

    Le grand apport du livre de Fumaroli fut d’aller au-delà de la critique mordante et d’ancrer son argumentation dans la pensée libérale. Le titre annonce la couleur : son principal objet n’est pas une politique, ou les hommes qui l’ont menée, mais un État.

    Fumaroli souligne moins les dérives que la logique d’un système. Il analyse les conséquences de la prise en charge de tout un secteur – en l’occurrence la culture – par le pouvoir politique.

    Il qualifie le consensus dont fait l’objet cette mise sous tutelle de « religion moderne » . Il s’agit d’ un culte bien français . Contrairement aux États-Unis où les subventions au National Endowment for the Arts font régulièrement l’objet de polémiques, ou à l’Angleterre où l’Arts Council peine à protéger son mince budget, il règne en France « un climat d’euphorie contagieuse » qui « protège les affaires culturelles et le garantit contre tout chagrin ».

    Il est largement admis que l’État doit jouer un rôle primordial dans la création artistique, qui dépérirait sans son action.

    Marc Fumaroli souligne par ailleurs le caractère moderne de cette religion. Il est faux de prétendre que la France a toujours subventionné les artistes. Sous la Troisième République, le plus libéral des régimes que le pays ait connu, il n’y avait pas de culture d’État.

    En créant un nouveau ministère des Arts en 1881, Léon Gambetta prend une position exactement contraire à la prodigalité militante que Jack Lang adoptera un siècle plus tard. Il déclare :

    « Pour faire œuvre utile, vraiment féconde et réellement conforme à nos traditions, le ministère des Arts n’a pas besoin de multiplier les départements d’État toujours coûteux et souvent stériles. »

    La Troisième n’est pas dépourvue de politique culturelle, mais celle-ci repose sur la préservation du patrimoine. De même, le Front populaire, dont Jack Lang se réclamait, a innové en matière d’accès à la culture, mais pas dans l’aide aux artistes. Or, poursuit Fumaroli, on ne peut pas dire que la France de l’époque ait manqué de dynamisme culturel.

    De Daniel Kahnweiler, à Jacques Doucet et Jacques Rouché, des mécènes privés ont suscité un épanouissement des arts plastiques. La musique, le ballet et la littérature ont fleuri sans prébendes. Sous la Troisième République, Paris fut la capitale culturelle du monde.

    L’intervention de l’État dans les arts

    Ce sont les contempteurs du régime, tel le mouvement Jeune France, encouragé par le gouvernement de Vichy, qui préconisent le soutien à la création. Après la guerre, l’esprit du temps et le prestige du socialisme perpétuent cette idée. La mise en œuvre commencera par le théâtre, sous l’impulsion de la haute fonctionnaire Jeanne Laurent qui publie en 1955 un essai influent, La République des beaux-arts .

    André Malraux légitimera l’intervention de l’État dans tous les arts. La mission de son nouveau ministère, selon le décret qui l’inaugure, est « d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et de favoriser la création des œuvres d’arts et de l’esprit qui les enrichissent. » Et il donnera à cette tâche un souffle messianique : il s’agit ni plus ni moins que d’ « accomplir le rêve de la France, rendre la vie à son génie passé, donner la vie à son génie présent et accueillir le génie du monde. »

    Le pli est pris. Comme Fumaroli le montre, Jack Lang prolonge l’ambition malrucienne en mettant davantage en avant l’encouragement à la création que le patrimoine. Par ailleurs, il multiplie à l’infini le nombre de créateurs à encourager. L’ambition de son ministère est de « permettre à tous les Français de cultiver leur capacité d’inventer et de créer, d’exprimer librement leurs talents et de recevoir la formation artistique de leur choix. »

    Jack Lang ou l’extension du domaine du socialisme

    Son combat se distingue en outre par une remarquable extension du domaine de la lutte. Dans un célèbre discours prononcé en 1981 , Lang qualifie de culturels l’abolition de la peine de mort, la réduction du temps de travail, le respect du tiers monde, la reconnaissance des droits des travailleurs, entre autres, et conclut : « Sur chaque membre du gouvernement repose une responsabilité artistique évidente. »

    Dans tout autre pays, une telle déclaration aurait fait rire. Loin de provoquer les moqueries, le lyrisme languien a inspiré les dirigeants français de tous bords. Lorsque Jacques Chirac déclare que « la France ne serait pas la France sans une grande ambition culturelle » , ou qu’Emmanuel Macron assure aux professionnels du spectacle que « l’avenir ne peut s’inventer sans votre pouvoir d’imagination » – et que, Covid ou pas, le contribuable continuera à les payer à plein temps – ces présidents communient à la religion identifiée par Fumaroli.

    L’État culturel n’a rien perdu de son actualité. Consciemment ou non, il se situe dans le fil des théories libérales du public choice . Lorsqu’il accroît ses attributions, l’État augmente le nombre de parties intéressées ainsi que les enjeux, et donc le risque de capture de son action par ces parties.

    D’où la faiblesse inhérente à l’État hypertrophié (impuissance par ailleurs analysée par Jean-François Revel , ami et collègue académicien de Fumaroli). Dans un pays où l’intérêt public est assimilé au pouvoir étatique, les mécanismes de défense face aux phagocytes qui en vivent sont faibles.

    Le libéralisme imprègne une grande partie de l’œuvre de Fumaroli. Ainsi sa biographie de Chateaubriand ( Chateaubriand, poésie et terreur , Gallimard, 2003) réfute la réputation de réactionnaire calotin qu’on fait communément à l’auteur de René . Fumaroli le présente au contraire comme un défenseur passionné de la liberté et devancier de son neveu Tocqueville .

    Marc Fumaroli écrit de Chateaubriand qu’ « il n’éprouvera la moindre nostalgie ni pour l’esprit du siècle où il était né, ni pour l’état de la société politique française où il avait grandi, ni pour les hiérarchies et privilèges auxquels son père et son frère aîné étaient farouchement attachés… Camisole de force du royaume, l’absolutisme sacré a empêché sa vocation latente, la monarchie libérale. »

    Nul n’a lutté contre le despotisme et l’arbitraire – sous l’Ancien régime, la Révolution, de Napoléon ou la Restauration – avec autant d’éloquence que Chateaubriand.

    Si beaucoup voient aujourd’hui en lui un conservateur obscurantiste, c’est que nos catégories politiques (droite/gauche, révolutionnaire/contre-révolutionnaires) tendent à escamoter l’héritage libéral de la France. Fumaroli aura contribué à rappeler cet héritage à notre souvenir.