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      La militarisation du maintien de l’ordre en France : vers une dérive autoritaire ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 18 April, 2023 - 02:45 · 8 minutes

    Par Bryan Muller.

    Depuis l’utilisation du 49.3 par Élisabeth Borne le 16 mars, les manifestations connaissent un regain de colère qui se traduit par une augmentation des incidents en marge des manifestations contre le projet de réforme des retraites. La frustration et l’exaspération laissent de plus en plus souvent place à l’expression physique du mécontentement social qui n’a pu se manifester concrètement au Parlement.

    Pour répondre aux jets de pierres et aux poubelles brûlées , le ministère de l’Intérieur a mis en place un important déploiement de force , acte jugé excessif et inapproprié sur la scène internationale par différents observateurs comme Amnesty International .

    À ces accusations graves de violations répétées des droits humains (manifester, circuler librement, exprimer publiquement ses opinions sans risque), le gouvernement retourne le vecteur : ce ne seraient pas les excès d’une partie des forces de l’ordre qui poseraient problème, mais « les factieux », ces manifestants qui voudraient renverser le pouvoir.

    Auditionné mercredi 5 avril par la commission des lois de l’Assemblée nationale puis par le Sénat, Gérald Darmanin l’assure encore , « la poussée extrêmement forte des violences » est due exclusivement à « l’ultragauche », aux « casseurs » et – s’il voulait faire dans la provocation, dit-il – aux preneurs d’otages (il parle de « prise d’otages » de la part des manifestants violents). Ces affirmations en viennent à omettre un autre facteur essentiel pour saisir la situation actuelle : l’évolution récente du protocole du maintien de l’ordre français .

    Le LBD, exemple d’une militarisation accrue des forces de l’ordre

    Depuis une trentaine d’années , les gouvernements successifs ont décidé de renforcer le matériel des gendarmes mobiles et des CRS qui sont les principales forces de l’ordre mobilisées pour encadrer les manifestations. L’armure, le pistolet, le gaz lacrymogène et des armes de guerre reconnues comme telles par l’État ( fusils d’assaut , grenades de désencerclement , LBD ) deviennent peu à peu partie intégrante de l’équipement standard pour le maintien de l’ordre.

    L’un des symboles de ce nouvel équipement est le lanceur de balles de défense (LBD). Introduit par Claude Guéant en 1995, le LBD est interdit dans le cadre des manifestations et expérimenté dans des unités spéciales pour lutter contre le terrorisme et les prises d’otage. Ce choix s’explique aussi bien par les pressions subies par le Conseil de l’Europe , que par la mort de Malik Oussekine en 1986 qui reste encore dans les esprits des dirigeants politiques.

    L’affaire Malik Oussekine, 1986, INA.

    Il faut attendre au moins 2007 pour que le LBD soit utilisé à titre expérimental en manifestation , et son premier usage se solde par une blessure grave. En effet, un lycéen est énucléé et, après onze années de procès, la justice reconnaît que le policier avait illégalement et illégitimement tiré sur un manifestant inoffensif.

    Une « dangerosité totalement disproportionnée »

    Par cette décision prise en juillet 2018, le tribunal administratif fait donc suite à plusieurs condamnations émises par d’autres instances françaises : l’inspection générale des services s’alarme du non-respect des règles permettant l’usage du LBD par les forces de l’ordre en juillet 2009, la Commission nationale de déontologie de la Sécurité (qui était chargée de veiller à la déontologie des forces de sécurité publiques et privées) s’inquiète de la « dangerosité totalement disproportionnée » du LBD en manifestation, ou encore le défenseur des droits en demande l’interdiction en manifestation en 2015 tant l’arme se révèle dangereuse et inutile (même sans les LBD, « la police n’est pas désarmée », elle dispose d’autres outils moins dangereux pour maintenir l’ordre).

    Pourtant, en décembre 2018, le troisième acte des Gilets jaunes marque également celui du retour en force du LBD. En seulement quatre mois, plus de 13 000 tirs de LBD sont réalisés contre les manifestants.

    Selon le journaliste David Dufresnes , en l’espace d’un an, plus de 300 Gilets jaunes sont sérieusement blessés et une trentaine éborgnés suite à ces tirs. Le LBD, cette arme de guerre selon les réglementations françaises et internationales , est passé en moins de trois décennies du statut d’arme expérimentale antiterroriste à celui d’« arme non létale ».

    Un maintien de l’ordre efficace et plus pacifié dans le dernier tiers du XX e siècle

    Depuis 2018, la France a été catégorisée par le magazine The Economist comme une « démocratie défaillante » au même titre que l’Italie, la Pologne et la Hongrie… Un résultat des plus surprenants quand on compare le protocole de maintien de l’ordre actuel avec celui adopté entre 1968 et 2000.

    Bien qu’imparfait, le modèle adopté avec et après les événements de 1968 par le préfet Maurice Grimaud et le ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin (imités par leurs successeurs) se révèle très efficace.

    La mise à distance des corps (entre manifestants et policiers), la construction d’une gradation de la réponse donnée par les agents, la surveillance par l’infiltration des manifestants ( afin de renseigner au mieux les forces de l’ordre de la situation ), le développement de nouvelles tactiques visant à s’adapter aux risques d’affrontements et la volonté de laisser les manifestants s’exprimer calmement dans l’espace public, sont autant de changements qui permettent une pacification conséquente de la rue. Des agents chargés d’appréhender les « casseurs » restaient en retrait, prêts à intervenir dès le signal reçu, sans avoir à charger contre l’ensemble du cortège. Contrairement à certaines déclarations officielles , ces manifestants violents étaient déjà chaussés pour fuir, tout comme les agents étaient déjà préparés pour les poursuivre.

    Les années 1968-1983 furent pourtant marquées par des manifestations particulièrement violentes. Les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre étaient courants. Toutefois, il y avait une volonté politique de pacifier les relations entre « la rue » et les forces de l’ordre. Cette pacification se poursuit tout au long des décennies 1970-1990 .

    Bien entendu, il ne faut pas idéaliser la période. Des incidents parfois très graves eurent lieu. On déplore au moins trois morts et quelques dizaines de blessés parmi les manifestants entre 1977 et 1999 , tout comme plusieurs dizaines de policiers et gendarmes furent blessés et un CRS tué par balle en 1976 . Cependant, la volonté des gouvernements alors en place d’assurer un maintien de l’ordre pacifié a offert d’excellents résultats avec seulement 5 % d’atteintes contre les biens et les personnes lors des manifestations entre 1975 et 1990.

    Les inquiétudes d’une tentation autoritaire

    À travers l’exemple du LBD, il est possible de constater que le renforcement de l’équipement du maintien de l’ordre – analogue à la baisse des effectifs des agents spécialisés dans le domaine – a été suivi d’une augmentation des accusations d’abus par les forces de l’ordre . Le problème ne vient pas de la formation des CRS et des gendarmes mobiles, qualitative par le temps qui y est consacré et son adaptation aux évolutions des manifestations publiques , mais du changement de la doctrine , du déploiement de policiers non spécialisés pour ce type de mission et des défaillances de la chaîne de commandement.

    À Paris sur les Grands Boulevards, le 23 mars 2023, de nombreux manifestants sont attaqués par les forces de l’ordre de manière qualifiée de disproportionnée, YouTube.

    Les sociologues Sébastien Roché et Olivier Fillieule l’ont longuement analysé : si l’usage des LBD a reculé pour l’instant, les incitations au contact avec les manifestants , l’usage répété des nasses , « les interpellations de masse pour dissuader de participer au cortège » , ou encore le refus de veiller au bon port du RIO (numéro d’identification des policiers) ne peuvent qu’alimenter les incidents et nourrir la défiance populaire à l’égard des forces de l’ordre .

    La France montrée du doigt

    Ainsi, depuis le sommet de la COP21 mais plus encore les mouvements sociaux contre la loi El Khomri en 2016, l’image de la France s’est fortement détériorée à l’international. L’accroissement de la répression a commencé aussi bien à inquiéter les Français , qui éprouvent une peur croissante d’aller manifester dans la rue voire d’exprimer publiquement leurs opinions , que les observateurs européens et nord-américains , qui voient là l’image d’un pouvoir « méprisant et insensible », « autoritaire », « brutal ».

    Cela n’est pas nouveau. La France a déjà été condamnée pour son usage excessif et répété de la force dans son protocole de maintien de l’ordre par la Cour européenne des droits de l’Homme en 2017 puis en 2019 .

    Le projet de loi de sécurité globale avait également suscité beaucoup d’inquiétudes puisqu’il cherchait à punir toute diffusion d’images de policiers et de gendarmes (« délit de provocation à l’identification ») Cela aurait drastiquement réduit la possibilité de poursuivre les éventuels agents responsables d’abus.

    L’usage de la violence ne saurait être toléré dans une démocratie. Cela vaut aussi bien pour les manifestants (qui doivent en répondre devant la loi) que pour les forces de l’ordre. Comme le rappelait Maurice Grimaud en mai 1968 , « frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière ». Ou pour reprendre l’expression plus récente du socio-économiste suisse Frédéric Maillard qui tient le blog L’observatoire des polices , « les voyous ne méritent pas qu’on les [forces de l’ordre] leur ressemble ». The Conversation

    Bryan Muller , Docteur en Histoire contemporaine, Université de Lorraine

    Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’ article original .

    The Conversation

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      Darmanin maintient la fin 2023 pour sa réforme de la police judiciaire

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 8 March, 2023 - 03:50 · 3 minutes

    La confusion règne autour de la réforme de la police judiciaire.

    Pourtant, Gérald Darmanin joue son avenir politique alors que le Sénat lui offrait une porte de sortie honorable. Le 28 mai dernier, le fiasco du match Real Madrid-Liverpool qui a écorné l’image sécuritaire du pays, à quelques mois des J.O. de Paris 2024, est dans toutes les mémoires.

    Un nouveau chaos est inenvisageable

    Le Sénat s’était prononcé jeudi 2 mars pour « un moratoire jusqu’à la fin des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 » sur la mise en place de la réforme de la police judiciaire, à cause de sa complexité.

    Le président de la commission des Lois, François-Noël Buffet (LR), a fait valoir que le « moratoire permettrait de donner plus de chance de réussite » au projet voulu par le ministre de l’Intérieur. Pendant ce délai, on pourrait « préfigurer ce qu’il faut mettre en place pour que cela fonctionne ». Nadine Bellurot (LR) et Jérôme Durain (PS), les deux auteurs du rapport , ont évoqué « un projet inabouti et changeant », relevant « une succession d’ajustements, sans stratégie claire ni calendrier prédéterminé ».

    Dans une lettre aux agents de la police nationale ce vendredi 3 mars, le ministre de l’Intérieur confirme l’esprit de sa réforme, écartant ainsi la proposition du Sénat d’instaurer un moratoire jusqu’à la fin des Jeux olympiques. Mais le locataire de la place Beauvau a concédé la création d’un poste de directeur interdépartemental (DIPN) dans son projet qui prévoyait initialement de placer tous les services de police d’un département – renseignement, sécurité publique, police aux frontières (PAF) et police judiciaire – sous l’autorité d’un seul directeur départemental (DDPN), dépendant du préfet.

    Pour tenir compte des « inquiétudes » exprimées, notamment un « nivellement par le bas » de la filière police judiciaire, « j’ai décidé de retenir le principe d’une organisation interdépartementale dans les territoires où la compétence s’exerce sur plusieurs départements », écrit le ministre.

    Et de poursuivre :

    « Dans chaque département d’implantation de services spécialisés à compétence plus étendue que le département, ces services seront rattachés à un directeur interdépartemental de la police nationale ».

    Pour le président de l’Association nationale de la police judiciaire (ANPJ) Yann Bauzin :

    « Le projet n’a pas changé du tout […] En juin, on nous parlait déjà de services interdépartementaux de la police (SIDPN). Le DIPN c’est juste un changement de sigle mais c’est une fumisterie […] C’est incohérent du début à la fin ».

    Grégory Joron (Unité SGP police) a pourtant relevé une « ouverture », le ministre ayant pris en compte les « deux lignes rouges en ouvrant un échelon supra départemental et en garantissant un budget propre à la PJ. Mais nous restons inquiets sur l’état de la filière investigation dans son ensemble, avec de nombreux collègues qui sont en souffrance ».

    Pour le syndicat Alliance, Fabien Vanhemelryck s’est félicité que « les spécificités et compétences de la PJ [aient été] préservées ». Quant à Thierry Clair (Unsa), il a salué le fait que la PJ « conservera son budget », facteur « important pour son fonctionnement ».

    Une carte sur l’articulation des DIPN et des DDPN a été diffusée vendredi. Avec des particularités étonnantes, dans le Nord et le Pas-de-Calais, terre électorale de Gérald Darmanin. Les DIPN de Lille et d’Arras ont ainsi compétence sur la PJ dans les deux départements. « Nous avons tenu compte de la spécificité de ce bassin de criminalité », a-t-on expliqué place Beauvau.

    Le ministre a tort de s’entêter dans cette réforme que nous dénonçons depuis la fin de cet été . Non seulement elle déstabilise un service qui fonctionne très bien, mais remet en cause le principe de séparation des pouvoirs et d’indépendance de la justice !

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      Un rapport parlementaire souligne les carences dans la défense antiaérienne

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 19 February, 2023 - 04:30 · 3 minutes

    Les conclusions d’un rapport de la commission de la défense nationale et des forces armées (Assemblée nationale), présentées mercredi 15 février 2023 soulignent les principales carences de la défense antiaérienne en France et en Europe (Défense Sol-Air ou DSA) et proposent des clés pour investir les 5 milliards d’euros prévus dans le projet de loi de programmation militaire 2024-2030 (LPM 2024-2030).

    Les deux députés, rapporteurs de la mission flash constituée le 18 octobre 2022 , Natalia Pouzyreff (Renaissance) et Jean-Louis Thiériot (LR), estiment que la Défense Sol-Air (ci-après DSA) « a été longtemps sacrifiée » ; mais la guerre en Ukraine a changé la donne.

    Il y a un an, Jean-Louis Thiériot et Patricia Mirallès (aujourd’hui Secrétaire d’État aux côtés du ministre des Armées Sébastien Lecornu) faisaient le constat des lacunes de la DSA française .

    Un an plus tard le constat n’a que peu changé, alors que la France a cédé des capacités à l’Ukraine.

    « La défense sol-air est au cœur du tournant marqué par le conflit en Ukraine : la capacité de l’armée ukrainienne à contenir et empêcher la supériorité aérienne russe constitue un élément clef des premiers mois de la guerre, ayant conditionné la suite des affrontements » selon les deux rapporteurs. Ces derniers rappellent qu’en une seule journée, les armées ukrainiennes « consomment jusqu’à 200 missiles pour défense antiaérienne, soit l’équivalent de ce que produisent potentiellement en un an l’ensemble des industries alliées. »

    Or, note le rapport, « la DSA [ndlr : en France] a été longtemps sacrifiée car la menace aérienne avait quasiment disparu d’une part et les armées devaient gérer au mieux la pénurie de leurs budgets d’autre part. » La France ne compte plus qu’un régiment de défense en antiaérien (vs quatre en 2002). Néanmoins, les députés se félicitent que la LPM 2024-2030 prévoie un investissement de 5 milliards d’euros dans ce domaine, incluant la lutte anti-drone.

    Pourtant, face à l’urgence et la gravité de la situation internationale, on peut s’interroger sur le temps que prendra la montée en puissance de cette nouvelle priorité, comme par exemple le remplacement des Crotale NG à leur retrait de service en 2026. Le ministre des Armées a certes annoncé une commande de missiles français VL Mica . « On ne peut pas parler aujourd’hui de trou capacitaire » car « tous les segments de la DSA de la très courte portée à la moyenne/longue portée sont couverts », constate le rapport.

    « La France est un des rares pays à avoir maintenu des missiles Mistral [ndlr : MBDA], Crotale [ndlr : MBDA/Thalès] et Mamba » déclare Jean-Louis Thiériot, mais dans une guerre à la haute intensité « se pose la question des volumes et des stocks. » Aussi, « un réinvestissement au niveau des équipements est indispensable pour éviter le déclassement de notre DSA » à horizon 2035.

    Le député LR estime incontournable la remontée de l’équipement à 12 systèmes SAMP-T Mamba contre 8 actuellement. Ces nouveaux systèmes offriraient un supplément de 16 lanceurs (à relier à la commande récente par la France et l’Italie de 700 missiles Aster 30 B1 et B1NT – livraison 2026). De son côté, Natalia Pouzyreff juge tout aussi « indispensable » de financer les évolutions du Mamba, au-delà des Aster B1NT EC dont « la mise en service est prévue en 2027 ».

    Jean-Louis Thiériot est également favorable au renforcement de la défense antiaérienne très courte portée : « Le retour du canon [ndlr : Rapid Fire de Nexter et Thalès] est le seul moyen de traiter les défenses saturantes de type drone à un coût acceptable ». Le succès impressionnant des Gepard envoyés à Kiev par l’Allemagne a montré l’extrême utilité des canons antiaériens contre les attaques de drone.

    En Ukraine, le défense antiaérienne des deux camps a cloué au sol l’aviation des deux belligérants, les empêchant l’un comme l’autre de mener une offensive décisive. Un nouvel enseignement pour la défense française à tirer du conflit ukrainien.

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      Ukraine : quels enseignements pour la défense de la France?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 11 February, 2023 - 04:15 · 3 minutes

    Dans un récent article , nous nous inquiétions des dépenses prévues par la loi de programmation militaire (LPM) que nous jugions déjà dépassée alors que celle-ci n’est pas encore votée. Un an après le début de la guerre en Ukraine, un rapport sénatorial tire les enseignements militaires de ce conflit.

    Alors que la guerre en Ukraine aura un an le 24 février prochain et que son président, Volodomyr Zelensky parcourt l’Europe pour réclamer des armes (chars lourds, avions de combat…), le Sénat appelle la France à se préparer à une « guerre de haute intensité » qui « nous oblige à revenir aux fondamentaux des conflits armés ».

    Le rapport de Cédric Perrin (LR – Territoire de Belfort) et Jean-Marc Todeschini (SER – Moselle), adopté mercredi 8 février par la commission sénatoriale des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, tire dix enseignements de cette guerre autour de trois axes :

    1. Des enseignements nouveaux
    2. Un retour aux fondamentaux des conflits armés
    3. Des pistes concrètes pour la Loi de programmaton militaire

    Les priorités sont donc : l’artillerie, les drones, la défense sol-air, l’aviation de combat et les stocks de munitions.

    D’après ce rapport, la France dispose notamment de 222 chars de combat, 18 systèmes sol-air et 253 avions de combat, alors qu’en un an de conflit, la Russie et l’Ukraine ont perdu respectivement : 1642 et 449 chars, 88 et 86 systèmes sol-air, 69 et 56 avions de combat.

    Les auteurs du rapport considèrent qu’en matière d’économie de guerre, il faut « passer des mots aux actes » en permettant aux industriels français de « bénéficier de la visibilité nécessaire pour se préparer, le cas échéant, à monter en puissance. » Le rapport en appelle ainsi à des « engagements fermes de l’État » en termes de commandes, à relocaliser les productions stratégiques et à reconstituer les stocks.

    Concernant la dissuasion nucléaire, le rapport avertit qu’elle « ne doit pas devenir notre nouvelle ligne Maginot ».

    Avis partagé par le président de la commission Christian Cambon (LR – Val-de-Marne) qui rappelait à Public Sénat , que si la France dispose de la dissuasion nucléaire, pour autant, il faut quand même « tirer les enseignements » de la guerre en Ukraine, avec une consolidation de la lutte anti-drones et le lancement des programmes « concernant le futur du combat terrestre et de l’artillerie », « moins spectaculaires qu’un porte-avions », mais « déterminants pour notre autonomie stratégique. » Ainsi, « la dissuasion nucléaire n’a rien perdu de son actualité », mais « ne justifie pas de baisser la garde dans le domaine conventionnel. »

    Ensuite, le rapport enjoint la France à « investir encore davantage » dans son implication avec l’OTAN en vue d’une coalition dans le cadre d’un conflit de haute intensité.

    Enfin, s’inspirant de la Cour des comptes, le rapport appelle à mettre fin à l’opération Sentinelle qui engage encore plus de 7000 militaires de l’armée de terre (10 % des effectifs) dans le but de relever la préparation opérationnelle des armées, notoirement insuffisant.

    Le président Cambon a conclu :

    « Ce rapport met en évidence les points sur lesquels nos armées ont été fragilisées par trente ans d’éreintement budgétaire. Notre commission va donc examiner avec la plus grande attention les réponses que le gouvernement entend apporter à cette situation dans le cadre de la future LPM. »

    Ainsi, comme évoqué il y a quelques semaines, malgré plus de 410 milliards d’euros d’investissement la Loi de programmation militaire en préparation risque de ne pas être à la hauteur de l’enjeu…

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      Chars en Ukraine : complications à venir

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 30 January, 2023 - 04:30 · 8 minutes

    Comme en 1917 ou en 1944, les populations européennes communient à nouveau autour de l’envoi de chars lourds sur le front, en leur prêtant des vertus de vecteur de paix, prélude à une victoire finale rêvée dans cette guerre d’ Ukraine que nous menons par procuration.

    Foin de l’escalade du conflit ou de la provocation de l’ours russe aux dents atomiques : tout se passe en effet comme si la formation de nouveaux Schwehre Panzer Abteilungen (bataillons de chars lourds, notamment autour des Leopard allemands) sur le front de l’Est allait renverser le cours de la guerre. Cette vision idéalisée, aux relents oscillant entre la Totaller Krieg de la Seconde Guerre mondiale et le « tank porn » du XXI e siècle, est non seulement une fausse bonne idée, mais encore porteuse de bien davantage de problèmes que de solutions, dont les bénéficiaires apparents risquent de faire les frais durables.

    L’Ukraine, blindée de chars

    On feint tout d’abord, dans une cécité qui le dispute à l’amnésie, d’oublier que l’Ukraine est déjà largement pourvue en chars lourds : près de 2000 au début de la guerre, en considérant que ses propres pertes, de l’ordre de quelques centaines, sont équilibrées par la capture de chars russes en état d’être réparés par l’industrie locale ; on oublie commodément en effet que l’Ukraine retient de l’ère soviétique un parc et la culture d’emploi de chars lourds, appuyé sur des arsenaux, des ateliers, et qu’elle produit et exporte depuis son indépendance des blindés de combat, dont le char T84 Oplot, de dernière génération… Or l’emploi en masse de ces matériels ne s’est en rien révélé décisif.

    On feint ensuite de considérer que la formation de simples escadrons ou bataillons de quelques dizaines de chars Leopard, Challenger, ou même Abrams serait de nature à changer la donne d’un conflit de haute intensité, qui consomme à lui seul (au sens de carboniser) quelques dizaines de chars par semaine de chaque côté du front…

    On se focalise par ailleurs sur le « tank », comme s’il se définissait encore par ses traditionnelles protection (blindage et surblindage, voire protection active), mobilité (chenillée, à quelques dizaines de km/h en tous terrains sur quelques dizaines de km), et puissance de feu (un canon principal d’un calibre supérieur à 100 mm, voire la capacité, comme sur les chars russes, de tirer des missiles antichars). Or le char a subi une transformation depuis les années 2010 pour devenir un véritable système d’armes, intégrant des capteurs optroniques (viseurs infrarouges du chef de char et du tireur, voire aide à la conduite de nuit du pilote), des équipements d’autoprotection (détecteur d’alerte laser, lance-pots fumigènes ou d’obscurcissants infrarouge et laser), et des aides à la navigation (récepteur GPS, centrale inertielle) et à l’acquisition d’objectif (télémètre laser, capteurs de température et de pression extérieure ou du canon), associant autant de calculateurs embarqués.

    S’y ajoutent, dans les chars de l’OTAN depuis une quinzaine d’années, des terminaux d’information tactique, reliés par radio de combat (échangeant voix et données de manière sécurisée) qui affichent la position relative des amis, les ordres de l’unité ou les cibles à engager sous forme d’icônes sur une carte numérisée qui ne craint ni la nuit ni le mauvais temps. Centré sur lui-même, ou associé en groupements tactiques à d’autres chars, véhicules de combat, d’appui (artillerie) ou de soutien (ravitailleur et dépanneur), et relié par radio à une chaîne de commandement pour recevoir ses ordres et coordonner sa manœuvre, le char opère donc comme un système collaboratif complexe, garant à la fois de sa survie et de sa supériorité tactique.

    Le char flambant neuf, un boulet

    Or ces précisions changent la donne dans le cadre de la fourniture de chars modernes à un utilisateur étranger : le système-char consomme désormais bien davantage que du carburant (en quantité astronomique, de l’ordre de plusieurs centaines de litres au 100km) et des munitions (coûteuses et souvent spécifiques, donc peu substituables ou interopérables) ; un char consomme surtout énormément d’heures : de formation, d’entraînement tactique (qui peut être assistée par simulateur) et de maintenance technique.

    Ce dernier aspect est le plus contraignant, au point qu’un équipage est rarement formé sur tout le spectre d’emploi de son char (combat de nuit, en mouvement et à distance, commandement et conduite, manœuvre interarmes), et surtout que le char lui-même est rarement opérationnel à 100 % sur plus de quelques jours ; même ravitaillé en carburant et munitions, ses batteries, composants électroniques ou pièces détachées critiques nécessitent des révisions et changements réguliers. L’abrasion même du terrain et du combat (notamment l’impact des munitions de petit calibre sur les optiques du char), sans parler d’une météo d’hiver, collecte son tribut sur les matériels les plus modernes, comme le révèlent nos opérations d’Afghanistan, réduisant la disponibilité opérationnelle de ces matériels aussi délicats qu’ils sont redoutables.

    Il résulte de ces constats, soigneusement occultés dans la presse profane qui bruisse de la promesse des sauveurs blindés, que la livraison étalée de quelques dizaines de chars modernes par quelques fournisseurs distants porte un impact triplement brutal sur la capacité opérationnelle ukrainienne :

    Humain

    Le temps de former, d’entraîner et de déployer assez d’équipages suffisamment opérationnels pour tirer le meilleur parti de leur char, et de développer des tactiques adaptées au terrain et à l’ennemi : menaces directes et indirectes courte et moyenne portée, portées par des mines, des armements antichar individuels ou collectifs le plus souvent guidés, les feux indirects de l’artillerie lourde (parfois guidés), et les attaques air-sol portées par les drones, les hélicoptères d’attaque ou les avions d’appui tactique. Face à ces défis, les chars ukrainiens arriveront-t-ils à temps pour contrer une prochaine offensive russe d’hiver ou de printemps ? Survivront-ils au premier choc ?

    Logistique

    Pour transformer les maigres ressources ukrainiennes de transport (porte-chars et routes adaptés à des monstres de 60 tonnes), de stockage (vulnérabilité des dépôts avancés, notamment aux frappes de missiles de croisière russes) et de maintenance (rareté des installations adaptées et des techniciens formés) en une chaîne capable d’acheminer carburants et lubrifiants importés (l’Ukraine ne produit pas de pétrole et les fluides des chars occidentaux sont souvent spécifiques), munitions (dans des calibres OTAN non produits par l’Ukraine soviétique), et surtout batteries et pièces électroniques délicates, encore moins présentes localement.

    Opérationnel

    Pour pouvoir employer ces nouveaux chars aux côtés des moyens très hétérogènes du combat interarmes, et surtout pour les relier en un tout cohérent : les groupements tactiques de l’OTAN sont eux-mêmes bâtis autour d’équipements interopérables et de procédures standardisés. Dans ce dernier cas, on voit mal comment la fourniture d’une cinquantaine de Leopard 2 allemands ou Abrams américains, d’une quinzaine de Challenger 2 britanniques, voire une douzaine de Leclerc français pourrait constituer un tout cohérent avec les véhicules de combat d’infanterie BMP soviétiques (bientôt rejoints par des M2 Bradley américains), les BTR-3 et 4 ukrainiens, les M113 américains, ou la douzaine d’AMX 10RC (Roue-Canon) français… L’expérience de l’Irak de Saddam Hussein empêtré dans ses fournisseurs européens, chinois et russes est éloquente, et l’armée ukrainienne s’achemine donc vers un Frankenstein opérationnel évoluant dans un cauchemar logistique.

    Le tankiste captif

    Quelles sont alors les certitudes héritées de cette incertitude ?

    Il résultera inévitablement de cette « Panzer frenzy » (ou ruée vers les chars dorés) la rupture brutale avec l’Ukraine post-soviétique et ses capacités industrielles ou d’entraînement, pour installer Kiev dans une dépendance à long terme aux savoir-faire, armements, équipements, munitions et consommables divers occidentaux, ouvrant en revanche la voie à un business model durable de vente de produits et service aux Ukrainiens, désormais captifs de leurs bailleurs de chars.

    Enfin au rang de la symbolique, il est probable que l’armée russe mettra la priorité à localiser et affronter pour détruire ou capturer les chars de l’OTAN à mesure de leur apparition, cherchant évidemment à neutraliser leur avantage tactique local, mais aussi et surtout pour remporter un avantage moral sur l’Occident ennemi par procuration, démontrant au passage la supériorité du matériel russe (aucun char n’est invulnérable aux armes antichar de génération équivalente), tout en compromettant notre avantage technologique de l’occident par la capture de ces chars, la compromission humaine des équipages Ukrainiens, voire la parade électronique, en développement des contremesures adaptées.

    En somme, les Ukrainiens seront les premiers perdants en termes de souveraineté, d’autonomie industrielle et de liberté d’action, suivis par les Occidentaux en termes de réputation de leurs matériels, puis peut-être par les Russes enfin… si leur dizaine de milliers de chars existants, et surtout l’étendue de leur complexe industriel de production d’armement lourd échoue à  surmonter la rencontre avec quelques dizaines de chars de l’OTAN, mal maîtrisés, mal commandés, et mal entretenus par une force ukrainienne usée par une année de guerre et le bombardement de ses installations.

    Mais peut-être que la vérité est ailleurs ; qu’importent en effet le pragmatisme ou les considérations technico-opérationnelles, au regard des juteuses perspectives de profits, qui régaleront les fournisseurs occidentaux et leurs intermédiaires locaux, pendant que les généreux donateurs pourront renouveler leur parc en suscitant chez les mêmes de nouveaux marchés…peu importe le char, la reine du carnaval promet d’être la plus belle.

    Valéry Rousset, La guerre à ciel ouvert, decoopman.com, 2020, 430 pages

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      Loi de programmation militaire : pas encore votée et déjà dépassée

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 24 January, 2023 - 04:15 · 8 minutes

    Face à la menace internationale, il est urgent de réinvestir dans nos armées afin de protéger la France et l’Europe et défendre nos valeurs de liberté que les générations précédentes ont acquis au prix de leurs vies. Aussi le président Macron a-t-il dévoilé vendredi les grandes orientations de la future Loi de programmation militaire 2024-2030, augmentant les budgets d’un tiers. Mais augmenter les budgets est une chose, dépenser l’argent public avec efficacité en est une autre…

    Si, selon Clémenceau, la guerre est une affaire trop sérieuse pour la confier à des militaires, il semble qu’il en soit de même de la dépense publique lorsqu’elle est confiée à un ancien banquier.

    Le 13 juillet dernier, à l’Hôtel de Brienne, Emmanuel Macron avait dit aux militaires :

    « Tout confirme notre analyse stratégique de la menace […]. La défense est la première raison d’être de l’État, s’il faut aller plus loin, nous le ferons. »

    Séance tenante, les spécialistes mettaient en chantier une nouvelle copie de la Loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 qui passe l’augmentation du budget annuel des armées de 36 à 50 milliards d’euros.

    Le général Pierre de Villiers, ancien chef d’état-major des armées, déclare à l’antenne de BFM TV début novembre :

    « Il faut se dépêcher en adaptant les procédures : c’est maintenant et pas dans six mois qu’il faut adopter la nouvelle LPM. […] Il est urgent de passer à la vitesse supérieure pour rétablir la cohérence entre les menaces, que l’on connaît, les moyens et les missions confiées aux armées. Trois milliards de plus par an, c’est insuffisant. À nouvelle situation, nouveaux moyens. »

    À la mi-décembre, l’Élysée n’avait toujours pas validé le nouveau périmètre financier de la future LPM. Or, sans ce cadrage, il est impossible de fixer des ambitions opérationnelles, d’arrêter des volumes de forces et de matériels, de planifier des calendriers de commandes et de livraisons.

    « La loi de programmation militaire traduit les efforts du pays en faveur de ses armées » et « ces efforts seront à proportion des dangers, c’est-à-dire considérables », a annoncé le président de la République lors de ses voeux aux armées sur la base aérienne de Mont-de-Marsan (Landes), en assurant que les armées disposeraient au total de 413 milliards d’euros entre 2024 et 2030, en tenant compte de recettes extrabudgétaires. « Nous devons avoir une guerre d’avance » pour « être prêts à des guerres plus brutales, plus nombreuses et plus ambiguës à la fois », a commenté le chef des Armées devant un aéropage de hauts gradés. « Après avoir réparé les armées, nous allons les transformer », a fait valoir le chef de l’État, faisant référence à la LPM 2019-2025 de 295 milliards d’euros qui avait mis fin à des années de coupes budgétaires dans les armées :

    • Les efforts de modernisation de la dissuasion nucléaire française , auxquels 5,6 milliards d’euros de crédits de paiement sont consacrés en 2023, seront poursuivis.
    • Les capacités cyber seront « très sensiblement renforcées » pour disposer d’une capacité « de premier rang ».
    • Le budget alloué au renseignement militaire augmentera de près de 60 % sur la période 2024-2030.
    • L’Outre-mer fera lui l’objet d’investissements supplémentaires en terme d’équipements et d’effectifs.
    • La France doit « disposer de forces de souveraineté renforcées pour pouvoir donner un coup de griffe à celui qui voudrait s’en prendre à nos intérêts », notamment dans l’Asie-Pacifique, où les visées expansionnistes de la Chine inquiètent, fait valoir l’Élysée.

    La future Loi de programmation militaire cherchera également à s’adapter aux risques de conflit inter-étatique majeur (« haute intensité »), dans un contexte géostratégique de plus en plus tendu :

    • La France doit aussi être capable, « si les circonstances l’imposaient », de « construire et de commander une coalition de premier rang » avec ses partenaires, a relevé le chef de l’État. Cela implique de pouvoir déployer une capacité interarmées de 20 000 hommes.
    • Il s’agira en outre de combler les lacunes dans le domaine des drones et des munitions rôdeuses, ou encore investir dans le quantique et l’intelligence artificielle. La France compte également renforcer de 50 % ses capacités de défense aérienne, a indiqué M. Macron.

    Conformément à sa volonté de développer une « économie de guerre », il a aussi demandé aux industriels de « raccourcir drastiquement les cycles de production », « ne pas céder à la sur-sophistication » et « adapter plus vite nos équipements ». Les coûts et la maintenance doivent être réduits par « un effort combiné État-industrie », a-t-il insisté. Mais cela ne se décide pas en un claquement de doigts, rétorquent en coulisse les industriels. Ils attendront des commandes fermes supplémentaires avant d’investir dans de nouvelles lignes de production.

    Soucieux de renforcer la « force morale » de la nation, le chef de l’État a enfin pour objectif de doubler le nombre de réservistes, au nombre de 40 000 actuellement.

    Le budget n’est pas à la hauteur des missions qui attendent nos soldats

    L’Armée de terre compte ses munitions, la Marine appareille des navires low-cost et l’Armée de l’air ne peut qu’acter les retards de livraison.

    En 2022, le général Stéphane Mille, chef de l’Armée de l’air et de l’espace, a dû accepter de voir son parc de Rafale ponctionné. De plus, des appareils neufs attendus ne seront pas livrés en temps voulu afin de servir les nouveaux clients de Dassault, la Grèce et la Croatie. Conséquence : en 2023, l’entraînement de ses pilotes de chasse sera limité à 150 heures par personne, a-t-il prévenu. Pour retrouver de « l’épaisseur », il souhaite que la cible des 185 Rafales arrêtée pour 2030 passe à 225.

    Lors de son audition au Parlement fin juillet, l’amiral Pierre Vandier, le chef d’état-major de la Marine, explique :

    « Malgré tout ce qui a été fait – et dont je suis profondément reconnaissant –, la Marine va continuer de voir sa taille diminuer pendant les deux prochaines années. Depuis 1945, la flotte n’a jamais été aussi petite qu’aujourd’hui. »

    Mais celui-ci a sauvé son format de 15 Frégates de premier rang en échangeant les cinq dernières Fremm (le top de la technologie navale) programmées contre cinq FDI, une version low cost destinée à l’export. Résultat de la politique des « dividendes de la paix », la liste des bâtiments à remplacer simultanément est longue, même si elle a été calculée au plus juste.

    Du côté de l’Armée de terre, la LPM en cours d’exécution prévoyait de livrer un seul char Leclerc rénové en 2022, 80 en 2025 et 200 – soit la totalité du parc  existant – en 2030…

    Celle-ci réfléchit sérieusement à baisser le volume cible de leurs nouveaux blindés de la génération Scorpion (Griffon, Jaguar, Serval) pour être livrés, en contrepartie, des quantités correspondantes de pièces de rechange et de munitions. En outre, pour le général Pierre Schill il devient urgent de reconstituer l’artillerie. Elle ne dispose que d’un nombre ridicule de canons Caesar (76 moins les 18 ponctionnés pour l’Ukraine) et de systèmes Mamba de défense sol-air. Il faut en outre enrichir cette panoplie de systèmes de tir dans la grande profondeur du champ de bataille, de radars de contre-batterie et de drones.

    Et à ces priorités s’ajoutent les investissements qui permettront aux armées de se battre dans les « nouveaux champs de la conflictualité » : espace, cyberespace, grands fonds marins.

    En intégrant le coût de l’inflation, la part de l’investissement sanctuarisé pour la modernisation de la dissuasion (environ 12 % du budget annuel), les programmes majeurs lancés auquel il serait compliqué de toucher sans créer des déséquilibres structurels et la liste des « trous capacitaires » dont le comblement est devenu très urgent depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine, les financiers militaires n’auront en réalité qu’environ 30 % de ce montant global d’augmentation à répartir entre les armées.

    Pendant ce temps-là, l’Allemagne a débloqué 100 milliards pour reconstituer « l’armée la mieux équipée d’Europe » et la Pologne s’emploie à doubler ses effectifs et à tripler ses crédits pour lui disputer le leadership militaire.

    Sources :

    Le projet de Loi de programmation militaire 2019-2025 présente plusieurs points de vigilance – Zone Militaire (opex360.com)

    LOI n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense – Dossiers législatifs – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

    Microsoft Word – r765-t1.doc (assemblee-nationale.fr)

    r20-6971.pdf (senat.fr)

    Armées françaises : où sont les réserves stratégiques ?… – Par Jean-Dominique Merchet et Léo Péria-Peigné (IFRI) (mechantreac.blogspot.com)

    «Armée française, les leçons de l’Ukraine». Par Alain Bauer (mechantreac.blogspot.com)

    Luc de Barochez – Pourquoi la France doit se réarmer (mechantreac.blogspot.com)

    Défense française: ajuster nos efforts – Par Nicolas Baverez et Bernard Cazeneuve (note de l’Institut Montaigne) (mechantreac.blogspot.com)

    La France, puissance déclassée ? – Par Julien Peyron (mechantreac.blogspot.com)

    Protéger, défendre, dissuader : les défis de nos armées 2022-2030 – Par l’IFRAP et Agnès Verdier-Molinié (mechantreac.blogspot.com)

    «Il est urgent de réinvestir dans notre Défense face à l’ampleur de la menace» – Par Jean-Louis Thiérot (mechantreac.blogspot.com)

    Article original sur Méchant Réac ! .

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      La solde des militaires : le prix du sang

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 23 January, 2023 - 04:00 · 5 minutes

    Un article de Conflits

    Les militaires (incluant les gendarmes) ne perçoivent pas un salaire mais une solde. Si le salaire est le prix du travail, depuis Napoléon la solde est le prix du sang.

    Un léger malentendu…

    Un militaire perçoit une solde non pour produire un bien ou rendre un service marchand, mais pour se préparer à défendre la Nation , y compris par la violence et au péril de sa vie, en obéissant aux ordres donnés par ses représentants légitimes.

    Légalement, un militaire n’a pas d’horaires de travail (dans la pratique quotidienne, des horaires ont été calqués sur ceux du monde civil). Un chef militaire peut ordonner jour et nuit, 365 jours par an, des actions dangereuses pour la vie de ses subordonnés (et pour la sienne) dans le cadre de la mission qui lui est confiée.

    En revanche, un chef d’entreprise peut aller en prison s’il met sciemment en danger la vie de ses salariés.

    Des élèves-officiers britanniques avaient été interrogés pour savoir, selon eux, quel métier civil se rapprocherait le plus de leur future situation de chef militaire. Beaucoup ont répondu : « chef d’entreprise »…

    Un chef militaire n’est pas un chef d’entreprise !

    D’abord, un chef d’entreprise doit gagner l’argent ou l’emprunter, pour investir, payer les salaires et éventuellement engranger des bénéfices. Le militaire, lui, ne fera jamais fortune mais il est régulièrement payé par l’État et il n’achète pas le matériel qu’il utilise.

    Ensuite, les militaires ont le pouvoir et même parfois le devoir de tuer au nom de la Nation qui l’ordonne en lui confiant une mission. Ils ne sont pas seulement des gestionnaires de moyens alloués par la Nation ou des managers de leurs subordonnés.

    La communication des armées a elle-même contribué à rendre ambiguë cette perception de « l’état militaire ». Des campagnes de recrutement ont été centrées sur le monde civil (apprendre un métier, se consacrer à des actions humanitaires, faire du sport…). Elles étaient certes utiles pour recruter massivement, mais ces « publicités » étaient en décalage avec les rudes réalités des opérations extérieures.

    La préparation au combat n’est pas seulement un apprentissage technique, ni un simple entraînement sportif pour se former physiquement et mentalement, c’est surtout un engagement personnel jusqu’au « sacrifice suprême » au service de son pays et de la défense de ses valeurs (démocratie, liberté…).

    Les militaires sont destinés au combat

    Et le combat sort du monde ordinaire, il est « extra-ordinaire » au sens littéral. Il porte ses propres règles, différentes de celles qui régissent l’état de paix. Il bouleverse les circonstances habituelles, les perceptions, les réactions et in fine l’être même.

    Au combat, il faut faire face à l’horreur et surmonter la peur. La proximité avec le danger et la mort agit comme un révélateur. Des hommes et des femmes ordinaires ont soudain des comportements extraordinaires pour défendre des intérêts aux contours parfois flous. Ils acceptent des efforts hors normes pour affronter collectivement une réalité violente loin du monde individualiste et hédoniste habituel.

    Les militaires répondent aussi à des impératifs personnels : la soif de découverte, l’envie d’aventure, d’action, de se dépasser, le rejet d’une société aseptisée et le besoin d’être intégré dans un groupe humain rendu solidaire par des épreuves partagées.

    C’est souvent principalement pour ces raisons qu’ils acceptent de s’engager dans des combats difficiles, avec des moyens parfois rustiques, et de souffrir en silence.

    Les médias communiquent volontiers sur un mode compassionnel et sont prompts à dénigrer l’Armée si un soldat se conduit mal mais ils « oublient » parfois (souvent ?) d’honorer ces nombreux jeunes Français qui incarnent aussi des vertus de calme, d’effort, de volonté et de courage.

    Le soldat de la paix

    L’ère sympathique, mais quelque peu utopique, du « soldat de la paix » est maintenant dépassée.

    Certes, il œuvre pour la paix mais sous la pression des évolutions géopolitiques, le mot guerre n’est plus tabou. La population française redécouvre que des crises et des guerres existent toujours partout dans le monde, provoquant des ruines, des blessés et des morts.

    Paradoxalement, malgré cette prise de conscience, les moyens militaires de la France en hommes et en matériels ont diminué ces dernières années. Nos responsables politiques, parfois aveuglés par notre « supériorité technologique », parfois virtuelle, imaginent que les conflits vont s’apaiser d’eux-mêmes, comme par miracle.

    Un pays qui oublie la finalité de ses armées et les réalités du combat est condamné à se perdre. Certains espèrent que « d’autres », parfois méprisés, iront spontanément s’exposer à leur place pour faire face au danger lorsqu’il surgira. Mais combien « d’enfants de la Patrie » accepteront avec entrain de se lever et de mettre leur vie en péril, sans y être préparés, quand nos intérêts et nos libertés seront menacés ?

    Négliger les valeurs du combattant face à des adversaires de la démocratie qui exaltent à l’extrême des valeurs guerrières sur fond d’idéologie (religieuse ou non) crée un décalage dangereux. « Contre nous (les démocrates), l’étendard sanglant de la tyrannie est levé ».

    Dans un monde qui n’a jamais cessé d’être turbulent voire violent, les critères de discipline, d’abnégation et de dévouement font la force du militaire. Ces valeurs constituent un modèle de plus en plus prisé par une société, notamment des jeunes, en quête de repères.

    L’État verse une solde aux militaires pour accepter sur ordre de verser leur sang et aussi pour assumer le sacrifice ultime des autres, pour la défense des intérêts de la Nation.

    Sur les canons du roi Louis XIV était gravée la locution latine « Ultima ratio regum » : le dernier argument du roi.

    Sur le web

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      Nuit de la Saint-Sylvestre : « tout va bien, M. Daramin »

      Laurent Sailly · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 4 January, 2023 - 04:15 · 5 minutes

    Le ministre de l’Intérieur est content. Il est même très satisfait de lui-même.

    Au moins, Gérald Darmanin ne change pas et au pays des aveugles, les borgnes sont au gouvernement. Aucun « incident notable » et moins de voitures brûlées qu’au jour de l’an 2022. De quoi réjouir M. Darmanin qui relève tout de même « à peu près 500 interpellations ».

    Réveillon de la Saint-Sylvestre plutôt calme…

    Il y a eu 20 % de voitures brûlées de moins lors de la nuit du Nouvel An 2023 par rapport à l’année 2022, qui était « déjà une année où i l y avait eu moins de véhicules brûlés », a déclaré dimanche 1er janvier le ministre de l’Intérieur : 690 véhicules ont été incendiés contre 874 pour le passage à l’année 2022.

    Il n’y a eu aucun « incident notable » en France, a ajouté le ministre, qui s’exprimait depuis Mayotte où il est en visite depuis samedi.

    Il y a eu « à peu près 500 interpellations », soit « 11 % » de plus par rapport à l’an dernier en raison « des consignes de fermeté » selon le ministre de l’Intérieur [NDLA : chiffre du nombre de personnes interpellées et placées en garde à vue qui avait déjà augmenté par rapport au réveillon de 2019 a omis de préciser le ministre]. Les personnes interpellées « voulaient tirer des mortiers sur les forces de l’ordre » ou « voulaient mettre le feu à des voitures », dont certaines pour des « escroqueries à l’assurance », a affirmé le ministre.

    Ce dernier a attribué ce relatif calme à « la présence très importante des gendarmes et des policiers », notamment à Paris (90 000 membres des forces de l’ordre étaient mobilisés pour la nuit de la Saint-Sylvestre en France).

    La vision très parisienne du ministre de l’Intérieur ne résiste pas aux difficultés rencontrées par nos concitoyens en province et en Île-de-France où les notions de calme, d’ordre public et de respect des pouvoirs publics paraissent à mille lieux de celles des technocrates de la place Beauvau, plus habitués aux palais de la République qu’aux conditions de travail miteuses des commissariats de police.

    S’interrogent-ils seulement, ce matin, sur le sort de ces 690 propriétaires de véhicules incendiés par des racailles, des voyous à la petite semaine ? Je ne crois pas. Pis, ils doivent s’enliser en cherchant à excuser ceux-ci sur leur mal de vivre dans une société où ils entretiennent par leurs actes l’injustice !

    Paris ne brûle pas… et la France ?

    En parcourant quelques titres de la presse quotidienne régionale ce matin, les faits sont nettement à nuancer.

    On note que toutes les préfectures et directions départementales ont reçu certainement la même instruction : les mots « nuit calme » se retrouvent dans tous les communiqués officiels.

    En Seine-Saint-Denis , le bilan de la soirée de la Saint-Sylvestre fait état de 57 interpellations, 15 feux de véhicules, 14 feux de poubelles, 233 tirs de mortiers et 5 jets de projectiles.

    Dans les Yvelines on décompte 15 gardes à vue entre 20 h et 6 h, 39 faits de violences urbaines dont 22 véhicules et 13 poubelles incendiés, 8 attaques de policiers dont 3 jets de projectiles et 5 mortiers, 6 usages de l’armement collectif.

    À Strasbourg , ville souvent très scrutée le premier jour de l’année car touchée chaque année par de nombreux feux de véhicules, la police s’est félicitée auprès de BFM Alsace d’une « nuit extrêmement calme ». Une soixantaine de véhicules ont été brûlés, pour le même nombre d’interpellations, « surtout des mineurs pour des infractions diverses », précise une source policière.

    À Marseille , selon la préfecture de police, la soirée a été plutôt calme dans la cité phocéenne. « Dans l’ensemble, soirée festive et bon état d’esprit », précise-t-elle auprès de BFM Marseille Provence. Quelques faits de violences urbaines sont toutefois recensés dans plusieurs quartiers ou communes alentours. Dans plusieurs arrondissements, les forces de police ou les pompiers ont été pris pour cibles par des tirs de mortiers notamment. En outre, une trentaine d’individus est à l’origine de tirs de mortiers en direction de la prison des Baumettes. Au moins sept interpellations pour violences et dégradations ont eu lieu.

    Dans l’ agglomération lyonnaise et le Rhône, une cinquantaine de voitures ont été incendiées dans la nuit de samedi à dimanche, notamment dans l’est lyonnais. Six individus ont été interpellés pour jets de projectiles et détention de mortiers d’artifice à Rillieux-la-Pape, Vénissieux ou encore Villeurbanne. La préfecture du Rhône se félicite d’une « nuit plus calme » que d’habitude.

    À Nice , cinq interpellations ont eu lieu, notamment pour feux de poubelles et feux de véhicules. La police note des incidents dans tous les secteurs de la ville. Comme pour les autres métropoles, les forces de l’ordre affirment que ce Nouvel An était « plus calme que les années précédentes ».

    À Nantes , voitures et forces de l’ordre ont été visées par des mortiers. Les gendarmes mobiles ont été la cible de jets de cocktails Molotov et tirs de mortiers d’artifice.

    Dans la Drôme , le soir du réveillon a été marqué par quelques incidents, notamment à Pierrelatte, dans le sud du département. Peu avant 22 h 30, des mortiers d’artifice ont été tirés contre la caserne de gendarmerie. Les sapeurs-pompiers de Saône-et-Loire sont intervenus à plusieurs reprises pour des feux de poubelles extérieures au cours de cette nuit de réveillon.

    En Haute-Garonne , les pompiers ont dû intervenir sur 41 incendies contre 6 la veille.

    Arrêtons là l’énumération de ces « faits divers ».

    Un objectif : tolérance zéro !

    La France s’habitue trop à ces chiffres que l’on désigne sous le terme de « petite délinquance ».

    Celle-ci participe à l’insécurité générale du pays où les lois de la République n’ont qu’une application à géométrie variable. Il semble que la nuit de la Saint-Sylvestre n’ait pas engendré de drames. Tant mieux. Mais la sécurité intérieure du pays ne reposera pas toujours sur la chance.

    Nos gouvernants doivent prendre en compte ces « avertissements sans frais » pour conduire une politique de tolérance zéro !

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      La souveraineté nucléaire française : un statut figé ?

      Auteur invité · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 3 January, 2023 - 03:50 · 10 minutes

    Par Raphaël Chauvancy.
    Un article de Conflits.

    Les velléités expansionnistes chinoises puis l’invasion russe de l’ Ukraine ont initié une réinitialisation des architectures sécuritaires. L’idéal d’une régulation des conflits par le dialogue et le respect du droit international s’effacent devant le pragmatisme des rapports de force, l’équilibre de la terreur nucléaire, la solidité des principes de sécurité collective et entraînent la redéfinition de la notion de souveraineté militaire.

    Vieil État-nation, la France place naturellement au cœur de ses idéaux politiques le maintien d’une souveraineté dont la condition première est la capacité à défendre ses frontières. Dans un pays bien décidé à ne jamais plus revivre la boucherie de 14-18 et la débâcle de 1940, l’entretien d’une dissuasion nucléaire autonome et exclusive fait consensus.

    Dans la pensée française, le feu nucléaire est indissociable de la souveraineté nationale. De fait, on peut renoncer à certains pans de souveraineté mais pas la partager. Une souveraineté partagée n’est pas plus crédible que l’illusion d’une « armée européenne », tout récemment balayée par le chef d’état-major des armées lors de son audition à l’ Assemblée nationale .

    Soixante ans après sa conception, la doctrine stratégique élaborée sous le général de Gaulle fait ainsi figure de dogme confortable et rassurant. Elle entretient peut-être aussi les Français dans l’illusion de la sécurité et d’un rang mondial considérés comme acquis. Mais les lignes bougent à l’ère de la compétition globale.

    Et si la conception française de la souveraineté nucléaire était obsolète ?

    L’ère du partage ?

    Alors que la pire guerre qu’ait connue l’Europe depuis 1945 dévastait l’Ukraine depuis plusieurs mois, la Pologne a annoncé en octobre 2022, par la voix de son président Andrzej Duda , être en tractation avec les États-Unis pour rejoindre le programme de partage nucléaire de l’ OTAN . À Varsovie, beaucoup jugent en effet que Kiev a commis une erreur historique en renonçant à son arsenal nucléaire à la chute de l’URSS et que l’atome est le seul frein aux ambitions de Moscou. En 2016, d’ailleurs, le gouvernement polonais avait déjà exprimé des velléités de partage nucléaire et lancé des appels du pied restés sans effet en direction de… la France .

    Initié durant la Guerre froide, le partage nucléaire consiste à intégrer certaines nations, en l’occurrence l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, la Turquie et l’Italie, à la dissuasion américaine en leur confiant des bombes H aéroportées B-61 à double clef. Washington conserve à la fois le pouvoir de décision finale sur leur emploi éventuel et sa dissuasion propre. De surcroît, ce dispositif dope les ventes de son industrie aéronautique militaire en Europe sous prétexte d’interopérabilité. Il n’en constitue pas moins le pivot sécuritaire des participants qui bénéficient de la jouissance nucléaire à défaut d’en avoir la possession.

    La déclaration polonaise s’inscrit dans une redéfinition de l’approche sécuritaire des démocraties, de plus en plus contestées et inquiètes pour leur sécurité. À l’autre bout du globe, le Japon, confronté à l’agressivité croissante de la Chine et au durcissement de la Russie, opère une mue historique. 83 % des citoyens du pays d’Hiroshima se disent désormais ouverts au débat sur l’hypothèse d’un partage nucléaire avec les États-Unis .

    La Corée du Sud elle-même, forte du soutien de plus de 70 % de ses citoyens au développement d’une force de frappe nucléaire nationale, hésite à se lancer dans une course aux armements susceptible d’accroître les risques géopolitiques, mais cherche à renforcer ses garanties stratégiques. L’idée d’un partage nucléaire avec les Américains, sur le modèle de ce qui se pratique en Europe dans le cadre de l’ OTAN , a commencé à être évoquée publiquement en 2019, après l’échec des conférences d’Hanoï entre les présidents Kim Jong-un et Donald Trump . La signature du traité AUKUS a donné aux débats une impulsion nouvelle, déterminante pour le futur de l’architecture sécuritaire du Pacifique.

    Il faut dire que l’alliance AUKUS, conclue en 2021, a brisé un tabou, Londres et Washington ayant proposé à Canberra de la doter en sous-marins à propulsion nucléaire. Certains appellent d’ores et déjà à aller plus loin, comme le Lowy Institute, un influent think-tank de Sydney. Partant du constat qu’un sous-marin nucléaire d’attaque est une arme d’emploi, non de dissuasion, cet organisme est allé jusqu’à affirmer l’inutilité d’en acquérir. Quel que soit son mode de propulsion, ce type de bâtiment ne bouleverserait pas le rapport de force militaire avec Pékin. Par conséquent, sa contribution à la sécurité de l’Australie serait à peu près nulle.

    Le Lowy Institute a évoqué à la place le principe d’une mutualisation nucléaire stratégique avec le Royaume-Uni dans le cadre de l’ AUKUS . Un à deux sous-marins lanceurs d’engins (SNLE) à équipages mixtes et à deux clefs apporteraient au pays la garantie stratégique qui lui manque . Le choix des Britanniques plutôt que des Américains permettrait d’envisager une relation relativement équilibrée entre deux nations qui partagent déjà le même chef d’État, le roi Charles.

    La sécurité collective comme défense des intérêts nationaux

    Ces réflexions prospectives posent la question de la prolifération nucléaire. Or la bombe repose désormais sur une technologie ancienne à la portée de tous les États développés, y compris les plus irresponsables. Le partage offre aux démocraties raisonnables une protection rendue indispensable dans un monde dangereux, sans cautionner la prolifération, puisque le pouvoir d’ouvrir le feu reste ultimement sous contrôle de ses détenteurs historiques.

    Ainsi pourrait s’ouvrir une nouvelle ère où la jouissance atomique militaire se généraliserait, diminuant l’intérêt de la possession. Le nouveau jeu stratégique ne consisterait alors plus à cultiver une exception capacitaire mais à se placer au centre des systèmes de sécurité collective tout en conservant la clef décisionnaire. La puissance d’un État se mesurerait autant à sa capacité à partager certains éléments de sa force stratégique qu’à celle de riposter de manière souveraine en tout temps et en tout moment.

    Cette évolution consacre le principe de la sécurité collective en surplomb des seuls intérêts nationaux. Malgré le retour des affrontements de haute intensité, l’art de la guerre moderne substitue de plus en plus la planification environnementale à la planification opérationnelle. C’est-à-dire qu’il consiste moins à vaincre les forces ennemies qu’à mettre en place des matrices sécuritaires, politiques, économiques, culturelles, etc. favorables, afin de réduire les marges de manœuvre adverses tout en accroissant les siennes propres. Ce que l’on appelle la guerre par le milieu social, la GMS, le milieu social devant être compris comme l’ensemble des structures et interactions matérielles ou immatérielles constitutives d’une société .

    L’armée française sait faire beaucoup de choses mais désormais la puissance consiste aussi à savoir les faire faire, à être un catalyseur en plus d’un effecteur. Le leadership français n’a jamais été pleinement accepté au sein de l’Union européenne et a échoué à rééquilibrer la relation du continent avec les États-Unis vers le partenariat plutôt que la dépendance. Peut-être faut-il changer d’approche.

    Au splendide isolement capacitaire qui revient à se tenir à l’écart de la compétition pour l’élaboration des architectures sécuritaires de demain, ne serait-il pas possible de substituer la puissance par le rayonnement et l’influence ? La France est la première nation militaire d’Europe, la plus autonome et la plus emblématique. Ne devrait-elle pas devenir la plus indispensable, la plus centrale et la plus fédératrice ? C’est-à-dire devenir la pierre d’angle de la Défense collective du continent ?

    Le cas polonais

    On a ainsi beaucoup reproché aux Polonais d’avoir fait en 2020 le choix d’équiper leur armée de l’air de F 35 américains au détriment d’une solution européenne ou française, comme le Rafale, puis d’avoir logiquement choisi un groupe américain plutôt qu’EDF pour construire leur première centrale nucléaire en 2022. C’est oublier un peu vite que les appels du pied nucléaires de la Pologne sont passés pour une incongruité à Paris et n’y ont pas été pris au sérieux.

    Malheureusement, l’agression russe en Ukraine a montré que les craintes de Varsovie pour sa sécurité n’étaient pas l’expression d’une haine historique recuite envers la Russie. Peut-être les Français ont-ils raté une occasion unique de construire la Défense européenne en prêtant une oreille plus attentive aux préoccupations de leurs alliés d’Europe orientale.

    Le général de Gaulle est mort

    Paris adopte désormais une vision intégrée en réseau. Sa nouvelle posture est celle du partage dynamique de matériel et de compétences dans le cadre bilatéral du partenariat militaire opérationnel en Afrique ou du multilatéralisme européen et otanien.

    Une forme de tabou, la peur de perdre sa spécificité et le poids des habitudes écartent de cette approche nouvelle la sphère nucléaire. Paris a toujours, à juste titre, refusé de participer au Groupe des plans nucléaires (NPG) de l’OTAN, pour ne pas voir sa souveraineté nucléaire absorbée ou entravée par la puissance américaine.

    Pourtant, nous l’avons vu plus haut, la question nucléaire traverse l’ensemble du monde démocratique. Dotée d’une force stratégique totalement indépendante, Paris ne peut se permettre de rester en dehors des débats, ce qui implique de se poser la question de proposer à certains pays proches de l’UE une solution alternative ou complémentaire à la voie américaine. Puissance moyenne, la France offrirait des rapports plus équilibrés qu’avec le mastodonte américain pour une garantie ultime plus crédible – les intérêts vitaux de la France sont en Europe, ce qui n’est pas le cas des Américains. Le sujet mérite au moins d’être étudié.

    À l’inverse de l’extension officielle du parapluie nucléaire français à l’ensemble de l’UE en 2020, qui a laissé froids nos alliés, la solution du partage les impliquerait. C’est ce besoin d’implication qui a d’ailleurs fédéré 12 nations de l’UE autour du projet de bouclier anti-missiles allemand. Un partage nucléaire distinct de l’OTAN dans un cadre européen exercerait un effet centripète sur les nations de l’Union. Il s’agirait d’une étape décisive dans le développement d’un écosystème sécuritaire propre, en sus de l’Alliance atlantique. Une dissuasion étendue et renforcée, une solidarité accrue entre alliés, une base industrielle et technologique de Défense (BITD) consolidée en résulteraient. Nous avons vu depuis le 24 février dernier qu’un tel outil manquait à l’heure des périls.

    La souveraineté de la France en serait-elle affaiblie ou au contraire renforcée ? Elle est indissociable de sa puissance. Or cette dernière n’est pas un bien matériel à conserver, mais une relation stratégique à développer . Pour demeurer souveraine, la France n’a d’autre choix que de fédérer, d’influencer, de devenir une force d’entraînement, une nation-cadre pour conserver la capacité d’agir. Ce qui est assumé sur le plan conventionnel ouvre des perspectives sur le plan nucléaire – précisons pour les esprits chagrins que le partage nucléaire n’implique aucunement de renoncer au pouvoir de décision finale.

    L’affichage de capacités exclusives et statutaires ne suffit plus. Le paradigme ancien de la souveraineté consistait à s’affranchir des contraintes collectives. Celui de la souveraineté moderne, plus actif, est de participer aux mécanismes collectifs et de les influencer. Le général de Gaulle est mort. Mais l’histoire souveraine de la France se poursuit avec d’autres outils, d’autres stratégies pour assurer le primat de l’intérêt national.

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